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17 - 23 minutes de temps de lectureMode de lectureL’enfer des cadres

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Chapitre I

Bachelier en 1964, j’étais parti de la ville d’Aïn-Beïda, située à environ 110 km, au Sud-Est de Constantine, vers Alger dans le but de faire des études universitaires. Mais les suites de problèmes familiaux, ajoutées à des difficultés   financières me perturbèrent et portèrent un coup sérieux à mon programme. Il me fallut une bonne dose de courage pour ne pas perdre complètement mes principaux points de repère. Les raisons évoquées ci-avant m’empêchèrent de me concentrer suffisamment dans mes études supérieures. Il s’ensuivit pour moi une période d’instabilité que mon manque d’expérience accentua. Entre-temps, comme vivre à Alger, malgré sa beauté, était assez difficile surtout lorsqu’on est tout seul et sans ressources, loin de chez soi, je résolus d’entrer dans le monde du travail, après une année passée à l’université. Avec mon « petit » bagage de bachelier, j’escomptais tout au moins décrocher une fonction bien rétribuée, capable de me mener en direction d’une vie plus confortable. Plusieurs mois passés à Alger au seuil de la pauvreté m’obligèrent à retrousser les manches. C‘est pourquoi je me mis à la recherche d’un emploi. C’était tout à fait une nouvelle perspective pour moi, habitué aux études dans les lycées et collèges. À l’époque, de nombreux postes étaient offerts dans l’administration et les Sociétés Nationales récemment créées. Presque chaque jour, dans le journal El-Moudjahid, je voyais des avis de recrutement dans de nombreux secteurs et pour diverses qualifications. Je choisis à ce moment là de faire une demande à l’Académie d’Alger en vue d’exercer les fonctions de professeur de l’enseignement général. Je fus nommé Maître auxiliaire des Mathématiques à l’Ecole Militaire des Transmissions de Bouzaréah, (Air de France), un quartier des hauteurs d’Alger. Là, de 1966 à 1970, je contribuai à la formation de plusieurs promotions de sous-officiers. Mon travail se déroula sans fait notable. Puis, je quittai cet établissement pour le poste de professeur au Collège d’Enseignement Général (C.E.G) de la Cité La Montagne et à l’Institut de Formation Pédagogique de Ben Aknoun, deux autres quartiers de la Capitale, de 1970 à 1971. Mon idée était de faire carrière pour de bon dans l’enseignement secondaire. En plus de son côté très motivant qui permettait de communiquer à autrui ses connaissances, furent-elles modestes, elle me laissait une large part de liberté avec les vacances d’hiver, de printemps et d’été. Nous vivions encore l’euphorie de l’indépendance où des foules immenses avaient dansé et chanté dans les rues. Chaque année, les fêtes du 1er novembre et du 5 juillet étaient célébrées avec éclat. La propagande officielle présentait sans cesse les choses sous le meilleur angle qui soit et dans le meilleur des mondes possibles. On croyait fermement que l’Algérie avait un futur. L’effort de développement devenait une vraie bataille, estompant un peu les crises et les confrontations qui suivirent l’indépendance, avec l’élimination du G.P.R.A qui avait signé les accords d’Evian et l’instauration d’une République autoritaire. Au fur et à mesure du temps qui passait, notre désenchantement du début laissait la place à l’espoir. La Révolution, le socialisme triomphant, la mobilisation des masses, la production et la productivité dans les champs et dans les usines, les forces « progressistes » et de nombreux autres facteurs donnaient l’apparence d’une grande énergie en perpétuelle évolution. Les mots d’ordre pleuvaient de partout et nous poussaient à avancer plus loin. Les moudjahidine survivants ou des témoins de la guerre de libération furent mis à contribution. On leur demanda d’écrire leurs mémoires et de décrire les faits qu’ils avaient vécus, depuis les premiers coups de feu, la nuit du 1er novembre 1954 jusqu’au 19 mars 1962, date du cessez-le-feu. Quelques unes de leurs contributions seront éditées un peu plus tard sous la forme d’un recueil intitulé « Récits de feu ».

