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catégories: dystopies-science-fiction
Chapitre 1 Noir. Tout était noir. Dans le silence absolu, Marie entendait des personnes murmurer son nom à son oreille. Elle aurait aimé leur répondre mais elle n'arrivait pas...
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Chapitre 1
Noir. Tout était noir. Dans le silence absolu, Marie entendait des personnes murmurer son nom à son oreille. Elle aurait aimé leur répondre mais elle n’arrivait pas à ouvrir les yeux. Que se passait-il ? Marie ne se souvenait pas de grand-chose. Elle était allongée sur un matelas extrêmement dur et elle sentait quelque chose à l’intérieur de son nez qui la dérangeait. Elle sentait une main serrer la sienne et une femme semblait pleurer en l’appelant. Avec toute la volonté qu’elle put rassembler, Marie finit par ouvrir doucement les yeux. A ce moment, une femme blonde, les yeux cernés et rougis, se pencha sur elle et lui dit :
– Marie, ma chérie ! Enfin ! Tu es réveillée !
La femme se tourna sans lâcher la main de Marie et se mit à crier :
-S’il vous plaît, un médecin !
Marie ne comprenait pas. Qui était cette femme ? Et pourquoi criait-elle ainsi ? La femme se tourna de nouveau vers elle et lui sourit tendrement.
– Je suis si contente que tu sois enfin réveillée, ma chérie. Tu nous as fait très peur, tu sais. Comment te sens-tu ?
Marie allait ouvrir la bouche quand un homme à la peau mate et aux cheveux noirs pénétra dans la chambre. Il abordait un grand sourire et lui dit :
-Alors, princesse, on fait des frayeurs à son vieux père ?
Marie ne savait pas quoi répondre. En fait, Marie ne reconnaissait pas ces gens qui, si elle avait bien saisi, étaient ses parents. Un médecin arriva et lui aussi souri aussi. Il s’approcha d’elle, vérifia ses constantes sur les appareils installés à côté de son lit, et se mit à parler à Mr et Mme Torres. Marie avait entendu le médecin prononcer leur nom. Après quelques minutes de discussion, les trois personnes revinrent vers la jeune fille qui restait toujours silencieuse. La femme lui demanda de nouveau comment elle se sentait. C’est là que Marie répondit avec étonnement :
-Qui êtes-vous ? Sur ses mots, les yeux de la femme s’agrandirent et elle porta la main sur sa bouche grande ouverte. L’homme qui l’avait appelé princesse fronça les sourcils et se tourna sur le praticien en quête d’explication. Le médecin se rapprocha de Marie. Gentiment, il se mit à lui poser des questions.
-De quoi te souviens-tu ? Tu sais comment tu t’appelles ? Tu sais ce qu’il t’est arrivé ?
Marie ne savait pas quoi répondre à part qu’elle se souvenait de son prénom. Le reste semblait plongé dans le noir. Non, elle ne savait pas qui étaient ces gens, et non elle ne savait pas comment elle avait fini à l’hôpital. Voyant son regard se remplir de larmes, le médecin laissa la jeune fille se reposer et demanda aux parents s’ils pouvaient le suivre dans le couloir. Se retrouvant seule, Marie essaya vainement de faire remonter les souvenirs mais, pour l’instant, rien ne lui venait.
Pourtant, elle éprouvait une peur intense et inexpliquée, comme si elle se sentait menacée par quelque chose de maléfique. Elle se sentait comme épiée, surveillée par quelque chose ou quelqu’un qu’elle ne pouvait pas voir. Elle essaya de calmer son angoisse en se disant qu’elle devait imaginer tout ça et que son état psychologique devait être la conséquence de la raison de son hospitalisation.
Pendant que ses parents parlaient au docteur, Marie essaya doucement de se redresser sur son lit mais dès qu’elle se souleva, sa tête se mit à tourner et l’envie de vomir se fit sentir. Elle se recoucha et porta doucement la main sur sa tête. Elle sentit alors un énorme bandage. Elle avait dû se blesser et se fracturer le crâne. Cela expliquait peut-être pourquoi elle ne se souvenait de rien. Tournant lentement la tête vers le couloir, elle vit ses parents revenir dans la chambre. Ils semblaient inquiets. Sa mère s’installa dans un fauteuil à côté de sa table de chevet et son père vint s’asseoir à l’autre bout du lit. Ils la regardèrent un instant sans rien dire et Marie commença à se sentir mal à l’aise.
-Que se passe-t-il ? demanda-t-elle.
Son père la regarda d’un air inquiet et soupira.
-Marie, tu as fait une mauvaise chute chez ton amie Amélie. Sa mère nous a raconté qu’elle avait entendu crier dans la chambre de sa fille et qu’elle t’avait trouvé étendue sur le sol et que tu saignais à l’arrière de la tête. Amélie lui aurait dit que tu t’étais prise les pieds dans le tapis de sa chambre et que tu serais tombée en arrière. Elle a essayé de te rattraper mais elle n’a pas été assez rapide. Ta tête a cogné contre le coin de son bureau. Comme tu ne reprenais pas connaissance, sa mère a appelé une ambulance et est venue nous prévenir. A ton arrivée, tu es tombée dans le coma. Nous avons prié tous les jours, ta mère et moi, pour que tu nous reviennes. Nous sommes heureux que tu sois enfin réveillée. Quant à ton amnésie, le docteur pense que c’est consécutif à la fracture crânienne que tu as subie. D’après lui, ta mémoire pourrait revenir n’importe quand. Tu es quand même restée un mois dans le coma. Il te faudra du temps pour récupérer. Mais je suis sûr que tout ira bien, je te le promets.
Marie ne savait pas quoi dire. Elle ne se souvenait pas de sa mésaventure et encore moins d’une certaine Amélie. Pourtant, ce nom résonnait comme un écho dans sa mémoire. Mais quand elle essaya de se rappeler d’où elle le connaissait, le souvenir semblait s’éloigner. Marie soupira d’exaspération. Sa mère la rassura en lui disant qu’elle était sûre que les choses reviendraient à la normale en temps voulu et que pour l’instant Marie devait se reposer. Voyant que leur fille semblait fatiguée, Arturo et Evelyne décidèrent de rentrer à la maison en promettant à Marie de revenir le lendemain matin. Ils étaient épuisés, ayant veillé leur fille depuis son accident. Ils l’embrassèrent tendrement et sortirent de la chambre.
Se retrouvant de nouveau seule, Marie regarda autour d’elle. Son visage pâle se reflétait sur la vitre de sa chambre. Elle regarda par la fenêtre un moment et sentit qu’elle allait de nouveau s’assoupir. Au moment où elle se sentait envahir par le sommeil, un mouvement derrière la vitre attira son attention. Marie se concentra sur ce mouvement et finit par comprendre ce qu’elle voyait. Derrière la vitre, un visage blafard avec un sourire effrayant l’observait, immobile, l’air de la narguer. Marie était tétanisée. Elle ferma les yeux très forts, en priant pour que ce ne soit qu’une hallucination. Quand elle les rouvrit, le visage avait disparu. Soulagée, elle regarda encore un moment la vitre mais, mis à part le soleil couchant, elle ne distinguait plus rien. Elle finit donc par s’endormir.
La salle d'étude était vide. Chargée de ses cours, Marie Torres s'avançait doucement dans la pièce. Elle aimait faire ses devoirs dans ce lieu silencieux, propice à la réflexion. L'année...
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La salle d’étude était vide. Chargée de ses cours, Marie Torres s’avançait doucement dans la pièce. Elle aimait faire ses devoirs dans ce lieu silencieux, propice à la réflexion. L’année dernière, elle avait réussi avec succès sa sixième année et était maintenant inscrite au Collège Notre Dame de la Grâce, section littéraire. Son aventure de l’an dernier n’avait en aucun cas entamé son enthousiasme pour l’écriture, bien du contraire. Après sa victoire au concours des écrivains en herbe, elle avait passé une partie de l’été à écrire de nombreuses nouvelles, ce qui lui avait laissé peu de temps à passer avec sa meilleure amie, Amélie. Bien sûr, elles passaient encore du temps ensemble, mais leur relation avait évolué vers une amitié un peu plus distante. Marie mettait ça sur le compte de son art mais Amélie avait trouvé son amie changée depuis l’histoire des gitans. Donc, bien qu’inscrite à la même école, elles ne passaient plus tout leur temps libre ensemble, Amélie s’étant inscrite dans la section informatique. Marie aurait pu faire ses devoirs à la maison, l’école se trouvant seulement à deux kilomètres de son domicile, mais depuis son intérêt pour ses racines gitanes, sa relation avec ses parents était un peu tendue. Eux qui avaient tout fait pour ne plus avoir affaire avec ce monde voyait leur fille s’y intéresser un peu trop à leur goût. A peine passé la porte de la maison, son père revenait sans arrêt au même sujet: son intérêt excessif sur les gitans et surtout sur leur magie. Deux semaines après la rentrée scolaire, ils avaient eu une énorme dispute. C’était un samedi matin. Évelyne, la mère de Marie, avait fait le ménage dans la chambre de sa fille. Passant l’aspirateur sous son lit, elle avait découvert une petite boîte en bois sculptée de drôle de symboles et y avait trouvé des objets bizarres, ainsi qu’une panoplie de mèches de cheveux enroulés dans de petits rubans, et un grimoire effrayant avec un diable sur la couverture. Elle en avait parlé à Arturo, le père de Marie. Monsieur Torres, découvrant le contenu de la boîte, s’était mis dans une colère noire et avait eu une terrible dispute avec Marie. Elle tenta de lui expliquer que ce n’était que de la curiosité, sans plus, mais son père ne le voyait pas du même œil. Étant catholique, son père lui avait intimé de se débarrasser de ces objets sans attendre. Pour calmer la situation, Marie s’était débarrassée de la boîte, mais elle ne l’avait pas jetée, évidemment. Elle s’était contentée de la cacher dans le fond de son casier d’école. Depuis, ses parents surveillaient ses moindres faits et gestes, à la recherche de la plus petite trace de rituel de magie gitane. Marie avait pensé qu’ils seraient plus compréhensifs à ce sujet, mais son père avait objecté qu’il y avait une sacrée différence entre s’intéresser à ses racines et pratiquer la magie. N’ayant rien à objecter, Marie avait décidé de laisser son drôle de passe-temps un peu de côté et de se concentrer sur ses études. Elle s’installa au dernier banc, étala ses cours et commença ses devoirs. Son ancien professeur, Monsieur Basselier, lui avait conseillé de continuer dans l’écriture car elle avait un don exceptionnel dans ce domaine. Son nouveau professeur, par contre, la trouvait moyenne, à la limite du médiocre. Marie ne le supportait pas! Ce monsieur Lewis et son air supérieur! Toujours à critiquer, à vous rabaisser en public! Mais Marie n’avait pas l’intention de le laisser gagner. Elle lui prouverait qu’elle pouvait être une excellente romancière et ne s’arrêterait pas tant qu’il n’aurait pas reconnu son erreur à son sujet. Plongée dans ses réflexions, elle n’entendit pas la porte s’ouvrir. Une main se posa sur son épaule et Marie sursauta. C’était Amélie. Son amie lui sourit: – Je t’ai bien eue! dit-elle en s’esclaffant. -Ha!ha!ha! lui répondit Marie sur un ton maussade. Très drôle, Amélie. Mais là tu vois, je travaille. Amélie s’installa sur la chaise à côté en soupirant. – Tu n’es pas drôle, Marie. Avant toute cette histoire, on riait toujours ensemble. Aujourd’hui, je n’arrive plus à t’arracher un seul petit sourire. Qu’est-ce qu’il t’arrive? Tu sais, tu peux tout me dire. Tu es toujours ma meilleure amie! Tu le sais, non? Marie soupira et posa son stylo. Elle aurait bien voulu expliquer à Amélie les disputes continuelles qu’elle avait avec ses parents, mais elle savait pertinemment qu’Amélie leur donnerait raison. Elle l’avait elle-même mise en garde contre ce genre de pratique lorsque Marie lui avait montré sa boîte à malice l’été dernier. C’est pourquoi elle lui répondit: – T’inquiète pas, tout va bien. C’est juste ce nouveau prof, ce Lewis. Je ne le supporte pas! Monsieur je-sais-tout qui sait et fait mieux que tout le monde! Je lui ai rendu l’histoire avec laquelle j’ai gagné le concours et il m’a juste répondu qu’ici on était plus à la maternelle. Quel culot! Je sais que ce n’était pas du Stephen King, mais quand même, il exagère!
– Et si tu t’accordais une petite pause, proposa Amélie. Viens chez moi ce soir! On est vendredi, c’est la soirée de l’étrange sur Sy Fy. Tu sais, ça me manque un peu, nos soirées pyjamas. Marie regarda son amie, les larmes aux yeux. – A moi aussi, tu sais. Mais depuis cette histoire, ma vie a changé du tout au tout. Je ne sais même plus qui je suis vraiment. Je suppose qu’une petite pause me ferais du bien.
Amélie se leva et attrapa son amie par les épaules, la serrant fort contre elle. -Amies pour la vie? Demanda-t-elle. -Amies pour la vie, lui répondit Marie. Elle ramassa ses affaires, les mis dans son sac et emprunta le chemin du retour avec son amie, riant et s’amusant, comme autrefois. Marie était soulagée de voir que rien n’avait changé entre elles.
Il faisait nuit noire. Dans sa chambre, petite mais cosy, Marie avait du mal à trouver le sommeil. Demain, elle allait enfin pouvoir réaliser le rêve de sa vie. Cela...
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Il faisait nuit noire. Dans sa chambre, petite mais cosy, Marie avait du mal à trouver le sommeil. Demain, elle allait enfin pouvoir réaliser le rêve de sa vie. Cela faisait six ans maintenant qu’elle s’entraînait pour être la meilleure écrivaine de son école. Son ordinateur, en état de veille, vieil ami de longue date sur lequel elle avait enregistré tant d’histoires, illuminait la pièce de sa douce lueur bleutée. Enfin le concours des sélections pour le meilleur écrivain scolaire arrivait. L’événement tant attendu! Son récit était terminé depuis une semaine déjà, mais elle n’avait pas pu s’empêcher de le lire et le relire, scrutant chaque mot à la recherche de la moindre faute d’orthographe, du moindre mauvais accord de grammaire et fini par le trouver acceptable. Ho! bien sûr, elle avait toujours été douée pour écrire des histoires, et elle en avait publié quelques-unes dans le petit journal local de son lycée, mais rien de bien exceptionnel. C’est pourquoi elle attendait beaucoup de ce concours et espérait bien être remarquée par les représentants des maisons d’éditions de la région.
Amélie, sa meilleure amie, la seule d’ailleurs qui avait eu le privilège de lire ses écrits jusqu’à présent, l’avait rassurée à nombreuses reprises, lui assurant qu’elle avait un talent naturel pour captiver les lecteurs, les plonger dans ses histoires fantastiques, et lui avait assuré qu’elle allait certainement gagner haut la main le concours. Sur ces pensées rassurantes, elle finit par s’endormir et fit un rêve étrange. Dans ce rêve, une vieille dame lui conseillait de ne pas participer à ce concours et que si elle le faisait, une malédiction tomberait sur sa famille. Au moment où Marie allait lui demander ce qu’elle entendait par là, la sonnerie de son réveil lui annonça qu’il était temps de se lever.
Elle s’assit doucement sur son lit et chaussa ses pantoufles. Quel drôle de rêve… et cette étrange vieille femme… Au rez-de-chaussée, sa mère lui cria que le déjeuner était servi. Marie s’habilla rapidement et descendit les escaliers en courant, le concours occupant de nouveau son esprit, le rêve déjà oublié.
-“Tu as bien dormi ma chérie?”, lui demanda sa mère en lui servant une énorme assiette de crêpes fourrées à la myrtille, ses préférées. La bouche déjà remplie, Marie lui fit signe que oui. Son manuscrit, enfermé dans sa sacoche préférée, attendait sur le meuble d’entrée et Marie n’avait qu’une seule envie, s’en emparer et courir jusqu’à l’arrêt de bus où l’attendait Amélie. Sans finir son repas, elle salua ses parents, attrapa son sac et couru jusqu’à l’entrée, quand sa mère l’appela. Pressée, la main sur la poignée de la porte d’entrée, Marie l’entendit lui rappeler que son père et sa mère sortaient ce soir et que s’ils n’étaient pas encore rentrés quand elle reviendrait du collège, elle pouvait rester en compagnie d’Amélie. C’est vrai qu’en plus d’être meilleures amies depuis la maternelle, elles étaient aussi voisines, ce qui était très pratique pour les soirées pyjamas. Dehors, le soleil éclatant était annonceur d’une très belle journée. Marie se sentait bien et quand elle rejoignit son amie, elle avait un grand sourire aux lèvres et serrait son sac contre elle comme s’il contenait un trésor précieux.
– Je suppose que c’est ton chef-d’œuvre, lui dit Amélie en souriant. Devant le regard maussade que Marie lui jeta, Amélie s’empressa d’ajouter : – Je plaisante Marie, je sais que ce concours représente beaucoup pour toi! Tu verras, tout se passera bien.
Marie retrouva instantanément le sourire. Elle était excitée mais aussi très anxieuse. Le bus se faisait attendre. Marie se rappela soudain le rêve qu’elle avait fait cette nuit. Elle décida de le partager avec son amie et lui demanda ce que cela pouvait bien signifier. – Je ne sais pas trop, dit Amélie. Je suppose que ça doit être le stress du concours. En tout cas, c’est étrange comme rêve. A ce moment-là, le bus arriva et les filles s’installèrent à leurs places habituelles, tout au fond du véhicule. Là, elles pouvaient parler de tout sans se faire entendre de personne. Marie restait songeuse. Ce rêve était si bizarre et pourtant le visage de la vieille femme lui avait paru familier, alors qu’elle ne connaissait personne d’autres de sa famille que ses propres parents. En effet, les parents de la jeune fille lui avaient dit que leurs parents respectifs n’étaient plus de ce monde et ce bien avant sa naissance. Elle ne savait rien de plus sur leurs origines même si elle avait remarqué qu’avec ses cheveux noir ébène et sa peau mate, elle était un peu différente des filles de son école et de son quartier.
Le collège était en vue et Marie et Amélie sortirent du bus en saluant monsieur Vittorio, le gentil retraité qui assurait la sécurité du passage piéton pour les élèves de l’école. Marie le connaissait depuis la maternelle mais elle n’avait jamais réalisé à quel point monsieur Vittorio lui ressemblait. Il avait les mêmes cheveux sombres et le même teint mat qu’elle-même. S’arrêtant au milieu du passage piéton, elle s’approcha du retraité. Monsieur Vittorio, voyant la fillette s’approcher, leva son panneau “STOP” et l’entraina vers le trottoir. -Marie! Tu devrais être plus prudente, lui dit-il doucement. La route est dangereuse. Marie lui sourit timidement. -Monsieur Vittorio, puis-je vous poser une question ? Le vieil homme la regarda, étonné mais l’invita à s’exprimer. De quelle origine êtes-vous ? J’ai remarqué certaines similitudes entre nous et je me demandais si peut-être nous partagions des origines communes. Monsieur Vittorio lui sourit et lui répondit que oui, effectivement, ils se ressemblaient. Il lui apprit qu’il n’avait pas vraiment de nationalité car il était de descendance gitane, mais que sa famille venait d’Espagne. Marie allait lui demander ce qu’était un gitan quand la sonnerie du collège retentit. Amélie lui tira sur le bras et l’entraîna à l’intérieur du bâtiment. -Dépêche-toi Marie! Le concours commence dans dix minutes! Ce n’est pas le moment d’être en retard! Elles se rendirent en courant dans la salle de conférence du collège et arrivèrent au moment où le professeur du club d’écriture, Monsieur Basselier ouvrait les portes de la salle. – Bonjour les filles, dit-il. Alors Marie, prête pour le grand jour ? Marie, souriante, lui assura qu’elle était “boostée à bloc”, ce qui fit rire le professeur. La grande salle était vivement éclairée et Marie et Amélie remarquèrent que les représentants des maisons d’éditions étaient déjà installés à la place des jurys. Devant le regard effrayé de Marie, Amélie la rassura une nouvelle fois. – ça va aller Marie, ton histoire est parfaite. La meilleure que tu aies écrites jusqu’à présent. Alors, relax. Marie se détendit un peu et alla s’installer au premier rang, d’où elle pouvait voir le podium. La place idéale, personne pour lui boucher la vue. De là, elle pourrait entendre les résultats du concours sans le brouhaha habituel que faisaient la plupart des élèves de son école. Amélie s’installa à ses côtés et lui serra la main en signe de soutien. Les élèves et les professeurs affluèrent dans la salle et bientôt plus un siège ne fût libre. Le directeur de l’école, Monsieur Smith, monta sur l’estrade, régla le micro et entama son discours. -Bonjour messieurs du jury, mes chers professeurs et bonjour à vous tous, chers élèves du collège Notre Dame des Grâces! Bienvenue à notre grand concours des écrivains en herbes. Dans quelques instants, chaque participant pourra présenter son histoire au jury ainsi qu’à notre public et le grand gagnant se verra récompensé par l’édition de son histoire dans la maison d’édition de son choix. Bonne chance à tous!
Le public applaudit et le directeur commença l’appel. Marie était la dernière sur une liste de dix participants. Elle respira profondément. Au moins, elle ne passait pas la première. Un jeune garçon blond s’avança et commença son récit qui relatait d’une étude primaire sur la guerre de Sécessions et Marie se détendit en écoutant sa voix monotone, tandis qu’il débitait son histoire. Elle finit par s’endormir et refit le même rêve dans lequel la vieille dame la mettait en garde. Puis, au lointain, elle entendit quelqu’un crier son nom ; -Hein ? Elle sentit qu’on lui secouait le bras et elle ouvrit les yeux. C’était Amélie. – Marie! C’est ton tour. Marie, paniquée, se leva d’un bond et courut jusqu’au podium et failli même tomber sur la première marche. Elle se rattrapa de justesse et se rendit devant le micro. La public, attentif, attendait qu’elle raconte son histoire. Sur son siège Amélie leva les deux pouces en signe d’encouragements. Marie prit une profonde inspiration et commença donc son récit. Elle n’en était pas encore à la moitié qu’un étudiant s’effondra soudain dans la salle, prit de convulsions. Le directeur, ainsi que les professeurs se précipitèrent vers le jeune homme. Il était pris de spasmes et avait les yeux retournés. Il poussait des cris perçant de douleurs et du sang se mit à lui sortir des oreilles. – Appelez donc une ambulance! s’écria Monsieur Basselier qui soutenait la tête de l’élève pour éviter qu’il ne se blesse. Tous les élèves étaient rassemblés autour du jeune homme et les regards étaient inquiets. Les professeurs firent évacuer la salle et le directeur, ainsi que les membres du jury restèrent auprès de l’élève souffrant. Il avait arrêté de hurler mais sanglotait en se plaignant que ses oreilles le faisaient souffrir.
L’ambulance arriva dans l’allée du collège et le jeune homme fut emmené à l’hôpital, sous les regards médusés des autres élèves. Marie, tétanisée, était restée sur le podium, son manuscrit pendant au bout de la main. Que s’était-il passé ? Amélie rejoignit son amie et l’emmena dans la cour principale. -Pauvre garçon, dit cette dernière. Je n’ai jamais rien vu de si horrible. Et ces cris! Je pense que je vais en faire des cauchemars cette nuit. Marie ne répondit pas. Elle était toujours choquée par ce qu’il venait de se produire. Tout allait à merveille et au moment précis où la gloire était à sa portée, cette catastrophe était arrivée. Elle n’avait même pas eu le temps de lire son histoire jusqu’au bout. Bien sûr, elle était désolée pour son camarade de classe, mais elle était aussi déçue car à cause de cet imprévu, le concours allait certainement être annulé, sinon reporté. Décidément, la journée ne s’annonçait pas aussi belle qu’elle l’avait imaginé.
La boite Marc avait toujours été fasciné par les objets anciens et mystérieux. Il aimait chiner dans les brocantes et les vide-greniers à la recherche de trésors cachés. Un jour,...
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La boite
Marc avait toujours été fasciné par les objets anciens et mystérieux. Il aimait chiner dans les brocantes et les vide-greniers à la recherche de trésors cachés. Un jour, il tomba sur une petite boîte en bois sculpté, ornée de symboles étranges. Le vendeur lui dit qu’elle venait d’un pays lointain et qu’elle était très ancienne. Il lui demanda 10 euros pour la boîte. Marc n’hésita pas et sortit son portefeuille.
Il rentra chez lui, impatient de découvrir ce que contenait la boîte. Il la posa sur la table du salon et l’examina attentivement. Il remarqua qu’il y avait une serrure, mais pas de clé. Il essaya de forcer le couvercle, mais il ne bougea pas. Il se dit qu’il devait y avoir un mécanisme secret pour l’ouvrir. Il se mit à chercher un bouton, un levier, une encoche, quelque chose qui pourrait déclencher l’ouverture.
Il passa des heures à manipuler la boîte, sans succès. Il commença à se sentir frustré et obsédé par la boîte. Il ne pensait plus qu’à elle, il oubliait de manger, de dormir, de travailler. Il se renferma sur lui-même, ignorant les appels de ses amis et de sa famille. Il ne voulait plus voir personne, il voulait juste ouvrir la boîte.
Un soir, alors qu’il était seul dans son appartement, il entendit un déclic. Il regarda la boîte et vit que le couvercle s’était entrouvert. Il se précipita vers la table et souleva le couvercle avec fébrilité. Il découvrit alors ce qu’il y avait à l’intérieur : une paire d’yeux humains, qui le fixèrent avec terreur.
Il poussa un cri d’horreur et lâcha la boîte. Il recula en trébuchant sur une chaise et tomba par terre. Il se releva et courut vers la porte d’entrée, mais elle était verrouillée. Il se retourna et vit que la boîte était toujours sur la table, mais qu’elle était maintenant fermée. Il entendit un rire sinistre qui semblait venir de la boîte.
Il comprit alors qu’il avait commis une terrible erreur en ouvrant la boîte. Il venait de libérer une force maléfique qui le condamnait à un sort pire que la mort. Il se mit à pleurer et à supplier, mais il n’y avait personne pour l’entendre.
Bonsoir Didier et merci pour vos conseils. C'est en effet un premier recueil, un premier essai. Il est vrai qu'il n'en est pas encore au stade de la finition. Il y a beaucoup de répétitions et je pourrais développer mes histoires un peu plus. J'ai l'intention de récrire ce livre. Je l'ai mis sur Bookirama pour me faire une idée de l'opinion des lecteurs. Depuis j'ai écris d'autres romans qui sont beaucoup plus travaillé lol. J'aimerais beaucoup avoir votre avis. Bonne soirée.
Didier Roth
19 mars 2024
J'aime bien l'idée de départ, néanmoins comme Christophe Maignan, j'aurais aimé un peu plus de description pour rentrer dans l'ambiance du récit ; pas sur la fin qui est une fin ouverte mais dans le corps du texte (avec par exemple une description de la boîte, ajouter une transition entre l'après midi ou Marc tente d'ouvrir l'objet et son obsession durant les jours suivants. Je trouve également qu'on a une certaine indigestion du mot "boîte" ^^ mode boutade (je te propose de jongler entre objet/artéfact/boîte.
Univers plaisant en tout cas
Isabelle Drumez
15 mars 2024
Bonsoir,
C'est en effet de courts récits. Si je laisse la fin en suspens, c'est pour laisser le lecteur choisir la fin qu'il imagine. Le but de départ était d'en faire un recueil qui aurait pu s'intituler "A votre avis, que se passe-t-il ensuite?" lol. Merci pour votre commentaire.
Christophe Maignan
26 février 2024
Légèrement trop court pour susciter l'angoisse et frissonner, même si j'ai bien compris que c'était dû au format...
Ça aurait mérité d'être un poil plus étoffé.
La prison de verre Derrière le miroir Tome 1 Chapitre 1 Les monstres n’existent pas. Du moins, c’est ce que j’avais toujours cru jusque-là. Mais avant de vous...
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La prison de verre
Derrière le miroir
Tome 1
Chapitre 1
Les monstres n’existent pas.
Du moins, c’est ce que j’avais toujours cru jusque-là. Mais avant de vous conter mon histoire, je dois vous expliquer le contexte dans lequel ma famille est passée d’une charmante bourgade du nom de Bruz en France à une misérable et terrifiante maison de coron située dans un petit village de Belgique. Je m’appelle Michaël Blanchart et, à l’époque, j’étais un adolescent de dix-sept ans passionné d’histoire. J’adorais lire des romans historiques mais j’étais également passionné par le paranormal. Bizarre ? Peut-être, mais j’étais fait ainsi. J’étais aussi très introverti, ce qui n’était pas pratique pour se faire des amis, je l’avoue. Du haut de mon mètre quatre-vingts, j’avais tendance à intimider mes camarades, mais cette impression ne durait pas dès qu’ils se rendaient compte de ma timidité maladive. Le nez toujours dans mes bouquins, je m’étais donc forgé la réputation d’un géant solitaire. Un géant affublé d’une longue chevelure noire, d’un nez aquilin et des yeux bleu azur. Avant de quitter Bruz, j’étais inscrit dans une école catholique privée du nom de Providence. Mon père, Jean Blanchart, Français de naissance, travaillait au Crédit Agricole de Bruz. Il adorait son travail. Malheureusement, m’avait-il expliqué un soir, quand vous êtes performant, et mon père l’était, vous avez des problèmes avec ceux qui veulent en faire le moins possible et vous finissez par les gêner. Dix années ont suffi à mon père pour comprendre que seuls les « piranhas », comme il les appelait, s’en sortaient. Bien que la banque ait mis toute une politique en place pour le bien-être au travail, le bureau des ressources humaines était bien trop éloigné du terrain pour défendre efficacement ceux qui mettaient toute leur énergie et leur temps au service du client. Ainsi, après une décennie d’heures supplémentaires, de pressions quotidiennes et d’exigences de plus en plus sollicitées, mon père avait fini par craquer. Il était rentré un soir, la mine sombre et les yeux rougis, et avait annoncé à ma mère qu’il allait démissionner. Il avait l’air si vieux, si fragile que j’en ai eu le cœur serré. A quarante-deux ans, ses tempes étaient déjà grisonnantes et il paraissait usé. Lui qui avait toujours été d’une nature enjouée, qui aimait rire et était d’un naturel optimiste m’a paru ce soir-là comme éteint. Je me souviens l’avoir vu s’asseoir en silence à la table de la cuisine, mettre son visage dans ses mains et fondre en larmes.
De toute ma vie, je ne l’avais jamais vu dans cet état. Mais il est vrai que quand on est jeune, on ne remarque pas toujours quand une personne va mal. Et comme mon père était toujours de bonne humeur quand il rentrait du travail, je ne m’étais jamais demandé si tout allait bien pour lui en général. J’étais dans le salon en train de faire mes devoirs et je voyais donc la cuisine. Ma mère, qui était en train de préparer le dîner, n’avait pas répondu mais s’était avancée vers mon père et l’avait serré dans ses bras. Il avait l’air si désemparé que j’allais me lever pour le rejoindre mais je vis ma mère secouer la tête, m’intimant de rester à ma place. Tout en caressant doucement ses cheveux, elle le laissa s’épancher dans ses bras et quand ses sanglots se transformèrent en simples reniflements, elle lui donna un mouchoir et le rassura en lui promettant que tout allait s’arranger. Ils trouveraient une solution ensemble, comme ils l’avaient toujours fait. Elle était ainsi, ma mère. Toujours positive, toujours aimante, toujours disponible. Italienne de naissance, ma mère Sylvia Giorno était femme au foyer depuis ma venue au monde. Avant de rencontrer mon père, elle vivait en Belgique, dans un village appelé Péronnes Charbonnage. Elle venait d’une famille nombreuse d’immigrés italiens qui avaient travaillé dans les mines de charbon. Heureusement, c’était bien après l’horrible accident du Bois du Cazier, où plus de deux cent trente mineurs avaient péri dans un incendie souterrain. Son père et sa mère avaient mis tout en œuvre pour scolariser leurs quatre enfants, et quand ma mère eut terminé ses études secondaires, elle décida de s’inscrire aux Beaux-arts de Paris et quitta donc son pays natal pour suivre ses cours, logeant dans un petit appartement partagé avec d’autres étudiants. C’est là qu’elle le rencontra. Il faisait un Master en sciences juridiques et financières. Ils eurent le coup de foudre immédiat. Oui, c’est un peu fleur bleue, mais c’est ainsi que mes parents m’ont toujours raconté leur rencontre. Et quand je les revois dans mes souvenirs, après tant d’années de mariage, je me dis qu’ils avaient raison. Que c’était ça le grand amour. Quand mon père fut enfin calmé, il sembla remarquer ma présence et se força à sourire en me demandant : -Alors, comment tu vas champion ? Comme d’habitude, il essayait de me rassurer. Je me levais et allais l’embrasser. Nous avions une très belle relation, lui et moi. Je lui répondis que tout allait bien et lui retournais la question. Il devait voir l’inquiétude sur mon visage car il se leva et me serra dans ses bras en m’assurant qu’il était simplement fatigué. Une voix se fit entendre à l’autre bout de la maison. Ma mère se dirigea vers la chambre d’amis où se trouvait mon grand-père Antonio, que j’appelais Nonno. Mon grand-père vivait avec nous depuis le décès de sa femme, il y a de cela plus de vingt ans. Je n’ai pas eu la chance de la connaître mais mon Nonno m’en avait si souvent parlé que je me sentais proche d’elle sans l’avoir jamais vu.
D’après ce que ma mère m’avait raconté, sa mère Giulia était partie au marché et sur le chemin du retour, elle avait été percutée par un chauffard qui était sous l’emprise de l’alcool. Le choc l’avait tuée sur le coup. Mon grand-père ne s’en était jamais remis. Et quand il tomba malade, ma mère décida de mettre sa petite maison de coron en location et installa son père chez nous. Je me dirigeais également vers la chambre et vis que mon grand-père était assis dans son fauteuil et regardait ma mère d’un air interrogateur. Il avait dû entendre mon père pleurer et semblait inquiet. Ma mère le rassura et lui demanda s’il voulait se joindre à nous pour le dîner, ce qu’il accepta avec joie. Quand il était dans une de ses bonnes journées, comme il les appelait, il aimait partager notre compagnie autour d’un bon plat et nos conversations étaient assez animées. Lui aussi était un féru d’histoires et il n’était pas rare que je passe la soirée entière à discuter avec lui de tout et de rien mais surtout des sujets qui me passionnaient. Quand il rejoignit la cuisine avec ma mère, mon père se leva instantanément et lui avança une chaise pour qu’il s’y installe. J’aimais voir mon grand-père sourire. C’était plutôt rare à cette époque, son emphysème pulmonaire s’étant aggravé avec les années. Mais malgré ses souffrances, il était solide. Jamais il ne se plaignait et surtout il nous aimait. Rien ne lui faisait plus plaisir que de passer du temps avec nous. Il considérait mon père comme son propre fils et était toujours à l’écoute quand mon père lui demandait conseil. Ce soir-là, nous dînâmes dans la bonne humeur et le repas terminé, ma mère me demanda d’aller finir mes devoirs dans ma chambre. Je me doutais que mes parents voulaient parler de la situation avec mon grand-père donc je pris mon sac de cours, embrassai ma petite famille et montai dans ma chambre. Je laissai néanmoins ma porte entr’ouverte dans l’espoir de capter quelques bribes de la conversation mais ma mère dut se douter de mon stratagème car elle avait refermé la porte menant au salon. Je m’installai donc à mon bureau et entrepris de me concentrer sur mon devoir de mathématiques. Après plus de deux heures d’efforts, je fermai mon cahier et entendis la voix de mes parents souhaiter une bonne nuit à mon grand-père. Ils montèrent à l’étage et j’entendis frapper à ma porte. Mon père et ma mère entrèrent, me demandant si j’avais fini mon travail et m’embrassèrent avant de regagner leur chambre. Ils ne me dirent rien de plus ce soir-là, mais leur expression me faisait dire que notre vie était sur le point de changer. Aujourd’hui, je me rends compte que j’étais loin de savoir à quel point. Plongé dans mes pensées, je me mis en pyjama et allai me coucher. Cette nuit-là, mon sommeil fut rempli de cauchemars mais quand je me réveillai le lendemain, je n’avais plus aucun souvenir de ceux-ci. La semaine qui suivit cette soirée se passa normalement. J’allai à l’école et mon père, ayant écrit sa lettre de démission le soir même où il avait annoncé sa décision à ma mère, était parti au travail pour clôturer certains dossiers qui exigeaient sa présence. Ma mère avait accompagné mon grand-père à l’hôpital pour un examen de routine. Le vendredi, quand mon père rentra à la maison, il me demanda de rejoindre ma mère et mon grand-père dans le salon. Je descendis donc de ma chambre et allai m’installer sur le canapé. Mon père m’annonça qu’au vu de la situation, ils avaient décidé, ma mère et lui, de retourner en Belgique dans la maison de mon grand-père. Mes parents attendaient de voir ma réaction mais je ne savais pas quoi répondre. Devant mon silence, ils m’expliquèrent que leur situation financière ne nous permettait plus de vivre à Bruz et que le temps que mon père retrouve un emploi, mon grand-père lui avait proposé d’aller vivre dans sa maison, ce qui donnerait du temps à mes parents pour se remettre sur pieds.
Voyant que je ne répondais toujours pas, mon grand-père tenta de me rassurer en m’expliquant que la Belgique n’était pas si différente de la France et qu’il était sûr que je serais beaucoup plus épanoui à la campagne. Sincèrement, je n’y voyais pas d’objections. Je leur dis donc que j’étais d’accord et ils parurent tous soulagés, ce qui me fit sourire. Mon grand-père me prit dans ses bras et m’embrassa en me disant que j’étais un bon garçon. Ma mère aussi était ravie. Mon père paraissait soulagé et me promit que tout cela serait temporaire et que c’était pour moi l’occasion de visiter un autre pays. Sur cette nouvelle, je regagnai ma chambre sans rien dire d’autre. La Belgique. Je ne connaissais rien de ce pays. Je me dirigeai donc vers mon ordinateur et fis une recherche. Quand le résultat s’afficha, je remarquai que c’était un tout petit pays à côté de notre chère France. Je tapai le nom du village de mon grand-père et tombai sur quelques images de petites maisons et d’étendues de champs. Ce n’était pas Bruz, c’est sûr. Mais je n’étais pas difficile. Après tout, ce n’était pas comme si j’avais une vie sociale et des amis à quitter. Rappelez-vous, j’étais le géant solitaire. En plus, j’étais curieux de voir l’endroit où ma mère avait grandi. C’est donc serein que je me couchai ce soir-là.
Le lendemain, je me rendis donc au secrétariat de mon école pour leur annoncer notre départ prochain et je fus étonné de voir la réaction des élèves de ma classe qui m’organisèrent dans la semaine un pot de départ en me souhaitant bonne chance dans ma nouvelle vie. J’ai toujours cru qu’ils me prenaient pour quelqu’un d’étrange et je me rendis compte à ce moment-là qu’ils allaient me manquer. Cependant, cela me rassura aussi. Si je n’étais pas le bizarre de service, mon entrée dans une autre école devrait bien se passer. Quand la fin du mois arriva, mon père revint avec une excellente nouvelle. Notre maison s’était vendue à un très bon prix, ce qui nous permettrait de subvenir à nos besoins pendant un temps. Le lundi suivant, ma mère m’annonça qu’il était temps que j’emballe mes affaires car nous partions à la fin de la semaine. Je passai donc mes journées à empiler mes vêtements et mes livres dans plusieurs valises et aidai mon père à charger la camionnette qu’il avait louée en vue du déménagement. Ma mère emballa la vaisselle et fit les valises de mon grand-père, s’assurant de ne rien oublier. Dans l’après-midi, nous prîmes la route, mon père au volant de la camionnette et ma mère, mon Nonno et moi-même dans notre voiture. Le trajet promettait d’être long. D’après le GPS, nous étions à presque sept cents kilomètres de notre destination. Lorsque nous arrivâmes à hauteur de Paris, mon père s’engagea sur un petit parking qui jouxtait un restaurant italien. Ma mère se gara juste à côté de la camionnette et nous profitâmes de cet arrêt pour nous restaurer et surtout pour soulager nos vessies. Le repas fut convivial, les plats excellents et lorsque le serveur nous apporta l’addition, ma mère en profita pour s’occuper de son père. Il avait l’air épuisé par le voyage et ma mère s’inquiéta de son teint pâle mais il la rassura. Tout allait bien et il était heureux de revenir chez lui. Nous reprîmes donc la route. Plusieurs heures plus tard, nous arrivâmes enfin à destination.
Mon père se gara devant la maison, suivi de ma mère. Mon grand-père regardait d’un air satisfait la façade brune aux briques sales, laissant traîner son regard sur la demeure. Je ne fus pas aussi enthousiaste que lui. La maison avait l’air minuscule et semblait laissée à l’abandon. Les fenêtres étaient sales et ressemblaient à des yeux qui nous regardaient d’un air mauvais, comme si nous étions responsables de son état. Le toit était en pente aiguë fait de tuiles flamandes. La porte d’entrée avait vraiment besoin d’un bon coup de peinture. Il faisait sombre à l’intérieur, malgré le soleil éclatant dans le ciel. Un vrai taudis. La vérité, c’est que cette maison me mettait mal à l’aise et quand ma mère introduisit la clé dans la serrure, je fus parcouru par un frisson glacé qui remonta le long de ma colonne vertébrale, faisant dresser mes cheveux sur ma nuque. C’était ridicule bien sûr. Cette maison était vieille et mal entretenue mais rien ne pouvait me laisser croire que je risquais quoi que ce soit sous son toit. Pourtant, en pénétrant dans la maison, mon malaise persista. La pièce de devant était minuscule. Composée d’une énorme cheminée aux proportions grotesques, elle ne devait cependant pas dépasser les huit mètres carrés. Nous avançâmes et tombâmes sur un minuscule couloir où se dressait un escalier qui permettait de monter à l’étage. S’ensuivait une autre pièce un peu plus spacieuse où trônait au fond une minuscule cuisine et une autre porte donnant sur une salle de douche. Ma mère installa son père sur un vieux canapé laissé par les anciens locataires et me demanda d’aller inspecter les chambres. Je montai doucement les escaliers, comme sur la défensive. Il faisait vraiment sombre malgré les luminaires. J’arrivai sur le palier et constatai que l’étage ne comportait que deux petites chambres de plus ou moins dix mètres carrés chacune. Elles étaient vides mais le sol était poussiéreux et les vitres salies par de nombreuses intempéries. Le papier peint fané était d’un marron foncé avec de petites striures blanches. Le sol était couvert d’un vieux linoléum gris. Il était clair que personne n’avait fait le ménage depuis un bout de temps. L’autre chambre était identique. Même papier peint, même linoléum. Je revins sur le palier et, regardant par la petite fenêtre qui éclairait peu le couloir, je remarquai une corde pendant du plafond. Je la saisis et tirai dessus doucement. Un escalier escamotable se déplia en grinçant et un carré d’obscurité apparut. Je montai prudemment les marches et passai la tête par la trappe. C’était un grenier. Il devait bien faire la surface des deux chambres du dessous. Je montai le restant des marches et regardai autour de moi. La pièce avait certainement été aménagée en chambre supplémentaire mais elle n’était guère plus accueillante avec son papier peint orange garni de grosses fleurs brunâtres. Le tapis était jauni aux endroits où s’étaient trouvés d’anciens meubles. Le sol était revêtu d’un vieux linoléum marron usé par les années. La pièce comportait un placard exigu qui devait certainement servir de fourre-tout. Il était vide également. Un petit velux laissait passer quelques rayons de soleil mais la vitre était tellement sale que la lumière avait du mal à filtrer. En retournant vers l’échelle, j’eus une étrange sensation. Comme une impression d’être observé. Je me retournai mais, évidemment, il n’y avait personne. Je redescendis l’échelle et repassai par le petit palier quand je constatai que les portes des chambres étaient grandes ouvertes. Je fus un instant déstabilisé car j’étais certain d’avoir refermé derrière mon passage mais je décidai de ne pas m’attarder sur le sujet. Après tout, j’avais peut-être oublié de refermer les portes. Je descendis l’escalier en direction du rez-de-chaussée et rejoignis mes parents dans le « salon».
Là aussi, le papier peint était affreux et le sol tellement sale qu’il était impossible de savoir sur quoi nous marchions. On aurait dit une étable. Je décrivis les chambres à ma mère qui soupira. Nous allions devoir faire un grand ménage avant de commencer à vider la camionnette. Mon père avait déjà sorti des brosses, des serpillières et des seaux et commençait à les remplir au robinet de la cuisine. Je partis un instant à la recherche de mon grand-père et le retrouvai à l’arrière de la maison. Sur le côté de la cuisine, une porte camouflée par un énorme rideau en velours donnait sur un petit potager où rien n’avait poussé depuis longtemps. Assis sur un banc en pierre moussue, mon Nonno contemplait l’état du jardin. Des mauvaises herbes avaient envahi tout le terrain. Un pommier malade trônait au milieu. On voyait encore des lambeaux de corde qui avaient dû appartenir à une balançoire pendre au bout d’une des plus grosses branches de l’arbre. Nonno me remarqua et m’invita à le rejoindre. Il avait vraiment l’air malade, pourtant il se tenait droit et souriait. Il avait vécu plus de vingt ans dans cette maison. Revenir ici devait remuer beaucoup de souvenirs et lui donner l’impression d’être plus proche de ma grand-mère. Au fond du jardin, quelques rosiers en piteux état se balançaient doucement dans la brise légère. Je lui demandai s’il avait besoin de quelque chose mais il me conseilla d’aller aider ma mère pour le ménage. Prendre l’air lui suffisait pour l’instant. Je n’insistai pas et retournai dans la cuisine où mon père était déjà en train d’astiquer le sol à grands coups de balai-brosse.
-Courage, champion ! me dit-il quand il vit ma mine déconfite devant l’ampleur du travail qui nous attendait. Tu verras qu’une fois remise en ordre, nous serons bien installés. Bien sûr, il faudra effectuer quelques travaux de rénovation mais quand ce sera fini, nous aurons une splendide demeure, je te le promets.
Je lui souris sans rien répondre, pris un seau d’eau savonneuse et m’attaquai à la pièce de devant. Le nettoyage du rez-de-chaussée dura le reste de la journée. Je découvris que sous l’énorme crasse du sol se cachait un carrelage couleur rouille. Ma mère avait récuré la cuisinière et nettoyé toutes les armoires. Elle finissait le frigo et alla chercher quelques cartons dans la camionnette. Elle rangea quelques assiettes et couverts, ainsi que quelques verres dans les armoires. Quand elle eut terminé, elle alla chercher son père dans le jardin et l’installa de nouveau dans le salon. Nous étions épuisés et affamés. Mon père proposa à ma mère d’aller faire quelques courses à la supérette du coin pour le souper. Ils partirent donc, me laissant veiller sur mon grand-père. Celui-ci s’était endormi sur le petit canapé, épuisé par le voyage. J’en profitai pour sortir une chaise de jardin qui se trouvait à l’entrée de la camionnette et m’installai à ses côtés. Je commençai à somnoler quand j’entendis soudain de petits grattements. Au début, le bruit était plutôt discret mais plus je tendais l’oreille, plus le grattement s’intensifiait.
-Super, me dis-je. Il doit y avoir une belle colonie de rongeurs dans les murs.
J’allais me lever pour chercher d’où venait le bruit quand la porte d’entrée s’ouvrit sur mes parents, les bras chargés de provisions. Je m’empressai d’aller aider ma mère et déposai les courses sur le plan de travail de la cuisine. Mon père alla chercher les casseroles que ma mère avait oubliées dans la camionnette et nous préparâmes le dîner. J’allais réveiller mon grand-père quand j’entendis encore ce grattement insistant. Je me tournai vers mon père, l’œil interrogateur.
-Tu n’as rien entendu ? lui demandai-je.
Mon père tendit l’oreille mais le grattement avait cessé.
-Non, je n’entends rien de spécial, me répondit-il. Tu dois être fatigué. Viens manger et ensuite, nous irons chercher les matelas gonflables.
Je réveillai mon grand-père et lui apportai un bol fumant de minestrone et des petits pains à la mortadelle. Nous mangeâmes en silence. Quand nous eûmes fini de manger, ma mère alla faire la vaisselle et mon père et moi sortîmes les matelas. Mon grand-père préféra rester sur le canapé. Ma mère alla lui chercher une épaisse couverture et un coussin moelleux et l’installa le plus confortablement possible. Puis elle distribua à chacun une couverture et un oreiller et nous nous installâmes chacun dans une pièce. Je logeai dans la pièce de devant. Souhaitant bonne nuit à ma famille, j’allai m’allonger, un bouquin à la main. J’étais épuisé, mais je n’arrivais pas à m’endormir. Je tendis l’oreille mais n’entendis rien de spécial. Je consultai mon GSM et constatai qu’il était déjà vingt-trois heures. Je posai donc le livre près de mon oreiller et fermai les yeux. J’entendis la voix de mes parents pendant quelques minutes puis je finis par m’endormir.
Le lendemain matin, je fus réveillé par la voix de mon grand-père qui semblait venir du jardin. Je consultai l’heure sur mon GSM et vis qu’il était déjà huit heures. Je me levai péniblement et me dirigeai vers la cuisine. À travers la fenêtre, je vis mon Nonno en grande conversation avec un vieil homme au visage buriné, habillé d’une chemise blanche, d’une vieille salopette en velours marron et d’une sorte de béret marron également. Je les observai un moment et quand je les entendis rire, je finis par me diriger vers la salle d’eau, dans l’espoir de pouvoir nettoyer la sueur du travail de la veille. Tout en me savonnant, j’entendis par la petite fenêtre ouverte de la pièce les rires de mon Nonno et du vieil homme. Ils devaient certainement se connaître. Sortant de la douche, je tombai sur ma mère qui était en train de préparer le petit déjeuner. Je l’embrassai sur la joue et lui demandai si elle avait bien dormi.
-Comme un loir, me répondit-elle en riant. J’ai les articulations qui craquent comme des biscottes, mais sinon tout va bien.
Mon père nous rejoignit quelques minutes plus tard, les cheveux en bataille et les yeux encore collés par le sommeil. Ma mère lui tendit une tasse de café noir. À ma grande stupéfaction, elle m’en tendit une également.
-Juste pour cette fois, dit-elle pour se justifier. Nous avons encore une énorme journée qui nous attend.
Je pris la tasse en souriant. Je n’avais pas le droit de boire du café car ma mère estimait que j’étais encore trop jeune pour me shooter à la caféine. Mais avant d’avoir pu porter la tasse à mes lèvres, elle y ajouta une bonne rasade de lait et un morceau de sucre. Je la regardai, étonné, et tout le monde se mit à rire.
Ma chère maman ! Ce qu’elle me manque aujourd’hui.
Elle alla chercher mon grand-père en lui apportant une tasse de café et discuta un moment avec l’inconnu qui se dressait devant notre jardin. Je pouvais les voir de la fenêtre. Je vis à sa réaction qu’elle venait de reconnaître son interlocuteur car, à un moment donné, elle passa la porte du jardin et serra le vieil homme dans ses bras. Elle l’invita à entrer et lui servit également un café noir. Le vieil homme nous salua, mon père et moi, et s’assit sur le canapé, suivi de mon grand-père. Ma mère fit les présentations. Vittorio Rizzoli était notre voisin. Il habitait la maison juste en face de la nôtre. C’était un grand ami de mon grand-père et également un ancien collègue de travail. Quand il avait vu le camion de déménagement se garer la veille devant chez lui, il avait constaté avec plaisir que son ami Antonio était revenu au pays. Il s’était donc levé de bonne heure pour lui souhaiter la bienvenue et nous proposa de l’aide pour nous installer. Sa femme et lui avaient deux fils robustes qui ne demandaient pas mieux que de nous prêter main forte. Il nous raconta que les locataires précédents n’étaient malheureusement pas des gens très propres et qu’il avait vu, impuissant, la maison de son ami se dégrader d’années en années. Nous acceptâmes sa proposition de bon cœur et une heure plus tard, nous vîmes deux solides gaillards habillés de salopettes en jeans et de T-shirts, chaussés de bottes de jardinage nous attendre près de la camionnette. Mon père leur ouvrit la porte et les salua chaleureusement. Ils se présentèrent. Sylvio et Salvatore. Du fond de la cuisine, ma mère, à l’évocation de ces prénoms, nous rejoignit et étreignit les deux hommes dans ses bras.
Il était clair qu’elle les connaissait depuis longtemps. Elle m’expliqua que les frères étaient ses amis d’enfance. Elle me présenta également et les deux hommes me serrèrent la main en complimentant ma mère d’avoir eu un beau jeune homme comme moi, ce qui me fit rougir sur le champ. Ils m’informèrent qu’ils avaient également deux fils chacun qui étaient du même âge que moi et que je les rencontrerais très vite. J’étais un peu embarrassé mais heureux de voir que ces gens étaient aussi chaleureux. Sans plus attendre, ils se mirent au travail, munis de tout un équipement de nettoyage professionnel et se dirigèrent vers les escaliers menant à l’étage. Sylvio monta immédiatement. Salvatore, par contre, eut un moment d’hésitation qui n’échappa pas à mon attention. Quand il se rendit compte que je le regardais, il me sourit en m’expliquant qu’il n’avait jamais aimé monter à l’étage. J’allais lui demander pourquoi mais ma mère m’appela et Salvatore commença à monter les marches sans me répondre. Elle avait commencé le nettoyage des vitres et me demanda de passer un torchon humide sur les plafonds et les murs pour en retirer la poussière et les toiles d’araignées qui s’y étaient accumulées. Je me mis donc au travail.
Quand j’eus terminé, je lui demandai ce que je pouvais faire d’autre et elle me suggéra d’aller voir si les frères n’avaient pas besoin d’aide à l’étage. Je montai donc les marches et me mis à la recherche de Salvatore. Je le trouvai dans le grenier. La lumière y était plus vive grâce à un nettoyage intensif de la vitre et je vis que Salvatore avait déjà bien avancé dans le récurage du sol. Quand je m’approchai de lui, il eut un sursaut et son regard se figea un instant, mais quand il constata que ce n’était que moi, il me sourit et me demanda si j’avais besoin d’aide. Je lui répondis que non et que c’était plutôt le contraire que j’étais venu proposer. Il accepta et nous nous mîmes au travail. Tout en frottant les boiseries du grenier, je décidai d’engager la conversation. Il m’apprit qu’il habitait la maison voisine de celle de son père et que lui et son frère avaient monté une boîte de nettoyage professionnel, ce qui expliquait les nombreuses machines à vapeur qu’ils possédaient.
J’orientai la conversation vers leur enfance commune avec ma mère. Il m’expliqua qu’ils se connaissaient depuis toujours et qu’il leur arrivait souvent de jouer l’un chez l’autre, leurs parents respectifs étant de très bons amis. Il me raconta quelques anecdotes de leur enfance, les jeux, les dîners, les bêtises qu’ils avaient faites, et se dit attristé quand ma mère avait décidé de quitter le pays pour aller faire ses études en France. De la façon dont il en parlait, je pense que Salvatore avait certainement eu le béguin pour ma mère dans son adolescence. Ce que je trouvais compréhensible. Ma mère était aussi jolie que gentille et elle était aussi très douée en art. Elle pouvait vous peindre des tableaux extraordinaires en l’espace d’une journée. Mais quand j’évoquai sa remarque sur le fait qu’il n’aimait pas monter à l’étage, son visage se rembrunit et il devint silencieux. Comme j’insistai, il me répondit d’un air sombre que toutes les maisons avaient leur secret et leur bizarrerie et que je ne devrais pas trop m’inquiéter. Mais je voyais bien qu’il ne me disait pas tout. Pourtant, voyant le malaise sur son visage, je décidai de ne pas insister. Il était clair qu’il n’était pas prêt à me révéler les sombres secrets de cette maison. À cet instant, Sylvio informa son frère qu’il avait terminé les deux petites chambres et qu’il descendait aider mon père à installer le mobilier dans la maison. Ayant terminé également, je me dirigeai vers l’échelle quand je surpris Salvatore jetant un coup d’œil inquiet au placard du grenier. Je ne dis rien mais je commençai vaguement à me demander la raison de son malaise. Il me suivit sans tarder et nous allâmes rejoindre Sylvio et mon père. À la fin de la journée, la maison avait l’air bien plus habitable qu’à notre arrivée. Quelqu’un frappa à la porte et ma mère alla ouvrir. Une vieille dame portant une énorme casserole fumante franchit le seuil et se présenta. Elle s’appelait Herminia et était la femme de Vittorio. Elle était venue nous souhaiter la bienvenue et nous avait préparé un délicieux repas pour fêter le retour d’Antonio et de sa famille dans leur maison. Ma mère la remercia et prit la casserole qu’elle déposa dans la cuisine. Maintenant que les meubles étaient installés, la maison semblait plus confortable et nous pûmes tous nous installer autour de la table de la salle à manger. Le repas se passa dans la joie des retrouvailles et quand Vittorio et sa famille s’en retournèrent chez eux, mon grand-père semblait si heureux que je me souviens m’être dit que la décision de revenir chez lui avait été la meilleure. Mais ça, c’était avant que des événements de plus en plus terrifiants ne nous arrivent. Ce soir-là, néanmoins, j’étais heureux d’être ici, notre nouveau chez nous. Nous allâmes nous coucher car le lendemain, nous devions monter les meubles des chambres à coucher à l’étage. Je souhaitai bonne nuit à ma famille et je m’effondrai sur mon matelas. Je m’endormis immédiatement.
Chapitre 2
Le lendemain, je me levai de bonne heure et entrepris de préparer le petit déjeuner. Je voulais faire plaisir à ma mère et l’idée d’avoir enfin un lit pour dormir ce soir m’enchantait énormément. La pièce de devant était remplie de caisses contenant nos vêtements et accessoires de décoration ainsi que nos lits démontés. Je bus un chocolat chaud quand ma mère se leva. Elle m’embrassa et me demanda si j’étais prêt à avoir ma nouvelle chambre. Je lui répondis avec enthousiasme mais quand elle m’annonça qu’elle et mon père avaient décidé de me laisser la chambre située au grenier, mon sang se figea. Le souvenir du regard de Salvatore vers le placard me revint en mémoire. Ma mère remarqua mon trouble et me demanda s’il y avait un problème. Je lui répondis que non, que c’était parfait. Après tout, mis à part l’inquiétude de Salvatore et les petits grattements entendus le premier jour de notre arrivée, je n’avais rien constaté d’inquiétant. Mais pourtant, l’idée d’être seul dans cette grande pièce lugubre me donnait des frissons. Mais je ne voulais pas inquiéter ma mère avec ce genre d’inepties donc, après avoir dévoré mes tartines, je me mis à monter le mobilier de ma chambre avec l’aide de Sylvio qui était arrivé pile poil au moment où mes parents finissaient de déjeuner. Heureusement qu’il était costaud, ce gars. La trappe était étroite et il fallut trouver toutes les astuces possibles pour pouvoir passer tous les meubles que je possédais. Une fois tout au sol, nous commençâmes par monter le lit. Nous passâmes au bureau et l’installâmes juste à côté. Je posai la caisse qui contenait mon ordinateur sur le bureau. S’ensuivit la bibliothèque munie de plusieurs colonnes et les nombreuses caisses de livres que je possédais. À la vue de tous ces bouquins, Sylvio émit un sifflement admiratif et me félicita pour cette énorme collection. Il aurait bien aimé que ses fils en fassent autant. Malheureusement, à son grand désarroi, ils préféraient les jeux vidéo. Quand je lui proposai de faire un dressing avec le placard, il hésita un instant, puis accepta. Il démonta donc la porte et regarda l’intérieur pour se faire une idée des dimensions des étagères qu’il allait disposer. En sortant de là, il semblait un peu mal à l’aise. Je lui demandai si tout allait bien. Pas de problème, me dit-il. Je vais te faire ça en quelques heures. Sur ce, il descendit l’échelle et je me dirigeai vers le placard. Il n’avait rien de particulier, si ce n’est cette impression de claustrophobie et le froid glacial qui s’en dégageait. Pourtant, il faisait bien trente-deux degrés dehors. -Bizarre, me dis-je. Avant que j’aie eu le temps de m’appesantir sur ces phénomènes, ma mère m’appela pour le dîner. Je descendis donc les rejoindre quand j’entendis de nouveau ces grattements. Cette fois, je localisai leur source. Cela venait du placard. Je regardai à l’intérieur mais ne vis rien de spécial. Encore une fois, je me dis que ça devait grouiller de rongeurs dans les murs. Je tendis l’oreille mais il n’y avait plus aucun bruit. Des rongeurs. Certainement. L’après-midi fut encore bien chargé. Sylvio s’attelait sur les étagères de mon placard et ma mère était occupée à récurer la salle de douche. Mon père passa les coups de fils indispensables lors d’un déménagement. Il avait relevé les compteurs d’eau et d’électricité et les avait communiqués aux services concernés. Il était maintenant en ligne avec l’administration communale pour un rendez-vous concernant notre changement d’adresse. Cela avait l’air de prendre du temps. Je le vis soupirer d’agacement. N’ayant plus rien à faire pour l’instant, je m’installai à côté de mon grand-père et lui demandai s’il avait besoin de quelque chose. Il me demanda un verre d’eau et je me levai pour le servir quand je remarquai la porte de la cuisine grande ouverte. M’avançant pour la refermer, je ressentis une sensation de froid et, sous mes yeux ébahis, la porte se referma toute seule.
Comment cela était-il possible ?
Il n’y avait pas un seul souffle de vent à l’extérieur. L’air devint glacé et je vis mon souffle se matérialiser devant ma bouche. Quoi ? Je ne comprenais pas ce qu’il se passait. Soudain, je ressentis une étrange sensation dans l’estomac, comme si je m’apprêtais à rendre mon chocolat chaud du matin. Je me dirigeai lentement vers la salle de douche et m’effondrai devant le cabinet de toilette. La tête me tournait. Ma mère, qui était occupée à nettoyer la cabine de douche, lâcha son éponge et vint s’accroupir à côté de moi.
-Qu’est-ce qu’il t’arrive ? me demanda-t-elle, inquiète.
Je ne pus lui répondre. Un énorme jet de vomis jaillit de ma bouche et je finis par perdre connaissance.
Avant de perdre totalement conscience, je crus voir des silhouettes sombres juste derrière ma mère.
Je l’entendis crier mon nom mais j’étais fixé sur ces ombres.
Puis, tout devint noir.
Quand je repris conscience, j’étais allongé dans le canapé du salon, ma mère assise à mes côtés.
Mon grand-père et mon père, ainsi que les fils de Vittorio étaient assis autour de la table de la salle à manger et me regardaient avec inquiétude.
Ma mère me demanda comment je me sentais.
Je voulus me redresser mais elle me força à me recoucher.
J’entendis des coups à la porte et je vis mon père revenir avec Herminia, la femme de Vittorio.
Elle m’observa un instant et me fit boire un verre d’eau avec une poudre blanche à l’intérieur.
-Ne t’inquiète pas, me dit-elle. Ce n’est que du bicarbonate de soude. Ça va soulager tes nausées et te remettre sur pieds. Tu as dû faire une insolation à cause de la chaleur et des efforts pour monter les meubles. Tu devrais te reposer. Je suis sûre que tu te sentiras beaucoup mieux demain.
Je regardai mes parents et ils me firent signe pour me faire comprendre qu’ils étaient d’accord. Je me levai donc doucement et me dirigeai vers les escaliers. En arrivant sur la première marche, mon regard fut attiré par une porte que je n’avais pas encore remarquée. Elle se trouvait sous les escaliers et semblait à peine perceptible, se fondant presque dans le mur. Je demandai à mon père ce que c’était. Il me répondit que c’était certainement le sous-sol et que si je le voulais, nous irions vérifier demain matin. Sans rien ajouter, je leur souhaitai bonne soirée à tous et montai doucement les marches. Je me sentais encore un peu nauséeux et j’avais l’impression d’être vidé de toute mon énergie. Quand j’arrivai à l’échelle, j’eus un instant d’hésitation. Maintenant que le soir était tombé, le grenier était vraiment très sombre. Néanmoins, j’allumai la lampe de poche de mon téléphone portable et commençai à monter l’échelle, pas à pas, puis passai la tête par la trappe pour inspecter les lieux. Je ne vis rien de spécial et je montai donc m’allonger dans mon lit. J’allumai ma petite lampe de chevet et remontai ma couette jusqu’au cou. J’allais m’endormir quand j’entendis de nouveau ce bruit de grattements. Mes cheveux se dressèrent sur ma tête et je restai immobile. Tendant l’oreille, j’écoutai si le grattement se reproduirait mais ça ne fut pas le cas. Saleté de souris ! me dis-je. J’écoutai encore un moment puis, harassé de fatigue, je finis par m’endormir. Je ne savais pas depuis combien de temps je dormais quand j’ouvris les yeux, pris de frissons. J’ignorais ce qui m’avait tiré du sommeil mais je remarquai qu’il faisait étrangement froid dans ma chambre. Mon souffle faisait une espèce de nuage autour de ma bouche. Je restai immobile, pris d’une peur irrationnelle. Je constatai que ma lampe de chevet était éteinte. Je tendis le bras à la recherche de mon téléphone mais ne le trouvai pas. Je me relevai doucement et un bruit me fit sursauter. J’écoutai plus attentivement, cherchant son origine. Les yeux agrandis par la peur, j’allumai ma lampe et regardai autour de moi. Rien. Pourtant, j’aurais juré avoir entendu du bruit ! J’attendis un moment, tendant l’oreille mais seul le silence me répondit. Je décidai de me recoucher.
J’allongeai le bras vers l’interrupteur de ma lampe quand j’entendis le parquet craquer. J’étais tétanisé. On aurait dit que quelqu’un ou quelque chose se déplaçait dans la pièce. Je me levai doucement de mon lit et regardai de nouveau dans tous les coins de la pièce mais je ne vis rien de spécial. Je trouvai mon portable sur mon bureau et le repris. J’avais dû le laisser là quand j’avais mis mon pyjama. J’allais retourner me coucher quand je sentis un souffle glacé sur mon cou. Je me retournai brusquement, m’attendant à tomber nez à nez avec une immonde créature. Mais là encore, je ne pus que constater qu’il n’y avait que moi dans la chambre. Je fus tenté de descendre réveiller mes parents mais la journée avait été longue et je ne voulais pas les déranger. J’attendis encore quelques minutes mais rien d’autre ne se produisit. Tremblant de peur, je regagnai mon lit, remontant la couverture jusqu’au dessus de ma tête. Je maudis mon imagination trop fertile. J’avais laissé la lumière allumée. Les minutes passèrent et je finis par somnoler. Soudain, les grattements reprirent de plus belle. Je restai tétanisé sous la couverture, ayant trop peur pour regarder. Le bruit s’accentua puis cessa brusquement. Plus j’y pensais et plus ces bruits me faisaient penser à des ongles crissant sur le plancher. Je n’osais pas sortir la tête de la couverture. Au moment où je me disais qu’il était ridicule d’avoir peur de quelques rongeurs, je sentis comme un poids au bout de mon lit. L’impression que quelqu’un s’était assis sur mes pieds et m’empêchait de remuer. Glacé de terreur, je n’osais pas bouger. Cela dura un moment puis la sensation de poids disparut. Je risquai un œil en dehors de ma couverture et regardai peureusement au bout de mon lit. Il n’y avait rien. Je me levai de nouveau de mon lit et alla voir jusqu’au placard. J’avais la main sur la poignée, prêt à ouvrir, puis la relâchai. Quelque chose me disait que ce ne serait pas une bonne idée d’ouvrir cette porte. Surtout que j’étais seul et qu’il faisait nuit. J’attendis un peu pour voir si les phénomènes allaient se répéter mais quoi qu’il se fût passé, c’était apparemment fini. Je me remis donc au lit, remis ma couverture et observai encore un moment la porte de ce fichu placard. La fatigue finit par l’emporter. Je m’endormis et rien d’autre ne vint me perturber cette nuit-là. Le lendemain matin, je me levai avec la tête lourde. Je m’assis sur mon lit et cherchai à chausser mes pantoufles mais mes pieds ne rencontrèrent que le vieux linoléum. Je me levai et regardai en dessous de mon lit. Rien. Je me mis en quête de mes pantoufles et les retrouvai juste devant le placard. En me dirigeant vers elles, je butai contre l’un de mes livres. Je regardai ma bibliothèque et constatai avec stupéfaction que mes bouquins que j’avais rangés la veille sur mes étagères étaient maintenant disposés sur mon bureau et sur le sol. J’étais interloqué. Je me dirigeai doucement vers mes pantoufles, les chaussai et restai un moment à observer ce désordre. Puis, sans m’attarder sur ces événements, je remis mes livres sur ma bibliothèque, pris mon GSM et me dirigeai vers l’échelle quand j’entendis comme un ricanement lointain. Je me figeai et attendis un instant, la main sur la rampe. La sueur sur mon front s’était glacée. Je n’osais pas bouger. J’attendis de voir si cela allait recommencer mais plus rien ne se manifesta. Je commençai à descendre les barreaux de l’échelle quand j’entendis encore de petits bruits. Je passai la tête par la trappe et constatai que ma couette était tombée en bas de mon lit. C’en était trop ! Pas question de rester là-haut tout seul. Sans attendre, je descendis en vitesse les marches et me dirigeai vers la chambre de mes parents. J’ouvris la porte et constatai que leur lit était vide. Je descendis donc les escaliers en ayant l’impression désagréable d’être suivi. Arrivé au bas des marches, je faillis percuter mon père de plein fouet.
-Ola, champion ! me dit-il. Tu es pressé, dis-donc ! Tu as failli me faire tomber ! Bien dormi ?
Je racontai à mon père ma découverte matinale et lui expliquai les bruits entendus dans ma chambre. Il m’écouta et quand je lui demandai ce qu’il pensait de tout ça, il haussa les épaules et me répondit qu’il ne savait pas quoi dire. Je le suivis dans la cuisine où étaient déjà installés mon Nonno et ma mère. Mon grand-père me questionna du regard et je lui racontai les phénomènes de la veille ainsi que le désordre et les bruits de ce matin dans ma chambre. Ma mère m’écouta également et me dit que j’avais certainement dû faire une crise de somnambulisme, sinon comment expliquer tout cela ? Je me tournai vers mon grand-père, attendant qu’il ajoute quelque chose mais il se contenta de boire son café en silence. Je m’installai donc à la table et mordis dans un croissant, mes pensées revenant sans cesse à ce maudit placard. Ma mère m’informa qu’elle m’avait inscrit à l’Athénée Royal et que je commençais les cours la semaine suivante. Elle me demanda donc de m’habiller pour aller chercher mes fournitures scolaires ainsi que quelques tenues vestimentaires. Je bus donc mon chocolat chaud et me dirigeai vers l’étage quand mon grand-père m’interpela.
-Attends, mon grand ! me dit-il. Je n’ai pas eu l’occasion de voir ta chambre. Je peux venir avec toi?
Il se leva et me suivit dans les escaliers. Je n’étais pas sûr qu’il puisse monter l’échelle mais il m’épata en la grimpant rapidement. Il fit le tour de la pièce et s’arrêta devant le placard. Il s’en approcha et mit sa main sur la poignée de la porte. J’aurais voulu lui dire de ne pas ouvrir mais il tira dessus et se retrouva devant un vrai carnage. Les étagères que Salvatore m’avait installées la veille étaient à terre. Mon grand-père s’avança et son pied heurta une dizaine de vis éparpillées sur le sol. Je m’avançai également, regardant ce carnage d’un air dubitatif. Comment cela avait-il pu arriver ? Je regardai les étagères. Elles n’étaient pas abîmées. On aurait dit que quelqu’un avait passé son temps à retirer toutes les vis et les avait rassemblées au milieu du placard, juste devant le tas d’étagères. Je regardai mon grand-père, les yeux apeurés. Lui aussi semblait perplexe. Il me connaissait assez bien pour ne pas me demander si c’était de mon fait. Il se tourna vers moi et me demanda si j’avais entendu quoi que ce soit après m’être finalement endormi. Je lui répondis que non. Même si cela semblait impossible, je n’avais pas entendu les étagères se détacher des murs et tomber sur le plancher. Il réfléchit encore un moment et me demanda de ne pas en parler à ma mère. Il ne voulait pas l’inquiéter pour rien. Quand je lui demandai s’il savait ce qu’il se passait, il me répondit simplement qu’il était temps pour lui d’aller rendre visite au prêtre de notre paroisse. Il m’attendit, le temps que je m’habille et nous descendîmes en gardant cet épisode pour nous. Ma mère m’attendait devant la porte d’entrée. Elle demanda à mon grand-père s’il voulait nous accompagner, mais celui-ci refusa poliment. Avec un regard appuyé, il informa ma mère qu’il allait rendre visite au Père Rosso. Mon père s’était attaqué au petit jardin et nous souhaita une bonne journée. Quand je montai dans la voiture, mon grand-père me salua et se dirigea vers le bout de la rue. Ma mère le salua et tourna en direction de La Louvière. Nous passâmes un bel après-midi à faire du shopping dans les rues de La Louvière. Je dus admettre que l’endroit me plaisait bien. Nous allâmes manger une glace et, passant devant un petit cinéma de quartier, ma mère me proposa d’aller voir un film. Je n’étais pas pressé de regagner notre domicile donc, nous nous dirigeâmes vers l’accueil et nous passâmes un bon moment à rire devant un film parlant de Minions, de petites créatures jaunes en salopettes bleues, parlant un langage étrange et dont la fonction était d’aider un célèbre criminel dans ses mauvais plans.
La séance terminée, nous regagnâmes la voiture. Installé au volant, ma mère m’observa un moment et me demanda si tout allait bien. Je me rappelai ce que m’avait dit mon Nonno et je lui répondis que j’avais juste besoin de temps pour m’adapter. Elle me sourit et me promit que tout irait bien. J’aurais tant aimé la croire. Je ne répondis rien et nous rentrâmes à la maison. Quand je rejoignis mon grand-père dans le salon, il était en pleine conversation avec mon père à propos des plantations prévues pour le potager. Je me dirigeai vers le jardin et constatai que mon père avait bien avancé. Les mauvaises herbes avaient disparu, le pommier malade avait été abattu et les rosiers taillés. Il avait nettoyé la cour et le dallage avait un aspect lisse et propre. Il avait retourné un bon carré de terre et l’avait déjà préparé pour les plantations à venir. Mon grand-père me rejoignit dans le jardin.
-Ton père est habile de ses mains, me dit-il. Tu vois, l’habit ne fait pas toujours le moine. Qui se serait douté qu’un banquier était si habile en jardinage ?
J’admirai le travail de mon père quand je sentis quelque chose se glisser dans ma main. Je baissai les yeux vers ma main et observai l’objet que mon Nonno y avait glissé. C’était un petit crucifix. Je regardai mon grand-père et celui-ci me conseilla de l’accrocher au-dessus de la porte de mon placard.
À ce moment-là, ma mère sortit nous rejoindre et je m’empressai de ranger la croix dans la poche de mon jeans.
Elle enlaça son père et lui demanda s’il était satisfait du travail de son beau-fils.
Il lui répondit que c’était une véritable œuvre d’art et ils rirent tous les deux de bon cœur.
Mon père nous rejoignit et leva les bras en signe de victoire, ce qui nous fit tous rire aux éclats.
Ce soir-là, j’empruntai un clou et un marteau et entrepris d’accrocher le crucifix au-dessus de la porte du placard.
Je regardai ensuite le résultat et me dis que ça devait faire l’affaire.
Je rejoignis mes parents dans le salon. Ils regardaient les informations.
Je m’installai à côté de mon grand-père. Il me regarda et je hochai la tête à sa question silencieuse.
Il me sourit et me tapota la jambe en signe d’encouragement.
Tout irait bien.
Quand le journal télévisé se termina, ma mère se leva, s’étira et annonça qu’elle allait se coucher.
Elle proposa à mon grand-père de l’installer mais il lui répondit qu’il voulait passer un peu de temps avec moi avant la rentrée scolaire et me demanda si je pouvais m’en charger moi-même.
J’acceptai et mes parents montèrent donc se coucher.
Une publicité vantant les mérites d’un liquide vaisselle révolutionnaire envahit l’écran.
Je restai silencieux un moment, attendant de voir si mon grand-père allait m’expliquer pour le crucifix.
Cependant, quand il prit la parole, il me demanda de lui apporter la photographie qui se trouvait sur le buffet de la salle à manger.
Je lui rapportai et il la regarda longuement.Il passa un doigt noueux sur le portrait.
-C’est ma Giulia, me dit-il. Ma chère épouse. Je sais que je t’ai déjà beaucoup parlé d’elle mais je n’ai jamais eu l’occasion de te montrer à quel point elle était belle.
Je regardai la photographie et dus admettre que ma mère lui ressemblait énormément.
Il la regarda encore un instant, puis posa le cadre sur la table de salon.
Il se tourna vers moi et se mit à me parler très vite.
-Tu dois m’écouter, mon petit. Tant que nous sommes seuls, j’aimerais te parler de cette maison. Je pense que tu as déjà remarqué quelques bizarreries. Il y a des choses que tu devrais savoir mais je sais que ta mère m’en voudra énormément si elle apprenait que je t’ai parlé de ça. Surtout qu’elle ignore aussi une bonne partie de la vérité. Alors, promets-moi de garder tout ceci pour toi, d’accord ?
Je ne savais pas comment réagir mais je sentis la main de mon grand-père serrer mon poignet et je promis.
Il me regarda un instant dans les yeux, comme pour s’assurer que je ne mentais pas, puis il me demanda d’aller chercher un album photo. Il m’informa qu’il était caché à l’intérieur de la grosse cheminée de la pièce de devant. Devant mon air dubitatif (qui irait cacher un album photo dans une cheminée ?), il insista en agitant le bras vers la pièce de devant. Je me dirigeai donc vers cette grotesque construction et me penchai pour regarder à l’intérieur. Je ne vis rien au début et m’apprêtai à l’annoncer à mon grand-père quand, en passant la main à l’intérieur du conduit, je sentis un objet dur enveloppé dans un morceau de tissu. Je sortis l’objet et l’apportai à mon Nonno. Il le prit délicatement et commença à dénouer la ficelle qui retenait le tissu. Un vieil album en cuir craquelé apparut. Il n’avait rien de particulier, mis à part qu’il paraissait très vieux. Mon grand-père me demanda de m’asseoir à côté de lui et se mit à tourner les pages. Des photos en noirs et blancs se succédaient sur le carton jauni par le temps. Sur la première, on pouvait y voir mon grand-père, ma grand-mère et ma mère entourée de ses trois petits frères. Je savais que ma mère n’était pas fille unique mais elle ne me parlait jamais de ses frères. Je remarquai que les deux plus jeunes étaient jumeaux. Mon grand-père se rapprocha et commença les présentations.
-Ce beau jeune homme, c’est moi, me dit-il en souriant.
Je lui souris aussi.
