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L’appétit féminin : une histoire de répression ?
L’esthétique, une des branches majeures de la philosophie, s’est toujours intéressée à la nature du beau, à nos expériences esthétiques et aux caractéristiques qui rendent une chose belle. Soucieuse de se renouveler, elle explore aujourd’hui les questions liées à la femme, s’attaquant aux normes de beauté traditionnelles imposées par la société et proposant des alternatives plus inclusives et diversifiées. Elle encourage une nouvelle compréhension et un féminisme renouvelé.

Cet essai décrypte les mécanismes ayant réprimé le désir de manger chez les femmes. Découvrons ensemble comment et pourquoi ce lien naturel au plaisir gustatif a été altéré ? Le sujet des troubles alimentaires et des problèmes de poids chez les femmes n’est pas nouveau. Depuis longtemps, les femmes sont plus touchées que les hommes par ce fléau. La médecine et la psychologie se sont penchées sur cette question, soulignant souvent le rôle des hormones féminines et des troubles hormonaux comme le syndrome des ovaires polykystiques ou la dépression. La médecine s’est attaquée à ce problème de l’intérieur, en se concentrant sur le corps. En revanche, les études féministes ont abordé la question de l’extérieur, en s’attaquant aux aspects sociaux et culturels. Elles ont notamment œuvré à normaliser les différentes morphologies féminines et à lutter contre le body-shaming subi par les femmes qui ne correspondent pas aux critères de beauté et à l’image stéréotypée masculine de la femme.

Dans cet essai, je propose une nouvelle approche en deux volets.
Le premier volet explore la dimension idéologique superficielle du problème, tandis que le second se penche sur une analyse philosophique approfondie. Certaines questions resteront sans réponse, mais il est essentiel de poser les bonnes questions, car la bonne question est en soi une réponse, même sans réponse.

Le premier questionnement : Comment l’appétit féminin a-t-il été réprimé ? Quand et pourquoi le corps mince et frêle est-il devenu le critère de beauté pour les femmes ?Autrefois, dans de nombreuses cultures, le refus de manger ou le jeûne était associé aux saints et aux pratiques religieuses visant à transcender les désirs du corps. Cependant, à l’époque victorienne, une période de pointe de la révolution industrielle en Grande-Bretagne, l’aristocratie britannique a commencé, pour la première fois dans l’histoire occidentale, à s’abstenir de manger pour atteindre un idéal esthétique. Le manque d’appétit chez les aristocrates ne symbolisait pas seulement le dédain des désirs et des besoins du corps, mais aussi une supériorité de classe et un snobisme social. En effet, l’aristocrate voulait montrer qu’il ne souffrait pas de la faim comme l’ouvrier qui travaille dur toute la journée et ne mange pas avec raffinement ni appétit, mais de manière impulsive et désordonnée.

L’idée de se priver de nourriture s’est ensuite répandue au sein des femmes de la classe aristocratique, et ce, de manière plus prononcée que chez les hommes. En effet, cette pratique ne visait pas uniquement à atteindre un idéal de beauté, mais également à réprimer les désirs sexuels, à l’instar des saints autrefois. Plus l’appétit d’une femme diminuait et plus son corps s’amincissait, plus elle était perçue comme pure et innocente, incarnant ainsi l’idéal de beauté artificiel prôné par l’aristocratie. On semblait croire que le fait de réprimer l’appétit pour la nourriture impliquait nécessairement de réprimer la libido.

À l’instar de l’hystérie, l’anorexie s’est largement répandue à cette époque chez les femmes des sociétés industrielles avancées et, en particulier, dans la culture victorienne répressive. Le désir d’imiter l’aristocratie était un facteur important. En effet, l’ouvrier affamé qui travaille toute la journée rêve d’une vie meilleure et aspire à épouser une femme au corps mince pour adopter un goût plus raffiné, à l’instar de l’aristocrate.
De plus, l’hystérie, qui était fréquente chez les femmes à cette époque, était associée à la répression dans tous les aspects de la vie, y compris la nourriture, la boisson, les vêtements et le mode de vie en général. Cette situation a contribué à l’apparition de symptômes tels que l’anorexie mentale, qui se traduit par une perte de poids importante, et a renforcé l’image de la femme mince au sein de la classe aristocratique

Passons maintenant à la deuxième question importante de cet essai : Comment le cinéma et la publicité ont contribué à la construction de normes alimentaires différentes pour les hommes et les femmes ? Les habitudes alimentaires et les normes esthétiques victoriennes se sont transmises au XXe siècle en raison de la persistance de la culture victorienne.

Même si elle n’a pas conservé sa forme victorienne d’origine, cette culture est restée misogyne, cherchant à confiner la femme dans de nouveaux moules sociaux et sous de nouveaux systèmes de gouvernance. En raison de son association avec les normes esthétiques, le corps mince est resté un symbole de beauté, de pureté et de moralité. Avec le développement du capitalisme, l’augmentation de la division du travail et l’apparition des médias au XXe siècle, l’image stéréotypée de la femme s’est enracinée d’une nouvelle manière. Cette image ne servait plus seulement les intérêts de l’homme ou de la famille conservatrice, mais aussi ceux du marché.

