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Historique & Politique

L’être de Merleau-Ponty

Notre propos portera sur deux aspects de la philosophie complexe et saisissante de Maurice Merleau-Ponty, une philosophie qui révolutionne la vision phénoménale et existentiale du monde.

Dans un premier temps nous parlerons du monde et de la façon dont nous l’habitons, ainsi que de la perception comme système de connaissance du monde. Dans un second temps, nous verrons que c’est par la communication que s’articule la perception de l’autre et la relation avec lui, nous verrons que l’être est une incarnation, qui tient le tout et nous possède.

Nous conclurons en argumentant sur le fait que l’être de Merleau-Ponty est un être pour le monde et pour autrui.

 

I. Le monde et la perception

a). Nous habitons le monde

La philosophie de Merleau-Ponty nous permet de comprendre que nous ne sommes pas de simples « être-là » au sens heideggerien du terme. Nous ne sommes pas qu’un « Dasein ». Pour le philosophe allemand nous sommes des « êtres au monde » alors que pour Merleau-Ponty nous sommes des êtres dans le monde, monde qui est déjà là, devant nous. Ce monde est ici soutenu par l’être qui ne demande qu’à exister en tant qu’être pour se laisser percevoir et percevoir le monde.

Nous sommes en relation avec ce dernier comme nous sommes en relation avec notre maison. Notre maison « est » notre maison, comme le monde « est » notre monde. Nous percevons notre maison comme notre maison et le monde comme notre monde car au fondement de tout ils « sont ». Nous sommes en relation avec ce qui nous entoure, car ce qui nous entoure « est ».

Nous ne sommes en relation que parce que l’être est là, il soutient le monde. Et l’être c’est une aperture, une ouverture au monde comme aurait pu dire Paul Ricoeur et d’après Merleau-Ponty, l’être est l’ouverture de la chair qui nous fait entrer en médiation avec le monde environnant. C’est là, la clef de notre perception, nous percevons ce qui « est ». Nous habitons le monde par notre chair et notre esprit, car nous sommes incarnation. Et c’est l’incarnation, qui nous fait habiter le monde. Car notre chair s’ouvre pour entrer en relation avec le monde et nous le faire habiter.

En effet, c’est notre être et son incarnation qui nous octroient le droit d’habiter le monde ; nous ne pouvons habiter que ce qui est. Nous habitons ce monde, comme nous habitons notre maison, dans les deux cas nous pouvons nous y mouvoir. Nous pouvons aller dans la rue, comme nous pouvons aller dans notre chambre.

Pour habiter pleinement le monde nous devons pouvoir le sentir. Nous devons pouvoir le toucher, le goûter, le sentir et surtout le voir. Nous sommes sommes chair, incarnation et de facto obligés de passer par la sensation et le mouvement pour percevoir le monde. Merleau-Ponty nous le rappelle effectivement, nous sommes des êtres sensori-moteurs. Nous habitons le monde grâce à un schéma corporel, ce schéma offre à mon corps un rapport intersoriel au monde qui m’entoure et me précède.

C’est ce phénomène qui fait quenous sommes au monde. Car le monde est une expérience de la sensation permanente. Si nous voulons nous convaincre que c’est par la perception que nous habitons le monde, observons les comportements primaires des enfants.

Le nourrisson ne porte-t-il pas tout à la bouche, comme pour goûter le monde ? C’est ici sa manière de s’approprier le monde, de l’habiter. Cependant, la vue reste la seule façon valable d’entrer en relation avec l’espace environnant. C’est par cette dernière, que notre être sort de nous, et se projette dans l’horizon de l’espace autour de nous. Assurément, c’est parce que je vois que je peux mettre du moi dans le monde. Aller voir, c’est beau d’aller voir, d’aller regarder. D’aller regarder ce qu’il y a derrière la grande palissade, pour qu’une fois vu, ce qui y est caché soit dévoilé et fasse partie de mon monde.

Par ce dévoilement, j’aurais découvert une nouvelle pièce dans ma maison-monde. Et c’est mon œil qui m’aura permis de voir ce qui est, et c’est par la perception de l’être omni tenens que nous entrons dans le monde et pouvons l’habiter.

b). La perception un système de connaissance du monde

Dans phénoménologie de la perception, à la page 235, Merleau-Ponty nous dit : « le corps propre et dans le monde comme le cœur dans l’organisme : il maintient continuellement en vie le spectacle visible, il l’anime et le nourrit intérieurement, il forme avec lui un système. »

Ici la métaphore du cœur est, au regard de sa pensée sur la chair, très intéressante.

En effet, la chair est ce que nous percevons des corps qui nous encerclent. C’est la masse que nous voyons et le cœur c’est justement ce que nous ne voyons pas. Le cœur rejoint là l’idée de foi perceptive qu’il défend.

Mais le cœur, c’est surtout le point de départ du système vasculaire, c’est lui qui donne l’impulsion. Le cœur, c’est l’être en nous. Il vascularise le monde, il lui donne l’impulsion qui le fait se projeter et percevoir le monde. La perception est une communication sensorielle entre le monde et moi.

Effectivement, grâce à cette dernière je peux naître avec le monde, je peux le connaître. Grâce à ma perception, je peux percer ce que je vois, voir ce qui est, et de facto le conceptualiser.

Je conceptualise ce que je vois, car ce que je vois me nourrit. Une fois vue, une carafe pourra être vue par l’imaginaire ; cette perception du dedans. Par ma vision de la carafe je me suis projeté en elle, et elle c’est projetée en moi. J’ai intériorisé sa forme, sa couleur, sa taille. Je l’ai vue dans un contexte, sur un fond qui me permet de l’identifier comme carafe. Elle était sur une table, au milieu de verres, elle était dans le jardin. Je l’ai vu depuis mon canapé. Ce qui est fabuleux, c’est que je peux la voir par l’imagination.