-Elle c’est ma Giulia, ta Nonna. A côté d’elle, c’est ta mère, évidemment. Et là ce sont mes fils. Filipe, et nos jumeaux Julio et Roberto. Ils devaient avoir cinq ans sur cette photo. C’était un peu après notre arrivée. C’est notre voisin Vittorio qui l’a prise avec un appareil photo que ses parents lui avaient offert quand il avait émigré avec sa famille. On a dû rester immobile comme des arbres pendant qu’il prenait la photo. Ce n’était pas la technologie d’aujourd’hui, pourtant c’était déjà pas mal du tout.
Sur la photo suivante, on pouvait voir ma mère entourée de ses trois frères. La photo était joliment décorée d’un ruban qui entourait tout le cadre. Une photo d’école, évidemment.
Sur la troisième photo, on pouvait voir que mes oncles avaient bien grandi. Ils devaient avoir au moins quinze ans. C’était de solides gaillards bien bâtis. Les jumeaux se tenaient par les épaules et leur frère aîné se tenait derrière eux, le sourire aux lèvres.
Sur la quatrième photo, on voyait toujours les frères ensemble mais les sourires avaient disparu.
Quand je regardai mon grand-père, il m’encouragea à regarder le reste de l’album.
Je tournai donc les pages et remarquai que les frères jumeaux, autrefois costauds et souriants, étaient devenus maigres et leurs yeux étaient comme éteints. Leur grand frère était également sur la photo mais se tenait un peu éloigné d’eux. Aucun n’abordait de sourire.
La photo qui suivait représentait les deux jeunes hommes dans une sorte d’hôpital que je ne connaissais pas. Les deux hommes paraissaient sous-alimentés et même sur cette vieille photo, on pouvait voir que leurs tenues étaient sales. Ils ne souriaient pas là non plus.
Un détail me perturba. L’appareil devait avoir un défaut car l’un des jumeaux paraissait presque transparent alors que l’autre était plus net.
Les deux dernières photos représentaient une famille habillée de noir autour de deux cercueils identiques. Une photo de chaque jumeau était collée en dessous et leur nom, leur date de naissance et de mort étaient inscrits d’une écriture tremblante et presque illisible. Apparemment, ils étaient morts à seulement six mois d’intervalle.
La seule autre photographie qui se trouvait sur la dernière page de l’album était en couleur et je vis qu’elle me représentait. Je devais avoir trois mois. L’inscription en dessous confirma mon idée.
Michaël Julio Roberto Blanchart.
Mon nom complet.
Je ne savais même pas leur signification jusqu’à ce jour.
Je regardai mon grand-père.
Il ferma doucement l’album, se renfonça dans son canapé, tendit l’oreille pour voir si mes parents dormaient et commença son histoire.
Le récit d’Antonio
Antonio s’installa confortablement dans son fauteuil. Son emphysème le faisait souffrir de plus en plus. Il savait au fond de lui qu’il n’en avait plus pour longtemps. C’est pourquoi, quand il avait remarqué que son petit-fils semblait tourmenté, il se douta que tout recommençait. Il se devait de le mettre en garde contre le mal qui rongeait sa demeure. Ne pas lui en parler risquait de le mettre en danger. Il avait espéré que les années auraient effacé la malédiction de sa maison, les locataires successifs ne s’étant jamais plaints d’aucuns phénomènes bizarres, mais il s’était trompé. Lui aussi avait entendu les grattements et la nuit, il lui avait semblé voir des ombres se promener dans la maison. Il avait mis tout cela sur le compte de la culpabilité et du chagrin, son retour ayant fait remonter de mauvais souvenirs. Mais quand Michaël commença à signaler ces petits incidents, et surtout quand il vit l’état dans lequel s’était retrouvé le placard, il n’eut plus aucun doute. Ça recommençait.
Et dire que tout cela n’était que le résultat de l’ignorance et de l’innocence d’enfants cherchant simplement à expérimenter des jeux un peu trop dangereux pour leur âge.
Il n’avait pas été assez vigilant.
Et le fait qu’il travaillait quatorze heures par jour à la mine n’était pas une excuse.
Ses fils avaient été livrés à eux-mêmes quand Sylvia était partie pour la France.
Ho ! Il n’en voulait pas à sa fille. Il était même fier qu’elle ait pu entrer à l’université. La première fille de la famille qui faisait des études d’art, qui n’aurait pas été fier ?
Mais son départ avait provoqué de grands changements au sein de leur famille. Leur mère Giulia était tombée malade et avait souvent des pertes de conscience. Il était devenu difficile pour elle de s’occuper de leurs fils sans la présence de sa fille aînée. Antonio, accaparé par son travail, ne lui avait pas été d’une grande aide. Essayant de garder un œil sur ses garçons, il n’avait pas pu éviter le malheur qui leur tomba dessus. Son ami Vittorio connaissait les mêmes soucis avec ses deux fils. Les gamins étaient souvent ensemble et cherchaient un peu d’amusement dans ce monde si insipide. Mis à part les heures d’école, ils n’avaient pas grand-chose pour se changer les idées. Aucune famille ne possédait de télévision. Ils leur arrivaient donc souvent de se rassembler tous les cinq dans la chambre des deux frères pour jouer aux cartes, se raconter des histoires ou s’entraider pour leurs devoirs. Cela avait commencé comme un jeu. Un jeu de gosses innocents. Un jeu de gosses inconscients. Ce jour fatidique où leur vie avait changé du tout au tout, ils avaient eu l’idée stupide de grimper sur la toiture de leur maison en passant par le velux de la chambre et de voir qui pourrait aller d’un coin à l’autre de la toiture. Les enfants de Vittorio, plus adroits, avaient réussi sans peine leur exploit. Filipe avait aussi fait le tour de la toiture, suivi de Roberto. Cependant, Julio n’eut pas le courage de se lancer. Il souffrait d’une terrible phobie du vide mais avait accompagné son frère. Ils étaient inséparables, comme tous les jumeaux qu’Antonio avait connus jusqu’à ce jour. Ne voulant pas passer pour un trouillard aux yeux de ses camarades, mais surtout à ceux de son frère, il s’était décidé à traverser à petits pas le toit en pente. Arrivant vers le bas, il commença à remonter lentement sous les encouragements de Roberto quand le malheur se produisit. Il était presque arrivé en haut de la toiture quand une tuile se détacha et le fit glisser. Roberto, aidé des trois autres garçons, avait tenté de rattraper son frère, manquant sa main de quelques centimètres. Il avait plut la veille et les tuiles étaient encore toutes humides. Avant qu’il ne puisse atteindre Julio, d’autres tuiles se détachèrent et Julio, déséquilibré, chuta d’une hauteur de huit mètres. Sa tête heurta le trottoir avec un bruit sourd. Il ne mourut pas mais fut hospitalisé pendant de longs mois dans le service des traumatismes crâniens. Il resta quelques mois dans le coma. Quand il se réveilla enfin, il arrivait à peine à parler et avait du mal à tenir sur ses jambes. Il se plaignait souvent de douloureux maux de tête et d’acouphènes. Il avait l’impression que quelqu’un murmurait dans ses oreilles. Après une année de rééducation, il fut autorisé à rentrer à la maison. Quand Roberto avait appris la nouvelle, il avait été transporté de joie ! Cela faisait un an qu’il était séparé de son frère et il n’avait pas eu souvent l’occasion de lui rendre visite car il s’occupait de sa mère qui faisait de plus en plus de crises. Filipe avait trouvé un emploi dans une usine et travaillait plus de dix heures par jour. Sa mère avait besoin d’une surveillance constante et Roberto n’osait pas la laisser seule trop longtemps. Le retour de Julio était synonyme de joie. Par conséquent, quand son frère réintégra le cocon familial, Roberto remarqua immédiatement que son frère n’était plus vraiment lui-même. Il agissait parfois bizarrement et il lui arrivait souvent de parler tout seul dans la maison ou lors de ses rares sorties dans leur petit jardin. Les jeunes du quartier avaient fini par s’éloigner de lui car il leur faisait peur. Quand ils passaient devant la maison, Julio était souvent assis sur le banc de pierre et semblait regarder dans le vide. Il ne répondait pas quand ses anciens camarades lui demandaient des nouvelles et se contentait de les fixer avec un regard étrange. Il fut donc évité par la plupart de leurs amis communs.
Mais Roberto ne pouvait se résoudre à abandonner son frère. Ils étaient unis depuis leur vie utérine et rien ne pourrait jamais les séparer. Donc, quand son frère cessa sans raison de s’alimenter, Roberto fit pareil. Quand Julio ne voulut plus qu’on l’aide à se laver, hurlant que l’eau le brûlait, Roberto arrêta également de se doucher. Il pensait que Julio verrait là un soutien et un réconfort qui pourraient le mener vers le chemin de la guérison.
Mais les choses se mirent à empirer. En effet, Julio commença à avoir des comportements dangereux. Il déambulait parfois dans la maison, armé d’un couteau et semblait parler à quelqu’un que personne d’autre que lui ne voyait ou n’entendait. Les seuls amis qui venaient encore prendre de ses nouvelles étaient Sylvio et Salvatore. Ils se sentaient coupables de l’état de Julio et tenaient à se montrer présents. Néanmoins, eux aussi avaient remarqué le comportement étrange de Julio.
Un soir, alors que Julio s’était enfermé dans la chambre du grenier, Roberto était allé chercher de l’aide chez ses amis. Il redoutait que Julio ne se précipite par le velux pour mettre fin à ses souffrances. Il leur expliqua que son frère lui avait avoué qu’un démon lui intimait de tuer toute sa famille et que cette chose ne le laissait jamais en paix.
– Il lui avait donné un crucifix et de l’eau bénite qu’il avait volé à l’église voisine de chez eux dit-il, mais ça n’avait pas suffit.
Julio continuait à entendre cette voix dans sa tête et il lui arrivait souvent de rester dans un état de torpeur pendant des jours entiers, comme s’il n’était plus qu’une coquille vide, sans âme. Même son regard était étrange dans ces moments-là. Il était plus sombre et semblait habité par autre chose que Julio. Roberto avait également constaté que Julio avait souvent des ecchymoses et des griffures qui apparaissaient sans raison apparentes sur son corps. Il était d’une pâleur et d’une maigreur terrifiantes.
Roberto avait essayé de convaincre son père que quelque chose n’allait pas chez Julio et qu’il devait le faire ré- hospitaliser mais Antonio avait mis tout cela sur le fait que son fils avait eu une fracture du crâne et que les médecins lui avaient prédit que Julio ne serait peut-être plus le même homme qu’avant.
Constatant que son père ne voulait pas admettre qu’il y avait quelque chose de sombre chez Julio, Roberto s’était absenté un moment de la maison pour se rendre chez le Père Rosso, dans l’espoir que celui-ci puisse aider son frère et aussi raisonner son père. Il expliqua au saint homme toutes les choses étranges qui se passaient dans leur chambre depuis le retour de son frère. Les craquements sur le plancher alors qu’ils étaient tous les deux allongés dans leur lit, le froid incessant dans la pièce même par journée caniculaire, les objets qui semblaient se déplacer tout seuls, les ombres qui semblaient voyager sur les murs, les grattements qui semblaient provenir de leur placard, mais surtout la voix que son frère entendait dans sa tête, cette voix qui lui intimait de tuer toute sa famille.
C’est alors qu’il admit même avoir entendu cette voix. Un jour où Julio était resté dans sa chambre, Roberto, s’inquiétant de la maigreur de son frère, lui avait monté une assiette de raviolis. Cela faisait plusieurs jours que Julio n’avait rien mangé ni bu. Il était au pied de l’échelle quand il avait entendu son frère parler. Habitué à cela, il avait commencé à monter les barreaux quand il entendit une voix caverneuse répondre à Julio. Sur le coup, il était resté tétanisé au bas de l’échelle. Il se dit qu’il avait du imaginé le phénomène mais quand il commença à monter l’échelle, il entendit de nouveau cette voix dire à son frère que Roberto arrivait et qu’il reviendrait le voir plus tard. Quand il était arrivé en haut, son frère était assis dans le placard et le fixait d’un air sombre. Roberto lui avait demandé à qui il parlait mais son frère n’avait pas répondu.
Il s’était contenté de le regarder de ce regard sombre et lointain. Il lui avait donc laissé l’assiette et était descendu précipitamment au rez-de-chaussée pour prévenir Antonio. Son père l’avait écouté et avait mis cet événement sur le compte du stress et de l’inquiétude que Roberto avait pour son frère. La seule explication que son père lui avait donnée était que Julio avait pu changer sa voix pour se donner le change.
Le Père Rosso l’avait écouté avec attention et lui avait promis de venir le lendemain matin pour rendre visite à Julio et tenter de l’aider du mieux qu’il le pouvait. Il avait aussi promis à Roberto de bénir la maison si cela pouvait calmer ses peurs.
Pourtant, Roberto n’était pas dupe. Le Père Rosso devait se dire la même chose qu’Antonio ; que le comportement de Julio était le résultat de sa chute du toit de la maison et de sa longue convalescence.
Quand il fut rentré, sa mère était prostrée dans le canapé, apeurée par quelque chose qu’elle n’avait pas su lui expliquer. Elle se signa plusieurs fois et lui indiqua du doigt le plafond vers la chambre de son frère. Roberto avait cherché son père mais celui-ci était parti au travail. Il était donc courageusement monté à l’étage mais quand il voulut se rendre dans la chambre, il remarqua que l’échelle escamotable avait été remontée et qu’il lui était impossible d’y monter. Il cria après Julio mais celui-ci avait l’air de se disputer avec quelqu’un. Il hurlait que non, il ne le ferait pas, qu’il préférait mourir.
Puis, il se mit à hurler comme quelqu’un qui subissait les pires tortures.
Roberto était alors parti chercher de l’aide auprès de Sylvio et Salvatore. Quand ils arrivèrent à l’étage, Julio poussait des hurlements d’agonie. Salvatore était alors descendu pour aller prendre l’échelle qui se trouvait dans la cour et était revenu presque aussitôt. Cependant, les hurlements avaient cessés et avaient laissé la place à une série de gargouillis atroces.
Sylvio essayait d’aider Roberto à atteindre la corde de la chambre en le prenant sur ses épaules. Il finit par l’attraper et monta les marches précipitamment. Salvatore et Sylvio se regardèrent d’un air sombre et, avant qu’ils ne commencent à monter l’échelle, entendirent Roberto hurler le nom de son frère.
Ils se précipitèrent et restèrent pétrifiés devant le spectacle horrible qui se déroulait devant leurs yeux. Julio, les yeux exorbités et la langue violette, pendait au bout d’un nœud coulant qui était attaché sur une des poutres apparentes du plafond du petit placard. Roberto était agenouillé devant son frère et hurlait son nom. Les frères essayèrent de décrocher Julio, mais celui-ci était trop haut, ses pieds se trouvant à cinquante centimètres du sol. Aucune chaise ne se trouvait dans le réduit. Comment avait-il pu s’y pendre sans prendre d’appui ?
C’est une question que personne n’osa prononcer à voix haute. Sylvio proposa à Salvatore de le soulever sur ses épaules et, sortant un canif de sa poche, commença à découper la corde qui retenait Julio. Sachant qu’il était trop tard, il se dépêcha de délivrer la dépouille de son ami. Après quelques minutes d’effort, elle atterrit sur le plancher dans un bruit sourd. Roberto se jeta sur lui et criait son nom mais l’angle de son cou indiquait aux fils de Vittorio qu’il n’y avait plus rien à faire. Ils en firent part à leur ami. Roberto serra alors son frère dans ses bras et se mit à pleurer hystériquement.
Alerté par ses hurlements, des voisins avaient appelés la police. Quand les forces de l’ordre étaient arrivées sur place, elles ne purent que constater le décès de Julio. Elles durent employer la force pour obliger Roberto à lâcher le cadavre et demandèrent à Sylvio et Salvatore de l’emmener au rez-de-chaussée. Ils descendirent donc auprès de Giulia et Salvatore courut jusqu’à la mine pour annoncer la terrible nouvelle à Antonio. Heureusement, il vit son père en premier et lui raconta les événements. Vittorio, le regard assombri, annonça la tragédie à son ami. Salvatore observa Antonio écouter son père. A mesure que celui-ci l’écoutait, il vit le visage d’Antonio se décomposer et le vit s’effondrer au sol. Des mineurs qui les entouraient se précipitèrent pour relever leur camarade. Il reprit conscience mais n’arrivait pas à admettre qu’il avait perdu son fils. Il se mit sur ses jambes et commença à remonter le chemin vers sa maison, suivi de près par Vittorio et Salvatore.
Quand il arriva devant chez lui, la police était déjà sur place et Antonio s’arrêta devant un sac mortuaire qui trônait au milieu du salon. Il voulut s’approcher mais un policier lui barra le chemin.
-C’est mon fils ! lui avait crié Antonio en hurlant. Puis, sans force, il avait répété: -C’est mon fils.
Roberto était assis à côté de sa mère. Il se tenait courbé, les bras pendant entre ses jambes, les yeux dans le vague, encore sous le choc. Antonio s’approcha de lui en demandant des explications mais Roberto ne lui répondit pas. Le choc l’avait rendu catatonique.
Il n’y eut pas d’enquête, la mort de Julio étant considérée comme un suicide au vu de ses antécédents psychiatriques. La famille fut peu questionnée sur les raisons de cet acte et le corps de Julio fut rendu à la famille pour l’enterrement. Et la vie reprit son cours pour tout le monde, sauf pour Roberto.
A la suite du suicide de son frère, il commença à délirer, à raconter à sa famille, ainsi qu’à son entourage que Julio était toujours là et qu’il venait souvent le voir pendant la nuit. Il racontait à qui le voulait que son frère avait élu domicile dans le placard de sa chambre et qu’il lui avait promit de rester avec lui. Ayant peur pour sa santé mentale, Antonio avait fait interner son fils dans un centre psychiatrique situé à Manage.
Malheureusement, l’état de Roberto se dégradait progressivement. Les premiers mois de son internement, les surveillants avaient remarqué qu’il parlait souvent tout seul, ce qui ne les avait pas surpris. Cependant, une nuit, un surveillant eut l’impression que quelqu’un était avec Roberto. Il avait donc ouvert la cellule mais avait constaté que Roberto était seul. Il mit ça sur le compte du stress ; travailler avec des barjos toute la journée n’était pas fait pour lui ; mais il aurait juré un instant que Roberto n’était pas seul. Il alla même jusqu’à regarder sous le lit et dans le placard de la chambre mais n’avait rien trouvé. Roberto l’avait regardé sans broncher et n’avait même pas cherché à s’enfuir. Heureusement car si cela avait été le cas, ce surveillant aurait été renvoyé pour négligence. Roberto s’était contenté de regarder le surveillant d’un regard éteint et n’avait pas fait un seul mouvement dans sa direction, sauf quand le gardien s’était approché du placard.
Cependant, le surveillant avait ouvert l’armoire et n’avait rien trouvé d’autre que les vêtements que son patient portait lors de son internement. Il referma donc le placard et se dirigeait vers la porte quand Roberto lui fit une étrange requête. Il demanda au surveillant s’il avait un appareil photo. L’hôpital en possédait un et il revint donc avec l’appareil. Roberto lui demanda de le prendre en photo avec son frère. Ne voulant pas le contrarier, le surveillant s’exécuta. Il prit la photo et la donna à Roberto en lui précisant que celle-ci ne s’afficherait que dans quelques minutes. Mais ce que Roberto lui répondit le marqua à tout jamais. Car quand la photo commença à apparaître, le gardien remarqua que quelque chose se tenait à côté de Roberto. Quand la photographie fut nette, Roberto montra l’apparition qui se trouvait juste à côté de lui. Et ce qu’il dit au gardien sembla le ravir.
-Tu vois ? C’est mon frère Julio ! dit-il en pointant le doigt sur la forme noire qui était assise à coté de lui.
Le gardien, décontenancé, la peur suintant par tous les pores de sa peau, sortit précipitamment de la chambre et ferma à double tour la porte. Il ne signala pas l’événement et il ne revient jamais travailler. Le lendemain de l’incident, il téléphona à l’établissement et donna sa démission pour raison de santé.
La dernière fois qu’Antonio était allé voir son fils, il n’avait presque plus rien d’humain. Il refusait depuis des mois de se nourrir et, un soir de novembre, finit par succomber à une crise cardiaque. Un surveillant les avait appelés pour leur annoncer la nouvelle. Antonio, accompagné de Vittorio, était parti signer les documents nécessaires et récupérer le peu d’affaire que Roberto avait pu emporter. En regardant dans le sac transparent, il avait aperçu la photo de Roberto et ne put s’empêcher de remarquer la silhouette qui se tenait à ses côtés. Il l’observa attentivement et du admettre qu’elle ressemblait énormément à Julio. Il mit la photo dans sa poche et garda ce secret pour lui.
S’en suivit l’enterrement. Les jumeaux étaient enfin réunis. La cérémonie terminée, Antonio, Giulia et Filipe étaient rentrés à la maison. Aucun d’entre eux n’avait pensé prévenir Sylvia des événements. Elle l’apprit bien plus tard par Filipe, le jour de la naissance de Michaël. Le choc fut rude et c’est pourquoi elle donna les prénoms de ses frères à son fils, comme une sorte d’hommage pour leur vie si vite écourtée. Filipe lui avait parlé de l’accident de Julio et de son suicide, ainsi que la dépression mortelle de Roberto.
Peu de temps après, sa mère se fit renverser par une voiture. Bien que le conducteur fût en état d’ivresse, il avait affirmé que la dame s’était jetée sous les roues de sa voiture. Il fut quand même condamné mais Antonio et Filipe connaissaient la vérité. Leur mère délirait encore plus depuis la mort de ses fils et disait qu’elle pouvait les entendre crier après elle. Giulia avait voulut rejoindre ses fils. L’enterrement et les formalités terminés, Filipe avait quitté la Belgique, épuisé par tant de tragédies et son père n’eut plus jamais de nouvelles de lui.
Il était donc resté seul dans cette maison vide et malgré les visites assidues de son voisin et ami de toujours, sa santé commença également à se détériorer. Cela avait commencé par d’horribles cauchemars et des réveils soudains au milieu de la nuit. La maison qui avait toujours résonné de rires joyeux s’était peu à peu transformée en un tombeau silencieux. Puis il avait commencé à entendre des grattements. Ceux-ci provenaient généralement de la chambre des jumeaux mais pouvaient aussi se manifester dans d’autres pièces de la maison. Antonio avait mis cela sur le compte du chagrin. Mais plus le temps passait, plus les manifestations étranges se multipliaient. Il entendait des voix, des rires, des pleurs, des cris. Il voyait des ombres, des formes, des visages. Il sentait des présences, des frôlements, des souffles. Il était persuadé que ses fils étaient revenus le hanter.
Cependant, il se réveillait souvent la nuit avec l’impression d’être observé. Il lui était même arrivé de voir des ombres se balader dans la maison. Il y faisait toujours glacial, même les jours d’été. Les objets aussi avaient tendance à changer de place. Il en avait parlé avec Vittorio et se demandait s’il ne perdait pas la tête. Voyant la santé aussi bien physique que mentale de son ami se dégrader, Vittorio avait appelé Sylvia et l’avait mise au courant de l’état de son père. Il était sûr que si Antonio quittait cet endroit maudit, sa santé ne s’en porterait que mieux. C’est ainsi qu’un jour d’été, Antonio, aidé par Vittorio, Herminia et ses deux fils, avait emballé quelques effets personnels et s’était installé dans la maison de sa fille. Avant de partir, il avait caché l’album photo dans la cheminée. Pourquoi ? Il l’ignorait mais une voix lui disait qu’il en aurait besoin un jour.
Au moment où ils avaient démarré, Antonio avait jeté un dernier coup d’œil par la vitre de la voiture et avait cru apercevoir deux ombres derrières la fenêtre de son ancienne chambre. Elles semblaient l’observer sans bouger. Antonio avait frissonné mais n’avait rien dit. Qui l’aurait cru, de toute manière ? Les fantômes, ça n’existait pas. Du moins, pas d’après la Sainte Bible. Il avait décidé de laisser son passé douloureux derrière lui et s’était concentré sur sa nouvelle vie avec sa fille, son beau-fils et leur nouveau-né, Michaël. Malgré sa santé défaillante, il avait passé les vingt années les plus heureuses de sa vie.
Mais c’était fini. Le passé avait fini par le rattraper. Et maintenant, il se devait de prévenir son petit-fils pour le protéger. C’était, il le pensait, sa dernière mission avant de rejoindre sa famille là où vont tous les défunts.
Son histoire terminée, Antonio avait regardé son petit-fils et avait attendu sa réaction. Le gamin semblait choqué mais avait l’air aussi soulagé. C’était un gamin solide. Quand il s’était tourné vers son grand-père, il avait un air décidé.
-Grand-père, je sais ce qu’il faut faire ! dit-il avec conviction.
Antonio avait repris espoir et l’avait écouté à son tour.
Chapitre 3
Quand mon grand-père eut terminé son histoire, je fus pris d’un accès de terreur mais aussi d’un immense soulagement. Contrairement à ce que je pensais, tous ces événements étaient bien réels. Je ne perdais pas la raison. Je demandais donc à mon grand-père comment s’y prendre pour arrêter ces phénomènes. Il me regarda d’un air malheureux et m’avoua qu’il n’en avait aucune idée. Il avait espéré que tout était fini, sinon il ne nous aurait jamais invités à séjourner dans cette demeure. Vittorio gérait lui-même la venue des locataires et envoyait le loyer sur le compte de mon grand-père. Il n’avait jamais signalé aucune manifestation et Antonio ne lui avait jamais demandé non plus. Je lus la tristesse dans ses yeux mais je le rassurais en lui promettant de trouver une solution. Il me serra la main en m’implorant d’être prudent. Je lui promis et l’aidais à monter les marches et à s’installer dans son lit. Avant de monter dans ma chambre, j’entendis mon Nonno m’appeler. Je me retournais et attendit mais il s’était endormi. Avouer tous ses secrets avait dû être éprouvant pour lui. Mais j’étais heureux qu’il l’ait fait car je sais aujourd’hui qu’il a fait de son mieux pour me protéger. Je l’observais donc encore un moment puis m’apprêtais à monter l’échelle conduisant à ma chambre. La chambre des jumeaux. C’était une pièce mansardée avec deux lits séparés par une commode. Sur les murs, il y avait des posters de footballeurs et de chanteurs italiens. Je passais devant la chambre de mes parents et entendis les ronflements de mon père. J’allais monter l’échelle quand j’entendis une porte s’ouvrir. Je restais un instant sans bouger et je fus soulagé d’entendre la voix de ma mère me demandant si tout allait bien. Je me tournais vers elle en lui disant que grand-père s’était endormi et que j’allais me coucher. Comme la rentrée était proche, je voulais être en forme pour mon premier jour. Elle me souhaita donc bonne nuit et alla se recoucher. Je montais donc et inspectais la pièce. Rien à signaler, tout était à sa place. Je jetais un coup d’œil au crucifix et constatais qu’il était toujours au-dessus de la porte du placard. Cette nuit-là fut calme et je m’endormis sans problème. Le lundi arriva sans aucun phénomène à signaler. Puisque le crucifix avait rempli son office, je commençais à me dire que le calme reviendrait dans nos vies. Je me levais de bonne heure, m’habillais et pris mon cartable. Je descendis dans la cuisine. Ma mère était déjà debout et me préparait mon déjeuner. Je me mis à table et lui demandais ce qu’elle avait prévu pour la journée. Elle m’annonça qu’elle allait faire quelques emplettes avec mon père car ils envisageaient de changer le papier peint des murs et me demanda de rentrer tout de suite après les cours. Je l’embrassais et me dirigeais vers l’arrêt de bus qui se situait pratiquement devant la maison. Quatre garçons s’y trouvaient déjà. Quand j’arrivais à leur hauteur, ils se présentèrent. C’étaient les fils de Salvatore et Sylvio, Mario et Massimo et leurs cousins Lucas et Pietro. Leurs pères leurs avaient demandé de veiller sur moi pour ma première journée d’école. J’étais assez content. Ils avaient l’air sympa et le courant passa immédiatement entre nous. Ils me demandèrent ce que je pensais de ma nouvelle demeure mais ne sachant que répondre, j’haussais les épaules en leur répondant que c’était pas mal. Le bus arriva. Nous montâmes et nous dirigeâmes vers l’arrière. Mario me montra le fonctionnement de ma carte de bus et après avoir validé mon ticket, je m’installais à leur côté. Massimo me regardait avec curiosité. Il ne lui fallut pas longtemps pour me demander comment était la vie en France, les cours que j’y avais suivi et si les françaises étaient plus jolies que les filles d’ici. J’étais rouge comme une tomate. Fichue timidité. Son frère Mario, voyant mon embarras, demanda à Massimo de me lâcher un peu et celui-ci se calma, un grand sourire sur le visage. Arrivé devant l’école, ils m’accompagnèrent au secrétariat où je fis mon inscription. La secrétaire me donna mon emploi du temps.
Mario m’observa et m’annonça que nous étions dans la même classe. Je fus soulagé. J’avais au moins quelqu’un que je connaissais pour mon premier jour. Nous arrivâmes en classe et, après les présentations habituelles, nous commençâmes avec une de mes matières préférées, le latin. Sur le temps de midi, après avoir mangé, il me fit visiter l’établissement. C’était un immense bâtiment rempli de couloirs. J’espérais me familiariser rapidement avec ce dédale de couloirs. Quel labyrinthe ! Il dut voir mon trouble car il me prit par les épaules et me dit : T’inquiète pas, l’ami. On s’y habitue vite. N’est-ce pas un mini Poudlard avec ses rangées interminables d’escaliers, ses grandes allées et ses nombreuses classes ? Il abordait un sourire malicieux et je compris aussitôt que nous étions amis. A la fin de cette première journée, je faisais donc partie de la bande. Mario était très intelligent et me proposa de me remettre en ordre pour les cours que j’avais manqué. J’acceptais et l’invitais donc chez moi en début de soirée. Il parut hésiter mais me promit d’être là. De retour à la maison, ma mère était déjà en train de préparer le dîner. Elle me demanda comment s’était passée ma journée. Je lui parlais de mes amis et elle parut heureuse de voir que je m’adaptais bien. Je l’informais que Mario passerait chez nous ce soir. Mon père arriva à ce moment-là, les bras chargés de rouleaux de papiers peints. Mes parents avaient passé la journée à feuilleter des catalogues et avaient choisi un papier peint de couleur beige doré, espérant donner plus de luminosité à la pièce. Il déposa le tout sur la table de la salle à manger et me lança un catalogue pour que je puisse choisir les tons de ma chambre. Je jetais un coup d’œil sur la couverture et vis que ça venait d’un magasin appelé Leroy Merlin.
En attendant mon repas, je feuilletais le catalogue, à la recherche d’une couleur qui, je l’espérais, donnerait un peu de chaleur à ma chambre, la rendrait moins lugubre. Je finis par choisir un ton bleu assez neutre et le montrai à mon père. Il regarda et me dit que c’était pas mal. Les assiettes arrivèrent. Mon père posa les rouleaux de papier peint à même le sol et se mit à manger comme un affamé. Je le regardais certainement d’un drôle d’air car quand il croisa mon regard, il se mit à rire. Je ris également. Il était très drôle avec la moustache de sauce tomate qu’il avait autour de la bouche. Ma mère alla chercher mon grand-père dans sa chambre. Elle m’informa que Nonno n’avait pas eu une bonne journée et qu’elle était restée auprès de lui, laissant mon père s’occuper du papier peint. J’attendis de les voir arriver quand, soudain, des hurlements terribles se firent entendre. Nous nous précipitâmes vers les marches mais avant que l’un d’entre nous n’atteigne le haut de l’escalier, la porte de la chambre s’ouvrit et ma mère s’effondra sur le seuil. Mon père se lança directement vers elle. Il lui prit la tête dans les mains et l’appela doucement en lui caressant les cheveux. Par la porte entr’ouverte, je vis ce qui l’avait fait défaillir et mon cœur s’emballa. Je passai par-dessus mes parents et m’approchai doucement du lit. Couché sur le côté, mon grand-père avait les yeux vitreux et écarquillés par la peur. Au bout de son poignet pendait un chapelet. Sa main était toujours serrée autour de la petite croix qui y pendait. La réalité me frappa de plein fouet. Nonno, mon grand-père, mon meilleur ami, venait de nous quitter. Je restai immobile, le regard fixé sur son visage. La gorge nouée, je n’arrivai pas à bouger. Ma mère revint doucement à elle et se mit à pleurer hystériquement. Mon père la serra contre lui et m’appela. Voyant que je ne réagissais pas, il m’appela de nouveau et je dus me forcer à détourner le regard du visage horrifié de mon Nonno pour le regarder. “Appelle le docteur”, me dit-il. Devant mon regard perdu, il me demanda de nouveau de passer l’appel au médecin pour faire constater le décès. Il me tendit son téléphone et je lui pris d’une main tremblante. J’étais comme dans un état second. Je fis défiler les contacts et tombai sur le bon numéro. La sonnerie retentit quelques secondes et une dame me répondit. Je lui expliquai la situation et elle me répondit : “Le docteur sera là dans les vingt prochaines minutes.” Je raccrochai sans rien dire. Ma mère était toujours au sol, dans les bras de mon père et semblait ne pas pouvoir se relever. Je rejoignis mon Nonno et attendis, lui prenant la main, lui parlant doucement dans l’espoir qu’il puisse encore m’entendre. Les larmes coulant sur mon visage, je remarquai quelque chose dépassant de son oreiller. Je tendis la main et mes doigts touchèrent un bout de papier. Je tirai doucement dessus et vis qu’il s’agissait d’une enveloppe. Je l’ouvris et pus y apercevoir quelques pages pliées à l’intérieur, ainsi que des photographies. La sonnerie de la porte retentit et je m’empressai de mettre l’enveloppe dans la poche de mon jeans. Mon père alla ouvrir et remonta avec le docteur. Le médecin s’approcha du lit, plaça mon Nonno sur le dos, lui prit le poignet à la recherche d’un quelconque pouls, mit son oreille sur sa poitrine et se releva en soupirant. C’était fini. Il ferma les yeux du mort et nous adressa ses plus sincères condoléances. Il quitta la pièce et aida mon père à conduire ma mère au rez-de-chaussée. Je n’avais pas envie de descendre. Je voulais encore rester près de lui, avant qu’on vienne nous l’enlever. Je pris donc l’unique chaise qui se trouvait dans la pièce et le veillai pendant quelques heures. Je crois que ce fut pour moi le jour le plus douloureux de ma vie. Encore aujourd’hui, l’évocation de ce souvenir me brise le cœur aussi atrocement que ce jour maudit. A un moment donné, j’entendis des pas dans les escaliers.
Après quelques minutes, Vittorio passa la porte. Il était suivi de sa femme et de ses fils. Ils me présentèrent leurs respects et Vittorio se dirigea vers mon grand-père. Je sortis de la pièce. Je voulais le laisser dire au revoir à son ami de toujours. Je descendis donc les marches et tombai sur Mario. Il me demanda comment j’allais. Je me retournai pour lui répondre mais la tête me tourna et je fus pris de vertiges. Je repris mes esprits, la voix de Mario répétant mon nom avec insistance. J’étais allongé sur le sol. Je me relevai avec l’aide de mon ami et me dirigeai vers le salon. Ma mère était allongée dans le canapé. Le docteur venait de lui administrer un calmant et mon père lui tenait la main, assis à son chevet. Il avait les yeux rougis mais restait silencieux. Il se devait de rester fort, pour ma mère, pour moi, pour lui. Il m’aperçut et me fit signe de le rejoindre mais je secouai la tête. Mario m’attrapa par les épaules et dit à mon père que nous allions prendre l’air dans la rue un moment. Mon père y consentit et je me laissai entraîner par mon ami. L’air frais de la soirée me remit un peu les idées en place. Mario se dirigea vers le jardin de son grand-père et je le suivis, m’installant sur le même petit banc de pierre que possédait ma maison. Nous restâmes un long moment sans parler, puis Mario me demanda ce qu’il s’était passé. Au lieu de lui répondre, je pris l’enveloppe de ma poche et en sortis son contenu. Je distinguai une écriture tremblante qui recouvrait les pages et commençait par le nom de ma mère. Je compris que cette lettre lui était adressée. En regardant les photographies, je me rendis compte qu’elles ne provenaient pas de l’album photo que mon grand-père m’avait montré. Il y en avait une bonne vingtaine. Je les regardai l’une après l’autre. L’horreur m’envahit doucement. Voyant mon visage blêmir, Mario regarda également les photographies et lui aussi devint pâle comme la mort. Il porta sa main à la croix qu’il portait autour du cou et se signa plusieurs fois… Les photographies représentaient mon grand-père lors de sa vie solitaire. On pouvait voir de manière successive plusieurs silhouettes se rapprocher de plus en plus de lui. Sur la dernière photo, on distinguait parfaitement deux visages juste derrière lui. Et ces visages étaient reconnaissables entre tous. C’était les jumeaux. Leurs yeux semblaient exprimer une terreur sans nom. Leurs bouches étaient ouvertes sur un cri silencieux. En y regardant de plus près, on pouvait voir qu’une autre entité se trouvait derrière eux. La photographie avait été prise dans le petit palier de l’étage. En haut sur la droite, on pouvait voir l’escalier escamotable. A son pied se tenait une ombre noire. De longs bras. De longues jambes. Sa tête paraissait être deux fois plus grosse que la normale. Mais le plus terrifiant était sa face. La photo ne montrait que le bas de son visage mais ce que l’on y apercevait était terrifiant. Une énorme gueule se détachait de ce faciès rugueux comme le cuir. Sa bouche semblait étirée de manière grotesque et révélait une rangée de dents acérées et pointues. Mario me demanda ce que tout cela voulait dire. Ne sachant que lui répondre, je lui racontai… l’histoire que mon grand-père m’avait contée la veille. Il m’écouta attentivement sans m’interrompre une seule fois. Quand j’eus fini, il resta silencieux un moment, semblant réfléchir.
Il se leva et se dirigea vers la maison de son grand-père. Je l’attendis un moment et le vis revenir avec un petit papier à la main. Inscrit d’une écriture bien nette, se trouvait un numéro de téléphone. Je le regardais un instant sans savoir quoi dire et il me précisa que c’était le numéro de téléphone du Père Rosso. Je ne veux pas t’effrayer mec, me dit-il, mais ce qui se passe chez vous n’est pas normal. C’est maléfique. Ce qui vit chez vous n’est pas humain et je pense que cette chose est dangereuse. On devrait aller voir le Père Rosso et lui montrer les photos. Je le regardais, les yeux pleins de détresse et glissai le morceau de papier dans ma poche, sans rien ajouter. Une ambulance arriva devant chez nous et je vis quatre brancardiers monter avec une civière. Je me levai et me rapprochai de la porte d’entrée. Quelques minutes plus tard, ils descendirent avec le corps de mon Nonno. Au moment de le charger dans l’ambulance, le bras de mon grand-père glissa de la couverture qui le recouvrait. Je m’approchai pour la remettre avant qu’un des ambulanciers ne puisse réagir et arrachai le chapelet qui se trouvait encore dans sa main. J’eus du mal à le détacher et remarquai alors que la croix semblait coller à sa main et avait laissé une trace de brûlure sur sa paume. Je regardais cette marque, troublé, mais avant d’avoir le temps d’interpréter ce que je voyais, je sentis qu’on me repoussait gentiment sur le côté. L’ambulancier remit le bras à sa place et la civière entra dans l’ambulance. Trois d’entre eux se mirent à l’arrière et le quatrième s’installa au volant. Quelques instants plus tard, le véhicule démarra et tourna au coin de la rue, en direction de l’hôpital de La Louvière. Je restai un moment au milieu de la rue et entendis Mario me rejoindre. Cependant, une question me taraudait et je me tournai vers mon ami. Mario, lui dis-je, si mon grand-père vivait seul et qu’il était sur les photos, qui tenait l’appareil ? Mario réfléchit un instant, puis, me regardant d’un air abasourdi, me répondit : Il n’y avait qu’une seule personne qui possédait ce genre d’appareil à l’époque. Et cette personne, c’est mon Nonno ? Nous nous fixâmes un instant sans savoir quoi faire. Soudain, Mario se dirigea vers ma maison. Je le suivis en lui demandant ses intentions. Quoi ? Tu veux aller voir ton grand-père maintenant ? Il s’arrêta net et me dit : Je veux savoir s’il était au courant de tout ça. Car si c’est le cas, il nous met tous en danger ! Je l’arrêtai en l’empoignant par le bras. Il me regarda d’un air surpris. Pas maintenant, lui dis-je. Le moment est mal choisi pour lui mettre ça sous le nez. Mais après l’enterrement, j’aimerais avoir une discussion avec ton grand-père. Mario me regarda droit dans les yeux, soupira et acquiesça. Nous revînmes donc calmement dans la maison et j’allais rejoindre mes parents. Ma mère était effondrée. Elle ne cessait de pleurer et de prononcer le nom de son père d’une voix brisée. Herminia la tenait dans ses bras et essayait de la calmer de son mieux. Je restais un moment auprès d’elle et quand le calmant finit par faire son effet et qu’elle tomba endormie, je rejoignis mon père. Il parlait avec Vittorio pour l’organisation des obsèques. Je les laissais discuter et allais m’installer à côté de ma mère. Herminia me regardait avec compassion. Elle se leva et vint me serrer contre elle. Je me sentais assommé. J’avais l’impression de ne plus avoir d’air dans les poumons, de me noyer. Après un moment, elle me lâcha et alla rejoindre son mari et mon père. Ne tenant plus en place, je montais les escaliers jusqu’à la chambre de mon grand-père. Quand je pénétrai dans la pièce, un grand froid y régnait. Je n’y avais pas prêté attention lorsque j’étais monté plus tôt. Me rapprochant du lit, je me laissai tomber dessus et regardai autour de moi. Mes yeux tombèrent sur la photo de mon Nonno. -Tu l’as enfin rejoint, dis-je tout haut dans la pièce vide. Vous êtes réunis. Tu me manques déjà tellement, Nonno. Les larmes se mirent à couler, silencieuses, sur mon visage. Je restai encore un moment quand j’entendis soudain ces maudits grattements. Sans réfléchir, je me levai, soudain empli de colère et hurlai :
-Vous êtes contents ? Vous avez fini par l’avoir ? C’est ce que vous vouliez ? Bande d’ordures ! Pourquoi ? Pourquoi ? C’était votre père !
Je finis par me calmer et tendis l’oreille. Aucune réponse. Je décidai donc de descendre. Arrivant sur le seuil de la chambre, j’entendis comme un ricanement rauque. Je me retournai et crus voir dans un coin reculé de la pièce une sorte d’ombre allongée. Je m’essuyai les yeux pour mieux voir mais quand je regardai de nouveau, elle avait disparu. Cependant, une drôle d’odeur emplit la pièce. Une odeur pestilentielle. Une nuée de mouches. Mes yeux qui se mettent à brûler. Je commençai à suffoquer. Pris de panique, je cherchai la poignée à tâtons et finis par sortir de la chambre en refermant la porte derrière moi. Je restai un moment cloué sur place et j’entendis encore les grattements, mais cette fois, ils paraissaient plus forts, comme des griffes qui se déplaçaient sur le plancher. Des pas lourds se faisaient entendre. Ils se dirigeaient vers la porte. Terrorisé, je descendis l’escalier et me précipitai dans le salon. Ma mère était toujours endormie. Je tendis l’oreille, m’attendant à entendre des pas descendre les marches, mais cela ne se produisit pas. Je voulais aller tout raconter à mon père – il était toujours en conversation avec Vittorio – mais je n’en fis rien. En m’asseyant, je ressentis une brûlure dans la main. J’ouvris celle-ci et remarquai que je serrais toujours la croix du chapelet de mon Nonno. Je la pris de l’autre main et sifflai quand celle-ci se détacha difficilement de ma peau. Je regardai ma paume avec stupéfaction. La croix y avait l’air incrustée. Exactement comme mon grand-père. Je ne comprenais pas ce que tout cela voulait dire. Je remis le chapelet dans ma poche et allai passer ma main sous l’eau dans la salle de douche. En regardant dans le miroir, je m’aperçus que je n’étais pas seul. Derrière moi se tenaient deux silhouettes sombres. Deux silhouettes identiques. Elles m’observaient sans bouger, cependant leurs visages étaient toujours tendus sur ce cri silencieux, comme s’ils me demandaient de l’aide. Pris de panique, je fermai les yeux en répétant sans cesse : Allez-vous-en ! Allez-vous-en ! Laissez-moi ! Laissez-nous tranquille ! Un vent glacial sembla me traverser puis tout redevint calme.
J’ouvris les yeux avec précaution, mais il n’y avait plus personne. Les larmes me montèrent aux yeux, je me sentais abandonné. Je courus rejoindre mon père dehors et me blottis contre lui sur le banc de pierre. Mon père me prit dans ses bras sans un mot. Je levais les yeux vers lui et il me sourit tristement. Nous restâmes ainsi un moment puis nous rentrâmes dans le salon. Ma mère dormait toujours, elle ne se réveillerait pas avant le lendemain. Mon père alla chercher le matelas gonflable dans la pièce de devant et l’installa dans le salon. Je me glissais dans l’autre canapé. Hors de question que je remonte à l’étage. Il ne me força pas à monter dans ma chambre. Il se coucha et me dit de dormir un peu. Demain serait une longue journée. J’aurais voulu lui raconter ce qui s’était passé, mais je gardais le silence. J’avais l’impression que c’était à moi de régler ce problème. Après tout, j’étais le seul à voir cette chose depuis que mon grand-père était mort. Je ne voulais pas leur faire plus de peine alors que ma mère venait de perdre son père. Je lui souhaitais bonne nuit et je fermais les yeux. Le sommeil m’emporta aussitôt. J’étais épuisé par cette soirée cauchemardesque. Le lendemain, je me réveillais avec un goût de cendre dans la bouche. Je sortis du canapé sans faire de bruit pour ne pas réveiller mes parents. En passant devant la salle de douche, je jetais un coup d’œil à l’intérieur. Rien d’anormal, apparemment. Je décidais de me laver. Je montais les escaliers pour aller chercher des vêtements propres et je m’arrêtais devant la porte de la chambre de mon grand-père. Je tendis l’oreille mais n’entendis rien. J’étais nerveux mais je continuais vers ma chambre. Dès que j’entrais, je sentis que quelque chose n’allait pas. La pièce était plongée dans l’obscurité et l’air était glacial. Je me précipitais vers mon bureau, cherchant à tâtons mes vêtements, quand un étau invisible se referma sur ma poitrine et me coupa le souffle. Ma tête tournoyait, je vacillais sur mes jambes. Un bruit grinçant me fit sursauter. En panique, je balayais la pièce du regard et découvris avec horreur que la porte du placard s’était ouverte. Je m’approchais prudemment, le cœur battant, et heurtais du pied un objet dur. Je me baissais pour le ramasser et mon sang se glaça. C’était un morceau du crucifix que mon grand-père m’avait donné. Je restais pétrifié. Mes jambes flageolaient et je reculais du placard. Quand je touchais le dossier de ma chaise de bureau, la porte du placard claqua brutalement. Un souffle fétide emplit ma chambre, comme si un cadavre en décomposition s’y cachait. Soudain, je ne fus plus seul dans la pièce. Je sentis une présence maléfique derrière moi. Paralysé par la peur, je hurlais : Qui êtes-vous ? Qu’est-ce que vous voulez ? Laissez-moi tranquille ! Le silence retomba et rien ne bougea plus. J’attendais une nouvelle attaque mais rien ne vint. Tremblant comme une feuille, je saisis une pile de vêtements sur mon lit et dévalais l’échelle.
Mon cœur battait la chamade. Je courus jusqu’au seuil de l’escalier et me retournais malgré moi. Ce que je vis à cet instant me terrifia au-delà de toute mesure. Mon esprit n’arrivait pas à concevoir ce que mes yeux me montraient. Une entité monstrueuse, d’une taille impressionnante se tenait au pied de l’échelle. Elle était si noire que la lumière ne filtrait pas au travers. Elle avait un corps maigre muni de bras d’une longueur inhumaine et ses mains étaient terminées par de grandes griffes acérées. Mais le plus terrifiant était son absence de traits. Là où il y aurait dû avoir des yeux et un nez se trouvaient une sorte de membrane épaisse comme du cuir. La chair semblait pulser. Seule une énorme gueule pleine de dents effilées se détachait sur cet horrible masque de chair. La chose me fixait sans bouger et semblait me toiser en émettant des grognements sourds. Avant même que je puisse faire le moindre mouvement, je vis sa bouche s’agrandir et elle murmura mon nom. Lorsqu’elle prononça ce simple mot, je vis que l’intérieur de sa bouche était rempli d’yeux de couleur vert jaunâtre et dont la pupille évoquait celle des reptiles qui me regardaient avec avidité. C’en était trop. Je me mis à hurler si fort que mes poumons étaient en feu. J’étais collé contre le mur du couloir mais mes jambes ne voulaient pas bouger. Je la vis tendre les bras vers moi et le noir m’envahit.
Un bruit de pas précipité me ramena à la réalité. J’étais allongé dans le couloir, mes vêtements éparpillés autour de moi. Je me redressais doucement et vit le visage de mon père au bas des marches. Il se précipita sur moi et m’aida à me relever. J’étais complètement assommé. Quand il me demanda pourquoi j’avais crié, mon regard se tourna instinctivement vers l’échelle et la terreur m’assaillit de nouveau. Mes jambes patinaient pour essayer de m’éloigner de l’échelle. Je n’arrivais pas à prononcer le moindre mot. Je ne pus que me relever et entraîner mon père vers les escaliers tout en regardant derrière lui à chaque marche. Mon père m’assaillait de questions mais je me contentais de descendre le plus vite possible, voulant mettre le plus de distance possible entre cette horrible entité et moi. Arrivé dans le salon, j’allais m’asseoir sur le canapé, mon père toujours sur les talons. Il me regarda avec inquiétude et m’invita à m’expliquer. Je jetais un œil sur ma mère mais les calmants devaient être forts car elle ne s’était pas réveillée. J’entraînais mon père vers la cuisine et décidais de lui raconter ce que j’avais découvert jusque là. Je lui résumais l’histoire de mon grand-père, lui montrais les photos et lui décris tous les événements étranges que j’avais vécu dans ma chambre. Je terminais par l’apparition de l’entité et lui révélais qu’elle avait prononcé mon nom. Mon père prit le temps de regarder les photographies et je voyais bien qu’il était mal à l’aise. Il se mit à faire les cents pas. Je commençais à me calmer un peu quand j’entendis ma mère nous appeler du salon. Mon père me regarda et me demanda de garder cela pour nous. J’allais le contredire mais il me promit que nous nous occuperions de tout cela après les funérailles. Avant qu’il ne rejoigne ma mère, il se tourna sur moi et me dit : Je te crois, Michaël. Depuis que nous sommes arrivés dans cette maison, j’ai toujours eu cette sensation que quelque chose ne tournait pas rond. Je ne suis pas aussi insensible qu’on pourrait le croire. Mais tu sais que j’ai toujours essayé de rationaliser. Cependant, il se passe des choses incompréhensibles dans cette maison. Et avec ce que tu viens de me raconter, le doute n’a plus sa place. Ne t’inquiète pas, Champion. Nous allons trouver une solution. Nous irons voir ce prêtre et voir s’il peut nous aider. Mais pour l’instant, nous devons nous occuper de ton Nonno. Et à partir d’aujourd’hui, tu dormiras au salon jusqu’à ce que cette histoire soit réglée. Je me sentis un peu mieux, un peu moins seul. J’avais cru pouvoir gérer cette situation comme un homme mais j’étais encore jeune. Et savoir que mon père me croyait et me soutenait fut un énorme soulagement. Je n’étais plus seul pour affronter cette horrible chose. J’allais donc prendre ma douche et m’habiller. En sortant de la douche, la buée recouvrait tout. J’allais frotter le miroir avec ma serviette quand je remarquais des lignes se former sur celui-ci. En me reprochant pour lire, je déchiffrais « Aiutaci ». De toute évidence c’était de l’italien. Mais bien que ma mère soit italienne, elle ne me l’avait jamais enseigné. Malgré ma stupéfaction devant ce phénomène, je me précipitais dans la cuisine à la recherche de mon GSM pour prendre une photo du miroir et réussis à l’avoir. Les lettres commençaient à s’estomper mais on y voyait encore l’inscription. Je lançais la traduction et fut sous le choc quand je vis ce que cela voulait dire. « Aide-nous ». Je ne sus comment réagir et me contentais de répondre à voix haute : Comment ? Mais je n’obtins aucune réponse. Le miroir était maintenant sec et rien d’autre ne vint s’y inscrire. Je décidais de garder cela pour moi et m’habillais. J’allais rejoindre mes parents. Mon père essayait d’obliger ma mère à avaler quelque chose mais elle refusait. Elle se contenta de boire une tasse de café et mon père cessa d’insister. Je m’installais à côté d’elle et lui pris la main. Elle la serra sans me regarder. J’avais mal de la voir souffrir.
Je restais ainsi près d’elle et quand il fut temps de se rendre au funérarium, je l’aidais de mon mieux, la soutenant, la gardant dans mes bras pendant que mon père parlait au personnel des pompes funèbres. Quand nous arrivâmes au choix du cercueil, mon père se tourna vers ma mère mais celle-ci secoua la tête. Elle n’était pas en état de s’occuper de ça. Mon père paraissait désemparé. Je décidais donc de la ramener dans la voiture et de laisser mon père gérer les dernières obligations. Il saurait se débrouiller. J’installais ma mère à l’arrière et m’assis à ses côtés. Elle ne pleurait plus mais son regard était cerné et elle regardait le vide. Je me souviens soudain de la lettre que mon grand-père avait laissée à son attention. J’y songeais un moment mais décidais de ne pas lui transmettre avant de l’avoir lue au préalable. Je ne savais pas quel effet aurait cette missive où si elle contenait quoi que ce soit sur les événements qui perturbaient notre quotidien. Je me contentais donc de lui tenir la main. Un peu plus d’une demi-heure s’écoula avant que je ne vois mon père sortir de l’établissement. Il s’installa au volant, nous regarda par le rétroviseur et démarra la voiture sans dire un mot. Nous rentrâmes à la maison et mon père alla installer ma mère dans le canapé. Elle paraissait dans un état second. Je commençais à m’inquiéter pour elle. Habiter ici avec cette menace dans nos murs n’allait pas arranger les affaires. Pourtant, il fallait que ma mère soit au courant. Dans son état, elle était une cible de choix en cas d’attaque de la présence diabolique. Du moins, c’est ce que je pensais. Ayant lu quelques articles sur des phénomènes paranormaux, je savais que les personnes fragiles étaient des cibles de choix. Quelques instants plus tard, on frappa à la porte. Mon père était au téléphone avec l’hôpital pour savoir quand les pompes funèbres pourraient récupérer la dépouille de mon grand-père. J’allais donc ouvrir et tombais sur Mario. Il me salua et s’excusa de me déranger dans un moment pareil mais il avait quelque chose à me montrer. Je m’écartais pour le laisser entrer mais il refusa. Il avait l’air terrifié et ne cessait de regarder les fenêtres de l’étage. Il me proposa de le rejoindre chez lui dans la soirée. J’acceptais et il repartit vers sa maison. Je refermais la porte et rejoignis mes parents dans le salon. Mon père préparait le repas. Ma mère était partie s’allonger dans leur chambre. Nous étions donc seuls et je demandais à mon père ce qu’il avait l’intention de faire. Il me répondit qu’il ne savait pas encore. Je profitais de ce moment pour lui parler de la lettre que mon grand-père avait laissé à sa fille. Intrigué, il me demanda de la lui apporter. J’allais dans la salle de douche pour la récupérer dans la poche de mon pantalon. Je regardais le miroir mais aucun autre message ne m’attendait. Je revins avec l’enveloppe et lui tendit la lettre. Mon père s’installa à la table et se mit à lire.
Quand il eut fini, je la pris et constatais que c’était une lettre d’adieux. Mon grand-père lui demandait pardon pour ses frères qu’il n’avait pas pu aider et pour la mort de sa femme mais ne mentionnait aucun des événements qui avaient conduit les jumeaux à leur mort, ni même les vraies raisons de la mort de sa femme. Il lui disait qu’il l’aimerait toujours et qu’elle ne devait pas s’en vouloir. Que les vingt années passées à nos côtés avaient été un pur bonheur et qu’il serait toujours là pour elle. En regardant la lettre, je remarquais que la date inscrite au-dessus datait de seulement quelques jours avant que mon grand-père ne me raconte son histoire. Je mis la lettre de côté et montrais les photographies à mon père. Il les prit et les fit défiler. À mesure qu’il passait de l’une à l’autre, son visage affichait des expressions de plus en plus sinistres. Il me demanda s’il y en avait d’autres et je lui parlais de l’album. Je montais doucement les marches pour me rendre dans ma chambre. En passant devant la chambre de mes parents, j’entrouvris la porte et constatais que ma mère dormait. Je refermais doucement pour ne pas la réveiller et montais l’échelle. Tout semblait calme et j’en profitais pour filer vers mon bureau où l’album était posé. Je jetais un coup d’œil sur une caisse que je n’avais pas encore déballée et qui contenait mon ordinateur de bureau. Je décidais de le placer dès que j’aurais montré l’album à mon père. Il serait sûrement utile si je devais faire des recherches sur la manière de nous sortir de cet enfer. Je redescendis doucement et me réinstallais à table. J’ouvris l’album et le montrais à mon père. Comme moi, il détailla chaque photo, en observant bien celle des jumeaux. La dernière photographie le fit sourire. Ma photo de moi étant bébé. Je lui demandais son avis et il me dit qu’effectivement, tout cela était troublant. Mise à part la première photographie, mon grand-père n’apparaissait sur aucune autre. Je n’avais pas fait le rapprochement. Encore une fois, qui se trouvait derrière l’appareil ? Le téléphone de mon père se mit à sonner et nous fit sursauter. Mon père décrocha. C’était l’hôpital. Il nous informait que la dépouille de mon grand-père était en route pour le funérarium. Mon père les remercia et raccrocha. Je le regardais soupirer. Il va falloir aller réveiller ta mère, me dit-il. Nous devons aller organiser la veillée funèbre. Je montais donc les escaliers et allais rejoindre ma mère dans sa chambre. Je passais d’abord par la chambre de mon Nonno. Quand je pénétrais dans la pièce, je vis avec consternation qu’un désordre sans nom régnait dans la pièce. Les vêtements de la penderie de mon grand-père étaient éparpillés à même le sol, ses livres personnels étaient tombés des étagères et même la couverture que ma mère lui avait tricotée pour les froides nuits d’hiver avait été projetée au-dessus d’un lampadaire. Cela me mit en colère. Mais le temps me manquait. Donc, je remis de l’ordre dans la pièce pour ne pas inquiéter ma mère et refermais doucement la porte.
J’étais sur le point de la rejoindre quand j’entendis des grattements dans la chambre. Je n’y fis pas attention et ouvris la porte. Elle dormait encore, sous l’effet des calmants qu’elle avait pris. Je la secouai doucement et elle ouvrit les yeux péniblement. Je lui annonçai le coup de fil de l’hôpital et elle me dit de descendre, qu’elle nous rejoindrait. Je lui proposai mon aide mais elle refusa d’un signe de tête. Je la laissai donc se préparer à son rythme et descendis retrouver mon père dans le salon. Il portait son costume le plus sombre et me tendit le mien. Je me rendis à la salle de douche pour me changer. Alors que je boutonnais ma chemise, mes yeux furent attirés par le miroir. J’avais cru voir un mouvement. Je m’approchai et crûs entendre des grattements venant de l’autre côté de la glace. Je me rapprochai encore, jusqu’à ce que mon nez frôle presque le miroir quand je vis quelque chose qui me glaça le sang. Le rideau de douche était éclairé par la lumière venant de la petite fenêtre de la salle de bain. Là où il n’y aurait dû avoir que le reflet du pommeau, se tenaient deux silhouettes immobiles. Mes cheveux se hérissèrent sur ma tête et ma gorge se serra. La panique envahit tout mon corps. Je me retournai lentement vers la cabine de douche. Les silhouettes étaient toujours là. J’avançai lentement la main vers le rideau, la sueur perlant sur mon front. Mon cœur battait à tout rompre. Je respirais fort. Ma main atteignit le rideau et je décidai de l’écarter d’un geste brusque. Je tremblais de peur, prêt à m’enfuir, mais la cabine était vide. J’essayai vainement de reprendre mes esprits en inspectant la petite cabine mais il n’y avait aucun recoin où quelqu’un ou quelque chose aurait pu se cacher. Je refermai donc le rideau et me tournai vers le reste de ma tenue. J’attrapai mon pantalon et ma veste et les enfilai rapidement. Mon cœur palpitait. Je pris ma cravate et me rapprochai prudemment du miroir pour faire mon nœud. J’avais presque terminé quand j’entendis des petits coups frappés derrière le miroir. Mon cœur fit un bond dans ma poitrine. Non ! Pas encore ! Je restai figé et, sous mes yeux ébahis, je vis encore des mots s’inscrire sur la vitre. J’entendais ce bruit irritant que fait quelqu’un quand il passe ses doigts sur une vitre humide. Mais cette fois, le message était différent : « Per favore, liberaci ! » Je tremblais de terreur. Les mots s’effacèrent progressivement, comme la première fois, mais j’entendis encore ce genre de petits coups comme quand quelqu’un tape contre une vitre pour attirer votre attention. Je me ressaisis du mieux que je pus et attendis de voir si une autre manifestation allait se produire. Plusieurs minutes s’écoulèrent et je m’apprêtai à sortir de la pièce quand j’entendis prononcer mon nom. Je me figeai, la main sur la poignée. Me retournant doucement, ce que j’aperçus dans le miroir me fit l’effet d’une douche glacée pendant un jour de canicule. Derrière la vitre, le visage des jumeaux me regardait et semblait implorer mon aide. Mais le pire était cette espèce de chaîne qui semblait attachée à un anneau greffé sur leur poitrine. Je ne savais pas quoi faire, ni qu’en penser. Qu’était donc cette chaîne ? Était-ce une sorte de punition? Ou bien étaient-ils prisonniers ? Dans ce cas, par qui ? Ou par quoi ? Plongé dans mes pensées et le regard toujours fixé sur le miroir, je sursautai quand on frappa à la porte.
Mon père passa la tête et me demanda si j’étais prêt. Je me tournai vers le miroir mais les jumeaux avaient disparu. Je sortis sans rien dire. J’étais encore sous le choc de cette apparition. Ma mère était assise sur le canapé, vêtue d’une robe noire et d’un petit chapeau orné d’un voile noir. Je ne l’avais jamais vue porter ce genre de tenue et cela me fit un choc. Elle semblait avoir vieilli de vingt ans en quelques heures. Je m’approchai d’elle et pris ses mains dans les miennes. Elle me sourit faiblement et me dit que j’étais très beau dans mon costume. Je lui rendis son sourire et l’aidai à se lever. Elle était maigre et son visage était crispé. Nous quittâmes la maison et nous dirigeâmes vers la voiture. Nous rejoignîmes le funérarium. A notre arrivée, deux employés accueillaient déjà les gens qui affluaient. Cette pensée me réconforta. Mon grand-père avait été très aimé par sa communauté. De nouveau, mon cœur se serra à l’idée que je ne le reverrais plus jamais. Nous sortîmes de la voiture et allâmes rejoindre mon Nonno.
Chapitre 4
La veillée dura trois jours. Les amis de mon grand-père défilèrent devant sa dépouille pour lui rendre hommage et lui dire adieu. Le troisième jour, je vis arriver un homme que je n’avais jamais rencontré de ma vie mais qui pourtant me semblait familier. Sans saluer personne, il se dirigea directement vers le cercueil. Il avait l’air dévasté et regardait mon Nonno avec une expression de profonde douleur. Je me rapprochai de mon père et lui demandai de qui il s’agissait. Mon père le regarda un instant et me répondit que c’était mon oncle Filipe. En l’observant de plus près, je reconnus le jeune homme qui se trouvait sur les photos de l’album de mon grand-père. Il avait vieilli et grossi mais c’était bien lui. Il dut sentir mon regard sur lui car il se retourna et me fixa avec insistance. Il se pencha sur son père et l’embrassa sur le front puis me rejoignit. Tu dois être Michaël, me dit-il en me tendant la main. Je la lui serrai et acquiesçai. Tu as bien grandi, me dit-il. Tu ressembles tellement à… Il laissa sa phrase en suspens et secoua la tête comme s’il voulait chasser une pensée. Sans rien ajouter, il se dirigea vers ma mère et la serra dans ses bras. Mon père vint me rejoindre et m’informa que c’était lui qui avait prévenu mon oncle de la mort de son père. Il l’avait retrouvé grâce aux réseaux sociaux et lui avait laissé un message avec l’adresse du funérarium et la date de l’enterrement. Il n’avait obtenu aucune réponse de sa part et fut donc surpris quand il l’avait vu arriver. Mon père me proposa d’aller boire quelque chose et alla rejoindre ma mère. Celle-ci était en pleine discussion avec son frère et semblait agacée. Je décidai de sortir prendre l’air. Quelques instants plus tard, je vis Mario, Massimo, Lukas et Pietro arriver devant l’établissement. Ils me virent et me rejoignirent. Salut Michaël, me dit Massimo. Je suis vraiment désolé pour ton Nonno. C’était un homme bon. Je le remerciai et nous restâmes ainsi quelques instants sans rien dire. Mes épaules se mirent à trembler et mon visage se crispa. Mario s’approcha et me serra contre lui. Je me laissai aller contre mon ami et me mis à pleurer à gros sanglots. La crise passée, je me redressai et m’excusai auprès des autres. Mario secoua la tête et me dit : T’excuse pas, mec. C’est normal. Si tu as besoin de quoi que ce soit, on est là. Ça sert à ça les amis. Je fus touché. On ne se connaissait que depuis quelques mois et ils me considéraient comme de la famille. C’est donc entouré de mes amis que je rejoignis mes parents. Ils allèrent se recueillir autour du cercueil, y restèrent un moment et vinrent me rejoindre devant le buffet. Voilà bien une tradition que je n’arrivais pas à comprendre. Comment pouvait-on manger dans un moment pareil ? Je restai donc avec mes amis pendant que mes parents serraient les mains des personnes venues rendre hommage à mon grand-père. La matinée passée, nous nous dirigeâmes vers l’église et c’est le cœur serré que j’écoutai chaque personne dire un mot pour mon Nonno. Je n’avais préparé aucun discours et je ne pus que balbutier un faible adieu, la gorge nouée par le chagrin. La cérémonie terminée, nous regagnâmes nos voitures et suivîmes le cortège jusqu’au petit cimetière de notre village. Le père Rosso entama son discours mais je ne l’écoutai qu’à moitié, ne pouvant détacher les yeux du cercueil. Quand ce fut terminé, je pris une poignée de terre dans ma main et, comme le veut la tradition, la jetai sur le cercueil. Les yeux remplis de larmes, je m’éloignai pour respirer un peu. Mes parents restèrent encore un moment puis remontèrent lentement l’allée jusqu’à leur voiture personnelle. Je m’étais installé sur un banc, un peu en retrait et laissai tomber mon regard sur les stèles posées devant moi. J’y déchiffrai les noms inscrits dessus et mon cœur se glaça. C’était les tombes de mes oncles décédés. Le souvenir de leurs visages suppliants me revint en mémoire.
Avant même que je ne réagisse, mon oncle Filipe se dirigea vers moi et me demanda d’aller rejoindre mes parents. Je me levai donc et montai dans la voiture sans rien dire. De la vitre de la voiture, je l’observai un moment. Il regardait les tombes de ses frères et son regard était sombre. Mon père démarra la voiture et je le perdis de vue. De retour à la maison, ma mère monta directement dans sa chambre et mon père s’affala dans le canapé. Il avait les traits tirés et semblait épuisé. Je m’installai à ses côtés. J’allais lui demander comment il allait quand soudain, des cris horribles se firent entendre à l’étage. Mon père et moi bondîmes dans les escaliers et pénétrâmes en trombe dans la chambre parentale. Ma mère était prostrée dans un coin de la chambre et montrait de la main le miroir de sa commode. Nous nous retournâmes et mon cœur se bloqua sous le coup de l’effroi. Une apparition innommable apparaissait derrière la glace. Comme coincé derrière la vitre, les mains posées à la surface, mon grand-père nous regardait d’un air horrifié. Ses yeux étaient écarquillés par la terreur. Sa bouche remuait mais aucun son n’en sortait. Je vis soudain une griffe apparaître derrière lui et mon pauvre Nonno fut entraîné dans les ténèbres. Ma mère se mit à hurler. Je me jetai sur le miroir en hurlant le nom de mon grand-père mais je ne vis plus rien, si ce n’était le reflet de la chambre derrière moi. Je me tournai vers mes parents, ne sachant que faire de plus. Ils avaient l’air aussi hallucinés et impuissants que moi. Nous attendîmes un moment mais rien d’autre ne se produisit. Mes parents descendirent au salon, ma mère tremblant de tous ses membres. Je les suivis et décidai de tout raconter à ma mère. Il était temps de la mettre au courant. Mais je décidai d’abord d’aller voir Mario pour savoir de quoi il voulait me parler. J’informai donc mon père et, sans lui laisser le temps de me répondre, me dirigeai vers le fond de la rue. Mario m’attendait dans le jardin, assis sur le banc. Il était seul. Il portait toujours son costume et fumait une cigarette. A mon approche, il s’apprêtait à la jeter mais se ravisa quand il vit que ce n’était que moi. J’allai m’installer à côté de lui. Il se retourna vers moi, vit ma mine effarée mais ne dit rien. Il se leva et me demanda de l’attendre. Il pénétra dans la maison et sortit quelques minutes plus tard, tenant dans ses mains une pochette. Il me la tendit sans rien dire. Je regardai à l’intérieur et vis qu’elle contenait des photographies et plusieurs carnets. Je regardai Mario et il m’expliqua qu’il avait trouvé toutes ces choses dans un tiroir dissimulé sous le bureau de son grand-père. Il commençait à rafraîchir et il dut remarquer que je n’allais vraiment pas bien car il me proposa d’aller dans sa chambre. Je le suivis en fourrant la pochette sous ma veste et le suivis à l’intérieur. La maison était vide. Ses parents et son frère étaient partis manger chez leurs cousins. Mario avait prétexté des devoirs à terminer dans l’espoir de me croiser. C’était une charmante demeure. Le séjour était lumineux et on y ressentait une impression de bien-être en y pénétrant. Je suivis Mario à l’étage et il m’ouvrit la porte de sa chambre. Je constatai avec humour que son père avait eu raison en me disant que son fils préférait les jeux vidéo. Sous un lit en mezzanine se trouvait tout l’attirail d’un joueur professionnel. Quatre écrans superposés deux par deux trônaient au-dessus de son bureau. Une barre son dominait en dessous. Son clavier émettait des lumières rouges, vertes et bleues. Sur le siège traînait un casque équipé d’un micro. Il avait une collection impressionnante de jeux sur ses étagères. Il dut voir mon expression car il sourit et haussa les épaules, l’air de dire « chacun son truc ». Deux poufs étaient disposés au milieu de la pièce. Je m’installai et regardai les posters qui garnissaient les murs. C’était surtout des affiches de jeux.
L’une d’entre elles représentait le célèbre Sonic, ce hérisson bleu qui courait à la vitesse de l’éclair. Mario s’installa dans l’autre pouf et je déposai la pochette sur la petite table basse qui se trouvait entre nous. Je sortis un à un les petits carnets qu’elle contenait et entrepris de regarder d’abord les photographies. Toutes représentaient la maison de mon grand-père. Elles portaient des dates qui correspondaient aux dates indiquées sur les différents carnets. J’entrepris de les ranger dans l’ordre, de la plus ancienne à la plus récente et ouvris le premier carnet. Mario me précisa qu’il ne les avait pas encore lus mais y avait reconnu l’écriture de son grand-père. La première page contenait les noms des locataires. Vittorio s’en était servi à la base pour noter le paiement des loyers suivis des dates de versements. En tournant les pages, je vis que suivant les dates de paiements, de petits commentaires y étaient griffonnés, indiquant des incidents inexpliqués vécus par les locataires. Il avait fait la liste des phénomènes que subissaient ces pauvres gens. Il y avait d’abord eu des plaintes pour des bruits de grattements qui avaient été interprétés par la possible présence de rongeurs. Ensuite, ces gens s’étaient plaints de portes qui claquaient seules, de bruits de pas sur les planchers des chambres, de mauvaises odeurs et d’objets qui se déplaçaient seuls. Bien sûr, tout n’arrivait pas en même temps, mais plutôt allant crescendo au fur et à mesure de l’occupation des lieux. A chaque fois, la famille avait fini par partir en laissant parfois toutes leurs affaires sur place. Une autre famille avait même signalé l’apparition de griffures sur les murs et des sons interprétés comme des grognements de bête sauvage. Les autres carnets étaient identiques. Nouveaux locataires, mêmes soucis. La maison n’était jamais habitée plus d’une année. Je passais les carnets à Mario au fur et à mesure que je les terminais et je vis qu’il avait l’air surpris par ces témoignages. Je regardai les photos une à une avec plus d’attention. Elles représentaient la maison après le départ de ses occupants. Sur plusieurs d’entre elles, on pouvait voir des murs couverts de griffures, des ombres semblant voyager devant les fenêtres et sur d’autres, on pouvait discerner une énorme ombre longiligne à la tête déformée et aux bras extrêmement allongés, finis par des griffes. Je regardai Mario, attendant une explication. Il regardait les photos et semblait terrifié. Il leva les yeux vers moi et me promit qu’il n’était pas au courant de ce qu’il se passait dans la maison. Il savait juste que son grand-père s’occupait d’encaisser les loyers qu’il envoyait sur le compte de mon grand-père et avait remarqué que les locataires ne restaient jamais longtemps mais il n’avait jamais eu d’explications sur la raison de leur départ. Il avait mis cela sur le compte de l’état de délabrement de la maison. Je le crus immédiatement. Il était tellement secoué par ce qu’il venait de découvrir que je ne doutais pas un seul instant de son honnêteté. Il me demanda ce que j’allais faire de tout cela. Je lui répondis qu’il était temps d’avoir une sérieuse conversation avec son grand-père. Il se prit la tête dans les mains et soupira. Puis, il se leva et m’invita à descendre au salon. Là, nous attendîmes le retour de sa famille.
A leur arrivée, Mario demanda à son père de nous rejoindre dans sa chambre. Salvatore nous suivit donc et Mario lui montra les carnets et les photographies et je lui racontai les événements depuis le début de notre arrivée dans la maison. Son visage passa par toutes les couleurs et à la fin, il était livide. Je lui demandai s’il était au courant des manifestations. Il me répondit qu’il avait remarqué certaines étrangetés du temps où lui et son frère rendaient visite aux jumeaux et à Filipe mais que depuis leur mort, il n’avait plus jamais mis les pieds dans la maison. Pas depuis qu’il nous avait aidé à emménager. Je lui rappelai son air inquiet à la vue du placard. Il me dit qu’il était désolé de ne pas m’avoir raconté pour Julio mais qu’il pensait que j’étais déjà au courant. Je lui révélai que je ne savais rien, ainsi que ma mère. Salvatore parut abasourdi par la nouvelle. Jamais il n’aurait cru que la famille avait tenu Sylvia à l’écart de la tragédie familiale. Il pensait que ma mère connaissait la vérité sur les circonstances de leur mort et surtout sur les événements étranges qui se passaient sous notre toit. Quand il vit que j’étais sérieux, il décida de se rendre chez son père pour lui demander des explications. Nous le suivîmes et le rattrapâmes au moment où Herminia lui ouvrait la porte. Salvatore demanda à sa mère où se trouvait son père. Elle lui dit qu’il se reposait et qu’elle allait le chercher. Elle nous invita à nous installer dans le salon et nous l’attendîmes. Vittorio nous rejoignit et me regarda en premier. Il me dit qu’il était désolé pour mon grand-père et que j’étais toujours le bienvenu chez lui. Je le remerciai, les yeux baissés. Il se tourna vers son fils et lui demanda la raison de cette visite si tardive. Salvatore ne répondit pas et jeta la pochette comportant les photos et les carnets sur la table. Son père la regarda avec étonnement et la saisit mais dès qu’il l’ouvrit et vit ce qu’elle contenait, son visage blêmit et il se mit à crier : Où as-tu trouvé ça ? Pourquoi as-tu été fouiller dans mon bureau ? Qui t’a dit de te mêler de ça ? Salvatore ne s’attendait pas à ce genre de réaction et lui aussi se mit à crier : Tu savais ! Tu savais ce qu’il se passait dans cette maison ! Pourquoi ne nous as-tu rien dit ? Pourquoi n’as-tu pas prévenu Antonio que les phénomènes continuaient ? Tu lui as fait croire pendant des années que plus rien ne se passait. Alors que tu étais au courant que les locataires partaient effrayés par ce qui se cache dans cette maison ! Explique-toi car maintenant, c’est Sylvia et sa famille qui sont en danger ! La chose qui hante les lieux s’en prend à Michaël ! Et elle ne va pas s’arrêter là, tu le sais ! Alors parle ! Vittorio nous regarda tour à tour et je vis ses épaules se voûter. Il s’installa dans son fauteuil et commença son récit.
Le récit de Vittorio
Le jour où Vittorio avait annoncé à Antonio la mort de son fils Julio avait été le plus affreux de sa vie. Il avait vu Salvatore accourir vers lui et son visage était annonciateur de mauvaises nouvelles. Antonio et lui étaient amis depuis plusieurs années et avaient partagé les bons comme les mauvais moments. Mais cette fois, il avait peur de la réaction de son ami. Il avait écouté Salvatore lui raconter les événements et avait préféré l’annoncer lui-même à Antonio. Il n’avait pas parlé de la crise d’hystérie de Julio que lui avait décrite son fils et s’était contenté de lui annoncer que Roberto avait retrouvé son frère pendu dans sa chambre. Antonio avait mal encaissé le coup. Il s’était effondré et Vittorio crut qu’il avait fait une crise cardiaque. Cependant, quelques minutes plus tard, il s’était relevé et s’était dirigé d’un pas décidé vers sa maison. Vittorio l’avait suivi, accompagné de son fils et avait profité du trajet pour demander à Salvatore plus de précisions. Salvatore lui avait alors raconté la venue de Roberto chez eux pour leur demander de l’aide. Il délirait sur une histoire de démon qui incitait son frère au meurtre et avait peur que Julio ne mette fin à ses jours dans le but de les protéger. Antonio lui avait bien confié que depuis que Julio était revenu de l’hôpital, il avait du mal à reconnaître le fils qu’il avait toujours connu. Le gamin avait un comportement étrange et avait commencé à négliger sa toilette pour ensuite refuser de se nourrir. Quand son ami lui en avait parlé, Vittorio avait suggéré de le faire interner mais Antonio avait refusé. Il pensait qu’éloigner de nouveau son fils de la maison lui ferait plus de tort que de bien. Il pensait que, entouré par sa famille, Julio finirait par guérir. Vittorio en doutait mais il avait gardé son opinion pour lui. Après tout, Antonio était son père et il était le mieux placé pour savoir ce qui était bénéfique pour son fils. Salvatore et Sylvio rendaient parfois visite aux jumeaux et lui avaient rapporté certains faits étranges mais Vittorio n’y avait pas accordé trop d’importance. Après un traumatisme aussi sévère que celui que Julio avait subi, il était prévisible que le gamin ne soit plus pareil. Il avait déjà été chanceux d’avoir survécu. Du moins, c’est ce que pensait Vittorio à l’époque. Quand ils arrivèrent devant la maison d’Antonio, la police était déjà là et le corps avait été installé dans un sac mortuaire. Antonio avait voulu s’approcher mais un policier l’en avait dissuadé. Vittorio, aidé de Salvatore, avait retenu Antonio qui s’était mis à hurler avant de s’effondrer de chagrin. Ils l’avaient accompagné auprès de Giulia qui n’était pas en grande forme non plus. Apparemment, elle souffrait de crise de somnambulisme et paraissait parfois dans un autre monde. Elle perdait souvent connaissance sans explication médicale et avait commencé à divaguer depuis un bon moment. Antonio s’était approché de Roberto pour savoir comment cette horrible chose avait pu arriver mais son fils n’avait pas répondu. Il était resté prostré sur lui-même, les bras pendants entre les jambes et semblait être dans un autre monde. Après que la police ait embarqué le corps, Vittorio était resté avec son ami. Antonio n’arrivait pas à accepter la mort de son fils. Il se maudissait pour les mauvaises décisions qu’il avait prises. Il aurait dû faire interner son fils comme le lui avait conseillé Vittorio. Alors, peut-être Julio serait-il encore en vie. Après les funérailles, la famille essaya de reprendre le cours de leur vie. Vittorio leur rendait souvent visite pour s’assurer que son ami ne fasse pas de bêtise, et pour soutenir les deux garçons qui vivaient encore là. Filipe accusait le coup. Il était solide et avait repris le travail dès le lendemain des funérailles. Roberto, par contre, n’allait vraiment pas bien. Vittorio était arrivé un matin et il avait surpris une dispute entre Antonio et son fils.
