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11 - 15 minutes de temps de lectureMode de lectureCeci n’est pas… une histoire d’amours

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Je vous invite cordialement à lire un chapitre de mon premier roman, publié en 2021.

Pour une présentation plus élaborée et le lien vers le site marchand, c’est par ici : https://mariehelenedecanniere.com/ceci-nest-pas-une-histoire-damours/

 

[EXTRAIT]

 

Chapitre 1 – Complètement marteau

Ça fait plus d’une heure et demie que je me débats avec ce fichu marteau, et voilà que le manche décide tout simplement de se fendre. Terminée, ma partie de bricolage.

Le mur est tapissé de trous, petits et grands, de clous pliés en deux. Vraisemblablement, ils se moquent de moi. Le cadre que je voulais accrocher au mur, repose contre le fauteuil. Il n’a pas l’air pressé de monter là-haut, il a l’air bien là où il est.

Le téléphone me sort de mon moment de doute.

« Bonsoir mon chéri ! »

« Non, tout va bien. »

« Je bricole, là. Tout va pour le mieux. Le mur servirait d’illustration d’une infox sur la guerre en Syrie. Tu vois le tableau ? »

« Tu me connais, je ne baisse pas si vite les bras. Et puis j’ai encore toujours le marteau de ton père, alors tu penses… »

« Oui, c’est ça, je te raconterai la suite vendredi prochain. Bisou, à bientôt ! »

« Oh, j’oubliais, bien le bonjour à Sarah, évidemment. Oui, bisou… bisou, à bientôt ! »

Damien, mon fils, le sent toujours avant que je n’aie dit un traitre mot. Il le sent quand je vais bien, quand je suis morose, quand je suis fatiguée, quand je m’émeut. Et il le sent quand je m’énerve. Ça doit être une inclinaison dans ma voix, parce qu’au téléphone ce sixième sens à lui fonctionne encore mieux que quand nous nous rencontrons. Aujourd’hui encore, ses antennes m’ont trahie. Quoique, je ne suis pas sûre qu’il ait deviné que le marteau de son père vient de rendre l’âme.

Ça doit être une malédiction. Grégory m’a tant reproché de ne pas lui laisser le temps d’attaquer les petits et grands malheurs dans notre maison quand nous étions mariés, qu’il m’a fait cadeau du marteau dans l’espoir qu’un jour, il me mette dans tous mes états. C’est réussi, Grégory, bravo !

Ou alors c’est moi. Ça aussi, c’est possible. Je suis complètement marteau. Ma mère aura raison, finalement. C’est en tout cas le reproche qu’elle m’a envoyé à la figure lorsque je lui ai dit que je divorçais, il y a quoi… eh bien, il y a quinze ans, déjà ! C’est peut-être même l’anniversaire de ce jour, aujourd’hui, ce qui expliquerait le mauvaise farce de mon outil. Mais je n’oserais pas le jurer, c’est une date que j’ai préféré oublier.

J’ai préféré oublier bien des choses, au fil des années, il faut bien que je le reconnaisse. Après la débâcle de mon mariage avec Grégory, j’ai retenté ma chance en amour, sans grands succès. Sans aucun succès, même.

Par contre, de chaque relation il doit me rester un outil. J’ai cette drôle de tendance de garder des objets appartenant aux hommes qui me quittent. Correction : ceux que je quitte. Parce que souvent, c’est moi qui me suis fait la malle. Façon de parler, puisque coup sur coup je suis tombée sur des hommes qui venaient crécher temporairement chez moi. Des tentatives de bonheur en couple qui ont toutes tourné au vinaigre, l’une plus vite que l’autre. Le résultat final étant invariablement : retour à la case départ, à la solitude.

Le problème (si j’ose parler d’un problème, je ne suis pas sûre que ce soit de circonstance), il est là, le problème : cette solitude. Ne vous méprenez pas, je l’aime, ma solitude. Je m’y suis faite depuis le départ de Jean-François.