En effet, la femme et ses besoins alimentaires et esthétiques ont été utilisés pour commercialiser des produits et augmenter les profits. La relation de la femme à la nourriture est ainsi représentée de manière particulière et différente de celle de l’homme. Se priver de nourriture est considéré comme un exploit extraordinaire, un signe de force et de maîtrise de soi. En revanche, l’homme qui mange dans les films le fait par envie de sociabiliser avec ses amis. 

La femme, quant à elle, Elle se nourrit en solitaire chez elle, avec prudence, angoisse et un sentiment de culpabilité lié à la prise de poids. Peut-être la scène la plus fréquente au cinéma est celle où une femme dévore une boîte de glace en larmes suite à sa séparation d’avec son compagnon. Pendant que les publicités vantent des repas copieux aux hommes, elles proposent aux femmes de petits morceaux de sucreries. Comme si la femme ne devait manger que des quantités infimes. Malgré le fait que la femme ait quitté la maison et ait rejoint le monde professionnel, elle est toujours tenue seule responsable de la cuisine et de la nourriture de la famille, une idée qui n’a pas encore été contestée, durant le XXIe.

Troisième question : Que signifient symboliquement un corps mince et un corps rond d’un point de vue idéologique ? Pourquoi les femmes d’aujourd’hui recherchent-elles un corps mince, même si cela est souvent loin d’être une question de beauté ? En Effet, L’idéologie évolue avec la culture, et ses outils se perfectionnent avec le développement des éléments culturels. L’idéologie créée par le marché et les institutions peut s’adapter aux évolutions du temps et incorporer les avancées scientifiques et technologiques. Au cours du XXe siècle, le corps mince est devenu le symbole ultime de la construction des identités, cessant ainsi d’être principalement lié aux normes esthétiques de l’époque victorienne pour être associé à des valeurs et à des critères plus contemporains.

Dans la société moderne, la femme définit qui elle est en utilisant son corps comme un outil de construction identitaire. Ce processus est alimenté par des idées imaginaires et des images corporelles idéalisées. Les images présentes dans les publicités et les magazines ne sont plus de simples illustrations de la beauté. Elles deviennent de vraies leçons et discours percutants qui diffusent une fausse perception de l’identité corporelle des femmes. Par exemple, on associe souvent les formes arrondies du corps à une féminité excessive, à la quête de la maternité et à l’art de la séduction. Il est également stéréotypé comme un signe de paresse et de désorganisation. Toutefois, la vérité est bien différente. Il existe diverses raisons qui expliquent la prise de poids, liées à des facteurs matériels, sanitaires, psychologiques et sociaux. Le plus souvent, elles n’ont aucun lien avec la paresse ou la voracité. En effet, le corps mince est souvent simplement un privilège biologique dont la femme hérite. Cependant, cette nouvelle conception du corps mince, qui prétend offrir aux femmes une liberté et les présente comme une force autonome, n’est en réalité qu’une norme masculine présentée sous un nouvel angle contemporain.

En abordant maintenant la dernière question du premier volet de cet essai : Comment comprendre la transformation idéologique chez la femme, passant d’un régime alimentaire ordinaire à un régime végétalien ? A l’instar des représentations du corps, l’alimentation s’est aujourd’hui érigée en élément constitutif de l’identité. Cette identité se façonne et se refaçonne continuellement à travers nos choix alimentaires et l’image véhiculée par le régime adopté, y compris les valeurs qui lui sont associées. Autrefois considéré comme un signe de richesse et d’appartenance à une classe sociale élevée, le régime alimentaire traditionnel, qui se caractérisait par une consommation importante de viande, de glucides et de sucres divers, est désormais accessible à une grande majorité des individus dans les sociétés développées. Par conséquent, les membres de la classe supérieure ont abandonné leur préférence pour l’alimentation à base de viande au profit d’un régime végétalien. De nouveaux arguments, axés sur la santé, Justifient désormais l’adoption de ce type d’alimentation comme riche en nutriments, fibres et vitamines en abondance. Elle veille sur le corps, le protège avec douceur en encourageant aussi un retour à la nature. Cependant, le problème principal ne réside pas dans le coût élevé des produits végétaux et l’incapacité des gens ordinaires à les acheter.Le point essentiel est que ces produits ont établi une nouvelle norme de beauté et de féminité qui affecte principalement les femmes. Ce nouveau standard se reflète dans différents domaines : allant des produits de soin pour le visage aux séances de yoga matinales, en passant par l’adoption du tofu comme repas du soir et le choix de vêtements éco-responsables plutôt que de vêtements de luxe. En outre, le tatouage est de plus en plus considéré comme une alternative à la chirurgie esthétique. Ensuite, la femme accepte cette nouvelle approche qui lui offre une plus grande autonomie, tant dans sa relation avec les hommes que dans la gestion des défis de la vie moderne, que ce soit sur le plan technologique, communicationnel ou professionnel. Son identité se base désormais sur le sentiment de retour à la nature, symbolisé par l’adoption d’un régime végétalien exempt de violence et de meurtre, contrairement au régime alimentaire ordinaire.

Dans le deuxième volet, nous nous pencherons sur une analyse philosophique approfondie de la question de l’appétit féminin. Je vous invite alors à poursuivre la lecture de cet essai dans la deuxième partie.

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