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7 - 10 minutes de temps de lectureMode de lectureElodie

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Nombre de mots

un passé brillant. Parce que, à mon avis, quand on arrive à combiner roman et rigueur historique, fiction et réalité, utopie et certitude, rêve et imagination, on obtient un beau mélange qui nous ouvre les horizons insoupçonnés des lectures captivantes et particulièrement attachantes.
Élodie est donc l’exemple typique de la personne passionnée de romans, assidue dans ses choix et en même temps très liée aux vertus de la bienséance, de l’amitié et du désintéressement. J’ai tenté dans ce roman de
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reproduire fidèlement notre première rencontre et ses suites, l’atmosphère qui a prévalu lors de nos discussions et de nos recherches pour retrouver le journal de Jugurtha. Ainsi, j’aurais atteint mon objectif en mettant en scène, au milieu de son manoir en Bretagne, cette femme aux goûts exceptionnels. Car en réalité, les faits, les choses et les événements n’existent que s’ils sont décrits ou racontés par les auteurs qui les ont vus ou vécus. Leurs contenus résonnent en nous, bien après que nous avions terminé de les lire. Je crois bien que c’est cet amour de la lecture, cette perspective de s’évader grâce aux rêves, vers les rivages lointains de l’univers des elfes et des anges, qui a poussé la belle châtelaine rencontrée aux Galeries Lafayette, à Paris, à garnir sa bibliothèque et à montrer son amour immodéré des mots et de la langue.
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I
J’avais accompagné Élodie jusqu’à la gare Montparnasse. Elle devait prendre le TGV, en direction de la Bretagne. Je ne savais réellement rien de son passé, de sa jeunesse, de ses espérances. En effet, je l’avais croisée pour la première fois aux Galeries Lafayette où elle était venue faire quelques achats. Nous avons fait connaissance dans un rayon de vente de vêtements, tenue par Bariza, une jeune parente à moi. Après les présentations d’usage, je fus amené à penser que j’avais affaire à une femme bien éduquée, instruite et séduisante. Puis, nous avons conversé spontanément, sur de nombreux sujets. Elle éprouvait, me dit-elle, une grande passion pour la littérature et les livres abordant tous les thèmes. Certaines lectures sont plus significatives que d’autres et marquent les étapes de notre propre vie. Notamment les romans où elle puisait, m’affirma-t-elle encore, toutes les ressources de l’imaginaire et tous les moyens de s’évader vers des horizons insoupçonnés moins stressants. La vie à Paris, bien que fort
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intéressante et enrichissante à plus d’un titre, présentait parfois les aspects d’un tourbillon épuisant, sans cesse renouvelé. Il fallait par conséquent de temps à autre, s’offrir un voyage reposant vers les espaces magiques de la création intellectuelle. C’est ainsi que nous nous étions raconté notre parcours respectif, sur un ton léger, comme si nous étions des amis de longue date. La glace fut brisée dés le début de notre conversation. Moi, venu de Marcimeni, près de la lointaine Constantine, perchée sur le fleuve Rhumel, je donnais libre cours à mon désir de me confier à une personne bien sympathique et bien agréable, à qui j’avais révélé mes origines chaouïes et constantinoises. Je ne manquais pas de lui livrer mes impressions, mes préférences, mon métier d’ancien cadre de l’administration des domaines, actuellement retraité. Si ma retraite m’avait permis maintenant de vivre en dehors du banal statut de commis au service de l’État que j’avais servi pendant trente-quatre ans, en revanche, je me sentais indépendant, heureux, libre comme le vent, libre de voyager où je veux. Et surtout, je possédais cette merveilleuse possibilité de satisfaire mon amour de la lecture, et d’enterrer définitivement l’étude rébarbative des dossiers administratifs. J’avais passé une grande partie de ma vie à jouer au scribouillard,
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dans le style ordinaire du rond-de-cuir décrit par Courteline. Je rentrais dans la catégories des personnels de bureau, dont le rôle essentiel consiste à rédiger des rapports pleins des habituelles formules hiérarchiques répétitives. Mon long itinéraire dans les dédales complexes et complexés des corridors des ministères et des wilayas1 ne m’avait laissé aucun souvenir durable. Bien au contraire.
Maintenant, j’aspirais tout simplement à me changer les idées. Quant à Élodie, elle avait dépassé la quarantaine mais sa beauté nordique éblouissante ne laissait apparaître aucune flétrissure. Cela étant, je compris, à entendre ses paroles, qu’elle avait gravé à jamais dans sa mémoire, les passages les plus significatifs d’auteurs célèbres ou moins connus, dont elle gardait le souvenir pareil à des pierres précieuses enfermées dans un écrin de velours. Elle était au courant de la parution de tous les livres nouveaux, vendus à la FNAC, aux Galeries Lafayette, ou au niveau des autres grandes librairies parisiennes, des récentes productions artistiques et romanesques, des moindres détails qui composent l’univers des lettres. Notre
1 Wilayas : Terme désignant l’équivalent de préfectures.
