E.V.O.L.V.E (Tome 1, Chapitre 5)
Chapitre 5 : Exploration
Forêt Aquatique.
La radio s’alluma automatiquement et émit un son strident par trois fois, ce qui réveilla Liz instantanément. Elle s’assit sur le plancher du ballon-sonde, les yeux plissés, lorsque la radio crépita.
« Unité C, Exploratrice Liz, à vous. »
Elle attrapa la radio d’un mouvement de bras rapide et précis, comme une réaction automatique.
– Au rapport mon Lieutenant. Que me vaut l’honneur de cet appel à une heure si matinale ? A vous, répondit la jeune femme d’un ton enjoué malgré ce réveil brutal.
– On a un problème dans le Grand Désert, Marcus est injoignable, mais sa balise est toujours active, et ne bouge pas. Sa dernière transmission rapportait des faits de combats chez les villages Déformés, ainsi qu’une vague de déplacements, divisées en deux groupes, l’un dans la direction de la Citadelle, l’autre du côté de la Centrale. J’ai averti mes contacts dans les institutions politiques des deux cités, elles sont en train de se préparer à une menace éventuelle. Votre mission sera de retrouver Marcus, et de le ramener au Rempart avec le plus d’informations possibles. Votre vision aérienne et votre connaissance du terrain vous confèrent un avantage non négligeable. Vous partez immédiatement. Des questions ? A vous.
– Les Déformés quittent leurs villages à cause des combats ? Demanda la jeune femme, étonnée, et pourquoi se dirigent-ils précisément vers les cités ? Ils nous ont toujours évités. A vous.
– Aucune explication claire, Marcus n’avait aucune idée de la menace, il m’a transmis le fait que les Villages avaient des traces de combats, mais qu’il ne pensait pas que ceux du Grand Désert étaient en mesure de faire autant de dégâts aux villages. Des idées à soumettre ? A vous.
Liz ne répondit pas. Un Prédateur ne serait jamais assez puissant pour faire plus de dégâts que ceux du Grand Désert. Un conflit interne ? Non. Il n’aurait concerné qu’un seul village, et les Déformés hors des Villages ne seraient pas concernés, alors pourquoi ce déplacement ? La voix du Lieutenant-Colonel la tira de sa réflexion.
– Marcus pensait également à une fuite, mais n’avait pas de visuel sur une quelconque menace. A vous.
– C’est l’explication que je trouve la plus rationnelle, mais elle ne nous apprend pas grand-chose. Et fuir vers un nouvel ennemi, c’est un suicide, pas une fuite, pourquoi ne sont-ils pas partis au sud ? A vous.
– Ils ne savent peut être pas que nous sommes ici, nous n’avons eu aucun contact avec eux depuis les Pluies Pourpres il y a plus de vingt-cinq ans. Cette information sur une fuite potentielle nous apprend que les villages sont probablement vides, et qu’ils contiennent très probablement des réponses. Cependant ! Interdiction formelle de poser le pied à terre. Si vous avez un visuel sur un élément suspect, ou étrange, vous transmettez l’information et vous dégagez, reçu ? A vous.
– Bien reçu mon Lieutenant, il me faut sa dernière position. A vous.
– Peupa…popeuaa !
– C’était quoi ce bruit ?! A vous ?
– Un oiseau mon Lieutenant, rien de grave, pas d’inquiétude. A vous.
– Ok, soupira Ed, je vous envoie le point de dernière émission, vous y serez dans moins de quarante-huit heures. Terminé
– Reçu mon Lieutenant, terminé, confirma Liz à la hâte.
La radio s’éteignit avec un nouveau crépitement.
Liz enleva sa main de la bouche de son amie qu’elle tenait à distance du micro de la radio, laissant apparaitre un large sourire. Sa silhouette bougeait d’une façon si désordonnée qu’on aurait pu la confondre avec celle d’une marionnette dirigée par un ivrogne avec le hoquet.
« Popaaap ?!! »
Elle s’avança vers Liz, sur la pointe des pieds, avec une démarche maladroite, les pieds rentrés vers l’intérieur, les bras repliés à la manière d’un t-Rex.
« Khoée…tu vas finir par me faire virer avec tes conneries ! » Explosa Liz, le doigt levé en guise d’avertissement.
L’intéressée rigola en se cachant le visage derrière ses mains, puis saisit l’avant-bras de Liz d’un geste approximatif mais déterminé pour le placer à l’arrière de sa tête. Elle agita son bras de manière à faire bouger la main de l’Exploratrice dans sa tignasse de cheveux bruns, puis leva finalement la tête d’un mouvement brusque, et planta ses yeux rieurs d’un noir profond dans ceux de Liz, un immense sourire sur le visage.