Pour ma part, au fil des années qui fuyaient, je m’aperçus que ma carrière de professeur n’évoluait pas de façon significative. J’eus envie de changer de métier. Mon avenir dans l’enseignement ne me parut pas offrir de larges possibilités d’épanouissement. J’aspirais à une autre vocation non pas plus enrichissante (car l’enseignement l’est aussi) mais à une place plus stable et à une expérience plus variée. D’autant plus que maintenant, je résidais dans un appartement à Alger, dont j’avais loué le pas-de-porte avec mes économies mises patiemment de côté. Je me considérais déjà comme faisant partie de cette classe moyenne naissante. Sans disposer de ressources considérables à l’instar de la future nomenklatura qui elle aussi se constituait en vase clos et commençait à exploiter sans vergogne le potentiel économique et financier de l’Algérie, j’entendais mener une vie honnête et sans trop de contraintes. Passionné à l’idée de voir mon pays sortir de l’ornière, je ne cherchais que l’occasion de me plonger dans la bataille de « l’édification » et de fournir les preuves de mon dévouement.

En janvier 1972, j’entrai donc à la Direction Régionale des Domaines d’Alger comme Inspecteur des Domaines contractuel. Dans toute l’Algérie, il n’existait que trois Directions de ce genre, implantées respectivement à Alger, Oran et Constantine, calquées sur les trois anciens départements de l’Algérie. J’avais entendu dire que cette administration « noble » dépendant du Ministère des Finances, n’était pas dépourvue d’intérêt. Héritière de traditions et de procédures anciennes remontant au temps des Romains dans l’arpentage des terres domaniales et la délimitation du territoire de l’Empire de César, elle jouissait d’une grande considération auprès du public et des autres services de l’Etat. Et pour cause, elle possédait de nombreuses attributions. D’abord au niveau financier : elle était chargée de collecter la vente des produits divers de l’Etat, de procéder au recouvrement des diverses taxes et des loyers des immeubles et autres biens nationaux et de les imputer au budget général   par le truchement du trésor public. Ensuite et c’est cela son rôle le plus important, elle était en même temps l’expert foncier, l’agent immobilier, le notaire, le commissaire-priseur, le conseiller, et le géomètre attitré de l’Etat, des collectivités locales et des autres établissements qui en dépendent, dotés ou non de la personnalité morale et de l’autonomie financière. En un mot, son champ d’intervention est très large. Il en faisait un outil de première importance dans tout ce qui était lié aux ventes, locations et acquisitions de bien meubles et immeubles au profit des services publics.

Dès mon installation, je constatais pour la première fois, l’une des contradictions de l’Administration : On me mit sous les ordres d’un Contrôleur, grade inférieur à celui d’Inspecteur. Ce contrôleur avait soi-disant beaucoup d’expérience. Bon, comme je me devais de rentrer dans le vif du sujet, je n’avais qu’à écouter ses conseils. Il était là pour me guider, si j’avais besoin de plus de renseignements sur le fonctionnement du service. Son ancienneté valait mon grade.   Je résolus de mettre à jour mes connaissances dans cette branche nouvelle avec son aide. Comme je n’avais étudié dans aucune Ecole Spécialisée en matière financière (puisque nous dépendions du Ministère des Finances au même titre que beaucoup d’autres services financiers), ma formation se fit sur le tas ou de façon autodidacte. Les mois suivants de mon activité, je fus pris en charge par un Inspecteur Principal des Domaines délégué par le Service Central au niveau de la Direction Régionale. Son aide me fut précieuse. Il me confia trois fascicules édités par l’Ecole d’Application Economique et Financière de la rue Tirman, à Alger. Il savait combien j’avais besoin de sortir de mon ignorance sur le sujet des affaires domaniales. En sa présence, je me sentais réconforté. Il avait une certaine prestance dans son physique aussi bien que dans ses manières d’aborder les problèmes, malgré un handicap de langage (bégaiement), contacté certainement depuis son enfance. Les informations communiquées revêtaient une importance vitale.