Roberto essayait de convaincre son père que Julio était toujours dans la maison et qu’il pouvait le voir et l’entendre. Le pauvre garçon avait complètement perdu la raison, se dit Vittorio. Quand Roberto arrêta de s’alimenter, Vittorio conseilla à Antonio de faire interner le gamin avant qu’un autre malheur n’arrive. Cependant, cela n’avait pas suffi car, après seulement quelques mois d’internement, Roberto avait fini par succomber. Le jour où Antonio avait reçu l’appel de l’hôpital psychiatrique où son fils était interné, Vittorio était présent. Le téléphone avait sonné et il avait vu son ami perdre le peu de couleur qu’il avait encore sur le visage. Il avait raccroché sans rien dire, s’était assis à la table et s’était mis à pleurer hystériquement. Vittorio avait alors compris. Il avait accompagné son ami pour récupérer le corps de Roberto. Après ces secondes funérailles, Antonio avait commencé à présenter des signes de démence. Il avait raconté à son ami qu’il avait l’impression que quelque chose se trouvait dans la chambre des jumeaux. Il prétendait qu’il entendait des grattements et des bruits de pas dans la chambre de ses fils. Vittorio fit de son mieux pour le soutenir. Il ne savait pas quoi lui répondre, sinon que tout ce qu’il pensait entendre n’était que la manifestation de son chagrin. Antonio avait acquiescé. Ça devait forcément être ça. La vie avait été injuste avec sa famille. Ses jumeaux avaient eu une fin atroce. Ce genre d’événement aurait rendu fou n’importe quel homme. La vie semblait doucement reprendre son cours quand Antonio subit de nouveau une terrible perte. Sa pauvre Giulia s’était fait renverser par un ivrogne. Là encore, Vittorio était resté près de son ami. Il commençait à avoir peur que celui-ci ne se relève jamais de ces épreuves successives. A croire que cette famille était maudite. Il avait encore aidé son ami pour l’organisation des obsèques et sa femme Herminia lui préparait ses repas et ceux de Filipe. Mais comme l’avait prévu Vittorio, la santé d’Antonio se mit à se dégrader. Filipe avait fini par quitter le domicile, ne supportant plus de vivre dans la maison qui avait vu mourir les siens et Antonio s’était retrouvé seul. Il finit par tomber malade. Il fut hospitalisé pendant quelques mois et quand il revint chez lui, Vittorio lui rendit visite pratiquement tous les jours. C’est à ce moment-là qu’Antonio lui montra la photographie que l’hôpital psychiatrique lui avait remise avec les affaires personnelles de Roberto. Vittorio observa la photo et dut admettre ce qu’il y voyait. Il ne faisait aucun doute que la personne à côté de Roberto n’était autre que son frère Julio. Le gamin disait la vérité. Mais comment cela était-il possible ? Vittorio était catholique, tout comme Antonio. Il ne croyait pas aux histoires de fantômes et aux esprits malfaisants. Mais devant cette photographie, il commença à douter de ses convictions. Comme Antonio continuait à se plaindre des bruits et des grattements qu’il entendait dans sa maison, Vittorio lui avait alors proposé de prendre quelques photos dans l’espoir de pouvoir découvrir l’origine de ces manifestations. Au début, les essais n’étaient pas trop convaincants. L’appareil était vieux et les photos étaient un peu floues. Mais au fur et à mesure que les mois passèrent, Antonio et lui commencèrent à remarquer des ombres derrière son ami. Ils avaient continué et plus ils prenaient de photos, plus ces ombres devenaient nettes. Le jour où la dernière photographie fut prise, Antonio et Vittorio étaient descendus dans la cuisine, le temps que le révélateur fasse son effet. Ce qu’ils virent sur l’image les terrifia. On y voyait distinctement le visage des jumeaux, mais le plus terrifiant était cette entité qui se trouvait juste derrière les frères. Cette chose n’était pas humaine et Vittorio prit peur pour son ami. Il avait alors décidé de contacter Sylvia et l’informa de la santé médiocre de son père. Il fut décidé qu’Antonio irait vivre chez sa fille et que Vittorio s’occuperait de la mise en location de la demeure. Il n’avait évidemment pas parlé des phénomènes à Sylvia. L’aurait-il fait qu’elle l’aurait pris pour un vieux fou. Au fil des ans, il avait donc accueilli de nombreuses familles. Il avait pris la précaution de faire bénir la maison et pensait que tout s’arrêterait. Mais le mal qui sévissait dans cette maison ne s’était pas avoué vaincu. Les phénomènes continuèrent et ne permettaient pas aux locataires d’y rester bien longtemps. Il avait donc commencé à recueillir les témoignages de chaque locataire et avait tenu une sorte de journal de bord sur les phénomènes qui se manifestaient dans la maison. Il s’était rendu plusieurs fois à l’intérieur pour prendre des photos des phénomènes que le locataire lui avait signalés et avait consigné tout ceci dans les carnets. Plus les années avançaient et plus les phénomènes prenaient en proportions. Malgré tout, Vittorio continuait à s’occuper de la maison de son ami. Il ne lui parlait jamais des phénomènes qui continuaient de se manifester dans la maison. Il s’était dit qu’il n’aurait servi à rien d’ajouter toutes ces diableries dans l’esprit déjà assez tourmenté de son ami de toujours. Il se contentait donc d’envoyer les loyers et était heureux de constater qu’Antonio avait retrouvé un peu de joie de vivre auprès de sa fille et son petit-fils. Quand Antonio était revenu, accompagné de sa famille, Vittorio avait été d’abord surpris, puis inquiet. Il n’avait pas pu dormir la nuit avant celle où il était venu accueillir mon grand-père dans son jardin. De plus, il se sentait coupable de lui avoir caché la vérité pendant si longtemps. C’est pourquoi quand Antonio était venu le trouver pour lui raconter ce que Michaël lui avait annoncé à propos des phénomènes dans la chambre des jumeaux, Vittorio n’avait plus eu le choix et lui avait avoué la vérité. Ils étaient partis ensemble chercher de l’aide auprès du Père Rosso mais n’avaient pas obtenu l’aide qu’ils recherchaient. Le père les avait écoutés et sûrement pris pour deux vieux séniles qui avaient peur de leur ombre car il leur assura que les fantômes n’existaient pas dans la Sainte Bible et que les deux hommes devaient se montrer forts et faire confiance à leur foi. Pour lui, les phénomènes cesseraient dès que les deux hommes les ignoreraient. Il avait néanmoins donné un crucifix qu’il avait béni ultérieurement à Antonio et lui avait conseillé de le clouer dans la chambre des jumeaux. Mais ça n’avait pas suffi, apparemment. Antonio avait fini par y passer aussi et Vittorio était désemparé. Il ne savait pas où trouver l’aide dont nous avions, ma famille et moi, tant besoin. A la fin de son récit, il paraissait encore plus malheureux.
Après le récit de Vittorio, nous restâmes un long moment silencieux, chacun de nous essayant tant bien que mal d’assimiler toutes ces informations. Je ne savais pas comment réagir devant ces aveux. J’étais partagé entre la pitié, la colère et l’incompréhension. Salvatore et Mario paraissaient partager le même état d’esprit. Vittorio demeura silencieux. Herminia, qui avait écouté son mari sans l’interrompre prit alors la parole. Pourquoi ne m’as-tu rien dit ? J’aurais pu essayer de vous aider ! Vittorio se tourna vers elle, l’air malheureux. Je voulais vous protéger, ma chérie. Je ne savais pas comment m’y prendre pour résoudre ce mystère. De plus, j’avais peur d’attirer cette chose dans notre maison. Le Père Rosso lui-même n’a pas cru à mon histoire. Alors, à qui nous adresser ? Qui pourrait nous venir en aide ? Salvatore restait silencieux. Il semblait avoir du mal à accepter le fait que son père avait gardé tous ces secrets pour lui aussi longtemps sans même les mettre en garde. Mario proposa alors une idée.
-Je sais que ça va vous paraître bizarre, nous dit-il, et que notre religion n’est pas censée croire à ces choses-là mais il est clair qu’un démon a pris possession des lieux et qu’il continuera à s’acharner sur la famille de Michaël. De nos jours, il existe des associations de chasseurs de fantômes et des gens qui ont des capacités pour purifier et libérer les maisons d’entités malfaisantes. Je pense que nous devrions chercher de ce côté-là. Si l’église traditionnelle ne veut rien faire pour nous, nous n’avons pas d’autre choix.
Salvatore semblait réfléchir à cette option.
-C’est vrai que les temps ont changé, dit-il. Les vieilles traditions ne sont plus satisfaisantes. Il faut trouver quelqu’un qui puisse vous aider. Son air confiant me redonna un peu d’espoir.
Puis, il se leva et me proposa de me raccompagner chez moi. Je pris donc congé de Vittorio et Herminia et promis à Mario de nous retrouver le lendemain à l’école. Il était tard et mes parents devaient commencer à s’inquiéter. Sur le chemin du retour, Salvatore me promit de nous aider à trouver une solution. Il m’avoua qu’il se sentait redevable envers ma famille depuis le terrible accident de Julio et qu’il ne serait pas en paix tant que les choses ne seraient pas revenues à la normale. Je le remerciai et le quittai donc devant la porte de mon domicile. La main sur la poignée, je le regardai regagner sa maison et une pointe de jalousie m’envahit soudain. Il retournait dans son foyer sécurisant, où tout allait bien, ou rien d’anormal ne se passait. Cette sensation d’envie disparut aussi vite qu’elle m’était venue. C’était injuste de penser ainsi. Salvatore n’était pas responsable de nos malheurs. Et, à y réfléchir, Vittorio non plus. Il avait essayé d’aider mon grand-père. Malgré la peur de ce qu’il avait découvert au fur et à mesure de son enquête dans la maison, il avait néanmoins rassemblé le plus de preuves possibles et j’espérais que tout cela suffirait à convaincre quelqu’un de nous aider. Je rentrai donc chez moi et retrouvai mes parents dans le salon.
Mon père ne me posa pas de question. Ma mère semblait abattue. Je regardais mon père et il m’informa qu’il avait mis ma mère au courant de tout. Elle semblait assommée et me demanda si j’avais pu en apprendre plus. Je lui racontais le récit de Vittorio. Mes parents m’écoutèrent avec attention. Je leur parlais de la suggestion de Mario et mes parents trouvèrent que l’idée n’était pas stupide. Mon père avait un pc portable. Il le mit sur la table de la salle à manger et commença à chercher des associations familiarisées avec ce genre de phénomènes. Pendant qu’il cherchait, ma mère me conseilla d’aller me coucher pour ne pas être trop fatigué à l’école. Je l’embrassais et allais m’installer sur le matelas gonflable, laissant les canapés à mes parents. Ce soir-là, je m’endormis, la tête pleine d’images affreuses et fis de nombreux cauchemars. Il ne se passa rien de spécial mais l’atmosphère de la maison semblait s’alourdir d’heure en heure, comme annonciatrice d’un désastre à venir. Le matin, je me réveillai péniblement. J’allai à la salle de douche et me lavai en espérant que cela me réveillerait. Je regardais le miroir. C’était devenu une espèce de rituel. Mais rien n’y était inscrit. Je m’habillai donc et, voyant que mes parents dormaient encore, déjeunai en silence et lançai le percolateur pour préparer le café. Je laissais un mot sur le comptoir de la cuisine et quittai la maison. Mario et la bande m’attendaient à l’arrêt de bus. Quand j’arrivai à leur hauteur, je vis leurs expressions sombres et je sus que Mario en avait parlé à son frère et ses cousins. Après m’avoir raccompagné, son père avait appelé Sylvio et lui avait raconté la situation que ma famille subissait. Ils s’étaient mis d’accord pour nous aider. Je fus soulagé d’apprendre que les autres me croyaient. J’avais peur qu’ils ne me prennent pour un illuminé. Mais ce fut tout le contraire. Ils m’entourèrent de leurs bras protecteurs et me jurèrent de m’aider. La journée à l’école fut un peu pénible. Avec tous ces événements, j’avais complètement oublié de faire mes devoirs et je reçus un avertissement de mes professeurs. Le midi, je ne mangeai presque rien malgré l’insistance de Mario.
-Faut que tu prennes des forces, mec ! me dit-il.
Mais je n’avais pas faim. J’étais épuisé et terrifié depuis trop longtemps. A la fin de la journée, mes amis me raccompagnèrent jusqu’à ma porte d’entrée. Massimo et Lucas regardaient par les fenêtres mais rien ne se manifestait. Je les saluai et rentrai chez moi. Mes parents étaient dans la cuisine. Mon père était au téléphone. Je regardais ma mère et elle m’expliqua qu’il avait trouvé une association du nom de Paranormal Investigations et qu’il avait décidé de les appeler. Après tout, on n’avait plus rien à perdre. Je laissai tomber mon sac au sol et me dirigeai vers le salon. Quand mon père raccrocha, ma mère et moi lui demandâmes ce qu’on lui avait dit. Il nous informa qu’une équipe d’enquêteurs allait venir ce soir. Ils s’installeraient pendant quelques jours pour mener leur enquête et trouver une solution si c’était possible. Ma mère parut soulagée. Elle retourna à la préparation du repas et je me mis à mes devoirs. Mon GSM vibra et je vis que Mario me demandait des nouvelles. Je l’informai de la venue de l’équipe d’investigation et il me répondit que c’était un bon début. Il m’envoya les réponses pour le devoir de math du lendemain et je le remerciai. J’avais somnolé tout le long du cours et n’avais rien compris aux exercices donnés. Mes devoirs terminés, je rangeai le tout dans mon sac et attendis avec mes parents l’arrivée de l’équipe. Une heure plus tard, une camionnette sombre se gara devant la maison. Mon père ouvrit la porte et se retrouva devant quatre hommes portant de nombreuses valises métalliques. Ils entrèrent et se présentèrent chacun à leur tour. Le plus grand s’appelait Marc Dumont. Il nous expliqua qu’il étudiait depuis longtemps les phénomènes paranormaux et qu’il possédait tout un équipement pour pouvoir recueillir des preuves. Il présenta ses partenaires. Il y avait un homme de petite taille, très mince avec de petites lunettes sur le nez. On aurait dit un adolescent. Il se présenta. Jimmy Doret. Il nous annonça qu’il était une sorte de médium. Il pouvait ressentir les énergies d’une maison et pouvait parfois voir des événements du passé. Les deux autres hommes, Antoine et Philippe, étaient des techniciens qui s’occupaient d’installer les caméras et autres gadgets utiles dans leur enquête. Mon père les invita à nous rejoindre dans le salon. Ma mère leur proposa du café et ils acceptèrent. Pendant que ma mère préparait le café, je remarquai que Jimmy ne me quittait pas des yeux. Son regard était si perçant que j’avais l’impression qu’il lisait dans mes pensées. Il me mettait mal à l’aise. Je décidai de l’ignorer et m’installai près de mon père. Tous installés autour de la table, Marc commença à questionner mon père sur la raison de notre appel. Mon père commença par lui parler des bruits de grattements, des portes qui claquaient toutes seules et des ombres qui voyageaient dans la maison. Il lui parla des tragédies familiales et lui fournit ensuite les documents découverts par Mario, ainsi que les photos de l’album de mon grand-père et le résumé de mes expériences dans ma chambre. Marc prenait des notes et se tourna vers moi pour que je lui donne le plus de détails possibles. Cela dura un peu plus d’une heure. Ensuite, Marc demanda à Jimmy de faire le tour de la maison et de lui donner ses impressions. Jimmy se leva et contre toute attente, me demanda de l’accompagner pour que je lui indique les endroits qui, selon moi, étaient les plus actifs. Je regardai mon père, effrayé, mais celui-ci ne s’y opposa pas. Il vit mon malaise et proposa de nous accompagner mais Jimmy lui répondit qu’il devrait plutôt rester avec Marc pour l’aider à analyser les carnets de Vittorio et lui faciliter le travail. Mon père me regarda et je haussai les épaules. Il fallait bien commencer par quelque chose. Je me dirigeai donc vers l’étage et quand nous arrivâmes sur le palier, Jimmy me posa une question qui me hérissa les cheveux.
-Qui sont ces jumeaux qui te suivent partout ? me demanda-t’il. Tu les connais ? Je regardai autour de moi mais je ne vis rien. Jimmy avait son GSM sur lui et me demanda de rester immobile.
Quand il prit la photo, il l’observa un instant et me la montra. Les jumeaux étaient à mes côtés. Ils avaient l’air effrayés et semblaient essayer de communiquer avec moi. Cependant, je ne les entendis pas. D’ailleurs, depuis le dernier message sur le miroir, je ne les avais plus revus. Jimmy sortit un petit enregistreur vocal et commença à poser des questions.
-Qui êtes-vous ? demanda-t’il. Pas de réponse. Que voulez-vous à Michaël ? Pourquoi êtes-vous ici ? Que puis-je faire pour vous aider ?
Nous attendîmes quelques secondes mais il n’y eut aucune réponse. Il me désigna la chambre de mes parents et je lui ouvris la porte. Il fit le tour de la pièce et s’arrêta devant le miroir de la commode de ma mère. Il l’observa intensément pendant quelques minutes, puis continua à inspecter la pièce. L’air dans la chambre était glacial. Je n’osais prononcer un mot. Jimmy avait une drôle d’expression mais ne dit rien. Il sortit de la pièce et inspecta la chambre suivante, celle de mon grand-père. Je n’y étais pas entré depuis l’enterrement. Quand j’ouvris la porte, une odeur de chair en décomposition m’assaillit. L’odeur était pestilentielle et faisait pleurer les yeux. J’avais presque le goût dans la bouche. Je me tournais vers Jimmy qui avait mis sa main devant sa bouche et son nez. Lui aussi sentait cette puanteur mais pénétra quand même dans la pièce. Des mouches volaient dans tous les sens. Il en fit le tour, s’arrêtant près du lit de mon grand-père, regardant les murs, le plafond. L’odeur semblait devenir encore plus intense et Jimmy finit par sortir sans rien demander. Nous reprîmes notre souffle quelques instants puis, je le guidais vers ma chambre. J’avais déjà monté l’échelle quand je remarquais que Jimmy ne m’avait pas suivi. Il semblait regarder quelque chose au bas de l’échelle et son regard était écarquillé. Il ne disait rien mais semblait figé. Je l’appelais et il finit par me regarder. Il regarda de nouveau sous l’échelle et ne vit plus rien car il se décida à monter. Quand il arriva dans ma chambre, son regard se tourna directement vers le placard. Il s’approcha doucement de la porte et y posa les mains quelques secondes. Il resta immobile, sans rien dire, l’air en transe. Cela dura un moment puis il s’éloigna et regarda autour de lui. Il avait l’air inquiet et me demanda si c’était ici que tout avait commencé. Je lui confirmais l’information et il hocha la tête en ajoutant :
-La source est ici, dans ce fichu placard.
Voyant mon regard, il me demanda de redescendre et nous rejoignîmes les autres dans le salon. Jimmy attendit que Marc téléchargeât toutes les photos que mon père lui avait fournies. Il pensait qu’avec son logiciel, nous pourrions donner plus de netteté aux photos et pouvoir discerner ce qu’elles représentaient exactement. Je pensais intérieurement qu’il voulait s’assurer que ce n’était pas des montages mais ne dit rien.
Jimmy s’était assis à côté de lui mais ne disait rien. Il avait l’air malade, comme s’il avait envie de vomir. Quand Marc se retourna vers lui, il vit l’état d’effroi de son ami et lui demanda ce qu’il se passait. Mes parents et moi-même l’écoutèrent attentivement. Je ne me souviens pas de toute la conversation mais je vais essayer de vous la retranscrire du mieux que je peux. Jimmy nous raconta qu’avant même d’entrer dans la maison, il avait ressenti un malaise, comme s’ils étaient attendus et défiés par quelque chose. Quand mon père lui avait ouvert la porte, il avait éprouvé à nouveau un malaise, comme si l’atmosphère de la maison l’étouffait. Il avait suivi le groupe au salon mais avait eu l’impression d’être suivi et observé. Quand il m’aperçut, il découvrit que deux entités étaient attachées à moi. Elles n’avaient pas l’air malveillant mais elles n’étaient pas non plus apaisées. Quand il m’avait proposé de l’accompagner, il voulait voir si les deux entités me suivaient mais elles s’arrêtèrent au palier du premier étage. Il sentait qu’une autre présence se trouvait dans la maison mais il ne pouvait pas la voir. Quand je montai dans ma chambre, il voulut me suivre mais il resta figé sur place comme si quelque chose l’en empêchait. Il vit des jumeaux d’une vingtaine d’années qui semblaient l’avertir du danger du grenier. Ils criaient et agitaient les bras mais Jimmy n’arrivait pas à comprendre ce qu’ils voulaient lui dire. Ils avaient alors soudain disparu. Jimmy monta donc me rejoindre et sentit immédiatement une énergie négative émaner du placard de ma chambre. Quand il posa les mains sur la porte, une vision d’horreur s’imposa dans son esprit. Une chose qui n’était pas humaine lui apparut. Quand il la décrivit, je reconnus l’entité qui m’avait tant effrayé. Toute l’équipe l’écouta et d’après les descriptions qu’il donna, ma mère identifia ses frères Julio et Roberto. Elle lui demanda s’il avait vu son père mais Jimmy fit non de la tête. Ma mère fut attristée par cette nouvelle. Marc nous expliqua brièvement ce qu’ils allaient faire pendant ces quelques jours. Les techniciens allaient installer des caméras dans toutes les pièces de la maison. Ils y installeraient aussi des capteurs de mouvements qui détecteraient le moindre changement de température ou de pression dans la maison. Ils avaient besoin d’images pour identifier la cause des phénomènes. Mon père lui dit que nous ne dormions plus dans nos chambres et qu’ils pouvaient les utiliser. Marc le remercia et les quatre hommes se mirent au travail. Je regardai ces hommes placer leurs équipements et je me demandai si c’était une bonne idée. Je craignais les conséquences. Cette créature, je ne l’avais vue qu’une seule fois et ça m’avait suffi pour comprendre qu’elle ne serait certainement pas contente d’être espionnée ainsi. Mais que pouvait-on faire d’autre ? Quand tout fut installé, l’équipe nous souhaita bonne nuit et chacun alla s’installer à l’étage, Marc et Jimmy dans la chambre de mes parents, Antoine et Philippe dans le grenier. Mes parents allèrent également s’allonger et je les suivis, priant silencieusement pour que tout se passe bien.
Chapitre 5
Pendant les deux premiers jours de leur occupation, l’équipe ne récolta pas beaucoup de preuves. Quand je me levai le matin, je vis que Marc était déjà debout et regardait les images des caméras de surveillance. Il les passait au ralenti, espérant tomber sur une manifestation quelconque. Antoine et Philippe, qui avaient dormi dans le grenier, n’avaient rien à signaler non plus. Seul Jimmy semblait avoir passé une mauvaise nuit. Il s’était senti épié toute la nuit et n’avait pas fermé l’œil. Il s’était installé à la table de la cuisine et me remercia quand je lui proposais une tasse de café bien chaud. Je lui demandai s’il avait vu quelque chose mais il me répondit qu’il ne voyait pas toujours avec ses yeux mais qu’il ressentait les présences autour de lui. Elles ne l’avaient pas tourmenté mais elles l’avaient complètement vidé. Il se sentait vidé de son énergie vitale. Il me demanda également si la nuit s’était bien passée et je lui confirmais que oui. Sur ce, je partis pour l’école. Nous étions vendredi et je pourrais m’investir dans les recherches pendant le week-end. Ma bande de potes était déjà là. Ils me demandèrent comment ça se passait. Je leur rapportai que pour l’instant, l’entité ne s’était pas manifestée. Mario ne fut pas trop surpris. Il m’apprit qu’en rentrant chez lui hier soir, il avait fait quelques recherches sur son ordinateur et avait constaté que les entités se cachaient parfois quand des inconnus entraient dans les lieux. Soit pour faire passer les occupants pour des menteurs ou des fous, soit pour voir à qui ils ont affaire. Ce résonnement me parut logique. Il fallait attendre un peu. Nous arrivâmes en classe et nous installâmes sur nos chaises. Je sortis mes affaires et rendis mon devoir de mathématiques à mon professeur. Celui-ci le prit dans ses mains, y jeta un coup d’œil et se tourna vers moi, un peu énervé. Si vous vouliez des explications, Monsieur Blanchart, me dit-il, il suffisait de les demander. Je n’aime pas trop ce genre de blague. Et il me rendit ma copie. Je ne comprenais pas ce qu’il voulait dire ! Je craignais que les réponses envoyées par Mario soient fausses mais quand je regardai ma feuille, je vis qu’au lieu des calculs que j’y avais mis la veille, une même phrase répétait à tous les exercices : « Aiutaci ». J’étais abasourdi. Je n’avais pas remarqué ce changement avant. Je ne dis rien mais montrai ma copie à Mario qui était installé à côté de moi. Mario la regarda et haussa les épaules en signe d’incompréhension. Je rangeai ma copie dans mon cartable et le cours reprit. Sur le temps de midi, je vérifiai les messages sur mon GSM et vis que Mario m’avait bien envoyé les réponses. Cet incident me perturba toute la journée. De retour à la maison, je montrai ma feuille à mes parents en leur expliquant que je ne me rappelais pas avoir écrit ces mots. Jimmy s’approcha et regarda ma copie.
-Tu parles italien ? me demanda-t’il.
Ma mère lui confirma que non. Elle n’avait jamais pris la peine de me l’enseigner. Mais elle le parlait couramment. Jimmy lui en demanda la signification et elle lui répondit que c’était un appel à l’aide. Marc, occupé à corriger l’angle d’une caméra, nous avait entendus et me demanda lui aussi de me montrer ma feuille. Il la regarda un instant et me la rendit. Il regarda les images vidéo du salon de la nuit précédente mais je lui dis que c’était inutile. J’avais fait ma copie avant leur arrivée. Il revint vers nous et nous proposa d’écouter l’enregistrement que Jimmy avait fait lors de l’inspection des chambres. Nous nous installâmes autour de la table et Marc mit l’appareil en route. La voix de Jimmy s’éleva et j’entendis les questions qu’il avait posées la veille mais je n’entendis pas de réponse.
Devant nos regards interrogateurs, Marc rembobina et augmenta le son de l’appareil, en réglant le filtrage de parasite avec son ordinateur. Quand la voix de Jimmy retentit, ce qui suivit nous glaça le sang. Deux voix presque superposées l’une sur l’autre retentirent. Elles semblaient lointaines mais étaient néanmoins audibles.
-Nous sommes les jumeaux Julio et Roberto. Michaël, aide-nous ! Il nous retient ! Il ne veut pas qu’on parte ! Et il te veut aussi ! Fuis !! Sauve-nous !
Puis, on entendit leurs hurlements, suivis d’un grondement inhumain et ce fut tout. Je sentis mon sang se glacer et mes poils se hérisser. Ma mère resta sous le choc. La voix de ses frères l’avait bouleversée.
-Vingt ans, murmura-t-elle. Vingt ans qu’ils sont prisonniers ici avec cette chose ! C’est horrible !
Elle se blottit dans les bras de mon père. Marc remit l’enregistreur dans son étui. Il demanda à ma mère si des manifestations s’étaient déjà produites avant l’accident de Julio. Elle lui répondit que non, que tout avait commencé après le retour de Julio chez eux d’après les témoignages que nous avions obtenus. Marc réfléchit quelques minutes. Il demanda à mon père dans quel établissement Julio avait été hospitalisé et mon père lui indiqua le numéro de téléphone. Marc prit son GSM et appela le service des archives de l’hôpital. Son appel fut transféré et un homme lui répondit. Marc lui demanda s’il était possible de consulter le rapport médical d’un certain Julio Giorno, en précisant bien que cette personne était décédée depuis plus de vingt ans. L’homme lui dit que seuls les proches pouvaient demander ce genre de document. Marc passa donc le téléphone à ma mère et celle-ci se présenta en tant que la sœur du défunt. Elle l’écouta parler un moment et raccrocha.
-Nous pouvons aller chercher ces documents dans une heure, dit-elle à Marc. Mais à quoi vous servent ces documents ?
Marc la regarda et lui dit :
-Je ne sais pas encore mais j’ai peut-être une vague idée sur comment tout ceci a commencé.
Mais avant de dire quoi que ce soit, je dois voir son dossier médical. Pendant ce temps, les informaticiens s’affairaient à régler les caméras et sortaient d’autres appareils étranges de leurs sacs. Antoine sortit une lampe de poche. Quand il l’alluma, elle n’émit aucune lumière. Je lui demandai à quoi cela servait. Regarde, me dit-il. Va dans la cuisine et pose ta main sur le plan de travail. Je le regardai un peu surpris mais m’exécutai. J’étais assez curieux de voir ce qu’il allait se passer. Je posai ma main bien à plat sur le plan de travail. Maintenant, dit-il, éteins la lumière. J’éteignis et il alluma sa lampe qui éclaira la pièce d’un rayon de lumière bleue. Quand il la dirigea sur le plan de travail, j’y vis la paume de ma main, bien nette, comme un relevé d’empreinte.
-C’est chouette, pas vrai ? me dit-il en me faisant un clin d’œil. J’approuvai totalement. Je lui demandai ce que nous allions faire avec ça et il me répondit qu’il cherchait des traces résiduelles. Je le suivis dans la maison et nous inspectâmes chaque recoin de chaque pièce. Dans la pièce de devant, on ne trouva pas grand-chose mise à part mes propres empreintes et celles de mes parents. Nous nous dirigeâmes vers le couloir, mais là encore, rien à signaler. Quand nous passâmes dans le salon, je vis Antoine s’arrêter près de la table de la salle à manger. Il me demanda où j’étais assis quand j’avais fait mon devoir de mathématiques. Je lui indiquai la chaise et, après avoir éteint la lumière un moment, il éclaira la table. On pouvait encore y voir la trace de mon avant-bras et les contours de la feuille mais ce qui se trouvait de part et d’autre de cela me fit frissonner. De chaque côté de mes « traces » se trouvaient deux autres paires d’empreintes qui ne m’appartenaient pas. Elles étaient placées de manière à indiquer que deux personnes étaient assises à mes côtés sans que je ne les voie. Antoine me demanda de tenir la lampe pendant qu’il prenait une photo avec son téléphone. Nous nous dirigeâmes vers la salle de douche et je lui demandai d’éclairer le miroir. A ma grande surprise, les mots inscrits précédemment étaient encore visibles. On y voyait également deux paires de traces de mains de chaque côté du miroir, chose que je n’avais pas remarquée lors de l’apparition du message. Nouvelle photo. Antoine me demanda si je voulais l’accompagner dans ma chambre. J’hésitai mais j’étais curieux de savoir ce que nous allions découvrir. Je le suivis et me dirigeai vers l’échelle. J’entendis mes parents m’appeler d’en bas. Je me penchai et les vis habillés de leurs manteaux. Nous allons chercher les documents à l’hôpital, me dit mon père. Reste avec Antoine ou n’importe lequel des autres mais ne reste pas seul, compris ? J’acquiesçai et rejoignis le technicien dans ma chambre.
Il balayait les murs de sa lampe torche. Je suivais le faisceau lumineux qui explorait chaque recoin quand, soudain, je sentis mon cœur se serrer. Au-dessus de mon bureau, un symbole étrange avait été dessiné. C’était une étoile à cinq branches entourée d’un cercle. Un pentagramme. Je voulus demander à Antoine ce que cela signifiait mais il me fit signe de me taire. Il tendait l’oreille comme s’il percevait un son inaudible pour moi. Je me tus et au bout de quelques secondes, je frissonnai. Des grattements sourds semblaient venir de l’intérieur de la pièce. Je restai immobile et je vis qu’Antoine était aussi pétrifié que moi. Il sortit une caméra miniature de sa poche et se mit à filmer discrètement. L’air de la pièce devint plus lourd et plus froid. Je peinais à respirer et j’écoutais le bruit qui se rapprochait. Le technicien me chuchota si j’entendais la même chose que lui mais avant que je puisse lui répondre, une violente déflagration retentit dans la pièce et je vis cet homme voler dans les airs, projeté contre le mur au-dessus de mon lit, comme par une force invisible. Il retomba sur le lit, inconscient et le bruit de pas se fit plus distinct. Je fus violemment plaqué contre le mur près de l’échelle, incapable de bouger. Tous mes muscles étaient paralysés. Seuls mes yeux pouvaient encore s’agiter. Collé contre le mur, je perçus des pas lourds se diriger vers moi et une odeur nauséabonde les précéda. Ils se rapprochèrent et je sentis une présence oppressante devant mon visage. La terreur me submergea. Je voulus me débattre mais en vain. Une douleur atroce me transperça la poitrine. Je tentai de crier mais aucun son ne franchit mes lèvres. Une autre brûlure me lacéra le visage. Je fus envahi par une haleine putride qui me fit suffoquer. C’était insoutenable. Je subis encore quelques instants cette torture et, alors que je croyais ma dernière heure arrivée, tout s’arrêta brusquement. Je chutai sur le sol, haletant. Mon cœur battait la chamade et je peinais à reprendre mon souffle. Je regardai autour de moi, angoissé. Je rampai lentement vers mon lit, sur les fesses, et secouai Antoine. Il émergea péniblement et se redressa, se tenant la tête à deux mains. Je lui demandai s’il allait bien et il me somma de descendre immédiatement. Nous dévalâmes les marches à toute allure. Philippe nous vit arriver comme des fous et nous interrogea sur ce qui s’était passé. Sans lui répondre, Antoine se précipita vers l’écran des caméras de surveillance et se brancha sur celle de ma chambre. Il remit les images en arrière et les relança au moment où il introduisait sa tête par la trappe de ma chambre. Nous observâmes les images seconde par seconde. Sur l’écran, au moment où il me fit taire, je vis l’entité émerger du placard. Elle était là, avec nous ! Elle s’approcha d’Antoine et sembla agacée par la lampe torche. Elle tendit son bras et le propulsa contre le mur. Puis, elle tendit son autre bras vers moi et je vis mon corps se coller contre le mur. Cette abomination vint plaquer sa face contre la mienne. Elle semblait me renifler. Elle se recula légèrement et, du bout de sa griffe, me dessina quelque chose sur le torse et sur le visage. En revoyant les images, je me hâtai d’enlever mon T-shirt et regardai mon ventre. Des entailles rouges et profondes zébraient ma peau. Une sensation de brûlure me reprit. Philippe prit une photo de mes blessures. En regardant la photo, nous distinguâmes trois énormes griffures qui partaient du plexus solaire et allaient jusqu’au nombril. Ma joue me brûlait aussi. Trois griffures semblables y apparaissaient. Je me sentis violé, comme si j’avais été un animal marqué au fer rouge. Cette chose m’avait marqué. Mais pour quelle raison ?
Qu’allait-il m’arriver ? A ce moment-là, mes parents rentrèrent, accompagnés de Marc. Ils durent sentir que quelque chose s’était passé car Marc se rua sur les écrans et Antoine lui montra les images de notre cauchemar. Mes parents examinèrent mes blessures et se jetèrent vers moi.
– Que s’est-il passé ? Tu vas bien ? me demanda mon père.
Je ne savais pas quoi répondre. J’étais vivant mais c’était un maigre réconfort. Jusque-là, la chose m’avait apparu mais elle ne m’avait jamais touché. Je ne savais même pas que c’était possible ! J’étais terrifié et je me mis à trembler. Ma mère ne cessait de me palper, regardant avec horreur les blessures de mon ventre et de mon visage. Soudain, sans prévenir personne, elle se précipita vers les étages. Mon père lui courut après, la suppliant de ne pas monter. Mais ma mère ne l’écoutait pas. Je suivis sa progression sur les écrans de surveillance et la vis entrer dans ma chambre. Elle semblait furieuse et se mit à hurler à la créature :
– Qu’est-ce que tu veux ? Tu veux te battre ? Je te défends de toucher à mon fils ! Je t’interdis de le toucher ! Si tu veux t’en prendre à quelqu’un, prends-moi ! Mais laisse mon fils tranquille !
J’étais pétrifié devant l’écran. Antoine aussi semblait paralysé. Il y eut un moment de silence où je vis mon père saisir ma mère par la main et la tirer vers l’échelle. Ma mère résistait et semblait vouloir affronter cette chose. Elle était presque au bord de l’échelle quand ce fut l’explosion. Mon père fut éjecté en bas de l’échelle et ma mère alla s’écraser contre le mur d’en face. Il y eut un rugissement terrible dans la chambre. Je me précipitai à l’étage. Mon père gisait au pied de l’échelle, complètement assommé.
Je me ruai dans ma chambre et découvris un spectacle d’horreur. Ma mère était allongée sur le sol et semblait secouée par des spasmes. Elle semblait être tirée par tous les côtés. Des marques de griffes apparaissaient sur ses bras, ses jambes, son visage. Elle hurlait de douleur. Un instant, elle se figea et sembla s’élever d’une bonne cinquantaine de centimètres du sol. Elle resta ainsi pendant quelques secondes puis fut de nouveau projetée vers le sol. Je la regardai, impuissant, ne sachant pas quoi faire. Je sentis quelque chose dans ma poche et le sortis. C’était le chapelet de mon grand-père. Je le brandis au hasard dans la pièce et me mis à prier. Ma mère poussait des râles inquiétants. Je récitai la seule prière que je connaissais, Le Notre Père, essayant d’avoir l’air le plus convaincant possible. Je m’approchai de ma mère et posai la croix sur son torse. Elle se mit à hurler et fut prise de violents tremblements puis soudainement, elle s’affaissa sur le linoléum et ce fut tout. Elle avait les yeux fermés et avait le souffle haletant. Je m’approchai doucement de son visage et l’appelai. J’entendis mon père reprendre conscience au bas de l’échelle. Il monta doucement les barreaux et me rejoignit près de ma mère. Il avait le côté gauche de son visage tout enflé. Ma mère semblait évanouie et être aux prises d’un horrible cauchemar. Ses yeux roulaient sous ses paupières closes. Mon père l’appela doucement plusieurs fois, caressant son front. Elle semblait murmurer quelque chose mais c’était incompréhensible. Marc nous avait rejoints. Il regardait ma mère d’un air inquiet. Voyant que ma mère ne revenait pas à elle, nous décidâmes de la descendre dans sa chambre. Mon père la prit par-dessous les bras et je lui pris les jambes. Marc commença à descendre l’échelle pour m’assurer un équilibre. Tant bien que mal, nous arrivâmes sur le palier et nous installâmes ma mère dans son lit. Elle ne semblait pas reprendre conscience. Mon père faisait les cents pas. Il se retourna vers Marc.
-Que faisons-nous maintenant ? Je ne peux pas appeler un médecin ! Que vais-je lui raconter ? Marc semblait réfléchir intensément. Il regarda mon père. – Il n’y a qu’une chose à faire. Il est temps de faire appel à l’Église. Nous disposons d’assez de preuves pour déposer une demande d’exorcisme auprès des autorités catholiques. A ce stade, je ne peux rien faire de plus. Mon père le regardait d’un air ébahi.
– Que voulez-vous dire ? lui demanda-t’il. Marc observait ma mère avec attention. Elle respirait très fort et semblait souffrir.
– Ce que je veux dire, Jean, c’est que votre femme est probablement possédée par la chose qui hante votre maison depuis des années. En la provoquant de la sorte, elle lui a donné la permission de s’en prendre à elle. C’était une très mauvaise idée. Quand vous autorisez une entité à s’en prendre à vous, vous lui donnez accès à votre âme. Seul un prêtre pourra nous aider. Je vais descendre et passer quelques coups de fil.
Vous, de votre côté, je vous conseille de garder votre femme à l’œil. D’ailleurs, je pense qu’il serait plus prudent de l’attacher au lit. Il ne faudrait pas qu’elle puisse s’échapper dans son état ou qu’elle s’en prenne à quelqu’un d’autre. Nous ne savons toujours pas ce qu’est cette chose. Mais la force dont elle a fait preuve me fait dire qu’il ne s’agit pas d’un petit démon de pacotille. Cette chose, quelle qu’elle soit, est d’une puissance incroyable. Mon regard passait de l’un à l’autre. Je ne savais pas quoi dire. Je ressentais toute une gamme de sentiments à la fois. La peur, la colère mais surtout la culpabilité. Car si ma mère était dans cet état, c’était de ma faute. Elle avait vu mes blessures et avait, comme toute mère digne de ce nom, voulu me protéger. Marc me regarda et sembla comprendre mon désarroi.
– Ce n’est pas de ta faute, Michaël. Tôt ou tard, il s’en serait pris à n’importe lequel d’entre vous. Descends avec moi. Nous allons trouver ce Père Rosso et lui montrer les vidéos. Si avec cela, il n’est pas convaincu, il faudra trouver une autre alternative.
Je suivis donc Marc dans les escaliers. Il mit ses deux techniciens au courant de la situation et demanda à Jimmy de monter rejoindre mon père dans le cas où ma mère reprendrait conscience.
– Il vaut mieux ne pas le laisser seul avec elle. Prenez une caméra et installez-là au pied du lit. S’il se passe la moindre chose, appelez-moi immédiatement !
Jimmy hocha la tête et alla rejoindre mon père. Antoine regarda Marc d’un air inquiet et, se tournant vers les écrans, il indiqua les données que les caméras enregistraient. La température descendait nettement dans la chambre. Je voyais mon père se frotter les mains et faire les cents pas autour du lit. J’attrapai mon manteau et me dirigeai vers la porte d’entrée. Marc me suivit. J’ouvris la porte et tombai nez à nez avec Mario. Il me regarda d’un air étonné, le bras encore levé pour frapper à la porte, mais je ne lui laissai pas le temps de dire quoi que ce soit. Je l’attrapai par le bras et lui demandai de me conduire immédiatement chez le Père Rosso.
Il ne posa pas de question et nous fit signe de le suivre. Nous sortîmes de la rue et empruntâmes la petite ruelle qui se trouvait sur la droite de l’église. Tout au fond, un petit studio se détachait et on y voyait la lumière d’une bougie à la fenêtre. Nous nous dirigeâmes vers la porte et je frappai trois coups secs. La porte s’ouvrit doucement et un homme d’une septantaine d’années nous accueillit.
– Oui ? nous dit-il. Je me présentai et lui demandai si je pouvais m’entretenir un moment avec lui. Il nous observa un moment Marc et moi mais Mario le rassura.
– Ne vous en faites pas mon Père, ce sont des amis. Nous avons besoin de votre aide de toute urgence. Sans un mot, le vieil homme ouvrit la porte entièrement et nous invita à entrer. La pièce était très sobre. Un petit canapé, une table basse et une petite radio faisaient office de salon. Aucune télévision. Une petite kitchenette trônait au bout de la pièce. Là aussi, il n’y avait qu’une table et deux petites chaises pour mobilier. Il était clair qu’il prenait son vœu de pauvreté au sérieux. Il referma la porte sur nous et s’installa à la table de la cuisine, nous invitant à nous installer. Marc étant le plus vieux d’entre nous, le Père Rosso se tourna naturellement vers lui et attendit qu’on lui explique la raison de notre visite. Marc lui résuma les faits depuis notre arrivée dans la maison, lui raconta les témoignages d’Antonio et de Vittorio et pour conclure, lui montra les vidéos prises dans la maison ainsi que les photos que mon grand-père et son ami avaient en leur possession. Le Père semblait d’abord un peu sceptique mais quand il vit les vidéos, son visage s’assombrit. Il nous demanda depuis combien de temps ma mère était dans cet état. Nous l’informâmes que c’était très récent.
– Il n’est pas encore trop tard, répondit-il en attrapant sa veste. Je dois la voir. Devant nos regards effarés, il nous précisa qu’il avait besoin de faire sa propre enquête avant de pouvoir demander de l’aide à qui que ce soit. Nous le suivîmes donc jusque chez moi. Quand nous arrivâmes dans la rue, des hurlements de rage se faisaient entendre. Mario et moi nous regardâmes et son regard trahissait une terreur sans nom. Il se signa plusieurs fois mais me suivit quand même. Arrivé devant la porte, je me tournai vers lui.
– Tu n’es pas obligé de voir ça, Mario. Tu n’es pas responsable de ce qui se passe chez moi. Tu devrais peut-être rentrer chez toi. Mario me regarda et, sans me répondre, poussa la porte et pénétra dans la maison. Je dois dire que j’étais soulagé d’avoir mon ami à mes côtés. Marc et le Père nous avaient rattrapés et semblaient aussi horrifiés par les cris qui venaient de l’étage. Le Père se dirigea directement dans la chambre et la porte claqua derrière son passage. Un rire démoniaque retentit alors.
Je montai mais je ne parvins pas à ouvrir la porte. Je redescendis donc et me ruai vers les écrans. Antoine s’écarta pour me laisser regarder et ce que je vis était…innommable. Mon père était étendu à côté du lit, apparemment assommé. Ma mère avait réussi à détacher son bras droit. Elle était assise sur son lit et regardait d’un air meurtrier l’homme qui se tenait devant elle. Son visage était marqué par la haine. Elle poussait des cris gutturaux et se débattait comme pour se libérer des liens qui la retenaient. Le prêtre l’observa un instant puis se dirigea vers mon père. Il le secoua et mon père reprit ses esprits. Il se mit sur son séant en se tenant la tête. Je vis le prêtre l’aider à se relever et le conduire vers la porte de la chambre. Mon père essaya d’ouvrir mais il n’y arrivait pas. Je vis le prêtre prendre quelque chose dans la poche de sa veste. C’était un petit flacon rempli d’un liquide transparent.
– De l’eau bénite, me dit Mario qui se tenait à mes côtés. Je vis le prêtre en asperger ma mère. Celle-ci se mit à hurler. La porte finit par céder et mon père put sortir de la chambre. Je fonçai vers lui et vis le prêtre le suivre de près. Il referma la porte sur ma mère qui avait commencé à lui hurler des insanités. Jamais de ma vie je n’avais entendu ma mère prononcer le moindre gros mot. Elle n’acceptait aucune impolitesse et l’entendre dire ces horreurs avec cette voix si horrible me glaçait d’effroi. J’aidai mon père à descendre les marches. Il s’affala sur le canapé et je remarquai le coquard qu’il avait sur le visage. Il nous raconta que, à peine avions-nous franchi la porte, ma mère avait commencé à s’agiter. Elle gémissait dans son sommeil et avait du mal à respirer. Il s’était approché, inquiet, et avait voulu la redresser un peu sur les oreillers quand elle avait soudain ouvert les yeux. Son regard était terrifiant. Elle s’était reculée le plus possible et lui avait ainsi asséné un énorme coup de tête à mon père. Il était tombé à la renverse et s’était évanoui sur le coup. Soudain, je lui demandai où se trouvait Jimmy. Ne devait-il pas rester auprès de mon père ? Celui-ci nous informa que Jimmy lui avait dit qu’il devait téléphoner à quelqu’un et qu’il revenait très vite. Marc tiqua à cette remarque. Jimmy ne s’était jamais enfui d’aucune enquête qu’ils avaient menée ensemble.
Qu’avait-il pu percevoir ou deviner pour s’enfuir aussi vite ? Il tenta de contacter son ami sur son téléphone mais ne réussit qu’à atteindre sa boîte vocale. Il lui demanda de le rappeler et raccrocha. Il se rapprocha de nouveau des écrans. Ma mère, ou ce qui l’habitait, s’était apparemment calmée. Elle avait les yeux clos et semblait dormir. Nous nous regroupâmes tous autour de la grande table en bois qui trônait au milieu de la salle à manger. Marc avait encore les documents qu’ils étaient partis chercher à l’hôpital dans la poche intérieure de sa veste. Il sortit le dossier et commença à l’examiner attentivement. Le dossier paraissait peu fourni. Quelques notes sur l’état général du patient à son arrivée. Traumatisme crânien dû à une chute. Paramètres stabilisés après l’opération. Plusieurs résultats d’électroencéphalogrammes complétaient le dossier. Marc comparait les tracés des électroencéphalogrammes. Il paraissait troublé par une anomalie. Mon père le remarqua également et lui demanda ce qu’il se passait. Marc rassembla tous les tracés et les superposa. Il devait y en avoir une bonne dizaine.
-Jean, vous ai-je dit qu’avant d’être chasseur de fantômes, j’étais infirmier ? demanda-t’il à mon père d’un ton grave. Je ne suis pas un spécialiste des traumatismes crâniens mais j’ai eu plusieurs fois l’occasion de voir des résultats d’électroencéphalogrammes. Nous regardâmes les feuillets sans comprendre. Marc continua : – Le premier relevé porte la date de l’arrivée de Julio à l’hôpital juste avant son intervention chirurgicale. Un scanner l’accompagne et confirme bien une fracture importante de la dure-mère du crâne, ainsi qu’une fuite du liquide céphalo-rachidien par l’oreille. Julio a été emmené en salle d’opération. Voilà le nom du neurochirurgien qui a opéré votre beau-frère : Docteur Melis. Marc prit un autre document. Il s’agissait d’un électrocardiogramme. –Comme vous pouvez le constater, dix-sept minutes après le début de l’opération, Julio a fait un arrêt cardiaque qui a duré plus de sept minutes. Ils ont réussi à le ramener et on donc achevé l’opération. Ce qui le chiffonnait, c’était ceci, dit-il en indiquant les autres relevés.
Sur le premier relevé, nous voyons une seule ligne. Pendant le début de l’opération, idem. Cependant, après la réanimation de votre beau-frère, l’électroencéphalogramme indique deux courbes au lieu d’une. Erreur de la machine ? J’en doute.
Mon père se tenait la tête à deux mains tout en observant les relevés.
-Où voulez-vous en venir exactement, Marc ? Je ne vois pas ce que tout cela a à voir avec les événements actuels.
Marc resta silencieux un moment. Puis, se redressant, il prit d’autres documents.
-Sur ces documents qui viennent de l’asile où Julio était interné, plusieurs incidents ont été déclarés. Bien sûr, ils n’ont pas été pris trop au sérieux, au vu des séquelles de l’accident de Julio. Cependant, bien qu’en cas de grave traumatisme, le patient puisse éprouver des difficultés au niveau de la psychomotricité et aussi des pertes de mémoires ou des problèmes neurologiques, cela n’explique pas ce que les photos nous montrent.
Ce que je pense, dit Marc après un moment, c’est que Julio a vécu une expérience de mort imminente.
Devant nos regards interrogateurs, il ajouta :
-Julio est mort pendant ces sept minutes. Je pense que, quand il est revenu, il n’était pas seul. Quand Julio est revenu parmi les vivants, cette chose l’a suivi et a pu, par son intermédiaire, entrer dans notre réalité. Julio était faible mais il n’était pas fou. Julio était possédé.
Ses révélations nous glacèrent le sang et nous plongèrent dans un silence funèbre. Le prêtre Rosso avait écouté Marc et semblait atterré par ces découvertes.
-Que devons-nous faire, mon Père ? demandai-je alors. On ne peut pas laisser cette chose à l’intérieur de ma mère !
Le prêtre me regarda intensément.
-Nous pourrions commencer par bénir la maison. J’aurais besoin d’aide pour la bénédiction. Nous irons plus vite si nous pouvions nous répartir les pièces de la maison.
Il sortit précipitamment et nous l’attendîmes en silence. Les déclarations de Marc avaient marqué nos esprits. Un démon. C’était un démon qui détenait ma mère. J’avais l’impression de devenir fou.
Quelques minutes plus tard, il revint vêtu de son habit de cérémonie. Il avait également apporté la Sainte Bible ainsi que des flacons d’eau bénite et d’huile sainte scellés de cire et tenait un énorme crucifix dans sa main droite. Mon père et moi-même l’aidâmes à poser son attirail sur la table et il se mit à nous expliquer le rituel qu’il allait entreprendre.
-Avant tout, nous dit-il, je vais vous bénir. Cette chose est dangereuse et une protection supplémentaire ne sera pas du luxe.
Il prit sa bible et récita une prière. Il nous enduisit le front avec l’huile sainte et conclut avec un signe de croix. Cela fait, il nous donna deux exemplaires de rituels romains, prit un encensoir et commença à invoquer l’Archange Michel tout en projetant de l’eau bénite dans toutes les pièces du rez-de-chaussée. A chaque passage, il enduisait le linteau de la porte d’huile sainte. La maison était remplie de fumée et l’odeur me rendait légèrement nauséeux mais je suivais le prêtre sans rien dire, me contentant de lire le texte qui était indiqué dans mon livret. Heureusement que je savais lire le latin ! Mon père s’en sortait bien également.
Quand nous arrivâmes à l’étage, le prêtre répéta le rituel et aspergea les murs, continuant à psalmodier ses prières. Il passa par la chambre de mon grand-père, ensuite se dirigea vers la chambre de ma mère. Devant la porte, il s’arrêta un instant, l’enduit d’huile sainte et ouvrit la porte.
Ma mère, ou la chose qui l’avait envahie, était assise sur le lit et semblait le défier du regard. Mon père était terrifié mais tenait bon. Je ne devais pas faire meilleure figure devant ce spectacle.
Le prêtre pénétra dans la pièce et continua son rituel, sourd aux insultes que ma mère lui lançait. Elle se moquait de lui et lui répétait sans arrêt qu’il n’avait aucune chance et qu’il ferait bien de retourner dans son petit studio minable.
Voyant que le père ne répondait pas à ses provocations, elle devint soudain plus violente et voulut lui sauter dessus. Heureusement, un des liens la maintenait encore à la tête de lit et elle ne put atteindre le prêtre.
Mon père s’élança vers elle pour la rattacher au lit avec l’autre lien. Immobilisée de la sorte, la chose se mit à hurler et à pousser des grognements sourds et rauques.
J’étais tétanisé mais mon père me secoua et m’incita à continuer à lire le livret. Je recommençais donc et quand nous eûmes terminé, nous sortîmes de la chambre.
J’entendais toujours ma mère hurler mais je ne la voyais plus. Je ressentis de la culpabilité à cette pensée. Ma mère était possédée et j’étais soulagé de ne plus la voir. Mon père vit le trouble sur mon visage.
-Ce n’est pas ta mère, Michaël ! me dit-il. N’oublies pas que cette chose n’est pas ta mère. Nous allons l’aider. Nous allons la libérer.
Je le regardais tristement, les yeux pleins de doute. Comment faire face à une entité aussi forte ? Mais je ne pouvais pas l’abandonner. Je me redressais et suivis mon père et le prêtre vers la dernière pièce de la maison : ma chambre. Nous répétâmes le même rituel et avant de descendre, le prêtre enduit la porte du placard d’huile sainte et y cloua l’énorme crucifix qu’il tenait dans la main. A ce moment, la maison devint silencieuse. On se serait cru dans un cimetière. Nous nous regardâmes, le regard un peu perdu, puis nous descendîmes dans le salon.
Un silence de mort suivit. Tout le monde se regardait et attendait de voir si quelque chose allait se produire. La sonnerie du téléphone de Mark nous fit tous sursauter !
C’était Jimmy…
Chapitre 6
Quand Mark était parti avec Michaël chez le père Rosso, Jimmy avait rejoint Jean auprès de sa femme. Pendant ce temps, il avait pénétré dans la chambre doucement pour ne pas la réveiller. Jean l’avait regardé d’un air triste et perdu. Jimmy connaissait ce regard. Son don ne se limitait pas à sentir les esprits. Il pouvait aussi ressentir les émotions des vivants. Leur souffrance le transperçait comme des milliers de petites aiguilles et il avait toujours du mal à supporter d’être dans une pièce bondée. Toutes ses émotions réunies en un même endroit lui donnaient l’impression de devoir rester en apnée pour ne pas se noyer dans cette mer d’émotions. Il possédait ce don depuis son plus jeune âge. Billy, son frère aîné le possédait également mais dans des proportions moindres. Lui était devenu une sorte d’exorciste sans faire vraiment parti de l’église. Il venait en aide aux personnes voulant purifier leur maison ou la libérer d’une infestation. Jimmy, lui, préférait son rôle de médium. C’était la première fois qu’il utilisait son don pour autre chose que de transmettre des messages de personnes décédées à des proches en deuil. Car c’était pour ça que les gens venaient le voir. Il n’avait que rarement participé à des enquêtes avec de tels phénomènes. D’habitude, il ne faisait que retransmettre ce que l’âme d’un défunt voulait faire savoir à ses proches. Cette situation était tout à fait inédite à ces yeux.
C’est dans cet état d’esprit qu’il entra dans la pièce. Il s’était assis auprès de cet homme et avait tenté d’entamer la conversation. Il n’avait jamais été très doué pour ça mais il voulait se montrer gentil et empathique. Il semblait si perdu que Jimmy eut un énorme élan de compassion envers cet être en souffrance. Il lui promit qu’il trouverait comment sauver sa femme et que les choses finiraient forcément par s’arranger.
Jean l’avait regardé d’un air las mais n’avait pas répondu. Il était usé par tous ses événements et Jimmy n’insista pas.
Il avait installé la caméra à l’entrée de la pièce comme Mark lui avait demandé et s’était installé sur une chaise près de la commode.
Il était déjà rentré dans cette chambre et quelque chose l’avait perturbé. Il avait l’impression que quelqu’un s’y tenait mais il n’arrivait pas à percevoir de quel endroit cela se manifestait.
Il avait aperçu le miroir et la sensation de malaise s’était intensifiée. Il n’avait rien dit à Michaël mais il avait eu sensation bizarre. Comme si un monde entier se cachait derrière ce miroir. Comme si une autre réalité se trouvait derrière celui-ci.
Il savait que les miroirs pouvaient servir de portail entre le monde des vivants et celui des morts, mais celui-là était particulier.
Cependant, Jimmy n’arrivait pas à s’expliquer cette particularité.
Il demanda à Jean de l’excuser un moment et sortit de la chambre pour téléphoner à son frère.
Billy lui répondit presque immédiatement.
Jimmy lui résuma le plus gros de la situation et lui parla du miroir de la chambre.
Serait-il possible qu’il y ait un lien entre ce meuble et les événements actuels ?
Billy lui demanda la provenance du meuble.
Jimmy allait poser la question à Jean quand Sylvia commença à s’étrangler dans son sommeil.
Jean s’était approché de sa femme dans le but de la redresser sur ses oreillers et c’est là que tout bascula.
Sylvia, enfin la chose qui la possédait, ouvrit les yeux subitement et mit un énorme coup de tête à Jean qui s’effondra sur le coup.
Jimmy, qui était juste devant la porte, s’élança pour venir en aide à Jean.
Mais avant qu’il n’ait le temps de l’atteindre, il se sentit soulevé dans les airs et fut propulsé vers la commode.
Il attendit le choc mais ne sentit rien. D’ailleurs, il n’entendait plus rien non plus. Il essaya d’ouvrir doucement les yeux et se retrouva dans un endroit sombre d’où seule une faible lueur en forme rectangulaire perçait. Il se rapprocha de la lueur et découvrit avec stupeur que ce qu’il voyait de l’autre côté était la chambre des parents de Michaël. Il posa ses mains devant lui et sentit comme une résistance. Il se mit à taper sur la vitre invisible mais ses coups ne produisaient aucun son. Jimmy était totalement paniqué. Que se passait-il ? Où se trouvait-il ? Il frappa de nouveau sur la surface brillante mais personne ne se manifesta. Apparemment, Jean était assommé et les techniciens n’avaient pas du voir ce qu’il s’était passé. Il avait son téléphone sur lui et regarda l’écran. Il constata, non sans surprise, qu’il n’avait aucun réseau. Ça aurait été trop beau. Il tenta une nouvelle fois de frapper sur la vitre mais il se rendit compte que c’était peine perdue. Personne ne l’entendait. Il se laissa glisser lentement sur le sol et décida de prendre le risque d’allumer la lampe de poche de son portable. Il semblait être dans une pièce qui ressemblait à s’y méprendre à la chambre qu’il venait de quitter. Il se mit lentement debout et en fit le tour. La pièce était plongée dans l’obscurité mais il remarqua un rée de lumière bleutée en dessous de ce qu’il supposait être une porte. Il s’approcha doucement et leva doucement la main devant lui. Ses doigts rencontrèrent un objet dur et froid. La poignée ! Il allait l’ouvrir quand il entendit une sorte de grincement derrière lui. Ses cheveux se dressèrent sur sa nuque et il resta un moment pétrifié. Il n’osait plus faire le moindre geste. Il entendit encore le grincement et se força à se retourner doucement. Il tourna doucement la lumière dans la direction du bruit et tomba sur une énorme penderie à l’ancienne. La porte était entrouverte. Il resta pétrifié et au moment où il voulut se tourner vers la porte de la chambre, le bruit des gonds de la commode se fit plus fort. Jimmy, tétanisé par une peur insoutenable, entendit une respiration sifflante derrière lui. Il n’osait pas se retourner mais il n’avait pas le choix. Il lâcha donc la poignée et se retourna pour affronter la chose qui faisait cet affreux bruit. Il se força à regarder de nouveau la penderie mais elle était vide. Il regarda autour de lui et ne vit personne. A reculons, il se dirigea de nouveau vers la poignée de la porte mais ce ne fut pas du métal qu’il sentit sous ses doigts. C’était de la peau. Froide, morte, mais de la peau humaine. Il s’écarta subitement et un cri monta doucement dans sa gorge. Mais avant que le son n’en sorte, il entendit une voix sifflante lui dire :
– Je serais vous, j’éviterais de crier. Il va nous entendre.
Le cœur battant, Jimmy dirigea sa lampe de poche vers le son de la voix.
La personne qui était devant lui était de sexe masculin. Il était habillé d’un pyjama et semblait porter un masque en plastique autour de la bouche.
Un vieillard aux yeux écarquillés par l’effroi se tenait devant lui. Il devait avoir dans les soixante-dix ans, mais il ne semblait pas dangereux. Jimmy s’approcha lentement et lui demanda son nom.
– Vous savez très bien qui je suis, jeune homme, murmura l’ombre. Je vous ai reconnu tout de suite.
Jimmy le dévisagea et ressentit un étrange soulagement. Oui, il savait. Il avait vu son visage sur les photos que la famille lui avait montrées. C’était Antonio Giorno, le grand-père de Michaël. Il se rapprocha encore et remarqua qu’un anneau métallique était incrusté dans sa poitrine. Une chaîne sans fin y était attachée. Antonio suivit son regard et soupira tristement.
– Il me tient. C’est comme ça qu’il nous contrôle. Jimmy ne comprenait pas.
– Qui est-il ? Qu’est-ce qu’il veut ? Comment sortir d’ici ? Et où sommes-nous, d’ailleurs ?
Antonio parut paniqué par ce flot de questions et posa un doigt glacé sur les lèvres de Jimmy, lui faisant signe de se taire. Il tendit l’oreille, comme s’il craignait d’être entendu, puis alla s’asseoir sur la chaise en face de la commode. Il fixait le carré de lumière et des larmes coulaient sur ses joues.
– Je ne sais pas ce qu’il est, avoua-t-il à Jimmy. Mais je crois savoir ce qu’il veut. Il veut nous avoir tous. Je pensais que si je me sacrifiais, il épargnerait ma famille. Mais ça n’a pas marché. Il ne cessera jamais de tourmenter les miens, et tous ceux qui vivront dans cette maison. Il m’avait promis de libérer mes fils si je me laissais emporter. J’étais condamné de toute façon et c’était une façon de me racheter de mes fautes passées. Mais il m’a trompé. Et maintenant, je suis prisonnier ici, avec mes fils.
Il désigna la garde-robe entrouverte d’un geste tremblant. Jimmy sentit un frisson lui parcourir l’échine quand il distingua deux silhouettes sombres qui l’épiaient du fond de l’armoire. Lentement, les deux ombres s’extirpèrent de leur cachette et se dirigèrent vers Jimmy. Elles s’approchèrent jusqu’à frôler son visage d’un souffle glacé. Jimmy braqua sa lampe sur ces apparitions et fut saisi d’horreur. C’étaient les jumeaux. Roberto et Julio. Eux aussi portaient cet anneau métallique à la poitrine et cette chaîne sans fin. Mais ce qui horrifia Jimmy, c’était l’état de leur visage. Michaël les avait décrits à l’équipe quand il les avait vus dans le miroir. Il avait dit que leurs yeux étaient écarquillés par la peur et que leurs bouches étaient béantes sur un cri muet. Ce que Jimmy voyait n’avait plus rien à voir. La voix d’Antonio résonna dans le noir. – C’est lui qui leur a fait ça. Pour les punir d’avoir demandé de l’aide. Et pour me faire souffrir aussi. Il m’a forcé à regarder, vous savez. J’ai essayé de le stopper mais je n’ai rien pu faire. Si vous ne sortez pas d’ici, vous allez mourir et vous finirez sûrement comme ça. Jimmy resta pétrifié puis reporta sa lampe sur le visage des jumeaux. Leurs yeux et leurs bouches étaient cousus avec un fil épais et noir. Ils tendaient les bras vers Jimmy en implorant de l’aide. Jimmy n’en pouvait plus. Il poussa un hurlement déchirant et tout devint noir autour de lui.
Quand il reprit conscience, Jimmy était seul dans la chambre. Il était allongé sur le lit. Il se redressa brusquement et regarda autour de lui, affolé. Où étaient passés Antonio et ses fils ? Et qu’allait-il lui arriver ? Il descendit prudemment du lit et se dirigea vers l’armoire. La porte était fermée. Jimmy posa sa main sur la poignée mais se ravisa. Il ne voulait pas revoir les visages mutilés des jumeaux.
Il fouilla la chambre du regard, sans faire de bruit, mais ne découvrit aucun indice pour s’échapper. Il se résolut donc à quitter la pièce à la recherche d’un autre portail qui pourrait le ramener. Il devait bien y avoir une sortie quelque part, s’il avait pu entrer d’un côté. Le problème était de la trouver sans tomber sur la chose qui hantait les lieux. Il sortit de la chambre et descendit les marches de l’escalier avec précaution. La maison où il se trouvait était la copie conforme de celle des Blanchart. Tout y était délabré et sale, mais identique. Jimmy sentit son téléphone vibrer dans sa poche. Il regarda autour de lui et sortit son écran de sa main.
Par miracle, son téléphone captait une sorte d’onde qui lui donnait un peu de réseau. Il tenta le coup et appela Mark. Il fut soulagé d’entendre la tonalité et quand on décrocha, il hurla le nom de Mark. À l’autre bout du fil, Mark criait son nom et lui demandait où il était. Jimmy essaya de lui expliquer mais la ligne était parasitée et ses mots devaient être inaudibles. Il répéta à Mark ce qui lui était arrivé, en haussant la voix, et s’arrêta net en entendant un grognement immense derrière lui. Son corps se figea sur place.
Derrière lui, il sentait les vibrations de quelque chose d’énorme qui se rapprochait. Il resta pétrifié, sans dire un mot. Il entendait toujours Mark hurler dans le téléphone mais n’osait plus lui répondre. Le bruit de pas lourds se rapprochait de lui. Il fallait qu’il se cache. À regret, il raccrocha le téléphone et chercha une cachette du regard. Il choisit l’arrière du canapé, s’y glissa et attendit, en retenant son souffle, l’arrivée de la chose. Immobile, il tendit l’oreille. Les pas venaient de l’étage. Il entendait la chose aller d’une pièce à l’autre, en faisant claquer les portes avec violence, à la recherche des cris qu’elle avait sûrement entendus. La créature se déplaçait avec fureur et, ne trouvant pas l’origine des cris, semblait grogner de frustration. Jimmy restait blotti derrière le canapé, priant silencieusement pour que la bête ne descende pas les marches.
Après un moment, le silence revint dans la maison. Jimmy osa jeter un coup d’œil à la porte du salon et vit qu’elle était restée entrouverte. Il avait oublié de la refermer derrière lui. Il écouta attentivement mais plus rien ne bougeait. Apparemment, la chose était partie dans une autre partie de la maison. Jimmy sortit lentement de sa cachette et vit la porte donnant sur le jardin. Il devait sortir d’ici avant que cette entité ne revienne. Il se dirigea doucement vers la porte et souleva légèrement le rideau pour regarder dehors.
Ce qu’il vit le sidéra. Ce n’était pas possible ! Comment cela pouvait-il exister ? Non, ça devait être la peur ! Pour se convaincre que ses yeux le trompaient, il ouvrit la porte et s’accrocha à la poignée de toutes ses forces. Il essaya de poser un pied là où le sol aurait dû se trouver mais ne rencontra que le vide. Il rentra vite son pied et ferma la porte, le dos contre le bois glacé, la poignée appuyée entre ses omoplates. Non, c’était de la folie ! Pour se persuader qu’il ne rêvait pas, Jimmy se pinça fort le bras et regarda de nouveau à l’extérieur. Mais le décor ne changea pas.
Car il n’y avait rien dehors, sauf le néant. La maison semblait flotter dans un vide absolu. Derrière cette porte ne régnait que l’obscurité. Jimmy sentit son visage se crisper et un profond désespoir l’envahir. Il se laissa glisser le long de la porte et les larmes se mirent à couler sur son visage. Il sanglota ainsi pendant quelques minutes. Soudain, il sentit une main se poser sur son épaule. Dans un énorme sursaut, il tomba sur le dos, pris de panique. Il s’aperçut que ce n’était qu’Antonio. Soulagé, il se calma un peu et tendit le bras vers la fenêtre.
– Vous pouvez m’expliquer ? demanda-t’il au vieil homme.
Antonio regarda à l’extérieur mais ne répondit pas. Il n’avait pas l’air de savoir non plus où il se trouvait. Il regarda de nouveau Jimmy et l’aida à se relever. Une fois debout, Jimmy tenta de reprendre contenance. Il fallait qu’il trouve une sortie. Il demanda à Antonio s’il savait où se trouvait la chose. Le vieil homme lui répondit tristement :
– Mes fils ont attiré son attention en faisant du bruit dans leur chambre.
Jimmy se sentit mal à l’idée que les jumeaux aient dû subir cette créature pour le sauver. Il ne savait que dire. Il parla donc de sa théorie avec Antonio. Jimmy savait qu’il n’était pas mort. Il le sentait au fond de lui. Il avait été projeté par la créature dans une sorte de monde parallèle. Donc, s’il y avait une entrée, il devait y avoir une sortie, c’était logique. Restait à la trouver. Il demanda à Antonio s’il avait une idée de ce que serait cette sortie. Avec un soupir, Antonio lui indiqua le plafond. Ne comprenant pas, Jimmy lui demanda d’être plus clair.
– S’il y a une sortie dans cette maison, elle ne peut se trouver qu’à un seul endroit, lui dit Antonio.
Jimmy attendait mais Antonio semblait figé. Il prit le vieil homme par le bras et celui-ci sembla revenir à lui-même. Il regarda Jimmy avec des yeux flous et semblait ne pas se rappeler qui il était. Jimmy lui demanda comment il allait et Antonio lui répondit qu’il se sentait bien. Quand Jimmy lui redemanda la sortie, Antonio le regarda d’un air effrayé et lui indiqua de nouveau le plafond.
– Si vous voulez sortir d’ici, vous devrez aller là où tout a commencé. Là se trouve le portail qui vous ramènera dans votre monde. Mais pour cela, il va falloir éviter de croiser cette chose. Et j’ai bien peur que cela soit impossible. Il nous retrouve toujours.
Les yeux de Jimmy s’écarquillèrent quand il comprit où se trouvait son salut. Il allait devoir affronter cette chose ou périr dans ses murs. Une fois de plus, Jimmy ressentit un désespoir immense. Et surtout, il avait peur. Très peur. Il tenta de rappeler Mark qui décrocha tout de suite. Jimmy essaya de lui parler mais Mark ne semblait pas comprendre ce que Jimmy lui disait. Jimmy se tut. Il raccrocha et essaya d’envoyer un message. Il écrivit un mot et l’envoya. Le message fut transmis puis le portable s’éteignit. Il n’avait plus de batterie. Jimmy mit son téléphone dans sa poche et commença à discuter stratégie avec Antonio. Ils devaient sortir d’ici. Tous.
Mark hurlait le nom de Jimmy dans le téléphone, mais il n’entendait que des grésillements. Puis, plus rien. Jimmy avait raccroché. Mark resta figé un instant, puis rangea le téléphone dans sa poche. Il faisait les cent pas dans le salon, ne sachant pas quelle décision prendre. Il se tourna vers Antoine, le technicien, et lui demanda s’il pouvait localiser le portable de Jimmy. Antoine s’exécuta. Il fallut attendre quelques minutes avant que l’écran n’affiche le résultat. Mais quand ils le virent, ils restèrent bouche bée. Ils pensèrent à un bug de l’ordinateur et relancèrent la recherche. Le résultat fut le même. C’était impensable ! Mark fit signe à Jean d’aller vérifier dans la chambre de sa femme. Sur l’écran, Sylvia paraissait toujours plongée dans un sommeil profond. Il n’y avait personne d’autre dans la chambre. Pourtant, le portable de Jimmy y était localisé. Jean monta à l’étage avec l’autre technicien et fouilla la chambre. Ils cherchèrent partout, sous le lit, derrière les meubles, mais ils ne trouvèrent aucune trace du téléphone. Quand Jean s’était réveillé dans la chambre après l’agression de Sylvia, Jimmy avait déjà disparu. Ils redescendirent au salon et Mark proposa de visionner ce que la caméra de la chambre avait filmé. Ils rembobinèrent les images et s’arrêtèrent au moment où Jimmy pénétrait dans la chambre des parents. On voyait Sylvia endormie, Jean assis sur une chaise à côté d’elle et Jimmy debout à la porte. Jimmy posait une question à Jean et Mark le vit sortir de la chambre, le téléphone à l’oreille. Il devait passer un coup de fil. Peu après, Mark et les autres assistèrent à la scène horrifiante où Sylvia se mettait à convulser. Jean s’approchait d’elle et c’était le début d’une violence inouïe. Mark observa Sylvia asséner un coup de tête à son mari puis se tourner vers lui. Son visage était déformé par la rage.
Un grognement retentit et Mark vit le corps de son ami s’élever dans les airs et foncer vers le miroir de la coiffeuse. Il s’attendait à le voir s’écraser contre le meuble, mais ce qu’il vit ensuite le stupéfia. Au lieu de heurter le miroir, Jimmy semblait l’avoir traversé! Son corps avait disparu dans un flash bleuté. Comment était-ce possible ? C’était incroyable !
Ils étaient abasourdis. Mark, Jean et les techniciens se regardaient sans oser parler. Ils venaient d’assister à une scène irréelle. C’est Jean qui rompit le silence.
– Mark ! Qu’est-ce qu’on fait ? On ne peut pas abandonner Jimmy ! Il faut aller le chercher !
Mark marchait nerveusement de long en large, perdu dans ses réflexions, quand il sentit son téléphone vibrer. C’était un message de Jimmy. Un seul mot y était écrit. Ou plutôt un nom. Billy. Jean, qui avait jeté un coup d’œil au message sur l’épaule de Mark, le questionna du regard. Mark soupira et tapa un numéro. Il se tourna vers les autres et dit :
-Il faut appeler Billy. C’est le frère de Jimmy. Il saura peut-être nous aider.
Jean lui demanda comment cet homme pourrait faire face à une telle situation. Mark lui répondit calmement :
-Billy est exorciste. Mais pas seulement. Il est aussi détective spécialisé dans le paranormal à ses heures perdues. Il saura sûrement comment ramener Jimmy dans notre monde. Du moins, je l’espère.
Le téléphone sonna et une voix répondit à l’autre bout du fil. Mark se présenta et discuta avec son interlocuteur pendant quelques minutes. Pendant ce temps, Jean partit à la recherche de son fils. Michaël et Mario étaient dans la cuisine. Ils avaient entendu ce qu’il s’était passé mais ils avaient préféré rester à l’écart. Michaël était pétrifié par la peur. Mario n’était pas beaucoup mieux. Jean les prit dans ses bras et Michaël se blottit contre lui.
– Papa, comment on va s’en sortir ? lui demanda-t’il, tremblant.
Jean ne savait pas quoi lui dire et lui répéta ce que Mark avait dit. Les garçons écoutèrent attentivement et semblèrent se rassurer un peu. Jean leur conseilla de rester avec le reste du groupe. Ils retournèrent au salon et virent le Père Rosso qui était resté assis tout ce temps, silencieux. Mark s’adressa à lui et lui demanda :
– Alors, mon Père, vous avez assez de preuves pour demander l’intervention de l’Église ? Le prêtre semblait dépassé par tous ces événements. Il se leva néanmoins et dit :
– Oui, ce cas me semble plus qu’urgent. Je vais aller voir l’Évêque et lui exposer la situation. Pourriez-vous me donner les copies des images de caméras ainsi que tous les autres documents en votre possession ? Je ne sais pas combien de temps cela prendra mais il faut faire au plus vite. La vie de votre ami est en jeu, et la nôtre aussi.
Mark rassembla donc tous les documents sur une clé USB et la remit au prêtre. Celui-ci se dirigea vers la porte d’entrée. Avant de sortir, il se retourna vers nous. Il nous regarda intensément :
– Le démon est à l’œuvre dans cette maison. Je prierai pour vous et j’espère pouvoir vous ramener de l’aide à temps. Soyez prudent en attendant mon retour. Évitez de le provoquer et ne faites rien d’inconsidéré. Je reviens au plus vite.
Sur ce, il quitta la maison dans la nuit noire.
Mark revint dans le salon et regarda autour de lui. Ils étaient tous au bout du rouleau. La situation avait dégénéré si vite et de manière si délirante ! Il n’avait jamais rencontré un tel cas de sa vie d’enquêteur. Ils étaient tous épuisés. Il jeta un coup d’œil sur les écrans, mais plus rien ne semblait se manifester. Il se laissa tomber sur le canapé, ferma les yeux et soupira de fatigue.