Liz caressa doucement ses cheveux bruns, et Khoée sembla se calmer, malgré ses mouvements toujours raides et saccadés. Un doux sourire apparut sur le visage de Liz et se refléta dans les yeux brillants de la jeune femme.
« Tu finiras toujours par m’avoir hein ? » Murmura Liz d’un air exaspéré en essayant de se défaire de son étreinte. Khoée gloussa de nouveau, et colla sa tête contre la poitrine de son amie, les yeux rieurs.
« Bon, on doit partir, on retourne dans le Grand Désert…il y a quelqu’un qu’on doit aider la bas, tu comprends ? Comme toi, il est tout seul et il a besoin d’aide. »
Khoée ne bougeait plus, et la regardait à présent avec un air ébahi, les sourcils froncés, ses grands yeux remplis de questionnements qu’elle n’arriverait jamais à formuler.
********
Liz l’avait vue pour la première fois alors qu’elle analysait des zones mortes du Grand Désert. Un soir, en analysant une suite de photographies prises depuis les airs, elle avait distingué une forme humaine, en chien de fusil, seule, au milieu du sable, à quelques kilomètres de sa position.
Lorsqu’elle était retournée sur le site, pensant récupérer des échantillons ADN de Déformé, elle la trouva, inconsciente, à moitié recouverte par le sable, dans un état de déshydratation morbide, avec un pouls très faible. A première vue, elle avait l’air normale. Elle devait avoir le même âge que l’Exploratrice, et aucune malformation n’était présente sur son corps ou son visage, brulé par le soleil. Son collier, une plaque semblable a celle des animaux domestiques, semblait indiquer son nom : « Khoée ».
Liz l’amena à bord du ballon sonde et préleva un échantillon d’ADN. Elle constata avec surprise que rien n’indiquait une mutation due au pathogène dans son génome. Elle contacta aussitôt le Lieutenant-Colonel.
Les ordres étaient simples. Interroger cette fille sur sa présence dans une zone aussi isolée, inhabitée et dangereuse du monde. Sa survie était importante, pourquoi rien n’apparaissait aux analyses si elle vivait chez les Déformés, et si elle ne vivait pas ici, alors d’ou venait-elle ? Liz attendit que sa patiente se réveille.
Deux jours plus tard, elle lui posa la question : « Qui est tu ? »
Ce à quoi Khoée répondit avec son traditionnel « Peupaaa », quelque peu ramolli par son réveil. Elle ne mit que quelques secondes pour agiter frénétiquement ses bras et ses jambes, la bouche déformée par la peur et commencer à hurler.
Liz eu beau se protéger les oreilles, la voix stridente de la jeune femme lui écorchait les tympans, si bien qu’elle vacillait, comme si son oreille interne était touchée. Cette impression fut confirmée lorsque qu’elle sentit un épais liquide chaud couler le long de son cou. En quelques secondes, elle fut complètement désorientée, et la panique s’emparra d’elle.
Dans un mouvement désespéré, elle libéra difficilement de ses liens la fille qui la fixait, ses yeux sombres remplis de colère et de larmes, toujours en train de crier, dans l’espoir qu’elle sa calme.
Malheureusement, lorsque le dernier lien fut détaché, elle se mit en position pour riposter par reflexe.
Une bonne chose vu la vitesse à laquelle un coup de poing imprévisible vint heurter son avant-bras, manquant de quelques centimètres sa tempe.
Elle déclencha un coup de pied pour qu’il aille taper les cotes de la fille, mais cette dernière bougeait d’une façon si imprévisible qu’elle la manqua alors qu’elle se ruait sur Liz.
Deux mains à l’allure de serres, les doigts raidis, lui griffèrent le visage, manquant de l’éborgner.
Elle tomba à la renverse, poussée par son adversaire qui s’effondra sur elle. Sa tête tapa lourdement le sol, et le front de Khoée rencontra brutalement son arcade sourcilière. Elle s’évanouit.
Lorsque Liz se réveilla, du sang séché sur le visage et du sang frais sur ses lèvres, Khoée était en train de la secouer. La haine et la colère qui transparaissaient auparavant sur son visage s’étaient transformées en inquiétude. Le nez de Liz était cassé, et la douleur lui tapait jusque dans les tempes. L’Exploratrice sonnée se remit debout, et Khoée se recroquevilla, honteuse, sous ses mains, accroupie dans un coin du ballon-sonde, lâchant de petits cris aigus par intermittence. Liz se dirigea vers elle d’un pas déterminé, la mâchoire serrée, mais réfréna son envie de la jeter par-dessus bord.