Mon esprit peut mettre en forme et en couleur la carafe qui n’est pas là, et je la vois intérieurement. Je la conçois car son corps est gravé en moi et du fait que je l’ai vue, je me suis gravé en elle.

Carafe dont on ne voit qu’une perspective dans l’horizon et qui soumise à un autre point de vue peut sembler plus petite, vermillon ou bien carmin selon l’exposition lumineuse. Mais aussi avoir une ance si elle est vue depuis le potager et non depuis le canapé, sur lequel je suis assis.

Le monde en effet est un spectacle où grâce à la perception, je deviens un spectateur acteur d’un système de relations de « corps à corps », de « chair à chair » mis en scène par l’être et possible par la perception. Ainsi je peux tisser un schéma de pensée et un schéma corporel qui m’ouvrent à un système de connaissance, octroyant à l’être une intentionnalité de l’existence.

II. Le rapport à autrui

a). La perception de l’autre est communication.

Notre rapport à l’autre, notre perception de l’autre, ne peut avoir lieu que parce que nous communiquons. L’être de l’autre est comme un miroir qui nous répond dès lors que l’on s’y projette. En effet, notre mode de perception d’autrui est forgé par la communication. Nous communiquons sans cesse, c’est cette communication qui rend possible l’intentionnalité de l’existence, et de facto notre perception de celui qui est en face de moi. La communication fait de moi un pour autrui.

Nonobstant, je perçois l’autre qui est un corps, une chair. Un corps qui n’est pas un corps en soi mais un corps pour soi qui sort de la pure objectivité pour être dans le pour soi, le pour autrui. Un corps qui est dans l’intersubjectivité. Il est pour la communication, ce qui implique tout le panel des sens, comme il est corps je peux le toucher, le sentir, l’ouïr et le voir. Les modes de communication sont le désir et la confiance. Communication elle-même mode d’existence de l’être.

A la question, « pourquoi je désire ma femme ? » Nous pouvons répondre, je la désire parce que je désire son corps, sa chair. Je veux pouvoir la toucher, la caresser, l’entendre, la voir. Je la désire car je désire la présence de son être dans mon espace. Je veux la voir exister dans mon champ de perceptions. Je veux qu’elle soit là. Je veux que mon être communique avec le sien. Mais, quand elle n’est plus là, je me retrouve dans un état de frustration car mon être ne peut plus se communiquer à elle, il ne peut plus communier avec elle. Et quand elle réapparaît devant moi, alors je ressens un sentiment extatique qui me fait à nouveau exister pour elle et la percevoir dans mon monde. Le désir est ici une intentionnalité dans le sens où je désire un corps qui existe, avec lequel je peux me communiquer à l’autre, à l’être de l’autre dans son incarnation, dans sa chair. Cependant, la communication à autrui, la communion des êtres, ne peut advenir que si la confiance, la foi perceptive est présente. La confiance peut s’observer dans un contexte cognitif et affectif.

Par exemple, ma mère. J’ai confiance en elle parce qu’elle est ma mère. Mère que je ne connais pas vraiment parce qu’elle relève du mystère pour moi. Je ne saurais jamais à cent pour cent qui elle est.

Sur le plan biologique c’est elle qui m’a conçu, d’un point de vue généalogique j’ai un lien de filiation avec elle et du point de vue de la quotidienneté elle est celle qui caressait ma joue et me faisait mes tartines le matin. En dehors de cette contextualité qui est-elle ? C’est pourquoi je ne peux avoir qu’une foi perceptive vis à vis d’elle, une expérience interrogative permanente. Quand j’étais petit, je m’étonnais qu’elle fasse des « trucs de grands ». Maintenant que je suis « grand » à mon tour, je m’interroge sur ses activités de « vieux ».

Quand je serais également « vieux » et qu’elle sera morte, je me poserais la question de savoir ce qu’aurait bien pu dire ou bien faire ma petite maman dans telle ou telle situation.

La foi perceptive ouvre la voie à cette interrogation perpétuelle, qui m’empêche d’enfermer ma mère dans un système de croyance, car si je l’y enferme alors elle n’est plus. Pour qu’opère le phénomène décrit ci-dessus il faut une osmose du corps et de l’âme afin de sortir de moi-même pour aller vers l’autre et entrer en relation avec lui.

Si ici, j’ai évoqué ma femme et ma mère, c’est parce que pour l’homme que je suis, la femme relève du mystère inépuisable et que comme disait Henri Wallon, je ne peux pas tout réduire en objet. Ma femme et ma mère sont ontologiquement autres et de facto elles échappent à mon intelligence. Ce n’est pas tant la question freudienne « que veulent-elles » qui anime ma relation à elles, mais plutôt la question « qui sont-elles ».

En effet, nous ne pouvons pas, par notre intelligence, y répondre car la question de leur être relève de leur infrastructure, de leur « ultra-chose » que je ne connais pas et qui restera mystérieux pour moi.

Enfin, c’est le mystère de l’être qui anime mon désir, qui est en réalité un besoin de rencontre et de communication avec l’autre, bien plus qu’une pulsion qui chez Freud et chez Sartre s’avère être de l’ordre de l’atavisme ou de la perversion. En fait, je désire et j’ai confiance car je veux comprendre l’autre et que l’autre me comprenne. Par la communication de mon être, je désire pouvoir être. Ce faisant je désire que l’on m’autorise à être.

b). L’être nous possède car il est incarnation

Chez Merleau-Ponty l’être est omni tenens, c’est-à-dire qu’il tient le tout, qu’il nous soutient. Ce qui veut dire que nous ne pouvons pas le posséder, mais que c’est lui qui nous possède. C’est l’être de l’homme, qui par l’union de l’âme et de la chair fait de nous des incarnations ; faisant ainsi de l’être merleau-pontyen une concrétude de l’être alors qu’à contrario de l’être cartésien, qui de part le « cogito » demeure une abstraction. La définition de Descartes « je pense donc je suis » réduit l’être à une pensée, une abstraction.