Lui, je l’avais rencontré lors d’un cours de tango. Nous partagions la passion de ces rythmes endiablés, du corps-à-corps sensuel, de la musique, de l’ambiance aux soirées sudaméricaines. Nous formions d’ailleurs un des couples les plus admirés.

Nous nous sommes retrouvés sous les mêmes draps. Quelques années de bonheur, rapidement suivies de quelques années de feux passant de l’orange au rouge à l’orange clignotant et brièvement au vert. Années épuisantes, pour moi en tout cas. J’en avais perdu tout ce qui pouvait me rester de joie de vivre. Mon côté guilleret s’était retranché loin derrière mes soucis.

Pour lui aussi, ces années de feux clignotants ont dû être épuisantes, j’imagine. En tout cas, il semblait soulagé quand il a rassemblé ses affaires qui trainaient chez moi pour les embarquer vite fait, quitter en marche arrière le parking devant ma maison, pour ne plus se retourner. Le feu était passé définitivement au rouge. Il a coupé court au contact. Je le comprends. Il est le seul homme qui ait entièrement disparu de ma vie depuis notre séparation. Pas mon genre, cette coupure absolue, mais il l’a voulu ainsi. J’ai encore toujours nos souliers de tango, les miens et les siens. Comme un souvenir qui me murmure : une histoire comme celle-là ne s’efface pas. Ils prennent la poussière au grenier. Je n’ai pas le cœur de m’en séparer.

Cela a été, somme toute, la tentative la plus sérieuse de me refaire une « vie à deux ». Les rencontres qui ont suivi n’ont jamais plus atteint ce niveau de proximité, de confiance, de connivence, d’entente. Plus jamais.

Oh, je suis retombée amoureuse. Pendant quelques années, j’ai eu la fâcheuse manie de tomber amoureuse d’hommes mariés. Que de souvenirs ! Je les arroserais bien d’un verre de vin…

Où en étais-je ? Ah oui, les hommes mariés ! J’en ai rencontré trois ou quatre. C’est-à-dire, j’ai eu une relation avec trois ou quatre des hommes mariés que j’ai rencontrés. Ou cinq peut-être, je ne me souviens pas exactement. C’était une phase dans ma vie, je crois.

Un jour, mon thérapeute m’a invitée à observer attentivement ce que cela m’apportait et ce que cela me coûtait de m’emberlificoter dans une relation avec un homme qui, visiblement, ne choisirait jamais de tenter la « vie à deux » qui m’avait déçue auprès des autres. Je n’avais pas trop envie de cet exercice, franchement.

Je me plaisais bien dans cet équilibre insolite. D’une part, je prenais la place que l’épouse ne voulait plus prendre. Cocktail d’érotisme et d’écoute attentive. Ils avaient l’art de parler d’eux-mêmes, ces hommes, et en même temps j’avais l’impression qu’ils ne le faisaient pas ou pas assez avec leurs épouses. Ils avaient l’art de faire l’amour, aussi. Je savais que cet aspect avait été rayé entièrement de leur vie de couple. Ou en tout cas, suffisamment pour les assoiffer au point qu’ils viennent s’abreuver à ma source.

D’autre part, je sauvegardais mon indépendance. Il était clair, en effet, que pas un seul ne ressentait l’envie ni le besoin de quitter sa femme. Chacun de ces maris « infidèles » étaient en réalité profondément tout le contraire d’infidèles : fidèles au point de parfois m’écœurer. Leur fidélité à leur épouse les poussait à être profondément infidèle à eux-mêmes.

Fondamentalement, je considère la fidélité à soi comme la voie par excellence pour atteindre réellement la fidélité à autrui. Conviction personnelle dont je faisais volontiers abstraction dans les bras de ces messieurs. Pourquoi, au fait ? Parce qu’ils aimaient goûter à l’abandon, à cette fidélité retrouvée envers leur désir masculin ? Parce qu’ils me chuchotaient combien le voyage de leurs mains le long de ma peau les ramenait à cette extase oubliée d’être le seigneur qui donne du plaisir à sa dame ?