Elle devait rester vivante, c’était les ordres. Mais, manifestement, elle était Déformée, quoi d’autre pouvait expliquer ce comportement ? Le fait que rien ne soit visible sur les analyses était anormal. Peut-être qu’elle devait refaire des analyses, mais comment, maintenant qu’elle était détachée ? Et si c’était quelque chose de nouveau, une déformation due à un pathogène inconnu ? Et, par-dessus tout, pourquoi ne l’avait-elle pas tuée pendant qu’elle était inconsciente ?
Elle secoua la tête, abasourdie par autant de questions qui la paralysait. Elle se dirigea vers sa radio en surveillant Khoée du coin de l’œil, et transmit les derniers évènements à son supérieur.
Le haut-parleur grésilla furieusement : « Vous êtes blessée !? A vous ! »
– Rien de grave mon Lieutenant, elle avait l’air plus terrorisée que réellement agressive, je pense que cette attaque était une réaction due à son instinct. Mes blessures sont superficielles, elle m’aurait tuée si elle avait voulu. A vous.
– Son instinct ? Elle n’est pas comme nous ? Vous m’aviez transmis des analyses qui ne montraient rien d’anormal. Et comment ça elle aurait pu vous tuer ? Il me faut des informations plus claires, concentrez-vous. Qu’a-t-elle dit ? A vous, répondit Ed d’une voix dure.
– J’ai peut être fait une erreur dans mes analyses, j’ai dû manquer quelque chose. Elle n’a prononcé que des cris, elle ne semble pas connaitre de mots, ou alors je ne connais pas ce langage. Sa position ainsi que ses mouvements sont étranges, elle semble secouée de spasmes. Je pense à un choc post traumatique. J’ai également envisagé la possibilité qu’un second agent pathogène se développe. A vous.
– C’est une possibilité en effet, souffla le Lieutenant-Colonel, qu’avez-vous envisagé par rapport au sujet ? A vous.
– J’ai envisagé de vous transmettre les informations et d’attendre vos ordres, actuellement elle n’est pas agressive, elle est dans un coin de la pièce comme un chien battu. A vous.
Ed soupira, et marqua un long temps de silence.
« Vous refaites des analyses, vous me les renvoyez, si elle est Déformée, vous la tuez. Si vous détectez un autre pathogène, vous la tuez, et vous poursuivez vos études sur votre sujet une fois neutralisé. Des questions ? A vous. »
– Lieutenant, si cette personne est en état de choc post traumatique, la supprimer nous priverait d’informations, s’indigna Liz. A vous.
– Actuellement, c’est le post choc traumatique supposé -il appuya fortement ce mot- qui nous prive d’informations, dont on ignore par ailleurs l’importance. Si elle n’est pas agressive, vous pouvez essayer de la faire reparler, mais j’ai peu d’espoir concernant cette solution. Je ne peux qu’aiguiller votre choix, au vu des circonstances. Une initiative personnelle à me soumettre ? A vous.
Liz marqua en temps de pause, puis reprit.
– Je demande une semaine pour faire la réunion, en parler à l’équipe, refaire mes analyses et attendre un possible rétablissement du sujet. A vous.
– Semaine accordée. Terminé, répondit Ed d’un ton sec.
– Reçu, terminé, conclut timidement Liz.
La semaine passa bien trop vite pour que Liz arrive à comprendre quoi que ce soit aux analyses de sa patiente. En effet, elle avait comparé à nouveau le génome de Khoée avec un génome Déformé, et elle ne présentait aucune mutation due au pathogène. Même après des tests avec une cinquantaine d’échantillons Déformés, ses analyses étaient bonnes. Liz savait qu’elle avait affaire à quelque chose d’inconnu.
Elle compara alors son propre génome avec celui de sa patiente. A première vue, rien ne semblait poser de problème. Elle était Normée. Elle passa des nuits entières à essayer de comprendre quelle était la différence entre son génome et celui de son sujet, qui ne présentait pas de signes de rétablissement au niveau cognitif. Elle était toujours apeurée, mais tentait de communiquer avec Liz, en émettant des petits cris dont l’Exploratrice ne comprenait pas le sens, s’il y en avait un. Liz ne l’avait pas enfermée, ou entravée à nouveau. L’expérience de ses cris horribles l’avait convaincue de laisser Khoée déambuler sur le ballon-sonde, de toute manière, elle ne pouvait pas s’échapper, leur véhicule étant situé à plusieurs centaines de mètres du sol. Elle avait récupéré quelque uns de ses cheveux coupés très courts, ce qui lui avait permis de refaire des analyses ADN sans avoir à reprendre du sang à son sujet. Elle avait été rasée, ce qui indiquait un lien certain avec quelqu’un d’humain, qui l’avait probablement abandonnée.