Ces fascicules contenaient des cours détaillés sur la réglementation foncière, la distinction à faire entre les terres publiques de l’Etat et les terres privées de l’Etat. Sans compter de nombreuses autres précisions sur les méthodes d’évaluation des biens et des notions sur le droit administratif. J’exploitais aussi d’autres moyens de me perfectionner encore plus. Outre le livre intitulé Maguero, une sorte de dictionnaire qui répertoriait toutes les solutions à apporter aux cas pratiques qu’on rencontrait dans notre travail au bureau ou sur le terrain, je me mis à parcourir les librairies d’Alger, (il y en avait encore avec un foisonnement d’ouvrages de toutes les branches), à la recherche de bouquins intéressants. Il m’arrivait d’acheter sans hésiter des volumes de la collection Dalloz. Ces derniers avaient la particularité de mettre en relief beaucoup d’analyses se rapportant directement à mes nouvelles occupations professionnelles.

Mais ce qui m’intéressa le plus, ce sont les anciens dossiers fonciers, laissés comme archives, par l’administration française, aux feuilles jaunies par le temps. Un véritable trésor pour la mémoire. Une véritable vitrine sur l’évolution de la colonisation « technique » depuis 1830. On donnait de nombreuses définitions sur les biens Domaniaux, Habous (dédiés à la mosquée et aux œuvres pieuses), Arch (tribal), communaux, vacants ou en déshérence. Les origines de propriété des immeubles, depuis le temps   des Turcs ottomans régnant sur la Régence d’Alger jusqu’à l’occupation française et son extension aux Territoires du Sud laissaient apparaître tout un pan plus ou moins méconnu de l’Histoire. Le Sénatus Consulte de 1869, les terres agricoles confisquées ou séquestrées sur les « indigènes » par suite de révoltes, le lotissement des villages européens, les modalités de formation du tissu urbain des grands centres coloniaux, les expropriations, les points d’expansion du Nord vers le Sud, et de l’Ouest vers l’Est, les délimitations topographiques des principaux centres militaires, sont consignés de façon méticuleuse sur des registres AD HOC, avec des plans topographiques parfaitement tenus à jour, reportés sur des parchemins vieillis mais très lisibles. Tout correspond à un labeur mené chronologiquement dans l’intérêt des immigrants qui affluaient d’Alsace, de la Lorraine, de Paris ou de la Provence. Sans compter ceux originaires d’Italie, de Malte et d’Espagne. On n’a qu’à plonger dans toutes ces archives pour avoir une vue d’ensemble sur l’expansion des Français et de leur main mise sur les meilleures zones de culture agricole, notamment la Mitidja, fidèlement reproduite à travers des registres et des documents écrits et topographiques répertoriés depuis des décennies. Pour celui qui veut approfondir ses recherches sur cette période, il y avait là de quoi satisfaire sa curiosité.

Le début de mes activités à la Direction Régionale coïncidait avec un certain nombre d’opérations « politiques » qui venaient d’être entamées. Restructuration des comités de gestion dans les fermes déclarées libres après le départ des colons, nationalisation des hydrocarbures, création de grands ensembles industriels, lancement de la Révolution agraire, nouveau recensement des biens vacants dévolus à l’Etat, promulgation de nombreuses ordonnances et de nombreux décrets concernant divers secteurs. Etant donné le caractère foncier et les aspects financiers de nombreux secteurs de l’entreprise, notre intervention était nécessaire. Comme par exemple en matière de terres nationalisées dans le cadre de la Révolution Agraire. Des moyens humains et matériels très importants furent mobilisés pour mener à bien notre mission. Pendant presque une année, les agents des Domaines assistèrent à plusieurs séminaires de « vulgarisation ». On nous distribua un tas de documents accompagnés de nombreuses annexes. Les éléments fournis nous ouvraient l’accès à un maniement convenable de la procédure de nationalisation des terres. Dans l’Algérois, je fus dépêché avec une brigade d’agents topographes, recenseurs et évaluateurs pour procéder à une première localisation des sols cultivables. Des dispositions législatives draconiennes avaient été prises pour contrecarrer tout « contre-révolutionnaire » qui viserait à mettre en échec la réussite de l’opération. Nous participâmes également à Alger et dans de nombreuses agglomérations de la wilaya, à la revalorisation des loyers des locaux commerciaux et industriels appartenant au secteur public.