Je jouissais, je crois, plus profondément de cet éclat dans leurs yeux d’hommes comblés d’érotisme que de la rencontre intime de nos corps. Encore que, je suis et je serai toujours quelque part une femme volagement érotique, sensuellement fascinée par le pèlerinage qu’est cette rencontre au plus près de moi et au plus près de l’autre, à travers les sens ouverts à tous les vents de l’amour physique.

Aï… j’ai pensé le mot qui me fripe… une femme… Resservons-nous un bon verre de vin, ma grande, nous avons touché au bas-fond de notre questionnement le plus déroutant.

« C’est quoi, être femme ? »

« Ne me pose pas la question, macrale, je ne connais pas la réponse. »

« Pardi, voilà qui ne peut être vrai, car si tu sais la poser, la question, c’est bien parce que la réponse somnole au fond de ton âme. »

La femme est-elle celle qui sait lier un homme à elle, au-delà même du reniement de sa sexualité masculine ? La femme est-elle celle qui s’oublie et s’immole aux feux de la sexualité de cet homme assoiffé de rencontre intime ? La femme peut-elle se définir ou s’inventer en l’absence de cet homme ? Dans cette solitude dont je me délecte volontiers, suis-je ou ne suis-je pas une femme ? Mon corps et ses atouts suffisent-ils à me reconnaître comme telle ?

Je me souviens que quand mes enfants sont nés et dans les mois où je leur ai donné le sein, la femme en moi me soufflait « voilà, tu es maman, voilà un destin de femme ». Et puis les nourrissons sont devenus bébés, ils se sont mis à marcher, à appeler « maman » cette femme qui jamais ne pourrait se résumer à ce titre superbe. Et la voix s’est estompée, les questionnements ont ressurgi. De plus belle, même.

« C’est quoi, être femme ? »

Une question qui me préoccupera toute ma vie, je crois, même si au fil du temps j’ai découvert ce que pour moi, ce n’est pas. J’ai vu si souvent les hommes et les femmes jouer au bras-de-fer. Jamais les protagonistes n’en sortent indemnes. Alors aujourd’hui, je suis plus que jamais convaincue qu’une relation ne pourra pour moi réellement se dessiner que si je ressens une véritable équivalence.

Nous ne naissons pas égaux, détrompez-vous. Nous naissons équivalents. Équivalence qui porte en son sein la promesse d’une relation sincère, solide, profonde, profondément belle et provocante. LA relation qui me permettra de redoubler de fidélité à moi-même, tout en redoublant de fidélité à mon amant.

Mais est-ce que je sais seulement l’être, fidèle ?

Un homme, un seul, est resté dans ma vie sans jamais disparaître entièrement de mon radar érotique. Marié, lui aussi. Quelque chose nous ramène invariablement l’un vers l’autre.

Pas une seule fois je ne lui ai fait la comédie. Mes jours les plus beaux comme les plus sombres, il les connaît, parfois même mieux que je ne les discerne moi-même. Comme un miroir, j’ai cette même place dans sa vie.

Je lui ai donné un surnom, pour le garder à l’abri d’une mégarde de ma part. Je ne veux en rien être la pierre d’achoppement de son couple bringuebalant. Il y en a tellement sans moi, de ces pierres, dans l’histoire de son couple. Et pourtant, je prendrais toute la sauce en pleine figure si certaines personnes découvraient ce lien qui est le nôtre.

De tous les hommes que j’ai connus, son âme est celle qui a le plus vécu, il m’apporte une magie sans pareille… je l’appellerai Merlin.

Merlin est mon amant. Je suis la maîtresse de Merlin.

Quand je rencontre un homme « libre », Merlin tire une petite révérence dans un silence fulgurant. Il fait place à ma nouvelle tentative de vivre un amour en couple. En quelques jours, en quelques mois, la liberté que j’attribuais au nouveau-venu s’avère illusoire. Je me blesse aux barreaux de la prison invisible qu’il trimbale. Je saigne en silence. Je mets fin à la nouvelle tentative.