Alors que, chez Merleau-Ponty, l’être pourrait se définir par l’apophtegme suivant : « je m’incarne donc je suis » renvoyant encore à la concrétude de l’être.

En effet l’incarnation projette l’être dans le monde. Faisons ici une analogie théologique : les Évangiles disent que Dieu par le Christ s’est incarné. Or, avant la descente de Jésus sur la Terre, Dieu n’était qu’une abstraction contenue dans les prières. Par son incarnation dans le Christ, l’être de Dieu nous démontre que l’être soutient le tout, qu’il est « pantocrator », qu’il est omni tenens ; et donc que je ne peux pas posséder ce qui soutient le tout. A l’image de Gabriel Marcel dans « Être et avoir », lorsque je dis « j’ai un enfant », cela ne veut pas dire que je possède un enfant, que j’en suis le propriétaire. Cela est à comprendre de la manière suivante : je suis le père de cet enfant ou bien, cet individu est mon enfant. Il « est », et c’est parce qu’il est que je ne le possède pas. Effectivement l’être est libre, il a une existence propre qui découle de la chair, de son incarnation. Je le perçois comme mon fils car il est un être palpable, qui a son existence propre.

Enfin, c’est parce que tout ce qui est existe, que l’existant s’incarne, que l’être nous possède.

 

Pour conclure, de la chair, de l’incarnation Maurice Merleau-Ponty a fait de l’être un être vu et voyant percevant et perçu. Un être qui, grâce à la perception, se retrouve projeté dans le monde. Avec la philosophie de Merleau-Ponty, l’être se situe loin des circonvolutions heideggeriennes et de l’abstraction cartésienne. Ici nous avons affaire avec un être concret, pas seulement mis au monde mais mis dans le monde, faisant de lui un existant qui par l’intentionnalité de l’existence est un sujet dans l’intersubjectivité, dans la relation à l’autre.

L’être merleau-pontyen est de facto un être pour autrui, un être concret qui par un réseau relationnel et sensoriel habite le monde.

 

Florian Marek.

 

Bibliographie :

Maurice Merleau-Ponty, Signes, coll. Folio Essais, éd. Gallimard, 1960.

Gabriel Marcel, Être et avoir, éd. Aubier, 1935. 

Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, éd. Gallimard, 1945.

Martin Heidegger, Être et Temps, trad. François Vezin coll. Tel, éd. Gallimard, 1968.

Maurice Merleau-Ponty, La structure du comportement, coll. Bibliothèque de philosopihe contemporaine, éd.

Presses Universitaires de France, 1942.

Maurice Merleau-Ponty, L’Oeil et l’Esprit, coll. Folilio Essais, éd. Gallimard, 1964.

Emmanuel de Saint Aubert, « Être et chair chez Merleau-Ponty », dans Ágora Filosófica, Recife (Brésil), 

vol. 23, n° 3, septembre-décembre 2023, pp. 5-35.

https://www1.unicap.br/ojs/index.php/agora/article/view/2457/2226

Emmanuel de Saint Aubert, « “L’Incarnation change tout”. Merleau-Ponty critique de la “théologie 

explicative” », in Archives de philosophie, tome 71, cahier 3, 2008, pp. 371-405. 

https://www.cairn.info/revue-archives-de-philosophie-2008-3-page-371.htm

Petites Histoires De Guerre : Ivan Vetrograd

Tw : Camp de la mort.

PETITES HISTOIRES DE GUERRE 

Part VII : Ivan Vetrograd

 

 

23 juillet 1944 – Aux abords du camp de Majdanek

 

Nous marchions depuis des heures vers Berlin, lentement, mais sûrement, la forêt de pins s’étendait devant nous, dense et silencieuse. Notre colonne de l’Armée rouge suivait le chemin de terre qui serpentait entre les arbres hauts, leurs troncs droits et réguliers, comme plantés par une main méticuleuse. Leurs branches basses balayaient le sol, tapissé d’aiguilles brunes et sèches. Cette agréable odeur de pétrichor, témoin de la pluie de la nuit dernière, embaumait l’air doux sous ce grand soleil bienvenu. Ne croisant pas d’Allemands, qui avaient fui, mes camarades et moi-même nous sentions plutôt détendus par cette belle journée qui commençait. Mais, mobilisé depuis un an pour la traduction de la langue allemande, j’allais faire une découverte qui me marquerait pour le restant de mon existence. 

 

Quelque chose clochait. Le silence nous mit d’abord la puce à l’oreille. Aucun oiseau, aucun écureuil, aucune vie. Pas même le bruissement d’une feuille. Juste le craquement de nos bottes sur les aiguilles mortes et le bourdonnement lointain des avions ennemis qui survolaient la région. Les effluves, la plus désagréable des sensations, arrivèrent par vagues, portés par le vent. Une puanteur sucrée, âcre, qui colla à l’arrière de ma gorge.

— Hm… grimaça le sergent Volkov, un ancien mineur du Donbass. Drôle d’odeur, ça sent le charbon brûlé. Mais pas tout à fait. 

 

Nous continuâmes à avancer, les yeux rivés sur la forêt. Les arbres semblaient se resserrer autour de nous, leurs branches formant une voûte sombre au-dessus de nos têtes. La lumière du jour filtrait à peine à travers les aiguilles, concevant des motifs mouvants sur le sol. Une fois à l’orée du bois, nous atteignîmes une clairière entretenue par les fascistes.

 

Les premiers barbelés apparurent, rouillés et tordus, comme des serpents métalliques enroulés autour des troncs. Ils s’étendaient à perte de vue, créant une barrière sinueuse entre les pins. Les Allemands avaient formé des chemins entre chaque rangée de grillage. Mais pour quoi faire ?