Mais, en mars 1973, mon itinéraire fut provisoirement interrompu. Je fus envoyé à Paris pour deux mois, avec un groupe d’Inspecteurs pour parfaire notre formation à l’Ecole Nationale des Impôts. Ce fut le premier et dernier stage que je fis à l’étranger. Alors que d’autres moins méritants que moi bénéficieront par la suite de nombreuses missions à l’étranger, sélectionnés sur la base de je ne sais quels critères.

De retour à Alger, je me remis assidûment au travail. Je pressentais que nous étions à l’aube d’une ère nouvelle. Les mots d’ordre étaient « engagement, compétence, intégrité ». En théorie seulement. En pratique, l’administration était infestée d’arrivistes de tout niveau. Malgré quelques recrutements effectués sur la base de diplômes ou d’une maîtrise effective du métier, elle se trouvait composée de deux catégories de fonctionnaires, en dehors de ceux qui se réclamaient d’une légitimité « historique » ou « révolutionnaire » la plus souvent usurpée. Depuis l’indépendance, le départ massif et précipité des Français laissait une énorme quantité de places « techniques » à pourvoir dans les différents paliers de la haute hiérarchie administrative. Notamment au niveau des Ministères et des Préfectures non encore converties en wilayas. Une partie du vide existant fut comblé par l’apport du personnel puisé dans les réfugiés revenus du Maroc ou de Tunisie. L‘autre partie provenait de fonctionnaires subalternes déjà en place, en 1962. De simples agents de bureau, de dactylographes ou autres agents de constatation et d’exécution recrutés du temps de l’administration française, se retrouvèrent dans des postes de responsabilité sans commune mesure avec leur réelle compétence. Les statuts de la Fonction publique promulgués par une Ordonnance de 1966 régularisèrent leur situation, grâce à des arrangements dont seul le législateur a le secret. Ils achevèrent de les hisser au plus haut rang, tout en mettant une barrière pour les futurs candidats. Il fallait passer dès lors une foule de concours, d’examens et transiter par de nombreuses listes d’aptitude et de stages pour prétendre décrocher un poste de « chef ».

Ne faisant partie d’aucune de ces catégories citées en premier, ma transition de l’état de contractuel à celui de titulaire nécessita deux années de stage. Ce n’est qu’en 1974 que fut enfin institué un concours d’intégration dans le corps des Inspecteurs des Domaines Au terme de ce concours, ma qualification fut prouvée et je sortis major de la promotion. Je fus titularisé au poste d’Inspecteur. Cependant, mon activité débordante, mon enthousiasme et mes capacités d’organisation avérées allaient m’attirer les premiers ennuis. Il se trouve toujours quelque jaloux pour vous barrer le chemin, quand vous vous mettez trop en relief. Ce jaloux n’était autre qu’un Directeur Régional adjoint par intérim, sous la coupe duquel j’avais été placé. En 1975, il se mit à me provoquer pour me faire abandonner mon poste. Il alla même jusqu’à me supprimer injustement ma prime de rendement trimestrielle, au motif que je ne donnais pas le bon exemple. Ses affirmations étaient loin de refléter la réalité et mon énorme débauche d’énergie. J’apprendrai à mes dépens dans mes autres expériences futures que cette façon de procéder était le propre des imposteurs. Incapables de vous attaquer sur ce que vous valez vraiment, ils entendent vous décourager et vous attribuer tous les péchés de l’humanité. Tantôt vous ciblant de front, tantôt en catimini, ils n’hésitent pas à vous mener la vie dure. Très versés dans l’art d’inverser les rôles, ils ne reculent devant rien à seule fin de vous transformer en diable, lorsque vous vous placez en travers de leur chemin. Avec eux, ce qui est blanc devient noir et ce qui est noir devient blanc, ce qui est innocent devient coupable et ce qui est coupable devient innocent. Ils n’éprouvent aucun remords à vous coller des défauts imaginaires dès que vous vous dressez sur leur chemin. Tout en réagissant vigoureusement aux tentatives de me déstabiliser (j’écris à ce propos une lettre de protestation au Directeur Général), je m’étais mis en tête de changer de ville et d’air.