– Je pense que nous devrions dormir un peu, dit-il.
Les autres le regardèrent d’un air ébahi. Michaël lâcha d’une voix tremblante :
-Dormir ? Avec cette chose dans la maison ?
Jean se rapprocha de son fils.
– Il a raison, Champion. Il faut nous reposer. Nous allons devoir affronter cette horrible créature. Il nous faudra toutes nos forces si nous voulons avoir une chance d’y arriver.
Il se tourna ensuite vers Mario.
– Retourne chez toi, Mario. Préviens ton père de la situation et restez chez vous, à l’abri. Je ne veux pas qu’une autre personne innocente paie à notre place. Cette histoire regarde notre famille. Merci pour ton aide. J’espère que nous aurons l’occasion de nous revoir dans de meilleures conditions.
Mario regarda Michaël, les larmes aux yeux. Il le serra dans ses bras.
– Je prierai pour vous, dit-il en se dirigeant vers la porte. J’espère que l’on se reverra, Mick. Bonne chance.
Il ouvrit la porte et sortit. Michaël ne disait plus rien. Il semblait résigné. Il regarda son père et ce qu’il dit glaça le sang de Jean.
-On va tous y passer, n’est-ce pas ?
Jean aurait voulu rassurer son fils, mais il ne sut pas quoi répondre. Mark, qui l’avait entendu, le prit par l’épaule et lui dit :
-En tout cas, pas sans nous battre. Cette chose, quelle qu’elle soit, doit avoir des points faibles. Nous allons trouver une solution pour ramener Jimmy et libérer votre famille. Je te le promets. Mais en attendant l’arrivée de Billy, nous devrions tous nous reposer.
C’est ce que nous fîmes tous. Voilà comment je passai ma première nuit avant le combat qui nous opposa à ce démon. Je m’étais allongé sur un tas de couvertures que j’avais prises dans un meuble de la pièce de devant et, malgré la peur qui me serrait le cœur, je m’endormis, priant pour que ce ne soit pas le dernier jour de ma vie. Priant aussi pour ne pas me réveiller enchaîné par cette créature, dans ce monde parallèle au nôtre. Je priais aussi pour que ce Billy arrive rapidement. Je priais comme je n’avais jamais prié de ma vie.
Chapitre 7
Billy s’affairait devant sa valise, le front plissé par la réflexion. Depuis l’appel de Mark, qu’il avait connu par l’intermédiaire de Jimmy lors d’une enquête à laquelle il participait également, ses pensées ne cessaient de tourner en rond dans sa tête. Quelle histoire ! Ce que Mark lui avait raconté était complètement inédit. Billy, qui enquêtait sur les phénomènes paranormaux depuis plus de vingt ans, avait déjà entendu parler de mondes parallèles, mais n’avait jamais su qu’il était possible d’y accéder physiquement. Il savait qu’avec les voyages astraux, il était possible à un médium de transférer sa conscience dans un monde alternatif, mais être physiquement transporté de l’autre côté, et par un démon de surcroît ? Pauvre Jimmy ! Son petit frère avait toujours eu du mal à accepter ce don qu’ils avaient depuis l’enfance. Il lui avait fallu l’aide de Billy pour accepter cette capacité et s’en servir pour consoler des familles en deuil. Billy, par contre, était enchanté par cette capacité. Il faut dire que son don lui était très utile lors de ses nombreuses enquêtes. Il lui suffisait de rentrer dans un lieu pour y ressentir toutes ses présences et pouvoir parfois retracer des événements du passé. Mais aujourd’hui n’était pas une enquête comme les autres. Cette fois, Jimmy était en danger de mort. Et bien que l’idée de découvrir tous les dessous de cette affaire ait attisé son obsession pour le paranormal, l’inquiétude était présente. Il finit de remplir sa valise et se dirigea vers le téléphone. Pendant ces nombreuses enquêtes, il avait eu l’occasion de rencontrer des personnes intéressantes avec des capacités exceptionnelles. Le téléphone sonna et une voix féminine, légèrement enrouée, lui répondit. Billy soupira de soulagement. Vu l’heure tardive, il avait craint que personne ne lui réponde.
– Salut, Andréa. C’est Billy. Je t’appelle car…
Andréa lui coupa la parole.
-C’est Jimmy, n’est-ce pas ?
Comme toujours Billy était impressionné par les dons de médium de cette femme. Il avait des capacités, mais s’il devait se les représenter, elles auraient eu l’air de la lueur d’une petite bougie. Andréa était un vrai phare qui illuminait n’importe quel endroit le plus sombre.
– Oui c’est Jimmy. Qu’as-tu vu exactement ?
Andréa ne répondit pas tout de suite, certainement parce qu’elle venait de se réveiller. Après un moment de silence, elle lui annonça son arrivée. Elle raccrocha avant même que Billy n’ajoute quelque chose. Il se dirigea vers la cuisine, la valise à la main, et mit le percolateur en route. Andréa était une accro à la caféine. Il s’assit sur une chaise et attendit. Le bruit d’un moteur se fit entendre. Billy se leva et regarda par la fenêtre. C’était Andréa. Il alla lui ouvrir et la suivit à la cuisine. Andréa, petit bout de femme d’une cinquantaine d’années, les yeux tirés par le manque de sommeil, se servit directement au percolateur. Elle remplit une tasse et en prit une pour Billy. Installés autour de la table, Andréa raconta à Billy les rêves étranges qu’elle avait faits récemment. Toujours les mêmes en fait. Elle voyait Jimmy dans un endroit sombre et froid. Mais Jimmy n’était pas seul. Elle avait aussi vu un vieil homme et des jumeaux d’une vingtaine d’années. Ils avaient l’air prisonnier et criaient à l’aide. Mais ces présences n’étaient pas ce qui l’avait le plus terrifiée. Outre ces âmes en détresse, elle avait senti que quelque chose habitait ce lieu, une chose horrible, une chose inhumaine. Elle avait eu du mal à la discerner mais elle avait senti les vibrations de haine et de violence qui émanaient de cette créature. Quand Billy l’avait appelée, elle était en plein cauchemar. Jimmy était en danger. Mais il n’était pas le seul. Un nom lui revenait sans cesse en tête.
-Michaël.
Billy lui demanda de qui il s’agissait mais Andréa secoua la tête. Elle n’avait pas pu ressentir la présence de cette personne. Comme si quelque chose l’en empêchait. Billy l’informa qu’il se rendait à l’adresse indiquée par Mark. Andréa hocha la tête, se leva, rinça sa tasse de café au-dessus de l’évier et la posa sur l’égouttoir. Elle se tourna vers Billy.
– Allons-y alors !
Billy la regarda d’un air inquiet. Depuis leur dernière rencontre, Andréa avait l’air amaigrie et fragile.
– Je ne pense pas que ce soit une bonne idée, Andréa. Dans ton état,…
Andréa le regarda d’un air sévère. Sa peau ébène était atténuée par une nuance de gris et ses yeux étaient cernés.
-Mon état, c’est mon affaire, Billy. Je ne sais pas pourquoi mais je sais que je dois me rendre là-bas. Je sens que je dois y aller.
Billy la regarda un moment et soupira.
– Donc, c’est réglé, dit Andréa. Ma valise est dans ma voiture mais vu la distance, nous prendrons ton pick-up, si tu le permets.
Billy hocha la tête. Il alla rincer sa tasse à l’évier, Andréa avait horreur du désordre, et se dirigea vers sa veste. Il prit sa valise, ses clés, son téléphone et se dirigea vers sa voiture. Il chargea également la valise d’Andréa. Elle avait sûrement dû emporter toutes ses amulettes, protections et objets quelconques qu’elle possédait car la valise était lourde. Andréa s’installa sur le siège passager et attacha sa ceinture. Billy s’installa au volant, encoda l’adresse et attendit que l’itinéraire s’affiche. Une fois enregistré, le GPS commença à débiter le trajet de sa voix artificielle féminine. Durant le trajet, Billy lui raconta les informations qu’il tenait de Mark. Andréa l’écoutait et son visage devenait de plus en plus pâle au fil du récit. Elle ne posa aucune question. Elle garda le silence jusqu’à la fin. Billy la regardait, attendant un commentaire, mais elle l’informa simplement qu’elle allait se reposer le temps du voyage. Billy la laissa donc dormir. Au vu de ce qui les attendait, quelques heures de sommeil lui feraient le plus grand bien. C’est dans ce silence funeste que Billy conduisit vers ce destin incertain. Toute cette histoire lui laissait comme un mauvais goût dans la bouche. Il ne savait pas pourquoi mais il avait l’impression que sa vie ne serait plus jamais la même après ça. S’il s’en sortait vivant du moins. Cette réflexion le laissa perplexe. Il n’avait jamais eu peur de mourir lors d’une enquête, alors pourquoi ce sentiment de terreur semblait-il lui serrer le cœur ? Il avait l’impression de foncer vers un énorme précipice où ne l’attendait que terreur, souffrance, et pire encore. Mais Jimmy était là-bas. Il n’avait pas le choix. Jimmy aurait fait la même chose pour lui. C’est ainsi perdu dans ses pensées que Billy se dirigea vers le champ de bataille.
À plus d’une centaine de kilomètres de là, le Père Rosso se tenait devant une maison modeste, éclairée par la lune. Il serrait la clé USB dans sa main comme un talisman. Il avait peur. Peur de ce qu’il avait vu, peur de ce qu’il allait dire, peur de ne pas être cru. Il se décida enfin et frappa à la porte avec force. Quelques minutes plus tard, la porte s’ouvrit sur le visage bienveillant de l’évêque de leur paroisse, Monseigneur Vendetta. C’était un homme bon et ouvert d’esprit, qui avait toujours soutenu le Père Rosso dans son ministère. Il était tard et pourtant il n’était pas couché, vêtu d’une simple soutane. Il observa le prêtre avec inquiétude, voyant l’angoisse qui déformait ses traits. Il le fit entrer sans un mot.
-Que se passe-t-il, Marco ? Qu’est-ce qui vous amène à une heure si tardive ?
L’évêque conduisit le prêtre dans un petit salon. Une vieille dame les rejoignit, portant un plateau contenant du thé, de la crème et du sucre. Elle sortit discrètement du salon et l’évêque se tourna vers le Père Rosso.
–Alors, Marco, qu’est-ce qui vous trouble à ce point ?
Le prêtre commença donc à lui raconter les tourments que subissait la famille qui lui avait demandé de l’aide. L’évêque l’écouta sans l’interrompre, buvant son thé à petites gorgées. Quand le prêtre eut fini son récit, l’évêque lui posa une série de questions.
-Etes-vous sûr qu’il s’agit bien d’une possession démoniaque ? Au vu des antécédents de cette famille, n’y aurait-il pas une explication médicale ?
Le prêtre soupira. Il serrait toujours la clé dans sa main et la tendit à son supérieur. Celui-ci la prit sans poser de question, se dirigea vers son bureau et en sortit un ordinateur portable. Il l’alluma et y inséra la clé.
Quand les images commencèrent à défiler, les yeux de l’évêque s’écarquillèrent. Il regarda les images jusqu’à la fin puis se tourna vers le père Rosso.
-Mon Dieu ! Est-ce possible ? Comment avez-vous obtenu ces images ? Avec toute la technologie dont on dispose aujourd’hui, il ne serait pas difficile de monter ce genre d’image.
Le Père Rosso le regarda d’un air las.
-Je vous assure que ces images sont authentiques, Monseigneur. Comme vous pouvez le constater sur ces images, j’étais présent au moment des faits. Vous avez pu voir ces images mais il y a autre chose. Les dossiers sur la clé regroupent les témoignages d’Antonio et de Vittorio sur une période de vingt ans. La famille actuelle n’était pas au courant de ces événements. De plus, que dire de cet homme qui passe au travers de ce miroir ? Sans compter l’atmosphère que dégage cette demeure. Non, je vous assure, Monseigneur, tout ceci n’est pas un canular bien élaboré mais l’horrible vérité. Je suis venu vous demander votre aide. Il faut que nous aidions cette famille sinon je crains une issue fatale pour chacun d’entre eux. Il est de notre devoir de chrétien de les aider à chasser les forces démoniaques qui y sévissent.
L’évêque regarda le prêtre en silence. Marco était son assistant depuis près de trente ans. Il avait toujours été un excellent prêtre et avait toujours mit sa foi avant tout. De plus, il n’était pas du genre à croire au surnaturel. S’il demandait de l’aide, c’est qu’il était certain de ce qu’il avançait. L’évêque se leva en invitant le Père Rosso à le suivre. Ils se dirigèrent vers une porte en bois foncé sur lequel un crucifix était accroché. L’évêque ouvrit la porte et alluma la lumière. Le père Rosso le suivit sans rien dire. Il observait les murs où était représentée une photo du Pape Jean-Paul II. Sur le mur au dessus de la cheminée se trouvait une illustration du Christ chassant les démons d’un pauvre pécheur et les envoyant dans un troupeau de porcs qui se jetaient dans un lac. Sur l’autre mur, la Sainte Vierge tendait les bras vers le ciel dans un halo de lumière. Devant la cheminée, une petite table de salon était entourée par deux fauteuils à dos droits. Un petit bar renfermait quelques bouteilles de vin. L’évêque s’assit dans l’un des fauteuils et invita le prêtre à faire de même. Il se servit un verre de vin et en proposa un au prêtre qui refusa poliment.
-Marco, vous venez de me montrer des images troublantes. Je ne sais pas quoi en penser. Mais je vous connais depuis longtemps et je vous fais confiance. Si vous dites que cette famille est en danger, je vous crois. Mais que voulez-vous que je fasse ? Je ne suis pas un exorciste, je n’ai pas le pouvoir de chasser les démons.
Le prêtre le regarda avec espoir.
-Monseigneur, vous êtes l’évêque de cette paroisse. Vous avez l’autorité pour demander l’intervention d’un exorciste officiel du Vatican. Je vous en supplie, faites-le avant qu’il ne soit trop tard.
L’évêque hocha la tête lentement.
-Très bien, Marco. Je vais faire ce que vous me demandez. Mais je vous préviens, ce ne sera pas facile. Il faut obtenir l’autorisation du Vatican, trouver un exorciste disponible, organiser son voyage, son hébergement, sa sécurité… Tout cela prend du temps et de l’argent. Et pendant ce temps, que va-t-il se passer dans cette maison ?
Le prêtre baissa les yeux.
-Je ne sais pas, Monseigneur. Je ne sais pas ce que ces démons ont prévu pour cette famille. Mais je sais qu’ils sont puissants et maléfiques. Je sais qu’ils ne reculeront devant rien pour les détruire. Je sais qu’il faut agir vite, très vite…
L’évêque posa sa main sur l’épaule du prêtre.
-Courage, Marco. Nous allons faire tout notre possible pour les aider. Dieu est avec nous, il ne nous abandonnera pas. Il nous donnera la force et la sagesse nécessaires pour combattre ces forces du mal. Ne perdez pas espoir, Marco. Ne perdez pas la foi…
L’évêque se leva de son fauteuil et se dirigea vers un bureau en bois massif, surmonté d’un grand crucifix. Il fouilla dans plusieurs tiroirs et en sortit un livre relié de cuir, une fiole d’eau bénite et une tenue de cérémonie. Il fit signe au Père Rosso de s’approcher. Sa voix était grave et solennelle.
-Marco, c’est à vous que je confie cette mission. Vous devez exorciser madame Blanchart au plus vite. Quant à ce pauvre Jimmy, je crains de ne pouvoir vous être d’aucun secours. Vous savez très bien que l’Église ne reconnaît pas l’existence des fantômes, ni celle des mondes parallèles, à part le Paradis. Il vous faut trouver quelqu’un qui ait des méthodes moins conventionnelles pour ce genre de situation.
Le Père Rosso sentit un frisson lui parcourir l’échine. Il regarda l’évêque avec incrédulité.
– Un sorcier ? Un chamane ? Mais où voulez-vous que je trouve une telle personne, Monseigneur ? Et que dira le Diacre si jamais il l’apprend ?
L’évêque posa une main rassurante sur l’épaule du Père Rosso et l’invita à s’asseoir.
– Ne vous inquiétez pas pour le Diacre, Marco. Il n’a pas besoin de savoir. Quelles que soient les preuves que vous lui apporterez, l’Église ne donnera jamais son aval pour la cérémonie. Il vous faut un médium capable de voyager dans l’au-delà. Je sais que je ne devrais pas croire en ces choses-là, mais j’ai toujours eu l’esprit ouvert. Au cours de ma vie, j’ai assisté à des phénomènes inexplicables et j’ai rencontré des gens dotés de dons extraordinaires. Bien sûr, l’Église les traite d’imposteurs, mais ce n’est pas mon cas. Vous ne seriez pas venu me voir, sinon. N’est-ce pas ?
Le Père Rosso acquiesça. Il était soulagé que l’évêque le soutienne dans sa démarche. Celui-ci lui tendit le livre qu’il tenait dans les mains. Le Père Rosso reconnut un ouvrage rare de la Bible, qui contenait toutes les prières et les formules nécessaires à un rituel d’exorcisme. Il l’avait vu une seule fois au Vatican, lorsqu’il avait prononcé ses vœux. Il prit le livre avec respect et le serra contre sa poitrine.
L’évêque lui donna ensuite la fiole d’eau bénite venant de Lourdes et lui remit la tenue de cérémonie. C’était une aube blanche immaculée, une étole pourpre et une chasuble brodée d’or. Ces vêtements symbolisaient la puissance de Dieu lors d’un combat spirituel. Le Père Rosso les prit avec précaution et les ajouta aux objets sacrés que l’évêque lui avait confiés.
– Avant de partir, mon père, j’aimerais vous demander quelque chose.
Le Père Rosso se tourna vers l’évêque et attendit sa requête.
-Si vous réussissez à sauver Jimmy et sa mère, pourriez-vous revenir me raconter comment cela s’est passé ? J’aurais aimé être à vos côtés, mais ma santé ne me permet plus de mener ce genre de combat.
Le Père Rosso vit la tristesse dans les yeux de l’évêque et lui sourit avec compassion.
-Bien sûr, Monseigneur, répondit-il. Je vous promets un rapport complet des événements. Merci pour votre aide.
L’évêque leva la main, comme pour dire que cela n’était rien, et raccompagna le Père Rosso à la porte.
– Je prierai pour vous et pour la famille Blanchart, Marco. Que Dieu vous protège.
Le Père Rosso le remercia une dernière fois et sortit de la pièce. Il sentit le poids de sa responsabilité sur ses épaules. Il devait à tout prix trouver un médium, et vite. Le temps lui était compté. Il ignorait ce qui se tramait dans l’autre monde, mais il pressentait que le danger était imminent.
Il faisait nuit noire quand il arriva dans la rue. Un pick-up venait de se garer devant la porte des Blanchart. Il vit un homme imposant descendre du côté conducteur. Une femme de couleur l’accompagnait. Elle avait l’air malade et fragile. Il accéléra le pas pour les rejoindre. L’homme se retourna vers lui. Le Père Rosso lui sourit et se présenta. L’homme fit de même et lui dit le nom de son amie.
-Quelle aubaine, pensa le père Rosso. Il cherchait désespérément un médium pour l’aider dans cette affaire ! C’était peut-être un signe du ciel ou du moins un signe d’espoir. Il regarda en direction de la femme. Celle-ci ne semblait pas les voir. Son regard était rivé sur la façade de la maison. Elle frissonna.
-Est-ce qu’elle va bien ? s’inquiéta le Père.
L’homme haussa les épaules. Elle sortit brusquement de sa torpeur et les deux hommes la suivirent devant l’entrée. D’un geste brusque, elle frappa à la porte. A l’intérieur, Michaël se réveilla en sursaut. Il lui avait semblé entendre des coups sourds. Il vit Mark se lever du canapé. Celui-ci se dirigea vers la porte d’entrée et Michaël entendit des voix étouffées. Il se leva doucement de son lit improvisé et secoua son père qui dormait à côté de lui. Jean ouvrit les yeux et le regarda d’un air étonné.
-Que se passe-t-il, Champion ?
Il se redressa et se dirigea vers l’entrée. La lumière de la pièce de devant s’alluma et les autres occupants se réveillèrent à leur tour. Ils avaient pu dormir quelques heures sans qu’aucune manifestation ne vienne troubler leur sommeil. Sylvia était toujours dans un état comateux et, pendant que le Père Rosso était parti voir son supérieur hiérarchique, Mark avait envoyé Jean à la pharmacie pour aller chercher des poches de sérum ainsi qu’un cathéter pour pouvoir nourrir Sylvia qui commençait à montrer des signes de déshydratation. Quand Jean était revenu, Mark avait pris la tension de Sylvia et écouté son rythme cardiaque. Pour l’instant, elle tenait le coup mais cela ne durerait pas si l’entité restait en elle trop longtemps. Ils avaient essayé de la réveiller pour la nourrir mais elle ne semblait pas pouvoir revenir à elle. Mark lui avait donc placé la perfusion. Jean regardait sa femme d’un air désespéré. Mark se dépêcha donc à reprendre ses paramètres et sortit de la chambre en emmenant Jean avec lui. Après son agression, Mark préférait ne pas laisser Jean seul avec sa femme. Il était clair que le démon se servait de son corps pour atteindre les autres membres de la famille. Il valait mieux les tenir à l’écart. Il s’était réveillé au bruit du tambourinement sur la porte d’entrée. Quand il ouvrit, il se retrouva devant une silhouette familière et poussa un soupir de soulagement. C’était Billy. Il était accompagné par le Père Rosso et une femme que Mark ne connaissait pas. Il s’écarta pour les laisser entrer. Billy entra, chargé de deux grosses valises qui semblaient contenir du matériel électronique. Le Père Rosso le suivit en saluant tout le monde d’un signe de tête. La femme resta un moment sur le pas de la porte puis se décida à entrer en jetant un regard méfiant autour d’elle.
-Andréa, dit-elle en tendant la main à Mark d’une voix rauque. Celui-ci lui serra la main et prit le temps de l’observer. Elle était d’une pâleur effrayante qui contrastait avec ses cheveux noirs et ses yeux sombres. Il la trouvait frêle et se demandait ce qu’elle était venue faire dans cette maison maudite. Il était clair que sa place aurait plus été dans un hôpital. Mark engagea la conversation. – Je m’appelle Mark. C’est moi qui ai appelé Billy. Je ne sais pas si vous connaissez la situation mais puis-je vous demander quelles sont vos compétences ? Andréa le jaugea un moment puis, s’avançant lentement dans la pièce, elle lui répondit : – Un épouvantable drame s’est déroulé ici. Une entité maléfique hante cette maison depuis des années. Elle s’est attachée à Julio comme un parasite dans un moment de grande faiblesse du jeune homme. Elle a pris possession de sa mère et elle veut les détruire tous. Je suis ici car je dois les aider à se libérer de l’emprise de cette créature. Je suis médium et je peux communiquer avec les esprits.
Le Père Rosso, grâce à son exorcisme, nous servira de diversion pour faire revenir Jimmy parmi le monde des vivants. Car tant que cette chose occupera le corps de cette femme, elle ne pourra pas occuper l’autre monde en même temps. Mark l’écoutait attentivement. Elle avait l’air de savoir de quoi elle parlait.
-Il va falloir être très prudent dans notre démarche car si le démon se rend compte de notre plan, tout sera foutu. Allons rejoindre les autres. Je dois parler au Père Rosso ainsi qu’aux autres membres de cette famille. Y a-t-il un Michaël parmi vous ?
Mark acquiesça.
-Oui, c’est le fils de la femme possédée. Pourquoi ?
Andréa ne répondit pas tout de suite. Elle se dirigea vers le salon et demanda à Mark de lui raconter dans l’ordre les événements. Mark lui fit un rapide résumé, lui montrant les vidéos et les photos et lui parlant également des carnets de Vittorio. Andréa écoutait attentivement. Ensuite, elle demanda à voir Michaël. Le jeune homme s’approcha timidement. Andréa pouvait voir la terreur et le désespoir sur les traits las de son visage. Elle lui demanda également de raconter sa version des faits. Le jeune homme s’exécuta. Il lui raconta le début des phénomènes avec les grattements, les portes ouvertes et la sensation que quelque chose ne tournait pas rond dans cette maison jusqu’aux apparitions des jumeaux dans le miroir de la salle de bain, en terminant par l’attaque de la créature à son encontre dans sa propre chambre. Andréa l’écoutait et Michaël se rendit compte qu’elle le scrutait, comme si elle cherchait quelque chose que d’autre ne pouvait pas percevoir.
-Tu es spécial, mon garçon, lui dit-elle quand il eut fini son histoire. Tu dégages un tel halo de lumière…Je n’avais jamais vu ça avant. As-tu eu des cauchemars ou bien un sentiment de malaise avant d’habiter cette maison ? Qu’as-tu ressenti en entrant ici pour la première fois ?
Michaël réfléchissait. Il se souvenait qu’il avait fait d’horribles cauchemars avant leur déménagement mais ne se rappelait pas de quoi il avait rêvé. Cependant, il lui parla de la sensation de malaise et cette peur irraisonnée à leur arrivée. Andréa hocha la tête, comme si elle comprenait exactement de quoi Michaël voulait parler. Le garçon attendit qu’elle s’explique mais Andréa se contenta de lui serrer l’épaule et lui promit qu’elle ferait son possible pour les aider. Elle se dirigea vers le Père Rosso, Mark et Jean qui étaient assis à la table de la salle à manger et commença à leur expliquer son plan.
-Le Père Rosso va tenter un nouvel exorcisme sur Sylvia pour attirer l’attention du démon et le faire sortir momentanément du corps de la femme. Pendant ce temps, Billy va installer du matériel électronique dans la chambre des jumeaux pour capter les ondes paranormales et créer un portail entre les deux mondes. Je vais me servir de mes dons pour entrer en contact avec Jimmy et essayer de le ramener vers la lumière.
Jimmy se recroquevilla au fond de l’armoire. Il avait parlé avec Antonio de son plan pour atteindre le portail. Il connaissait la maison comme sa poche, puisqu’elle était la copie conforme de celle d’Antonio. Il savait où se trouvait l’issue, mais il ne savait pas comment y accéder sans se faire repérer par la créature. Il avait besoin d’un leurre, et Antonio avait proposé de demander aux jumeaux de les aider à attirer l’attention du démon pendant que Jimmy se faufilerait dans la chambre. Mais cette idée le mettait mal à l’aise. Il n’aimait pas l’idée d’utiliser ces pauvres garçons comme appât, alors qu’ils subissaient les tortures de la créature depuis plus de vingt ans. Lui qui avait l’habitude d’aider les gens en leur procurant un peu de chaleur lors d’échange avec leurs chers défunts, il se sentait coupable de leur demander un tel sacrifice. Il regarda encore une fois au fond de l’armoire les visages des jumeaux qui le dévisageaient d’un air angoissé. Il n’arrivait pas à se décider. Comment pouvait-il leur demander une chose pareille ? Ce fut Antonio qui prit la parole.
– Les garçons, voici Jimmy. Ce jeune homme est toujours en vie mais il ne risque pas de le rester longtemps si nous ne l’aidons pas à traverser le portail. Il doit absolument regagner son monde.
Les jumeaux l’écoutaient silencieusement. Leurs yeux étaient toujours fixés sur le visage de Jimmy. La créature leur avait enlevé les sutures de leurs yeux mais pas de leurs bouches. Pourquoi ? Certainement pour qu’ils puissent voir ce que l’un subissait du démon pendant que l’autre regardait, impuissant. Cette pensée fit frissonner Jimmy. Cette créature avait un degré de sadisme incomparable. Voyant l’hésitation sur le visage de ses fils, Antonio ajouta ce que Jimmy savait être un mensonge.
– Si ce garçon regagne le monde des vivants, il pourra certainement nous libérer aussi. Cela vaut la peine d’essayer.
Les jumeaux regardèrent Jimmy avec un regard plein d’espoir qui le fit se sentir encore plus mal. Il allait répondre quand Antonio l’interrompit en sortant de l’armoire. Ses fils le suivirent et après quelques secondes de réflexions, Jimmy les suivit. Il n’y avait pas d’autre choix. S’il voulait sortir d’ici, il fallait absolument qu’il évite la créature et qu’il passe ce fichu portail. Le groupe se dirigea prudemment vers la porte de la chambre et chacun tendit l’oreille. Un silence de mort régnait. Aucun bruit ni mouvement ne se faisait entendre. Ils récapitulèrent le plan une dernière fois. Le portail se trouvant dans le placard de la chambre des jumeaux, ceux-ci devaient attirer l’entité dans l’endroit le plus éloigné, c’est-à-dire la cave. Avant de rejoindre les jumeaux dans le placard, Jimmy et Antonio avaient visité tous les recoins de la maison. Antonio lui avait indiqué une porte dissimulée par les couches épaisses de peinture cachée sous les escaliers de l’entrée. Jimmy et lui y étaient descendus et avaient trouvé que l’idée était bonne. Il était clair que l’entité se déplaçait vite mais pas aussi rapidement que Jimmy se l’était imaginé. Elle avait besoin de temps pour reprendre contenance quand elle passait d’un monde à l’autre. Ce qui laisserait le temps à Jimmy pour grimper l’échelle. Cependant, pour assurer le plus de chance possible, Jimmy avait tracé un pentagramme sur le sol de la cave et l’avait recouvert d’un vieux tapis. Il ne savait pas si cela servirait à quelque chose mais il n’avait pas d’autres idées. Antonio lui avait demandé de le rejoindre dans l’armoire et de demander l’aide des jumeaux. Le moment était venu de mettre le plan à exécution. Si tout se passait comme prévu, Jimmy aurait peut-être une chance de se sauver. Il saisit la poignée, prêt à sortir quand une lumière bleue éclatante envahit la pièce.
Il se retourna et ce qu’il vit le laissa bouche bée. Une femme venait de sortir du miroir de la commode. Sa silhouette était transparente mais elle brillait d’une lueur intense. Elle se tourna vers le groupe et leur sourit. Jimmy la regardait d’un air stupéfait et mit un moment à réagir. Il se dirigea vers elle, comme pour s’assurer qu’il n’hallucinait pas, et lui demanda qui elle était. –Je suis Andréa. Une amie de votre frère. Je suis venue pour vous aider. Vous ne pouvez pas rester ici. Si la créature vous trouve, vous serez perdus à jamais. Vous resterez ici pour l’éternité. Elle se tourna vers les jumeaux et le vieil homme.
-En ce qui vous concerne, je ferais mon possible pour libérer vos âmes de ce lieu sombre. Ce sera difficile, peut-être même impossible, mais je vous promets d’essayer.
Les jumeaux et Antonio hochèrent la tête en signe de compréhension. Andréa se tourna de nouveau vers Jimmy.
-En ce moment même, le Père Rosso pratique un exorcisme sur la femme possédée. Tant que le rituel durera, le démon sera coincé dans son corps. Dès que le démon sera enfermé à l’intérieur, vous devrez trouver la sortie et passer le portail. Savez-vous où il se trouve ?
Jimmy répondit par l’affirmative.
-Alors, je vous conseille de ne pas traîner. Quand je vous le dirai, foncez vers la sortie et revenez.
Jimmy se tourna vers Antonio. Il avait du mal à accepter l’idée de s’enfuir en laissant ces trois hommes derrière lui. Antonio du comprendre son désarroi car il lui dit d’une voix douce :
– Ne vous inquiétez pas pour nous, jeune homme. Tout se passera bien.
Vaincu, Jimmy s’assit sur le lit et attendit le coup de départ. Il pria un moment, demandant à Dieu de lui laisser une chance de s’en sortir. Soudain, comme porté par un écho, un rugissement de rage retentit. Andréa se tourna vers lui.
-Allez Jimmy ! Maintenant !
Jimmy se précipita sur la porte. Les rugissements semblaient faire trembler les murs de la maison. Il grimpa rapidement l’échelle et se précipita sur la porte du placard. Quand il l’ouvrit, il fut inondé par une lumière aveuglante. De l’autre côté, il entendait la voix de Billy. Son frère l’appelait, lui demandait de suivre sa voix. Alors, sans hésitation, Jimmy commença à avancer.
Mark et Jean écoutaient attentivement Andréa. Le plan était simple. Pendant que le Père Rosso procéderait à l’exorcisme de Sylvia, Andréa se servirait du voyage astral pour aller aider Jimmy dans l’autre monde. Mais il fallait absolument que l’entité soit coincée dans le corps de Sylvia assez longtemps pour permettre à Jimmy de trouver la sortie et revenir parmi eux. Le Père Rosso hocha la tête et se dirigea vers la salle de bain pour se vêtir de son costume de cérémonie. Il pratiqua une bénédiction sur les personnes rassemblées dans le salon puis, suivi de Mark, de Jean et de Michaël, il monta dans la chambre parentale. Andréa et Billy les suivirent. Les techniciens étaient restés devant les écrans pour leur assurer une visibilité totale de la maison. Sur l’écran, ils virent Andréa s’installer devant le miroir. Elle glissa des bouchons dans ses oreilles et prit une posture décontractée. Elle se mit alors à fixer intensément le miroir. Le père Rosso en profita pour commencer le rituel. Il commença en se signant et en aspergeant la pièce ainsi que Sylvia avec de l’eau bénite. La réaction fut immédiate. Les yeux de Sylvia s’ouvrirent sur un regard terrifiant et celle-ci se mit à pousser des hurlements stridents. En réponse à sa réaction, le Père Rosso lui tendit un crucifix et Sylvia se mit à se débattre violemment. Cet à cet instant qu’Andréa sembla totalement en transe. Le miroir sembla onduler un instant puis reprit son apparence normale. Billy s’assura que le corps d’Andréa reste bien installé sur la chaise en la maintenant avec ses mains. Le prêtre se mit à réciter une prière.
– Au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, Amen. Seigneur, Père céleste, regarde favorablement tes serviteurs. Par le Précieux Sang de ton Divin Fils, accorde-nous toutes les grâces et tous les dons du Saint-Esprit, pour que nous Te connaissions toujours mieux, que nous T’aimions toujours plus ardemment et te servions encore plus fidèlement.
Tout en récitant la prière, il aspergeait Sylvia d’eau bénite. Celle-ci se mit à insulter le prêtre avec une voix rauque et gutturale. Celui-ci ne se laissait pas impressionner et malgré les vociférations du démon, il continua sa litanie :
-Écarte de tes serviteurs toutes les influences néfastes de l’Esprit-Malin. Je te commande, esprit rejeté par Dieu avec ta suite, de te retirer immédiatement, de détruire et d’écarter tout le venin que tu as répandu sur nous, que tu ne reviennes plus et que tu n’aies plus aucune emprise sur nous.
Levant toujours le crucifix, il continua:
-Voyez la Croix du seigneur, fuyez esprits infernaux. Je vous l’ordonne comme enfant de la Sainte Église catholique, au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, Amen.
Le démon se démenait comme jamais. Ses hurlements faisaient trembler les murs de la maison. Mark et Jean se trouvaient de chaque côté de Sylvia, essayant de la maintenir sur le lit pour ne pas qu’elle se blesse ou qu’elle s’échappe. Michaël se trouvait derrière son père. Le regard effrayé, il observait sa mère. Son visage horriblement défiguré se tourna vers lui et le démon lui sourit avec un affreux rictus. Michaël sembla terrifié par son regard. Il eut un mouvement de recul quand l’entité se mit à parler avec la voix de Sylvia.
-Michaël, mon chéri, je t’en prie ! Empêche ces hommes de me faire du mal ! Je suis ta mère ! S’il te plaît !
Michaël resta figé sur place. Entendre la voix de sa mère l’avait tétanisé. Jean et Mark étaient également déroutés par ce phénomène. Ils regardèrent le prêtre d’un air interrogateur mais celui-ci s’écria :
– Ne l’écoutez pas ! Ce n’est pas Sylvia ! Le démon usera de la ruse pour ne pas être expulsé du corps de cette malheureuse. Il faut continuer. Il reprit sa prière.
Sylvia se tordait de douleur. Des objets volaient et s’écrasaient contre les murs de la chambre. Michaël, terrifié, courut se réfugier dans l’armoire au fond de la pièce. Il y vit une lueur étrange. En plissant les yeux, il reconnut les jumeaux. Ils lui souriaient comme pour le rassurer. Il ferma donc la porte de l’armoire et se blottit contre ses oncles. Il entendit le prêtre poursuivre son rituel.
– Que la Toute-puissance du Père céleste, la Sagesse de Son Divin Fils et l’Amour du Saint-Esprit me bénissent, Amen. Que Jésus Crucifié me bénisse par son Sang Précieux. Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, Amen. Que Jésus dans le tabernacle me bénisse par l’Amour de son Sacré-Cœur. Que Marie la Mère et la Reine céleste me bénisse du haut du Ciel et qu’Elle remplisse mon âme d’un amour toujours plus grand pour Jésus. Que mon Ange Gardien me bénisse et que tous les Saints Anges me viennent en aide, pour écarter toutes les embûches de l’Esprit Malin. Que mes Saints Patrons, mon Saint Patron de baptême et tous les Saints du ciel me bénissent. Que les chères pauvres âmes de mes proches défunts de toutes les générations me bénissent. Qu’elles soient mes avocates au trône de Dieu pour que je parvienne, moi aussi, au but éternel.
Michaël percevait le démon hurler de rage. Mais il lui semblait aussi y déceler de la douleur et de la peur. C’était absurde, bien sûr ! Un démon n’avait peur de rien. Il resta caché dans l’armoire un moment, rongé par le remords et la culpabilité. Sa mère était dans cet état à cause de lui. Il était si épuisé par les tourments que sa famille subissait depuis si longtemps qu’il se sentait comme vidé de son énergie. Il sentit une main se poser sur son épaule et releva les yeux. Les jumeaux le regardaient toujours mais ce n’était pas eux qui le touchaient. Michaël se retourna lentement et ses yeux se remplirent de larmes quand il vit le visage bienveillant de son Nonno.
-Nonno, que dois-je faire ? lui demanda-t’il la voix tremblante. Comment puis-je aider maman?
Alors Antonio se pencha sur son petit-fils et lui chuchota à l’oreille. Il parla pendant quelques minutes et les traits de Michaël commencèrent à se détendre. Quand Antonio eut fini, le jeune homme se frotta le visage et acquiesça à son grand-père. Puis, sans attendre, il sortit de l’armoire et se dirigea vers le lit. Le prêtre achevait sa prière.
– Que la bénédiction de notre Mère la Sainte Église, de notre Saint-Père, le Pape, de notre Évêque, la bénédiction de tous les évêques et de tous les prêtres descende sur moi. Que la bénédiction de toutes les Saintes Messes m’atteigne tous les jours, qu’elle m’obtienne bonheur, santé et tous les bienfaits et qu’elle me garde de tout malheur et me donne la grâce de la persévérance et d’une heureuse mort. Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, Amen.
La prière terminée, le Père Rosso s’approcha du lit et imposa les mains de chaque côté de la tête de Sylvia et commença à réciter des psaumes en latin. Michaël ne comprenait pas ce qu’il disait mais ces mots avaient l’air de faire souffrir l’entité. Le jeune homme s’approcha alors du lit et commença à lui parler avec tendresse.
-Maman, je sais que tu es là quelque part. Je t’en prie, bat-toi ! Ne le laisse pas gagner ! Je t’aime !
Et sur ces mots, il s’allongea auprès de sa mère et la serra dans ses bras. Sylvia se mit à convulser encore plus fort et une onde de choc sembla retentir dans la pièce. Soudain, son corps se souleva à plus de dix centimètres du matelas, resta un instant suspendu dans les airs, puis retomba complètement inerte dans le lit.
Andréa revint à elle. Billy, qui la soutenait, la relâcha et lui demanda comment elle allait. Le voyage qu’elle venait d’effectuer lui avait pompé beaucoup d’énergie. Elle essaya de se lever mais elle chancela et retomba dans les bras de Billy. – Ce n’est pas un démon, Billy, murmura-t-elle à son ami. Quand j’ai franchi la barrière, j’ai vu Jimmy mais aussi Antonio et ses fils. Ils ont une sorte de chaîne attachée à leur poitrine mais je crois que nous pouvons les libérer. Il faut en savoir plus sur cette chose. Mais, j’en suis sûre, ce n’est pas un démon. C’est une possession mais ce qui habite le corps de la mère de Michaël n’est pas démoniaque. Et avant de perdre connaissance, elle ajouta : c’est un spectre.
Chapitre 8
Mark et Jean échangèrent un regard inquiet lorsque le corps de Sylvia retomba sur le lit, sans vie. Michael restait collé à elle et murmurait son nom. Même le Père Rosso avait cessé ses prières. Il s’avança prudemment vers Sylvia et lui apposa le crucifix sur le front mais elle ne broncha pas. Jean et Mark interrogèrent le prêtre du regard.
-Que se passe-t-il, mon père ? interrogea Mark.
Le prêtre haussa les épaules, désemparé. Jean s’approcha et essaya de dégager son fils mais celui-ci s’agrippait à elle avec force. Jean n’insista pas et demanda à Mark de vérifier les signes vitaux de sa femme. Elle avait arraché sa perfusion pendant la lutte. Mark approcha un petit miroir de son visage et poussa un soupir de soulagement quand il se couvrit de buée. Sylvia respirait encore. Il remit la perfusion en place et tenta à son tour d’éloigner Michaël.
-Lâche-la, Champion, lui dit-il doucement. Je crois que l’entité est partie. Mais ta mère est épuisée et elle a besoin de repos. Michaël le dévisagea avec méfiance mais finit par lâcher sa mère. Il se redressa lentement et recula du lit.
-Vous en pensez quoi, Père Rosso ? Ma mère est-elle libérée de cette chose ?
Le père secoua la tête, incertain. C’est alors que Billy intervint.
-Cette chose n’est pas un démon. C’est autre chose.
Tous se tournèrent vers lui, intrigués. Billy avait allongé Andréa sur le sol et avait glissé un oreiller sous sa tête. Il leur raconta ce qu’Andréa lui avait dit avant de s’évanouir. Mark lui demanda ce qu’elle voulait dire par là. Billy garda le silence un instant mais il avait sa petite idée. Il se tourna vers Jean et lui demanda si l’hôpital psychiatrique où Julio avait été soigné conservait encore les archives papier de tous les patients présents à l’époque de son internement. Jean ne sut pas quoi répondre. Mais Billy leur demanda à tous de descendre pour leur expliquer son hypothèse. Personne ne se fit prier. Après plusieurs heures à affronter cette créature, ils avaient tous besoin d’une pause. Avant de quitter la chambre, Michaël jeta un coup d’œil dans l’armoire mais il n’y vit personne. Il sortit le dernier et, avant de refermer la porte, jeta un dernier regard à sa mère, le cœur serré, se demandant si elle allait s’en sortir.
Ils descendirent tous au salon, Mark aidant Billy à porter Andréa sur le canapé. Celle-ci commençait à reprendre ses esprits et Mark fit du café pour tout le monde. Andréa prit la tasse d’une main tremblante. Tout le monde but en silence, lui laissant le temps de récupérer. Quand sa tasse fut à moitié vide, Billy vint s’asseoir à côté d’elle et Andréa prit la parole.
-Ce qui hante ces lieux n’est pas un démon. Il en prend l’apparence mais c’est uniquement pour terroriser ses victimes. Je ne sais pas ce que c’est exactement mais je sais, ou plutôt je sens que cette chose n’était pas ainsi à l’origine. Je pense que Billy et Mark devraient aller se renseigner sur l’hospitalisation de Julio lorsqu’il a été interné. Je crois que tout a commencé avant son accident.
-Avant? S’étonna Mark. Mais que voulez-vous dire par là? Andréa réfléchit un instant.
-Les archives. Je ne sais pas pourquoi mais je crois que vous devriez fouiller les archives des patients qui ont été hospitalisés dans cet hôpital, vous trouverez quelque chose d’intéressant. Je sens qu’il y a un lien.
Billy acquiesça. Il avait pensé la même chose qu’Andréa. Si quelque chose s’était accroché à Julio avant sa chute, ça avait peut-être commencé bien avant son hospitalisation. Il regarda Jean et lui dit :
-Nous allons avoir besoin de vous pour ça. Seul un proche parent peut consulter les archives d’un patient. Vous devrez faire diversion pendant que Mark et moi fouillerons de notre côté si nous trouvons quelque chose d’anormal.
Jean ne voyait pas comment de vieilles archives poussiéreuses pourraient aider sa femme mais il n’avait plus d’autre piste. Il accepta donc et appela le service des archives de l’hôpital psychiatrique de Manage pour prendre rendez-vous. Quand il raccrocha, il informa ses compagnons d’infortune que les archives n’ouvraient que le lendemain à partir de neuf heures du matin. Billy proposa donc de préparer le dîner et de profiter de quelques heures de sommeil. Personne ne protesta. Tous étaient épuisés et affamés. Billy se mit donc aux fourneaux et Jean en profita pour se rapprocher de Michaël. Celui-ci était livide et ses yeux semblaient perdus dans le vide. Jean ne savait pas quoi lui dire. Il prit son fils dans ses bras et le serra très fort. Michaël était anéanti.
-Tu devrais peut-être aller quelques temps chez ton ami Mario, lui suggéra Jean à son fils. Je ne veux pas te faire subir plus que tu n’en as déjà subi. Et je pense qu’il serait mieux de t’éloigner de cette chose le temps que nous trouvions une solution.
Michaël avait le regard vague et ne semblait pas écouter mais Jean attribua son silence à l’épuisement. Le repas prêt, ils mangèrent tous dans le calme puis Jean emmena Michaël chez Salvatore. Il frappa à la porte et celle-ci s’ouvrit immédiatement.
– Bonsoir Salvatore. Pourrais-tu accueillir mon fils pour quelques jours ? C’est…
Salvatore ne laissa pas Jean terminer sa phrase.
-Tu n’as pas à te justifier, l’ami. Vous serez toujours les bienvenus chez nous. Viens, Michaël. Je vais demander à ma femme de t’installer dans la chambre de Mario.
Michaël regarda son père et celui-ci lui fit signe de rentrer. Salvatore posa une main rassurante sur l’épaule de Michaël et celui-ci sembla se détendre un peu. Jean remercia son voisin et souhaita bonne nuit à son fils, lui promettant de le tenir au courant des événements.
Quand il regagna la maison, Mark l’attendait sur le pas de la porte. Jean le regarda un instant paniqué mais Mark le rassura. Tout était calme dans la maison. La créature avait apparemment elle aussi besoin de repos. Cependant, Mark observait la porte des voisins d’un air inquiet. Jean lui demanda ce qui le tracassait. Mark hésita un instant puis secoua la tête et lui répondit qu’il était simplement inquiet des conséquences que toutes ces choses auraient sur Michaël. Jean aussi était inquiet mais pour le moment il devait se concentrer sur leur mission. Ils allèrent donc se coucher.
Le lendemain matin, Mark et Jean se levèrent aux aurores. Il était à peine sept heures et ils avaient déjà élaboré un plan pour accéder aux archives sans se faire remarquer. Mark demanda à Antoine de pirater l’ordinateur du bureau des archives et de leur envoyer les plans du bâtiment. Quelques minutes plus tard, ils découvrirent que les archives étaient situées au sous-sol de l’hôpital et qu’elles disposaient d’une porte de secours donnant sur l’extérieur.
-Parfait, dit Billy. Jean va se faire passer pour un chercheur et demander à consulter le dossier de Roberto sur place. Une fois dans la salle des archives, il nous ouvrira la porte de service discrètement. On aura alors tout le temps de fouiller les documents.
Jean n’était pas très rassuré par cette idée mais il n’avait pas le choix. Andréa se réveilla vers sept heures trente et semblait aller mieux. Quand Billy lui demanda comment elle se sentait, elle lui répondit avec son humour habituel :
– Comme un charme ! Rien de tel qu’une bonne nuit de sommeil et un bon café.
Billy lui rendit son sourire mais il n’était pas dupe. Il voyait bien qu’elle était fatiguée et qu’elle avait maigri.
Le père Rosso leur annonça qu’il allait informer l’Évêque de la situation. Il quitta donc la maison et Mark, Jean et Billy montèrent dans la voiture de Jean. Avant de partir, Mark recommanda à Andréa de se reposer et de le prévenir si quelque chose se passait en leur absence. Il demanda aussi à Antoine et Philippe de garder un œil sur Sylvia grâce aux caméras. Puis il rejoignit Jean et Billy qui l’attendaient dans la voiture. Le trajet se fit dans le silence.
Comme prévu, Jean déposa Mark et Billy à l’arrière de l’hôpital où se trouvait la porte de secours et alla se garer sur le parking. Il entra dans l’hôpital et prit l’ascenseur. Il regarda le panneau et vit que le service des archives était au -2. Il appuya sur le bouton et attendit. L’ascenseur descendit lentement et s’ouvrit sur un couloir sinistre aux murs verts délavés et au sol usé. L’endroit était lugubre. Une ambiance oppressante y régnait et la lumière était faible. Il se dirigea vers le bureau et tomba sur l’employé qu’il avait eu au téléphone. L’employé lui demanda sa carte d’identité et, après avoir vérifié son identité sur le registre, le conduisit dans une immense pièce où les murs étaient recouverts de dossiers et où le centre était occupé par des étagères si serrées qu’on pouvait à peine s’y faufiler sans faire tomber quelque chose. Le technicien vit l’air désemparé de Jean et eut un geste d’excuse.
-Je ne sais pas ce que vous cherchez exactement mais je vous souhaite bonne chance. Toutes les archives à partir de 1990 ont été numérisées mais avant cela, tout est encore sous format papier. Jean acquiesça sans rien dire et entra dans la pièce.
-Prenez votre temps, lui dit l’employé. Ce n’est pas tous les jours qu’on a de la visite ici. Si vous avez besoin de quelque chose, n’hésitez pas à me le demander.
Jean le remercia et l’employé sortit de la pièce en fermant la porte derrière lui. Jean attendit quelques secondes et quand il entendit le bruit du bureau qui grinçait, il fit signe à Mark et Billy d’entrer par la porte de secours. Comme ils s’y attendaient, Billy constata que la tâche allait être longue. Ils se mirent au travail sans perdre une minute. Après une longue recherche, ils finirent par trouver les archives contenant la liste des patients hospitalisés entre 1978 et 1980.
Ils mirent la main sur le dossier de Roberto parmi la trentaine de classeurs qui s’empilaient dans la pièce des archives. Le temps pressait. Mark tendit l’oreille et perçut les pas de l’employé qui se rapprochait. Il échangea un regard anxieux avec ses compagnons. Billy, sans réfléchir, attrapa tous les classeurs et entraîna Mark vers la sortie. Jean, surpris, les suivit en courant. Il arriva juste à temps pour ouvrir la porte et se retrouver nez à nez avec l’employé. Celui-ci le dévisagea avec curiosité.
– Alors, vous avez trouvé ce que vous cherchiez? Jean sentit son cœur battre la chamade. Il se força à prendre un air déçu et répondit que non, hélas, il n’avait rien trouvé. Il sortit de la pièce en claquant la porte derrière lui et l’employé lui emboîta le pas. Il lui demanda pourquoi il s’intéressait à ce patient. Jean inventa une histoire à la hâte : son beau-frère avait été interné après la mort tragique de son frère jumeau, tombé du toit, et il avait succombé à son chagrin. L’employé parut réfléchir un instant puis, alors que Jean atteignait la porte de l’ascenseur, il l’interpella. Jean se figea, craignant d’être démasqué. Mais l’employé n’avait pas l’air soupçonneux. Il s’approcha de Jean et lui souffla une idée qu’ils n’avaient pas encore envisagée.
– Si c’était un suicide, il y a peut-être un rapport de police. Vous devriez aller voir aux archives du commissariat.
Jean le remercia chaleureusement et se précipita vers sa voiture. Il s’installa au volant et sursauta quand Billy et Mark ouvrirent les portes en même temps. Billy éclata de rire en voyant la tête de Jean.
– Du calme, l’ami. Mais on ferait mieux de filer d’ici. J’espère qu’on trouvera quelque chose dans ces documents et qu’on pourra les remettre en place rapidement.
Jean démarra le moteur et quitta le parking de l’hôpital. Une fois sur la route, il se détendit un peu. Billy feuilletait déjà les dossiers à la recherche des noms des patients. Jean raconta à Mark ce que l’employé lui avait dit au sujet des archives de la police. Mark trouva que c’était une piste intéressante et qu’il fallait l’explorer. Ils rentrèrent à la maison et s’installèrent autour de la table, chacun avec une dizaine de dossiers à examiner. La journée s’annonçait longue.
En arrivant, ils virent Andréa allongée sur le canapé, dormant profondément. Antoine et Philippe veillaient sur Sylvia, toujours plongée dans le coma. Mark leur demanda si tout allait bien et ils répondirent que rien d’anormal ne s’était produit pendant leur absence. Aucun bruit, aucune manifestation étrange ne venait troubler le silence de la maison. Quand les hommes se mirent au travail, Andréa se réveilla et les rejoignit. Mark lui fit part du conseil de l’employé concernant les archives de la police. Andréa approuva l’idée et alla s’asseoir à côté d’Antoine qui, grâce à un logiciel pirate, réussit à pénétrer dans la base de données de la police. Il savait que c’était risqué mais la situation l’exigeait. Pendant qu’Antoine fouillait le système, Andréa fit une liste des patients admis à l’hôpital le même jour que Roberto. Elle en comptait vingt-trois au total. Elle revint vers les trois hommes et se mit à éplucher les dossiers avec eux, les triant par catégories. Au bout d’une heure de recherches, ils écartèrent les dossiers qui ne concernaient que des accidents domestiques ou des morts naturelles. Il leur restait cinq dossiers à étudier plus en détail.
Ils se plongèrent dans les dossiers avec une attention accrue, espérant y trouver un indice. Antoine avait réussi à se connecter aux archives de police, où toutes les anciennes affaires avaient été numérisées. Il chercha les dossiers des morts accidentelles et des suicides. Il tapa l’année et le nom de Julio. Le dossier s’afficha, confirmant la déclaration de décès et le rapport du médecin légiste. Celui-ci avait conclu à un suicide, malgré les nombreux hématomes inexpliqués sur le corps de Julio. Faute de preuves d’une agression, il avait signé les papiers sans plus de commentaires. Le dossier de Roberto était similaire. Un suicide par dénutrition, entraînant un arrêt cardiaque. Antoine se tourna vers la liste de noms que lui avait donnée Andréa et commença à les entrer un par un. Les dossiers défilaient sur l’écran, accompagnés de photos.
Anne Sacler, 62 ans, morte d’une pneumonie ; Luigi Vital, 82 ans, mort d’une chute dans les escaliers ; Raymond Dubois, 35 ans, mort dans un accident de la route. Rien qui ne sorte de l’ordinaire. Andréa venait de finir le dossier de Raymond Dubois. Rien de particulier non plus. L’homme était mort sur le coup, avant d’arriver à l’hôpital. Elle prit le dernier dossier et sentit un frisson lui parcourir l’échine. Comme si elle savait que la réponse était là. Elle ne savait pas comment, mais elle le sentait. Elle ouvrit le dossier et au même moment, Antoine s’exclama :
Mark, Jean, Billy et Andréa se précipitèrent vers l’écran. Ils restèrent bouche bée devant le visage qui s’y affichait. Un homme au visage pâle et étroit, aux cheveux longs et gras, noirs comme l’ébène. Son visage était marqué par de nombreuses cicatrices. Mais ce qui glaçait le sang, c’était son regard. Ses yeux gris acier semblaient vous transpercer l’âme. Même sur la photo, on avait l’impression qu’il vous dévorait des yeux. Et il souriait. Pas un sourire gêné ou timide, comme on en voit souvent sur les photos d’identité. Non, un sourire de prédateur. Quand Andréa vit son visage, elle eut l’impression de recevoir une décharge électrique. Ses mains se mirent à trembler et elle recula lentement, jusqu’à tomber sur une chaise. Elle regarda le dossier qu’elle tenait dans ses mains et réalisa avec horreur qu’il s’agissait du même homme que sur l’écran. Les autres la rejoignirent, inquiets de son état. Billy prit le dossier et lut le rapport de l’hôpital. Homme de 45 ans, origine américaine, cause du décès : abattu par les forces de l’ordre. Heure du décès : 3h03. Billy passa le dossier à Mark avec un air grave. C’était donc un criminel. Mais quel genre de criminel ? Mark demanda à Antoine d’ouvrir le dossier complet de l’homme en question.
Antoine hésita un instant. L’homme avait apparemment été recherché par toutes les polices du pays et Antoine se demandais s’il voulait vraiment en connaître la raison. Voyant son hésitation, Philippe le poussa doucement et se mit à pianoter sur les touches du clavier. Un instant plus tard, plusieurs dossiers s’affichèrent mais ils nécessitaient tous un mot de passe. Philippe se tourna vers Mark et lui annonça qu’il lui faudrait un moment avant de pouvoir accéder aux fichiers confidentiels.
Billy réfléchissait. Ce type lui disait quelque chose mais il n’arrivait pas à le situer dans sa mémoire. Pourtant, quand il avait vu son portrait, une angoisse terrible l’avait saisi. Et il n’était pas le seul apparemment.
Andréa avait l’air de nouveau nauséeuse et refusait de regarder de nouveau la photographie de l’individu. Ses mains tremblaient toujours sans qu’elle ne sache d’où lui venait ce sentiment de terreur intense.
Philippe était toujours occupé à trouver un moyen de déverrouiller les dossiers. Pendant ce temps, Mark épluchait un peu le rapport du médecin légiste. L’homme se nommait Robert Phillips. Le rapport du médecin légiste décrivait évidemment les blessures par balles issue de la tentative d’arrestation de l’individu. Cependant, il avait noté quelques détails plutôt troublant comme certains tatouages sur le torse et les bras du prévenu. Des symboles bizarres que le légiste n’était pas parvenu à identifier. Il constata aussi que l’homme avait été récemment brûlé au visage, certainement avec un liquide corrosif quelconque et que ses yeux avaient subit des dégâts importants. Il constata également des cicatrices plus ancienne qui pouvait faire penser à une scarification volontaire, mais sans conviction réelle, n’ayant pas les antécédents psychiatriques du mort sous la main. Il clôtura donc son dossier par une mort par balles au niveau du thorax.
Billy, pendant ce temps, était parti voir si Sylvia se portait bien. Il était rentré dans la chambre et avait vérifié les constantes de la pauvre femme. Son pouls était toujours faible mais elle avait l’air de tenir le coup, malgré une perte de poids qui devenait inquiétante. Ses membres étaient couverts d’hématomes et de coupures. Il changea la perfusion et la remplaça par une poche pleine. Il demanda à Jean s’il voulait profiter pour faire la toilette de son épouse. Andréa proposa de l’aider et Jean lui en fut reconnaissant. Bien qu’il fût malheureux de ce qui arrivait à sa femme, il en avait peur également.
Ils montèrent donc et en profitèrent pour laver Sylvia et changer les draps du lit. Ceci fait, Andréa s’assit un instant auprès de cette femme et tenta de rentrer en communication avec elle. Elle sentait qu’elle n’était pas loin mais elle semblait se cacher dans un endroit où elle n’aurait pas à faire face à la chose qui la détenait.
Au moment où Andréa allait se lever, Sylvia papillonna des yeux et attrapa la main d’Andréa. Celle-ci se retourna doucement et fut heureuse de constater que Sylvia était revenue à elle. Elle n’arrivait pas à prononcer de mot mais elle semblait consciente de son environnement.
Jean, voyant sa femme enfin réveillée, se précipita sur elle et l’enlaça dans ses bras.
-Sylvia, enfin ! Je croyais t’avoir perdue pour toujours ! J’ai eu si peur, mon amour !
Sylvia murmura quelque chose mais Jean ne comprit pas et se pencha vers la bouche de sa femme. Ce qu’il entendit fit glisser un froid le long de sa colonne vertébrale.
Il reposa Sylvia doucement et lui demanda :
-Tu en es sûre ? Comment ?
Mais Sylvia était encore très faible.
Andréa intervint et proposa à Jean de préparer un bol de soupe pour sa femme pendant qu’elle resterait à ses côtés.
Jean, encore déboussolé, sortit de la chambre pour se rendre dans la cuisine et annoncer la bonne nouvelle au reste de l’équipe.
Andréa se tourna sur Sylvia et tenta de communiquer de nouveau avec elle.
Sylvia fixait Andréa avec un regard terrifié, essayant de lui transmettre des images mentales. Andréa capta soudain les visions de Sylvia et se leva d’un bond, quittant la chambre en courant. Elle rejoignit Mark et Billy dans le salon et leur dit d’une voix tremblante :
-On a un gros problème, les gars ! Un problème énorme !
Billy la dévisagea, intrigué.
-De quoi tu parles, Andréa ? Qu’est-ce qui se passe ?
Andréa s’affala sur le canapé, se balançant d’avant en arrière, comme si elle voulait se réconforter. Elle était paniquée et Billy s’assit à côté d’elle pour essayer de la calmer.
-C’est l’horreur, Billy. L’horreur absolue.
Puis, elle se redressa brusquement et murmura :
– Il faut les prévenir ! Ils sont en danger de mort ! Il faut faire vite !
Mark s’approcha d’elle et lui demanda de s’expliquer, mais il n’eut pas le temps de finir sa phrase. Les yeux d’Andréa se révulsèrent et elle tomba dans les pommes. Billy la secoua doucement, lui caressant le visage, mais Andréa ne reprit pas connaissance. Ils appelèrent une ambulance et Andréa fut emmenée à l’hôpital de Jolimont. Antoine décida de l’accompagner pour les tenir au courant de son état. Il monta dans l’ambulance et Mark et Billy les regardèrent s’éloigner.
Quand ils rentrèrent dans la maison, Jean était hors de lui. Mark lui demanda ce qu’Andréa avait vu dans la tête de Sylvia. Jean leur raconta que Sylvia s’était réveillée en prononçant le nom de leur fils et en disant que l’entité avait quitté la maison. Billy proposa à Jean de l’aider à nourrir Sylvia. Jean accepta volontiers. Ils prirent un bol de soupe et des tartines beurrées et montèrent à l’étage. Ils trouvèrent Sylvia qui essayait de sortir du lit. Jean la retint de force et la recoucha sur ses oreillers. Avec l’aide de Billy, il lui fit avaler quelques cuillerées de soupe. Sylvia ne semblait pas l’écouter. Elle répétait qu’il fallait retrouver Michaël avant qu’il ne soit trop tard. Jean essaya de la rassurer en lui disant que leur fils était chez les voisins et qu’il irait le chercher dès qu’elle aurait mangé un peu plus. Sylvia voulut dire quelque chose mais Jean lui mit une autre cuillerée dans la bouche et elle se tut. Quand le bol fut vide, Jean annonça qu’il allait chercher Michaël chez Salvatore. Sylvia ne réagit pas. Billy trouva son comportement étrange, comme si elle savait quelque chose qu’ils ignoraient tous. Mais comment faire confiance à quelqu’un qui avait subi tant d’épreuves ? Peut-être avait-elle perdu la raison ?
Quand Jean sortit de la chambre, Billy s’approcha de Sylvia et lui demanda ce qui n’allait pas. Ce que Sylvia lui confia le stupéfia. Ce qu’elle disait était invraisemblable ! Pourtant, Billy l’écouta attentivement, prenant des notes sur son carnet qu’il gardait toujours sur lui. Quand Sylvia eut fini, il lui dit qu’elle devait se reposer et qu’il allait s’occuper de tout. Mais quand Jean revint de chez Salvatore, il avait l’air abattu. Mark vit son angoisse sur son visage. Il lui demanda ce qui se passait. Jean le regarda avec désespoir.
-Michaël a disparu ! Il s’est enfui de chez Salvatore. Sylvio et ses fils sont partis à sa recherche mais ils ne l’ont pas retrouvé.
Mark resta bouche bée. La situation empirait de minute en minute. Son téléphone sonna et Mark regarda son écran. C’était Antoine. Andréa était plongée dans un coma profond. Une tumeur maligne au cerveau la rongeait depuis des mois. La nouvelle tomba comme un couperet sur tout le monde. Billy en fut anéanti. Andréa n’était pas seulement son amie, elle était sa sœur de cœur. Il la connaissait depuis toujours et il ne pouvait imaginer sa vie sans elle. Il se laissa tomber sur une chaise et enfouit son visage dans ses mains. Mark remercia Antoine au téléphone et raccrocha. Il rejoignit Billy et lui tapota l’épaule pour le réconforter. Billy se sentait vidé. Andréa dans le coma, Jimmy prisonnier d’un autre monde. Quel sens avait sa vie ? Il n’entendit pas les paroles de Mark qui essayait de le rassurer en lui disant qu’il trouverait un moyen de sauver Jimmy. Il se leva soudain et se dirigea vers la chambre de Sylvia. Elle s’était rendormie mais elle avait l’air plus reposée. Un bon repas lui avait sans doute fait du bien. Mark, intrigué, le suivit et lui demanda ce qu’il avait en tête. Billy ne répondit pas et réveilla doucement Sylvia. Il lui demanda si elle savait où était Jimmy. Comme il s’y attendait, Sylvia lui dit qu’elle avait rêvé d’un endroit qui ressemblait à sa maison mais qui était différent. Billy lui demanda si elle savait comment sortir de cet endroit, sachant que l’entrée était le miroir de la chambre de son père. Sylvia lui montra la chambre de son fils.
-Le placard, murmura-t-elle. C’est là qu’il faut aller pour sortir.
Billy se tourna vers Mark et lui annonça qu’il allait chercher son frère. Mark ne comprenait pas comment il comptait faire sans Andréa mais Billy lui fit une révélation étonnante.
-Andréa n’est pas la seule à avoir ce don. Je suis moins fort qu’elle mais je peux essayer de faire comme elle. Par contre, si ça ne marche pas, je veux que tu me promettes quelque chose.
Mark resta silencieux. Il vit que Billy attendait son accord et il acquiesça.
-Si je ne reviens pas, je veux que tu suives ces instructions. Promets-le !
Mark prit le morceau de papier que Billy lui tendit et promit. Billy sembla soulagé et s’assit devant le miroir. Comme Andréa l’avait fait avant lui, il ferma les yeux un instant, se concentrant intensément, puis les rouvrit et fixa le miroir avec force. Au début, rien ne se passa. Billy était bien moins puissant qu’Andréa. Mais soudain, le miroir se mit à scintiller et une lumière bleue envahit la chambre et une brise glaciale souffla. Billy se retourna vers Mark et lui rappela sa promesse. Puis, sans attendre de réponse, il disparut à l’intérieur du miroir.
Pendant ce temps, Jimmy poursuivait ses recherches de l’autre côté. Avec les jumeaux et Antonio, il avait d’abord fouillé la chambre du grenier, mais la porte du placard lui avait résisté. Il avait posé ses mains sur le bois sec et avait ressenti une sorte d’aimantation. Le portail était bien là. Mais malgré tous ses efforts, il n’avait pas réussi à l’ouvrir. Il était resté un moment abattu, ne sachant plus quoi faire. Comment s’échapper s’il ne pouvait pas forcer la serrure ? La porte n’avait pas de poignée, contrairement à celle de la chambre de Michaël. La créature devait donc entrer dans le portail par un autre moyen. Après un instant de découragement, il se remit à réfléchir. La solution devait se trouver ailleurs dans la maison. Cela faisait longtemps que la créature ne s’était pas montrée. D’ailleurs, il lui sembla que l’atmosphère du lieu s’était allégée, comme si la créature n’était plus dans les environs. Peut-être que le prêtre avait réussi à l’expulser du corps de Sylvia. Mais comment sortir d’ici alors ? Il se mit à explorer la maison, sans trop savoir ce qu’il cherchait. Il décida de commencer par la chambre où se trouvait le portail. Il avait remarqué le symbole au-dessus du bureau de l’adolescent, mais il n’y avait pas prêté attention. Il s’en approcha et l’examina de plus près. C’était un pentagramme, bien sûr. Mais il avait été dessiné avec du sang et non de l’encre. Il n’était pas là pour protéger qui que ce soit. En fouillant le bureau, il découvrit des objets étranges. Des bougies noires, des plumes d’oiseaux liées avec des petits os, et une sorte de poupée de paille parsemée d’aiguilles étaient cachées au fond du tiroir. Il continua ses recherches et inspecta la chambre avec attention. Il fit le tour de la pièce et se rendit compte qu’elle semblait plus petite que l’originale. Il tapota les murs et finit par trouver un endroit creux. Il se retourna vers les jumeaux et Antonio, qui attendaient des explications. Sans perdre de temps, Jimmy descendit à la cave et chercha un marteau. Il aurait préféré une masse, mais il n’y en avait pas. Quand il voulut remonter les marches, il eut un malaise, comme s’il était épié. Il se retourna, mais rien ne bougea. Il resta immobile un moment, mal à l’aise, et fixa les murs de la cave. La sensation disparut et Jimmy remonta dans la chambre des jumeaux. Il se plaça devant le mur et commença à frapper sur ce qui semblait être une planche cachée sous le papier peint. Une sorte de cavité se trouvait dans le mur. Quand Jimmy voulut regarder à l’intérieur, une odeur horrible lui prit le nez. Ça sentait la mort là-dedans. Il jeta un coup d’œil rapide et vit une collection d’objets ordinaires, comme des montres, des bagues, des mèches de cheveux, et aussi quelques squelettes de petits animaux. Des chats ou des chiens, sans doute. Il préféra ne rien toucher car il avait l’impression que ces choses étaient chargées d’une noirceur malsaine. Il descendit lentement du grenier et se rendit dans la chambre d’Antonio. À part le miroir avec sa surface bleutée, il ne trouva rien d’intéressant. Idem dans la chambre parentale. Il descendit au rez-de-chaussée et ne put s’empêcher de regarder par la fenêtre qui donnait sur l’entrée principale. À sa grande surprise, il vit des maisons de l’autre côté de la rue. Il se dirigea vers la porte et l’ouvrit doucement. La rue était bien là, mais les bâtiments en face n’étaient pas des maisons. C’étaient plutôt des sortes d’entrepôts. Il posa un pied sur le sol et le sentit solide. Jimmy posa l’autre pied sur le sol. Il ne s’enfonçait pas. Étrange… Il se dirigea vers le premier hangar et en poussa la porte. Des machines de construction l’attendaient à l’intérieur: des mini-grues, des épandeurs, des recycleuses à froid. Le propriétaire devait travailler dans le bâtiment. Jimmy visita les autres hangars et y trouva le même genre de matériel, ainsi que des sacs de ciment, de plâtre et des outils. Rien de très intéressant. Il ressortit du dernier hangar et remarqua un changement dans la façade de la maison. Il ne savait pas quoi, mais quelque chose clochait. Il vit alors un morceau de métal sur le trottoir. C’était une grille d’aération arrachée d’une sortie de cave. Il regarda le bas de la façade et reconnut l’endroit d’où venait la grille. Il se demanda pourquoi elle avait été enlevée. Intrigué, il s’approcha du trou et jeta un œil à la cave. Tout semblait normal, sauf le tapis qu’il avait utilisé pour couvrir le pentagramme qu’il avait dessiné au sol pour se protéger d’une éventuelle attaque. Le tapis avait disparu, et le pentagramme avait été modifié. Un cercle l’entourait, et des bougies noires brûlaient à chaque pointe de l’étoile. Au centre, des taches brunâtres ressemblant à du sang séché maculaient le sol. Jimmy en eut assez. Il remonta en vitesse dans la maison et ferma la porte de la cave à double tour. Avec l’aide des jumeaux, il la bloqua avec un buffet qu’il traîna depuis la pièce voisine. Le couloir était étroit, mais ils y arrivèrent. Antonio le regardait avec curiosité et Jimmy lui fit signe de le suivre dans le salon. Il avait maintenant la certitude que la créature n’était plus là. Ni dans cette maison, ni dans ce monde. Il raconta à Antonio ce qu’il avait vu et lui dit ce qu’il pensait de leur ennemi. Ce n’était pas un démon, mais plutôt le résultat d’une magie noire. Il lui demanda s’il connaissait l’histoire de leur maison et de leur quartier. Antonio haussa les épaules. Il était juste un immigré qui cherchait du travail pour sa famille. Le logement lui avait été fourni avec l’emploi. Jimmy écoutait le vieil Antonio lui raconter l’histoire de sa maison, qui semblait identique à la sienne mais cette version semblait appartenait à un autre temps. Il se demandait comment cette demeure avait pu être le théâtre d’événements si horribles, qui avaient laissé une empreinte maléfique sur les lieux. Il ignorait qui avait construit ces entrepôts qui les entouraient, et qui étaient les propriétaires de cette dimension parallèle. Il se contenta de dire à Antonio ce qu’il pensait de l’entité qui les hantait. -Je ne crois pas que ce soit un démon, dit-il. C’est plutôt le résultat d’une magie noire qui a mal tourné. Votre maison était déjà habitée avant votre arrivée, et quelque chose de terrible s’est produit ici. Cette chose était un humain, jadis. Un humain monstrueux, peut-être, mais un humain quand même. Soudain, ils entendirent du bruit à l’étage. Jimmy retint son souffle. Il perçut des pas dans la chambre d’Antonio. La porte s’ouvrit, et Jimmy se prépara à fuir vers les entrepôts. Mais il reconnut alors une voix familière.
-Jimmy ? Jimmy, c’est moi, Billy. Je suis venu te chercher, petit frère.
Jimmy se précipita dans le couloir, et tomba dans les bras de Billy, qui venait de descendre l’escalier. Les deux frères s’étreignirent avec émotion, puis Billy examina Jimmy pour s’assurer qu’il n’était pas blessé. Jimmy était stupéfait.
-Comment as-tu fait pour arriver ici ? C’est l’entité qui t’a envoyé ? Ce n’est pas un démon, Billy.
Billy sourit devant l’enthousiasme de son frère cadet. Il admirait son courage et sa détermination face à cette situation effrayante. Il s’attendait à le trouver terré dans un coin, priant pour qu’on vienne le sauver.
-Ne t’inquiète pas, frangin. Je suis venu de mon plein gré.
Jimmy fut impressionné à son tour. Il savait que Billy était un médium doué et un expert en phénomènes surnaturels, mais il n’avait jamais osé tenter le voyage astral, trop dangereux et incertain. Mais Billy avait fait mieux que ça. Il était venu en chair et en os dans ce monde étrange pour lui, son petit frère. Jimmy sentit les larmes lui monter aux yeux. Il savait que Billy ferait tout pour le ramener parmi les vivants, mais ce qu’il avait fait dépassait ses espérances. Billy fit semblant de ne pas remarquer son émotion, et lui expliqua comment ils allaient sortir d’ici. Il vit alors le vieil homme et ses fils, qui les regardaient avec tristesse. Il leur adressa un regard compatissant. Antonio comprit qu’ils n’avaient pas beaucoup de temps, et leur sourit avec résignation.
-Allez-y, faites ce que vous avez à faire pour vous échapper. Ne vous souciez pas de nous. Si l’entité est partie, vous avez des choses plus importantes à faire dans votre monde. Nous pouvons attendre encore un peu, n’est-ce pas ?
Jimmy fut touché par les mots du vieil homme. Il le remercia pour son aide et lui promit de trouver un moyen de les libérer de cet enfer. Antonio lui caressa l’épaule affectueusement.
-Tu es un brave garçon, Jimmy. Ne change jamais. Maintenant, sauve-toi. Ici, tu ne sers à rien.
Jimmy suivit donc Billy jusqu’au grenier et lui montra la porte sans poignée qui bloquait leur passage.
-Elle ne veut pas s’ouvrir. Comment on fait ?
Billy observa le trou dans le mur et le pentagramme qui y était tracé. Il eut une intuition et sortit un couteau de sa poche. Il se fit une entaille à la main, sous le regard effaré de Jimmy. -Mais qu’est-ce que tu fais ? demanda Jimmy. Billy ne répondit pas et lui saisit la main. Il lui fit une coupure similaire, sans rencontrer de résistance. Jimmy lui faisait confiance. Si Billy agissait ainsi, c’était qu’il savait ce qu’il faisait. Le sang coula sur leurs paumes. Jimmy se sentit un peu nauséeux. Il n’aimait pas voir du sang, même le sien. Billy se dirigea vers la porte.
-Viens, Jimmy. Je crois qu’on doit payer le prix pour sortir d’ici.
Jimmy comprit le sens de ses paroles et le rejoignit. Billy prit la main de son frère et le regarda dans les yeux.
-Tu es prêt ? On y va ensemble ! Ils appuyèrent leurs mains sanglantes sur la porte, qui disparut comme par enchantement. Ils se retrouvèrent face à un tourbillon lumineux qui les aspirait irrésistiblement. Sans hésiter, Billy, tenant toujours la main de son frère, plongea dans ce vortex de couleurs.
Chapitre 9
Mark avait rejoint Jean, bouleversé par la disparition de son fils. Il lui demanda s’il savait où Michaël pouvait s’être réfugié, mais Jean l’ignorait. Il habitait cette maison depuis quelques mois seulement et, à part ses voisins, il ne connaissait pas d’autres amis de son fils. Mark lui demanda si Michaël avait un téléphone portable. Jean se reprit et consulta son téléphone. Il activa la géo localisation du portable de son fils, mais le résultat était étrange. Selon l’application, Michaël était chez eux. C’était impossible ! Il l’aurait vu entrer ou sortir par la porte d’entrée ou celle de la cuisine. Non, il avait sûrement oublié son GSM à la maison. Mark lui suggéra de retrouver le téléphone pour vérifier les messages de Michaël. Peut-être avait-il contacté un ami ou quelqu’un d’autre pour l’héberger ? Jean acquiesça et ils fouillèrent les différentes pièces de la maison. Le téléphone restait introuvable. Cela étonna Mark. Il proposa néanmoins à Jean de faire un tour du quartier en voiture, dans l’espoir d’apercevoir son fils sur la route. Une fugue était envisageable au vu de la situation. Jean prit ses clés, embrassa sa femme et sortit. Mark remarqua que Sylvia avait un comportement étrange. Elle semblait terrorisée, alors qu’aucune manifestation ne se faisait plus entendre. Malheureusement, il n’avait pas le temps de la rassurer. Il fallait absolument retrouver l’adolescent. Il rejoignit donc Jean dans la voiture et ils parcoururent les petites rues autour de leur domicile. Ils croisèrent la voiture de Salvatore, qui s’arrêta à leur hauteur. Jean se gara à côté de lui.
-Alors, tu l’as retrouvé ? lui demanda Jean.
Mark observa l’homme au volant. S’il l’avait retrouvé, il aurait eu l’air soulagé. Mais c’était de l’inquiétude que Mark lut sur son visage.
-Je suis désolé, Jean. Nous avons cherché partout. Nous avons fait toute l’entité, nous sommes même allés jusqu’à Binche et La Louvière. Aucune trace de Michaël. Je m’en veux, mon ami. C’est ma faute. J’aurais dû être plus prudent. Quand ma femme l’a installé dans la chambre de Mario, il s’est endormi tout de suite. Nous avons donc décidé de le laisser se reposer. Il avait l’air tellement épuisé. Mais quand nous sommes allés nous coucher, Mario a trouvé la fenêtre de sa chambre ouverte et Michaël avait disparu. Nous avons d’abord fouillé la maison, au cas où il aurait voulu manger ou aller aux toilettes. Voyant qu’il n’était pas là, nous sommes partis à sa recherche quand tu es venu frapper à notre porte.