Ce fut la veille de la réunion que Liz trouva la réponse à ses questions. Le chromosome 15 était porteur d’une anomalie. Deux gènes étaient absents, ce qui avait eu pour conséquence de faire muter d’autres gènes de cette partie du chromosome. La seule explication de cette délétion des gènes était une maladie génétique.
Elle n’était pas Déformée, seulement atteinte d’une pathologie rare, surement inconnue. Ce qui n’avait aucune utilité pour le Lieutenant-Colonel, ou le reste de son équipe. Il n’y avait pas de risques de contamination, une pathologie génétique n’est pas contagieuse. Mais les ordres étaient clairs, l’Equipe en avait décidé ainsi. Liz devait l’abandonner à une mort certaine. Les Explorateurs se devaient d’être des soldats raisonnables, quels que soit les sacrifices à faire pour accomplir leur mission, mais Liz rechignait. Quelque chose n’allait pas.
Elle avait déjà tué, enlever la vie faisait partie de leur entrainement. Cependant, elle sentait que le regard profond de cette fille cachait bien plus de choses qu’elle devait comprendre et étudier. Etudier cette pathologie n’allait pas constituer un fardeau, mais plutôt une nouvelle mission. Après tout, elle était complètement capable de travailler sur l’élaboration d’un traitement à cette pathologie.
Sa mission d’Exploratrice constituait une énorme part d’observation et de prises de photos, pour ensuite en faire des cartes sur lesquelles étaient visibles des zones de vie, de mort, de danger et de ressources exploitables. Rien ne l’empêchait de travailler sur le génome de Khoée en plus.
Et s’il était possible qu’elle parle ? Et si elle détenait des informations capitales, et que cette maladie était une manière de crypter un être humain, pour qu’il ne puisse pas parler ? Des faits similaires lui avaient été rapportés à la Suspendue, quelques mois plus tôt, et il était certain que quelqu’un avait été en contact récemment avec Khoée.
Il y avait son collier, et le fait qu’elle avait été rasée, qui constituaient des éléments flagrants de contacts. Restait à trouver qui l’avait abandonnée, et pour cela, il fallait qu’elle parle.
Elle saisit de nouveau la radio, presque tremblante.
« Exploratrice Liz, unité C, au rapport mon Lieutenant. Je vous envoie les analyses complémentaires de mon sujet. Elles mettent en évidence une pathologie génétique rare, ou inconnue. J’ai éliminé le sujet par conviction qu’il n’était pas utile. Terminé. »
Elle reposa le micro rapidement, le visage blême. Elle se retourna lentement vers Khoée, les yeux dans le vide. Elle venait de désobéir pour la première fois à un ordre du Lieutenant.
*******
L’aube se levait à présent, projetant ses couleurs verdâtres striées de rouges orangés acides entre les roseaux immenses de la Forêt Aquatique.
Les panneaux solaires du ballon-sonde brillèrent de mille feux lorsque qu’il changea de cap pour faire route vers le Grand Désert.
Il était magnifique. Dire que les premiers ballons sondes n’étaient que des petites alvéoles blanches capables de monter à seulement quelques centaines de mètres de hauteur, pensa Liz.
C’était à peine croyable à la vue de l’hexagone volant de plus de cinquante mètres de diamètre, soutenu par un ballon immense, lui-même relié à un petit ballon, qui servait de sonde.
Deux compartiments distincts à l’allure de bungalows étaient les seuls endroits habitables du ballon-sonde. Un pour vivre, avec une cuisine, un lit, un bureau, des toilettes, une salle de bain, le tout regroupé dans une douzaine de mètres carrés. Le second compartiment était bien plus imposant. C’était le labo, là où elle recevait les photos émises par l’appareil surpuissant, de sa propre création, placé sous la plateforme. Des piles de notes étaient entassées sur le bureau, et le tableau blanc était recouvert d’algorithmes.
Fioles, microscopes, scalpel, kits de survie, journal de bord, table d’opération : tout dans ce qui composait sa vie d’Exploratrice était dans ce compartiment du ballon-sonde. Une sorte de jardin secret pour scientifique, éclairé par un néon bleuté.
La plateforme était bardée de plusieurs rangées de panneaux solaires et lunaires, servant à l’alimentation de la flamme. La chaleur reçue par les panneaux solaires était transmise au système d’allumage, qui chauffait un enduit inflammable, et dont l’intensité était contrôlée par un système de soufflets, ce qui permettait au ballon de flotter à une hauteur d’une dizaine de kilomètres. Une immense turbine, dirigée par un gouvernail, située sous la plateforme lui permettait également de se déplacer assez précisément pour éviter les incroyables végétaux de la Forêt Aquatique.
