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4 - 5 minutes de temps de lectureMode de lectureSi l’au-delà m’était conté

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La révélation d’un don
Il était difficile d’obtenir un rendez-vous avec elle. Il fallait
s’y prendre longtemps à l’avance. Et quand celui-ci était enfin
pris, l’attente était longue au cabinet avant de la rencontrer. Le
lieu où elle recevait ses clients était accueillant et chaleureux.
Nous sommes à Paris, dans le 8e arrondissement, un quartier
résidentiel où se côtoient des avocats et des notaires
internationaux, des assureurs de grands comptes, des familles
bourgeoises et aristocratiques… Des domestiques aussi, dont
certains ont fui l’Espagne ou le Portugal lors de conflits afin de
trouver de meilleures conditions de vie. Le dimanche, quand les
rues sont en général désertes, il n’est pas rare que les uns et les
autres se croisent en se promenant au parc qui jouxte l’avenue
Messine. Un magnifique jardin parisien immortalisé par des
peintres comme Monet, Caillebotte ou Brispot, auteur de la
première affiche du cinématographe des frères Lumière. On y
rencontre également quelques artistes connus, des comédiens et
des chanteurs. En somme, un environnement rassurant pour
consulter une voyante. Je pensais que sa clairvoyance devait être
au diapason des dorures qui ornent les grilles du parc Monceau.
Je ne la connaissais pas, mais j’en avais entendu parler comme
l’une des grandes voyantes de la « Place de Paris ». Elle était
souvent comparée à madame Fraya, voyante française de la
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fin du XIXe et du début du XXe siècle. En annonçant que
l’Allemagne déclencherait une guerre mondiale qu’elle finirait
par perdre, madame Fraya eut le droit à la reconnaissance des
plus sceptiques, après que les célébrités de la Belle Époque
eurent été touchées par ses révélations. C’était donc une grande
dame prophétesse qui m’attendait après que je l’ai convaincue
de me recevoir, alors qu’elle était peu disposée à parler de son
don et de ses expériences extraordinaires.
Ah oui, je ne me suis pas présenté. Je suis un jeune journaliste
indépendant âgé de 28 ans, diplômé de l’école des journalistes
de Lille. De taille moyenne, plutôt mince, brun aux yeux bleus,
la vue nécessitant de petites lunettes rondes, j’ai le teint mat car
j’aime bien le soleil et je n’hésite pas à m’installer dehors dès
qu’il fait beau. Mon regard est plutôt vif, ce qui m’aide parfois
à convaincre mes interlocuteurs. J’aime découvrir les autres, les
faits de société m’intéressent et je suis curieux de nature. Les
gens que je rencontre ainsi que mes amis me trouvent plutôt
sympathique et doté d’un certain charme. Décontracté, vêtu en
général d’un blouson de cuir, d’un pantalon fuselé vert-kaki et
d’une chemise à carreaux assortie, je m’adapte couramment aux
situations ; ce qui ne m’empêche pas de réagir quand il le faut.
Toute injustice ressentie peut vite m’irriter.
Pour mes prochains articles, je souhaitais réaliser un
reportage sur une personnalité extralucide et le proposer à un
quotidien dont le tirage est important en France. Je voulais éviter
la boule de cristal et les tarots, et j’avais donc décidé
d’interviewer un praticien qui n’utilisait aucun support. Je me
demandais en effet comment il était possible de deviner l’avenir,
juste comme cela. Était-ce vraiment possible ? Vérifiable ? Y
avait-il des moments, des conditions, des dispositions plus
propices que d’autres à l’exercice de la voyance ? Je
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m’interrogeais aussi sur son parcours apparemment atypique :
quelle était la vie d’une devineresse, était-elle mariée, et si oui
qu’en pensait son mari ? Et ses enfants, en avait-elle d’ailleurs ?
Naît-on avec ce don, ou vient-il ainsi au gré d’un évènement,
d’une circonstance de vie heureuse ou à la suite d’une situation
difficile ? Le sujet n’était pas facile à traiter, le scepticisme est
tel vis-à-vis des parasciences que ce témoignage se devait d’être
pertinent. Quoiqu’il en soit, cette enquête serait réalisée avec
objectivité, même si le sujet n’était pas forcément accessible aux
lecteurs éventuels. J’allais donc vers elle avec curiosité et
perplexité, mais impatient de découvrir cette « science » dite
irrationnelle. Je pensais aussi que je frappais à la bonne porte,
car ma voyante s’était notamment confrontée aux experts de
l’Institut métapsychique international de Paris en faisant des
expériences ésotériques. Cette organisation avait été fondée en
1919 pour étudier les phénomènes dits « paranormaux » avec
une approche rigoureuse et ouverte. Ses expériences l’avaient
amenée à faire un direct radiophonique du 3e étage de la tour
Eiffel, dans le salon de l’illustre ingénieur Gustave Eiffel, dont
le patronyme originel, Bonickhaussen, était particulièrement
difficile à prononcer. Cette émission intitulée C.Q.F.D était
retransmise en direct sur la radio Europe 1.
Je craignais aussi qu’elle me devine. Je ne voulais pas que les
questions que j’allais lui poser appellent des réponses
personnelles touchant à mon intimité. J’avoue que rien qu’en y
pensant, cela me donnait un sentiment d’inquiétude. Je venais en
effet de me séparer d’Isabelle, une jeune femme que j’aimais
encore, une étudiante en droit, fille d’un avocat de la région
parisienne. Nous nous étions rencontrés lors d’un séminaire
traitant de la politique française sous la Ve République. Peut-être
inconsciemment avais-je envie de savoir si Isabelle m’aimerait
de nouveau et si cette grande voyante me le prédirait ?

 

 

 

 

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