Plusieurs wilayas (l’équivalent des départements français), résultant d’un découpage administratif décidé par un texte législatif, avaient été créées. C’est ce qu’on dénomme la régionalisation des institutions. Les trois Directions Régionales des Domaines disparurent. À la place, une Sous-direction des Affaires Domaniales et Foncières (SDADF) fut implantée au niveau de chaque wilaya. Le problème est qu’elle dépendait d’une Direction des Services Financiers (DSF), toujours à l’intérieur de la wilaya, qui lui laissait une marge de manœuvre très restreinte. Cette décentralisation peu commode allait engendrer un conflit d’autorité et une confusion permanente entre les attributions de chacun. Tout en causant des désagréments sans nombre aux nouveaux Sous-directeurs. Dépendions-nous de la wilaya ? Dépendions- nous du Ministère ? C’est la question qui allait se poser continuellement aux futurs Sous-directeurs. Il arrivait que les instructions parvenues du Service Central à Alger ne cadraient pas ou étaient en totale opposition avec ceux transmises par les services locaux. Le wali (ex-préfet), « représentant légal » de tous les Ministères, se laissait parfois aller à des abus d’autorité. Dans certaines wilayas, il se considérait comme un maître incontestable, sans attache avec quiconque ou ne rendant compte qu’à ceux qui l’ont parachuté à ce poste tant convoité.

En tout cas, las d’être la cible de mesquineries à la Direction Régionale désormais dissoute, je fus heureux de me voir offrir un poste de chef de bureau à la Sous-direction des ADF nouvellement mise en route à Bouira, à environ 120 km à l’Est   d’Alger. Le Sous-directeur de cette structure m’accueillit amicalement et m’encouragea dans l’exercice de mes fonctions. Je n’y resterai pas longtemps (à peine une année). Mais là, je connus un certain nombre d’amis. Je contribuai à la bonne marche du service, tout en essayant de limiter les carences apparues dans la gestion de la division. Les agents qui n’avaient que quelques mois de pratique, n’étaient pas encore aguerris. Il leur manquait un apprentissage de base sur la réglementation domaniale et foncière. Il s’agissait en même temps de penser à l’application des textes relatifs à la constitution des Réserves Foncières Communales ayant vu le jour en 1974. Réserves Foncières englobant aussi bien les terres publiques de l’Etat que les terres privées des personnes physiques ou morales. Je me fis un réel plaisir de leur montrer ce dont ils avaient besoin pour mieux saisir leurs objectifs en ce domaine. Leur faire prendre conscience de l’importance de la tâche, c’était cela mon but. Mon instinct de professeur me rattrapait là dessus. Et je me sentais heureux de contribuer à leur « rodage »

Arrivé à ce stade de ma narration, je prie le lecteur de bien observer avec moi une courte pause. La chronique simplifiée où je ne donne que les principaux détails et en omettant de mentionner l’intégralité de ce que j’ai vécu n’a pas uniquement pour but de montrer les dysfonctionnements bien connus de l’administration, visibles de l’intérieur ou de l’extérieur. Beaucoup de gens, jusqu’à aujourd’hui continuent à en faire les frais, sans possibilité de redresser les torts causés psychologiquement ou matériellement. Je veux montrer dans la mesure de mes capacités, la face cachée d’un système loin de respecter les fonctionnaires compétents et de leur donner le rang qu’ils sont en droit de réclamer. Si je parle de moi, ce n’est pas par narcissisme, ou par désir de vengeance. Je veux simplement révéler, au fil de ma narration la grave injustice dont je fus victime. J’écris pour tous ceux qui un jour ou un autre ont subi dans leur chair et dans leur âme, le cynisme des « grands chefs ». Les atteintes à la dignité humaine, quelles soient morales ou physiques, sont l’expression de l’impuissance des bourreaux à se hisser au niveau de leurs semblables. Leur rage à s’acharner sur leurs victimes démontre à mon sens, leur propre dégradation.

Comme beaucoup d’autres, j’aurais pu choisir de me taire. Quand vous vivez parmi les loups, votre témoignage sur la façon dont ils dévorent les agneaux ne vous attirera que des ennuis et des représailles. Mais c’est plus fort que moi. Ma conscience ne peut s’accommoder du silence, ni tolérer l’hypocrisie. Surtout quand vous êtes touché dans vos convictions les plus profondes. Il ne faut pas que le mensonge éclipse la vérité, que les rôles soient inversés jusqu’à vous faire paraître, vous l’être humain le plus intègre, le plus sincère et le plus droit qui soit, comme quelqu’un de peu scrupuleux.