 

Une tour de garde se dressait à son orée, abandonnée et silencieuse. Son projecteur brisé pendait, pointé vers le sol, bougeant légèrement au gré du vent. Le bois de sa structure, gris et fissuré, supposait sa présence en ces lieux depuis des décennies.  

— Camps de prisonniers, murmura le capitaine Baranov, son pistolet TT à la main.  

 

Ma formation de topographe me permit de noter les détails. Au premier plan, des baraquements alignés au cordeau avec leurs toits de tôle ondulée rouillée. Ensuite, au loin, des cheminées de briques qui se dressaient vers le ciel, noircies par la suie. Enfin, des rails étroits menaient à un bâtiment en béton, massif et froid. Clairement pas un camp de base de la Wehrmacht. Le portail était ouvert, l’endroit, désert. Une inscription en fer forgé se détachait sur l’azur plombé : « Arbeit Macht Frei ».

D’abord, un soupçon imprégna l’atmosphère. Un relent sucré, épais, comme du cuir brûlé. Puis la nausée, une poigne invisible qui nous saisit la gorge. Volkov se frotta le nez, grignant. J’eus un haut-le-cœur. Nous étions entrés dans un lieu où l’air lui-même refusait d’être purifié. Chaque respiration devenait un choix entre vivre ou supporter une fois de plus cette pestilence. Des papiers – lettres, photos, passeports – jonchaient le sol. Je ramassai un portefeuille en cuir, usé et taché. À l’intérieur, un portrait de famille : un homme souriant, une femme en robe fleurie, deux petites filles avec des nattes. Leurs visages capturés dans un moment de bonheur. Que faisait ce document ici ? Étaient-ce des politiques de l’Ouest ?

— Ivan ! 

 

Volkov pointa son fusil vers une forme allongée près des barbelés. Un sac abandonné, pensai-je. Puis je vis les rayures. Je me figeai. L’air sembla peser sur ma poitrine. Un corps, trop maigre, comme vidé de son être avant même de mourir. Une mouche se posa sur son œil, indifférente. Moi, je ne parvenais plus à respirer. Baranov serra la mâchoire.

— Il a dû souffrir, celui-là…

 

Sa voix n’était qu’un souffle. À mon image, il n’arrivait pas à détourner le regard. Comme si, ainsi, nous lui devions quelque chose. Je m’agenouillai près du cadavre, dont les doigts agrippaient une petite boîte en fer, rouillée et bosselée. À l’intérieur, une mèche de cheveux blonds tressée en forme d’étoile. Chaque mise au jour se révélait pire que la précédente, et ce n’était que le début.

 

Les portes, grandes ouvertes, des baraquements vides, laissaient entrevoir des couchettes en bois qui s’empilaient sur quatre niveaux, si serrées qu’un homme ne pouvait se retourner. Des numéros y étaient incrustés, accompagnés de noms en yiddish, en polonais, en allemand.

— Des personnes ont dormi là-dedans ? C’est inhumain ! 

— Les Fritz ont de l’imagination quand il s’agit de faire souffrir, répondit Baranov, un soldat d’élite de notre groupe.

— Quel horr… 

 

L’on m’interrompit.

— Regardez. C’est marqué quoi, Ivan ?

 

Volkov tenait une gamelle en fer-blanc, rouillée et cabossée, au bord gravé. 

— « Propriété de la SS ». Les rats noirs étaient ici.

— On va les repousser jusqu’à Berlin et on les pendra haut et court, conclut Volkov.

 

Le bâtiment en béton attira mon attention. Celui qui accueillait les rails. Une cheminée massive se dressait derrière. La première pièce paraissait appartenir au régisseur de ce bloc. Sur le bureau se trouvait un album ouvert sur un cliché d’un nazi souriant, assis sur une montagne de lunettes. Au verso, une écriture enfantine : « Pour oncle Franz, qui nous protège des poux. Ta Käthe. » Les pages suivantes montraient des femmes nues alignées devant un photographe, numérotées au goudron sur la poitrine. À mesure que nous avancions, l’odeur devenait encore plus insoutenable, franchissant un nouveau palier dans l’horreur. Je nouai mon foulard sur mon nez, ce qui n’atténua en rien la puanteur. Les plus vieux grognards de la 69e Armée reculaient, pâles comme la mort. La porte du bâtiment grinça lorsqu’elle s’ouvrit. L’obscurité à l’intérieur, palpable, semblait absorber la lumière. Ma lampe torche révéla des murs couverts de crochets, des chariots métalliques alignés de la même manière que dans une usine, des traces de pas dans la poussière, petites, trop petites… Des enfants se tenaient ici… Une pensée terrifiée fila vers ma sœurette, qui revenait tout juste de l’Oural. Les Allemands n’étaient que des porcs, je songeai instantanément au massacre de Babi Yar, des milliers de personnes tuées en quelques heures… Peut-être des lâches et des planqués, mais soviétiques, tout comme nous.

 

La lumière de ma lampe balaya les cloisons. Des milliers d’entailles verticales striaient le béton, comme si des griffes géantes avaient essayé de s’arracher de cette prison. Je posai la main sur une marque, profonde, large comme trois doigts, réalisant soudain leur provenance : des traces d’ongles. Je reculai légèrement tandis que Volkov vomit bruyamment derrière moi. Son projecteur éclairait un coin de la pièce où s’empilaient des valises. 

Des noms d’enfants y étaient peints en lettres tremblées : « Ruth Berliner, 6 ans », « David Cohen, né le 12/04/1938 ». Une poupée en porcelaine gisait dans la poussière, son œil de verre reflétant notre stupéfaction.  

— Ils gardaient ça pour quoi ? murmura Baranov.  