Merlin sent.

Il sent le parfum du départ du monsieur. Le vent le lui porte, ce parfum, à mon avis. En général, une semaine plus tard tout au plus, il se retrouve sur le seuil de ma porte.

« On s’offre un petit café, Princesse ? »

De ses mains chaudes, il efface les dernières traces du passage de l’Autre. Ces traces qui résistent à la douche d’eau brûlante et au savon. Ces traces incrustées dans mes pores. Il ne lui faut que dix minutes, à Merlin, pour me ramener dans le pays qui est décidément le mien : celui de ses caresses.

Mes enfants savent sans savoir. Avant même que je n’accepte ce sort, ils m’ont dit que l’air vibre de ce flux invisible qui voyage entre Merlin et moi. Ils m’ont réveillée : selon eux, Merlin et moi étions les deux seuls à croire que ça ne se voyait pas.

Il y a des jours où je maudis cette vie cachée dans le silence du non-dit. Dans la vie officielle de Merlin, je n’existe pas. J’ai parfois des accès de panique : qui penserait donc à me prévenir s’il lui arrivait malheur, s’il ne pouvait pas lui-même me contacter ? Personne, je suppose. Je n’existe pas dans son univers public.

Parfois, je maudis cette petite voix hargneuse qui me dit en grinçant des dents que je ne suis qu’une miette tombée de table. Des jours orageux. J’en ai connu.

Et puis il y a des jours où je me sens comme un poisson dans l’eau. Des jours de soleil, en somme. Je sens à quel point l’espace de liberté qui m’entoure en toute chose me convient. Je suis confiante, parce que les sentiments qui tissent ce lien insolite entre Merlin et moi, sont vrais. Je bois du petit lait quand il me parle de son ressenti. Il se retrouve quand il passe me voir. Nous nous retrouvons quand nous faisons l’amour. Nous nous retrouvons quand nous parlons. Nous nous retrouvons dans nos silences partagés. Je me retrouve en lui, en somme, et lui en moi.

La différence entre les jours orageux et ensoleillés ? La réponse à cette question : ma solitude s’exalte-t-elle ou se morfond-elle ? Car oui, je l’aime, la solitude, j’en ai un besoin farouche.

Je pense que je ne sais pas comment mettre mon besoin de solitude à l’abri lorsque le Destin plante un homme dans mon salon, ma salle-de-bains, ma cuisine, mon jardin, mon garage, ma voiture, et j’en passe, des endroits. Je gère mal cette proximité qui m’étouffe bien vite.

Merlin ne se meut pas dans cette proximité. Pourtant, il est toujours là, à mes côtés. Plus fidèle que tous. Plus infidèle que tous, aussi. Il suffit que nous soyons l’un en face de l’autre pour que nous soyons tous deux fidèles à nous-mêmes. Le secret se cache là, je crois. Le secret de la longévité de ce lien insolite.

Avant de finir la bouteille de vin sur ces déambulations philosophiques dans mon univers amoureux, je ferais bien de terminer ce que j’ai commencé. Et puis merde, ma chaussure fera l’affaire. Et toc, vas-y que je t’enfonce violemment ce clou, au beau milieu du mur. Et hop, le cadre trouve enfin la place que je lui avais réservée.

Voilà, le tableau. La barque somnole au bord de la Lys, à la merci du doux regard de mon arrière-grand-mère, qui capte de ses pinceaux et de ses couleurs d’aquarelle le silence dans cette image, juste pour me l’envoyer à travers le temps qui s’égrène.

Voilà, maman. Je suis peut-être complètement marteau à tes yeux, mais j’ai quand-même fichtrement bien enfoncé ce clou. De ma chaussure, encore bien. Je parie que tu te retournes dans ta tombe. Tant pis. Ma vie n’est pas la tienne. Ta vie n’est pas la mienne. Je ne suis plus une petite fille. Crois-le ou non, je suis une femme.

Oui, finalement, je crois bien que je le suis : une femme.

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