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discussion ne fut pas sans attraits. Nous vîmes combien nous partagions les mêmes idées, les mêmes goûts et les principes irréfragables d’une conduite morale au-dessus de tout soupçon. Bref, j’étais venu en France pour quelques semaines de vacances, profitant de mon visa touristique délivré par le Consulat général français à Alger, pour parcourir en voyageur attentif, les régions fertiles de la Beauce et de la Brie, outre l’avenue des Champs Élysées, le boulevard Haussman et bien d’autres quartiers de la capitale de l’Hexagone. Et en même temps, l’occasion m’était offerte, ce jour de printemps ensoleillé, où le mois de mai verdissait les près et mettait une variété de couleurs dans les jardins parisiens, d’évoquer avec mon interlocutrice, sur un ton gai et emprunt d’une sincérité inattaquable, les voies mystérieuses de la Providence, qui nous mettait ainsi en présence l’un de l’autre, sans aucun préalable. Nos chemins et nos destins s’étaient ainsi croisés, sans que je puisse affirmer, s’il s’agissait d’un hasard, d’un destin guidé ou d’un événement bien déterminé.
― Vous voudrez bien, me lança-t-elle à un moment donné de notre dialogue, venir nous rendre visite en Bretagne. Vous verrez, cela vous plaira beaucoup. J’y possède ma résidence
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principale. Je serais très heureuse de vous y accueillir. Mon père étant décédé, j’y vis avec ma mère et ma fille…
Il va sans dire que cette proposition éveillait ma curiosité et répondait à mon voeu de dépaysement, dans les endroits les plus pittoresques de la France.
― Je vous remercie infiniment pour votre invitation, répondis-je. Vous êtes vraiment très aimable et d’une gentillesse à toute épreuve. Pourtant, vous me connaissez à peine. Mais c’est avec un grand plaisir que j’accepterai de me déplacer vers une région aussi riche sur tous les plans et dont vous me feriez savoir, j’en suis sûr, les aspects les plus attachants. Croyez-moi, je suis touché au fond du coeur, par tant de délicatesse. Je serais également enchanté de voir votre famille. Votre geste amical démontre une ouverture d’esprit qui vous honore énormément.
J’avais mis beaucoup de chaleur dans mes propos, lui laissant entendre ainsi combien j’étais enthousiasmé à l’idée d’élargir mes connaissances géographiques et humaines. Élodie semblait accorder beaucoup d’importance à l’intérêt que je manifestais pour son offre. Ses
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voyages à elle, de temps à autre, à Paris, pour l’achat d’articles de qualité aux Galeries Lafayette, lui permettaient de se plonger dans une atmosphère autre que celle des bocages bretons. Sur sa lancée, elle n’omettait pas de se promener sur les boulevards des Capucines et de Saint-Michel, à la recherche de librairies offrant les dernières nouveautés littéraires, histoire de les feuilleter et de s’imprégner de l’odeur caractéristique de leur papier. Chemin faisant, elle empruntait les rues situées aux alentours de la Place des Vosges, donnant accès à plusieurs musées réputés, à des boutiques élégantes et à des restaurants de grande renommée ; ensuite elle prenait invariablement, la direction de la place Vendôme afin d’admirer les bijoux fastueux exposés dans les vitrines des bijoutiers-joailliers nombreux en cet endroit. Et aussi elle se réservait suffisamment de temps pour faire un saut dans les hippodromes de la périphérie parisienne où elle aimait admirer les courses de chevaux à la réputation bien assise. La plus noble conquête de l’homme constituait une force d’attraction à laquelle, elle ne pouvait résister.
Quand nous nous séparâmes sur les quais de la gare, après qu’elle m’a donné son adresse exacte en Bretagne, et son numéro de téléphone,
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il fut entendu d’un commun accord, que je ne tarderai pas longtemps à la rejoindre. Je lui fis donc la promesse de m’embarquer le plus tôt possible en direction du château qu’elle possède à quelques dizaines de kilomètres de Rennes. Étant donné ma disponibilité immédiate et mon statut de vacancier, je n’avais pas de grosse difficulté à envisager un tel programme et à aménager l’horaire adéquate dédiée pour ce faire. Impossible de refuser la perspective charmante de renforcer ce lien amical et de visiter une région située au bord de l’océan Atlantique, connue pour son climat salubre, sa côte escarpée, son hospitalité et son histoire millénaire. Il n’en demeure pas moins vrai que je devais me préparer à ce déplacement sans rien laisser au hasard. Car je ne pouvais m’empêcher d’éprouver une certaine appréhension, nonobstant le côté romanesque de l’événement. Je ne connaissais Élodie que depuis quelques heures. Même si elle avait formulé son invitation de façon spontanée, directe et sans arrière-pensée, il me fallait prendre toutes les précautions nécessaires susceptibles de m’éviter de fausses manoeuvres ou de maladresses préjudiciables à une aussi bonne entente fraîchement acquise. Il fallait ménager l’avenir sans trop brusquer le cours du destin. Mon
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souhait le plus vif était de ne laisser aucun nuage planer sur cette amitié intervenue si à propos, remplie du parfum de la nouveauté.
De retour dans l’appartement où j’étais hébergé provisoirement chez Bariza, et situé au bord de la Seine, je ne manquais pas de prévenir cette dernière de mon projet de voyage en Bretagne. D’un geste fort expressif, Bariza manifesta sa satisfaction.
― Yacine, je suis très contente de te voir aller à l’intérieur du pays. Puisque, après tout, c’est le but de ton voyage en France. Cela te changera un peu de l’air parisien ainsi que les idées. Et puis, ton excursion chez Élodie te permettra de découvrir une autre réalité, à savoir l’hospitalité proverbiale des Bretons. En tout cas, ton séjour là-bas te sera bénéfique à plus d’un titre, j’en suis persuadée…

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