Jean ne lui en voulait pas. Il savait que les adolescents étaient imprévisibles et que son ami avait fait de son mieux pour l’aider. Il remercia Salvatore, qui en profita pour prendre des nouvelles de Sylvia. Jean lui apprit le réveil de sa femme et sa libération de la chose qui la possédait.
Salvatore poussa un soupir de soulagement. Il suggéra à Jean d’appeler la police pour signaler la disparition de Michaël. Mark approuva l’idée et tenta de convaincre Jean. Il lui dit que la police avait sûrement plus de moyens qu’eux pour retrouver un adolescent en fugue. Ils ne connaissaient pas bien la région et la police était certainement plus efficace pour ce genre de situation. Jean se résigna et acquiesça. En sortant de la voiture, Mark heurta quelque chose de dur avec son pied. Il grimaça de douleur, ce qui amusa Jean.
-Je vois que ma souffrance vous fait rire, l’ami, plaisanta Mark en souriant.
Quand il put marcher normalement, il chercha ce qu’il avait percuté et découvrit que c’était la grille d’aération de la cave de la maison. Il le fit remarquer à Jean qui examina le trou sur la façade.
-Vous êtes déjà allé à la cave ? demanda Mark.
Jean lui raconta que c’était Michaël qui avait repéré la porte presque cachée sous l’escalier du couloir mais qu’il n’avait jamais eu le temps d’y descendre.
-Eh bien, allons-y alors ! proposa Mark.
Au moment où les deux hommes entrèrent dans la maison, un grand bruit se fit entendre à l’étage. Ils se regardèrent avec inquiétude et Mark se dirigea lentement vers l’escalier. Jean alla rejoindre sa femme et jeta un coup d’œil aux écrans. Philippe, qui était en train de pirater les dossiers, avait sursauté sous le choc. Il regarda aussi l’écran et se leva en courant.
-Mark ! Ils sont revenus !
Mark le regarda un instant, puis comprenant de qui Philippe parlait, monta les marches à toute vitesse et tomba nez à nez avec Jimmy et Billy qui affichaient un sourire radieux. Il prit son ami dans ses bras.
-Jimmy, mon vieux ! Ne me refais jamais ça ! J’ai cru qu’on t’avait perdu !
Jimmy était épuisé mais semblait en bonne santé. Mark serra la main de Billy.
-Bravo, mon gars. Vous êtes vraiment incroyable ! Billy regarda Mark d’un air sérieux.
-Pour mon frère, je ferais n’importe quoi, répondit-il avec conviction.
Mark l’observa un instant, gêné par la situation mais Billy détendit l’atmosphère en lui donnant une accolade. Mark se relaxa. Il était heureux de revoir les deux hommes sains et saufs. Ils descendirent ensemble rejoindre le groupe. Jean et les deux techniciens enlacèrent Jimmy, soulagés que leur ami soit enfin de retour. Mark était tellement soulagé que quand Jimmy leur demanda timidement s’il pouvait avoir quelque chose à manger et à boire, le groupe éclata de rire.
-Place aux priorités ! lança Mark.
Billy se rendit à la cuisine et servit son frère. Jimmy dévora la nourriture avec une telle voracité que les hommes se mirent à rire de nouveau. Même Jimmy se joignit à eux. Que c’était bon de revenir ! De pouvoir manger ! De pouvoir respirer sans être sous l’emprise de la peur ! Il savoura son bol de soupe et quand Billy lui proposa de le resservir, il tendit immédiatement son bol. Seule Sylvia ne semblait pas participer à l’hilarité générale. Elle était assise sur le canapé et regardait Jimmy intensément. Sentant son regard sur lui, Jimmy se tourna et répondit à la question muette qui se lisait sur son visage.
-Votre père et vos frères vont bien. Bien sûr, ils sont encore coincés dans ce monde alternatif mais l’entité qui semblait les retenir n’y est plus. Sylvia parut soulagée.
Elle remercia Jimmy et avant qu’elle puisse ajouter quelque chose, des coups retentirent à la porte d’entrée.
Jean ouvrit la porte et se retrouva nez à nez avec deux agents de police. Il les invita à entrer et leur annonça la disparition de son fils. L’un des officiers prit sa déposition et lui posa une série de questions pour évaluer le risque de fugue. Jean répondit du mieux qu’il put, espérant que son mensonge ne se verrait pas. L’officier lui promit qu’ils allaient faire le nécessaire pour retrouver l’adolescent et le prévenir dès qu’ils auraient du nouveau. Jean les remercia et les raccompagna à la porte. Il rejoignit ensuite sa femme dans le salon et la prit dans ses bras. Mark interrogea Jimmy sur ce qu’il avait vu de l’autre côté du miroir. Le médium lui fit un compte-rendu détaillé de son exploration. Mark notait tout sur son carnet et fronça les sourcils quand Jimmy lui livra ses impressions.
– Je te le dis, ce n’est pas un démon. C’est une âme damnée. Mais il a un pouvoir énorme et il maîtrise une sorte de magie noire. Tu n’as pas trouvé quelque chose qui pourrait nous aider à savoir qui c’est ?
A ce moment-là, Philippe poussa un cri triomphant. Il venait de réussir à pirater les fichiers confidentiels du commissariat. Jean se félicita d’avoir reçu les policiers sur le seuil. Il n’avait pas pensé qu’ils pourraient fouiller la maison et tomber sur des indices compromettants. Philippe se pencha sur son écran et commença à parcourir les dossiers qu’il venait de débloquer. Au fur et à mesure qu’il lisait, son visage se décomposa. Mark lui demanda ce qui n’allait pas mais Philippe ne répondit pas. Il ouvrit plusieurs photos jointes aux rapports et eut un haut-le-cœur. Le groupe se pressa autour de l’écran et découvrit avec horreur des scènes macabres dignes d’un film d’horreur. Des animaux éventrés gisaient au milieu d’un autel improvisé, entouré de bougies et de symboles occultes.
D’autres photos montraient des cadavres de jeunes gens qui avaient subi des tortures innommables. Leurs corps étaient squelettiques et portaient des marques de mutilations atroces. Philippe n’en pouvait plus. Il laissa la place à Mark et alla s’asseoir à côté de Jimmy. Mark copia les dossiers sur son disque dur et ferma le site de la police. Il demanda à Philippe s’il fallait effacer leurs traces. Philippe le rassura. – Pas besoin. J’ai tout fait pour qu’on ne puisse pas nous remonter. Sur ce, Mark ouvrit le premier dossier.
Tout avait commencé par une série de disparitions d’animaux de compagnie dans le petit village de Binche, en Belgique. Les soupçons se portaient sur le fils d’un riche entrepreneur américain, William Phillips, qui s’était installé dans les environs avec sa gouvernante haïtienne, Blanche Mbala, une dizaine d’années auparavant. Le père était un homme respecté et apprécié, qui avait créé son entreprise de construction et offert du travail à de nombreux habitants. Le fils, Robert, était un garçon solitaire et taciturne, éduqué à domicile par la gouvernante. Celle-ci, quant à elle, était regardée avec méfiance et curiosité par les voisins, qui la trouvaient bizarre et l’avaient surprise en train de pratiquer des rituels étranges la nuit.
La police avait été alertée, mais sans preuve ni indice, l’affaire avait été classée sans suite. Les habitants avaient alors décidé de s’organiser en comité de vigilance et de surveiller leurs animaux. Pendant un temps, les disparitions s’étaient arrêtées et le calme était revenu.
Mais un soir, tout bascula. Une promeneuse vit Blanche Mbala égorger un chat sur un autel orné de symboles inconnus, en psalmodiant des paroles incompréhensibles. À ses côtés se tenait Robert, qui semblait participer au sacrifice. La femme s’enfuit en hurlant et alla prévenir le pasteur du village. Celui-ci l’écouta avec effroi et lui conseilla d’alerter la police. Cette fois, les forces de l’ordre ne tardèrent pas à intervenir. Ils arrêtèrent la gouvernante et internèrent le fils dans un asile. Le père fut interrogé mais il se défendit en invoquant les croyances de son employée, qui étaient courantes en Haïti. Il ne fut pas inquiété davantage, mais il perdit la confiance et l’estime de ses voisins.
Quand les policiers lui mirent les menottes, le jeune homme ne résista pas. Il les suivit docilement jusqu’au fourgon qui l’emmena à l’asile. Là-bas, il subit des traitements douteux, censés le guérir de sa folie. Les psychiatres qui s’occupaient de lui découvrirent son intérêt obsessionnel pour l’occultisme et sa connaissance impressionnante du vaudou haïtien. Le jeune homme était taciturne et méfiant, mais il se mettait à parler avec passion quand on abordait ses sujets favoris. En fouillant sa chambre, on trouva un journal intime où il racontait son attirance morbide pour la dissection et l’anatomie humaine. Il prétendait que c’était par curiosité scientifique, car il rêvait de devenir chirurgien. Il resta interné pendant deux ans, sans faire parler de lui. Puis il fut libéré pour bonne conduite et retourna chez son père. Celui-ci l’inscrivit dans une faculté de médecine, où il apprit tout ce qu’il y avait à savoir sur la chirurgie.
Le jeune Robert se révéla très doué et apprécié de ses professeurs et des chirurgiens qu’il assistait lors d’opérations délicates. Ses camarades d’études, en revanche, le trouvaient bizarre et inquiétant. Il ne cherchait pas à se lier avec eux et s’enfermait dans sa chambre dès la fin des cours. Quand il obtint son diplôme et qu’il quitta la faculté, son père reçut une plainte de la part de l’établissement pour dégradation de biens privés. Des photos montraient la chambre du jeune homme, dont les murs étaient couverts de symboles étranges et le sol jonché de cadavres d’animaux en putréfaction. Certains organes, comme le cœur ou les intestins, avaient été prélevés. Il y avait aussi des traces de brûlures, probablement causées par des bougies. Le père régla l’affaire en payant les frais de rénovation et en offrant une somme rondelette au directeur pour qu’il se taise. Robert continua sa vie comme si de rien n’était, malgré l’inquiétude grandissante de son père. Ils vivaient seuls tous les deux, la gouvernante ayant été renvoyée en Haïti et personne ne voulant travailler pour eux.
Les gens du voisinage se méfiaient du jeune homme, sentant qu’il cachait quelque chose de sombre.
Robert avait ouvert son cabinet de médecine et s’était vite fait une solide réputation. Il était très doué et ne faisait pas payer les ouvriers de l’entreprise de son père. Au début, les gens avaient cru qu’il voulait se racheter de ses erreurs passées et de son implication dans les affaires louches de sa femme. Ils lui avaient accordé le bénéfice du doute et l’avaient accepté dans la communauté. Pendant plusieurs années, tout se passa bien. Les patients étaient satisfaits des soins du Dr Phillips et le calme était revenu parmi les habitants. Après tout, ce jeune homme avait été victime d’une femme étrange aux pratiques douteuses. Il était jeune, il méritait une seconde chance. On oublia donc ces histoires.
Dans le deuxième dossier, il y avait une coupure de presse. C’était la disparition d’un adolescent de quinze ans, Luigi Ricci. Ses parents l’avaient signalé après trois jours sans nouvelles. Ils n’avaient pas tout de suite paniqué car il lui arrivait souvent de dormir chez un ami sans prévenir. Mais quand ils avaient appelé ses amis et son école, personne ne l’avait vu depuis longtemps. Les policiers avaient cherché mais sans succès. On avait pensé à une fugue et le dossier était resté ouvert mais sans suite. Les parents avaient fait appel à un journaliste pour lancer un avis de recherche mais en vain. Le garçon avait disparu sans laisser de traces.
Plusieurs autres coupures de presse relataient des événements similaires. Des disparitions d’adolescents inexpliquées et inquiétantes. Mark en compta au moins une trentaine.
Sur la dernière coupure de presse, le titre était choc : « L’adolescent disparu retrouvé dans des conditions horribles ! » Selon l’article, voici ce qui s’était passé. Par une nuit glaciale du 7 au 8 novembre 1975, un couple de vieux promenait leur chien quand ils avaient trouvé un garçon allongé dans la neige, en état de choc. Il ne portait qu’une chemise de nuit. Ils l’avaient emmené à l’hôpital de Jolimont en urgence. Le médecin avait constaté que le garçon souffrait de malnutrition, de déshydratation et de multiples ecchymoses. Ses poignets portaient des traces de corde, comme s’il avait été attaché. Le médecin l’avait soigné et isolé aux soins intensifs. Il avait appelé la police pour signaler l’incident. Le garçon fut identifié comme Arthur Rizzo, 12 ans, disparu le 1er novembre alors qu’il allait fleurir la tombe de ses grands-parents pour la Toussaint. Les inspecteurs se rendirent à l’hôpital et essayèrent de l’interroger mais il était catatonique. Ses parents furent prévenus et vinrent le rejoindre à l’hôpital. Quand il vit sa mère, il se jeta dans ses bras en pleurant hystériquement. Quand elle réussit à le calmer, les policiers tentèrent à nouveau de l’interroger. Il ne dit qu’un nom. Celui du Docteur Phillips.
Le lendemain de la plainte, la police débarqua chez le docteur Phillips avec un mandat de perquisition. Le médecin tenta de fuir par une fenêtre à l’étage, mais il fut rattrapé et menotté par les agents. Il fut emmené sans ménagement dans une cellule, tandis que sa maison était passée au peigne fin. Ce que les policiers découvrirent les glaça d’effroi. Sous l’escalier du couloir, une porte secrète dissimulée derrière du papier peint donnait accès à une vaste cave. Celle-ci avait été transformée en un sinistre cabinet médical, où trônaient une table d’opération inclinable, des instruments chirurgicaux de toutes sortes, et un autel macabre orné d’organes humains. Des bougies noires entouraient un pentagramme tracé avec du sang sur le sol. Au-dessus de l’autel, un grand miroir aux motifs exotiques semblait renvoyer le reflet des atrocités commises. Dans un recoin de la cave, les cadavres des trente jeunes hommes disparus depuis cinq ans gisaient dans un état de décomposition avancée.
Le docteur Phillips fut jugé et reconnu coupable de meurtre et d’enlèvement de mineurs dans le cadre de rituels de magie noire. Il écopa d’une peine de prison à vie. En prison, il fut soumis à une expertise psychiatrique qui intrigua l’inspecteur chargé de l’affaire. Le rapport du psychiatre révélait en effet des éléments troublants sur la personnalité et les motivations du tueur. Le psychiatre avait pris des notes au fur et à mesure de ses entretiens avec le docteur Phillips. Il était de plus en plus inquiet par le comportement du détenu. Il avait rassemblé ses questions et les réponses du prisonnier dans un dossier sous forme de dialogue.
-Comment vous appelez-vous ?
-Robert Phillips.
-Quelle est votre profession ?
-Docteur en médecine.
-Parlez-moi de votre enfance.
-Je n’ai pas eu d’enfance.
-Très bien. Et de votre relation avec madame Mbala, qui vivait avec vous ?
-C’était ma gouvernante.
-Que vous a-t-elle appris ?
Le docteur avait lancé un regard énigmatique mais n’avait pas répondu. Le psychiatre avait poursuivi son interrogatoire.
-A quoi servait l’autel où les organes humains ont été découverts ?
-Vous ne pouvez pas comprendre. -Essayez de m’expliquer, s’il vous plaît.
-Vous ne pouvez pas comprendre, avait-il répété. Il existe d’autres réalités. Mais pour y accéder, il faut des sacrifices. Tout a un prix, n’est-ce pas ?
-De quoi parlez-vous ? -Vous le saurez bientôt, docteur Godeau, vous le saurez bientôt.
Le psychiatre avait sursauté. Il n’avait jamais donné son nom au docteur Phillips. Il avait senti un frisson lui parcourir le dos et il avait levé les yeux de son carnet. Les yeux du docteur Phillips étaient devenus entièrement noirs. Il le fixait avec un sourire cruel et c’est alors que le psychiatre perdit son sang-froid. Il appela le gardien à l’aide et lui demanda de sortir au plus vite. Le gardien accourut pour lui ouvrir la porte de la cellule, mais il était trop tard. Le docteur Phillips s’était jeté sur le psychiatre et lui avait lacéré le visage et le flanc avec une brosse à dents aiguisée. Le psychiatre fut transporté à l’hôpital et le docteur Phillips fut transféré dans un hôpital psychiatrique sous haute surveillance.
Dans le dossier, des photos du psychiatre à son arrivée à l’hôpital montraient les blessures qu’il avait subies. Mark remarqua qu’elles étaient identiques à celles qu’il avait vues sur Michaël après son agression par l’entité. C’était comme une signature, une façon de marquer ses victimes. Mais pourquoi ?
Quelques semaines plus tard, le docteur Phillips comparut devant la cour de justice où il fut condamné à la prison à vie pour le meurtre et la mutilation des 29 jeunes hommes qui avaient disparu. Le seul survivant ne put assister au procès, mais son témoignage avait été enregistré sur un magnétophone et retranscrit par écrit. Voici ce qu’Arthur Rizzo avait raconté de son calvaire.
-Bonjour, Arthur. Je suis le docteur Medioni et voici l’inspecteur Leclerc. Nous sommes là pour t’écouter. Peux-tu nous dire ce qui s’est passé le soir du premier novembre, quand tu as quitté ta maison ?
-Est-ce que je dois vraiment parler ? demanda Arthur d’une voix tremblante.
-Tu n’as pas à avoir peur, Arthur. Le docteur Phillips est arrêté et il ne te fera plus jamais de mal, je te le promets.
-Vous ne comprenez pas, dit Arthur. Cet homme, c’est le mal incarné. Il a fait des choses atroces. C’est un monstre qui pratique la magie noire. J’ai vu les horreurs qu’il a infligées à ces pauvres enfants.
-Alors raconte-nous, Arthur, l’encouragea l’inspecteur Leclerc. Tu es le seul survivant de cette affaire. Tu ne veux pas rendre justice à tes amis ? Sans ton témoignage, il pourrait s’en sortir avec un simple internement psychiatrique. Il pourrait recommencer un jour. Mais si tu parles, il ira en prison à vie. Arthur hésita encore un moment, puis se décida à parler.
Ce soir-là, je voulais aller déposer un chrysanthème sur la tombe de mes grands-parents. Il faisait déjà nuit et il faisait froid, mais je n’avais pas pu y aller plus tôt. J’avais demandé à mon père et il m’avait dit que ça allait, mais qu’il fallait que je fasse attention à la route qui était verglacée. Je lui avais dit que si c’était trop dangereux, je dormirais chez Lissandro, mon copain qui habite près du cimetière. Quand je suis arrivé au cimetière, j’ai posé les fleurs et j’ai prié un peu. Puis je suis sorti et j’ai entendu quelqu’un m’appeler par mon nom. J’ai vu une voiture garée sur le bord de la route et je me suis approché. C’était le docteur Phillips. Il m’a demandé ce que je faisais là tout seul et je lui ai expliqué pour les fleurs de la Toussaint. Il m’a souri et m’a dit que j’étais un brave garçon. Il faisait très sombre et très froid, alors il m’a proposé de me ramener chez moi et j’ai accepté. Mes parents connaissaient bien le docteur, il soignait les rhumatismes de ma mère et il était toujours gentil avec nous. Je suis monté dans sa voiture. Il m’a offert un morceau de gâteau qu’il avait dans sa boîte à gants et il m’a dit que c’était pour me réchauffer. J’avais faim car je n’avais pas encore dîné, alors j’ai pris le gâteau. Après ça, je ne me souviens plus de rien. Quand j’ai repris conscience, j’étais enfermé dans une grande cage en verre avec des trous pour respirer. Je ne savais pas où j’étais ni ce que je faisais là. J’ai eu très peur. J’ai regardé autour de moi et j’ai vu qu’il y avait d’autres garçons dans la même situation que moi. Ils étaient quatre, je crois, mais il faisait trop sombre pour bien les voir. La pièce où nous étions sentait très mauvais. Comme de la viande avariée ou quelque chose comme ça, c’était horrible. J’ai voulu crier mais un garçon m’a dit de me taire sinon il allait venir. Il avait une voix toute petite et j’ai compris qu’il était plus jeune que moi. Il m’a dit qu’il s’appelait Loris et que le docteur l’avait kidnappé comme moi. C’est là que j’ai remarqué que je n’avais plus mes vêtements sur moi. Je portais juste une sorte de chemise de nuit comme dans les hôpitaux. J’avais froid et j’avais mal au ventre. Peu après, j’ai entendu des bruits de pas qui descendaient un escalier. La porte de la pièce s’est ouverte et le docteur est entré avec un grand plateau. Il nous avait apporté à manger. Il était souriant et il nous parlait comme si de rien n’était. Il nous racontait ses études de médecine et les choses qu’il avait apprises sur le corps humain. Il nous expliquait comment il fonctionnait et il nous posait des questions. On essayait de lui répondre, malgré notre peur. Il m’a dit qu’il nous avait pris pour ses recherches parce que nous étions des garçons très intelligents et en bonne santé. Il s’est même excusé de nous avoir enfermés mais il nous a dit que c’était pour notre bien, pour nous éviter les infections. Il nous a promis qu’il nous ramènerait chez nous quand il aurait fini ses expériences et qu’il nous récompenserait avec de l’argent. Alors on a mangé ce qu’il nous avait apporté, en écoutant ses histoires. Au début, il nous parlait du corps humain, de ses organes et de ses fonctions. Mais ensuite, il se mettait à parler d’un autre monde, qu’il disait être le monde de la connaissance. Moi, je croyais qu’il parlait du Paradis, comme le curé à l’église. Alors je l’écoutais avec attention. Mais à chaque fois que je finissais de manger, je me sentais très fatigué et je m’endormais. Le lendemain, quand je me réveillais, il y avait un garçon en moins dans la pièce. Au début, on était content car on pensait que le docteur l’avait relâché et qu’il était rentré chez lui avec plein d’argent. Mais le jour suivant, il y en avait encore un qui avait disparu. Et le surlendemain, encore un autre. Il ne restait plus que moi et Loris, le plus jeune. On commençait à avoir peur. Le docteur nous laissait sortir de notre cage une fois par jour pour aller aux toilettes et nous laver, mais il nous surveillait tout le temps. Il nous donnait des jouets et des livres pour nous distraire, mais on n’avait pas envie de jouer ni de lire. On voulait juste rentrer chez nous. Mais le docteur nous disait toujours que c’était bientôt fini, qu’il avait presque terminé ses recherches et qu’on allait bientôt être libres. Dans la pièce, il y avait un grand rideau en velours qui cachait quelque chose. Je voyais le docteur passer derrière de temps en temps, mais je ne pouvais pas voir ce qu’il y faisait. Ma cage était trop loin et il faisait trop sombre. Je me demandais ce qu’il y avait derrière ce rideau. Nous étions quatre au début, enfermés dans des cages comme des animaux. Le docteur nous disait que nous étions des héros, que nous participions à une expérience scientifique très importante pour l’humanité. Il nous racontait des histoires fantastiques sur le monde extérieur, sur les merveilles qu’il y avait à découvrir. Il nous donnait à manger et à boire, mais aussi des cachets qu’il disait être des vitamines. Il nous faisait passer des tests, des prises de sang, des électrodes sur la tête. Il nous souriait toujours, mais il y avait quelque chose de faux dans son regard.
Deux jours plus tard, il n’en restait plus que trois. J’ai demandé au docteur ce qu’était devenu le quatrième garçon, celui qui était dans la cage d’en face. Il m’a dit qu’il avait terminé son rôle dans l’expérience et qu’il était rentré chez lui, retrouver sa famille. Mais il avait l’air nerveux, et il a vite changé de sujet. J’ai eu un mauvais pressentiment. Les autres garçons aussi étaient troublés. L’un d’eux m’a confié qu’il avait fait un cauchemar horrible, où il entendait des cris déchirants mais qu’il ne pouvait pas se réveiller. Au matin, il avait vu que la cage de son ami était vide.
Ce soir-là, j’ai feint d’avoir mal au ventre et je n’ai presque rien touché à mon repas. Le docteur a froncé les sourcils, mais il m’a tendu un médicament en me disant que ça allait me soulager. J’ai fait mine de l’avaler, puis je l’ai écouté me raconter ses histoires habituelles avant de me souhaiter bonne nuit. Quand il est parti, j’ai fait semblant de dormir, comme mes amis. Mais je restais aux aguets.
Au milieu de la nuit, j’ai entendu la porte s’ouvrir et des pas descendre l’escalier. C’était le docteur, qui tenait une bougie à la main. Il s’est approché d’une des cages et a jeté un coup d’œil à l’intérieur. Il a hoché la tête, puis il est passé à l’autre cage. Je savais qu’il allait venir vers moi ensuite, alors j’ai fermé les yeux et j’ai ralenti ma respiration. Il est venu près de moi et a éclairé mon visage avec sa bougie. J’ai senti son souffle sur ma joue, et j’ai eu envie de hurler. Mais je suis resté immobile, espérant qu’il me croie endormi. Il a fini par s’éloigner, et j’ai entrouvert les yeux pour le suivre du regard.
Il a écarté le rideau qui divisait la pièce et j’ai aperçu avec horreur une table en métal au milieu. Il a ouvert la cage du garçon et l’a porté sur la table. Il a allumé des bougies qui révélaient des machines sinistres accrochées au mur. Un immense miroir et des chandeliers sur un buffet ancien ajoutaient à l’ambiance lugubre. L’odeur était nauséabonde. C’était l’odeur de la putréfaction. J’ai vu le docteur examiner le garçon et s’assurer qu’il était endormi. Puis, il a retiré son pull et sa chemise et j’ai remarqué des signes étranges gravés sur sa chair. Je ne savais pas ce qu’il tramait mais j’avais peur. Je restais immobile. Il ne paraissait pas me voir. Il a prononcé une sorte de formule dans une langue étrange. Ensuite, il s’est badigeonné d’une crème et il a dessiné des figures sur le corps de mon ami. Je ne pouvais pas voir ce qu’il dessinait car j’étais trop loin et allongé au sol. Et c’est là que je l’ai vu brandir un énorme couteau. Je me demandais ce qu’il allait infliger à mon ami mais je ne pouvais rien faire. J’étais enfermé et si je criais, il me tuerait. Je l’ai donc vu planter le couteau dans le torse de mon ami. Celui-ci s’est réveillé en hurlant de douleur. Ses cris étaient terrifiants. Ça n’a pas cessé pendant des minutes qui m’ont paru des heures. Quand le silence est revenu, le docteur s’est tourné vers un plateau où il y avait des objets scintillants. La lumière des bougies se reflétait dessus. J’étais tétanisé. J’avais envie de hurler, de pleurer mais je savais que pour rester en vie, je devais continuer à faire semblant d’être endormi. Il s’est approché du corps de mon ami et j’ai entendu des bruits répugnants, comme quand mon père découpait un cochon et lui brisait les côtes pour le vider. Mon père est boucher. Quand le docteur s’est redressé, il tenait quelque chose de sanglant dans ses mains. C’était le cœur de mon ami. Il l’a posé sur la table bizarre avec le miroir. Puis, il s’est penché de nouveau sur mon ami et lui a ouvert le ventre. Je n’ai pas pu supporter et je me suis évanoui. Le lendemain, quand j’ai repris connaissance, j’ai raconté au dernier garçon ce que j’avais vu la veille mais il m’a traité de fou. Il n’avait rien entendu et il refusait de voir le docteur comme le monstre qu’il était. Je lui ai parlé de la nourriture et je lui ai dit que nous étions sûrement drogués pour nous endormir. Il a commencé à avoir des doutes mais c’est à ce moment-là que le docteur est revenu. Il avait l’air content ce jour-là et il nous a laissé sortir un peu de nos cages. Je lui ai demandé où était le petit garçon et il m’a répondu que mon ami avait été si coopératif qu’il avait pu rentrer chez lui et qu’il l’avait ramené lui-même chez ses parents. Je savais que c’était un mensonge mais je n’ai rien dit. L’autre garçon a paru soulagé et il m’a regardé comme si j’étais le menteur. Je n’ai plus essayé de le convaincre et j’ai profité de notre liberté relative pour chercher un moyen de m’échapper. Je voulais aller du côté du rideau pour lui montrer que je disais la vérité mais le docteur nous avait attachés avec une chaîne autour du torse et un cadenas qui était relié à un anneau dans le mur du fond, loin de la pièce derrière le rideau. En fouillant, j’ai trouvé un gros clou qui traînait sur le sol et je l’ai caché dans ma bouche. Pendant toute la journée, mon colocataire a lu des livres et mangé des bonbons que le docteur nous avait donnés en échange de notre discrétion. Il nous avait expliqué que ses recherches étaient très importantes et qu’il devait les garder secrètes jusqu’à leur réussite. Il nous avait dit aussi que nous serions des héros quand il présenterait ses travaux aux médecins car c’était grâce à nous qu’il avait progressé. Mon ami souriait et gobait ses paroles. Mais moi, je savais ce que j’avais vu et je savais qu’il mentait. Alors, pendant que mon ami s’amusait, j’ai observé la cage où je dormais la nuit. Les panneaux en verre de la cage étaient maintenus par des barres en fer vissées tout autour. J’ai vu qu’avec le clou, je pouvais dévisser les vis sans faire tomber les panneaux. J’ai donc passé le reste de la journée à dévisser pour affaiblir la structure. Je le faisais sans que mon compagnon ne s’en aperçoive car j’avais peur qu’il me dénonce au docteur. Mais il était trop occupé par sa lecture pour me surveiller. J’ai vérifié que la structure tienne encore assez pour ne pas éveiller les soupçons du docteur. J’ai essayé plusieurs fois d’entrer dans la cage pour m’assurer qu’aucun panneau ne s’écroule quand je montais dedans et ça marchait. Le soir, quand le docteur est arrivé avec les plateaux repas, j’ai fait semblant de rien et j’ai mangé le moins possible en prétextant une douleur au ventre. Il m’a donné un médicament que j’ai fait semblant d’avaler. Nous avons regagné nos cages et j’ai prié pour que rien ne s’effondre mais, heureusement pour moi, la cage est restée stable. Il continuait à nous raconter ses histoires, mais je voyais bien que mon ami n’en pouvait plus. Il s’était endormi, la tête penchée sur le côté. J’ai décidé de faire comme lui et de fermer les yeux. Peut-être que le docteur nous laisserait tranquilles si on faisait semblant de dormir. Plus tard, j’ai entendu des pas dans l’escalier. J’ai entrouvert les yeux et j’ai vu le docteur s’approcher de nos cages. J’ai retenu mon souffle, espérant qu’il ne remarquerait pas que j’étais éveillé. Mais il a passé devant ma cage sans s’arrêter et s’est dirigé vers celle de mon ami. J’ai senti une vague de culpabilité me submerger. J’aurais voulu l’aider, le sauver de ce monstre, mais je savais que c’était ma seule chance de m’échapper. C’était lui ou moi. Alors, quand le docteur a sorti mon ami de sa cage et l’a posé sur la table, j’ai profité de son inattention pour agir. J’ai poussé doucement les panneaux de ma cage, en faisant attention à ne pas faire de bruit. Les panneaux ont cédé et j’ai pu sortir de ma prison. Le docteur était trop absorbé par son rituel macabre pour me voir. Il tenait un couteau à la main et s’apprêtait à faire subir à mon ami le même sort que la veille. Quand il a enfoncé le couteau dans le corps de mon ami et que celui-ci s’est mis à hurler, j’ai pris mes jambes à mon cou. Je ne sais pas si le docteur m’a poursuivi. Je n’ai pas regardé derrière moi. Je me suis précipité vers les escaliers et j’ai débouché dans la maison du docteur. J’ai reconnu la porte du cabinet de consultation et j’ai suivi les indications pour trouver la sortie. Par chance, la porte d’entrée n’était pas verrouillée. J’ai couru comme un fou vers ma maison. Je me souviens encore de la sensation du froid sur mes pieds nus dans la neige. J’avais mal partout, j’étais affamé et épuisé. Quand je suis arrivé au cimetière, j’ai perdu connaissance. Quand je me suis réveillé, j’étais ici, à l’hôpital. Le garçon se tut. Il avait l’air vidé par son récit. L’inspecteur le remercia pour sa bravoure et le laissa avec le psychiatre. Mais avant de quitter la chambre du garçon, celui-ci lui lança une dernière phrase. –C’est le Diable, vous savez. Son miroir brillait d’une lumière bleue à chaque fois qu’il nous tuait. Comme s’il aspirait nos âmes. Ce miroir, c’est la porte des Enfers.
Fin du témoignage d’Arthur Rizzo, 9 novembre 1975.
Le document suivant était une revue de presse qui relatait le procès du docteur Phillips et sa tentative de fuite lors de son transfert.
e dcument suivant était une revue de presse qui Le docteur Phillips venait d’être condamné à la prison à vie pour des crimes abominables. Il n’avait pas prononcé un mot pendant son procès, malgré les questions insistantes du juge et des avocats. Il s’était contenté de les toiser d’un regard mauvais et de leur adresser un sourire carnassier qui glaçait le sang des familles des victimes présentes dans la salle. Personne ne sut jamais ce qui l’avait poussé à commettre ces atrocités, ni ce qu’il faisait avec les cadavres, les accessoires et l’autel macabre retrouvés chez lui. Le seul rescapé de son enfer avait été incapable de témoigner, tant il était traumatisé.
Le docteur Phillips fut escorté par des policiers jusqu’à un fourgon blindé qui devait le conduire à la prison de Mons, dotée d’une aile psychiatrique. Il était entravé par des menottes aux poignets et aux chevilles, reliées par une chaîne. A l’arrière du fourgon, il fut attaché à un piston au sol par une autre chaîne. Deux gendarmes armés surveillaient l’arrière du véhicule. Mais quand ils arrivèrent à destination, ils eurent la stupeur de constater que le prisonnier avait disparu. Ils alertèrent aussitôt le poste central et des patrouilles se mirent à sa recherche.
Après plusieurs heures d’investigation, une patrouille qui était restée dans le quartier du docteur Phillips vit un homme s’approcher de sa maison. Il portait une tenue de l’asile de Manage et avait encore des morceaux de chaîne aux poignets et aux chevilles. C’était le fugitif. Les gendarmes se lancèrent à sa poursuite. Le docteur Phillips tentait de pénétrer dans sa cave par la grille d’aération, n’ayant plus les clés de sa porte d’entrée. Un gendarme le rattrapa et le mit en joue, mais il ne s’arrêta pas. Il était déjà à moitié passé par la grille quand le gendarme lui tira dessus plusieurs fois. Le docteur s’écroula dans la cave et le gendarme le suivit.
Avec sa radio, il appela du renfort et entra dans la cave, son arme braquée sur le fugitif. Celui-ci gisait au milieu de la pièce où les corps mutilés avaient été découverts. Il respirait faiblement. Mais soudain, il se mit à ramper vers l’autel sacrificiel et tendit le bras vers le miroir qui trônait au-dessus. Il murmura quelques mots incompréhensibles et le miroir se mit à briller d’une lueur bleutée. Le gendarme n’en revenait pas. Il sentit une vague de terreur l’envahir, mais il resta sur ses gardes. Il ordonna une dernière fois au docteur de ne plus bouger. Mais à cet instant, la lueur du miroir s’éteignit et le docteur cessa de respirer. Ses yeux vitreux fixaient le néant, un sourire énigmatique sur les lèvres.
Les renforts arrivèrent et trouvèrent le policier assis par terre, comme pétrifié. Ils jetèrent un coup d’œil par la grille d’aération et virent le corps du docteur Phillips. Il était mort. Le corps du docteur Phillips fut transporté à l’institut médico-légal de Bruxelles pour y être autopsié. Le médecin légiste constata que les balles avaient été fatales, mais il remarqua aussi une étrange brûlure au visage. On aurait dit que le docteur avait été aspergé d’un acide corrosif. Mais aucune trace de substance chimique ne fut détectée sur le cadavre, et comme l’affaire était close avec la mort du criminel, on n’approfondit pas la question. Le corps du docteur fut rendu à son père, qui le fit incinérer et déposa ses cendres dans l’église du village, sous l’œil vigilant de l’évêque.
Le père du docteur ne se remit jamais du choc de découvrir les atrocités commises par son fils. Il se sentait coupable et honteux, et il sombra dans la dépression. Il mourut quelques années plus tard, laissant un testament inattendu. Il avait légué une partie de sa fortune aux familles des victimes de son fils, comme un geste de repentir et de compassion. Les familles, bien que toujours endeuillées, acceptèrent cet héritage et y virent une forme de justice. La maison et le cabinet du docteur Phillips furent démolis et il n’en resta que les ruines.
Mark ouvrit le dernier dossier, qui contenait les plans du quartier où le docteur Phillips avait installé son cabinet médical. Il les examina attentivement et écarquilla les yeux. Il se précipita sur les plans régionaux de la ville de Binche et chercha la rue où il se trouvait actuellement. Il eut soudain une illumination et comprit le lien entre tous les événements. Il poursuivit ses recherches et trouva confirmation de son intuition. Dans les archives de la ville, il découvrit un article de presse datant de l’époque où des maisons de corons avaient été construites pour accueillir les familles d’immigrés italiens qui travaillaient à la mine. Sur les photos, on voyait encore des entrepôts à la place des maisons. Mark zooma sur l’une d’elles et lut l’inscription sur la façade : “Société Phillips”. Il se laissa tomber sur sa chaise, stupéfait. C’était ça ! C’était la raison de tout ce qui arrivait à cette malheureuse famille ! Il sentit les regards curieux du reste de l’équipe et du couple sur lui. Mark se tourna vers eux et leur résuma l’histoire du docteur Phillips. Quand il arriva à la partie où le docteur était mort et sa maison démolie, il leur montra les plans d’urbanisme. On y voyait la maison du docteur et les maisons de mineurs qui avaient été construites ensuite. Le couple ne semblait pas saisir le sens de ces plans. Mais Billy et Jimmy avaient deviné. – C’est ici, n’est-ce pas ? demanda Jimmy. C’est pour ça qu’il connaît la maison comme sa poche ? Mark acquiesça d’un signe de tête. – Mais bon sang, s’exclama Jean. Quelqu’un peut-il m’expliquer ce qui se passe ? C’est Billy qui lui répondit. – C’est pourtant clair, Jean. Votre maison a été édifiée sur les ruines du cabinet du docteur Phillips. Votre maison repose sur un sol maudit.
Chapitre 10
Michaël ouvrit les yeux et se sentit perdu. Il avait la tête qui lui faisait un mal de chien et il ne reconnaissait pas l’endroit où il se trouvait. Il se souleva péniblement et réalisa qu’il était dans une sorte de cave. Il faisait sombre et humide. Il essaya de se rappeler comment il était arrivé là, mais sa mémoire était vide. Il se souvenait seulement de s’être endormi dans la chambre d’ami chez Mario, sa mère lui avait préparé un lit confortable. Ensuite, le trou noir. Il se leva lentement, tâtonnant dans l’obscurité. Ses yeux s’adaptèrent peu à peu et il distingua les contours de la pièce. Le sol était recouvert d’un carrelage ancien, les murs étaient couverts d’un papier peint vert défraîchi et une odeur de moisissure emplissait l’air. Il sortit son GSM de sa poche et vit qu’il ne lui restait presque plus de batterie. Il tenta d’appeler son père, mais il n’y avait pas de réseau. Il activa alors sa lampe torche et se mit à explorer la pièce. Elle était assez grande, environ vingt mètres carrés, et divisée par un rideau de velours rongé par les mites. La pièce était en désordre et remplie d’objets hétéroclites entassés dans les coins. Michaël avança prudemment vers le fond de la pièce, en se guidant avec sa main sur le mur, et heurta quelque chose de métallique. Il braqua sa lampe dessus et vit qu’il s’agissait d’un piston fixé au mur, avec un anneau auquel étaient attachées des chaînes. Il continua son chemin et découvrit plusieurs panneaux de verre percés de trous, ainsi que des structures métalliques. On aurait dit des aquariums, mais pourquoi avaient-ils des trous ? Il s’approcha du rideau de velours et ressentit soudain une douleur aiguë dans la poitrine. Sa tête se mit à tourner. Il n’y voyait plus clair. Il eut l’impression d’être attiré par ce qui se cachait derrière le rideau. Malgré lui, son corps avança vers cet endroit, sans qu’il puisse le contrôler. Il franchit le rideau et se retrouva face à une table métallique. Elle ressemblait à une table d’autopsie. Mais ses pieds ne s’arrêtèrent pas là. Ils le poussèrent vers le fond de la pièce. Dans la pénombre, il aperçut une lueur qui venait du fond de la pièce. Il vit alors une sorte de table en pierre sur laquelle étaient gravés des symboles étranges. Des bougies noires étaient disposées aux quatre coins de la table. Un pentagramme était incrusté dans la pierre et Michaël reconnut le même symbole que celui qui ornait le mur de sa chambre. La table était maculée de taches sombres qui ressemblaient à du sang séché. Les bougies s’allumèrent soudainement. Un vent froid le frappa au visage. Il semblait sortir du miroir. Intrigué, il se pencha vers la table pour mieux voir les taches, mais il fut pris de nausée. Il se redressa et croisa son reflet dans le miroir. C’était un miroir étrange. Michaël fixa le miroir et eut un choc. Le visage qui le regardait n’était pas le sien. Il s’approcha, persuadé d’halluciner, mais le reflet fit de même. Il se dévisagea un instant et dut admettre l’évidence. Ce visage n’était pas le sien. Comment cela se pouvait-il ? Il toucha sa joue et le reflet l’imita. Michaël était pétrifié. Comment son visage avait-il pu changer sans qu’il s’en rende compte ? Avant qu’il ait le temps de réfléchir, une voix résonna dans sa tête.
– Salut, Champion !
Michaël se retourna vivement et scruta la pièce, mais il n’y avait personne. Il reporta son regard sur le miroir, mais son reflet ne bougeait plus. Au contraire, il affichait un sourire carnassier et une lueur narquoise brillait dans ses yeux. Le jeune homme était terrifié. Que se passait-il, bon sang ? Il observa cet homme et le vit se rapprocher. Il recula instinctivement, mais la voix retentit de nouveau dans sa tête.
– Inutile de fuir. Tu es pris au piège. Il n’y a pas d’issue.
L’homme lui souriait toujours et ses yeux étaient d’un noir profond.
– Qui êtes-vous ? Qu’est-ce que vous voulez ? balbutia l’adolescent, la peur faisant trembler sa voix.
L’homme se colla presque au miroir, comme s’il voulait en sortir. De la buée se forma sur la vitre.
– Qui je suis n’a pas d’importance, répliqua-t-il. Pas pour toi, en tout cas. Par contre, qui tu es, ça c’est important. Quant à ce que je veux, tu vas bientôt le savoir. Tu ne le sais pas encore, mais tu es quelqu’un de très spécial, mon garçon. Ton aura brille comme un phare dans la nuit. Et j’ai justement besoin de ce genre d’âme pour accomplir mon dessein.
– Et quel est ce dessein ? demanda Michaël, la voix faible. Qu’est-ce que vous comptez faire ?
L’homme le regarda avec un air moqueur et son sourire s’élargit. Sa réponse plongea l’adolescent dans une panique totale.
– Ce que je veux ? Mais c’est évident, non ?
L’homme traversa le miroir comme s’il n’était qu’une illusion et sa main apparut de l’autre côté.
– Ce que je veux, Michaël, c’est toi. Ou plutôt ton corps. Ce que je veux, c’est renaître.
Michaël vit l’homme sortir entièrement du miroir et se mit à hurler. Il essaya de s’échapper mais son corps était paralysé. Il avait l’impression d’être cloué au sol. L’homme sortit du miroir et se planta devant le pauvre adolescent terrifié. Il lui sourit avec malice.
– Ne le prends pas mal, tu sais. Mais je t’attends depuis si longtemps. Il est temps de procéder à l’échange. Si ça peut te rassurer, dis-toi que tu retrouveras ta famille disparue.
Il tendit les bras et saisit le jeune homme par le visage. Son regard était comme un gouffre rempli de ténèbres. Michaël ne put s’empêcher de plonger dans ses yeux noirs. Ce qu’il y vit était tellement horrible qu’il se mit à hurler encore plus fort. Puis, tout devint noir.
Jean raccrocha le téléphone, déçu. L’agent de police lui avait dit que Michaël était toujours introuvable et que les pistes étaient minces. Il sentit le regard désespéré de Sylvia sur lui. Il alla la prendre dans ses bras. Elle se blottit contre lui et se dirigea vers la cuisine. Ils étaient tous épuisés et Sylvia essaya de se changer les idées en leur préparant un bon repas. Elle n’arrivait pas à croire ce qu’elle avait appris sur l’entité qui les tourmentait. Comment un fantôme pouvait-il s’acharner ainsi sur les vivants ? Elle avait grandi dans la foi catholique et ce qu’elle avait appris au catéchisme ne l’avait pas préparée à de telles horreurs. Pour Sylvia, quand on mourait, on allait soit au Paradis, soit en Enfer. Il y avait bien le purgatoire, mais c’était juste une étape pour accomplir une dernière volonté, une dernière mission. Elle n’avait jamais entendu parler d’une âme humaine capable de revenir posséder les vivants. Perdue dans ses pensées, elle se concentra sur la préparation des légumes. Elle fit des boulettes de viande et une potée de poireaux. L’odeur du repas attira Billy dans la cuisine. Il proposa son aide à Sylvia, qui lui confia les assiettes. Billy les apporta à table et tout le monde s’installa pour manger. Ils mangèrent en silence, appréciant le repas, mais sans oublier les révélations récentes. Quand ils eurent fini, Mark et Antoine débarrassèrent la table et les autres allèrent dans le salon. Ils étaient fatigués mais trop angoissés pour dormir. C’est alors qu’ils entendirent un hurlement sinistre résonner dans les murs. Mark, qui essuyait la vaisselle, lâcha l’assiette qu’il tenait. Il se tourna vers les autres et vit qu’ils étaient tous figés par ce cri glacial. D’où venait-il ? se demanda Mark en avançant vers le salon. Jean, Philippe et Billy s’étaient levés et scrutaient les alentours. Jimmy restait immobile. Il regarda vers le couloir et murmura :
– On dirait que le docteur Frankenstein est de retour.
Mark suivit son regard. Il se souvint de la grille d’aération extérieure de la cave. Il regarda Jimmy et comprit qu’il pensait à la même chose que lui. Mark, suivi de Billy et de Jean, se dirigea vers la porte cachée sous l’escalier. Il colla son oreille à la porte et écouta. Il n’y avait aucun bruit qui venait du sous-sol. Pourtant, l’atmosphère avait changé. L’air était lourd de tension. Il se tourna vers Billy et celui-ci s’approcha de la porte. Il posa ses mains dessus et sembla entrer en transe. Un instant plus tard, il rouvrit les yeux et soupira.
– Je crois que Jimmy a raison, dit-il. L’entité est de retour. Mais c’est bizarre. J’ai l’impression qu’elle n’est pas seule. Je ne sais pas comment l’expliquer mais je ressens de la détresse, de la peur et de la haine pure en même temps. C’est perturbant.
Mark réfléchit un instant. Jean lui demanda ce qu’il se passait.
– Eh bien, je pense qu’il est temps de visiter votre cave, Jean. Je crois que nous avons de la visite.
Jean le regarda sans comprendre. Puis son regard se posa sur la porte de la cave et il réalisa ce que Mark voulait faire. Il alla dans le salon et demanda à Sylvia de rester avec Antoine, Philippe et Jimmy. Il prit le crucifix qui était sur la table basse et rejoignit Mark et Billy. La main sur la poignée, Mark attendit le signal de Billy. Celui-ci acquiesça et Mark ouvrit doucement la porte. L’escalier était plongé dans l’obscurité. Mark chercha un interrupteur. Il le trouva et appuya dessus, mais rien ne se passa. L’ampoule devait être grillée. Il sortit son GSM et alluma la lampe torche. Il vit des marches en pierre couvertes de poussière. Le sous-sol semblait profond. Les marches tournaient sur la droite, formant un angle mort.
– Je n’aime pas ça, murmura-t-il.
Billy haussa les épaules et le dépassa. Ils descendirent prudemment les escaliers et arrivèrent dans une pièce sombre qui sentait l’humidité et la putréfaction. Jean et Mark regardèrent autour d’eux, tandis que Billy avançait dans la pièce. Soudain, Billy aperçut un mouvement furtif du coin de l’œil. Il dirigea sa lumière vers le coin de la pièce, mais il n’y avait que de vieux panneaux vitrés et une chaîne accrochée au mur. Sur le sol, il reconnut le pentagramme que Jimmy avait dessiné dans l’autre monde. Billy tira doucement le rideau de velours. Mark et Jean l’avaient rejoint. Ils virent avec horreur la table d’autopsie et l’autel nauséabond au fond de la pièce. Billy s’approcha de l’autel et regarda le miroir.
-Voilà le portail, dit-il à Mark. Je peux sentir son attraction sur moi. J’ai presque l’impression qu’il m’appelle.
Mark ne répondit pas. Il ne ressentait pas la même chose que Billy, mais ce miroir lui déplaisait fortement. Une sensation de malaise s’en dégageait et Mark voulait juste fouiller la cave et sortir au plus vite de cet endroit. Il allait s’éloigner du miroir quand il sentit une présence derrière lui. Il se retourna et vit Michaël. Le jeune homme était allongé dans un recoin et semblait inconscient. Mark appela Jean et Billy.
Les deux hommes s’approchèrent, mais quand Jean vit que c’était son fils, il se précipita sur lui et le secoua par les épaules. Michaël ne réagissait pas aux secousses. Ne sachant pas quoi faire, Jean se tourna vers Billy, mais celui-ci regardait avec effroi derrière Jean. Jean se retourna brusquement et sentit une brûlure aux mains. Il regarda son fils, mais le visage qui le fixait n’était plus celui de Michaël. Son visage était devenu celui d’un prédateur. L’œil noir et le sourire narquois, la chose le regardait d’un air amusé.
– Alors, Champion ? On ne dit pas bonjour à son fiston ?
Jean recula, terrifié. L’entité se redressa et les toisa d’un regard triomphant.
– Je suppose que ce n’est pas la peine que je me présente, n’est-ce pas ?
Elle s’avança lentement vers les hommes, l’air sûr d’elle.
– Qu’avez-vous fait à mon fils ? hurla Jean. Où est-il ? Est-il dans votre monde parallèle ? Est-il mort ?
La créature lui sourit.
– Ne t’inquiète pas, mon cher papa. Non, Michaël n’est pas mort. Il est ici avec nous. Disons qu’il fait un petit somme pour l’instant du moins.
Les trois hommes ne comprenaient rien à ce qu’elle disait. La créature semblait s’amuser de leur confusion. Jean brandit alors le crucifix qu’il tenait dans la main, mais la créature éclata de rire et dit :
– Vous pensez que ce bout de bois a un effet sur moi ? Vous me prenez pour quoi ? Un vampire ?
Jean ne savait pas quoi dire et baissa le bras, se sentant légèrement ridicule. L’entité le regarda avec condescendance.
– Bon, j’aurais aimé discuter avec vous plus longtemps, mais je n’ai pas de temps à perdre. Elle leva le bras et Mark et Billy furent projetés contre le mur. Les chaînes s’enroulèrent autour d’eux et les immobilisèrent. Jean resta pétrifié sur place.
– Qu’allez-vous faire ? demanda-t’il à la fausse Michaël. La créature lui sourit.
-Ce que je vais faire, Jean ? Eh bien, c’est très simple. Tu vois, ton fils est très spécial. Il a une âme si pure et innocente. Le réceptacle idéal pour ma renaissance. Mais pour pouvoir l’habiter pleinement, je vais devoir détruire toute cette lumière qui l’anime. Il était déjà bien affaibli depuis la mort de son grand-père, mais ce n’était pas suffisant. C’est là que tu interviens, mon cher assistant.
Jean ne saisissait pas. A ce moment-là, il entendit la porte de la cave s’ouvrir et la voix de Sylvia résonner.
– Jean ? Est-ce que tout va bien ? Qu’est-ce qui se passe ?
Jean voulut lui répondre, lui crier de ne pas descendre, mais il ne put pas ouvrir la bouche. Son corps était paralysé. L’entité prit alors une voix plaintive et répondit :
– Maman ? Maman, aide-moi s’il te plaît ! Je suis ici !
La voix était si semblable à celle de son fils que Jean en fut sidéré. Il entendit avec horreur les pas de Sylvia descendre les marches en appelant son fils.
– Michaël ? C’est toi ?
Jean essaya de se débattre pour se libérer, mais il avait l’impression que ses membres étaient figés. Il ne put que regarder, impuissant, sa femme entrer dans la pièce et le regarder avec inquiétude. Jean la regarda d’un air paniqué, essayant de la prévenir, mais quand elle vit Michaël, elle se précipita sur lui et le serra dans ses bras.
– Michaël, mon cœur ! Tu es là, enfin ! J’étais tellement inquiète ! Où étais-tu ? Tu es blessé ?
Trop occupée à examiner le corps de son fils, Sylvia ne remarqua son expression que quand elle leva les yeux vers son visage. Elle eut alors un mouvement de recul, mais avant qu’elle n’ait pu s’éloigner, la créature l’attrapa par le bras. Sylvia se mit à se débattre, mais la main qui la tenait était d’une force incroyable et ses efforts furent vains. La créature approcha son visage du sien et lui chuchota à l’oreille :
– C’est comme ça que tu traites ton fils, maman?
Sylvia était tétanisée. D’une voix tremblante, elle lui dit :
– Vous n’êtes pas mon fils ! Que lui avez-vous fait ?
La créature se mit à rire.
– Où crois-tu qu’il soit, ma chère Sylvia ? Tu as eu l’occasion de visiter ma demeure. Tu n’as pas une petite idée ?
Sylvia vit alors le miroir au fond de la pièce et ce qu’elle y vit la terrifia. Derrière le miroir, son fils la regardait d’un air terrifié. Il semblait lui crier quelque chose, mais aucun son ne sortait de sa bouche. Sylvia hurla, mais la créature lui plaqua une main sur la bouche.
– S’il te plaît, Sylvia. Arrête de hurler. D’habitude, j’aime entendre la peur dans la voix de mes victimes, mais tu comprendras que j’ai des projets et que je veux les réaliser. Donc, si tu veux bien coopérer, nous allons commencer. Sylvia ne comprenait pas, mais quand la créature la traîna vers la table métallique, ses yeux s’écarquillèrent d’horreur. Sylvia se souvint des photos des meurtres du docteur. Elle se débattit, mais la créature était trop forte. Sylvia se retrouva allongée sur la table métallique, les membres immobilisés. On aurait dit qu’une force invisible la retenait. L’entité ne se pressait pas. Elle se dirigea vers l’autel et regarda Michaël dans le miroir. Celui-ci semblait hurler en tapant contre la vitre, mais l’entité savait qu’il ne pouvait pas s’échapper.
Le docteur se rappela le jour de sa mort terrestre. Il avait lui aussi traversé le miroir et passé dans ce monde parallèle. Heureusement qu’il avait été formé par la meilleure sorcière vaudou qu’il ait connue. Sans elle, il n’aurait pas pu mettre son plan à exécution. Mais ça n’avait pas été facile. S’évader du fourgon de la gendarmerie n’avait pas été difficile. Il lui avait suffi d’hypnotiser les gardiens qui l’accompagnaient et de les convaincre de le libérer. Ils lui avaient même ouvert la porte ! Mais ensuite, la course-poursuite avait été épuisante et quand il avait enfin atteint sa rue, il avait dû user de ruse pour atteindre sa destination. Il était malheureusement tombé sur un jeune policier qui, sans le savoir, avait le don de voir à travers les illusions. Il n’était pas tombé sous le charme du docteur et lui avait tiré dessus à plusieurs reprises. Heureusement pour le docteur, l’autel et le miroir étaient toujours là, avec ses offrandes et ses maléfices, et il avait pu transférer sa conscience dans le miroir avant que son cœur ne s’arrête de battre. Néanmoins, il était resté longtemps dans ce monde parallèle et avait eu le temps de réfléchir à comment regagner le monde des vivants. Et c’est là qu’un miracle était arrivé. Une maison avait été construite au-dessus des fondations de sa demeure et ce cher Robert avait pu utiliser l’énergie vitale de ses habitants pour reprendre des forces. Mais ça ne suffisait pas. Il fallait un sacrifice de sang. Alors, quand cette bande de gamins imprudents avaient décidé de traverser le toit, le docteur y avait vu une occasion unique. Il pouvait interagir avec les matériaux de la maison et avait détaché les tuiles du toit, ce qui avait provoqué la chute de ce cher Julio et lui avait donné le sang nécessaire pour reprendre des forces. Ensuite, vu l’état du cerveau de ce pauvre garçon, il avait été facile de le manipuler et de lui faire perdre la raison. Mais il s’était trompé sur la force mentale de ce jeune homme. Malgré le harcèlement dont il était victime, le docteur n’avait pas pu l’inciter à tuer sa famille. Les catholiques et leurs principes ! Il s’était donc tourné vers le jumeau de celui-ci, mais lui non plus n’avait pas cédé. Quand Roberto avait enfin réalisé que l’entité qui était avec lui n’était pas son frère jumeau, il avait décidé d’arrêter de se nourrir. Le docteur l’avait pourtant assailli d’images horribles de sa famille agonisante, mais Roberto n’avait pas cédé. Quand il était mort à son tour, le docteur n’avait pas eu d’autre choix que de rejoindre le miroir. Il était plus fort, oui, mais pas assez pour trouver le réceptacle qu’il recherchait. Il avait bien tourmenté le vieil homme, mais celui-ci ne l’intéressait pas. Il préférait un jeune homme en pleine forme. Alors, il eut l’idée de le terroriser au point que la santé du vieil homme décline et qu’il soit obligé de quitter les lieux. Tout se passait comme le docteur l’avait espéré. Au fil des années, il avait pu se nourrir de nombreux locataires, mais ceux-ci ne restaient jamais assez longtemps pour qu’il puisse mettre son horrible projet à exécution. Il se contenta donc de se nourrir de leur peur pour gagner en pouvoir et attendit patiemment le jour où il trouverait enfin sa perle rare. Et ce jour était arrivé ! Le vieil homme était revenu dans sa maison et, comble de la joie, il était accompagné de sa famille.
Le docteur avait une onde de chaleur le traverser quand il vit le jeune homme entrer dans la maison. C’était lui, le joyau qu’il convoitait depuis si longtemps. Il avait été fasciné par l’éclat de son âme, si pure et si lumineuse. Il avait tout orchestré pour le briser, le pousser à la folie. Il avait manipulé son grand-père mourant, lui faisant croire qu’il épargnerait sa famille s’il venait le rejoindre. Il avait possédé sa mère, la transformant en marionnette sans volonté. Il avait détruit leur relation si fusionnelle, leur infligeant une souffrance inouïe. Il l’avait attiré dans son antre, son « laboratoire », et l’avait projeté de l’autre côté du miroir. Il avait dû libérer les autres prisonniers de leurs chaînes, mais qu’importe. Ils étaient impuissants, condamnés à assister au spectacle macabre. Il se pencha sur Sylvia, un sourire malsain aux lèvres, et commença à lui arracher son chemisier. Elle se débattit, mais en vain. Il était trop puissant, trop gorgé d’énergie accumulée au fil des années. Il allait enfin renaître ! Il saisit le couteau qu’il avait dissimulé sous le bord de la table sacrificielle et approcha la lame du torse de la jeune femme.
-Vous êtes prête, ma chère ? Ce sera un peu douloureux, mais je vous assure que ce sera rapide !
Jean hurla de rage et de terreur. Il tenta désespérément de se libérer de l’emprise du monstre, mais son corps était paralysé. Il vit avec horreur le docteur s’apprêter à égorger sa femme. Michaël, qui avait cessé de marteler la vitre, le fixait avec des yeux écarquillés. Soudain, des pas résonnèrent dans l’escalier. Une silhouette apparut et tous reconnurent Jimmy. Il semblait étrangement calme face à l’horreur qui se déroulait devant lui. Il avança lentement dans la pièce et posa son regard sur le faux Michaël. Puis il se tourna vers le miroir et ce qu’il y vit confirma ses soupçons. Le docteur avait pris possession du corps du pauvre garçon. Il soupira et s’approcha du docteur.
– Ne vous faites pas d’illusions, mon cher Jimmy, lança celui-ci d’un ton arrogant. Vous ne pouvez rien contre moi. Je dispose de suffisamment de pouvoir pour vous immobiliser. Alors restez sagement à votre place si vous voulez revoir votre frère vivant.
Jimmy regarda Billy et lui adressa un sourire triste. Il se dirigea vers lui et lui murmura à l’oreille :
-Ne t’inquiète pas Billy. Tout va bien se passer. Je te remercie pour tout ce que tu as fait pour moi. Merci de m’avoir aidé à accepter ce don, ou plutôt cette malédiction. Mais je dois t’avouer que je n’en peux plus. Si j’ai tenu le coup jusqu’à présent, c’est grâce à toi. Mais aujourd’hui, je vais enfin pouvoir me rendre utile. Pour une fois, cette malédiction aura servi à quelque chose de bien.
Billy ne comprenait pas ce que Jimmy voulait dire. Quand il le vit s’élancer vers le docteur, toujours armé de son couteau, il se mit à hurler son nom mais les chaînes le retenaient toujours. Des larmes coulèrent sur ses joues tandis qu’il assistait impuissant à la scène. Le docteur observa Jimmy s’approcher. Il y avait quelque chose d’inquiétant dans son calme apparent.
-Quel est ton but, mon cher petit médium ? Tes capacités sont certes fascinantes, mais elles ne te serviront à rien face à moi.
Jimmy s’assit sur une vieille chaise et jeta un coup d’œil aux autres. Ils étaient immobilisés, mais semblaient conscients. Il reporta son attention sur le docteur.
-J’ai quelque chose à vous proposer.
Le docteur le dévisagea, surpris, puis éclata d’un rire dément. Il se moqua de lui pendant de longues minutes, puis se calma et le fixa.
-Une proposition ? Et qu’as-tu à m’offrir qui pourrait me faire renoncer à mes plans ?
Jimmy sourit tristement à Michaël, puis regarda le médecin dans les yeux.
-Je veux vous parler d’un échange. Moi contre Michaël et sa famille. Le docteur le scruta avec malice et réfléchit.
-Qu’as-tu donc de plus que ce jeune garçon ? Il est le réceptacle idéal pour mon esprit. Pourquoi devrais-je te choisir toi ?
Billy, qui entendait tout, se mit à se débattre de nouveau. Mais Jimmy savait ce qu’il faisait. Il s’approcha du médecin et commença à plaider sa cause.
-Il est vrai que ce jeune homme a une âme pure et innocente. Mais son âge est un handicap. Il n’a que dix-sept ans. Cela ne pose pas de problème pour la réincarnation, mais qu’en est-il de la suite? Comment un adolescent pourrait-il s’échapper et recommencer une nouvelle vie sans être traqué par la police ? Son père a signalé sa disparition. Même si les autorités ne croiront jamais à une histoire de possession ou de réincarnation, vous serez vite rattrapé et enfermé dans ce corps, isolé dans un asile. Et vous savez mieux que quiconque comment on y vit, n’est-ce pas ? De plus, vous n’aurez pas d’argent. Et même si vos connaissances en médecine sont remarquables, vous devrez refaire vos études avant de pouvoir exercer à nouveau. Sans compter le père Rosso qui connaît bien la famille et qui pourrait vous causer des ennuis s’il se mettait à leur recherche.
Le docteur écoutait Jimmy avec attention. Il pesait le pour et le contre. Jimmy continua.
-Avec moi, vous auriez plus de facilité pour recommencer une nouvelle vie. Je n’ai que vingt-huit ans, ce qui n’est pas si vieux. Et je suis un médium renommé qui a une certaine notoriété. Je mène une vie confortable. Je suis également diplômé en médecine. Je suis prêt à vous laisser prendre possession de mon corps si vous libérez toutes les personnes qui sont ici ainsi que les âmes que vous avez piégées dans cet autre monde. Laissez ces âmes reposer en paix et laissez les autres reprendre leur vie et je vous suivrai sans résistance.
Le docteur hésitait. Il avait été tellement obsédé par sa renaissance qu’il n’avait pas pensé à sa vie future. Le petit médium avait des arguments convaincants. Il y eut un silence qui sembla durer une éternité, puis le docteur se décida et se dirigea vers le miroir, suivi de Jimmy. Celui-ci jeta un dernier regard à son frère.
-Adieu Billy. Je t’aime grand frère.
Billy sentit les larmes lui monter aux yeux en voyant Jimmy et le docteur franchir le miroir. Il voulut crier, les retenir, mais il ne pouvait pas bouger. Il assista, impuissant, à la disparition de son frère dans l’autre monde.
Chapitre 12
Jimmy était resté auprès de Philippe qui surveillait la progression de Mark, Jean et Billy à travers la caméra du sous-sol. L’image était brouillée, mais le son était clair. Ils virent le trio avancer vers le fond de la pièce et découvrir ce qui se cachait derrière le rideau en même temps qu’eux. Jimmy fut saisi par la vue du miroir. Même à travers l’écran, il sentait son pouvoir d’attraction. Il comprit alors que ce miroir était le passage vers le monde parallèle que le docteur s’était créé. Il réfléchit vite. Il n’était pas un spécialiste du vaudou, mais il connaissait les principes des portails. Si la sortie était dans la chambre des jumeaux, l’entrée devait être dans la cave. Il appela le Père Rosso. Celui-ci répondit aussitôt.
-Jimmy ? Quoi de neuf ? Avez-vous retrouvé Michaël ?
Jimmy trépignait d’impatience.
-Mon Père, je n’ai pas le temps de tout vous expliquer. C’est la folie ici. Mais j’ai besoin de vous demander un service. Ne me posez pas de questions, le temps presse. Pouvez-vous venir tout de suite ? J’ai besoin de vous pour sceller le portail de la chambre de Michaël. Je suis sûr que vous savez faire ça.
Le Père Rosso hésita un instant. Il réfléchit quelques secondes.
-Je pense pouvoir le faire, mais qu’en est-il des âmes prisonnières de l’autre côté ? Nous ne pouvons pas les abandonner ! Elles doivent continuer leur chemin !
Jimmy soupira.
-Ne vous inquiétez pas, mon Père. J’ai un plan et je pense qu’il a des chances de marcher. Mais dépêchez-vous, s’il vous plaît.
Sur ce, Jimmy raccrocha. Il croisa les regards d’Antoine et de Philippe qui le questionnaient du regard et se rapprocha d’eux.
-Tu as vraiment un plan ou tu improvises ? lui demanda Antoine.
Jimmy lui sourit.
-Un peu des deux. J’espère ne pas me tromper. Mais je vais avoir besoin de votre aide à tous les deux aussi.
Il leur exposa son idée. À en juger par leur expression, Jimmy vit qu’ils n’étaient pas du tout emballés par son idée.
-Tu ne peux pas faire ça, Jimmy. C’est trop dangereux ! Et Billy, tu y as pensé ?
Philippe regarda Jimmy avec tristesse. C’est vrai que ce n’était pas le meilleur plan du monde, mais il ne voyait pas d’autre solution. Il fallait qu’il tente le coup. Voyant que Jimmy était déterminé, Antoine et Philippe se résignèrent.
-Promets-nous de ne rien faire avant qu’on te donne le feu vert. Il faut respecter le timing à la lettre.
Découragés, les deux hommes lui firent la promesse demandée.
-Billy ne nous le pardonnera jamais ! dit Philippe d’un air désolé.
Jimmy posa la main sur l’épaule de son ami. Il était désolé de leur imposer ça, mais la situation l’exigeait. Il n’y avait pas d’autre issue possible.
–Ne t’en fais pas, Philippe. Billy comprendra que c’était la seule façon de faire. Et puis, c’est moi qui vous ai obligés à faire ça. Vous n’êtes pas responsables.
Philippe secoua la tête et baissa les épaules.
-OK, Jimmy. On fera comme tu dis.
Jimmy leur sourit et leur expliqua les différentes étapes de son plan. Il venait juste de finir quand le Père Rosso arriva. Il portait sa tenue de cérémonie et avait apporté tout le matériel que l’Évêque lui avait confié.
Sans perdre de temps, Jimmy lui demanda de monter à l’étage et de sceller le portail du placard. Le Père Rosso observa un moment ce jeune homme. Il ne savait pas pourquoi, mais il avait l’impression que c’était la dernière fois qu’ils se voyaient. Jimmy sentit l’angoisse du prêtre et lui fit un faible sourire.
– Ne vous en faites pas, mon Père. Tout ira bien. Scellez cette porte puis, quand Philippe et Antoine vous le diront, descendez à la cave et suivez leurs instructions.
Le prêtre accepta de monter à l’étage pour tenter de purifier la chambre. Il sentit une différence dans l’atmosphère, moins oppressante qu’avant, mais toujours inquiétante. Le portail qui s’ouvrait dans le placard semblait moins actif, moins menaçant. Il espéra que c’était bon signe.
Il déposa son matériel sur le bureau de l’adolescent et commença le rituel. Il récita des prières de libération pour Antonio et ses fils, prisonniers de ce lieu maudit. Il vit des boules de lumière se détacher du portail et se diriger vers la fenêtre, comme si elles cherchaient à s’échapper. Il pria encore plus fort, demandant à Dieu de refermer cette brèche infernale. Il s’approcha prudemment du placard et constata avec soulagement qu’il n’y avait plus rien d’anormal. Plus aucune vibration, plus aucune présence.
Il aspergea le cagibi d’eau bénite et y fixa un crucifix. Les boules de lumière avaient disparu. Le prêtre espéra que les âmes d’Antonio et des jumeaux avaient trouvé la paix. Il redescendit rejoindre les deux techniciens au moment où Jimmy et le sosie de Michaël franchissaient le miroir. Le Père Rosso n’en crut pas ses yeux. Quelle sorcellerie était-ce là ? Comment cela pouvait-il être possible ? Il se tourna vers les techniciens et Antoine lui expliqua ce qu’ils avaient découvert sur l’entité. Le Père écoutait avec attention.
-Donc, vous me dites que ce n’est pas un démon? Que cette chose que nous affrontons depuis si longtemps n’est que le fantôme d’un homme ?
Philippe intervint à son tour.
-Pas n’importe quel homme, mon Père. Un homme qui pratiquait la magie vaudou. Je sais que l’Église ne croit pas en ces choses-là et les considère comme des impostures, mais après tout ce que nous avons vu, je pense que vous devriez revoir votre jugement. Cet homme avait des dons particuliers depuis son enfance et la gouvernante haïtienne les a transformés en quelque chose de très noir. Quand on fait le bilan de tous les événements depuis l’arrestation du docteur, on ne peut que constater qu’on est dans le domaine du surnaturel. Sinon, comment expliquer qu’il ait pu s’évader d’un véhicule blindé sans l’aide de ses gardiens ? Comment a-t-il pu survivre sans son corps physique ? C’est de la magie noire, mon Père. Mais vous pouvez quand même nous aider.
Le Père Rosso le regarda avec étonnement.
-Vous aider ? Mais comment ? Je ne suis pas un sorcier !
Philippe s’assit à côté du Père et lui exposa le plan de Jimmy. Plus il parlait, plus il voyait que le Père Rosso était réticent à cette idée.
-N’y a-t-il pas une autre solution ? C’est du suicide !
Antoine se leva et s’approcha du Père Rosso.
-Je sais, mon Père. Nous sommes du même avis. Mais c’est la dernière volonté de Jimmy et nous avons accepté. Il est trop tard pour reculer maintenant. Jimmy a traversé le miroir. Nous devons attendre son signal et ensuite nous irons à la cave et nous ferons ce qu’il nous a demandé.
Le prêtre semblait déchiré intérieurement. Les deux techniciens lui laissèrent le temps de réfléchir. Le Père Rosso les regarda d’un air désolé puis finit par s’asseoir en soupirant, l’air résigné.
-S’il n’y a pas d’autre solution, je vous suivrai donc.
Antoine et Philippe le remercièrent et se remirent devant les écrans, attendant le signe de Jimmy. Rien n’avait changé dans la cave. Sylvia gisait toujours sur la table d’autopsie, Jean était pétrifié comme une statue de pierre et Mark et Billy étaient enchaînés au mur. Le miroir scintillait, attendant le retour de Jimmy et de son double maléfique. Les deux hommes faisaient les cents pas, impatients et angoissés.
A l’hôpital, Andréa était plongée dans le coma. L’infirmière qui veillait sur elle vérifiait ses constantes. Elle regarda les derniers scanners et vit la tumeur qui dévorait la moitié de son cerveau. Pauvre femme. C’était un miracle qu’elle soit encore en vie. En consultant son dossier médical, l’infirmière apprit qu’Andréa vivait avec cette tumeur depuis cinq ans. Une tumeur inopérable, incurable. Elle avait refusé la chimiothérapie, craignant de perdre son don de médium. Elle avait gardé son secret pour elle et avait continué à aider Billy dans ses enquêtes paranormales. Elle et Billy s’étaient rencontrés sur un cas de possession qui avait coûté la vie à la victime. Un lien unique les avait unis. Ils étaient restés en contact depuis. L’infirmière soupira et reposa les documents. Il n’y avait plus rien à faire pour cette femme. Elle allait sortir de la chambre quand elle entendit Andréa murmurer quelque chose. Elle se rapprocha et eut l’impression qu’elle parlait avec quelqu’un. Elle doit rêver, se dit l’infirmière. Elle écouta encore un moment et crut distinguer un prénom. Jimmy. Puis le silence revint. L’infirmière regarda Andréa encore un instant puis quitta la chambre.
Andréa voyait tout ce qui se passait autour d’elle. Elle voyait son corps décharné, allongé sur le lit d’hôpital, relié à des machines qui la maintenaient artificiellement en vie. Elle voyait le respirateur qui gonflait et dégonflait ses poumons, l’électroencéphalogramme qui mesurait son activité cérébrale. Elle sentait que la fin était proche. Elle l’avait acceptée. Mais elle ne pouvait pas y penser maintenant. Quand elle avait décidé de suivre Billy, elle savait que ce serait sa dernière mission. Elle savait qu’elle devait aider cette famille. Elle se regarda une dernière fois puis se tourna vers la porte de la chambre et se retrouva dans un couloir sombre. Elle ferma les yeux et se concentra, laissant ses pensées la guider vers la maison des Blanchart. Elle sentit une force l’attirer à une vitesse vertigineuse, comme si elle était aspirée par un aimant. Quand elle ouvrit les yeux, elle était dans la maison des Blanchart. Elle vit le prêtre et les deux techniciens assis dans le salon, hypnotisés par les écrans. Elle chercha Billy et le localisa au sous-sol. Elle ressentit sa détresse et sa colère. Elle sentit aussi d’autres présences avec lui.
Elle descendit prudemment les marches et découvrit la scène qui se jouait sous ses yeux. Billy et Mark étaient prisonniers des chaînes, Jean était immobilisé par une force invisible, Sylvia était clouée à la table de métal. Andréa s’approcha de Billy et il sembla percevoir sa présence.
-Andréa ? C’est toi ? dit-il d’une voix tremblante.
Andréa effleura la joue de Billy et il sentit une vague de chaleur l’envahir. C’était bien elle. Il tenta de lui transmettre ses pensées pour la mettre en garde, mais Andréa semblait déjà attirée par le miroir. Elle lui souffla un faible adieu, déposa un baiser sur sa joue et disparut dans le miroir.
De l’autre côté, Jimmy et le docteur se tenaient devant un autel semblable à celui de la cave des Lambert. Michaël était assis par terre, recroquevillé sur lui-même. Il se sentait faible et terrifié. Il voyait son corps possédé par cette entité et il avait l’impression d’avoir été violé. Même s’il récupérait son corps, il ne se supporterait plus. Il se sentait souillé pour toujours. Le docteur s’affairait à préparer le rituel de transfert. Jimmy le regardait avec curiosité. Il ignorait tout des pratiques de la magie et il était attentif. Le docteur devina son intérêt et se mit à lui expliquer les différentes étapes qui permettraient à Michaël de retrouver son corps et au docteur de prendre celui de Jimmy. Malgré l’horreur de la situation, le docteur trouvait que Jimmy était étrangement calme, comme résigné. Mais il ne s’en inquiétait pas. Ce monde était le sien. Il l’avait créé avec son esprit et il y avait tout pouvoir. Il avait remarqué que les âmes du vieil homme et de ses fils avaient disparu, mais il s’en fichait à présent. Il avait tout ce qu’il lui fallait. Il continua donc à mélanger ses potions, tout en discutant avec Jimmy. Il y avait longtemps qu’il n’avait plus parlé avec personne. Pas depuis que sa gouvernante avait été chassée de Belgique. C’était agréable.
Un peu distrait, il ne vit pas la silhouette translucide d’Andréa émerger du miroir. Michaël, toujours blotti dans un coin, observait les deux hommes discuter comme de vieux amis. Il ne savait pas ce que Jimmy mijotait, mais il préférait rester loin du médecin. Cet homme émanait une telle noirceur que Michaël en avait la nausée. Soudain, il sentit une présence et une chaleur l’envelopper. Quand il leva les yeux, il vit Andréa. Elle n’avait pas l’air réelle, pourtant il pouvait sentir sa compassion et sa force l’aider à reprendre courage. Elle posa un doigt sur ses lèvres pour lui faire signe de se taire et le garçon acquiesça. Andréa se glissa discrètement vers les deux hommes. Jimmy la remarqua mais ne laissa rien paraître. Elle en profita pour lui parler par télépathie, sans que le docteur ne s’en aperçoive. Jimmy entendait parfaitement sa voix dans sa tête. Elle lui expliqua son plan pendant quelques minutes puis se fit plus discrète.
Heureusement, car le docteur se tourna vers Michaël.
-C’est l’heure, mon cher. Je vais te rendre ton corps et tu pourras retrouver ta famille. Tu es content, n’est-ce pas ?
Michaël se redressa mais ne dit rien. Il regarda Jimmy et celui-ci lui fit signe d’approcher. Le docteur enduisit son corps d’une huile visqueuse et fit de même sur le jeune homme. Il traça des symboles étranges sur le torse de Michaël. Puis, il se mit à psalmodier une langue inconnue et Michaël se sentit aspiré par son propre corps. Tout devint noir un instant puis, quand Michaël rouvrit les yeux, il vit son reflet dans le miroir. Il avait retrouvé son apparence.
Le docteur était à côté de lui mais il avait une apparence translucide. Cependant, il dégageait une puissance phénoménale. Une sorte de brouillard noir et épais l’enveloppait. L’air de la pièce devint irrespirable. Une odeur de putréfaction envahit les lieux. Jimmy observait aussi le médecin avec une certaine terreur mais resta immobile. Il se tourna vers Michaël et lui montra le miroir du doigt. Michaël regarda le médecin. Le visage de l’homme changeait sans cesse, passant d’une apparence humaine à une allure de démon. Mais le pire était les visages de nombreux jeunes garçons qui apparaissaient sur le torse de la créature. Chaque visage exprimait une horreur sans nom. Michaël était fasciné par cette vision cauchemardesque.
-Tu peux partir, jeune homme, lui dit la créature. Je n’ai plus besoin de toi.
Michaël leva les yeux vers le sourire cruel de la créature et celle-ci lui fit signe de se dépêcher avant qu’elle ne change d’avis. Michaël recula lentement vers le miroir et, avant de le franchir, se tourna vers Jimmy. Il voulait lui dire tant de choses ! Mais Jimmy secoua la tête.