Mon court passage à Bouira, ville vers laquelle je reviendrais par la suite m’offrit l’occasion de me frotter à un service domanial et foncier en dehors de la capitale. J’avais besoin de plus d’espace pour exprimer ma soif de bien faire. Fin 1976, nous reçûmes une note de notre Service Central disant que le poste de Sous-directeur dans la wilaya de Laghouat, aux portes du désert, était vacant. Je me portais tout de suite volontaire à ce poste, en suivant les suggestions du Sous-directeur de Bouira qui me conseilla de présenter ma candidature. Elle fut tout de suite acceptée par le Service Central, tout heureux de pourvoir un poste pour lequel les prétendants ne se pressaient pas au portillon. Pour beaucoup, exercer au Sahara pendant des années ne présentait pas énormément d’avantages, étant donné la rudesse du climat et les conditions d’une vie plus contraignante. Il n’est pas donné à tout le monde de séjourner trop longtemps dans le Sud et de s’y habituer aisément.

Dès mon arrivée là-bas, je constatai que j’avais en face de moi une lourde tâche. En l’absence d’un responsable dûment habilité, la structure était pratiquement inexistante. Les 3 bureaux du Cadastre, des Hypothèques et des Domaines qui la composaient, ainsi que les Recettes (dont la caisse se chargeait de récolter pour le budget de l’Etat, les diverses taxes et produits financiers, fonciers et domaniaux) fonctionnaient au ralenti. Le parc automobile se réduisait à quelques véhicules désossés qu’il fallait soit rénover, soit réformer définitivement. Les locaux de la Sous-direction étaient trop vétustes et demandaient une restauration rapide.

La présence d’un « chef » capable de donner une nouvelle impulsion se faisait cruellement sentir dans cette armature « fantôme » complètement à l’abandon. Je dus résolument la prendre en charge pour lui donner un sang nouveau et une âme agissante. Même les loyers dus par les sociétés pétrolières occupant le périmètre dans la zone gazière de Hassi R’Mel n’avaient pas été versés en temps voulu. Un calendrier fut établi. Je leur rappelai la nécessité de s’acquitter de leurs redevances dans les plus brefs délais. Devant leur réticence, je leur laissai le loisir d’éponger leur passif par tranches. Je donnai des instructions à la Recette en vue de corriger tous les articles ouverts sur le registre des baux et droits constatés, par le biais d’un échéancier précis. Pendant les deux années où j’ai habité à Laghouat, bien d’autres difficultés surgirent. L’absence de moyens financiers consistants et l’insuffisance des matériels constituaient un grand handicap. Le budget de fonctionnement étant géré par la DSF, il fallut intervenir pour la dotation en climatiseurs et appareils de chauffage : À Laghouat, le climat est très chaud l’été et très froid l’hiver. La seule façon de se prémunir contre les effets du temps reposait sur un équipement adéquat. En plus, les conditions de mon propre hébergement laissaient beaucoup à désirer. La seule faveur était le congé de 50 jours qu’on pouvait s’octroyer chaque année d’exercice.

Je fus obligé de me battre pour progresser. Et obtenir des résultats dans la réorganisation de cette Sous-direction demeurée auparavant en friche. Je recrutai de nouveaux agents avec lesquels je tenais des séances de travail régulièrement. J’attendais d’eux qu’ils se lancent hardiment dans tout ce qui leur incombait. Dans l’ensemble, mes efforts ne furent pas vains. Mais je fus frappé par des malheurs familiaux survenus à l’improviste. De plus, mes relations avec la DSF de la wilaya, qui tentait de s’immiscer dans tout ce que j’entreprenais et citée plus haut, n’étaient pas au beau fixe. Elles étaient même exécrables. Moi, je souhaitais avoir les mains libres et réussir dans mes initiatives en toute liberté. Tandis que la DSF me collait des bâtons dans les roues et cherchait par tous les moyens à s’opposer à mes décisions.

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