 

Sa question resta sans réponse. Nous avançâmes comme des somnambules vers une porte métallique couverte d’inscriptions en allemand. « Zur Desinfektion ». Quelque chose n’allait pas dans cet endroit, nous en étions sûrs maintenant. Le sergent Volkov actionna un loquet. Le grincement révéla une pièce carrelée de blanc. Des pommeaux de douche alignés au plafond. Des bancs en bois. Et au sol… des cheveux. Une mer de cheveux, épaisse de vingt centimètres, tapissait tout l’espace. Bruns, blonds, roux, gris. Mêlés à des épingles, des barrettes, des rubans colorés. Je ramassai une natte coupée net, sa bandelette bleue encore nouée. 

— Hé, l’interprète, ça veut dire quoi, ce mot ?

— Four.

— Ah ! On va peut-être trouver des choses à manger ! articula Baranov d’une voix enjouée.

 

Mais très vite, mon camarade comprit son erreur. Nous longeâmes les rails. La chaleur augmentait à chaque pas. La pièce suivante contenait cinq fours en fonte, leurs portes grandes ouvertes. À l’intérieur de l’un d’eux, un squelette calciné formait une silhouette fœtale. Un crâne d’enfant, les dents de lait intactes, reposait sur une pelle à charbon. Mon camarade vomit immédiatement. Les traits crispés, les poings serrés, il chercha une prise pour ne pas s’effondrer. Volkov trébucha contre un tonneau débordant de cendres. Des fragments d’os scintillaient. 

— Ils… ils brûlaient… 

 

Sa voix se brisa. 

Un objet incongru accroché au mur attira mon regard. Un tableau noir, mentionnant des chiffres inscrits à la craie :  

 

14.07 : 1 428

15.07 : 1 506

16.07 : 1 392

 

Des initiales en bas : « H.K. » Un compteur. Je refusais d’y croire, mais il s’agissait du nombre quotidien de stücks « perdus » dans ce camp. Des morts, des personnes qui ne ressortiraient jamais d’ici. Un gémissement étouffé nous fit sursauter. Une main rachitique émergeait derrière un tas de sacs de jute. Le survivant, nu, au corps couvert de brûlures en forme de losanges, la marque du grillage électrique, murmura quelque chose en yiddish.  

— Qui es-tu ? Que fais-tu ici ? hurla Volkov.

 

Ses yeux se posèrent sur notre uniforme. Une lueur folle y dansa. Il pointa un doigt tremblant vers le plafond où pendait une pancarte en allemand.

— Silence ! Ordre ! Propreté ! Ils nous ont fait laver le sang, haleta-t-il dans un russe approximatif. Après chaque purge. Avec des brosses. Sous les balles. Pitié, sortez-nous d’ici…

 

Je voulais répondre. Lui dire qu’il était libre. Mais aucun mot ne vint. Ses mains s’agrippèrent à mon bras.

— Les enfants criaient plus fort quand… 

 

Un râle le traversa. Je perçus ses côtes saillantes sous ma paume. Baranov tira sa capsule de morphine.  

— Non, intervint le survivant en repoussant l’aiguille. Je ne veux plus être drogué !

— Va dehors, d’autres camarades s’occuperont de toi. Dis-leur tout ce que tu sais. 

 

Nous identifiâmes un bureau de commandement du superviseur des fours. En pagaille. Je sentis immédiatement une odeur d’encre et de papier mouillé. Un registre était posé là, comme abandonné en plein travail. Volkov passa une main frissonnante sur la couverture, et moi, je pris une profonde inspiration avant d’ouvrir le premier tiroir… Il contenait, cachée sous une pile de factures de la firme Topf & Söhne, une note que je ne pus m’empêcher de traduire à haute voix. 

— « Augmentation de la capacité à 1 800 unités/jour atteinte. Les nouveaux fours permettent de réduire le temps de combustion à 45 minutes par fournée. Le problème est que les résidus osseux obstruent les conduits. J’ai donc demandé au Sonderkommando 1005 un broyage plus fin. Je recommande d’instaurer un poste de nuit. Les juifs travaillent plus lentement à la lumière du jour, nos scientifiques l’ont prouvé. PS : Envoyer les 58 kg de dents en or de cette semaine à la Reichsbank. Régulariser l’absence de reçu du commando de transport. »

 

Tout ce théâtre était si bien ficelé, nous peinions à le croire. Certains d’entre nous laissaient déjà parler leur rage, frappaient les murs. 

— Comment ça se fait qu’on nous a pas dit pour cet endroit ? Il y a forcément quelqu’un qui savait ! cria l’un des nôtres.

 

Nous sortîmes du bâtiment vers une nouvelle zone. Celle des fosses, des corps enchevêtrés à moitié ensevelis, qu’ils avaient voulu cacher. Certains d’entre nous commencèrent à déterrer les cadavres. Un jeune troufion, pas plus de dix-huit ans, pleurait en extirpant une femme tenant encore son nourrisson. Leurs mains fusionnées par la mort.  

 

Je m’effondrai contre un bouleau. Son écorce portait des centaines de stigmates, dates, initiales, étoiles de David gravées avec des clous ou des dents. Une inscription en polonais disait : « Ils ont pris ma Sarah. Je pars la retrouver. »

 

Volkov me tendit un document trouvé dans le bureau du commandant.

— Traduis-moi tout ce que tu vois si tu veux bien. Ce qu’on a découvert doit être connu de tous. 

— C’est un tableau statistique. Le rendement mensuel de cet endroit. 200 kg de cheveux, 58 kg de dents en or, 1 440 litres de graisse corporelle. Au verso, il y a écrit : « Demander vingt nouvelles unités de Zyklon B. Efficacité diminuée à 97 % à cause des pleurs. » À cause des pleurs ? Vraiment ? Ils ont fait des recherches sur la douleur de pauvres personnes et leurs enfants pour s’en rendre compte ?! Ces ordures vont devoir payer !