-Vas-y Michaël. Je sais ce que tu veux me dire et je te remercie pour tout. Mais une promesse est une promesse. Tu es libre. Va rejoindre ta famille. Tout sera bientôt fini.
Michaël ne dit rien mais les larmes coulèrent sur ses joues. Il regarda une dernière fois Jimmy puis traversa le miroir, dans un éclair de lumière bleue, qui le ramena dans la cave familiale. Il tomba lourdement sur le sol et perdit le souffle. Il essaya de se relever. Quand ses yeux s’habituèrent à l’obscurité, il vit sa mère sur la table en acier et son père à côté d’elle. Il les toucha et, comme par magie, ses parents furent libérés du sortilège. Sa mère se redressa et le serra dans ses bras en pleurant. Son père s’approcha avec prudence, scrutant son fils dans les yeux, et fut soulagé de reconnaître Michaël.
Billy et Mark étaient enfin libres de leurs liens, grâce à l’aide du prêtre et des deux techniciens qui venaient de les rejoindre. Billy se précipita vers le miroir, espérant retrouver son frère de l’autre côté. Mais il se heurta à une barrière invisible qui l’empêchait de passer. Il appela Jimmy à plusieurs reprises, mais aucun son ne lui parvint. Il essaya de forcer le passage, de se glisser entre les mailles du miroir, mais rien n’y fit. Il finit par s’asseoir, découragé, et attendit. Peut-être qu’en se concentrant, il pourrait entrer en contact avec Jimmy. Mais le miroir restait muet. Il se releva et commença à arpenter la pièce, anxieux. Il se tourna vers Michaël, qui semblait être le seul à savoir ce qui se passait de l’autre côté. Mais le jeune homme était comme pétrifié, tremblant et agrippé aux bras de sa mère. De l’autre côté, le docteur s’avança vers Jimmy. Il avait pris une forme monstrueuse, avec des visages hurlants qui surgissaient de son torse. Jimmy était terrifié par cette vision cauchemardesque.
-C’est le moment, très cher, murmura le docteur. Le moment de ma renaissance. Jimmy ne dit rien. Il n’avait plus la force de fuir.
-Je dois admettre que je vous admire, lui dit le docteur. Vous êtes prêt à vous sacrifier pour sauver ce jeune homme. C’est un acte noble et admirable. Même si je n’en saisis pas les motivations. Mais cela n’a pas d’importance, n’est-ce pas ?
Jimmy fixait le médecin avec mépris. Sans Michaël à ses côtés, il n’avait plus aucune raison de cacher son aversion pour cet être abject.
-Vous n’êtes qu’un monstre sans âme, lui cracha-t-il. Le sacrifice ne signifie rien pour vous. Vous n’avez que faire de la vie des innocents que vous utilisez pour vos expériences atroces. Vous me répugnez.
Le docteur leva les yeux vers Jimmy, surpris, puis se mit à rire aux éclats, comme si Jimmy venait de lui faire une bonne blague. Il reprit son sérieux et, sans un mot, enduisit Jimmy d’une substance nauséabonde. Jimmy sentit que sa fin approchait. Il pria silencieusement pour que tout soit rapide et indolore. Il frissonna au contact des doigts glacés de la créature sur sa peau. Mais alors que le docteur commençait à psalmodier, une lumière éblouissante jaillit. Elle s’approcha lentement du docteur par derrière et l’enveloppa comme un linceul. Une fine couche blanche semblait se coller à son corps.
-Que se passe-t-il ? hurla le docteur. Quelle est cette sorcellerie ?
Il tourna son regard furieux vers Jimmy et son visage se déforma en une expression féroce et effrayante.
-Qu’as-tu fait, misérable ver de terre ?
Jimmy resta bouche bée. Il ignorait ce qui se passait. La couche blanche montait progressivement sur les membres de la créature.
Le docteur se débattait de toutes ses forces pour se libérer de cette membrane qui l’emprisonnait comme un cocon. Il essayait de la déchirer mais ses doigts la traversaient. Jimmy était fasciné par ce qu’il voyait. La membrane semblait partir de ses pieds et remonter le long de son corps. Elle avait déjà recouvert ses jambes, son ventre, sa poitrine. Le docteur hurlait de rage et de désespoir.
-Sale petit médium ! cracha-t-il à l’adresse de Jimmy. Quel est ton tour de passe-passe ? Tu crois que tu vas me tuer et t’échapper ? Tu te trompes ! Si je meurs, tu resteras prisonnier ici à jamais !
Jimmy était pétrifié. Il ne savait pas d’où venait cette chose qui attaquait le docteur. Il n’avait rien fait pour la provoquer. Quand la membrane atteignit le cou du docteur, Jimmy vit avec stupeur le visage d’Andréa apparaître à travers la substance gluante. Elle avait l’air de souffrir atrocement. Elle regarda Jimmy avec un mélange de tristesse et de détermination. Elle lui parla d’une voix faible :
-Fuis, Jimmy ! Fuis tant qu’il est temps ! Je ne peux pas le retenir longtemps ! Cours vers le miroir !
Jimmy hésita. Il ne voulait pas abandonner Andréa. Mais elle lui dit encore :
-Fuis, Jimmy ! C’est trop tard pour moi ! Fuis et sauve-toi !
Jimmy vit le docteur se transformer à nouveau en monstre. Il comprit que la résistance d’Andréa faiblissait. Le cocon se craquelait de partout, laissant apparaître les griffes, les crocs, les yeux rouges du monstre. La lumière d’Andréa était presque éteinte, engloutie par les ténèbres. Il n’y avait plus rien à faire pour la sauver.
Jimmy se précipita vers le portail, le cœur serré. Il jeta un dernier regard vers le monstre qui se libérait de sa prison. Il vit son regard de haine se poser sur lui. Il entendit son rire dément résonner dans la pièce. Il sauta dans le portail sans réfléchir. Le miroir devint transparent et Jimmy tomba aux pieds de son frère. Billy n’eut pas le temps de dire un mot qu’Antoine et Philippe attrapèrent Jimmy et l’éloignèrent du portail. Jimmy se mit à crier :
-Dépêchez-vous ! Cassez-le ! Cassez-le !
Les deux hommes saisirent des barres de fer qui traînaient sur le sol et frappèrent le miroir de toutes leurs forces. Le miroir se fissura en plusieurs endroits et, avant de se briser complètement, ils entendirent tous les hurlements de colère du monstre qui était resté de l’autre côté. Puis, il y eut une explosion. Des éclats de verre volèrent dans tous les sens. Ils se protégèrent le visage avec leurs bras. Quand le calme revint, Billy se précipita vers Jimmy, le releva et le prit dans ses bras.
Le prêtre s’approcha du miroir brisé et le bénit avec de l’eau sainte tout en récitant une prière de protection. Quand il eut fini, il poussa un soupir de soulagement. C’était fini. Enfin ! Ils avaient vaincu cette horreur. Le groupe se rassembla et le prêtre leur demanda de former un cercle en se tenant par la main.
-Il nous reste une dernière chose à faire, leur dit-il. Nous allons prier pour la libération des âmes qui ont été captives de cette créature maléfique pendant si longtemps.
Ils se prirent tous par la main et le prêtre commença sa prière. Des petites sphères de lumière apparurent dans l’air. Il y en avait une trentaine. Elles scintillèrent un instant, puis s’envolèrent vers le plafond de la cave. Elles étaient libérées. Il n’en resta que trois. Elles prirent brièvement une forme humaine et Sylvia éclata en sanglots. C’était son père et ses frères. Ils s’approchèrent d’elle, lui touchèrent l’épaule avec tendresse, puis disparurent à leur tour. Ils étaient en paix. La prière se termina et ils remontèrent tous à l’étage.
Jean arracha le crucifix de la main du prêtre et le cloua sur la porte de la cave. Mark le regarda avec étonnement.
-On n’est jamais trop prudent, dit Jean avec un sourire forcé.
Mark haussa les épaules et ne dit rien. Michaël resta un moment dans le couloir et observa les lieux. L’endroit semblait plus clair et plus serein. Il n’y avait plus aucune trace de malveillance. Pourtant, il avait du mal à réaliser qu’il avait réussi à vaincre le monstre. Il se sentait encore faible et nauséeux. Il rejoignit les autres. Et c’est ainsi que la vie reprit son cours normal. Le monstre avait été vaincu et la famille retrouva peu à peu son équilibre.
Billy et Jimmy se rendirent à l’hôpital où ils apprirent la mort d’Andréa. Ils organisèrent les funérailles, la pauvre femme n’ayant plus de proches. Michaël et ses parents y assistèrent. Le prêtre Rosso, qui avait pratiqué l’exorcisme, rentra chez lui et rédigea un rapport détaillé des événements pour l’évêque. Il lui annonça également sa décision de quitter son poste de curé de la paroisse. Après tout ce qu’il avait vécu, il se sentait trop vieux pour affronter les forces du mal. Ce qu’il ne dit pas, c’est qu’il faisait des cauchemars horribles où il entendait encore les cris du démon qu’il avait combattu. Il se retira dans un monastère où il finit ses jours dans une relative tranquillité. Mais il ne put jamais oublier l’histoire de la famille Giorno.
Billy et Jimmy rentrèrent chez eux. Billy, avec l’accord de Sylvia et Jean, écrivit un livre sur les événements qu’ils avaient vécus, en changeant les noms pour des raisons évidentes. Il remporta le prix du meilleur roman d’horreur de l’année. Jimmy rejoignit une association qui luttait contre la cruauté envers les animaux. Il ne se servit plus de son don pendant longtemps. Il avait confié à Billy ce qu’il avait vu dans le portail : l’apparition d’Andréa et le cocon qu’elle avait formé autour du docteur. Cela l’avait profondément bouleversé. Billy avait fait des recherches approfondies sur ce phénomène, mais il n’avait jamais trouvé d’explication satisfaisante. Il ne savait pas non plus si Andréa était déjà morte quand elle s’était attaquée au docteur, ou si son corps était encore vivant. Il se demandait ce qu’était devenue son âme.
Était-elle coincée dans ce monde parallèle, s’il existait encore, ou avait-elle été libérée avec les autres victimes ? Toutes ces questions le tourmentaient et l’empêchaient de trouver le sommeil les nuits d’hiver où le temps semblait suspendu et que la lumière blafarde du matin n’arrivait pas à réchauffer la journée qui commençait.
Un mois après les événements, les parents de Michaël décidèrent de déménager et mirent la maison en vente. Malgré que la maison soit libérée de l’entité, les mauvais souvenirs qui la hantaient les empêchaient de s’y sentir bien. Ils trouvèrent un bel appartement à quelques rues de là et y emménagèrent. Michaël reprit les cours et recommença à voir ses amis. Ils ne lui posèrent jamais de questions sur ce qu’il s’était passé et Michaël n’en parla jamais non plus. Ils vécurent ainsi relativement heureux pendant près de dix ans. Son père avait retrouvé du travail dans une banque et sa mère s’était remise à peindre des tableaux.
Michaël termina ses études secondaires et entama des études de médecine. Il n’avait pas prévu de se lancer dans cette voie, mais quelque chose au fond de lui le poussait à étudier l’anatomie humaine. Il pensait que c’était à cause du traumatisme qu’il avait subi en voyant sa mère possédée. Il voulait être capable de l’aider si elle tombait malade. Il ne supportait pas l’idée d’être impuissant face à la souffrance. Il poursuivit ses études et rendit souvent visite à ses parents.
Sa mère était toujours ravie de le voir, mais Michaël remarqua que son père avait toujours l’air inquiet quand il venait chez eux. Quand Michaël lui demandait ce qui n’allait pas, Jean lui répondait qu’il lui fallait du temps pour oublier leur cauchemar. Il savait que son fils n’était pas coupable des malheurs qu’ils avaient subis, mais il n’arrivait pas à effacer de sa mémoire la voix du docteur sortant de la bouche de son propre fils.
Mais Michaël ne s’en faisait pas trop. Il était sûr qu’avec le temps, son père finirait par tourner la page et que la vie reprendrait ses droits. Pas comme avant, bien sûr, mais avec plus d’optimisme. Car si après tout ce qu’ils avaient traversé, leur famille n’était pas plus forte, alors à quoi servaient les épreuves ? C’est sur ces pensées apaisantes que Michaël s’endormit.
Mais il ne savait pas que son sommeil serait troublé par un rêve étrange. Il se revoyait dans la cave, face au portail. Le miroir était intact et il reflétait une image déformée de lui-même. Il entendit une voix familière lui parler :
-Michaël… Michaël… C’était la voix d’Andréa.
Elle semblait lointaine et faible, mais il la reconnaissait sans peine.
-Andréa ? dit-il, surpris. Où es-tu ? Que veux-tu?
-Michaël… Michaël… Aide-moi… Aide-moi…
Elle répétait ces mots comme un appel désespéré. Michaël sentit son cœur se serrer. Il voulait aider Andréa, mais il ne savait pas comment. Il s’approcha du portail, comme attiré par la voix. Il tendit la main vers le miroir, comme pour le toucher.
Mais avant qu’il n’atteigne la surface, il entendit un autre rire. Un rire qu’il connaissait trop bien. Un rire qui lui glaça le sang. C’était le rire du docteur. Il vit son visage apparaître dans le miroir, à côté de celui d’Andréa. Il avait l’air triomphant et cruel. Il dit à Michaël :
-Tu croyais m’avoir vaincu, n’est-ce pas ? Tu te trompes, Michaël. Je suis toujours là. Et je reviendrai te chercher. Toi et ta famille. Vous ne serez jamais tranquilles. Jamais !
Michaël recula, terrifié. Il voulut crier, mais aucun son ne sortit de sa bouche. Il se réveilla en sursaut, trempé de sueur. Il regarda autour de lui, cherchant à se rassurer. Il était dans sa chambre, dans son lit.
Ce n’était qu’un cauchemar. Rien de plus. Il se leva et alla boire un verre d’eau. Il essaya de se calmer et de se convaincre que tout allait bien. Ils avaient vaincu ce monstre.
Il regagna son lit et s’endormit aussitôt. Par l’entrebâillement de la porte de la salle de bain, le miroir se mit à luire d’une lueur bleutée. Un rire sardonique résonna, puis plus rien. fer
La prison de verre
Derrière le miroir
Tome 1
Chapitre 1
Les monstres n’existent pas.
Du moins, c’est ce que j’avais toujours cru jusque-là. Mais avant de vous conter mon histoire, je dois vous expliquer le contexte dans lequel ma famille est passée d’une charmante bourgade du nom de Bruz en France à une misérable et terrifiante maison de coron située dans un petit village de Belgique. Je m’appelle Michaël Blanchart et, à l’époque, j’étais un adolescent de dix-sept ans passionné d’histoire. J’adorais lire des romans historiques mais j’étais également passionné par le paranormal. Bizarre ? Peut-être, mais j’étais fait ainsi. J’étais aussi très introverti, ce qui n’était pas pratique pour se faire des amis, je l’avoue. Du haut de mon mètre quatre-vingts, j’avais tendance à intimider mes camarades, mais cette impression ne durait pas dès qu’ils se rendaient compte de ma timidité maladive. Le nez toujours dans mes bouquins, je m’étais donc forgé la réputation d’un géant solitaire. Un géant affublé d’une longue chevelure noire, d’un nez aquilin et des yeux bleu azur. Avant de quitter Bruz, j’étais inscrit dans une école catholique privée du nom de Providence. Mon père, Jean Blanchart, Français de naissance, travaillait au Crédit Agricole de Bruz. Il adorait son travail. Malheureusement, m’avait-il expliqué un soir, quand vous êtes performant, et mon père l’était, vous avez des problèmes avec ceux qui veulent en faire le moins possible et vous finissez par les gêner. Dix années ont suffi à mon père pour comprendre que seuls les « piranhas », comme il les appelait, s’en sortaient. Bien que la banque ait mis toute une politique en place pour le bien-être au travail, le bureau des ressources humaines était bien trop éloigné du terrain pour défendre efficacement ceux qui mettaient toute leur énergie et leur temps au service du client. Ainsi, après une décennie d’heures supplémentaires, de pressions quotidiennes et d’exigences de plus en plus sollicitées, mon père avait fini par craquer. Il était rentré un soir, la mine sombre et les yeux rougis, et avait annoncé à ma mère qu’il allait démissionner. Il avait l’air si vieux, si fragile que j’en ai eu le cœur serré. A quarante-deux ans, ses tempes étaient déjà grisonnantes et il paraissait usé. Lui qui avait toujours été d’une nature enjouée, qui aimait rire et était d’un naturel optimiste m’a paru ce soir-là comme éteint. Je me souviens l’avoir vu s’asseoir en silence à la table de la cuisine, mettre son visage dans ses mains et fondre en larmes.
De toute ma vie, je ne l’avais jamais vu dans cet état. Mais il est vrai que quand on est jeune, on ne remarque pas toujours quand une personne va mal. Et comme mon père était toujours de bonne humeur quand il rentrait du travail, je ne m’étais jamais demandé si tout allait bien pour lui en général. J’étais dans le salon en train de faire mes devoirs et je voyais donc la cuisine. Ma mère, qui était en train de préparer le dîner, n’avait pas répondu mais s’était avancée vers mon père et l’avait serré dans ses bras. Il avait l’air si désemparé que j’allais me lever pour le rejoindre mais je vis ma mère secouer la tête, m’intimant de rester à ma place. Tout en caressant doucement ses cheveux, elle le laissa s’épancher dans ses bras et quand ses sanglots se transformèrent en simples reniflements, elle lui donna un mouchoir et le rassura en lui promettant que tout allait s’arranger. Ils trouveraient une solution ensemble, comme ils l’avaient toujours fait. Elle était ainsi, ma mère. Toujours positive, toujours aimante, toujours disponible. Italienne de naissance, ma mère Sylvia Giorno était femme au foyer depuis ma venue au monde. Avant de rencontrer mon père, elle vivait en Belgique, dans un village appelé Péronnes Charbonnage. Elle venait d’une famille nombreuse d’immigrés italiens qui avaient travaillé dans les mines de charbon. Heureusement, c’était bien après l’horrible accident du Bois du Cazier, où plus de deux cent trente mineurs avaient péri dans un incendie souterrain. Son père et sa mère avaient mis tout en œuvre pour scolariser leurs quatre enfants, et quand ma mère eut terminé ses études secondaires, elle décida de s’inscrire aux Beaux-arts de Paris et quitta donc son pays natal pour suivre ses cours, logeant dans un petit appartement partagé avec d’autres étudiants. C’est là qu’elle le rencontra. Il faisait un Master en sciences juridiques et financières. Ils eurent le coup de foudre immédiat. Oui, c’est un peu fleur bleue, mais c’est ainsi que mes parents m’ont toujours raconté leur rencontre. Et quand je les revois dans mes souvenirs, après tant d’années de mariage, je me dis qu’ils avaient raison. Que c’était ça le grand amour. Quand mon père fut enfin calmé, il sembla remarquer ma présence et se força à sourire en me demandant : -Alors, comment tu vas champion ? Comme d’habitude, il essayait de me rassurer. Je me levais et allais l’embrasser. Nous avions une très belle relation, lui et moi. Je lui répondis que tout allait bien et lui retournais la question. Il devait voir l’inquiétude sur mon visage car il se leva et me serra dans ses bras en m’assurant qu’il était simplement fatigué. Une voix se fit entendre à l’autre bout de la maison. Ma mère se dirigea vers la chambre d’amis où se trouvait mon grand-père Antonio, que j’appelais Nonno. Mon grand-père vivait avec nous depuis le décès de sa femme, il y a de cela plus de vingt ans. Je n’ai pas eu la chance de la connaître mais mon Nonno m’en avait si souvent parlé que je me sentais proche d’elle sans l’avoir jamais vu.
D’après ce que ma mère m’avait raconté, sa mère Giulia était partie au marché et sur le chemin du retour, elle avait été percutée par un chauffard qui était sous l’emprise de l’alcool. Le choc l’avait tuée sur le coup. Mon grand-père ne s’en était jamais remis. Et quand il tomba malade, ma mère décida de mettre sa petite maison de coron en location et installa son père chez nous. Je me dirigeais également vers la chambre et vis que mon grand-père était assis dans son fauteuil et regardait ma mère d’un air interrogateur. Il avait dû entendre mon père pleurer et semblait inquiet. Ma mère le rassura et lui demanda s’il voulait se joindre à nous pour le dîner, ce qu’il accepta avec joie. Quand il était dans une de ses bonnes journées, comme il les appelait, il aimait partager notre compagnie autour d’un bon plat et nos conversations étaient assez animées. Lui aussi était un féru d’histoires et il n’était pas rare que je passe la soirée entière à discuter avec lui de tout et de rien mais surtout des sujets qui me passionnaient. Quand il rejoignit la cuisine avec ma mère, mon père se leva instantanément et lui avança une chaise pour qu’il s’y installe. J’aimais voir mon grand-père sourire. C’était plutôt rare à cette époque, son emphysème pulmonaire s’étant aggravé avec les années. Mais malgré ses souffrances, il était solide. Jamais il ne se plaignait et surtout il nous aimait. Rien ne lui faisait plus plaisir que de passer du temps avec nous. Il considérait mon père comme son propre fils et était toujours à l’écoute quand mon père lui demandait conseil. Ce soir-là, nous dînâmes dans la bonne humeur et le repas terminé, ma mère me demanda d’aller finir mes devoirs dans ma chambre. Je me doutais que mes parents voulaient parler de la situation avec mon grand-père donc je pris mon sac de cours, embrassai ma petite famille et montai dans ma chambre. Je laissai néanmoins ma porte entr’ouverte dans l’espoir de capter quelques bribes de la conversation mais ma mère dut se douter de mon stratagème car elle avait refermé la porte menant au salon. Je m’installai donc à mon bureau et entrepris de me concentrer sur mon devoir de mathématiques. Après plus de deux heures d’efforts, je fermai mon cahier et entendis la voix de mes parents souhaiter une bonne nuit à mon grand-père. Ils montèrent à l’étage et j’entendis frapper à ma porte. Mon père et ma mère entrèrent, me demandant si j’avais fini mon travail et m’embrassèrent avant de regagner leur chambre. Ils ne me dirent rien de plus ce soir-là, mais leur expression me faisait dire que notre vie était sur le point de changer. Aujourd’hui, je me rends compte que j’étais loin de savoir à quel point. Plongé dans mes pensées, je me mis en pyjama et allai me coucher. Cette nuit-là, mon sommeil fut rempli de cauchemars mais quand je me réveillai le lendemain, je n’avais plus aucun souvenir de ceux-ci. La semaine qui suivit cette soirée se passa normalement. J’allai à l’école et mon père, ayant écrit sa lettre de démission le soir même où il avait annoncé sa décision à ma mère, était parti au travail pour clôturer certains dossiers qui exigeaient sa présence. Ma mère avait accompagné mon grand-père à l’hôpital pour un examen de routine. Le vendredi, quand mon père rentra à la maison, il me demanda de rejoindre ma mère et mon grand-père dans le salon. Je descendis donc de ma chambre et allai m’installer sur le canapé. Mon père m’annonça qu’au vu de la situation, ils avaient décidé, ma mère et lui, de retourner en Belgique dans la maison de mon grand-père. Mes parents attendaient de voir ma réaction mais je ne savais pas quoi répondre. Devant mon silence, ils m’expliquèrent que leur situation financière ne nous permettait plus de vivre à Bruz et que le temps que mon père retrouve un emploi, mon grand-père lui avait proposé d’aller vivre dans sa maison, ce qui donnerait du temps à mes parents pour se remettre sur pieds.
Voyant que je ne répondais toujours pas, mon grand-père tenta de me rassurer en m’expliquant que la Belgique n’était pas si différente de la France et qu’il était sûr que je serais beaucoup plus épanoui à la campagne. Sincèrement, je n’y voyais pas d’objections. Je leur dis donc que j’étais d’accord et ils parurent tous soulagés, ce qui me fit sourire. Mon grand-père me prit dans ses bras et m’embrassa en me disant que j’étais un bon garçon. Ma mère aussi était ravie. Mon père paraissait soulagé et me promit que tout cela serait temporaire et que c’était pour moi l’occasion de visiter un autre pays. Sur cette nouvelle, je regagnai ma chambre sans rien dire d’autre. La Belgique. Je ne connaissais rien de ce pays. Je me dirigeai donc vers mon ordinateur et fis une recherche. Quand le résultat s’afficha, je remarquai que c’était un tout petit pays à côté de notre chère France. Je tapai le nom du village de mon grand-père et tombai sur quelques images de petites maisons et d’étendues de champs. Ce n’était pas Bruz, c’est sûr. Mais je n’étais pas difficile. Après tout, ce n’était pas comme si j’avais une vie sociale et des amis à quitter. Rappelez-vous, j’étais le géant solitaire. En plus, j’étais curieux de voir l’endroit où ma mère avait grandi. C’est donc serein que je me couchai ce soir-là.
Le lendemain, je me rendis donc au secrétariat de mon école pour leur annoncer notre départ prochain et je fus étonné de voir la réaction des élèves de ma classe qui m’organisèrent dans la semaine un pot de départ en me souhaitant bonne chance dans ma nouvelle vie. J’ai toujours cru qu’ils me prenaient pour quelqu’un d’étrange et je me rendis compte à ce moment-là qu’ils allaient me manquer. Cependant, cela me rassura aussi. Si je n’étais pas le bizarre de service, mon entrée dans une autre école devrait bien se passer. Quand la fin du mois arriva, mon père revint avec une excellente nouvelle. Notre maison s’était vendue à un très bon prix, ce qui nous permettrait de subvenir à nos besoins pendant un temps. Le lundi suivant, ma mère m’annonça qu’il était temps que j’emballe mes affaires car nous partions à la fin de la semaine. Je passai donc mes journées à empiler mes vêtements et mes livres dans plusieurs valises et aidai mon père à charger la camionnette qu’il avait louée en vue du déménagement. Ma mère emballa la vaisselle et fit les valises de mon grand-père, s’assurant de ne rien oublier. Dans l’après-midi, nous prîmes la route, mon père au volant de la camionnette et ma mère, mon Nonno et moi-même dans notre voiture. Le trajet promettait d’être long. D’après le GPS, nous étions à presque sept cents kilomètres de notre destination. Lorsque nous arrivâmes à hauteur de Paris, mon père s’engagea sur un petit parking qui jouxtait un restaurant italien. Ma mère se gara juste à côté de la camionnette et nous profitâmes de cet arrêt pour nous restaurer et surtout pour soulager nos vessies. Le repas fut convivial, les plats excellents et lorsque le serveur nous apporta l’addition, ma mère en profita pour s’occuper de son père. Il avait l’air épuisé par le voyage et ma mère s’inquiéta de son teint pâle mais il la rassura. Tout allait bien et il était heureux de revenir chez lui. Nous reprîmes donc la route. Plusieurs heures plus tard, nous arrivâmes enfin à destination.
Mon père se gara devant la maison, suivi de ma mère. Mon grand-père regardait d’un air satisfait la façade brune aux briques sales, laissant traîner son regard sur la demeure. Je ne fus pas aussi enthousiaste que lui. La maison avait l’air minuscule et semblait laissée à l’abandon. Les fenêtres étaient sales et ressemblaient à des yeux qui nous regardaient d’un air mauvais, comme si nous étions responsables de son état. Le toit était en pente aiguë fait de tuiles flamandes. La porte d’entrée avait vraiment besoin d’un bon coup de peinture. Il faisait sombre à l’intérieur, malgré le soleil éclatant dans le ciel. Un vrai taudis. La vérité, c’est que cette maison me mettait mal à l’aise et quand ma mère introduisit la clé dans la serrure, je fus parcouru par un frisson glacé qui remonta le long de ma colonne vertébrale, faisant dresser mes cheveux sur ma nuque. C’était ridicule bien sûr. Cette maison était vieille et mal entretenue mais rien ne pouvait me laisser croire que je risquais quoi que ce soit sous son toit. Pourtant, en pénétrant dans la maison, mon malaise persista. La pièce de devant était minuscule. Composée d’une énorme cheminée aux proportions grotesques, elle ne devait cependant pas dépasser les huit mètres carrés. Nous avançâmes et tombâmes sur un minuscule couloir où se dressait un escalier qui permettait de monter à l’étage. S’ensuivait une autre pièce un peu plus spacieuse où trônait au fond une minuscule cuisine et une autre porte donnant sur une salle de douche. Ma mère installa son père sur un vieux canapé laissé par les anciens locataires et me demanda d’aller inspecter les chambres. Je montai doucement les escaliers, comme sur la défensive. Il faisait vraiment sombre malgré les luminaires. J’arrivai sur le palier et constatai que l’étage ne comportait que deux petites chambres de plus ou moins dix mètres carrés chacune. Elles étaient vides mais le sol était poussiéreux et les vitres salies par de nombreuses intempéries. Le papier peint fané était d’un marron foncé avec de petites striures blanches. Le sol était couvert d’un vieux linoléum gris. Il était clair que personne n’avait fait le ménage depuis un bout de temps. L’autre chambre était identique. Même papier peint, même linoléum. Je revins sur le palier et, regardant par la petite fenêtre qui éclairait peu le couloir, je remarquai une corde pendant du plafond. Je la saisis et tirai dessus doucement. Un escalier escamotable se déplia en grinçant et un carré d’obscurité apparut. Je montai prudemment les marches et passai la tête par la trappe. C’était un grenier. Il devait bien faire la surface des deux chambres du dessous. Je montai le restant des marches et regardai autour de moi. La pièce avait certainement été aménagée en chambre supplémentaire mais elle n’était guère plus accueillante avec son papier peint orange garni de grosses fleurs brunâtres. Le tapis était jauni aux endroits où s’étaient trouvés d’anciens meubles. Le sol était revêtu d’un vieux linoléum marron usé par les années. La pièce comportait un placard exigu qui devait certainement servir de fourre-tout. Il était vide également. Un petit velux laissait passer quelques rayons de soleil mais la vitre était tellement sale que la lumière avait du mal à filtrer. En retournant vers l’échelle, j’eus une étrange sensation. Comme une impression d’être observé. Je me retournai mais, évidemment, il n’y avait personne. Je redescendis l’échelle et repassai par le petit palier quand je constatai que les portes des chambres étaient grandes ouvertes. Je fus un instant déstabilisé car j’étais certain d’avoir refermé derrière mon passage mais je décidai de ne pas m’attarder sur le sujet. Après tout, j’avais peut-être oublié de refermer les portes. Je descendis l’escalier en direction du rez-de-chaussée et rejoignis mes parents dans le « salon».
Là aussi, le papier peint était affreux et le sol tellement sale qu’il était impossible de savoir sur quoi nous marchions. On aurait dit une étable. Je décrivis les chambres à ma mère qui soupira. Nous allions devoir faire un grand ménage avant de commencer à vider la camionnette. Mon père avait déjà sorti des brosses, des serpillières et des seaux et commençait à les remplir au robinet de la cuisine. Je partis un instant à la recherche de mon grand-père et le retrouvai à l’arrière de la maison. Sur le côté de la cuisine, une porte camouflée par un énorme rideau en velours donnait sur un petit potager où rien n’avait poussé depuis longtemps. Assis sur un banc en pierre moussue, mon Nonno contemplait l’état du jardin. Des mauvaises herbes avaient envahi tout le terrain. Un pommier malade trônait au milieu. On voyait encore des lambeaux de corde qui avaient dû appartenir à une balançoire pendre au bout d’une des plus grosses branches de l’arbre. Nonno me remarqua et m’invita à le rejoindre. Il avait vraiment l’air malade, pourtant il se tenait droit et souriait. Il avait vécu plus de vingt ans dans cette maison. Revenir ici devait remuer beaucoup de souvenirs et lui donner l’impression d’être plus proche de ma grand-mère. Au fond du jardin, quelques rosiers en piteux état se balançaient doucement dans la brise légère. Je lui demandai s’il avait besoin de quelque chose mais il me conseilla d’aller aider ma mère pour le ménage. Prendre l’air lui suffisait pour l’instant. Je n’insistai pas et retournai dans la cuisine où mon père était déjà en train d’astiquer le sol à grands coups de balai-brosse.
-Courage, champion ! me dit-il quand il vit ma mine déconfite devant l’ampleur du travail qui nous attendait. Tu verras qu’une fois remise en ordre, nous serons bien installés. Bien sûr, il faudra effectuer quelques travaux de rénovation mais quand ce sera fini, nous aurons une splendide demeure, je te le promets.
Je lui souris sans rien répondre, pris un seau d’eau savonneuse et m’attaquai à la pièce de devant. Le nettoyage du rez-de-chaussée dura le reste de la journée. Je découvris que sous l’énorme crasse du sol se cachait un carrelage couleur rouille. Ma mère avait récuré la cuisinière et nettoyé toutes les armoires. Elle finissait le frigo et alla chercher quelques cartons dans la camionnette. Elle rangea quelques assiettes et couverts, ainsi que quelques verres dans les armoires. Quand elle eut terminé, elle alla chercher son père dans le jardin et l’installa de nouveau dans le salon. Nous étions épuisés et affamés. Mon père proposa à ma mère d’aller faire quelques courses à la supérette du coin pour le souper. Ils partirent donc, me laissant veiller sur mon grand-père. Celui-ci s’était endormi sur le petit canapé, épuisé par le voyage. J’en profitai pour sortir une chaise de jardin qui se trouvait à l’entrée de la camionnette et m’installai à ses côtés. Je commençai à somnoler quand j’entendis soudain de petits grattements. Au début, le bruit était plutôt discret mais plus je tendais l’oreille, plus le grattement s’intensifiait.
-Super, me dis-je. Il doit y avoir une belle colonie de rongeurs dans les murs.
J’allais me lever pour chercher d’où venait le bruit quand la porte d’entrée s’ouvrit sur mes parents, les bras chargés de provisions. Je m’empressai d’aller aider ma mère et déposai les courses sur le plan de travail de la cuisine. Mon père alla chercher les casseroles que ma mère avait oubliées dans la camionnette et nous préparâmes le dîner. J’allais réveiller mon grand-père quand j’entendis encore ce grattement insistant. Je me tournai vers mon père, l’œil interrogateur.
-Tu n’as rien entendu ? lui demandai-je.
Mon père tendit l’oreille mais le grattement avait cessé.
-Non, je n’entends rien de spécial, me répondit-il. Tu dois être fatigué. Viens manger et ensuite, nous irons chercher les matelas gonflables.
Je réveillai mon grand-père et lui apportai un bol fumant de minestrone et des petits pains à la mortadelle. Nous mangeâmes en silence. Quand nous eûmes fini de manger, ma mère alla faire la vaisselle et mon père et moi sortîmes les matelas. Mon grand-père préféra rester sur le canapé. Ma mère alla lui chercher une épaisse couverture et un coussin moelleux et l’installa le plus confortablement possible. Puis elle distribua à chacun une couverture et un oreiller et nous nous installâmes chacun dans une pièce. Je logeai dans la pièce de devant. Souhaitant bonne nuit à ma famille, j’allai m’allonger, un bouquin à la main. J’étais épuisé, mais je n’arrivais pas à m’endormir. Je tendis l’oreille mais n’entendis rien de spécial. Je consultai mon GSM et constatai qu’il était déjà vingt-trois heures. Je posai donc le livre près de mon oreiller et fermai les yeux. J’entendis la voix de mes parents pendant quelques minutes puis je finis par m’endormir.
Le lendemain matin, je fus réveillé par la voix de mon grand-père qui semblait venir du jardin. Je consultai l’heure sur mon GSM et vis qu’il était déjà huit heures. Je me levai péniblement et me dirigeai vers la cuisine. À travers la fenêtre, je vis mon Nonno en grande conversation avec un vieil homme au visage buriné, habillé d’une chemise blanche, d’une vieille salopette en velours marron et d’une sorte de béret marron également. Je les observai un moment et quand je les entendis rire, je finis par me diriger vers la salle d’eau, dans l’espoir de pouvoir nettoyer la sueur du travail de la veille. Tout en me savonnant, j’entendis par la petite fenêtre ouverte de la pièce les rires de mon Nonno et du vieil homme. Ils devaient certainement se connaître. Sortant de la douche, je tombai sur ma mère qui était en train de préparer le petit déjeuner. Je l’embrassai sur la joue et lui demandai si elle avait bien dormi.
-Comme un loir, me répondit-elle en riant. J’ai les articulations qui craquent comme des biscottes, mais sinon tout va bien.
Mon père nous rejoignit quelques minutes plus tard, les cheveux en bataille et les yeux encore collés par le sommeil. Ma mère lui tendit une tasse de café noir. À ma grande stupéfaction, elle m’en tendit une également.
-Juste pour cette fois, dit-elle pour se justifier. Nous avons encore une énorme journée qui nous attend.
Je pris la tasse en souriant. Je n’avais pas le droit de boire du café car ma mère estimait que j’étais encore trop jeune pour me shooter à la caféine. Mais avant d’avoir pu porter la tasse à mes lèvres, elle y ajouta une bonne rasade de lait et un morceau de sucre. Je la regardai, étonné, et tout le monde se mit à rire.
Ma chère maman ! Ce qu’elle me manque aujourd’hui.
Elle alla chercher mon grand-père en lui apportant une tasse de café et discuta un moment avec l’inconnu qui se dressait devant notre jardin. Je pouvais les voir de la fenêtre. Je vis à sa réaction qu’elle venait de reconnaître son interlocuteur car, à un moment donné, elle passa la porte du jardin et serra le vieil homme dans ses bras. Elle l’invita à entrer et lui servit également un café noir. Le vieil homme nous salua, mon père et moi, et s’assit sur le canapé, suivi de mon grand-père. Ma mère fit les présentations. Vittorio Rizzoli était notre voisin. Il habitait la maison juste en face de la nôtre. C’était un grand ami de mon grand-père et également un ancien collègue de travail. Quand il avait vu le camion de déménagement se garer la veille devant chez lui, il avait constaté avec plaisir que son ami Antonio était revenu au pays. Il s’était donc levé de bonne heure pour lui souhaiter la bienvenue et nous proposa de l’aide pour nous installer. Sa femme et lui avaient deux fils robustes qui ne demandaient pas mieux que de nous prêter main forte. Il nous raconta que les locataires précédents n’étaient malheureusement pas des gens très propres et qu’il avait vu, impuissant, la maison de son ami se dégrader d’années en années. Nous acceptâmes sa proposition de bon cœur et une heure plus tard, nous vîmes deux solides gaillards habillés de salopettes en jeans et de T-shirts, chaussés de bottes de jardinage nous attendre près de la camionnette. Mon père leur ouvrit la porte et les salua chaleureusement. Ils se présentèrent. Sylvio et Salvatore. Du fond de la cuisine, ma mère, à l’évocation de ces prénoms, nous rejoignit et étreignit les deux hommes dans ses bras.
Il était clair qu’elle les connaissait depuis longtemps. Elle m’expliqua que les frères étaient ses amis d’enfance. Elle me présenta également et les deux hommes me serrèrent la main en complimentant ma mère d’avoir eu un beau jeune homme comme moi, ce qui me fit rougir sur le champ. Ils m’informèrent qu’ils avaient également deux fils chacun qui étaient du même âge que moi et que je les rencontrerais très vite. J’étais un peu embarrassé mais heureux de voir que ces gens étaient aussi chaleureux. Sans plus attendre, ils se mirent au travail, munis de tout un équipement de nettoyage professionnel et se dirigèrent vers les escaliers menant à l’étage. Sylvio monta immédiatement. Salvatore, par contre, eut un moment d’hésitation qui n’échappa pas à mon attention. Quand il se rendit compte que je le regardais, il me sourit en m’expliquant qu’il n’avait jamais aimé monter à l’étage. J’allais lui demander pourquoi mais ma mère m’appela et Salvatore commença à monter les marches sans me répondre. Elle avait commencé le nettoyage des vitres et me demanda de passer un torchon humide sur les plafonds et les murs pour en retirer la poussière et les toiles d’araignées qui s’y étaient accumulées. Je me mis donc au travail.
Quand j’eus terminé, je lui demandai ce que je pouvais faire d’autre et elle me suggéra d’aller voir si les frères n’avaient pas besoin d’aide à l’étage. Je montai donc les marches et me mis à la recherche de Salvatore. Je le trouvai dans le grenier. La lumière y était plus vive grâce à un nettoyage intensif de la vitre et je vis que Salvatore avait déjà bien avancé dans le récurage du sol. Quand je m’approchai de lui, il eut un sursaut et son regard se figea un instant, mais quand il constata que ce n’était que moi, il me sourit et me demanda si j’avais besoin d’aide. Je lui répondis que non et que c’était plutôt le contraire que j’étais venu proposer. Il accepta et nous nous mîmes au travail. Tout en frottant les boiseries du grenier, je décidai d’engager la conversation. Il m’apprit qu’il habitait la maison voisine de celle de son père et que lui et son frère avaient monté une boîte de nettoyage professionnel, ce qui expliquait les nombreuses machines à vapeur qu’ils possédaient.
J’orientai la conversation vers leur enfance commune avec ma mère. Il m’expliqua qu’ils se connaissaient depuis toujours et qu’il leur arrivait souvent de jouer l’un chez l’autre, leurs parents respectifs étant de très bons amis. Il me raconta quelques anecdotes de leur enfance, les jeux, les dîners, les bêtises qu’ils avaient faites, et se dit attristé quand ma mère avait décidé de quitter le pays pour aller faire ses études en France. De la façon dont il en parlait, je pense que Salvatore avait certainement eu le béguin pour ma mère dans son adolescence. Ce que je trouvais compréhensible. Ma mère était aussi jolie que gentille et elle était aussi très douée en art. Elle pouvait vous peindre des tableaux extraordinaires en l’espace d’une journée. Mais quand j’évoquai sa remarque sur le fait qu’il n’aimait pas monter à l’étage, son visage se rembrunit et il devint silencieux. Comme j’insistai, il me répondit d’un air sombre que toutes les maisons avaient leur secret et leur bizarrerie et que je ne devrais pas trop m’inquiéter. Mais je voyais bien qu’il ne me disait pas tout. Pourtant, voyant le malaise sur son visage, je décidai de ne pas insister. Il était clair qu’il n’était pas prêt à me révéler les sombres secrets de cette maison. À cet instant, Sylvio informa son frère qu’il avait terminé les deux petites chambres et qu’il descendait aider mon père à installer le mobilier dans la maison. Ayant terminé également, je me dirigeai vers l’échelle quand je surpris Salvatore jetant un coup d’œil inquiet au placard du grenier. Je ne dis rien mais je commençai vaguement à me demander la raison de son malaise. Il me suivit sans tarder et nous allâmes rejoindre Sylvio et mon père. À la fin de la journée, la maison avait l’air bien plus habitable qu’à notre arrivée. Quelqu’un frappa à la porte et ma mère alla ouvrir. Une vieille dame portant une énorme casserole fumante franchit le seuil et se présenta. Elle s’appelait Herminia et était la femme de Vittorio. Elle était venue nous souhaiter la bienvenue et nous avait préparé un délicieux repas pour fêter le retour d’Antonio et de sa famille dans leur maison. Ma mère la remercia et prit la casserole qu’elle déposa dans la cuisine. Maintenant que les meubles étaient installés, la maison semblait plus confortable et nous pûmes tous nous installer autour de la table de la salle à manger. Le repas se passa dans la joie des retrouvailles et quand Vittorio et sa famille s’en retournèrent chez eux, mon grand-père semblait si heureux que je me souviens m’être dit que la décision de revenir chez lui avait été la meilleure. Mais ça, c’était avant que des événements de plus en plus terrifiants ne nous arrivent. Ce soir-là, néanmoins, j’étais heureux d’être ici, notre nouveau chez nous. Nous allâmes nous coucher car le lendemain, nous devions monter les meubles des chambres à coucher à l’étage. Je souhaitai bonne nuit à ma famille et je m’effondrai sur mon matelas. Je m’endormis immédiatement.
Chapitre 2
Le lendemain, je me levai de bonne heure et entrepris de préparer le petit déjeuner. Je voulais faire plaisir à ma mère et l’idée d’avoir enfin un lit pour dormir ce soir m’enchantait énormément. La pièce de devant était remplie de caisses contenant nos vêtements et accessoires de décoration ainsi que nos lits démontés. Je bus un chocolat chaud quand ma mère se leva. Elle m’embrassa et me demanda si j’étais prêt à avoir ma nouvelle chambre. Je lui répondis avec enthousiasme mais quand elle m’annonça qu’elle et mon père avaient décidé de me laisser la chambre située au grenier, mon sang se figea. Le souvenir du regard de Salvatore vers le placard me revint en mémoire. Ma mère remarqua mon trouble et me demanda s’il y avait un problème. Je lui répondis que non, que c’était parfait. Après tout, mis à part l’inquiétude de Salvatore et les petits grattements entendus le premier jour de notre arrivée, je n’avais rien constaté d’inquiétant. Mais pourtant, l’idée d’être seul dans cette grande pièce lugubre me donnait des frissons. Mais je ne voulais pas inquiéter ma mère avec ce genre d’inepties donc, après avoir dévoré mes tartines, je me mis à monter le mobilier de ma chambre avec l’aide de Sylvio qui était arrivé pile poil au moment où mes parents finissaient de déjeuner. Heureusement qu’il était costaud, ce gars. La trappe était étroite et il fallut trouver toutes les astuces possibles pour pouvoir passer tous les meubles que je possédais. Une fois tout au sol, nous commençâmes par monter le lit. Nous passâmes au bureau et l’installâmes juste à côté. Je posai la caisse qui contenait mon ordinateur sur le bureau. S’ensuivit la bibliothèque munie de plusieurs colonnes et les nombreuses caisses de livres que je possédais. À la vue de tous ces bouquins, Sylvio émit un sifflement admiratif et me félicita pour cette énorme collection. Il aurait bien aimé que ses fils en fassent autant. Malheureusement, à son grand désarroi, ils préféraient les jeux vidéo. Quand je lui proposai de faire un dressing avec le placard, il hésita un instant, puis accepta. Il démonta donc la porte et regarda l’intérieur pour se faire une idée des dimensions des étagères qu’il allait disposer. En sortant de là, il semblait un peu mal à l’aise. Je lui demandai si tout allait bien. Pas de problème, me dit-il. Je vais te faire ça en quelques heures. Sur ce, il descendit l’échelle et je me dirigeai vers le placard. Il n’avait rien de particulier, si ce n’est cette impression de claustrophobie et le froid glacial qui s’en dégageait. Pourtant, il faisait bien trente-deux degrés dehors. -Bizarre, me dis-je. Avant que j’aie eu le temps de m’appesantir sur ces phénomènes, ma mère m’appela pour le dîner. Je descendis donc les rejoindre quand j’entendis de nouveau ces grattements. Cette fois, je localisai leur source. Cela venait du placard. Je regardai à l’intérieur mais ne vis rien de spécial. Encore une fois, je me dis que ça devait grouiller de rongeurs dans les murs. Je tendis l’oreille mais il n’y avait plus aucun bruit. Des rongeurs. Certainement. L’après-midi fut encore bien chargé. Sylvio s’attelait sur les étagères de mon placard et ma mère était occupée à récurer la salle de douche. Mon père passa les coups de fils indispensables lors d’un déménagement. Il avait relevé les compteurs d’eau et d’électricité et les avait communiqués aux services concernés. Il était maintenant en ligne avec l’administration communale pour un rendez-vous concernant notre changement d’adresse. Cela avait l’air de prendre du temps. Je le vis soupirer d’agacement. N’ayant plus rien à faire pour l’instant, je m’installai à côté de mon grand-père et lui demandai s’il avait besoin de quelque chose. Il me demanda un verre d’eau et je me levai pour le servir quand je remarquai la porte de la cuisine grande ouverte. M’avançant pour la refermer, je ressentis une sensation de froid et, sous mes yeux ébahis, la porte se referma toute seule.
Comment cela était-il possible ?
Il n’y avait pas un seul souffle de vent à l’extérieur. L’air devint glacé et je vis mon souffle se matérialiser devant ma bouche. Quoi ? Je ne comprenais pas ce qu’il se passait. Soudain, je ressentis une étrange sensation dans l’estomac, comme si je m’apprêtais à rendre mon chocolat chaud du matin. Je me dirigeai lentement vers la salle de douche et m’effondrai devant le cabinet de toilette. La tête me tournait. Ma mère, qui était occupée à nettoyer la cabine de douche, lâcha son éponge et vint s’accroupir à côté de moi.
-Qu’est-ce qu’il t’arrive ? me demanda-t-elle, inquiète.
Je ne pus lui répondre. Un énorme jet de vomis jaillit de ma bouche et je finis par perdre connaissance.
Avant de perdre totalement conscience, je crus voir des silhouettes sombres juste derrière ma mère.
Je l’entendis crier mon nom mais j’étais fixé sur ces ombres.
Puis, tout devint noir.
Quand je repris conscience, j’étais allongé dans le canapé du salon, ma mère assise à mes côtés.
Mon grand-père et mon père, ainsi que les fils de Vittorio étaient assis autour de la table de la salle à manger et me regardaient avec inquiétude.
Ma mère me demanda comment je me sentais.
Je voulus me redresser mais elle me força à me recoucher.
J’entendis des coups à la porte et je vis mon père revenir avec Herminia, la femme de Vittorio.
Elle m’observa un instant et me fit boire un verre d’eau avec une poudre blanche à l’intérieur.
-Ne t’inquiète pas, me dit-elle. Ce n’est que du bicarbonate de soude. Ça va soulager tes nausées et te remettre sur pieds. Tu as dû faire une insolation à cause de la chaleur et des efforts pour monter les meubles. Tu devrais te reposer. Je suis sûre que tu te sentiras beaucoup mieux demain.
Je regardai mes parents et ils me firent signe pour me faire comprendre qu’ils étaient d’accord. Je me levai donc doucement et me dirigeai vers les escaliers. En arrivant sur la première marche, mon regard fut attiré par une porte que je n’avais pas encore remarquée. Elle se trouvait sous les escaliers et semblait à peine perceptible, se fondant presque dans le mur. Je demandai à mon père ce que c’était. Il me répondit que c’était certainement le sous-sol et que si je le voulais, nous irions vérifier demain matin. Sans rien ajouter, je leur souhaitai bonne soirée à tous et montai doucement les marches. Je me sentais encore un peu nauséeux et j’avais l’impression d’être vidé de toute mon énergie. Quand j’arrivai à l’échelle, j’eus un instant d’hésitation. Maintenant que le soir était tombé, le grenier était vraiment très sombre. Néanmoins, j’allumai la lampe de poche de mon téléphone portable et commençai à monter l’échelle, pas à pas, puis passai la tête par la trappe pour inspecter les lieux. Je ne vis rien de spécial et je montai donc m’allonger dans mon lit. J’allumai ma petite lampe de chevet et remontai ma couette jusqu’au cou. J’allais m’endormir quand j’entendis de nouveau ce bruit de grattements. Mes cheveux se dressèrent sur ma tête et je restai immobile. Tendant l’oreille, j’écoutai si le grattement se reproduirait mais ça ne fut pas le cas. Saleté de souris ! me dis-je. J’écoutai encore un moment puis, harassé de fatigue, je finis par m’endormir. Je ne savais pas depuis combien de temps je dormais quand j’ouvris les yeux, pris de frissons. J’ignorais ce qui m’avait tiré du sommeil mais je remarquai qu’il faisait étrangement froid dans ma chambre. Mon souffle faisait une espèce de nuage autour de ma bouche. Je restai immobile, pris d’une peur irrationnelle. Je constatai que ma lampe de chevet était éteinte. Je tendis le bras à la recherche de mon téléphone mais ne le trouvai pas. Je me relevai doucement et un bruit me fit sursauter. J’écoutai plus attentivement, cherchant son origine. Les yeux agrandis par la peur, j’allumai ma lampe et regardai autour de moi. Rien. Pourtant, j’aurais juré avoir entendu du bruit ! J’attendis un moment, tendant l’oreille mais seul le silence me répondit. Je décidai de me recoucher.
J’allongeai le bras vers l’interrupteur de ma lampe quand j’entendis le parquet craquer. J’étais tétanisé. On aurait dit que quelqu’un ou quelque chose se déplaçait dans la pièce. Je me levai doucement de mon lit et regardai de nouveau dans tous les coins de la pièce mais je ne vis rien de spécial. Je trouvai mon portable sur mon bureau et le repris. J’avais dû le laisser là quand j’avais mis mon pyjama. J’allais retourner me coucher quand je sentis un souffle glacé sur mon cou. Je me retournai brusquement, m’attendant à tomber nez à nez avec une immonde créature. Mais là encore, je ne pus que constater qu’il n’y avait que moi dans la chambre. Je fus tenté de descendre réveiller mes parents mais la journée avait été longue et je ne voulais pas les déranger. J’attendis encore quelques minutes mais rien d’autre ne se produisit. Tremblant de peur, je regagnai mon lit, remontant la couverture jusqu’au dessus de ma tête. Je maudis mon imagination trop fertile. J’avais laissé la lumière allumée. Les minutes passèrent et je finis par somnoler. Soudain, les grattements reprirent de plus belle. Je restai tétanisé sous la couverture, ayant trop peur pour regarder. Le bruit s’accentua puis cessa brusquement. Plus j’y pensais et plus ces bruits me faisaient penser à des ongles crissant sur le plancher. Je n’osais pas sortir la tête de la couverture. Au moment où je me disais qu’il était ridicule d’avoir peur de quelques rongeurs, je sentis comme un poids au bout de mon lit. L’impression que quelqu’un s’était assis sur mes pieds et m’empêchait de remuer. Glacé de terreur, je n’osais pas bouger. Cela dura un moment puis la sensation de poids disparut. Je risquai un œil en dehors de ma couverture et regardai peureusement au bout de mon lit. Il n’y avait rien. Je me levai de nouveau de mon lit et alla voir jusqu’au placard. J’avais la main sur la poignée, prêt à ouvrir, puis la relâchai. Quelque chose me disait que ce ne serait pas une bonne idée d’ouvrir cette porte. Surtout que j’étais seul et qu’il faisait nuit. J’attendis un peu pour voir si les phénomènes allaient se répéter mais quoi qu’il se fût passé, c’était apparemment fini. Je me remis donc au lit, remis ma couverture et observai encore un moment la porte de ce fichu placard. La fatigue finit par l’emporter. Je m’endormis et rien d’autre ne vint me perturber cette nuit-là. Le lendemain matin, je me levai avec la tête lourde. Je m’assis sur mon lit et cherchai à chausser mes pantoufles mais mes pieds ne rencontrèrent que le vieux linoléum. Je me levai et regardai en dessous de mon lit. Rien. Je me mis en quête de mes pantoufles et les retrouvai juste devant le placard. En me dirigeant vers elles, je butai contre l’un de mes livres. Je regardai ma bibliothèque et constatai avec stupéfaction que mes bouquins que j’avais rangés la veille sur mes étagères étaient maintenant disposés sur mon bureau et sur le sol. J’étais interloqué. Je me dirigeai doucement vers mes pantoufles, les chaussai et restai un moment à observer ce désordre. Puis, sans m’attarder sur ces événements, je remis mes livres sur ma bibliothèque, pris mon GSM et me dirigeai vers l’échelle quand j’entendis comme un ricanement lointain. Je me figeai et attendis un instant, la main sur la rampe. La sueur sur mon front s’était glacée. Je n’osais pas bouger. J’attendis de voir si cela allait recommencer mais plus rien ne se manifesta. Je commençai à descendre les barreaux de l’échelle quand j’entendis encore de petits bruits. Je passai la tête par la trappe et constatai que ma couette était tombée en bas de mon lit. C’en était trop ! Pas question de rester là-haut tout seul. Sans attendre, je descendis en vitesse les marches et me dirigeai vers la chambre de mes parents. J’ouvris la porte et constatai que leur lit était vide. Je descendis donc les escaliers en ayant l’impression désagréable d’être suivi. Arrivé au bas des marches, je faillis percuter mon père de plein fouet.
-Ola, champion ! me dit-il. Tu es pressé, dis-donc ! Tu as failli me faire tomber ! Bien dormi ?
Je racontai à mon père ma découverte matinale et lui expliquai les bruits entendus dans ma chambre. Il m’écouta et quand je lui demandai ce qu’il pensait de tout ça, il haussa les épaules et me répondit qu’il ne savait pas quoi dire. Je le suivis dans la cuisine où étaient déjà installés mon Nonno et ma mère. Mon grand-père me questionna du regard et je lui racontai les phénomènes de la veille ainsi que le désordre et les bruits de ce matin dans ma chambre. Ma mère m’écouta également et me dit que j’avais certainement dû faire une crise de somnambulisme, sinon comment expliquer tout cela ? Je me tournai vers mon grand-père, attendant qu’il ajoute quelque chose mais il se contenta de boire son café en silence. Je m’installai donc à la table et mordis dans un croissant, mes pensées revenant sans cesse à ce maudit placard. Ma mère m’informa qu’elle m’avait inscrit à l’Athénée Royal et que je commençais les cours la semaine suivante. Elle me demanda donc de m’habiller pour aller chercher mes fournitures scolaires ainsi que quelques tenues vestimentaires. Je bus donc mon chocolat chaud et me dirigeai vers l’étage quand mon grand-père m’interpela.
-Attends, mon grand ! me dit-il. Je n’ai pas eu l’occasion de voir ta chambre. Je peux venir avec toi?
Il se leva et me suivit dans les escaliers. Je n’étais pas sûr qu’il puisse monter l’échelle mais il m’épata en la grimpant rapidement. Il fit le tour de la pièce et s’arrêta devant le placard. Il s’en approcha et mit sa main sur la poignée de la porte. J’aurais voulu lui dire de ne pas ouvrir mais il tira dessus et se retrouva devant un vrai carnage. Les étagères que Salvatore m’avait installées la veille étaient à terre. Mon grand-père s’avança et son pied heurta une dizaine de vis éparpillées sur le sol. Je m’avançai également, regardant ce carnage d’un air dubitatif. Comment cela avait-il pu arriver ? Je regardai les étagères. Elles n’étaient pas abîmées. On aurait dit que quelqu’un avait passé son temps à retirer toutes les vis et les avait rassemblées au milieu du placard, juste devant le tas d’étagères. Je regardai mon grand-père, les yeux apeurés. Lui aussi semblait perplexe. Il me connaissait assez bien pour ne pas me demander si c’était de mon fait. Il se tourna vers moi et me demanda si j’avais entendu quoi que ce soit après m’être finalement endormi. Je lui répondis que non. Même si cela semblait impossible, je n’avais pas entendu les étagères se détacher des murs et tomber sur le plancher. Il réfléchit encore un moment et me demanda de ne pas en parler à ma mère. Il ne voulait pas l’inquiéter pour rien. Quand je lui demandai s’il savait ce qu’il se passait, il me répondit simplement qu’il était temps pour lui d’aller rendre visite au prêtre de notre paroisse. Il m’attendit, le temps que je m’habille et nous descendîmes en gardant cet épisode pour nous. Ma mère m’attendait devant la porte d’entrée. Elle demanda à mon grand-père s’il voulait nous accompagner, mais celui-ci refusa poliment. Avec un regard appuyé, il informa ma mère qu’il allait rendre visite au Père Rosso. Mon père s’était attaqué au petit jardin et nous souhaita une bonne journée. Quand je montai dans la voiture, mon grand-père me salua et se dirigea vers le bout de la rue. Ma mère le salua et tourna en direction de La Louvière. Nous passâmes un bel après-midi à faire du shopping dans les rues de La Louvière. Je dus admettre que l’endroit me plaisait bien. Nous allâmes manger une glace et, passant devant un petit cinéma de quartier, ma mère me proposa d’aller voir un film. Je n’étais pas pressé de regagner notre domicile donc, nous nous dirigeâmes vers l’accueil et nous passâmes un bon moment à rire devant un film parlant de Minions, de petites créatures jaunes en salopettes bleues, parlant un langage étrange et dont la fonction était d’aider un célèbre criminel dans ses mauvais plans.
La séance terminée, nous regagnâmes la voiture. Installé au volant, ma mère m’observa un moment et me demanda si tout allait bien. Je me rappelai ce que m’avait dit mon Nonno et je lui répondis que j’avais juste besoin de temps pour m’adapter. Elle me sourit et me promit que tout irait bien. J’aurais tant aimé la croire. Je ne répondis rien et nous rentrâmes à la maison. Quand je rejoignis mon grand-père dans le salon, il était en pleine conversation avec mon père à propos des plantations prévues pour le potager. Je me dirigeai vers le jardin et constatai que mon père avait bien avancé. Les mauvaises herbes avaient disparu, le pommier malade avait été abattu et les rosiers taillés. Il avait nettoyé la cour et le dallage avait un aspect lisse et propre. Il avait retourné un bon carré de terre et l’avait déjà préparé pour les plantations à venir. Mon grand-père me rejoignit dans le jardin.
-Ton père est habile de ses mains, me dit-il. Tu vois, l’habit ne fait pas toujours le moine. Qui se serait douté qu’un banquier était si habile en jardinage ?
J’admirai le travail de mon père quand je sentis quelque chose se glisser dans ma main. Je baissai les yeux vers ma main et observai l’objet que mon Nonno y avait glissé. C’était un petit crucifix. Je regardai mon grand-père et celui-ci me conseilla de l’accrocher au-dessus de la porte de mon placard.
À ce moment-là, ma mère sortit nous rejoindre et je m’empressai de ranger la croix dans la poche de mon jeans.
Elle enlaça son père et lui demanda s’il était satisfait du travail de son beau-fils.
Il lui répondit que c’était une véritable œuvre d’art et ils rirent tous les deux de bon cœur.
Mon père nous rejoignit et leva les bras en signe de victoire, ce qui nous fit tous rire aux éclats.
Ce soir-là, j’empruntai un clou et un marteau et entrepris d’accrocher le crucifix au-dessus de la porte du placard.
Je regardai ensuite le résultat et me dis que ça devait faire l’affaire.
Je rejoignis mes parents dans le salon. Ils regardaient les informations.
Je m’installai à côté de mon grand-père. Il me regarda et je hochai la tête à sa question silencieuse.
Il me sourit et me tapota la jambe en signe d’encouragement.
Tout irait bien.
Quand le journal télévisé se termina, ma mère se leva, s’étira et annonça qu’elle allait se coucher.
Elle proposa à mon grand-père de l’installer mais il lui répondit qu’il voulait passer un peu de temps avec moi avant la rentrée scolaire et me demanda si je pouvais m’en charger moi-même.
J’acceptai et mes parents montèrent donc se coucher.
Une publicité vantant les mérites d’un liquide vaisselle révolutionnaire envahit l’écran.
Je restai silencieux un moment, attendant de voir si mon grand-père allait m’expliquer pour le crucifix.
Cependant, quand il prit la parole, il me demanda de lui apporter la photographie qui se trouvait sur le buffet de la salle à manger.
Je lui rapportai et il la regarda longuement.Il passa un doigt noueux sur le portrait.
-C’est ma Giulia, me dit-il. Ma chère épouse. Je sais que je t’ai déjà beaucoup parlé d’elle mais je n’ai jamais eu l’occasion de te montrer à quel point elle était belle.
Je regardai la photographie et dus admettre que ma mère lui ressemblait énormément.
Il la regarda encore un instant, puis posa le cadre sur la table de salon.
Il se tourna vers moi et se mit à me parler très vite.
-Tu dois m’écouter, mon petit. Tant que nous sommes seuls, j’aimerais te parler de cette maison. Je pense que tu as déjà remarqué quelques bizarreries. Il y a des choses que tu devrais savoir mais je sais que ta mère m’en voudra énormément si elle apprenait que je t’ai parlé de ça. Surtout qu’elle ignore aussi une bonne partie de la vérité. Alors, promets-moi de garder tout ceci pour toi, d’accord ?
Je ne savais pas comment réagir mais je sentis la main de mon grand-père serrer mon poignet et je promis.
Il me regarda un instant dans les yeux, comme pour s’assurer que je ne mentais pas, puis il me demanda d’aller chercher un album photo. Il m’informa qu’il était caché à l’intérieur de la grosse cheminée de la pièce de devant. Devant mon air dubitatif (qui irait cacher un album photo dans une cheminée ?), il insista en agitant le bras vers la pièce de devant. Je me dirigeai donc vers cette grotesque construction et me penchai pour regarder à l’intérieur. Je ne vis rien au début et m’apprêtai à l’annoncer à mon grand-père quand, en passant la main à l’intérieur du conduit, je sentis un objet dur enveloppé dans un morceau de tissu. Je sortis l’objet et l’apportai à mon Nonno. Il le prit délicatement et commença à dénouer la ficelle qui retenait le tissu. Un vieil album en cuir craquelé apparut. Il n’avait rien de particulier, mis à part qu’il paraissait très vieux. Mon grand-père me demanda de m’asseoir à côté de lui et se mit à tourner les pages. Des photos en noirs et blancs se succédaient sur le carton jauni par le temps. Sur la première, on pouvait y voir mon grand-père, ma grand-mère et ma mère entourée de ses trois petits frères. Je savais que ma mère n’était pas fille unique mais elle ne me parlait jamais de ses frères. Je remarquai que les deux plus jeunes étaient jumeaux. Mon grand-père se rapprocha et commença les présentations.
-Ce beau jeune homme, c’est moi, me dit-il en souriant.
Je lui souris aussi.
-Elle c’est ma Giulia, ta Nonna. A côté d’elle, c’est ta mère, évidemment. Et là ce sont mes fils. Filipe, et nos jumeaux Julio et Roberto. Ils devaient avoir cinq ans sur cette photo. C’était un peu après notre arrivée. C’est notre voisin Vittorio qui l’a prise avec un appareil photo que ses parents lui avaient offert quand il avait émigré avec sa famille. On a dû rester immobile comme des arbres pendant qu’il prenait la photo. Ce n’était pas la technologie d’aujourd’hui, pourtant c’était déjà pas mal du tout.
Sur la photo suivante, on pouvait voir ma mère entourée de ses trois frères. La photo était joliment décorée d’un ruban qui entourait tout le cadre. Une photo d’école, évidemment.
Sur la troisième photo, on pouvait voir que mes oncles avaient bien grandi. Ils devaient avoir au moins quinze ans. C’était de solides gaillards bien bâtis. Les jumeaux se tenaient par les épaules et leur frère aîné se tenait derrière eux, le sourire aux lèvres.
Sur la quatrième photo, on voyait toujours les frères ensemble mais les sourires avaient disparu.
Quand je regardai mon grand-père, il m’encouragea à regarder le reste de l’album.
Je tournai donc les pages et remarquai que les frères jumeaux, autrefois costauds et souriants, étaient devenus maigres et leurs yeux étaient comme éteints. Leur grand frère était également sur la photo mais se tenait un peu éloigné d’eux. Aucun n’abordait de sourire.
La photo qui suivait représentait les deux jeunes hommes dans une sorte d’hôpital que je ne connaissais pas. Les deux hommes paraissaient sous-alimentés et même sur cette vieille photo, on pouvait voir que leurs tenues étaient sales. Ils ne souriaient pas là non plus.
Un détail me perturba. L’appareil devait avoir un défaut car l’un des jumeaux paraissait presque transparent alors que l’autre était plus net.
Les deux dernières photos représentaient une famille habillée de noir autour de deux cercueils identiques. Une photo de chaque jumeau était collée en dessous et leur nom, leur date de naissance et de mort étaient inscrits d’une écriture tremblante et presque illisible. Apparemment, ils étaient morts à seulement six mois d’intervalle.
La seule autre photographie qui se trouvait sur la dernière page de l’album était en couleur et je vis qu’elle me représentait. Je devais avoir trois mois. L’inscription en dessous confirma mon idée.
Michaël Julio Roberto Blanchart.
Mon nom complet.
Je ne savais même pas leur signification jusqu’à ce jour.
Je regardai mon grand-père.
Il ferma doucement l’album, se renfonça dans son canapé, tendit l’oreille pour voir si mes parents dormaient et commença son histoire.
Le récit d’Antonio
Antonio s’installa confortablement dans son fauteuil. Son emphysème le faisait souffrir de plus en plus. Il savait au fond de lui qu’il n’en avait plus pour longtemps. C’est pourquoi, quand il avait remarqué que son petit-fils semblait tourmenté, il se douta que tout recommençait. Il se devait de le mettre en garde contre le mal qui rongeait sa demeure. Ne pas lui en parler risquait de le mettre en danger. Il avait espéré que les années auraient effacé la malédiction de sa maison, les locataires successifs ne s’étant jamais plaints d’aucuns phénomènes bizarres, mais il s’était trompé. Lui aussi avait entendu les grattements et la nuit, il lui avait semblé voir des ombres se promener dans la maison. Il avait mis tout cela sur le compte de la culpabilité et du chagrin, son retour ayant fait remonter de mauvais souvenirs. Mais quand Michaël commença à signaler ces petits incidents, et surtout quand il vit l’état dans lequel s’était retrouvé le placard, il n’eut plus aucun doute. Ça recommençait.
Et dire que tout cela n’était que le résultat de l’ignorance et de l’innocence d’enfants cherchant simplement à expérimenter des jeux un peu trop dangereux pour leur âge.
Il n’avait pas été assez vigilant.
Et le fait qu’il travaillait quatorze heures par jour à la mine n’était pas une excuse.
Ses fils avaient été livrés à eux-mêmes quand Sylvia était partie pour la France.
Ho ! Il n’en voulait pas à sa fille. Il était même fier qu’elle ait pu entrer à l’université. La première fille de la famille qui faisait des études d’art, qui n’aurait pas été fier ?
Mais son départ avait provoqué de grands changements au sein de leur famille. Leur mère Giulia était tombée malade et avait souvent des pertes de conscience. Il était devenu difficile pour elle de s’occuper de leurs fils sans la présence de sa fille aînée. Antonio, accaparé par son travail, ne lui avait pas été d’une grande aide. Essayant de garder un œil sur ses garçons, il n’avait pas pu éviter le malheur qui leur tomba dessus. Son ami Vittorio connaissait les mêmes soucis avec ses deux fils. Les gamins étaient souvent ensemble et cherchaient un peu d’amusement dans ce monde si insipide. Mis à part les heures d’école, ils n’avaient pas grand-chose pour se changer les idées. Aucune famille ne possédait de télévision. Ils leur arrivaient donc souvent de se rassembler tous les cinq dans la chambre des deux frères pour jouer aux cartes, se raconter des histoires ou s’entraider pour leurs devoirs. Cela avait commencé comme un jeu. Un jeu de gosses innocents. Un jeu de gosses inconscients. Ce jour fatidique où leur vie avait changé du tout au tout, ils avaient eu l’idée stupide de grimper sur la toiture de leur maison en passant par le velux de la chambre et de voir qui pourrait aller d’un coin à l’autre de la toiture. Les enfants de Vittorio, plus adroits, avaient réussi sans peine leur exploit. Filipe avait aussi fait le tour de la toiture, suivi de Roberto. Cependant, Julio n’eut pas le courage de se lancer. Il souffrait d’une terrible phobie du vide mais avait accompagné son frère. Ils étaient inséparables, comme tous les jumeaux qu’Antonio avait connus jusqu’à ce jour. Ne voulant pas passer pour un trouillard aux yeux de ses camarades, mais surtout à ceux de son frère, il s’était décidé à traverser à petits pas le toit en pente. Arrivant vers le bas, il commença à remonter lentement sous les encouragements de Roberto quand le malheur se produisit. Il était presque arrivé en haut de la toiture quand une tuile se détacha et le fit glisser. Roberto, aidé des trois autres garçons, avait tenté de rattraper son frère, manquant sa main de quelques centimètres. Il avait plut la veille et les tuiles étaient encore toutes humides. Avant qu’il ne puisse atteindre Julio, d’autres tuiles se détachèrent et Julio, déséquilibré, chuta d’une hauteur de huit mètres. Sa tête heurta le trottoir avec un bruit sourd. Il ne mourut pas mais fut hospitalisé pendant de longs mois dans le service des traumatismes crâniens. Il resta quelques mois dans le coma. Quand il se réveilla enfin, il arrivait à peine à parler et avait du mal à tenir sur ses jambes. Il se plaignait souvent de douloureux maux de tête et d’acouphènes. Il avait l’impression que quelqu’un murmurait dans ses oreilles. Après une année de rééducation, il fut autorisé à rentrer à la maison. Quand Roberto avait appris la nouvelle, il avait été transporté de joie ! Cela faisait un an qu’il était séparé de son frère et il n’avait pas eu souvent l’occasion de lui rendre visite car il s’occupait de sa mère qui faisait de plus en plus de crises. Filipe avait trouvé un emploi dans une usine et travaillait plus de dix heures par jour. Sa mère avait besoin d’une surveillance constante et Roberto n’osait pas la laisser seule trop longtemps. Le retour de Julio était synonyme de joie. Par conséquent, quand son frère réintégra le cocon familial, Roberto remarqua immédiatement que son frère n’était plus vraiment lui-même. Il agissait parfois bizarrement et il lui arrivait souvent de parler tout seul dans la maison ou lors de ses rares sorties dans leur petit jardin. Les jeunes du quartier avaient fini par s’éloigner de lui car il leur faisait peur. Quand ils passaient devant la maison, Julio était souvent assis sur le banc de pierre et semblait regarder dans le vide. Il ne répondait pas quand ses anciens camarades lui demandaient des nouvelles et se contentait de les fixer avec un regard étrange. Il fut donc évité par la plupart de leurs amis communs.
Mais Roberto ne pouvait se résoudre à abandonner son frère. Ils étaient unis depuis leur vie utérine et rien ne pourrait jamais les séparer. Donc, quand son frère cessa sans raison de s’alimenter, Roberto fit pareil. Quand Julio ne voulut plus qu’on l’aide à se laver, hurlant que l’eau le brûlait, Roberto arrêta également de se doucher. Il pensait que Julio verrait là un soutien et un réconfort qui pourraient le mener vers le chemin de la guérison.
Mais les choses se mirent à empirer. En effet, Julio commença à avoir des comportements dangereux. Il déambulait parfois dans la maison, armé d’un couteau et semblait parler à quelqu’un que personne d’autre que lui ne voyait ou n’entendait. Les seuls amis qui venaient encore prendre de ses nouvelles étaient Sylvio et Salvatore. Ils se sentaient coupables de l’état de Julio et tenaient à se montrer présents. Néanmoins, eux aussi avaient remarqué le comportement étrange de Julio.
Un soir, alors que Julio s’était enfermé dans la chambre du grenier, Roberto était allé chercher de l’aide chez ses amis. Il redoutait que Julio ne se précipite par le velux pour mettre fin à ses souffrances. Il leur expliqua que son frère lui avait avoué qu’un démon lui intimait de tuer toute sa famille et que cette chose ne le laissait jamais en paix.
– Il lui avait donné un crucifix et de l’eau bénite qu’il avait volé à l’église voisine de chez eux dit-il, mais ça n’avait pas suffit.
Julio continuait à entendre cette voix dans sa tête et il lui arrivait souvent de rester dans un état de torpeur pendant des jours entiers, comme s’il n’était plus qu’une coquille vide, sans âme. Même son regard était étrange dans ces moments-là. Il était plus sombre et semblait habité par autre chose que Julio. Roberto avait également constaté que Julio avait souvent des ecchymoses et des griffures qui apparaissaient sans raison apparentes sur son corps. Il était d’une pâleur et d’une maigreur terrifiantes.
Roberto avait essayé de convaincre son père que quelque chose n’allait pas chez Julio et qu’il devait le faire ré- hospitaliser mais Antonio avait mis tout cela sur le fait que son fils avait eu une fracture du crâne et que les médecins lui avaient prédit que Julio ne serait peut-être plus le même homme qu’avant.
Constatant que son père ne voulait pas admettre qu’il y avait quelque chose de sombre chez Julio, Roberto s’était absenté un moment de la maison pour se rendre chez le Père Rosso, dans l’espoir que celui-ci puisse aider son frère et aussi raisonner son père. Il expliqua au saint homme toutes les choses étranges qui se passaient dans leur chambre depuis le retour de son frère. Les craquements sur le plancher alors qu’ils étaient tous les deux allongés dans leur lit, le froid incessant dans la pièce même par journée caniculaire, les objets qui semblaient se déplacer tout seuls, les ombres qui semblaient voyager sur les murs, les grattements qui semblaient provenir de leur placard, mais surtout la voix que son frère entendait dans sa tête, cette voix qui lui intimait de tuer toute sa famille.
C’est alors qu’il admit même avoir entendu cette voix. Un jour où Julio était resté dans sa chambre, Roberto, s’inquiétant de la maigreur de son frère, lui avait monté une assiette de raviolis. Cela faisait plusieurs jours que Julio n’avait rien mangé ni bu. Il était au pied de l’échelle quand il avait entendu son frère parler. Habitué à cela, il avait commencé à monter les barreaux quand il entendit une voix caverneuse répondre à Julio. Sur le coup, il était resté tétanisé au bas de l’échelle. Il se dit qu’il avait du imaginé le phénomène mais quand il commença à monter l’échelle, il entendit de nouveau cette voix dire à son frère que Roberto arrivait et qu’il reviendrait le voir plus tard. Quand il était arrivé en haut, son frère était assis dans le placard et le fixait d’un air sombre. Roberto lui avait demandé à qui il parlait mais son frère n’avait pas répondu.
Il s’était contenté de le regarder de ce regard sombre et lointain. Il lui avait donc laissé l’assiette et était descendu précipitamment au rez-de-chaussée pour prévenir Antonio. Son père l’avait écouté et avait mis cet événement sur le compte du stress et de l’inquiétude que Roberto avait pour son frère. La seule explication que son père lui avait donnée était que Julio avait pu changer sa voix pour se donner le change.
Le Père Rosso l’avait écouté avec attention et lui avait promis de venir le lendemain matin pour rendre visite à Julio et tenter de l’aider du mieux qu’il le pouvait. Il avait aussi promis à Roberto de bénir la maison si cela pouvait calmer ses peurs.
Pourtant, Roberto n’était pas dupe. Le Père Rosso devait se dire la même chose qu’Antonio ; que le comportement de Julio était le résultat de sa chute du toit de la maison et de sa longue convalescence.
Quand il fut rentré, sa mère était prostrée dans le canapé, apeurée par quelque chose qu’elle n’avait pas su lui expliquer. Elle se signa plusieurs fois et lui indiqua du doigt le plafond vers la chambre de son frère. Roberto avait cherché son père mais celui-ci était parti au travail. Il était donc courageusement monté à l’étage mais quand il voulut se rendre dans la chambre, il remarqua que l’échelle escamotable avait été remontée et qu’il lui était impossible d’y monter. Il cria après Julio mais celui-ci avait l’air de se disputer avec quelqu’un. Il hurlait que non, il ne le ferait pas, qu’il préférait mourir.
Puis, il se mit à hurler comme quelqu’un qui subissait les pires tortures.
Roberto était alors parti chercher de l’aide auprès de Sylvio et Salvatore. Quand ils arrivèrent à l’étage, Julio poussait des hurlements d’agonie. Salvatore était alors descendu pour aller prendre l’échelle qui se trouvait dans la cour et était revenu presque aussitôt. Cependant, les hurlements avaient cessés et avaient laissé la place à une série de gargouillis atroces.