Tout ici était immensément grand. Les plus hauts bâtiments de l’Ancienne faisaient pale figure devant ces végétaux si imposants que certains couvraient le ciel sur des dizaines de kilomètres carrés. Les arbres aux branches dures comme la roche, ornés de leurs feuillages aux allures préhistorique, regorgeants d’espèces animales encore inconnues et de fruits mutants laissèrent bientôt place à l’immense étendue émeraude qui faisait face à Liz et Khoée.
L’océan Atlantique avait maintenant un autre nom, qu’il portait à merveille : L’Antique. Une ruine d’océan. Une étendue d’eau poussiéreuse et si opaque que la lumière du soleil ne passait pas au travers. Sa couleur verdatre lui donnait un aspect si fantomatique que de nombreuses histoires glaçantes sur des navires aux allures de carcasses flottantes, habitées par des silhouettes aux airs de morts-vivants étaient souvent racontées par les adolescents de La Suspendue pour se faire peur.
Liz avait eu la chance d’apercevoir de très rares formes de vie sur L’Antique, grâce à son appareil. Bien que la surface de l’eau soit trouble, et que les informations sur les créatures marines étaient extrêmement limitées, des créatures semblables à des lions de mer, très élancés, à la manière des lévriers, avec un pelage noir, semblaient avoir établi une colonie près de la Vielle Ile, et se reposaient sur les rochers.
La nuit était belle, sans nuages. Elle semblait être une des seules choses immuables de cet univers. Un drap noir enveloppait tout, et, au fur et à mesure que les derniers rayons du soleil disparaissaient derrière l’horizon, le ballon-sonde atteignait peu à peu le rivage du Grand Désert. L’eau verte s’était transformée en un marais teinté d’orange. A certains endroits, des épaves de porte-avions rouillés recouverts de vase perçaient la surface de l’eau pour finir par être recouverts de mousse brune et de champignons. Liz avait également repéré des espèces de crustacés exceptionnellement grandes sur certaines de ces rives, malheureusement, sa mission n’était pas de ramasser des crevettes géantes pour les étudier.
Elle avala la capsule de nourriture hebdomadaire avec son café, et se posa à son poste d’observation matinal, songeuse. Khoée ouvrit un œil, et manqua de tomber du hamac que lui avait fabriqué Liz.
« Héhai…popeupeupa. » Lacha Khoée à voix basse, visiblement mal réveillée.
– Tiens, prend ton café, répondit Liz en la servant.
Khoée se frotta les yeux, puis saisit le café des deux mains, pour que ses mouvements incontrôlés ne le renverse pas, et vida sa tasse d’une traite, en essayant de refreiner ses tremblements. Elle reposa la tasse d’un mouvement sec, et tourna son attention vers l’Exploratrice plongée dans ses pensées.
La radio crépita.
« Message à tous les Explorateurs ! Les Déformés n’attaquent pas la Citadelle, mais des campements ont été érigés dans la zone explorée, et ont été repérés ce matin par des habitants du Fourbi. La Centrale à subit une attaque, et essuyé de lourdes pertes malgré avoir réussi à faire battre en retraite les Déformés, il apparait que nous n’étions pas préparés convenablement face à la menace réelle. Ils n’ont pas véritablement de formation militaire, mais sont plus nombreux, et très agressifs. N’allez pas vers la Citadelle, ou la Centrale. Je répète. Interdiction formelle de s’approcher de ces deux Cités Etats. »
Ed marqua un temps de pause.
« Exploratrice Liz. Vous devez retrouver Marcus coute que coute, les informations qu’il détient sont capitales. Personne ne comprend ce qu’il se passe, les dirigeants de la Centrale sont aux abois, et la cité n’est pas prête pour un siège, ça pourrait mal tourner. La Citadelle refuse d’envoyer ses troupes et préfère protéger le Fourbi face à la menace éventuelle. Dans combien de temps serez-vous sur zone ? A vous. »
– Sur zone dans quatre heures mon Lieutenant. A vous.
– Des que vous localisez Marcus ou quelque chose de suffisamment suspect pour mériter une intervention, vous transmettez l’information. Vous aurez de nouveaux ordres suivant l’évolution de la situation. Terminé.
– Bien reçu mon Lieutenant. Terminé.
La voix tendue de son supérieur n’annonçait rien de bon.
Lorsque le Grand Désert apparut, le paysage chaotique confirma les inquiétudes de Liz.