— Ivan, on est tous enragés, intervint mon sergent, tentant de calmer ma colère qui montait, mais nous avons libéré ces gens, c’est terminé pour eux. 

 

Le vent s’engouffra dans les baraquements vides, faisant claquer des portes aux gonds tordus. Nous avancions en silence, nos pas écrasant des lunettes cassées, des bouts de dentiers en or, des éclats d’os que la pluie avait lessivés hors des fosses. Près des cuisines, un monticule attira notre regard, nous nous stoppâmes aussitôt, sans un bruit. Des milliers de chaussures s’élevaient en pyramide informe, brodequins d’hommes éventrés, petits souliers à boucles, sandales de femme à talons ébréchés. Volkov souleva une bottine d’enfant rouge, son cuir encore lustré par des mains maternelles.

— Ils triaient même ça ? s’étonna Alexei, un de nos gars.

— Je crois que nous avons découvert ce qu’il y a de pire chez les humains. Encore pire que le gaz moutarde de 1917.

 

Un gémissement étouffé répondit. Un visage tremblant émergea de la pile. Nous déblayâmes fébrilement les godillots moisis. Les côtes visibles d’une femme faiblement vêtue ressortaient comme les membrures d’une épave. Ses cheveux rasés laissaient paraître des croûtes purulentes. Elle serrait contre elle une fillette de trois ans, la tête enfouie dans son cou décharné.  

— Ne tirez pas, supplia-t-elle en polonais.  

 

Ses yeux s’agrandirent en voyant l’étoile rouge sur nos uniformes. D’un mouvement lent, elle tendit la main vers un tas de cendres voisin. Des fragments de dents humaines y scintillaient.  

— Ma famille… 

 

Baranov ôta sa vareuse pour envelopper la petite. Il tenta un sourire, un geste de douceur, mais son corps en était incapable. L’enfant ne pleurait pas. Elle avait cessé d’en être un. Ses yeux fixes me donnaient la nausée. Nous étions arrivés trop tard, je m’en voulais, nous nous baladions calmement dans la forêt ce matin, alors que ces gens souffraient le martyre. Les entrepôts ressemblaient à des musées maudits. Des montagnes de valises étiquetées « Juden » montaient jusqu’au plafond. Des piles de lunettes déformées par la chaleur composaient des sculptures grotesques. Dans un coin, des fûts métalliques portaient l’inscription « Zyklon B – Nur für Schädlingsbekämpfung ».  

 

Un de nos meilleurs tireurs, Piotr, ouvrit une malle en osier. Des jouets en tombèrent, ours en peluche mangés aux mites, poupées aux yeux arrachés, petits soldats de plomb alignés en formation d’attaque. Il s’écroula à genoux, empli d’une émotion que nous partagions tous.

— Restez groupés ! hurla Baranov.  

 

Sa voix se perdit dans l’écho des baraquements. Dans un bureau, nous découvrîmes des registres inondés d’encre violette. Des colonnes de noms rayés au tampon « Sonderbehandlung 14f13 » voisinaient avec des factures de la Topf und Söhne, pourvoyeur officiel des crématoires.  

 

Je trouvai un nouveau document à lire, une correspondance entre le commandant et un second qui semblait gérer les fournitures.

— « … Ces maudits cris ne s’arrêtent pas. Même quand on met les haut-parleurs à fond (du Wagner, comme toujours), ça traverse les murs. Le nouveau, Bauer, a vomi aujourd’hui quand un enfant lui a montré sa poupée. Faible ! Je rêve des cheveux. Ils poussent la nuit de mes manches. Demain, opération spéciale : 1 200 Hongrois du Bunker 5. Pourvu qu’il ne pleuve pas ; sous le soleil, la cendre pue davantage.  

PS : Envoie-moi d’autres chaussettes. Celles-ci sont pleines de sang. »

 

Un grattement métallique nous conduisit aux douches. Le capitaine braqua sa lampe sur les pommeaux factices. Sous les grilles d’évacuation, des ongles avaient creusé des sillons dans le béton.  

— Ici, murmura Volkov.  

 

Une trappe dissimulée sous des chiffons menait à une cave basse de plafond. L’air s’y révélait plus lourd. Des yeux brillèrent dans l’obscurité. Ils étaient six, blottis derrière des bidons de désinfectant. Le plus âgé, au visage ravagé par la gale, brandit un couteau fait d’une lame de rasoir et d’un manche en bois.  

— On ne se rendra pas, bande de porcs !   

 

Je levai les mains lentement.

— Nous sommes des soldats soviétiques. Vous êtes sauvés, on est venus pour vous. Baissez votre arme.

 

Le tranchant tomba. L’homme s’effondra en sanglots, dévoilant des chiffres bleuis sur son avant-bras. 

— A-7713… Ils ont gazé mes fils hier matin.  

 

Ses compagnons émergèrent comme des spectres. Une femme montra des seins ratatinés par la faim.

— Ils prenaient tout le lait pour les blessés de la Wehrmacht. 

 

Un adolescent exhiba une cicatrice en forme de rune SS. 

— Mes os les intéressaient. Pour faire du savon.

 

Nous les envoyâmes se reposer avec les autres survivants retrouvés un peu partout. Sous une planche du Block 7, je trouvai une boîte en fer abritant vingt-sept dents de lait. Enveloppée d’un papier portant un nom. « Malka, 5 ans, gardez-les pour le Petit Ange ». L’écriture était tremblante, le texte, déchirant.