Sylvio essayait d’aider Roberto à atteindre la corde de la chambre en le prenant sur ses épaules. Il finit par l’attraper et monta les marches précipitamment. Salvatore et Sylvio se regardèrent d’un air sombre et, avant qu’ils ne commencent à monter l’échelle, entendirent Roberto hurler le nom de son frère.
Ils se précipitèrent et restèrent pétrifiés devant le spectacle horrible qui se déroulait devant leurs yeux. Julio, les yeux exorbités et la langue violette, pendait au bout d’un nœud coulant qui était attaché sur une des poutres apparentes du plafond du petit placard. Roberto était agenouillé devant son frère et hurlait son nom. Les frères essayèrent de décrocher Julio, mais celui-ci était trop haut, ses pieds se trouvant à cinquante centimètres du sol. Aucune chaise ne se trouvait dans le réduit. Comment avait-il pu s’y pendre sans prendre d’appui ?
C’est une question que personne n’osa prononcer à voix haute. Sylvio proposa à Salvatore de le soulever sur ses épaules et, sortant un canif de sa poche, commença à découper la corde qui retenait Julio. Sachant qu’il était trop tard, il se dépêcha de délivrer la dépouille de son ami. Après quelques minutes d’effort, elle atterrit sur le plancher dans un bruit sourd. Roberto se jeta sur lui et criait son nom mais l’angle de son cou indiquait aux fils de Vittorio qu’il n’y avait plus rien à faire. Ils en firent part à leur ami. Roberto serra alors son frère dans ses bras et se mit à pleurer hystériquement.
Alerté par ses hurlements, des voisins avaient appelés la police. Quand les forces de l’ordre étaient arrivées sur place, elles ne purent que constater le décès de Julio. Elles durent employer la force pour obliger Roberto à lâcher le cadavre et demandèrent à Sylvio et Salvatore de l’emmener au rez-de-chaussée. Ils descendirent donc auprès de Giulia et Salvatore courut jusqu’à la mine pour annoncer la terrible nouvelle à Antonio. Heureusement, il vit son père en premier et lui raconta les événements. Vittorio, le regard assombri, annonça la tragédie à son ami. Salvatore observa Antonio écouter son père. A mesure que celui-ci l’écoutait, il vit le visage d’Antonio se décomposer et le vit s’effondrer au sol. Des mineurs qui les entouraient se précipitèrent pour relever leur camarade. Il reprit conscience mais n’arrivait pas à admettre qu’il avait perdu son fils. Il se mit sur ses jambes et commença à remonter le chemin vers sa maison, suivi de près par Vittorio et Salvatore.
Quand il arriva devant chez lui, la police était déjà sur place et Antonio s’arrêta devant un sac mortuaire qui trônait au milieu du salon. Il voulut s’approcher mais un policier lui barra le chemin.
-C’est mon fils ! lui avait crié Antonio en hurlant. Puis, sans force, il avait répété: -C’est mon fils.
Roberto était assis à côté de sa mère. Il se tenait courbé, les bras pendant entre ses jambes, les yeux dans le vague, encore sous le choc. Antonio s’approcha de lui en demandant des explications mais Roberto ne lui répondit pas. Le choc l’avait rendu catatonique.
Il n’y eut pas d’enquête, la mort de Julio étant considérée comme un suicide au vu de ses antécédents psychiatriques. La famille fut peu questionnée sur les raisons de cet acte et le corps de Julio fut rendu à la famille pour l’enterrement. Et la vie reprit son cours pour tout le monde, sauf pour Roberto.
A la suite du suicide de son frère, il commença à délirer, à raconter à sa famille, ainsi qu’à son entourage que Julio était toujours là et qu’il venait souvent le voir pendant la nuit. Il racontait à qui le voulait que son frère avait élu domicile dans le placard de sa chambre et qu’il lui avait promit de rester avec lui. Ayant peur pour sa santé mentale, Antonio avait fait interner son fils dans un centre psychiatrique situé à Manage.
Malheureusement, l’état de Roberto se dégradait progressivement. Les premiers mois de son internement, les surveillants avaient remarqué qu’il parlait souvent tout seul, ce qui ne les avait pas surpris. Cependant, une nuit, un surveillant eut l’impression que quelqu’un était avec Roberto. Il avait donc ouvert la cellule mais avait constaté que Roberto était seul. Il mit ça sur le compte du stress ; travailler avec des barjos toute la journée n’était pas fait pour lui ; mais il aurait juré un instant que Roberto n’était pas seul. Il alla même jusqu’à regarder sous le lit et dans le placard de la chambre mais n’avait rien trouvé. Roberto l’avait regardé sans broncher et n’avait même pas cherché à s’enfuir. Heureusement car si cela avait été le cas, ce surveillant aurait été renvoyé pour négligence. Roberto s’était contenté de regarder le surveillant d’un regard éteint et n’avait pas fait un seul mouvement dans sa direction, sauf quand le gardien s’était approché du placard.
Cependant, le surveillant avait ouvert l’armoire et n’avait rien trouvé d’autre que les vêtements que son patient portait lors de son internement. Il referma donc le placard et se dirigeait vers la porte quand Roberto lui fit une étrange requête. Il demanda au surveillant s’il avait un appareil photo. L’hôpital en possédait un et il revint donc avec l’appareil. Roberto lui demanda de le prendre en photo avec son frère. Ne voulant pas le contrarier, le surveillant s’exécuta. Il prit la photo et la donna à Roberto en lui précisant que celle-ci ne s’afficherait que dans quelques minutes. Mais ce que Roberto lui répondit le marqua à tout jamais. Car quand la photo commença à apparaître, le gardien remarqua que quelque chose se tenait à côté de Roberto. Quand la photographie fut nette, Roberto montra l’apparition qui se trouvait juste à côté de lui. Et ce qu’il dit au gardien sembla le ravir.
-Tu vois ? C’est mon frère Julio ! dit-il en pointant le doigt sur la forme noire qui était assise à coté de lui.
Le gardien, décontenancé, la peur suintant par tous les pores de sa peau, sortit précipitamment de la chambre et ferma à double tour la porte. Il ne signala pas l’événement et il ne revient jamais travailler. Le lendemain de l’incident, il téléphona à l’établissement et donna sa démission pour raison de santé.
La dernière fois qu’Antonio était allé voir son fils, il n’avait presque plus rien d’humain. Il refusait depuis des mois de se nourrir et, un soir de novembre, finit par succomber à une crise cardiaque. Un surveillant les avait appelés pour leur annoncer la nouvelle. Antonio, accompagné de Vittorio, était parti signer les documents nécessaires et récupérer le peu d’affaire que Roberto avait pu emporter. En regardant dans le sac transparent, il avait aperçu la photo de Roberto et ne put s’empêcher de remarquer la silhouette qui se tenait à ses côtés. Il l’observa attentivement et du admettre qu’elle ressemblait énormément à Julio. Il mit la photo dans sa poche et garda ce secret pour lui.
S’en suivit l’enterrement. Les jumeaux étaient enfin réunis. La cérémonie terminée, Antonio, Giulia et Filipe étaient rentrés à la maison. Aucun d’entre eux n’avait pensé prévenir Sylvia des événements. Elle l’apprit bien plus tard par Filipe, le jour de la naissance de Michaël. Le choc fut rude et c’est pourquoi elle donna les prénoms de ses frères à son fils, comme une sorte d’hommage pour leur vie si vite écourtée. Filipe lui avait parlé de l’accident de Julio et de son suicide, ainsi que la dépression mortelle de Roberto.
Peu de temps après, sa mère se fit renverser par une voiture. Bien que le conducteur fût en état d’ivresse, il avait affirmé que la dame s’était jetée sous les roues de sa voiture. Il fut quand même condamné mais Antonio et Filipe connaissaient la vérité. Leur mère délirait encore plus depuis la mort de ses fils et disait qu’elle pouvait les entendre crier après elle. Giulia avait voulut rejoindre ses fils. L’enterrement et les formalités terminés, Filipe avait quitté la Belgique, épuisé par tant de tragédies et son père n’eut plus jamais de nouvelles de lui.
Il était donc resté seul dans cette maison vide et malgré les visites assidues de son voisin et ami de toujours, sa santé commença également à se détériorer. Cela avait commencé par d’horribles cauchemars et des réveils soudains au milieu de la nuit. La maison qui avait toujours résonné de rires joyeux s’était peu à peu transformée en un tombeau silencieux. Puis il avait commencé à entendre des grattements. Ceux-ci provenaient généralement de la chambre des jumeaux mais pouvaient aussi se manifester dans d’autres pièces de la maison. Antonio avait mis cela sur le compte du chagrin. Mais plus le temps passait, plus les manifestations étranges se multipliaient. Il entendait des voix, des rires, des pleurs, des cris. Il voyait des ombres, des formes, des visages. Il sentait des présences, des frôlements, des souffles. Il était persuadé que ses fils étaient revenus le hanter.
Cependant, il se réveillait souvent la nuit avec l’impression d’être observé. Il lui était même arrivé de voir des ombres se balader dans la maison. Il y faisait toujours glacial, même les jours d’été. Les objets aussi avaient tendance à changer de place. Il en avait parlé avec Vittorio et se demandait s’il ne perdait pas la tête. Voyant la santé aussi bien physique que mentale de son ami se dégrader, Vittorio avait appelé Sylvia et l’avait mise au courant de l’état de son père. Il était sûr que si Antonio quittait cet endroit maudit, sa santé ne s’en porterait que mieux. C’est ainsi qu’un jour d’été, Antonio, aidé par Vittorio, Herminia et ses deux fils, avait emballé quelques effets personnels et s’était installé dans la maison de sa fille. Avant de partir, il avait caché l’album photo dans la cheminée. Pourquoi ? Il l’ignorait mais une voix lui disait qu’il en aurait besoin un jour.
Au moment où ils avaient démarré, Antonio avait jeté un dernier coup d’œil par la vitre de la voiture et avait cru apercevoir deux ombres derrières la fenêtre de son ancienne chambre. Elles semblaient l’observer sans bouger. Antonio avait frissonné mais n’avait rien dit. Qui l’aurait cru, de toute manière ? Les fantômes, ça n’existait pas. Du moins, pas d’après la Sainte Bible. Il avait décidé de laisser son passé douloureux derrière lui et s’était concentré sur sa nouvelle vie avec sa fille, son beau-fils et leur nouveau-né, Michaël. Malgré sa santé défaillante, il avait passé les vingt années les plus heureuses de sa vie.
Mais c’était fini. Le passé avait fini par le rattraper. Et maintenant, il se devait de prévenir son petit-fils pour le protéger. C’était, il le pensait, sa dernière mission avant de rejoindre sa famille là où vont tous les défunts.
Son histoire terminée, Antonio avait regardé son petit-fils et avait attendu sa réaction. Le gamin semblait choqué mais avait l’air aussi soulagé. C’était un gamin solide. Quand il s’était tourné vers son grand-père, il avait un air décidé.
-Grand-père, je sais ce qu’il faut faire ! dit-il avec conviction.
Antonio avait repris espoir et l’avait écouté à son tour.
Chapitre 3
Quand mon grand-père eut terminé son histoire, je fus pris d’un accès de terreur mais aussi d’un immense soulagement. Contrairement à ce que je pensais, tous ces événements étaient bien réels. Je ne perdais pas la raison. Je demandais donc à mon grand-père comment s’y prendre pour arrêter ces phénomènes. Il me regarda d’un air malheureux et m’avoua qu’il n’en avait aucune idée. Il avait espéré que tout était fini, sinon il ne nous aurait jamais invités à séjourner dans cette demeure. Vittorio gérait lui-même la venue des locataires et envoyait le loyer sur le compte de mon grand-père. Il n’avait jamais signalé aucune manifestation et Antonio ne lui avait jamais demandé non plus. Je lus la tristesse dans ses yeux mais je le rassurais en lui promettant de trouver une solution. Il me serra la main en m’implorant d’être prudent. Je lui promis et l’aidais à monter les marches et à s’installer dans son lit. Avant de monter dans ma chambre, j’entendis mon Nonno m’appeler. Je me retournais et attendit mais il s’était endormi. Avouer tous ses secrets avait dû être éprouvant pour lui. Mais j’étais heureux qu’il l’ait fait car je sais aujourd’hui qu’il a fait de son mieux pour me protéger. Je l’observais donc encore un moment puis m’apprêtais à monter l’échelle conduisant à ma chambre. La chambre des jumeaux. C’était une pièce mansardée avec deux lits séparés par une commode. Sur les murs, il y avait des posters de footballeurs et de chanteurs italiens. Je passais devant la chambre de mes parents et entendis les ronflements de mon père. J’allais monter l’échelle quand j’entendis une porte s’ouvrir. Je restais un instant sans bouger et je fus soulagé d’entendre la voix de ma mère me demandant si tout allait bien. Je me tournais vers elle en lui disant que grand-père s’était endormi et que j’allais me coucher. Comme la rentrée était proche, je voulais être en forme pour mon premier jour. Elle me souhaita donc bonne nuit et alla se recoucher. Je montais donc et inspectais la pièce. Rien à signaler, tout était à sa place. Je jetais un coup d’œil au crucifix et constatais qu’il était toujours au-dessus de la porte du placard. Cette nuit-là fut calme et je m’endormis sans problème. Le lundi arriva sans aucun phénomène à signaler. Puisque le crucifix avait rempli son office, je commençais à me dire que le calme reviendrait dans nos vies. Je me levais de bonne heure, m’habillais et pris mon cartable. Je descendis dans la cuisine. Ma mère était déjà debout et me préparait mon déjeuner. Je me mis à table et lui demandais ce qu’elle avait prévu pour la journée. Elle m’annonça qu’elle allait faire quelques emplettes avec mon père car ils envisageaient de changer le papier peint des murs et me demanda de rentrer tout de suite après les cours. Je l’embrassais et me dirigeais vers l’arrêt de bus qui se situait pratiquement devant la maison. Quatre garçons s’y trouvaient déjà. Quand j’arrivais à leur hauteur, ils se présentèrent. C’étaient les fils de Salvatore et Sylvio, Mario et Massimo et leurs cousins Lucas et Pietro. Leurs pères leurs avaient demandé de veiller sur moi pour ma première journée d’école. J’étais assez content. Ils avaient l’air sympa et le courant passa immédiatement entre nous. Ils me demandèrent ce que je pensais de ma nouvelle demeure mais ne sachant que répondre, j’haussais les épaules en leur répondant que c’était pas mal. Le bus arriva. Nous montâmes et nous dirigeâmes vers l’arrière. Mario me montra le fonctionnement de ma carte de bus et après avoir validé mon ticket, je m’installais à leur côté. Massimo me regardait avec curiosité. Il ne lui fallut pas longtemps pour me demander comment était la vie en France, les cours que j’y avais suivi et si les françaises étaient plus jolies que les filles d’ici. J’étais rouge comme une tomate. Fichue timidité. Son frère Mario, voyant mon embarras, demanda à Massimo de me lâcher un peu et celui-ci se calma, un grand sourire sur le visage. Arrivé devant l’école, ils m’accompagnèrent au secrétariat où je fis mon inscription. La secrétaire me donna mon emploi du temps.
Mario m’observa et m’annonça que nous étions dans la même classe. Je fus soulagé. J’avais au moins quelqu’un que je connaissais pour mon premier jour. Nous arrivâmes en classe et, après les présentations habituelles, nous commençâmes avec une de mes matières préférées, le latin. Sur le temps de midi, après avoir mangé, il me fit visiter l’établissement. C’était un immense bâtiment rempli de couloirs. J’espérais me familiariser rapidement avec ce dédale de couloirs. Quel labyrinthe ! Il dut voir mon trouble car il me prit par les épaules et me dit : T’inquiète pas, l’ami. On s’y habitue vite. N’est-ce pas un mini Poudlard avec ses rangées interminables d’escaliers, ses grandes allées et ses nombreuses classes ? Il abordait un sourire malicieux et je compris aussitôt que nous étions amis. A la fin de cette première journée, je faisais donc partie de la bande. Mario était très intelligent et me proposa de me remettre en ordre pour les cours que j’avais manqué. J’acceptais et l’invitais donc chez moi en début de soirée. Il parut hésiter mais me promit d’être là. De retour à la maison, ma mère était déjà en train de préparer le dîner. Elle me demanda comment s’était passée ma journée. Je lui parlais de mes amis et elle parut heureuse de voir que je m’adaptais bien. Je l’informais que Mario passerait chez nous ce soir. Mon père arriva à ce moment-là, les bras chargés de rouleaux de papiers peints. Mes parents avaient passé la journée à feuilleter des catalogues et avaient choisi un papier peint de couleur beige doré, espérant donner plus de luminosité à la pièce. Il déposa le tout sur la table de la salle à manger et me lança un catalogue pour que je puisse choisir les tons de ma chambre. Je jetais un coup d’œil sur la couverture et vis que ça venait d’un magasin appelé Leroy Merlin.
En attendant mon repas, je feuilletais le catalogue, à la recherche d’une couleur qui, je l’espérais, donnerait un peu de chaleur à ma chambre, la rendrait moins lugubre. Je finis par choisir un ton bleu assez neutre et le montrai à mon père. Il regarda et me dit que c’était pas mal. Les assiettes arrivèrent. Mon père posa les rouleaux de papier peint à même le sol et se mit à manger comme un affamé. Je le regardais certainement d’un drôle d’air car quand il croisa mon regard, il se mit à rire. Je ris également. Il était très drôle avec la moustache de sauce tomate qu’il avait autour de la bouche. Ma mère alla chercher mon grand-père dans sa chambre. Elle m’informa que Nonno n’avait pas eu une bonne journée et qu’elle était restée auprès de lui, laissant mon père s’occuper du papier peint. J’attendis de les voir arriver quand, soudain, des hurlements terribles se firent entendre. Nous nous précipitâmes vers les marches mais avant que l’un d’entre nous n’atteigne le haut de l’escalier, la porte de la chambre s’ouvrit et ma mère s’effondra sur le seuil. Mon père se lança directement vers elle. Il lui prit la tête dans les mains et l’appela doucement en lui caressant les cheveux. Par la porte entr’ouverte, je vis ce qui l’avait fait défaillir et mon cœur s’emballa. Je passai par-dessus mes parents et m’approchai doucement du lit. Couché sur le côté, mon grand-père avait les yeux vitreux et écarquillés par la peur. Au bout de son poignet pendait un chapelet. Sa main était toujours serrée autour de la petite croix qui y pendait. La réalité me frappa de plein fouet. Nonno, mon grand-père, mon meilleur ami, venait de nous quitter. Je restai immobile, le regard fixé sur son visage. La gorge nouée, je n’arrivai pas à bouger. Ma mère revint doucement à elle et se mit à pleurer hystériquement. Mon père la serra contre lui et m’appela. Voyant que je ne réagissais pas, il m’appela de nouveau et je dus me forcer à détourner le regard du visage horrifié de mon Nonno pour le regarder. “Appelle le docteur”, me dit-il. Devant mon regard perdu, il me demanda de nouveau de passer l’appel au médecin pour faire constater le décès. Il me tendit son téléphone et je lui pris d’une main tremblante. J’étais comme dans un état second. Je fis défiler les contacts et tombai sur le bon numéro. La sonnerie retentit quelques secondes et une dame me répondit. Je lui expliquai la situation et elle me répondit : “Le docteur sera là dans les vingt prochaines minutes.” Je raccrochai sans rien dire. Ma mère était toujours au sol, dans les bras de mon père et semblait ne pas pouvoir se relever. Je rejoignis mon Nonno et attendis, lui prenant la main, lui parlant doucement dans l’espoir qu’il puisse encore m’entendre. Les larmes coulant sur mon visage, je remarquai quelque chose dépassant de son oreiller. Je tendis la main et mes doigts touchèrent un bout de papier. Je tirai doucement dessus et vis qu’il s’agissait d’une enveloppe. Je l’ouvris et pus y apercevoir quelques pages pliées à l’intérieur, ainsi que des photographies. La sonnerie de la porte retentit et je m’empressai de mettre l’enveloppe dans la poche de mon jeans. Mon père alla ouvrir et remonta avec le docteur. Le médecin s’approcha du lit, plaça mon Nonno sur le dos, lui prit le poignet à la recherche d’un quelconque pouls, mit son oreille sur sa poitrine et se releva en soupirant. C’était fini. Il ferma les yeux du mort et nous adressa ses plus sincères condoléances. Il quitta la pièce et aida mon père à conduire ma mère au rez-de-chaussée. Je n’avais pas envie de descendre. Je voulais encore rester près de lui, avant qu’on vienne nous l’enlever. Je pris donc l’unique chaise qui se trouvait dans la pièce et le veillai pendant quelques heures. Je crois que ce fut pour moi le jour le plus douloureux de ma vie. Encore aujourd’hui, l’évocation de ce souvenir me brise le cœur aussi atrocement que ce jour maudit. A un moment donné, j’entendis des pas dans les escaliers.
Après quelques minutes, Vittorio passa la porte. Il était suivi de sa femme et de ses fils. Ils me présentèrent leurs respects et Vittorio se dirigea vers mon grand-père. Je sortis de la pièce. Je voulais le laisser dire au revoir à son ami de toujours. Je descendis donc les marches et tombai sur Mario. Il me demanda comment j’allais. Je me retournai pour lui répondre mais la tête me tourna et je fus pris de vertiges. Je repris mes esprits, la voix de Mario répétant mon nom avec insistance. J’étais allongé sur le sol. Je me relevai avec l’aide de mon ami et me dirigeai vers le salon. Ma mère était allongée dans le canapé. Le docteur venait de lui administrer un calmant et mon père lui tenait la main, assis à son chevet. Il avait les yeux rougis mais restait silencieux. Il se devait de rester fort, pour ma mère, pour moi, pour lui. Il m’aperçut et me fit signe de le rejoindre mais je secouai la tête. Mario m’attrapa par les épaules et dit à mon père que nous allions prendre l’air dans la rue un moment. Mon père y consentit et je me laissai entraîner par mon ami. L’air frais de la soirée me remit un peu les idées en place. Mario se dirigea vers le jardin de son grand-père et je le suivis, m’installant sur le même petit banc de pierre que possédait ma maison. Nous restâmes un long moment sans parler, puis Mario me demanda ce qu’il s’était passé. Au lieu de lui répondre, je pris l’enveloppe de ma poche et en sortis son contenu. Je distinguai une écriture tremblante qui recouvrait les pages et commençait par le nom de ma mère. Je compris que cette lettre lui était adressée. En regardant les photographies, je me rendis compte qu’elles ne provenaient pas de l’album photo que mon grand-père m’avait montré. Il y en avait une bonne vingtaine. Je les regardai l’une après l’autre. L’horreur m’envahit doucement. Voyant mon visage blêmir, Mario regarda également les photographies et lui aussi devint pâle comme la mort. Il porta sa main à la croix qu’il portait autour du cou et se signa plusieurs fois… Les photographies représentaient mon grand-père lors de sa vie solitaire. On pouvait voir de manière successive plusieurs silhouettes se rapprocher de plus en plus de lui. Sur la dernière photo, on distinguait parfaitement deux visages juste derrière lui. Et ces visages étaient reconnaissables entre tous. C’était les jumeaux. Leurs yeux semblaient exprimer une terreur sans nom. Leurs bouches étaient ouvertes sur un cri silencieux. En y regardant de plus près, on pouvait voir qu’une autre entité se trouvait derrière eux. La photographie avait été prise dans le petit palier de l’étage. En haut sur la droite, on pouvait voir l’escalier escamotable. A son pied se tenait une ombre noire. De longs bras. De longues jambes. Sa tête paraissait être deux fois plus grosse que la normale. Mais le plus terrifiant était sa face. La photo ne montrait que le bas de son visage mais ce que l’on y apercevait était terrifiant. Une énorme gueule se détachait de ce faciès rugueux comme le cuir. Sa bouche semblait étirée de manière grotesque et révélait une rangée de dents acérées et pointues. Mario me demanda ce que tout cela voulait dire. Ne sachant que lui répondre, je lui racontai… l’histoire que mon grand-père m’avait contée la veille. Il m’écouta attentivement sans m’interrompre une seule fois. Quand j’eus fini, il resta silencieux un moment, semblant réfléchir.
Il se leva et se dirigea vers la maison de son grand-père. Je l’attendis un moment et le vis revenir avec un petit papier à la main. Inscrit d’une écriture bien nette, se trouvait un numéro de téléphone. Je le regardais un instant sans savoir quoi dire et il me précisa que c’était le numéro de téléphone du Père Rosso. Je ne veux pas t’effrayer mec, me dit-il, mais ce qui se passe chez vous n’est pas normal. C’est maléfique. Ce qui vit chez vous n’est pas humain et je pense que cette chose est dangereuse. On devrait aller voir le Père Rosso et lui montrer les photos. Je le regardais, les yeux pleins de détresse et glissai le morceau de papier dans ma poche, sans rien ajouter. Une ambulance arriva devant chez nous et je vis quatre brancardiers monter avec une civière. Je me levai et me rapprochai de la porte d’entrée. Quelques minutes plus tard, ils descendirent avec le corps de mon Nonno. Au moment de le charger dans l’ambulance, le bras de mon grand-père glissa de la couverture qui le recouvrait. Je m’approchai pour la remettre avant qu’un des ambulanciers ne puisse réagir et arrachai le chapelet qui se trouvait encore dans sa main. J’eus du mal à le détacher et remarquai alors que la croix semblait coller à sa main et avait laissé une trace de brûlure sur sa paume. Je regardais cette marque, troublé, mais avant d’avoir le temps d’interpréter ce que je voyais, je sentis qu’on me repoussait gentiment sur le côté. L’ambulancier remit le bras à sa place et la civière entra dans l’ambulance. Trois d’entre eux se mirent à l’arrière et le quatrième s’installa au volant. Quelques instants plus tard, le véhicule démarra et tourna au coin de la rue, en direction de l’hôpital de La Louvière. Je restai un moment au milieu de la rue et entendis Mario me rejoindre. Cependant, une question me taraudait et je me tournai vers mon ami. Mario, lui dis-je, si mon grand-père vivait seul et qu’il était sur les photos, qui tenait l’appareil ? Mario réfléchit un instant, puis, me regardant d’un air abasourdi, me répondit : Il n’y avait qu’une seule personne qui possédait ce genre d’appareil à l’époque. Et cette personne, c’est mon Nonno ? Nous nous fixâmes un instant sans savoir quoi faire. Soudain, Mario se dirigea vers ma maison. Je le suivis en lui demandant ses intentions. Quoi ? Tu veux aller voir ton grand-père maintenant ? Il s’arrêta net et me dit : Je veux savoir s’il était au courant de tout ça. Car si c’est le cas, il nous met tous en danger ! Je l’arrêtai en l’empoignant par le bras. Il me regarda d’un air surpris. Pas maintenant, lui dis-je. Le moment est mal choisi pour lui mettre ça sous le nez. Mais après l’enterrement, j’aimerais avoir une discussion avec ton grand-père. Mario me regarda droit dans les yeux, soupira et acquiesça. Nous revînmes donc calmement dans la maison et j’allais rejoindre mes parents. Ma mère était effondrée. Elle ne cessait de pleurer et de prononcer le nom de son père d’une voix brisée. Herminia la tenait dans ses bras et essayait de la calmer de son mieux. Je restais un moment auprès d’elle et quand le calmant finit par faire son effet et qu’elle tomba endormie, je rejoignis mon père. Il parlait avec Vittorio pour l’organisation des obsèques. Je les laissais discuter et allais m’installer à côté de ma mère. Herminia me regardait avec compassion. Elle se leva et vint me serrer contre elle. Je me sentais assommé. J’avais l’impression de ne plus avoir d’air dans les poumons, de me noyer. Après un moment, elle me lâcha et alla rejoindre son mari et mon père. Ne tenant plus en place, je montais les escaliers jusqu’à la chambre de mon grand-père. Quand je pénétrai dans la pièce, un grand froid y régnait. Je n’y avais pas prêté attention lorsque j’étais monté plus tôt. Me rapprochant du lit, je me laissai tomber dessus et regardai autour de moi. Mes yeux tombèrent sur la photo de mon Nonno. -Tu l’as enfin rejoint, dis-je tout haut dans la pièce vide. Vous êtes réunis. Tu me manques déjà tellement, Nonno. Les larmes se mirent à couler, silencieuses, sur mon visage. Je restai encore un moment quand j’entendis soudain ces maudits grattements. Sans réfléchir, je me levai, soudain empli de colère et hurlai :
-Vous êtes contents ? Vous avez fini par l’avoir ? C’est ce que vous vouliez ? Bande d’ordures ! Pourquoi ? Pourquoi ? C’était votre père !
Je finis par me calmer et tendis l’oreille. Aucune réponse. Je décidai donc de descendre. Arrivant sur le seuil de la chambre, j’entendis comme un ricanement rauque. Je me retournai et crus voir dans un coin reculé de la pièce une sorte d’ombre allongée. Je m’essuyai les yeux pour mieux voir mais quand je regardai de nouveau, elle avait disparu. Cependant, une drôle d’odeur emplit la pièce. Une odeur pestilentielle. Une nuée de mouches. Mes yeux qui se mettent à brûler. Je commençai à suffoquer. Pris de panique, je cherchai la poignée à tâtons et finis par sortir de la chambre en refermant la porte derrière moi. Je restai un moment cloué sur place et j’entendis encore les grattements, mais cette fois, ils paraissaient plus forts, comme des griffes qui se déplaçaient sur le plancher. Des pas lourds se faisaient entendre. Ils se dirigeaient vers la porte. Terrorisé, je descendis l’escalier et me précipitai dans le salon. Ma mère était toujours endormie. Je tendis l’oreille, m’attendant à entendre des pas descendre les marches, mais cela ne se produisit pas. Je voulais aller tout raconter à mon père – il était toujours en conversation avec Vittorio – mais je n’en fis rien. En m’asseyant, je ressentis une brûlure dans la main. J’ouvris celle-ci et remarquai que je serrais toujours la croix du chapelet de mon Nonno. Je la pris de l’autre main et sifflai quand celle-ci se détacha difficilement de ma peau. Je regardai ma paume avec stupéfaction. La croix y avait l’air incrustée. Exactement comme mon grand-père. Je ne comprenais pas ce que tout cela voulait dire. Je remis le chapelet dans ma poche et allai passer ma main sous l’eau dans la salle de douche. En regardant dans le miroir, je m’aperçus que je n’étais pas seul. Derrière moi se tenaient deux silhouettes sombres. Deux silhouettes identiques. Elles m’observaient sans bouger, cependant leurs visages étaient toujours tendus sur ce cri silencieux, comme s’ils me demandaient de l’aide. Pris de panique, je fermai les yeux en répétant sans cesse : Allez-vous-en ! Allez-vous-en ! Laissez-moi ! Laissez-nous tranquille ! Un vent glacial sembla me traverser puis tout redevint calme.
J’ouvris les yeux avec précaution, mais il n’y avait plus personne. Les larmes me montèrent aux yeux, je me sentais abandonné. Je courus rejoindre mon père dehors et me blottis contre lui sur le banc de pierre. Mon père me prit dans ses bras sans un mot. Je levais les yeux vers lui et il me sourit tristement. Nous restâmes ainsi un moment puis nous rentrâmes dans le salon. Ma mère dormait toujours, elle ne se réveillerait pas avant le lendemain. Mon père alla chercher le matelas gonflable dans la pièce de devant et l’installa dans le salon. Je me glissais dans l’autre canapé. Hors de question que je remonte à l’étage. Il ne me força pas à monter dans ma chambre. Il se coucha et me dit de dormir un peu. Demain serait une longue journée. J’aurais voulu lui raconter ce qui s’était passé, mais je gardais le silence. J’avais l’impression que c’était à moi de régler ce problème. Après tout, j’étais le seul à voir cette chose depuis que mon grand-père était mort. Je ne voulais pas leur faire plus de peine alors que ma mère venait de perdre son père. Je lui souhaitais bonne nuit et je fermais les yeux. Le sommeil m’emporta aussitôt. J’étais épuisé par cette soirée cauchemardesque. Le lendemain, je me réveillais avec un goût de cendre dans la bouche. Je sortis du canapé sans faire de bruit pour ne pas réveiller mes parents. En passant devant la salle de douche, je jetais un coup d’œil à l’intérieur. Rien d’anormal, apparemment. Je décidais de me laver. Je montais les escaliers pour aller chercher des vêtements propres et je m’arrêtais devant la porte de la chambre de mon grand-père. Je tendis l’oreille mais n’entendis rien. J’étais nerveux mais je continuais vers ma chambre. Dès que j’entrais, je sentis que quelque chose n’allait pas. La pièce était plongée dans l’obscurité et l’air était glacial. Je me précipitais vers mon bureau, cherchant à tâtons mes vêtements, quand un étau invisible se referma sur ma poitrine et me coupa le souffle. Ma tête tournoyait, je vacillais sur mes jambes. Un bruit grinçant me fit sursauter. En panique, je balayais la pièce du regard et découvris avec horreur que la porte du placard s’était ouverte. Je m’approchais prudemment, le cœur battant, et heurtais du pied un objet dur. Je me baissais pour le ramasser et mon sang se glaça. C’était un morceau du crucifix que mon grand-père m’avait donné. Je restais pétrifié. Mes jambes flageolaient et je reculais du placard. Quand je touchais le dossier de ma chaise de bureau, la porte du placard claqua brutalement. Un souffle fétide emplit ma chambre, comme si un cadavre en décomposition s’y cachait. Soudain, je ne fus plus seul dans la pièce. Je sentis une présence maléfique derrière moi. Paralysé par la peur, je hurlais : Qui êtes-vous ? Qu’est-ce que vous voulez ? Laissez-moi tranquille ! Le silence retomba et rien ne bougea plus. J’attendais une nouvelle attaque mais rien ne vint. Tremblant comme une feuille, je saisis une pile de vêtements sur mon lit et dévalais l’échelle.
Mon cœur battait la chamade. Je courus jusqu’au seuil de l’escalier et me retournais malgré moi. Ce que je vis à cet instant me terrifia au-delà de toute mesure. Mon esprit n’arrivait pas à concevoir ce que mes yeux me montraient. Une entité monstrueuse, d’une taille impressionnante se tenait au pied de l’échelle. Elle était si noire que la lumière ne filtrait pas au travers. Elle avait un corps maigre muni de bras d’une longueur inhumaine et ses mains étaient terminées par de grandes griffes acérées. Mais le plus terrifiant était son absence de traits. Là où il y aurait dû avoir des yeux et un nez se trouvaient une sorte de membrane épaisse comme du cuir. La chair semblait pulser. Seule une énorme gueule pleine de dents effilées se détachait sur cet horrible masque de chair. La chose me fixait sans bouger et semblait me toiser en émettant des grognements sourds. Avant même que je puisse faire le moindre mouvement, je vis sa bouche s’agrandir et elle murmura mon nom. Lorsqu’elle prononça ce simple mot, je vis que l’intérieur de sa bouche était rempli d’yeux de couleur vert jaunâtre et dont la pupille évoquait celle des reptiles qui me regardaient avec avidité. C’en était trop. Je me mis à hurler si fort que mes poumons étaient en feu. J’étais collé contre le mur du couloir mais mes jambes ne voulaient pas bouger. Je la vis tendre les bras vers moi et le noir m’envahit.
Un bruit de pas précipité me ramena à la réalité. J’étais allongé dans le couloir, mes vêtements éparpillés autour de moi. Je me redressais doucement et vit le visage de mon père au bas des marches. Il se précipita sur moi et m’aida à me relever. J’étais complètement assommé. Quand il me demanda pourquoi j’avais crié, mon regard se tourna instinctivement vers l’échelle et la terreur m’assaillit de nouveau. Mes jambes patinaient pour essayer de m’éloigner de l’échelle. Je n’arrivais pas à prononcer le moindre mot. Je ne pus que me relever et entraîner mon père vers les escaliers tout en regardant derrière lui à chaque marche. Mon père m’assaillait de questions mais je me contentais de descendre le plus vite possible, voulant mettre le plus de distance possible entre cette horrible entité et moi. Arrivé dans le salon, j’allais m’asseoir sur le canapé, mon père toujours sur les talons. Il me regarda avec inquiétude et m’invita à m’expliquer. Je jetais un œil sur ma mère mais les calmants devaient être forts car elle ne s’était pas réveillée. J’entraînais mon père vers la cuisine et décidais de lui raconter ce que j’avais découvert jusque là. Je lui résumais l’histoire de mon grand-père, lui montrais les photos et lui décris tous les événements étranges que j’avais vécu dans ma chambre. Je terminais par l’apparition de l’entité et lui révélais qu’elle avait prononcé mon nom. Mon père prit le temps de regarder les photographies et je voyais bien qu’il était mal à l’aise. Il se mit à faire les cents pas. Je commençais à me calmer un peu quand j’entendis ma mère nous appeler du salon. Mon père me regarda et me demanda de garder cela pour nous. J’allais le contredire mais il me promit que nous nous occuperions de tout cela après les funérailles. Avant qu’il ne rejoigne ma mère, il se tourna sur moi et me dit : Je te crois, Michaël. Depuis que nous sommes arrivés dans cette maison, j’ai toujours eu cette sensation que quelque chose ne tournait pas rond. Je ne suis pas aussi insensible qu’on pourrait le croire. Mais tu sais que j’ai toujours essayé de rationaliser. Cependant, il se passe des choses incompréhensibles dans cette maison. Et avec ce que tu viens de me raconter, le doute n’a plus sa place. Ne t’inquiète pas, Champion. Nous allons trouver une solution. Nous irons voir ce prêtre et voir s’il peut nous aider. Mais pour l’instant, nous devons nous occuper de ton Nonno. Et à partir d’aujourd’hui, tu dormiras au salon jusqu’à ce que cette histoire soit réglée. Je me sentis un peu mieux, un peu moins seul. J’avais cru pouvoir gérer cette situation comme un homme mais j’étais encore jeune. Et savoir que mon père me croyait et me soutenait fut un énorme soulagement. Je n’étais plus seul pour affronter cette horrible chose. J’allais donc prendre ma douche et m’habiller. En sortant de la douche, la buée recouvrait tout. J’allais frotter le miroir avec ma serviette quand je remarquais des lignes se former sur celui-ci. En me reprochant pour lire, je déchiffrais « Aiutaci ». De toute évidence c’était de l’italien. Mais bien que ma mère soit italienne, elle ne me l’avait jamais enseigné. Malgré ma stupéfaction devant ce phénomène, je me précipitais dans la cuisine à la recherche de mon GSM pour prendre une photo du miroir et réussis à l’avoir. Les lettres commençaient à s’estomper mais on y voyait encore l’inscription. Je lançais la traduction et fut sous le choc quand je vis ce que cela voulait dire. « Aide-nous ». Je ne sus comment réagir et me contentais de répondre à voix haute : Comment ? Mais je n’obtins aucune réponse. Le miroir était maintenant sec et rien d’autre ne vint s’y inscrire. Je décidais de garder cela pour moi et m’habillais. J’allais rejoindre mes parents. Mon père essayait d’obliger ma mère à avaler quelque chose mais elle refusait. Elle se contenta de boire une tasse de café et mon père cessa d’insister. Je m’installais à côté d’elle et lui pris la main. Elle la serra sans me regarder. J’avais mal de la voir souffrir.
Je restais ainsi près d’elle et quand il fut temps de se rendre au funérarium, je l’aidais de mon mieux, la soutenant, la gardant dans mes bras pendant que mon père parlait au personnel des pompes funèbres. Quand nous arrivâmes au choix du cercueil, mon père se tourna vers ma mère mais celle-ci secoua la tête. Elle n’était pas en état de s’occuper de ça. Mon père paraissait désemparé. Je décidais donc de la ramener dans la voiture et de laisser mon père gérer les dernières obligations. Il saurait se débrouiller. J’installais ma mère à l’arrière et m’assis à ses côtés. Elle ne pleurait plus mais son regard était cerné et elle regardait le vide. Je me souviens soudain de la lettre que mon grand-père avait laissée à son attention. J’y songeais un moment mais décidais de ne pas lui transmettre avant de l’avoir lue au préalable. Je ne savais pas quel effet aurait cette missive où si elle contenait quoi que ce soit sur les événements qui perturbaient notre quotidien. Je me contentais donc de lui tenir la main. Un peu plus d’une demi-heure s’écoula avant que je ne vois mon père sortir de l’établissement. Il s’installa au volant, nous regarda par le rétroviseur et démarra la voiture sans dire un mot. Nous rentrâmes à la maison et mon père alla installer ma mère dans le canapé. Elle paraissait dans un état second. Je commençais à m’inquiéter pour elle. Habiter ici avec cette menace dans nos murs n’allait pas arranger les affaires. Pourtant, il fallait que ma mère soit au courant. Dans son état, elle était une cible de choix en cas d’attaque de la présence diabolique. Du moins, c’est ce que je pensais. Ayant lu quelques articles sur des phénomènes paranormaux, je savais que les personnes fragiles étaient des cibles de choix. Quelques instants plus tard, on frappa à la porte. Mon père était au téléphone avec l’hôpital pour savoir quand les pompes funèbres pourraient récupérer la dépouille de mon grand-père. J’allais donc ouvrir et tombais sur Mario. Il me salua et s’excusa de me déranger dans un moment pareil mais il avait quelque chose à me montrer. Je m’écartais pour le laisser entrer mais il refusa. Il avait l’air terrifié et ne cessait de regarder les fenêtres de l’étage. Il me proposa de le rejoindre chez lui dans la soirée. J’acceptais et il repartit vers sa maison. Je refermais la porte et rejoignis mes parents dans le salon. Mon père préparait le repas. Ma mère était partie s’allonger dans leur chambre. Nous étions donc seuls et je demandais à mon père ce qu’il avait l’intention de faire. Il me répondit qu’il ne savait pas encore. Je profitais de ce moment pour lui parler de la lettre que mon grand-père avait laissé à sa fille. Intrigué, il me demanda de la lui apporter. J’allais dans la salle de douche pour la récupérer dans la poche de mon pantalon. Je regardais le miroir mais aucun autre message ne m’attendait. Je revins avec l’enveloppe et lui tendit la lettre. Mon père s’installa à la table et se mit à lire.
Quand il eut fini, je la pris et constatais que c’était une lettre d’adieux. Mon grand-père lui demandait pardon pour ses frères qu’il n’avait pas pu aider et pour la mort de sa femme mais ne mentionnait aucun des événements qui avaient conduit les jumeaux à leur mort, ni même les vraies raisons de la mort de sa femme. Il lui disait qu’il l’aimerait toujours et qu’elle ne devait pas s’en vouloir. Que les vingt années passées à nos côtés avaient été un pur bonheur et qu’il serait toujours là pour elle. En regardant la lettre, je remarquais que la date inscrite au-dessus datait de seulement quelques jours avant que mon grand-père ne me raconte son histoire. Je mis la lettre de côté et montrais les photographies à mon père. Il les prit et les fit défiler. À mesure qu’il passait de l’une à l’autre, son visage affichait des expressions de plus en plus sinistres. Il me demanda s’il y en avait d’autres et je lui parlais de l’album. Je montais doucement les marches pour me rendre dans ma chambre. En passant devant la chambre de mes parents, j’entrouvris la porte et constatais que ma mère dormait. Je refermais doucement pour ne pas la réveiller et montais l’échelle. Tout semblait calme et j’en profitais pour filer vers mon bureau où l’album était posé. Je jetais un coup d’œil sur une caisse que je n’avais pas encore déballée et qui contenait mon ordinateur de bureau. Je décidais de le placer dès que j’aurais montré l’album à mon père. Il serait sûrement utile si je devais faire des recherches sur la manière de nous sortir de cet enfer. Je redescendis doucement et me réinstallais à table. J’ouvris l’album et le montrais à mon père. Comme moi, il détailla chaque photo, en observant bien celle des jumeaux. La dernière photographie le fit sourire. Ma photo de moi étant bébé. Je lui demandais son avis et il me dit qu’effectivement, tout cela était troublant. Mise à part la première photographie, mon grand-père n’apparaissait sur aucune autre. Je n’avais pas fait le rapprochement. Encore une fois, qui se trouvait derrière l’appareil ? Le téléphone de mon père se mit à sonner et nous fit sursauter. Mon père décrocha. C’était l’hôpital. Il nous informait que la dépouille de mon grand-père était en route pour le funérarium. Mon père les remercia et raccrocha. Je le regardais soupirer. Il va falloir aller réveiller ta mère, me dit-il. Nous devons aller organiser la veillée funèbre. Je montais donc les escaliers et allais rejoindre ma mère dans sa chambre. Je passais d’abord par la chambre de mon Nonno. Quand je pénétrais dans la pièce, je vis avec consternation qu’un désordre sans nom régnait dans la pièce. Les vêtements de la penderie de mon grand-père étaient éparpillés à même le sol, ses livres personnels étaient tombés des étagères et même la couverture que ma mère lui avait tricotée pour les froides nuits d’hiver avait été projetée au-dessus d’un lampadaire. Cela me mit en colère. Mais le temps me manquait. Donc, je remis de l’ordre dans la pièce pour ne pas inquiéter ma mère et refermais doucement la porte.
J’étais sur le point de la rejoindre quand j’entendis des grattements dans la chambre. Je n’y fis pas attention et ouvris la porte. Elle dormait encore, sous l’effet des calmants qu’elle avait pris. Je la secouai doucement et elle ouvrit les yeux péniblement. Je lui annonçai le coup de fil de l’hôpital et elle me dit de descendre, qu’elle nous rejoindrait. Je lui proposai mon aide mais elle refusa d’un signe de tête. Je la laissai donc se préparer à son rythme et descendis retrouver mon père dans le salon. Il portait son costume le plus sombre et me tendit le mien. Je me rendis à la salle de douche pour me changer. Alors que je boutonnais ma chemise, mes yeux furent attirés par le miroir. J’avais cru voir un mouvement. Je m’approchai et crûs entendre des grattements venant de l’autre côté de la glace. Je me rapprochai encore, jusqu’à ce que mon nez frôle presque le miroir quand je vis quelque chose qui me glaça le sang. Le rideau de douche était éclairé par la lumière venant de la petite fenêtre de la salle de bain. Là où il n’y aurait dû avoir que le reflet du pommeau, se tenaient deux silhouettes immobiles. Mes cheveux se hérissèrent sur ma tête et ma gorge se serra. La panique envahit tout mon corps. Je me retournai lentement vers la cabine de douche. Les silhouettes étaient toujours là. J’avançai lentement la main vers le rideau, la sueur perlant sur mon front. Mon cœur battait à tout rompre. Je respirais fort. Ma main atteignit le rideau et je décidai de l’écarter d’un geste brusque. Je tremblais de peur, prêt à m’enfuir, mais la cabine était vide. J’essayai vainement de reprendre mes esprits en inspectant la petite cabine mais il n’y avait aucun recoin où quelqu’un ou quelque chose aurait pu se cacher. Je refermai donc le rideau et me tournai vers le reste de ma tenue. J’attrapai mon pantalon et ma veste et les enfilai rapidement. Mon cœur palpitait. Je pris ma cravate et me rapprochai prudemment du miroir pour faire mon nœud. J’avais presque terminé quand j’entendis des petits coups frappés derrière le miroir. Mon cœur fit un bond dans ma poitrine. Non ! Pas encore ! Je restai figé et, sous mes yeux ébahis, je vis encore des mots s’inscrire sur la vitre. J’entendais ce bruit irritant que fait quelqu’un quand il passe ses doigts sur une vitre humide. Mais cette fois, le message était différent : « Per favore, liberaci ! » Je tremblais de terreur. Les mots s’effacèrent progressivement, comme la première fois, mais j’entendis encore ce genre de petits coups comme quand quelqu’un tape contre une vitre pour attirer votre attention. Je me ressaisis du mieux que je pus et attendis de voir si une autre manifestation allait se produire. Plusieurs minutes s’écoulèrent et je m’apprêtai à sortir de la pièce quand j’entendis prononcer mon nom. Je me figeai, la main sur la poignée. Me retournant doucement, ce que j’aperçus dans le miroir me fit l’effet d’une douche glacée pendant un jour de canicule. Derrière la vitre, le visage des jumeaux me regardait et semblait implorer mon aide. Mais le pire était cette espèce de chaîne qui semblait attachée à un anneau greffé sur leur poitrine. Je ne savais pas quoi faire, ni qu’en penser. Qu’était donc cette chaîne ? Était-ce une sorte de punition? Ou bien étaient-ils prisonniers ? Dans ce cas, par qui ? Ou par quoi ? Plongé dans mes pensées et le regard toujours fixé sur le miroir, je sursautai quand on frappa à la porte.
Mon père passa la tête et me demanda si j’étais prêt. Je me tournai vers le miroir mais les jumeaux avaient disparu. Je sortis sans rien dire. J’étais encore sous le choc de cette apparition. Ma mère était assise sur le canapé, vêtue d’une robe noire et d’un petit chapeau orné d’un voile noir. Je ne l’avais jamais vue porter ce genre de tenue et cela me fit un choc. Elle semblait avoir vieilli de vingt ans en quelques heures. Je m’approchai d’elle et pris ses mains dans les miennes. Elle me sourit faiblement et me dit que j’étais très beau dans mon costume. Je lui rendis son sourire et l’aidai à se lever. Elle était maigre et son visage était crispé. Nous quittâmes la maison et nous dirigeâmes vers la voiture. Nous rejoignîmes le funérarium. A notre arrivée, deux employés accueillaient déjà les gens qui affluaient. Cette pensée me réconforta. Mon grand-père avait été très aimé par sa communauté. De nouveau, mon cœur se serra à l’idée que je ne le reverrais plus jamais. Nous sortîmes de la voiture et allâmes rejoindre mon Nonno.
Chapitre 4
La veillée dura trois jours. Les amis de mon grand-père défilèrent devant sa dépouille pour lui rendre hommage et lui dire adieu. Le troisième jour, je vis arriver un homme que je n’avais jamais rencontré de ma vie mais qui pourtant me semblait familier. Sans saluer personne, il se dirigea directement vers le cercueil. Il avait l’air dévasté et regardait mon Nonno avec une expression de profonde douleur. Je me rapprochai de mon père et lui demandai de qui il s’agissait. Mon père le regarda un instant et me répondit que c’était mon oncle Filipe. En l’observant de plus près, je reconnus le jeune homme qui se trouvait sur les photos de l’album de mon grand-père. Il avait vieilli et grossi mais c’était bien lui. Il dut sentir mon regard sur lui car il se retourna et me fixa avec insistance. Il se pencha sur son père et l’embrassa sur le front puis me rejoignit. Tu dois être Michaël, me dit-il en me tendant la main. Je la lui serrai et acquiesçai. Tu as bien grandi, me dit-il. Tu ressembles tellement à… Il laissa sa phrase en suspens et secoua la tête comme s’il voulait chasser une pensée. Sans rien ajouter, il se dirigea vers ma mère et la serra dans ses bras. Mon père vint me rejoindre et m’informa que c’était lui qui avait prévenu mon oncle de la mort de son père. Il l’avait retrouvé grâce aux réseaux sociaux et lui avait laissé un message avec l’adresse du funérarium et la date de l’enterrement. Il n’avait obtenu aucune réponse de sa part et fut donc surpris quand il l’avait vu arriver. Mon père me proposa d’aller boire quelque chose et alla rejoindre ma mère. Celle-ci était en pleine discussion avec son frère et semblait agacée. Je décidai de sortir prendre l’air. Quelques instants plus tard, je vis Mario, Massimo, Lukas et Pietro arriver devant l’établissement. Ils me virent et me rejoignirent. Salut Michaël, me dit Massimo. Je suis vraiment désolé pour ton Nonno. C’était un homme bon. Je le remerciai et nous restâmes ainsi quelques instants sans rien dire. Mes épaules se mirent à trembler et mon visage se crispa. Mario s’approcha et me serra contre lui. Je me laissai aller contre mon ami et me mis à pleurer à gros sanglots. La crise passée, je me redressai et m’excusai auprès des autres. Mario secoua la tête et me dit : T’excuse pas, mec. C’est normal. Si tu as besoin de quoi que ce soit, on est là. Ça sert à ça les amis. Je fus touché. On ne se connaissait que depuis quelques mois et ils me considéraient comme de la famille. C’est donc entouré de mes amis que je rejoignis mes parents. Ils allèrent se recueillir autour du cercueil, y restèrent un moment et vinrent me rejoindre devant le buffet. Voilà bien une tradition que je n’arrivais pas à comprendre. Comment pouvait-on manger dans un moment pareil ? Je restai donc avec mes amis pendant que mes parents serraient les mains des personnes venues rendre hommage à mon grand-père. La matinée passée, nous nous dirigeâmes vers l’église et c’est le cœur serré que j’écoutai chaque personne dire un mot pour mon Nonno. Je n’avais préparé aucun discours et je ne pus que balbutier un faible adieu, la gorge nouée par le chagrin. La cérémonie terminée, nous regagnâmes nos voitures et suivîmes le cortège jusqu’au petit cimetière de notre village. Le père Rosso entama son discours mais je ne l’écoutai qu’à moitié, ne pouvant détacher les yeux du cercueil. Quand ce fut terminé, je pris une poignée de terre dans ma main et, comme le veut la tradition, la jetai sur le cercueil. Les yeux remplis de larmes, je m’éloignai pour respirer un peu. Mes parents restèrent encore un moment puis remontèrent lentement l’allée jusqu’à leur voiture personnelle. Je m’étais installé sur un banc, un peu en retrait et laissai tomber mon regard sur les stèles posées devant moi. J’y déchiffrai les noms inscrits dessus et mon cœur se glaça. C’était les tombes de mes oncles décédés. Le souvenir de leurs visages suppliants me revint en mémoire.
Avant même que je ne réagisse, mon oncle Filipe se dirigea vers moi et me demanda d’aller rejoindre mes parents. Je me levai donc et montai dans la voiture sans rien dire. De la vitre de la voiture, je l’observai un moment. Il regardait les tombes de ses frères et son regard était sombre. Mon père démarra la voiture et je le perdis de vue. De retour à la maison, ma mère monta directement dans sa chambre et mon père s’affala dans le canapé. Il avait les traits tirés et semblait épuisé. Je m’installai à ses côtés. J’allais lui demander comment il allait quand soudain, des cris horribles se firent entendre à l’étage. Mon père et moi bondîmes dans les escaliers et pénétrâmes en trombe dans la chambre parentale. Ma mère était prostrée dans un coin de la chambre et montrait de la main le miroir de sa commode. Nous nous retournâmes et mon cœur se bloqua sous le coup de l’effroi. Une apparition innommable apparaissait derrière la glace. Comme coincé derrière la vitre, les mains posées à la surface, mon grand-père nous regardait d’un air horrifié. Ses yeux étaient écarquillés par la terreur. Sa bouche remuait mais aucun son n’en sortait. Je vis soudain une griffe apparaître derrière lui et mon pauvre Nonno fut entraîné dans les ténèbres. Ma mère se mit à hurler. Je me jetai sur le miroir en hurlant le nom de mon grand-père mais je ne vis plus rien, si ce n’était le reflet de la chambre derrière moi. Je me tournai vers mes parents, ne sachant que faire de plus. Ils avaient l’air aussi hallucinés et impuissants que moi. Nous attendîmes un moment mais rien d’autre ne se produisit. Mes parents descendirent au salon, ma mère tremblant de tous ses membres. Je les suivis et décidai de tout raconter à ma mère. Il était temps de la mettre au courant. Mais je décidai d’abord d’aller voir Mario pour savoir de quoi il voulait me parler. J’informai donc mon père et, sans lui laisser le temps de me répondre, me dirigeai vers le fond de la rue. Mario m’attendait dans le jardin, assis sur le banc. Il était seul. Il portait toujours son costume et fumait une cigarette. A mon approche, il s’apprêtait à la jeter mais se ravisa quand il vit que ce n’était que moi. J’allai m’installer à côté de lui. Il se retourna vers moi, vit ma mine effarée mais ne dit rien. Il se leva et me demanda de l’attendre. Il pénétra dans la maison et sortit quelques minutes plus tard, tenant dans ses mains une pochette. Il me la tendit sans rien dire. Je regardai à l’intérieur et vis qu’elle contenait des photographies et plusieurs carnets. Je regardai Mario et il m’expliqua qu’il avait trouvé toutes ces choses dans un tiroir dissimulé sous le bureau de son grand-père. Il commençait à rafraîchir et il dut remarquer que je n’allais vraiment pas bien car il me proposa d’aller dans sa chambre. Je le suivis en fourrant la pochette sous ma veste et le suivis à l’intérieur. La maison était vide. Ses parents et son frère étaient partis manger chez leurs cousins. Mario avait prétexté des devoirs à terminer dans l’espoir de me croiser. C’était une charmante demeure. Le séjour était lumineux et on y ressentait une impression de bien-être en y pénétrant. Je suivis Mario à l’étage et il m’ouvrit la porte de sa chambre. Je constatai avec humour que son père avait eu raison en me disant que son fils préférait les jeux vidéo. Sous un lit en mezzanine se trouvait tout l’attirail d’un joueur professionnel. Quatre écrans superposés deux par deux trônaient au-dessus de son bureau. Une barre son dominait en dessous. Son clavier émettait des lumières rouges, vertes et bleues. Sur le siège traînait un casque équipé d’un micro. Il avait une collection impressionnante de jeux sur ses étagères. Il dut voir mon expression car il sourit et haussa les épaules, l’air de dire « chacun son truc ». Deux poufs étaient disposés au milieu de la pièce. Je m’installai et regardai les posters qui garnissaient les murs. C’était surtout des affiches de jeux.
L’une d’entre elles représentait le célèbre Sonic, ce hérisson bleu qui courait à la vitesse de l’éclair. Mario s’installa dans l’autre pouf et je déposai la pochette sur la petite table basse qui se trouvait entre nous. Je sortis un à un les petits carnets qu’elle contenait et entrepris de regarder d’abord les photographies. Toutes représentaient la maison de mon grand-père. Elles portaient des dates qui correspondaient aux dates indiquées sur les différents carnets. J’entrepris de les ranger dans l’ordre, de la plus ancienne à la plus récente et ouvris le premier carnet. Mario me précisa qu’il ne les avait pas encore lus mais y avait reconnu l’écriture de son grand-père. La première page contenait les noms des locataires. Vittorio s’en était servi à la base pour noter le paiement des loyers suivis des dates de versements. En tournant les pages, je vis que suivant les dates de paiements, de petits commentaires y étaient griffonnés, indiquant des incidents inexpliqués vécus par les locataires. Il avait fait la liste des phénomènes que subissaient ces pauvres gens. Il y avait d’abord eu des plaintes pour des bruits de grattements qui avaient été interprétés par la possible présence de rongeurs. Ensuite, ces gens s’étaient plaints de portes qui claquaient seules, de bruits de pas sur les planchers des chambres, de mauvaises odeurs et d’objets qui se déplaçaient seuls. Bien sûr, tout n’arrivait pas en même temps, mais plutôt allant crescendo au fur et à mesure de l’occupation des lieux. A chaque fois, la famille avait fini par partir en laissant parfois toutes leurs affaires sur place. Une autre famille avait même signalé l’apparition de griffures sur les murs et des sons interprétés comme des grognements de bête sauvage. Les autres carnets étaient identiques. Nouveaux locataires, mêmes soucis. La maison n’était jamais habitée plus d’une année. Je passais les carnets à Mario au fur et à mesure que je les terminais et je vis qu’il avait l’air surpris par ces témoignages. Je regardai les photos une à une avec plus d’attention. Elles représentaient la maison après le départ de ses occupants. Sur plusieurs d’entre elles, on pouvait voir des murs couverts de griffures, des ombres semblant voyager devant les fenêtres et sur d’autres, on pouvait discerner une énorme ombre longiligne à la tête déformée et aux bras extrêmement allongés, finis par des griffes. Je regardai Mario, attendant une explication. Il regardait les photos et semblait terrifié. Il leva les yeux vers moi et me promit qu’il n’était pas au courant de ce qu’il se passait dans la maison. Il savait juste que son grand-père s’occupait d’encaisser les loyers qu’il envoyait sur le compte de mon grand-père et avait remarqué que les locataires ne restaient jamais longtemps mais il n’avait jamais eu d’explications sur la raison de leur départ. Il avait mis cela sur le compte de l’état de délabrement de la maison. Je le crus immédiatement. Il était tellement secoué par ce qu’il venait de découvrir que je ne doutais pas un seul instant de son honnêteté. Il me demanda ce que j’allais faire de tout cela. Je lui répondis qu’il était temps d’avoir une sérieuse conversation avec son grand-père. Il se prit la tête dans les mains et soupira. Puis, il se leva et m’invita à descendre au salon. Là, nous attendîmes le retour de sa famille.
A leur arrivée, Mario demanda à son père de nous rejoindre dans sa chambre. Salvatore nous suivit donc et Mario lui montra les carnets et les photographies et je lui racontai les événements depuis le début de notre arrivée dans la maison. Son visage passa par toutes les couleurs et à la fin, il était livide. Je lui demandai s’il était au courant des manifestations. Il me répondit qu’il avait remarqué certaines étrangetés du temps où lui et son frère rendaient visite aux jumeaux et à Filipe mais que depuis leur mort, il n’avait plus jamais mis les pieds dans la maison. Pas depuis qu’il nous avait aidé à emménager. Je lui rappelai son air inquiet à la vue du placard. Il me dit qu’il était désolé de ne pas m’avoir raconté pour Julio mais qu’il pensait que j’étais déjà au courant. Je lui révélai que je ne savais rien, ainsi que ma mère. Salvatore parut abasourdi par la nouvelle. Jamais il n’aurait cru que la famille avait tenu Sylvia à l’écart de la tragédie familiale. Il pensait que ma mère connaissait la vérité sur les circonstances de leur mort et surtout sur les événements étranges qui se passaient sous notre toit. Quand il vit que j’étais sérieux, il décida de se rendre chez son père pour lui demander des explications. Nous le suivîmes et le rattrapâmes au moment où Herminia lui ouvrait la porte. Salvatore demanda à sa mère où se trouvait son père. Elle lui dit qu’il se reposait et qu’elle allait le chercher. Elle nous invita à nous installer dans le salon et nous l’attendîmes. Vittorio nous rejoignit et me regarda en premier. Il me dit qu’il était désolé pour mon grand-père et que j’étais toujours le bienvenu chez lui. Je le remerciai, les yeux baissés. Il se tourna vers son fils et lui demanda la raison de cette visite si tardive. Salvatore ne répondit pas et jeta la pochette comportant les photos et les carnets sur la table. Son père la regarda avec étonnement et la saisit mais dès qu’il l’ouvrit et vit ce qu’elle contenait, son visage blêmit et il se mit à crier : Où as-tu trouvé ça ? Pourquoi as-tu été fouiller dans mon bureau ? Qui t’a dit de te mêler de ça ? Salvatore ne s’attendait pas à ce genre de réaction et lui aussi se mit à crier : Tu savais ! Tu savais ce qu’il se passait dans cette maison ! Pourquoi ne nous as-tu rien dit ? Pourquoi n’as-tu pas prévenu Antonio que les phénomènes continuaient ? Tu lui as fait croire pendant des années que plus rien ne se passait. Alors que tu étais au courant que les locataires partaient effrayés par ce qui se cache dans cette maison ! Explique-toi car maintenant, c’est Sylvia et sa famille qui sont en danger ! La chose qui hante les lieux s’en prend à Michaël ! Et elle ne va pas s’arrêter là, tu le sais ! Alors parle ! Vittorio nous regarda tour à tour et je vis ses épaules se voûter. Il s’installa dans son fauteuil et commença son récit.
Le récit de Vittorio
Le jour où Vittorio avait annoncé à Antonio la mort de son fils Julio avait été le plus affreux de sa vie. Il avait vu Salvatore accourir vers lui et son visage était annonciateur de mauvaises nouvelles. Antonio et lui étaient amis depuis plusieurs années et avaient partagé les bons comme les mauvais moments. Mais cette fois, il avait peur de la réaction de son ami. Il avait écouté Salvatore lui raconter les événements et avait préféré l’annoncer lui-même à Antonio. Il n’avait pas parlé de la crise d’hystérie de Julio que lui avait décrite son fils et s’était contenté de lui annoncer que Roberto avait retrouvé son frère pendu dans sa chambre. Antonio avait mal encaissé le coup. Il s’était effondré et Vittorio crut qu’il avait fait une crise cardiaque. Cependant, quelques minutes plus tard, il s’était relevé et s’était dirigé d’un pas décidé vers sa maison. Vittorio l’avait suivi, accompagné de son fils et avait profité du trajet pour demander à Salvatore plus de précisions. Salvatore lui avait alors raconté la venue de Roberto chez eux pour leur demander de l’aide. Il délirait sur une histoire de démon qui incitait son frère au meurtre et avait peur que Julio ne mette fin à ses jours dans le but de les protéger. Antonio lui avait bien confié que depuis que Julio était revenu de l’hôpital, il avait du mal à reconnaître le fils qu’il avait toujours connu. Le gamin avait un comportement étrange et avait commencé à négliger sa toilette pour ensuite refuser de se nourrir. Quand son ami lui en avait parlé, Vittorio avait suggéré de le faire interner mais Antonio avait refusé. Il pensait qu’éloigner de nouveau son fils de la maison lui ferait plus de tort que de bien. Il pensait que, entouré par sa famille, Julio finirait par guérir. Vittorio en doutait mais il avait gardé son opinion pour lui. Après tout, Antonio était son père et il était le mieux placé pour savoir ce qui était bénéfique pour son fils. Salvatore et Sylvio rendaient parfois visite aux jumeaux et lui avaient rapporté certains faits étranges mais Vittorio n’y avait pas accordé trop d’importance. Après un traumatisme aussi sévère que celui que Julio avait subi, il était prévisible que le gamin ne soit plus pareil. Il avait déjà été chanceux d’avoir survécu. Du moins, c’est ce que pensait Vittorio à l’époque. Quand ils arrivèrent devant la maison d’Antonio, la police était déjà là et le corps avait été installé dans un sac mortuaire. Antonio avait voulu s’approcher mais un policier l’en avait dissuadé. Vittorio, aidé de Salvatore, avait retenu Antonio qui s’était mis à hurler avant de s’effondrer de chagrin. Ils l’avaient accompagné auprès de Giulia qui n’était pas en grande forme non plus. Apparemment, elle souffrait de crise de somnambulisme et paraissait parfois dans un autre monde. Elle perdait souvent connaissance sans explication médicale et avait commencé à divaguer depuis un bon moment. Antonio s’était approché de Roberto pour savoir comment cette horrible chose avait pu arriver mais son fils n’avait pas répondu. Il était resté prostré sur lui-même, les bras pendants entre les jambes et semblait être dans un autre monde. Après que la police ait embarqué le corps, Vittorio était resté avec son ami. Antonio n’arrivait pas à accepter la mort de son fils. Il se maudissait pour les mauvaises décisions qu’il avait prises. Il aurait dû faire interner son fils comme le lui avait conseillé Vittorio. Alors, peut-être Julio serait-il encore en vie. Après les funérailles, la famille essaya de reprendre le cours de leur vie. Vittorio leur rendait souvent visite pour s’assurer que son ami ne fasse pas de bêtise, et pour soutenir les deux garçons qui vivaient encore là. Filipe accusait le coup. Il était solide et avait repris le travail dès le lendemain des funérailles. Roberto, par contre, n’allait vraiment pas bien. Vittorio était arrivé un matin et il avait surpris une dispute entre Antonio et son fils.
Roberto essayait de convaincre son père que Julio était toujours dans la maison et qu’il pouvait le voir et l’entendre. Le pauvre garçon avait complètement perdu la raison, se dit Vittorio. Quand Roberto arrêta de s’alimenter, Vittorio conseilla à Antonio de faire interner le gamin avant qu’un autre malheur n’arrive. Cependant, cela n’avait pas suffi car, après seulement quelques mois d’internement, Roberto avait fini par succomber. Le jour où Antonio avait reçu l’appel de l’hôpital psychiatrique où son fils était interné, Vittorio était présent. Le téléphone avait sonné et il avait vu son ami perdre le peu de couleur qu’il avait encore sur le visage. Il avait raccroché sans rien dire, s’était assis à la table et s’était mis à pleurer hystériquement. Vittorio avait alors compris. Il avait accompagné son ami pour récupérer le corps de Roberto. Après ces secondes funérailles, Antonio avait commencé à présenter des signes de démence. Il avait raconté à son ami qu’il avait l’impression que quelque chose se trouvait dans la chambre des jumeaux. Il prétendait qu’il entendait des grattements et des bruits de pas dans la chambre de ses fils. Vittorio fit de son mieux pour le soutenir. Il ne savait pas quoi lui répondre, sinon que tout ce qu’il pensait entendre n’était que la manifestation de son chagrin. Antonio avait acquiescé. Ça devait forcément être ça. La vie avait été injuste avec sa famille. Ses jumeaux avaient eu une fin atroce. Ce genre d’événement aurait rendu fou n’importe quel homme. La vie semblait doucement reprendre son cours quand Antonio subit de nouveau une terrible perte. Sa pauvre Giulia s’était fait renverser par un ivrogne. Là encore, Vittorio était resté près de son ami. Il commençait à avoir peur que celui-ci ne se relève jamais de ces épreuves successives. A croire que cette famille était maudite. Il avait encore aidé son ami pour l’organisation des obsèques et sa femme Herminia lui préparait ses repas et ceux de Filipe. Mais comme l’avait prévu Vittorio, la santé d’Antonio se mit à se dégrader. Filipe avait fini par quitter le domicile, ne supportant plus de vivre dans la maison qui avait vu mourir les siens et Antonio s’était retrouvé seul. Il finit par tomber malade. Il fut hospitalisé pendant quelques mois et quand il revint chez lui, Vittorio lui rendit visite pratiquement tous les jours. C’est à ce moment-là qu’Antonio lui montra la photographie que l’hôpital psychiatrique lui avait remise avec les affaires personnelles de Roberto. Vittorio observa la photo et dut admettre ce qu’il y voyait. Il ne faisait aucun doute que la personne à côté de Roberto n’était autre que son frère Julio. Le gamin disait la vérité. Mais comment cela était-il possible ? Vittorio était catholique, tout comme Antonio. Il ne croyait pas aux histoires de fantômes et aux esprits malfaisants. Mais devant cette photographie, il commença à douter de ses convictions. Comme Antonio continuait à se plaindre des bruits et des grattements qu’il entendait dans sa maison, Vittorio lui avait alors proposé de prendre quelques photos dans l’espoir de pouvoir découvrir l’origine de ces manifestations. Au début, les essais n’étaient pas trop convaincants. L’appareil était vieux et les photos étaient un peu floues. Mais au fur et à mesure que les mois passèrent, Antonio et lui commencèrent à remarquer des ombres derrière son ami. Ils avaient continué et plus ils prenaient de photos, plus ces ombres devenaient nettes. Le jour où la dernière photographie fut prise, Antonio et Vittorio étaient descendus dans la cuisine, le temps que le révélateur fasse son effet. Ce qu’ils virent sur l’image les terrifia. On y voyait distinctement le visage des jumeaux, mais le plus terrifiant était cette entité qui se trouvait juste derrière les frères. Cette chose n’était pas humaine et Vittorio prit peur pour son ami. Il avait alors décidé de contacter Sylvia et l’informa de la santé médiocre de son père. Il fut décidé qu’Antonio irait vivre chez sa fille et que Vittorio s’occuperait de la mise en location de la demeure. Il n’avait évidemment pas parlé des phénomènes à Sylvia. L’aurait-il fait qu’elle l’aurait pris pour un vieux fou. Au fil des ans, il avait donc accueilli de nombreuses familles. Il avait pris la précaution de faire bénir la maison et pensait que tout s’arrêterait. Mais le mal qui sévissait dans cette maison ne s’était pas avoué vaincu. Les phénomènes continuèrent et ne permettaient pas aux locataires d’y rester bien longtemps. Il avait donc commencé à recueillir les témoignages de chaque locataire et avait tenu une sorte de journal de bord sur les phénomènes qui se manifestaient dans la maison. Il s’était rendu plusieurs fois à l’intérieur pour prendre des photos des phénomènes que le locataire lui avait signalés et avait consigné tout ceci dans les carnets. Plus les années avançaient et plus les phénomènes prenaient en proportions. Malgré tout, Vittorio continuait à s’occuper de la maison de son ami. Il ne lui parlait jamais des phénomènes qui continuaient de se manifester dans la maison. Il s’était dit qu’il n’aurait servi à rien d’ajouter toutes ces diableries dans l’esprit déjà assez tourmenté de son ami de toujours. Il se contentait donc d’envoyer les loyers et était heureux de constater qu’Antonio avait retrouvé un peu de joie de vivre auprès de sa fille et son petit-fils. Quand Antonio était revenu, accompagné de sa famille, Vittorio avait été d’abord surpris, puis inquiet. Il n’avait pas pu dormir la nuit avant celle où il était venu accueillir mon grand-père dans son jardin. De plus, il se sentait coupable de lui avoir caché la vérité pendant si longtemps. C’est pourquoi quand Antonio était venu le trouver pour lui raconter ce que Michaël lui avait annoncé à propos des phénomènes dans la chambre des jumeaux, Vittorio n’avait plus eu le choix et lui avait avoué la vérité. Ils étaient partis ensemble chercher de l’aide auprès du Père Rosso mais n’avaient pas obtenu l’aide qu’ils recherchaient. Le père les avait écoutés et sûrement pris pour deux vieux séniles qui avaient peur de leur ombre car il leur assura que les fantômes n’existaient pas dans la Sainte Bible et que les deux hommes devaient se montrer forts et faire confiance à leur foi. Pour lui, les phénomènes cesseraient dès que les deux hommes les ignoreraient. Il avait néanmoins donné un crucifix qu’il avait béni ultérieurement à Antonio et lui avait conseillé de le clouer dans la chambre des jumeaux. Mais ça n’avait pas suffi, apparemment. Antonio avait fini par y passer aussi et Vittorio était désemparé. Il ne savait pas où trouver l’aide dont nous avions, ma famille et moi, tant besoin. A la fin de son récit, il paraissait encore plus malheureux.
Après le récit de Vittorio, nous restâmes un long moment silencieux, chacun de nous essayant tant bien que mal d’assimiler toutes ces informations. Je ne savais pas comment réagir devant ces aveux. J’étais partagé entre la pitié, la colère et l’incompréhension. Salvatore et Mario paraissaient partager le même état d’esprit. Vittorio demeura silencieux. Herminia, qui avait écouté son mari sans l’interrompre prit alors la parole. Pourquoi ne m’as-tu rien dit ? J’aurais pu essayer de vous aider ! Vittorio se tourna vers elle, l’air malheureux. Je voulais vous protéger, ma chérie. Je ne savais pas comment m’y prendre pour résoudre ce mystère. De plus, j’avais peur d’attirer cette chose dans notre maison. Le Père Rosso lui-même n’a pas cru à mon histoire. Alors, à qui nous adresser ? Qui pourrait nous venir en aide ? Salvatore restait silencieux. Il semblait avoir du mal à accepter le fait que son père avait gardé tous ces secrets pour lui aussi longtemps sans même les mettre en garde. Mario proposa alors une idée.
-Je sais que ça va vous paraître bizarre, nous dit-il, et que notre religion n’est pas censée croire à ces choses-là mais il est clair qu’un démon a pris possession des lieux et qu’il continuera à s’acharner sur la famille de Michaël. De nos jours, il existe des associations de chasseurs de fantômes et des gens qui ont des capacités pour purifier et libérer les maisons d’entités malfaisantes. Je pense que nous devrions chercher de ce côté-là. Si l’église traditionnelle ne veut rien faire pour nous, nous n’avons pas d’autre choix.
Salvatore semblait réfléchir à cette option.
-C’est vrai que les temps ont changé, dit-il. Les vieilles traditions ne sont plus satisfaisantes. Il faut trouver quelqu’un qui puisse vous aider. Son air confiant me redonna un peu d’espoir.
Puis, il se leva et me proposa de me raccompagner chez moi. Je pris donc congé de Vittorio et Herminia et promis à Mario de nous retrouver le lendemain à l’école. Il était tard et mes parents devaient commencer à s’inquiéter. Sur le chemin du retour, Salvatore me promit de nous aider à trouver une solution. Il m’avoua qu’il se sentait redevable envers ma famille depuis le terrible accident de Julio et qu’il ne serait pas en paix tant que les choses ne seraient pas revenues à la normale. Je le remerciai et le quittai donc devant la porte de mon domicile. La main sur la poignée, je le regardai regagner sa maison et une pointe de jalousie m’envahit soudain. Il retournait dans son foyer sécurisant, où tout allait bien, ou rien d’anormal ne se passait. Cette sensation d’envie disparut aussi vite qu’elle m’était venue. C’était injuste de penser ainsi. Salvatore n’était pas responsable de nos malheurs. Et, à y réfléchir, Vittorio non plus. Il avait essayé d’aider mon grand-père. Malgré la peur de ce qu’il avait découvert au fur et à mesure de son enquête dans la maison, il avait néanmoins rassemblé le plus de preuves possibles et j’espérais que tout cela suffirait à convaincre quelqu’un de nous aider. Je rentrai donc chez moi et retrouvai mes parents dans le salon.
Mon père ne me posa pas de question. Ma mère semblait abattue. Je regardais mon père et il m’informa qu’il avait mis ma mère au courant de tout. Elle semblait assommée et me demanda si j’avais pu en apprendre plus. Je lui racontais le récit de Vittorio. Mes parents m’écoutèrent avec attention. Je leur parlais de la suggestion de Mario et mes parents trouvèrent que l’idée n’était pas stupide. Mon père avait un pc portable. Il le mit sur la table de la salle à manger et commença à chercher des associations familiarisées avec ce genre de phénomènes. Pendant qu’il cherchait, ma mère me conseilla d’aller me coucher pour ne pas être trop fatigué à l’école. Je l’embrassais et allais m’installer sur le matelas gonflable, laissant les canapés à mes parents. Ce soir-là, je m’endormis, la tête pleine d’images affreuses et fis de nombreux cauchemars. Il ne se passa rien de spécial mais l’atmosphère de la maison semblait s’alourdir d’heure en heure, comme annonciatrice d’un désastre à venir. Le matin, je me réveillai péniblement. J’allai à la salle de douche et me lavai en espérant que cela me réveillerait. Je regardais le miroir. C’était devenu une espèce de rituel. Mais rien n’y était inscrit. Je m’habillai donc et, voyant que mes parents dormaient encore, déjeunai en silence et lançai le percolateur pour préparer le café. Je laissais un mot sur le comptoir de la cuisine et quittai la maison. Mario et la bande m’attendaient à l’arrêt de bus. Quand j’arrivai à leur hauteur, je vis leurs expressions sombres et je sus que Mario en avait parlé à son frère et ses cousins. Après m’avoir raccompagné, son père avait appelé Sylvio et lui avait raconté la situation que ma famille subissait. Ils s’étaient mis d’accord pour nous aider. Je fus soulagé d’apprendre que les autres me croyaient. J’avais peur qu’ils ne me prennent pour un illuminé. Mais ce fut tout le contraire. Ils m’entourèrent de leurs bras protecteurs et me jurèrent de m’aider. La journée à l’école fut un peu pénible. Avec tous ces événements, j’avais complètement oublié de faire mes devoirs et je reçus un avertissement de mes professeurs. Le midi, je ne mangeai presque rien malgré l’insistance de Mario.
-Faut que tu prennes des forces, mec ! me dit-il.