 

Dans la cour, un bulldozer soviétique déterrait une fosse commune. Les lames soulevaient des strates de corps : en haut, des uniformes rayés encore intacts ; plus bas, des masses noircies soudées par la chaux. Un soldat trouva une bague enserrant deux phalanges. Il la glissa dans sa poche discrètement. Je n’osai rien dire, abasourdi par tout ce qui se passait autour de moi. Je lui en parlerais plus tard. Plus loin, dans un nouveau bloc, nous repérâmes une infirmerie… du moins, en apparence. Ce que nous vîmes nous ramena très vite à la réalité horrible dans laquelle nous pataugions. La porte grinçait. Une odeur âcre de phénol me frappa au visage. Je baissai ma lampe torche sur un sol jonché de seringues rouillées, leurs aiguilles tordues comme des griffes de démons. Des tables de dissection en acier s’alignaient sous des ampoules nues, leurs égouts bouchés par des touffes de cheveux gris.  

— Ne touchez à rien ! ordonna Volkov. 

Sa voix résonna entre les murs couverts de graphiques médicaux. Des courbes de température tracées partout sur des registres. Des schémas de squelettes annotés en Allemand. 

« Expérimentation 14 : hypothermie prolongée. Sujets : douze femmes (18-25 ans). Durée moyenne : 3 h 47. » 

 

Au fond de la salle, un bureau en chêne contrastait avec le chaos. Des tiroirs débordaient de fiches perforées. Je déchiffrai un en-tête : « Institut d’hygiène raciale – section Lublin ».  

— « Expérimentation 23 : Injection directe d’essence dans le ventricule cardiaque (10 sujets). Résultat : mort instantanée, mais gaspillage de matière (3 l/tête). » « Expérience 24 : Phénol dans le globe oculaire (5 femmes tziganes). Temps de survie : 8-14 minutes. Impraticable pour usage de masse. » « Expérience 25 : Hypothermie en bassin d’eau (-12 °C). Temps jusqu’au décès : 3 h 40. La mort arrive trop tardivement. »

 

Je conclus ma lecture sur une ultime horreur.

— « Le Zyklon B reste la méthode privilégiée. Demander nouvelle livraison urgente avant le 20/01/44. »

 

Volkov ouvre un classeur métallique. Des photos en tombent, des jumeaux attachés à des tables inclinées, leurs yeux injectés de sang. Soudain, un grincement. Sous le linoléum taché de mercurochrome étaient dissimulées des caisses en bois. 

À l’intérieur, des bouteilles étiquetées « Bayer – Phenol 10 % » se juxtaposaient avec des registres de décès. Chaque page portait un tampon : « Faiblesse cardiaque ». Je soulevai un carnet couvert de chiffres. Le SS-Oberarzt Franz von Bodmann y notait ses exigences.

— « Voici la liste des récoltes souhaitées du mois de février 1944. Les cheveux doivent avoir une longueur minimale de 20 cm. Merci de les emballer immédiatement après rasage dans des sacs no 5 (étiquetage : BRUN/BLOND/GRIS). Les dents en or doivent être extraites avec des pinces, merci de ne pas marteler pour éviter les pertes de matières premières. Les vêtements d’enfants doivent être livrés à l’Œuvre d’aide hivernale après désinsectisation. Il convient de trier les montures de lunettes par type de métal dans le Block 2, salle 21. Respectez l’étiquetage des boîtes. Comme d’habitude, toutes infractions des juifs doivent être signalées au médecin du camp. La sanction doit rester exemplaire et douloureuse pour mater ces esprits inférieurs. »

 

Sur la dernière page, une liste de commande adressée à IG Farben.

— « 500 kg de Zyklon B. Usage : désinfection des poux. Urgent, stock épuisé après traitement des convois no 45 à 48. »  

 

Un courant d’air nous fit sursauter. Derrière un rideau déchiré, une table d’accouchement rouillée portait encore des menottes en cuir. Sous le matelas pourri, une main momifiée tenait une peluche en loques. Nous rassemblâmes au crépuscule les quarante-sept survivants devant les fours éteints. 47 sur les 78 000 que les registres dénombraient. Une femme rasée prit la parole. Elle chanta le El Male Rahamim, les mots hébreux résonnant contre les murs couverts de suie. Les Soviétiques orthodoxes se signèrent. Les athées baissèrent la tête. Quand les camions sanitaires arrivèrent, aucun rescapé ne bougea. Tous restèrent assis dans les cendres, serrant des reliques impossibles, une photo jaunie, une mèche de cheveux, un bouton arraché à un pyjama. Je m’installai près du petit Piotr, toujours hébété. Dans la poussière à nos pieds, je traçai la carte du camp, baraquements, fours, fosses. Une géographie de l’enfer que nul manuel de topographie n’aurait pu imaginer. Tout était minutieusement pensé.

 

La nuit tomba sur un silence de catacombes. Les étoiles semblaient elles-mêmes se tenir à distance. Je restai assis jusqu’à l’aube, une poupée abandonnée sur les genoux, tandis que la forêt de pins bruissait de mille voix étouffées.

 

Les jours suivants se confondirent en une procession macabre. Nous parcourions les mêmes allées, fouillions les mêmes baraquements, comme si notre esprit refusait d’admettre l’ampleur de la machinerie. Les spécialistes du NKVD arrivèrent le troisième jour, équipés de caméras et de formulaires. Je devins leur ombre, traduisant les graffitis sur les murs, les notes griffonnées dans les registres, les murmures des survivants.  

 

Dans le Block 41, un géomètre de l’armée mesurait méthodiquement les fosses. 

— 300 mètres cubes de cendres humaines, annonça-t-il, sa voix résonnant dans le mégaphone. 1 700 kg de cheveux, 2 000 valises, 820 000 chaussures. 

Les chiffres tombaient comme des coups de tonnerre. Des soldats empilaient les preuves dans des caisses marquées « Tribunal militaire – Pièces à conviction ».  

 

Je trouvai Piotr assis devant le crématoire, une poupée sans bras posée sur ses genoux. 

— Ils m’ont ordonné de brûler les registres, marmonna-t-il. J’ai gardé ça.

 

Il tendit une photo carbonisée. On y voyait des enfants souriants devant un manège, leurs visages mangés par les flammes. Au dos, une inscription : « Pour mon fils Adam, 7 ans, qui adore les chevaux de bois. »

 

Au dernier moment, le vieil homme tatoué A-7713, qui se nommait Sergio, s’échappa de la zone des survivants. On le retrouva pendu à la cheminée du four crématoire, nu, les bras en croix. Dans sa main serrée, un morceau de papier : « Je vais compter les étoiles avec mes fils. »

 

L’on partit par une matinée de pluie cendrée. Notre colonne longea les barbelés qui conservaient des lambeaux de peau. Volkov vomit une dernière fois près du portail. Baranov, muet depuis trois jours, fixait l’horizon comme s’il y guettait une armée fantôme.  

 

Je glissai dans ma poche un objet trouvé dans les latrines SS, un stylo-plume gravé « À mon cher Heinrich, pour tes 40 ans. Maman ». Son encre violette avait signé des milliers d’ordres de mort.  

 

Dans le jardin du commandant nazi, un pommier ployait sous des fruits difformes. Alexei en croqua un. Son visage se décomposa : la chair avait le goût de savon et de cendre. 

— Ils arrosaient avec les eaux usées… réalisa-t-il en recrachant le tout.

 

Quelque part en Prusse-Orientale, la guerre continuait. Les canons tonnaient, les avions rugissaient, les hommes mouraient pour des kilomètres de terre boueuse. Mais ici, à Majdanek, le silence régnait. Un silence lourd de 78 000 voix éteintes, de rires d’enfants réduits au néant, de prières mêlées aux cendres qui collaient encore à nos bottes. Le camion nous attendait. J’avais envie de parler, mais ma gorge restait sèche. Mon regard dériva vers les rails. Un bouleau jeune poussait entre eux, ses feuilles déjà jaunies par la suie. La nature reprenait ses droits, indifférente à l’Histoire.

Dans ma poche, je sentais le poids du stylo nazi que j’avais ramassé. Pourquoi l’avais-je emporté ? Une preuve ? Un souvenir ? Une malédiction ?

Volkov posa une main sur mon épaule.

— Monte, mon ami.

 

Je grimpai dans le camion, le stylo toujours serré dans ma paume. Je n’arrivais pas à l’ouvrir. Nous refermâmes les grilles derrière nous. Mais Majdanek ne se refermerait jamais en nous.

 

Être Homme

Être Homme n’est qu’un tissu de conditions et de modalités. Nous sommes des hommes, parce que nous sommes dans ce monde, sur cette terre qui permet à l’âme humaine grâce aux impressions compréhensives du monde qui l’entoure, d’être humain.

Je ne suis pas sûr que des hommes, sur une autre planète avec un tout autre tissu de conditions et de modalités, puissent être encore considérés, comme des hommes.
Seront-ils confrontés aux mêmes impressions compréhensives ? Ces impressions entraînent une certaine compréhension et connaissance du monde environnant.

Nous sommes des hommes par notre environnement, en relation avec ce dernier. Cet environnement donné permet l’émergence de l’être humain.

Est-ce que des êtres humains évoluant dans un environnement autre que le nôtre seront dans deux ou trois générations encore des hommes ? Seront-ils autre chose ?

La Terre, n’est pas une prison elle est la condition sine qua non de notre humanité. Elle a une durée de vie, comme l’Homme qui d’une manière ou d’une autre s’éteindra. Il est illusoire de penser l’Homme, ailleurs que sur la Terre.

Florian Marek.

L’argent ne fait pas le bonheur

Le bonheur c’est, se départir du jugement, des passions qui troublent l’âme, tout en acceptant son destin. Ne se préoccuper que de ce qui dépend de soi, savoir s’estimer à sa juste valeur ni plus, ni moins. C’est également vivre dans le présent sans espoir pour demain. Mais aussi, vivre selon sa et la nature, le tout dans la constance de la vertu. Le bonheur c’est, le contentement de l’âme.

L’argent ne fait pas le bonheur, au contraire ceux qui mettent le bonheur dans l’argent finissent par tomber dans la passion de l’amour de la richesse. Mettre le bonheur dans l’argent, c’est prendre le risque de vivre dans un état de frustration permanente. Il n’y en aura jamais assez ! Et le jour où celui-ci n’est plus disponible, la dépression s’installe. L’argent pour pallier à la nécessité, oui. Mais pas pour être heureux.  Courir après lui, c’est devenir son esclave.

Vénale vanité !

L’eudaimonia ne s’achète pas !

Florian Marek.

Du stoïcisme par temps pandémiques

De stoicismus in pandemicis temporibus – Du stoïcisme par temps pandémiques

 

Dans son deuxième essai Florian Marek chroniqueur, éditorialiste et philosophe traite, des années pandémiques que nous avons vécues.

Il interroge notre rapport à la mort, notre capacité à prendre du recul et à réfléchir. Il nous rappelle l’importance de la vie comme un vécu et non comme une unité de temps biologique.

Il met en exergue nos apories dans l’analyse de ce qui dépend ou ne dépend pas de nous.

Il nous exhorte à travailler notre apatheia c’est-à-dire notre faculté à maîtriser nos émotions.

Cet ouvrage, se veut être un testament pour les générations futures. Pour que plus jamais nous n’oublions que nous n’avons pas le droit de mettre en péril le devenir d’une génération, pour sauver une génération dont l’avenir se conjugue au passé.

Il vous propose donc, de prendre une dose de stoïcisme par temps pandémiques.

Disponible ici :

 

https://www.florianmarek-livres.fr/product/10495863/de-stoicismus-in-pandemicis-temporibus

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