Mais je n’avais pas faim. J’étais épuisé et terrifié depuis trop longtemps. A la fin de la journée, mes amis me raccompagnèrent jusqu’à ma porte d’entrée. Massimo et Lucas regardaient par les fenêtres mais rien ne se manifestait. Je les saluai et rentrai chez moi. Mes parents étaient dans la cuisine. Mon père était au téléphone. Je regardais ma mère et elle m’expliqua qu’il avait trouvé une association du nom de Paranormal Investigations et qu’il avait décidé de les appeler. Après tout, on n’avait plus rien à perdre. Je laissai tomber mon sac au sol et me dirigeai vers le salon. Quand mon père raccrocha, ma mère et moi lui demandâmes ce qu’on lui avait dit. Il nous informa qu’une équipe d’enquêteurs allait venir ce soir. Ils s’installeraient pendant quelques jours pour mener leur enquête et trouver une solution si c’était possible. Ma mère parut soulagée. Elle retourna à la préparation du repas et je me mis à mes devoirs. Mon GSM vibra et je vis que Mario me demandait des nouvelles. Je l’informai de la venue de l’équipe d’investigation et il me répondit que c’était un bon début. Il m’envoya les réponses pour le devoir de math du lendemain et je le remerciai. J’avais somnolé tout le long du cours et n’avais rien compris aux exercices donnés. Mes devoirs terminés, je rangeai le tout dans mon sac et attendis avec mes parents l’arrivée de l’équipe. Une heure plus tard, une camionnette sombre se gara devant la maison. Mon père ouvrit la porte et se retrouva devant quatre hommes portant de nombreuses valises métalliques. Ils entrèrent et se présentèrent chacun à leur tour. Le plus grand s’appelait Marc Dumont. Il nous expliqua qu’il étudiait depuis longtemps les phénomènes paranormaux et qu’il possédait tout un équipement pour pouvoir recueillir des preuves. Il présenta ses partenaires. Il y avait un homme de petite taille, très mince avec de petites lunettes sur le nez. On aurait dit un adolescent. Il se présenta. Jimmy Doret. Il nous annonça qu’il était une sorte de médium. Il pouvait ressentir les énergies d’une maison et pouvait parfois voir des événements du passé. Les deux autres hommes, Antoine et Philippe, étaient des techniciens qui s’occupaient d’installer les caméras et autres gadgets utiles dans leur enquête. Mon père les invita à nous rejoindre dans le salon. Ma mère leur proposa du café et ils acceptèrent. Pendant que ma mère préparait le café, je remarquai que Jimmy ne me quittait pas des yeux. Son regard était si perçant que j’avais l’impression qu’il lisait dans mes pensées. Il me mettait mal à l’aise. Je décidai de l’ignorer et m’installai près de mon père. Tous installés autour de la table, Marc commença à questionner mon père sur la raison de notre appel. Mon père commença par lui parler des bruits de grattements, des portes qui claquaient toutes seules et des ombres qui voyageaient dans la maison. Il lui parla des tragédies familiales et lui fournit ensuite les documents découverts par Mario, ainsi que les photos de l’album de mon grand-père et le résumé de mes expériences dans ma chambre. Marc prenait des notes et se tourna vers moi pour que je lui donne le plus de détails possibles. Cela dura un peu plus d’une heure. Ensuite, Marc demanda à Jimmy de faire le tour de la maison et de lui donner ses impressions. Jimmy se leva et contre toute attente, me demanda de l’accompagner pour que je lui indique les endroits qui, selon moi, étaient les plus actifs. Je regardai mon père, effrayé, mais celui-ci ne s’y opposa pas. Il vit mon malaise et proposa de nous accompagner mais Jimmy lui répondit qu’il devrait plutôt rester avec Marc pour l’aider à analyser les carnets de Vittorio et lui faciliter le travail. Mon père me regarda et je haussai les épaules. Il fallait bien commencer par quelque chose. Je me dirigeai donc vers l’étage et quand nous arrivâmes sur le palier, Jimmy me posa une question qui me hérissa les cheveux.
-Qui sont ces jumeaux qui te suivent partout ? me demanda-t’il. Tu les connais ? Je regardai autour de moi mais je ne vis rien. Jimmy avait son GSM sur lui et me demanda de rester immobile.
Quand il prit la photo, il l’observa un instant et me la montra. Les jumeaux étaient à mes côtés. Ils avaient l’air effrayés et semblaient essayer de communiquer avec moi. Cependant, je ne les entendis pas. D’ailleurs, depuis le dernier message sur le miroir, je ne les avais plus revus. Jimmy sortit un petit enregistreur vocal et commença à poser des questions.
-Qui êtes-vous ? demanda-t’il. Pas de réponse. Que voulez-vous à Michaël ? Pourquoi êtes-vous ici ? Que puis-je faire pour vous aider ?
Nous attendîmes quelques secondes mais il n’y eut aucune réponse. Il me désigna la chambre de mes parents et je lui ouvris la porte. Il fit le tour de la pièce et s’arrêta devant le miroir de la commode de ma mère. Il l’observa intensément pendant quelques minutes, puis continua à inspecter la pièce. L’air dans la chambre était glacial. Je n’osais prononcer un mot. Jimmy avait une drôle d’expression mais ne dit rien. Il sortit de la pièce et inspecta la chambre suivante, celle de mon grand-père. Je n’y étais pas entré depuis l’enterrement. Quand j’ouvris la porte, une odeur de chair en décomposition m’assaillit. L’odeur était pestilentielle et faisait pleurer les yeux. J’avais presque le goût dans la bouche. Je me tournais vers Jimmy qui avait mis sa main devant sa bouche et son nez. Lui aussi sentait cette puanteur mais pénétra quand même dans la pièce. Des mouches volaient dans tous les sens. Il en fit le tour, s’arrêtant près du lit de mon grand-père, regardant les murs, le plafond. L’odeur semblait devenir encore plus intense et Jimmy finit par sortir sans rien demander. Nous reprîmes notre souffle quelques instants puis, je le guidais vers ma chambre. J’avais déjà monté l’échelle quand je remarquais que Jimmy ne m’avait pas suivi. Il semblait regarder quelque chose au bas de l’échelle et son regard était écarquillé. Il ne disait rien mais semblait figé. Je l’appelais et il finit par me regarder. Il regarda de nouveau sous l’échelle et ne vit plus rien car il se décida à monter. Quand il arriva dans ma chambre, son regard se tourna directement vers le placard. Il s’approcha doucement de la porte et y posa les mains quelques secondes. Il resta immobile, sans rien dire, l’air en transe. Cela dura un moment puis il s’éloigna et regarda autour de lui. Il avait l’air inquiet et me demanda si c’était ici que tout avait commencé. Je lui confirmais l’information et il hocha la tête en ajoutant :
-La source est ici, dans ce fichu placard.
Voyant mon regard, il me demanda de redescendre et nous rejoignîmes les autres dans le salon. Jimmy attendit que Marc téléchargeât toutes les photos que mon père lui avait fournies. Il pensait qu’avec son logiciel, nous pourrions donner plus de netteté aux photos et pouvoir discerner ce qu’elles représentaient exactement. Je pensais intérieurement qu’il voulait s’assurer que ce n’était pas des montages mais ne dit rien.
Jimmy s’était assis à côté de lui mais ne disait rien. Il avait l’air malade, comme s’il avait envie de vomir. Quand Marc se retourna vers lui, il vit l’état d’effroi de son ami et lui demanda ce qu’il se passait. Mes parents et moi-même l’écoutèrent attentivement. Je ne me souviens pas de toute la conversation mais je vais essayer de vous la retranscrire du mieux que je peux. Jimmy nous raconta qu’avant même d’entrer dans la maison, il avait ressenti un malaise, comme s’ils étaient attendus et défiés par quelque chose. Quand mon père lui avait ouvert la porte, il avait éprouvé à nouveau un malaise, comme si l’atmosphère de la maison l’étouffait. Il avait suivi le groupe au salon mais avait eu l’impression d’être suivi et observé. Quand il m’aperçut, il découvrit que deux entités étaient attachées à moi. Elles n’avaient pas l’air malveillant mais elles n’étaient pas non plus apaisées. Quand il m’avait proposé de l’accompagner, il voulait voir si les deux entités me suivaient mais elles s’arrêtèrent au palier du premier étage. Il sentait qu’une autre présence se trouvait dans la maison mais il ne pouvait pas la voir. Quand je montai dans ma chambre, il voulut me suivre mais il resta figé sur place comme si quelque chose l’en empêchait. Il vit des jumeaux d’une vingtaine d’années qui semblaient l’avertir du danger du grenier. Ils criaient et agitaient les bras mais Jimmy n’arrivait pas à comprendre ce qu’ils voulaient lui dire. Ils avaient alors soudain disparu. Jimmy monta donc me rejoindre et sentit immédiatement une énergie négative émaner du placard de ma chambre. Quand il posa les mains sur la porte, une vision d’horreur s’imposa dans son esprit. Une chose qui n’était pas humaine lui apparut. Quand il la décrivit, je reconnus l’entité qui m’avait tant effrayé. Toute l’équipe l’écouta et d’après les descriptions qu’il donna, ma mère identifia ses frères Julio et Roberto. Elle lui demanda s’il avait vu son père mais Jimmy fit non de la tête. Ma mère fut attristée par cette nouvelle. Marc nous expliqua brièvement ce qu’ils allaient faire pendant ces quelques jours. Les techniciens allaient installer des caméras dans toutes les pièces de la maison. Ils y installeraient aussi des capteurs de mouvements qui détecteraient le moindre changement de température ou de pression dans la maison. Ils avaient besoin d’images pour identifier la cause des phénomènes. Mon père lui dit que nous ne dormions plus dans nos chambres et qu’ils pouvaient les utiliser. Marc le remercia et les quatre hommes se mirent au travail. Je regardai ces hommes placer leurs équipements et je me demandai si c’était une bonne idée. Je craignais les conséquences. Cette créature, je ne l’avais vue qu’une seule fois et ça m’avait suffi pour comprendre qu’elle ne serait certainement pas contente d’être espionnée ainsi. Mais que pouvait-on faire d’autre ? Quand tout fut installé, l’équipe nous souhaita bonne nuit et chacun alla s’installer à l’étage, Marc et Jimmy dans la chambre de mes parents, Antoine et Philippe dans le grenier. Mes parents allèrent également s’allonger et je les suivis, priant silencieusement pour que tout se passe bien.
Chapitre 5
Pendant les deux premiers jours de leur occupation, l’équipe ne récolta pas beaucoup de preuves. Quand je me levai le matin, je vis que Marc était déjà debout et regardait les images des caméras de surveillance. Il les passait au ralenti, espérant tomber sur une manifestation quelconque. Antoine et Philippe, qui avaient dormi dans le grenier, n’avaient rien à signaler non plus. Seul Jimmy semblait avoir passé une mauvaise nuit. Il s’était senti épié toute la nuit et n’avait pas fermé l’œil. Il s’était installé à la table de la cuisine et me remercia quand je lui proposais une tasse de café bien chaud. Je lui demandai s’il avait vu quelque chose mais il me répondit qu’il ne voyait pas toujours avec ses yeux mais qu’il ressentait les présences autour de lui. Elles ne l’avaient pas tourmenté mais elles l’avaient complètement vidé. Il se sentait vidé de son énergie vitale. Il me demanda également si la nuit s’était bien passée et je lui confirmais que oui. Sur ce, je partis pour l’école. Nous étions vendredi et je pourrais m’investir dans les recherches pendant le week-end. Ma bande de potes était déjà là. Ils me demandèrent comment ça se passait. Je leur rapportai que pour l’instant, l’entité ne s’était pas manifestée. Mario ne fut pas trop surpris. Il m’apprit qu’en rentrant chez lui hier soir, il avait fait quelques recherches sur son ordinateur et avait constaté que les entités se cachaient parfois quand des inconnus entraient dans les lieux. Soit pour faire passer les occupants pour des menteurs ou des fous, soit pour voir à qui ils ont affaire. Ce résonnement me parut logique. Il fallait attendre un peu. Nous arrivâmes en classe et nous installâmes sur nos chaises. Je sortis mes affaires et rendis mon devoir de mathématiques à mon professeur. Celui-ci le prit dans ses mains, y jeta un coup d’œil et se tourna vers moi, un peu énervé. Si vous vouliez des explications, Monsieur Blanchart, me dit-il, il suffisait de les demander. Je n’aime pas trop ce genre de blague. Et il me rendit ma copie. Je ne comprenais pas ce qu’il voulait dire ! Je craignais que les réponses envoyées par Mario soient fausses mais quand je regardai ma feuille, je vis qu’au lieu des calculs que j’y avais mis la veille, une même phrase répétait à tous les exercices : « Aiutaci ». J’étais abasourdi. Je n’avais pas remarqué ce changement avant. Je ne dis rien mais montrai ma copie à Mario qui était installé à côté de moi. Mario la regarda et haussa les épaules en signe d’incompréhension. Je rangeai ma copie dans mon cartable et le cours reprit. Sur le temps de midi, je vérifiai les messages sur mon GSM et vis que Mario m’avait bien envoyé les réponses. Cet incident me perturba toute la journée. De retour à la maison, je montrai ma feuille à mes parents en leur expliquant que je ne me rappelais pas avoir écrit ces mots. Jimmy s’approcha et regarda ma copie.
-Tu parles italien ? me demanda-t’il.
Ma mère lui confirma que non. Elle n’avait jamais pris la peine de me l’enseigner. Mais elle le parlait couramment. Jimmy lui en demanda la signification et elle lui répondit que c’était un appel à l’aide. Marc, occupé à corriger l’angle d’une caméra, nous avait entendus et me demanda lui aussi de me montrer ma feuille. Il la regarda un instant et me la rendit. Il regarda les images vidéo du salon de la nuit précédente mais je lui dis que c’était inutile. J’avais fait ma copie avant leur arrivée. Il revint vers nous et nous proposa d’écouter l’enregistrement que Jimmy avait fait lors de l’inspection des chambres. Nous nous installâmes autour de la table et Marc mit l’appareil en route. La voix de Jimmy s’éleva et j’entendis les questions qu’il avait posées la veille mais je n’entendis pas de réponse.
Devant nos regards interrogateurs, Marc rembobina et augmenta le son de l’appareil, en réglant le filtrage de parasite avec son ordinateur. Quand la voix de Jimmy retentit, ce qui suivit nous glaça le sang. Deux voix presque superposées l’une sur l’autre retentirent. Elles semblaient lointaines mais étaient néanmoins audibles.
-Nous sommes les jumeaux Julio et Roberto. Michaël, aide-nous ! Il nous retient ! Il ne veut pas qu’on parte ! Et il te veut aussi ! Fuis !! Sauve-nous !
Puis, on entendit leurs hurlements, suivis d’un grondement inhumain et ce fut tout. Je sentis mon sang se glacer et mes poils se hérisser. Ma mère resta sous le choc. La voix de ses frères l’avait bouleversée.
-Vingt ans, murmura-t-elle. Vingt ans qu’ils sont prisonniers ici avec cette chose ! C’est horrible !
Elle se blottit dans les bras de mon père. Marc remit l’enregistreur dans son étui. Il demanda à ma mère si des manifestations s’étaient déjà produites avant l’accident de Julio. Elle lui répondit que non, que tout avait commencé après le retour de Julio chez eux d’après les témoignages que nous avions obtenus. Marc réfléchit quelques minutes. Il demanda à mon père dans quel établissement Julio avait été hospitalisé et mon père lui indiqua le numéro de téléphone. Marc prit son GSM et appela le service des archives de l’hôpital. Son appel fut transféré et un homme lui répondit. Marc lui demanda s’il était possible de consulter le rapport médical d’un certain Julio Giorno, en précisant bien que cette personne était décédée depuis plus de vingt ans. L’homme lui dit que seuls les proches pouvaient demander ce genre de document. Marc passa donc le téléphone à ma mère et celle-ci se présenta en tant que la sœur du défunt. Elle l’écouta parler un moment et raccrocha.
-Nous pouvons aller chercher ces documents dans une heure, dit-elle à Marc. Mais à quoi vous servent ces documents ?
Marc la regarda et lui dit :
-Je ne sais pas encore mais j’ai peut-être une vague idée sur comment tout ceci a commencé.
Mais avant de dire quoi que ce soit, je dois voir son dossier médical. Pendant ce temps, les informaticiens s’affairaient à régler les caméras et sortaient d’autres appareils étranges de leurs sacs. Antoine sortit une lampe de poche. Quand il l’alluma, elle n’émit aucune lumière. Je lui demandai à quoi cela servait. Regarde, me dit-il. Va dans la cuisine et pose ta main sur le plan de travail. Je le regardai un peu surpris mais m’exécutai. J’étais assez curieux de voir ce qu’il allait se passer. Je posai ma main bien à plat sur le plan de travail. Maintenant, dit-il, éteins la lumière. J’éteignis et il alluma sa lampe qui éclaira la pièce d’un rayon de lumière bleue. Quand il la dirigea sur le plan de travail, j’y vis la paume de ma main, bien nette, comme un relevé d’empreinte.
-C’est chouette, pas vrai ? me dit-il en me faisant un clin d’œil. J’approuvai totalement. Je lui demandai ce que nous allions faire avec ça et il me répondit qu’il cherchait des traces résiduelles. Je le suivis dans la maison et nous inspectâmes chaque recoin de chaque pièce. Dans la pièce de devant, on ne trouva pas grand-chose mise à part mes propres empreintes et celles de mes parents. Nous nous dirigeâmes vers le couloir, mais là encore, rien à signaler. Quand nous passâmes dans le salon, je vis Antoine s’arrêter près de la table de la salle à manger. Il me demanda où j’étais assis quand j’avais fait mon devoir de mathématiques. Je lui indiquai la chaise et, après avoir éteint la lumière un moment, il éclaira la table. On pouvait encore y voir la trace de mon avant-bras et les contours de la feuille mais ce qui se trouvait de part et d’autre de cela me fit frissonner. De chaque côté de mes « traces » se trouvaient deux autres paires d’empreintes qui ne m’appartenaient pas. Elles étaient placées de manière à indiquer que deux personnes étaient assises à mes côtés sans que je ne les voie. Antoine me demanda de tenir la lampe pendant qu’il prenait une photo avec son téléphone. Nous nous dirigeâmes vers la salle de douche et je lui demandai d’éclairer le miroir. A ma grande surprise, les mots inscrits précédemment étaient encore visibles. On y voyait également deux paires de traces de mains de chaque côté du miroir, chose que je n’avais pas remarquée lors de l’apparition du message. Nouvelle photo. Antoine me demanda si je voulais l’accompagner dans ma chambre. J’hésitai mais j’étais curieux de savoir ce que nous allions découvrir. Je le suivis et me dirigeai vers l’échelle. J’entendis mes parents m’appeler d’en bas. Je me penchai et les vis habillés de leurs manteaux. Nous allons chercher les documents à l’hôpital, me dit mon père. Reste avec Antoine ou n’importe lequel des autres mais ne reste pas seul, compris ? J’acquiesçai et rejoignis le technicien dans ma chambre.
Il balayait les murs de sa lampe torche. Je suivais le faisceau lumineux qui explorait chaque recoin quand, soudain, je sentis mon cœur se serrer. Au-dessus de mon bureau, un symbole étrange avait été dessiné. C’était une étoile à cinq branches entourée d’un cercle. Un pentagramme. Je voulus demander à Antoine ce que cela signifiait mais il me fit signe de me taire. Il tendait l’oreille comme s’il percevait un son inaudible pour moi. Je me tus et au bout de quelques secondes, je frissonnai. Des grattements sourds semblaient venir de l’intérieur de la pièce. Je restai immobile et je vis qu’Antoine était aussi pétrifié que moi. Il sortit une caméra miniature de sa poche et se mit à filmer discrètement. L’air de la pièce devint plus lourd et plus froid. Je peinais à respirer et j’écoutais le bruit qui se rapprochait. Le technicien me chuchota si j’entendais la même chose que lui mais avant que je puisse lui répondre, une violente déflagration retentit dans la pièce et je vis cet homme voler dans les airs, projeté contre le mur au-dessus de mon lit, comme par une force invisible. Il retomba sur le lit, inconscient et le bruit de pas se fit plus distinct. Je fus violemment plaqué contre le mur près de l’échelle, incapable de bouger. Tous mes muscles étaient paralysés. Seuls mes yeux pouvaient encore s’agiter. Collé contre le mur, je perçus des pas lourds se diriger vers moi et une odeur nauséabonde les précéda. Ils se rapprochèrent et je sentis une présence oppressante devant mon visage. La terreur me submergea. Je voulus me débattre mais en vain. Une douleur atroce me transperça la poitrine. Je tentai de crier mais aucun son ne franchit mes lèvres. Une autre brûlure me lacéra le visage. Je fus envahi par une haleine putride qui me fit suffoquer. C’était insoutenable. Je subis encore quelques instants cette torture et, alors que je croyais ma dernière heure arrivée, tout s’arrêta brusquement. Je chutai sur le sol, haletant. Mon cœur battait la chamade et je peinais à reprendre mon souffle. Je regardai autour de moi, angoissé. Je rampai lentement vers mon lit, sur les fesses, et secouai Antoine. Il émergea péniblement et se redressa, se tenant la tête à deux mains. Je lui demandai s’il allait bien et il me somma de descendre immédiatement. Nous dévalâmes les marches à toute allure. Philippe nous vit arriver comme des fous et nous interrogea sur ce qui s’était passé. Sans lui répondre, Antoine se précipita vers l’écran des caméras de surveillance et se brancha sur celle de ma chambre. Il remit les images en arrière et les relança au moment où il introduisait sa tête par la trappe de ma chambre. Nous observâmes les images seconde par seconde. Sur l’écran, au moment où il me fit taire, je vis l’entité émerger du placard. Elle était là, avec nous ! Elle s’approcha d’Antoine et sembla agacée par la lampe torche. Elle tendit son bras et le propulsa contre le mur. Puis, elle tendit son autre bras vers moi et je vis mon corps se coller contre le mur. Cette abomination vint plaquer sa face contre la mienne. Elle semblait me renifler. Elle se recula légèrement et, du bout de sa griffe, me dessina quelque chose sur le torse et sur le visage. En revoyant les images, je me hâtai d’enlever mon T-shirt et regardai mon ventre. Des entailles rouges et profondes zébraient ma peau. Une sensation de brûlure me reprit. Philippe prit une photo de mes blessures. En regardant la photo, nous distinguâmes trois énormes griffures qui partaient du plexus solaire et allaient jusqu’au nombril. Ma joue me brûlait aussi. Trois griffures semblables y apparaissaient. Je me sentis violé, comme si j’avais été un animal marqué au fer rouge. Cette chose m’avait marqué. Mais pour quelle raison ?
Qu’allait-il m’arriver ? A ce moment-là, mes parents rentrèrent, accompagnés de Marc. Ils durent sentir que quelque chose s’était passé car Marc se rua sur les écrans et Antoine lui montra les images de notre cauchemar. Mes parents examinèrent mes blessures et se jetèrent vers moi.
– Que s’est-il passé ? Tu vas bien ? me demanda mon père.
Je ne savais pas quoi répondre. J’étais vivant mais c’était un maigre réconfort. Jusque-là, la chose m’avait apparu mais elle ne m’avait jamais touché. Je ne savais même pas que c’était possible ! J’étais terrifié et je me mis à trembler. Ma mère ne cessait de me palper, regardant avec horreur les blessures de mon ventre et de mon visage. Soudain, sans prévenir personne, elle se précipita vers les étages. Mon père lui courut après, la suppliant de ne pas monter. Mais ma mère ne l’écoutait pas. Je suivis sa progression sur les écrans de surveillance et la vis entrer dans ma chambre. Elle semblait furieuse et se mit à hurler à la créature :
– Qu’est-ce que tu veux ? Tu veux te battre ? Je te défends de toucher à mon fils ! Je t’interdis de le toucher ! Si tu veux t’en prendre à quelqu’un, prends-moi ! Mais laisse mon fils tranquille !
J’étais pétrifié devant l’écran. Antoine aussi semblait paralysé. Il y eut un moment de silence où je vis mon père saisir ma mère par la main et la tirer vers l’échelle. Ma mère résistait et semblait vouloir affronter cette chose. Elle était presque au bord de l’échelle quand ce fut l’explosion. Mon père fut éjecté en bas de l’échelle et ma mère alla s’écraser contre le mur d’en face. Il y eut un rugissement terrible dans la chambre. Je me précipitai à l’étage. Mon père gisait au pied de l’échelle, complètement assommé.
Je me ruai dans ma chambre et découvris un spectacle d’horreur. Ma mère était allongée sur le sol et semblait secouée par des spasmes. Elle semblait être tirée par tous les côtés. Des marques de griffes apparaissaient sur ses bras, ses jambes, son visage. Elle hurlait de douleur. Un instant, elle se figea et sembla s’élever d’une bonne cinquantaine de centimètres du sol. Elle resta ainsi pendant quelques secondes puis fut de nouveau projetée vers le sol. Je la regardai, impuissant, ne sachant pas quoi faire. Je sentis quelque chose dans ma poche et le sortis. C’était le chapelet de mon grand-père. Je le brandis au hasard dans la pièce et me mis à prier. Ma mère poussait des râles inquiétants. Je récitai la seule prière que je connaissais, Le Notre Père, essayant d’avoir l’air le plus convaincant possible. Je m’approchai de ma mère et posai la croix sur son torse. Elle se mit à hurler et fut prise de violents tremblements puis soudainement, elle s’affaissa sur le linoléum et ce fut tout. Elle avait les yeux fermés et avait le souffle haletant. Je m’approchai doucement de son visage et l’appelai. J’entendis mon père reprendre conscience au bas de l’échelle. Il monta doucement les barreaux et me rejoignit près de ma mère. Il avait le côté gauche de son visage tout enflé. Ma mère semblait évanouie et être aux prises d’un horrible cauchemar. Ses yeux roulaient sous ses paupières closes. Mon père l’appela doucement plusieurs fois, caressant son front. Elle semblait murmurer quelque chose mais c’était incompréhensible. Marc nous avait rejoints. Il regardait ma mère d’un air inquiet. Voyant que ma mère ne revenait pas à elle, nous décidâmes de la descendre dans sa chambre. Mon père la prit par-dessous les bras et je lui pris les jambes. Marc commença à descendre l’échelle pour m’assurer un équilibre. Tant bien que mal, nous arrivâmes sur le palier et nous installâmes ma mère dans son lit. Elle ne semblait pas reprendre conscience. Mon père faisait les cents pas. Il se retourna vers Marc.
-Que faisons-nous maintenant ? Je ne peux pas appeler un médecin ! Que vais-je lui raconter ? Marc semblait réfléchir intensément. Il regarda mon père. – Il n’y a qu’une chose à faire. Il est temps de faire appel à l’Église. Nous disposons d’assez de preuves pour déposer une demande d’exorcisme auprès des autorités catholiques. A ce stade, je ne peux rien faire de plus. Mon père le regardait d’un air ébahi.
– Que voulez-vous dire ? lui demanda-t’il. Marc observait ma mère avec attention. Elle respirait très fort et semblait souffrir.
– Ce que je veux dire, Jean, c’est que votre femme est probablement possédée par la chose qui hante votre maison depuis des années. En la provoquant de la sorte, elle lui a donné la permission de s’en prendre à elle. C’était une très mauvaise idée. Quand vous autorisez une entité à s’en prendre à vous, vous lui donnez accès à votre âme. Seul un prêtre pourra nous aider. Je vais descendre et passer quelques coups de fil.
Vous, de votre côté, je vous conseille de garder votre femme à l’œil. D’ailleurs, je pense qu’il serait plus prudent de l’attacher au lit. Il ne faudrait pas qu’elle puisse s’échapper dans son état ou qu’elle s’en prenne à quelqu’un d’autre. Nous ne savons toujours pas ce qu’est cette chose. Mais la force dont elle a fait preuve me fait dire qu’il ne s’agit pas d’un petit démon de pacotille. Cette chose, quelle qu’elle soit, est d’une puissance incroyable. Mon regard passait de l’un à l’autre. Je ne savais pas quoi dire. Je ressentais toute une gamme de sentiments à la fois. La peur, la colère mais surtout la culpabilité. Car si ma mère était dans cet état, c’était de ma faute. Elle avait vu mes blessures et avait, comme toute mère digne de ce nom, voulu me protéger. Marc me regarda et sembla comprendre mon désarroi.
– Ce n’est pas de ta faute, Michaël. Tôt ou tard, il s’en serait pris à n’importe lequel d’entre vous. Descends avec moi. Nous allons trouver ce Père Rosso et lui montrer les vidéos. Si avec cela, il n’est pas convaincu, il faudra trouver une autre alternative.
Je suivis donc Marc dans les escaliers. Il mit ses deux techniciens au courant de la situation et demanda à Jimmy de monter rejoindre mon père dans le cas où ma mère reprendrait conscience.
– Il vaut mieux ne pas le laisser seul avec elle. Prenez une caméra et installez-là au pied du lit. S’il se passe la moindre chose, appelez-moi immédiatement !
Jimmy hocha la tête et alla rejoindre mon père. Antoine regarda Marc d’un air inquiet et, se tournant vers les écrans, il indiqua les données que les caméras enregistraient. La température descendait nettement dans la chambre. Je voyais mon père se frotter les mains et faire les cents pas autour du lit. J’attrapai mon manteau et me dirigeai vers la porte d’entrée. Marc me suivit. J’ouvris la porte et tombai nez à nez avec Mario. Il me regarda d’un air étonné, le bras encore levé pour frapper à la porte, mais je ne lui laissai pas le temps de dire quoi que ce soit. Je l’attrapai par le bras et lui demandai de me conduire immédiatement chez le Père Rosso.
Il ne posa pas de question et nous fit signe de le suivre. Nous sortîmes de la rue et empruntâmes la petite ruelle qui se trouvait sur la droite de l’église. Tout au fond, un petit studio se détachait et on y voyait la lumière d’une bougie à la fenêtre. Nous nous dirigeâmes vers la porte et je frappai trois coups secs. La porte s’ouvrit doucement et un homme d’une septantaine d’années nous accueillit.
– Oui ? nous dit-il. Je me présentai et lui demandai si je pouvais m’entretenir un moment avec lui. Il nous observa un moment Marc et moi mais Mario le rassura.
– Ne vous en faites pas mon Père, ce sont des amis. Nous avons besoin de votre aide de toute urgence. Sans un mot, le vieil homme ouvrit la porte entièrement et nous invita à entrer. La pièce était très sobre. Un petit canapé, une table basse et une petite radio faisaient office de salon. Aucune télévision. Une petite kitchenette trônait au bout de la pièce. Là aussi, il n’y avait qu’une table et deux petites chaises pour mobilier. Il était clair qu’il prenait son vœu de pauvreté au sérieux. Il referma la porte sur nous et s’installa à la table de la cuisine, nous invitant à nous installer. Marc étant le plus vieux d’entre nous, le Père Rosso se tourna naturellement vers lui et attendit qu’on lui explique la raison de notre visite. Marc lui résuma les faits depuis notre arrivée dans la maison, lui raconta les témoignages d’Antonio et de Vittorio et pour conclure, lui montra les vidéos prises dans la maison ainsi que les photos que mon grand-père et son ami avaient en leur possession. Le Père semblait d’abord un peu sceptique mais quand il vit les vidéos, son visage s’assombrit. Il nous demanda depuis combien de temps ma mère était dans cet état. Nous l’informâmes que c’était très récent.
– Il n’est pas encore trop tard, répondit-il en attrapant sa veste. Je dois la voir. Devant nos regards effarés, il nous précisa qu’il avait besoin de faire sa propre enquête avant de pouvoir demander de l’aide à qui que ce soit. Nous le suivîmes donc jusque chez moi. Quand nous arrivâmes dans la rue, des hurlements de rage se faisaient entendre. Mario et moi nous regardâmes et son regard trahissait une terreur sans nom. Il se signa plusieurs fois mais me suivit quand même. Arrivé devant la porte, je me tournai vers lui.
– Tu n’es pas obligé de voir ça, Mario. Tu n’es pas responsable de ce qui se passe chez moi. Tu devrais peut-être rentrer chez toi. Mario me regarda et, sans me répondre, poussa la porte et pénétra dans la maison. Je dois dire que j’étais soulagé d’avoir mon ami à mes côtés. Marc et le Père nous avaient rattrapés et semblaient aussi horrifiés par les cris qui venaient de l’étage. Le Père se dirigea directement dans la chambre et la porte claqua derrière son passage. Un rire démoniaque retentit alors.
Je montai mais je ne parvins pas à ouvrir la porte. Je redescendis donc et me ruai vers les écrans. Antoine s’écarta pour me laisser regarder et ce que je vis était…innommable. Mon père était étendu à côté du lit, apparemment assommé. Ma mère avait réussi à détacher son bras droit. Elle était assise sur son lit et regardait d’un air meurtrier l’homme qui se tenait devant elle. Son visage était marqué par la haine. Elle poussait des cris gutturaux et se débattait comme pour se libérer des liens qui la retenaient. Le prêtre l’observa un instant puis se dirigea vers mon père. Il le secoua et mon père reprit ses esprits. Il se mit sur son séant en se tenant la tête. Je vis le prêtre l’aider à se relever et le conduire vers la porte de la chambre. Mon père essaya d’ouvrir mais il n’y arrivait pas. Je vis le prêtre prendre quelque chose dans la poche de sa veste. C’était un petit flacon rempli d’un liquide transparent.
– De l’eau bénite, me dit Mario qui se tenait à mes côtés. Je vis le prêtre en asperger ma mère. Celle-ci se mit à hurler. La porte finit par céder et mon père put sortir de la chambre. Je fonçai vers lui et vis le prêtre le suivre de près. Il referma la porte sur ma mère qui avait commencé à lui hurler des insanités. Jamais de ma vie je n’avais entendu ma mère prononcer le moindre gros mot. Elle n’acceptait aucune impolitesse et l’entendre dire ces horreurs avec cette voix si horrible me glaçait d’effroi. J’aidai mon père à descendre les marches. Il s’affala sur le canapé et je remarquai le coquard qu’il avait sur le visage. Il nous raconta que, à peine avions-nous franchi la porte, ma mère avait commencé à s’agiter. Elle gémissait dans son sommeil et avait du mal à respirer. Il s’était approché, inquiet, et avait voulu la redresser un peu sur les oreillers quand elle avait soudain ouvert les yeux. Son regard était terrifiant. Elle s’était reculée le plus possible et lui avait ainsi asséné un énorme coup de tête à mon père. Il était tombé à la renverse et s’était évanoui sur le coup. Soudain, je lui demandai où se trouvait Jimmy. Ne devait-il pas rester auprès de mon père ? Celui-ci nous informa que Jimmy lui avait dit qu’il devait téléphoner à quelqu’un et qu’il revenait très vite. Marc tiqua à cette remarque. Jimmy ne s’était jamais enfui d’aucune enquête qu’ils avaient menée ensemble.
Qu’avait-il pu percevoir ou deviner pour s’enfuir aussi vite ? Il tenta de contacter son ami sur son téléphone mais ne réussit qu’à atteindre sa boîte vocale. Il lui demanda de le rappeler et raccrocha. Il se rapprocha de nouveau des écrans. Ma mère, ou ce qui l’habitait, s’était apparemment calmée. Elle avait les yeux clos et semblait dormir. Nous nous regroupâmes tous autour de la grande table en bois qui trônait au milieu de la salle à manger. Marc avait encore les documents qu’ils étaient partis chercher à l’hôpital dans la poche intérieure de sa veste. Il sortit le dossier et commença à l’examiner attentivement. Le dossier paraissait peu fourni. Quelques notes sur l’état général du patient à son arrivée. Traumatisme crânien dû à une chute. Paramètres stabilisés après l’opération. Plusieurs résultats d’électroencéphalogrammes complétaient le dossier. Marc comparait les tracés des électroencéphalogrammes. Il paraissait troublé par une anomalie. Mon père le remarqua également et lui demanda ce qu’il se passait. Marc rassembla tous les tracés et les superposa. Il devait y en avoir une bonne dizaine.
-Jean, vous ai-je dit qu’avant d’être chasseur de fantômes, j’étais infirmier ? demanda-t’il à mon père d’un ton grave. Je ne suis pas un spécialiste des traumatismes crâniens mais j’ai eu plusieurs fois l’occasion de voir des résultats d’électroencéphalogrammes. Nous regardâmes les feuillets sans comprendre. Marc continua : – Le premier relevé porte la date de l’arrivée de Julio à l’hôpital juste avant son intervention chirurgicale. Un scanner l’accompagne et confirme bien une fracture importante de la dure-mère du crâne, ainsi qu’une fuite du liquide céphalo-rachidien par l’oreille. Julio a été emmené en salle d’opération. Voilà le nom du neurochirurgien qui a opéré votre beau-frère : Docteur Melis. Marc prit un autre document. Il s’agissait d’un électrocardiogramme. –Comme vous pouvez le constater, dix-sept minutes après le début de l’opération, Julio a fait un arrêt cardiaque qui a duré plus de sept minutes. Ils ont réussi à le ramener et on donc achevé l’opération. Ce qui le chiffonnait, c’était ceci, dit-il en indiquant les autres relevés.
Sur le premier relevé, nous voyons une seule ligne. Pendant le début de l’opération, idem. Cependant, après la réanimation de votre beau-frère, l’électroencéphalogramme indique deux courbes au lieu d’une. Erreur de la machine ? J’en doute.
Mon père se tenait la tête à deux mains tout en observant les relevés.
-Où voulez-vous en venir exactement, Marc ? Je ne vois pas ce que tout cela a à voir avec les événements actuels.
Marc resta silencieux un moment. Puis, se redressant, il prit d’autres documents.
-Sur ces documents qui viennent de l’asile où Julio était interné, plusieurs incidents ont été déclarés. Bien sûr, ils n’ont pas été pris trop au sérieux, au vu des séquelles de l’accident de Julio. Cependant, bien qu’en cas de grave traumatisme, le patient puisse éprouver des difficultés au niveau de la psychomotricité et aussi des pertes de mémoires ou des problèmes neurologiques, cela n’explique pas ce que les photos nous montrent.
Ce que je pense, dit Marc après un moment, c’est que Julio a vécu une expérience de mort imminente.
Devant nos regards interrogateurs, il ajouta :
-Julio est mort pendant ces sept minutes. Je pense que, quand il est revenu, il n’était pas seul. Quand Julio est revenu parmi les vivants, cette chose l’a suivi et a pu, par son intermédiaire, entrer dans notre réalité. Julio était faible mais il n’était pas fou. Julio était possédé.
Ses révélations nous glacèrent le sang et nous plongèrent dans un silence funèbre. Le prêtre Rosso avait écouté Marc et semblait atterré par ces découvertes.
-Que devons-nous faire, mon Père ? demandai-je alors. On ne peut pas laisser cette chose à l’intérieur de ma mère !
Le prêtre me regarda intensément.
-Nous pourrions commencer par bénir la maison. J’aurais besoin d’aide pour la bénédiction. Nous irons plus vite si nous pouvions nous répartir les pièces de la maison.
Il sortit précipitamment et nous l’attendîmes en silence. Les déclarations de Marc avaient marqué nos esprits. Un démon. C’était un démon qui détenait ma mère. J’avais l’impression de devenir fou.
Quelques minutes plus tard, il revint vêtu de son habit de cérémonie. Il avait également apporté la Sainte Bible ainsi que des flacons d’eau bénite et d’huile sainte scellés de cire et tenait un énorme crucifix dans sa main droite. Mon père et moi-même l’aidâmes à poser son attirail sur la table et il se mit à nous expliquer le rituel qu’il allait entreprendre.
-Avant tout, nous dit-il, je vais vous bénir. Cette chose est dangereuse et une protection supplémentaire ne sera pas du luxe.
Il prit sa bible et récita une prière. Il nous enduisit le front avec l’huile sainte et conclut avec un signe de croix. Cela fait, il nous donna deux exemplaires de rituels romains, prit un encensoir et commença à invoquer l’Archange Michel tout en projetant de l’eau bénite dans toutes les pièces du rez-de-chaussée. A chaque passage, il enduisait le linteau de la porte d’huile sainte. La maison était remplie de fumée et l’odeur me rendait légèrement nauséeux mais je suivais le prêtre sans rien dire, me contentant de lire le texte qui était indiqué dans mon livret. Heureusement que je savais lire le latin ! Mon père s’en sortait bien également.
Quand nous arrivâmes à l’étage, le prêtre répéta le rituel et aspergea les murs, continuant à psalmodier ses prières. Il passa par la chambre de mon grand-père, ensuite se dirigea vers la chambre de ma mère. Devant la porte, il s’arrêta un instant, l’enduit d’huile sainte et ouvrit la porte.
Ma mère, ou la chose qui l’avait envahie, était assise sur le lit et semblait le défier du regard. Mon père était terrifié mais tenait bon. Je ne devais pas faire meilleure figure devant ce spectacle.
Le prêtre pénétra dans la pièce et continua son rituel, sourd aux insultes que ma mère lui lançait. Elle se moquait de lui et lui répétait sans arrêt qu’il n’avait aucune chance et qu’il ferait bien de retourner dans son petit studio minable.
Voyant que le père ne répondait pas à ses provocations, elle devint soudain plus violente et voulut lui sauter dessus. Heureusement, un des liens la maintenait encore à la tête de lit et elle ne put atteindre le prêtre.
Mon père s’élança vers elle pour la rattacher au lit avec l’autre lien. Immobilisée de la sorte, la chose se mit à hurler et à pousser des grognements sourds et rauques.
J’étais tétanisé mais mon père me secoua et m’incita à continuer à lire le livret. Je recommençais donc et quand nous eûmes terminé, nous sortîmes de la chambre.
J’entendais toujours ma mère hurler mais je ne la voyais plus. Je ressentis de la culpabilité à cette pensée. Ma mère était possédée et j’étais soulagé de ne plus la voir. Mon père vit le trouble sur mon visage.
-Ce n’est pas ta mère, Michaël ! me dit-il. N’oublies pas que cette chose n’est pas ta mère. Nous allons l’aider. Nous allons la libérer.
Je le regardais tristement, les yeux pleins de doute. Comment faire face à une entité aussi forte ? Mais je ne pouvais pas l’abandonner. Je me redressais et suivis mon père et le prêtre vers la dernière pièce de la maison : ma chambre. Nous répétâmes le même rituel et avant de descendre, le prêtre enduit la porte du placard d’huile sainte et y cloua l’énorme crucifix qu’il tenait dans la main. A ce moment, la maison devint silencieuse. On se serait cru dans un cimetière. Nous nous regardâmes, le regard un peu perdu, puis nous descendîmes dans le salon.
Un silence de mort suivit. Tout le monde se regardait et attendait de voir si quelque chose allait se produire. La sonnerie du téléphone de Mark nous fit tous sursauter !
C’était Jimmy…
Chapitre 6
Quand Mark était parti avec Michaël chez le père Rosso, Jimmy avait rejoint Jean auprès de sa femme. Pendant ce temps, il avait pénétré dans la chambre doucement pour ne pas la réveiller. Jean l’avait regardé d’un air triste et perdu. Jimmy connaissait ce regard. Son don ne se limitait pas à sentir les esprits. Il pouvait aussi ressentir les émotions des vivants. Leur souffrance le transperçait comme des milliers de petites aiguilles et il avait toujours du mal à supporter d’être dans une pièce bondée. Toutes ses émotions réunies en un même endroit lui donnaient l’impression de devoir rester en apnée pour ne pas se noyer dans cette mer d’émotions. Il possédait ce don depuis son plus jeune âge. Billy, son frère aîné le possédait également mais dans des proportions moindres. Lui était devenu une sorte d’exorciste sans faire vraiment parti de l’église. Il venait en aide aux personnes voulant purifier leur maison ou la libérer d’une infestation. Jimmy, lui, préférait son rôle de médium. C’était la première fois qu’il utilisait son don pour autre chose que de transmettre des messages de personnes décédées à des proches en deuil. Car c’était pour ça que les gens venaient le voir. Il n’avait que rarement participé à des enquêtes avec de tels phénomènes. D’habitude, il ne faisait que retransmettre ce que l’âme d’un défunt voulait faire savoir à ses proches. Cette situation était tout à fait inédite à ces yeux.
C’est dans cet état d’esprit qu’il entra dans la pièce. Il s’était assis auprès de cet homme et avait tenté d’entamer la conversation. Il n’avait jamais été très doué pour ça mais il voulait se montrer gentil et empathique. Il semblait si perdu que Jimmy eut un énorme élan de compassion envers cet être en souffrance. Il lui promit qu’il trouverait comment sauver sa femme et que les choses finiraient forcément par s’arranger.
Jean l’avait regardé d’un air las mais n’avait pas répondu. Il était usé par tous ses événements et Jimmy n’insista pas.
Il avait installé la caméra à l’entrée de la pièce comme Mark lui avait demandé et s’était installé sur une chaise près de la commode.
Il était déjà rentré dans cette chambre et quelque chose l’avait perturbé. Il avait l’impression que quelqu’un s’y tenait mais il n’arrivait pas à percevoir de quel endroit cela se manifestait.
Il avait aperçu le miroir et la sensation de malaise s’était intensifiée. Il n’avait rien dit à Michaël mais il avait eu sensation bizarre. Comme si un monde entier se cachait derrière ce miroir. Comme si une autre réalité se trouvait derrière celui-ci.
Il savait que les miroirs pouvaient servir de portail entre le monde des vivants et celui des morts, mais celui-là était particulier.
Cependant, Jimmy n’arrivait pas à s’expliquer cette particularité.
Il demanda à Jean de l’excuser un moment et sortit de la chambre pour téléphoner à son frère.
Billy lui répondit presque immédiatement.
Jimmy lui résuma le plus gros de la situation et lui parla du miroir de la chambre.
Serait-il possible qu’il y ait un lien entre ce meuble et les événements actuels ?
Billy lui demanda la provenance du meuble.
Jimmy allait poser la question à Jean quand Sylvia commença à s’étrangler dans son sommeil.
Jean s’était approché de sa femme dans le but de la redresser sur ses oreillers et c’est là que tout bascula.
Sylvia, enfin la chose qui la possédait, ouvrit les yeux subitement et mit un énorme coup de tête à Jean qui s’effondra sur le coup.
Jimmy, qui était juste devant la porte, s’élança pour venir en aide à Jean.
Mais avant qu’il n’ait le temps de l’atteindre, il se sentit soulevé dans les airs et fut propulsé vers la commode.
Il attendit le choc mais ne sentit rien. D’ailleurs, il n’entendait plus rien non plus. Il essaya d’ouvrir doucement les yeux et se retrouva dans un endroit sombre d’où seule une faible lueur en forme rectangulaire perçait. Il se rapprocha de la lueur et découvrit avec stupeur que ce qu’il voyait de l’autre côté était la chambre des parents de Michaël. Il posa ses mains devant lui et sentit comme une résistance. Il se mit à taper sur la vitre invisible mais ses coups ne produisaient aucun son. Jimmy était totalement paniqué. Que se passait-il ? Où se trouvait-il ? Il frappa de nouveau sur la surface brillante mais personne ne se manifesta. Apparemment, Jean était assommé et les techniciens n’avaient pas du voir ce qu’il s’était passé. Il avait son téléphone sur lui et regarda l’écran. Il constata, non sans surprise, qu’il n’avait aucun réseau. Ça aurait été trop beau. Il tenta une nouvelle fois de frapper sur la vitre mais il se rendit compte que c’était peine perdue. Personne ne l’entendait. Il se laissa glisser lentement sur le sol et décida de prendre le risque d’allumer la lampe de poche de son portable. Il semblait être dans une pièce qui ressemblait à s’y méprendre à la chambre qu’il venait de quitter. Il se mit lentement debout et en fit le tour. La pièce était plongée dans l’obscurité mais il remarqua un rée de lumière bleutée en dessous de ce qu’il supposait être une porte. Il s’approcha doucement et leva doucement la main devant lui. Ses doigts rencontrèrent un objet dur et froid. La poignée ! Il allait l’ouvrir quand il entendit une sorte de grincement derrière lui. Ses cheveux se dressèrent sur sa nuque et il resta un moment pétrifié. Il n’osait plus faire le moindre geste. Il entendit encore le grincement et se força à se retourner doucement. Il tourna doucement la lumière dans la direction du bruit et tomba sur une énorme penderie à l’ancienne. La porte était entrouverte. Il resta pétrifié et au moment où il voulut se tourner vers la porte de la chambre, le bruit des gonds de la commode se fit plus fort. Jimmy, tétanisé par une peur insoutenable, entendit une respiration sifflante derrière lui. Il n’osait pas se retourner mais il n’avait pas le choix. Il lâcha donc la poignée et se retourna pour affronter la chose qui faisait cet affreux bruit. Il se força à regarder de nouveau la penderie mais elle était vide. Il regarda autour de lui et ne vit personne. A reculons, il se dirigea de nouveau vers la poignée de la porte mais ce ne fut pas du métal qu’il sentit sous ses doigts. C’était de la peau. Froide, morte, mais de la peau humaine. Il s’écarta subitement et un cri monta doucement dans sa gorge. Mais avant que le son n’en sorte, il entendit une voix sifflante lui dire :
– Je serais vous, j’éviterais de crier. Il va nous entendre.
Le cœur battant, Jimmy dirigea sa lampe de poche vers le son de la voix.
La personne qui était devant lui était de sexe masculin. Il était habillé d’un pyjama et semblait porter un masque en plastique autour de la bouche.
Un vieillard aux yeux écarquillés par l’effroi se tenait devant lui. Il devait avoir dans les soixante-dix ans, mais il ne semblait pas dangereux. Jimmy s’approcha lentement et lui demanda son nom.
– Vous savez très bien qui je suis, jeune homme, murmura l’ombre. Je vous ai reconnu tout de suite.
Jimmy le dévisagea et ressentit un étrange soulagement. Oui, il savait. Il avait vu son visage sur les photos que la famille lui avait montrées. C’était Antonio Giorno, le grand-père de Michaël. Il se rapprocha encore et remarqua qu’un anneau métallique était incrusté dans sa poitrine. Une chaîne sans fin y était attachée. Antonio suivit son regard et soupira tristement.
– Il me tient. C’est comme ça qu’il nous contrôle. Jimmy ne comprenait pas.
– Qui est-il ? Qu’est-ce qu’il veut ? Comment sortir d’ici ? Et où sommes-nous, d’ailleurs ?
Antonio parut paniqué par ce flot de questions et posa un doigt glacé sur les lèvres de Jimmy, lui faisant signe de se taire. Il tendit l’oreille, comme s’il craignait d’être entendu, puis alla s’asseoir sur la chaise en face de la commode. Il fixait le carré de lumière et des larmes coulaient sur ses joues.
– Je ne sais pas ce qu’il est, avoua-t-il à Jimmy. Mais je crois savoir ce qu’il veut. Il veut nous avoir tous. Je pensais que si je me sacrifiais, il épargnerait ma famille. Mais ça n’a pas marché. Il ne cessera jamais de tourmenter les miens, et tous ceux qui vivront dans cette maison. Il m’avait promis de libérer mes fils si je me laissais emporter. J’étais condamné de toute façon et c’était une façon de me racheter de mes fautes passées. Mais il m’a trompé. Et maintenant, je suis prisonnier ici, avec mes fils.
Il désigna la garde-robe entrouverte d’un geste tremblant. Jimmy sentit un frisson lui parcourir l’échine quand il distingua deux silhouettes sombres qui l’épiaient du fond de l’armoire. Lentement, les deux ombres s’extirpèrent de leur cachette et se dirigèrent vers Jimmy. Elles s’approchèrent jusqu’à frôler son visage d’un souffle glacé. Jimmy braqua sa lampe sur ces apparitions et fut saisi d’horreur. C’étaient les jumeaux. Roberto et Julio. Eux aussi portaient cet anneau métallique à la poitrine et cette chaîne sans fin. Mais ce qui horrifia Jimmy, c’était l’état de leur visage. Michaël les avait décrits à l’équipe quand il les avait vus dans le miroir. Il avait dit que leurs yeux étaient écarquillés par la peur et que leurs bouches étaient béantes sur un cri muet. Ce que Jimmy voyait n’avait plus rien à voir. La voix d’Antonio résonna dans le noir. – C’est lui qui leur a fait ça. Pour les punir d’avoir demandé de l’aide. Et pour me faire souffrir aussi. Il m’a forcé à regarder, vous savez. J’ai essayé de le stopper mais je n’ai rien pu faire. Si vous ne sortez pas d’ici, vous allez mourir et vous finirez sûrement comme ça. Jimmy resta pétrifié puis reporta sa lampe sur le visage des jumeaux. Leurs yeux et leurs bouches étaient cousus avec un fil épais et noir. Ils tendaient les bras vers Jimmy en implorant de l’aide. Jimmy n’en pouvait plus. Il poussa un hurlement déchirant et tout devint noir autour de lui.
Quand il reprit conscience, Jimmy était seul dans la chambre. Il était allongé sur le lit. Il se redressa brusquement et regarda autour de lui, affolé. Où étaient passés Antonio et ses fils ? Et qu’allait-il lui arriver ? Il descendit prudemment du lit et se dirigea vers l’armoire. La porte était fermée. Jimmy posa sa main sur la poignée mais se ravisa. Il ne voulait pas revoir les visages mutilés des jumeaux.
Il fouilla la chambre du regard, sans faire de bruit, mais ne découvrit aucun indice pour s’échapper. Il se résolut donc à quitter la pièce à la recherche d’un autre portail qui pourrait le ramener. Il devait bien y avoir une sortie quelque part, s’il avait pu entrer d’un côté. Le problème était de la trouver sans tomber sur la chose qui hantait les lieux. Il sortit de la chambre et descendit les marches de l’escalier avec précaution. La maison où il se trouvait était la copie conforme de celle des Blanchart. Tout y était délabré et sale, mais identique. Jimmy sentit son téléphone vibrer dans sa poche. Il regarda autour de lui et sortit son écran de sa main.
Par miracle, son téléphone captait une sorte d’onde qui lui donnait un peu de réseau. Il tenta le coup et appela Mark. Il fut soulagé d’entendre la tonalité et quand on décrocha, il hurla le nom de Mark. À l’autre bout du fil, Mark criait son nom et lui demandait où il était. Jimmy essaya de lui expliquer mais la ligne était parasitée et ses mots devaient être inaudibles. Il répéta à Mark ce qui lui était arrivé, en haussant la voix, et s’arrêta net en entendant un grognement immense derrière lui. Son corps se figea sur place.
Derrière lui, il sentait les vibrations de quelque chose d’énorme qui se rapprochait. Il resta pétrifié, sans dire un mot. Il entendait toujours Mark hurler dans le téléphone mais n’osait plus lui répondre. Le bruit de pas lourds se rapprochait de lui. Il fallait qu’il se cache. À regret, il raccrocha le téléphone et chercha une cachette du regard. Il choisit l’arrière du canapé, s’y glissa et attendit, en retenant son souffle, l’arrivée de la chose. Immobile, il tendit l’oreille. Les pas venaient de l’étage. Il entendait la chose aller d’une pièce à l’autre, en faisant claquer les portes avec violence, à la recherche des cris qu’elle avait sûrement entendus. La créature se déplaçait avec fureur et, ne trouvant pas l’origine des cris, semblait grogner de frustration. Jimmy restait blotti derrière le canapé, priant silencieusement pour que la bête ne descende pas les marches.
Après un moment, le silence revint dans la maison. Jimmy osa jeter un coup d’œil à la porte du salon et vit qu’elle était restée entrouverte. Il avait oublié de la refermer derrière lui. Il écouta attentivement mais plus rien ne bougeait. Apparemment, la chose était partie dans une autre partie de la maison. Jimmy sortit lentement de sa cachette et vit la porte donnant sur le jardin. Il devait sortir d’ici avant que cette entité ne revienne. Il se dirigea doucement vers la porte et souleva légèrement le rideau pour regarder dehors.
Ce qu’il vit le sidéra. Ce n’était pas possible ! Comment cela pouvait-il exister ? Non, ça devait être la peur ! Pour se convaincre que ses yeux le trompaient, il ouvrit la porte et s’accrocha à la poignée de toutes ses forces. Il essaya de poser un pied là où le sol aurait dû se trouver mais ne rencontra que le vide. Il rentra vite son pied et ferma la porte, le dos contre le bois glacé, la poignée appuyée entre ses omoplates. Non, c’était de la folie ! Pour se persuader qu’il ne rêvait pas, Jimmy se pinça fort le bras et regarda de nouveau à l’extérieur. Mais le décor ne changea pas.
Car il n’y avait rien dehors, sauf le néant. La maison semblait flotter dans un vide absolu. Derrière cette porte ne régnait que l’obscurité. Jimmy sentit son visage se crisper et un profond désespoir l’envahir. Il se laissa glisser le long de la porte et les larmes se mirent à couler sur son visage. Il sanglota ainsi pendant quelques minutes. Soudain, il sentit une main se poser sur son épaule. Dans un énorme sursaut, il tomba sur le dos, pris de panique. Il s’aperçut que ce n’était qu’Antonio. Soulagé, il se calma un peu et tendit le bras vers la fenêtre.
– Vous pouvez m’expliquer ? demanda-t’il au vieil homme.
Antonio regarda à l’extérieur mais ne répondit pas. Il n’avait pas l’air de savoir non plus où il se trouvait. Il regarda de nouveau Jimmy et l’aida à se relever. Une fois debout, Jimmy tenta de reprendre contenance. Il fallait qu’il trouve une sortie. Il demanda à Antonio s’il savait où se trouvait la chose. Le vieil homme lui répondit tristement :
– Mes fils ont attiré son attention en faisant du bruit dans leur chambre.
Jimmy se sentit mal à l’idée que les jumeaux aient dû subir cette créature pour le sauver. Il ne savait que dire. Il parla donc de sa théorie avec Antonio. Jimmy savait qu’il n’était pas mort. Il le sentait au fond de lui. Il avait été projeté par la créature dans une sorte de monde parallèle. Donc, s’il y avait une entrée, il devait y avoir une sortie, c’était logique. Restait à la trouver. Il demanda à Antonio s’il avait une idée de ce que serait cette sortie. Avec un soupir, Antonio lui indiqua le plafond. Ne comprenant pas, Jimmy lui demanda d’être plus clair.
– S’il y a une sortie dans cette maison, elle ne peut se trouver qu’à un seul endroit, lui dit Antonio.
Jimmy attendait mais Antonio semblait figé. Il prit le vieil homme par le bras et celui-ci sembla revenir à lui-même. Il regarda Jimmy avec des yeux flous et semblait ne pas se rappeler qui il était. Jimmy lui demanda comment il allait et Antonio lui répondit qu’il se sentait bien. Quand Jimmy lui redemanda la sortie, Antonio le regarda d’un air effrayé et lui indiqua de nouveau le plafond.
– Si vous voulez sortir d’ici, vous devrez aller là où tout a commencé. Là se trouve le portail qui vous ramènera dans votre monde. Mais pour cela, il va falloir éviter de croiser cette chose. Et j’ai bien peur que cela soit impossible. Il nous retrouve toujours.
Les yeux de Jimmy s’écarquillèrent quand il comprit où se trouvait son salut. Il allait devoir affronter cette chose ou périr dans ses murs. Une fois de plus, Jimmy ressentit un désespoir immense. Et surtout, il avait peur. Très peur. Il tenta de rappeler Mark qui décrocha tout de suite. Jimmy essaya de lui parler mais Mark ne semblait pas comprendre ce que Jimmy lui disait. Jimmy se tut. Il raccrocha et essaya d’envoyer un message. Il écrivit un mot et l’envoya. Le message fut transmis puis le portable s’éteignit. Il n’avait plus de batterie. Jimmy mit son téléphone dans sa poche et commença à discuter stratégie avec Antonio. Ils devaient sortir d’ici. Tous.
Mark hurlait le nom de Jimmy dans le téléphone, mais il n’entendait que des grésillements. Puis, plus rien. Jimmy avait raccroché. Mark resta figé un instant, puis rangea le téléphone dans sa poche. Il faisait les cent pas dans le salon, ne sachant pas quelle décision prendre. Il se tourna vers Antoine, le technicien, et lui demanda s’il pouvait localiser le portable de Jimmy. Antoine s’exécuta. Il fallut attendre quelques minutes avant que l’écran n’affiche le résultat. Mais quand ils le virent, ils restèrent bouche bée. Ils pensèrent à un bug de l’ordinateur et relancèrent la recherche. Le résultat fut le même. C’était impensable ! Mark fit signe à Jean d’aller vérifier dans la chambre de sa femme. Sur l’écran, Sylvia paraissait toujours plongée dans un sommeil profond. Il n’y avait personne d’autre dans la chambre. Pourtant, le portable de Jimmy y était localisé. Jean monta à l’étage avec l’autre technicien et fouilla la chambre. Ils cherchèrent partout, sous le lit, derrière les meubles, mais ils ne trouvèrent aucune trace du téléphone. Quand Jean s’était réveillé dans la chambre après l’agression de Sylvia, Jimmy avait déjà disparu. Ils redescendirent au salon et Mark proposa de visionner ce que la caméra de la chambre avait filmé. Ils rembobinèrent les images et s’arrêtèrent au moment où Jimmy pénétrait dans la chambre des parents. On voyait Sylvia endormie, Jean assis sur une chaise à côté d’elle et Jimmy debout à la porte. Jimmy posait une question à Jean et Mark le vit sortir de la chambre, le téléphone à l’oreille. Il devait passer un coup de fil. Peu après, Mark et les autres assistèrent à la scène horrifiante où Sylvia se mettait à convulser. Jean s’approchait d’elle et c’était le début d’une violence inouïe. Mark observa Sylvia asséner un coup de tête à son mari puis se tourner vers lui. Son visage était déformé par la rage.
Un grognement retentit et Mark vit le corps de son ami s’élever dans les airs et foncer vers le miroir de la coiffeuse. Il s’attendait à le voir s’écraser contre le meuble, mais ce qu’il vit ensuite le stupéfia. Au lieu de heurter le miroir, Jimmy semblait l’avoir traversé! Son corps avait disparu dans un flash bleuté. Comment était-ce possible ? C’était incroyable !
Ils étaient abasourdis. Mark, Jean et les techniciens se regardaient sans oser parler. Ils venaient d’assister à une scène irréelle. C’est Jean qui rompit le silence.
– Mark ! Qu’est-ce qu’on fait ? On ne peut pas abandonner Jimmy ! Il faut aller le chercher !
Mark marchait nerveusement de long en large, perdu dans ses réflexions, quand il sentit son téléphone vibrer. C’était un message de Jimmy. Un seul mot y était écrit. Ou plutôt un nom. Billy. Jean, qui avait jeté un coup d’œil au message sur l’épaule de Mark, le questionna du regard. Mark soupira et tapa un numéro. Il se tourna vers les autres et dit :
-Il faut appeler Billy. C’est le frère de Jimmy. Il saura peut-être nous aider.
Jean lui demanda comment cet homme pourrait faire face à une telle situation. Mark lui répondit calmement :
-Billy est exorciste. Mais pas seulement. Il est aussi détective spécialisé dans le paranormal à ses heures perdues. Il saura sûrement comment ramener Jimmy dans notre monde. Du moins, je l’espère.
Le téléphone sonna et une voix répondit à l’autre bout du fil. Mark se présenta et discuta avec son interlocuteur pendant quelques minutes. Pendant ce temps, Jean partit à la recherche de son fils. Michaël et Mario étaient dans la cuisine. Ils avaient entendu ce qu’il s’était passé mais ils avaient préféré rester à l’écart. Michaël était pétrifié par la peur. Mario n’était pas beaucoup mieux. Jean les prit dans ses bras et Michaël se blottit contre lui.
– Papa, comment on va s’en sortir ? lui demanda-t’il, tremblant.
Jean ne savait pas quoi lui dire et lui répéta ce que Mark avait dit. Les garçons écoutèrent attentivement et semblèrent se rassurer un peu. Jean leur conseilla de rester avec le reste du groupe. Ils retournèrent au salon et virent le Père Rosso qui était resté assis tout ce temps, silencieux. Mark s’adressa à lui et lui demanda :
– Alors, mon Père, vous avez assez de preuves pour demander l’intervention de l’Église ? Le prêtre semblait dépassé par tous ces événements. Il se leva néanmoins et dit :
– Oui, ce cas me semble plus qu’urgent. Je vais aller voir l’Évêque et lui exposer la situation. Pourriez-vous me donner les copies des images de caméras ainsi que tous les autres documents en votre possession ? Je ne sais pas combien de temps cela prendra mais il faut faire au plus vite. La vie de votre ami est en jeu, et la nôtre aussi.
Mark rassembla donc tous les documents sur une clé USB et la remit au prêtre. Celui-ci se dirigea vers la porte d’entrée. Avant de sortir, il se retourna vers nous. Il nous regarda intensément :
– Le démon est à l’œuvre dans cette maison. Je prierai pour vous et j’espère pouvoir vous ramener de l’aide à temps. Soyez prudent en attendant mon retour. Évitez de le provoquer et ne faites rien d’inconsidéré. Je reviens au plus vite.
Sur ce, il quitta la maison dans la nuit noire.
Mark revint dans le salon et regarda autour de lui. Ils étaient tous au bout du rouleau. La situation avait dégénéré si vite et de manière si délirante ! Il n’avait jamais rencontré un tel cas de sa vie d’enquêteur. Ils étaient tous épuisés. Il jeta un coup d’œil sur les écrans, mais plus rien ne semblait se manifester. Il se laissa tomber sur le canapé, ferma les yeux et soupira de fatigue.
– Je pense que nous devrions dormir un peu, dit-il.
Les autres le regardèrent d’un air ébahi. Michaël lâcha d’une voix tremblante :
-Dormir ? Avec cette chose dans la maison ?
Jean se rapprocha de son fils.
– Il a raison, Champion. Il faut nous reposer. Nous allons devoir affronter cette horrible créature. Il nous faudra toutes nos forces si nous voulons avoir une chance d’y arriver.
Il se tourna ensuite vers Mario.
– Retourne chez toi, Mario. Préviens ton père de la situation et restez chez vous, à l’abri. Je ne veux pas qu’une autre personne innocente paie à notre place. Cette histoire regarde notre famille. Merci pour ton aide. J’espère que nous aurons l’occasion de nous revoir dans de meilleures conditions.
Mario regarda Michaël, les larmes aux yeux. Il le serra dans ses bras.
– Je prierai pour vous, dit-il en se dirigeant vers la porte. J’espère que l’on se reverra, Mick. Bonne chance.
Il ouvrit la porte et sortit. Michaël ne disait plus rien. Il semblait résigné. Il regarda son père et ce qu’il dit glaça le sang de Jean.
-On va tous y passer, n’est-ce pas ?
Jean aurait voulu rassurer son fils, mais il ne sut pas quoi répondre. Mark, qui l’avait entendu, le prit par l’épaule et lui dit :
-En tout cas, pas sans nous battre. Cette chose, quelle qu’elle soit, doit avoir des points faibles. Nous allons trouver une solution pour ramener Jimmy et libérer votre famille. Je te le promets. Mais en attendant l’arrivée de Billy, nous devrions tous nous reposer.
C’est ce que nous fîmes tous. Voilà comment je passai ma première nuit avant le combat qui nous opposa à ce démon. Je m’étais allongé sur un tas de couvertures que j’avais prises dans un meuble de la pièce de devant et, malgré la peur qui me serrait le cœur, je m’endormis, priant pour que ce ne soit pas le dernier jour de ma vie. Priant aussi pour ne pas me réveiller enchaîné par cette créature, dans ce monde parallèle au nôtre. Je priais aussi pour que ce Billy arrive rapidement. Je priais comme je n’avais jamais prié de ma vie.
Chapitre 7
Billy s’affairait devant sa valise, le front plissé par la réflexion. Depuis l’appel de Mark, qu’il avait connu par l’intermédiaire de Jimmy lors d’une enquête à laquelle il participait également, ses pensées ne cessaient de tourner en rond dans sa tête. Quelle histoire ! Ce que Mark lui avait raconté était complètement inédit. Billy, qui enquêtait sur les phénomènes paranormaux depuis plus de vingt ans, avait déjà entendu parler de mondes parallèles, mais n’avait jamais su qu’il était possible d’y accéder physiquement. Il savait qu’avec les voyages astraux, il était possible à un médium de transférer sa conscience dans un monde alternatif, mais être physiquement transporté de l’autre côté, et par un démon de surcroît ? Pauvre Jimmy ! Son petit frère avait toujours eu du mal à accepter ce don qu’ils avaient depuis l’enfance. Il lui avait fallu l’aide de Billy pour accepter cette capacité et s’en servir pour consoler des familles en deuil. Billy, par contre, était enchanté par cette capacité. Il faut dire que son don lui était très utile lors de ses nombreuses enquêtes. Il lui suffisait de rentrer dans un lieu pour y ressentir toutes ses présences et pouvoir parfois retracer des événements du passé. Mais aujourd’hui n’était pas une enquête comme les autres. Cette fois, Jimmy était en danger de mort. Et bien que l’idée de découvrir tous les dessous de cette affaire ait attisé son obsession pour le paranormal, l’inquiétude était présente. Il finit de remplir sa valise et se dirigea vers le téléphone. Pendant ces nombreuses enquêtes, il avait eu l’occasion de rencontrer des personnes intéressantes avec des capacités exceptionnelles. Le téléphone sonna et une voix féminine, légèrement enrouée, lui répondit. Billy soupira de soulagement. Vu l’heure tardive, il avait craint que personne ne lui réponde.
– Salut, Andréa. C’est Billy. Je t’appelle car…
Andréa lui coupa la parole.
-C’est Jimmy, n’est-ce pas ?
Comme toujours Billy était impressionné par les dons de médium de cette femme. Il avait des capacités, mais s’il devait se les représenter, elles auraient eu l’air de la lueur d’une petite bougie. Andréa était un vrai phare qui illuminait n’importe quel endroit le plus sombre.
– Oui c’est Jimmy. Qu’as-tu vu exactement ?
Andréa ne répondit pas tout de suite, certainement parce qu’elle venait de se réveiller. Après un moment de silence, elle lui annonça son arrivée. Elle raccrocha avant même que Billy n’ajoute quelque chose. Il se dirigea vers la cuisine, la valise à la main, et mit le percolateur en route. Andréa était une accro à la caféine. Il s’assit sur une chaise et attendit. Le bruit d’un moteur se fit entendre. Billy se leva et regarda par la fenêtre. C’était Andréa. Il alla lui ouvrir et la suivit à la cuisine. Andréa, petit bout de femme d’une cinquantaine d’années, les yeux tirés par le manque de sommeil, se servit directement au percolateur. Elle remplit une tasse et en prit une pour Billy. Installés autour de la table, Andréa raconta à Billy les rêves étranges qu’elle avait faits récemment. Toujours les mêmes en fait. Elle voyait Jimmy dans un endroit sombre et froid. Mais Jimmy n’était pas seul. Elle avait aussi vu un vieil homme et des jumeaux d’une vingtaine d’années. Ils avaient l’air prisonnier et criaient à l’aide. Mais ces présences n’étaient pas ce qui l’avait le plus terrifiée. Outre ces âmes en détresse, elle avait senti que quelque chose habitait ce lieu, une chose horrible, une chose inhumaine. Elle avait eu du mal à la discerner mais elle avait senti les vibrations de haine et de violence qui émanaient de cette créature. Quand Billy l’avait appelée, elle était en plein cauchemar. Jimmy était en danger. Mais il n’était pas le seul. Un nom lui revenait sans cesse en tête.
-Michaël.
Billy lui demanda de qui il s’agissait mais Andréa secoua la tête. Elle n’avait pas pu ressentir la présence de cette personne. Comme si quelque chose l’en empêchait. Billy l’informa qu’il se rendait à l’adresse indiquée par Mark. Andréa hocha la tête, se leva, rinça sa tasse de café au-dessus de l’évier et la posa sur l’égouttoir. Elle se tourna vers Billy.
– Allons-y alors !
Billy la regarda d’un air inquiet. Depuis leur dernière rencontre, Andréa avait l’air amaigrie et fragile.
– Je ne pense pas que ce soit une bonne idée, Andréa. Dans ton état,…
Andréa le regarda d’un air sévère. Sa peau ébène était atténuée par une nuance de gris et ses yeux étaient cernés.
-Mon état, c’est mon affaire, Billy. Je ne sais pas pourquoi mais je sais que je dois me rendre là-bas. Je sens que je dois y aller.
Billy la regarda un moment et soupira.
– Donc, c’est réglé, dit Andréa. Ma valise est dans ma voiture mais vu la distance, nous prendrons ton pick-up, si tu le permets.
Billy hocha la tête. Il alla rincer sa tasse à l’évier, Andréa avait horreur du désordre, et se dirigea vers sa veste. Il prit sa valise, ses clés, son téléphone et se dirigea vers sa voiture. Il chargea également la valise d’Andréa. Elle avait sûrement dû emporter toutes ses amulettes, protections et objets quelconques qu’elle possédait car la valise était lourde. Andréa s’installa sur le siège passager et attacha sa ceinture. Billy s’installa au volant, encoda l’adresse et attendit que l’itinéraire s’affiche. Une fois enregistré, le GPS commença à débiter le trajet de sa voix artificielle féminine. Durant le trajet, Billy lui raconta les informations qu’il tenait de Mark. Andréa l’écoutait et son visage devenait de plus en plus pâle au fil du récit. Elle ne posa aucune question. Elle garda le silence jusqu’à la fin. Billy la regardait, attendant un commentaire, mais elle l’informa simplement qu’elle allait se reposer le temps du voyage. Billy la laissa donc dormir. Au vu de ce qui les attendait, quelques heures de sommeil lui feraient le plus grand bien. C’est dans ce silence funeste que Billy conduisit vers ce destin incertain. Toute cette histoire lui laissait comme un mauvais goût dans la bouche. Il ne savait pas pourquoi mais il avait l’impression que sa vie ne serait plus jamais la même après ça. S’il s’en sortait vivant du moins. Cette réflexion le laissa perplexe. Il n’avait jamais eu peur de mourir lors d’une enquête, alors pourquoi ce sentiment de terreur semblait-il lui serrer le cœur ? Il avait l’impression de foncer vers un énorme précipice où ne l’attendait que terreur, souffrance, et pire encore. Mais Jimmy était là-bas. Il n’avait pas le choix. Jimmy aurait fait la même chose pour lui. C’est ainsi perdu dans ses pensées que Billy se dirigea vers le champ de bataille.
À plus d’une centaine de kilomètres de là, le Père Rosso se tenait devant une maison modeste, éclairée par la lune. Il serrait la clé USB dans sa main comme un talisman. Il avait peur. Peur de ce qu’il avait vu, peur de ce qu’il allait dire, peur de ne pas être cru. Il se décida enfin et frappa à la porte avec force. Quelques minutes plus tard, la porte s’ouvrit sur le visage bienveillant de l’évêque de leur paroisse, Monseigneur Vendetta. C’était un homme bon et ouvert d’esprit, qui avait toujours soutenu le Père Rosso dans son ministère. Il était tard et pourtant il n’était pas couché, vêtu d’une simple soutane. Il observa le prêtre avec inquiétude, voyant l’angoisse qui déformait ses traits. Il le fit entrer sans un mot.
-Que se passe-t-il, Marco ? Qu’est-ce qui vous amène à une heure si tardive ?
L’évêque conduisit le prêtre dans un petit salon. Une vieille dame les rejoignit, portant un plateau contenant du thé, de la crème et du sucre. Elle sortit discrètement du salon et l’évêque se tourna vers le Père Rosso.
–Alors, Marco, qu’est-ce qui vous trouble à ce point ?
Le prêtre commença donc à lui raconter les tourments que subissait la famille qui lui avait demandé de l’aide. L’évêque l’écouta sans l’interrompre, buvant son thé à petites gorgées. Quand le prêtre eut fini son récit, l’évêque lui posa une série de questions.
-Etes-vous sûr qu’il s’agit bien d’une possession démoniaque ? Au vu des antécédents de cette famille, n’y aurait-il pas une explication médicale ?
Le prêtre soupira. Il serrait toujours la clé dans sa main et la tendit à son supérieur. Celui-ci la prit sans poser de question, se dirigea vers son bureau et en sortit un ordinateur portable. Il l’alluma et y inséra la clé.
Quand les images commencèrent à défiler, les yeux de l’évêque s’écarquillèrent. Il regarda les images jusqu’à la fin puis se tourna vers le père Rosso.
-Mon Dieu ! Est-ce possible ? Comment avez-vous obtenu ces images ? Avec toute la technologie dont on dispose aujourd’hui, il ne serait pas difficile de monter ce genre d’image.
Le Père Rosso le regarda d’un air las.
-Je vous assure que ces images sont authentiques, Monseigneur. Comme vous pouvez le constater sur ces images, j’étais présent au moment des faits. Vous avez pu voir ces images mais il y a autre chose. Les dossiers sur la clé regroupent les témoignages d’Antonio et de Vittorio sur une période de vingt ans. La famille actuelle n’était pas au courant de ces événements. De plus, que dire de cet homme qui passe au travers de ce miroir ? Sans compter l’atmosphère que dégage cette demeure. Non, je vous assure, Monseigneur, tout ceci n’est pas un canular bien élaboré mais l’horrible vérité. Je suis venu vous demander votre aide. Il faut que nous aidions cette famille sinon je crains une issue fatale pour chacun d’entre eux. Il est de notre devoir de chrétien de les aider à chasser les forces démoniaques qui y sévissent.
L’évêque regarda le prêtre en silence. Marco était son assistant depuis près de trente ans. Il avait toujours été un excellent prêtre et avait toujours mit sa foi avant tout. De plus, il n’était pas du genre à croire au surnaturel. S’il demandait de l’aide, c’est qu’il était certain de ce qu’il avançait. L’évêque se leva en invitant le Père Rosso à le suivre. Ils se dirigèrent vers une porte en bois foncé sur lequel un crucifix était accroché. L’évêque ouvrit la porte et alluma la lumière. Le père Rosso le suivit sans rien dire. Il observait les murs où était représentée une photo du Pape Jean-Paul II. Sur le mur au dessus de la cheminée se trouvait une illustration du Christ chassant les démons d’un pauvre pécheur et les envoyant dans un troupeau de porcs qui se jetaient dans un lac. Sur l’autre mur, la Sainte Vierge tendait les bras vers le ciel dans un halo de lumière. Devant la cheminée, une petite table de salon était entourée par deux fauteuils à dos droits. Un petit bar renfermait quelques bouteilles de vin. L’évêque s’assit dans l’un des fauteuils et invita le prêtre à faire de même. Il se servit un verre de vin et en proposa un au prêtre qui refusa poliment.
-Marco, vous venez de me montrer des images troublantes. Je ne sais pas quoi en penser. Mais je vous connais depuis longtemps et je vous fais confiance. Si vous dites que cette famille est en danger, je vous crois. Mais que voulez-vous que je fasse ? Je ne suis pas un exorciste, je n’ai pas le pouvoir de chasser les démons.
Le prêtre le regarda avec espoir.
-Monseigneur, vous êtes l’évêque de cette paroisse. Vous avez l’autorité pour demander l’intervention d’un exorciste officiel du Vatican. Je vous en supplie, faites-le avant qu’il ne soit trop tard.
L’évêque hocha la tête lentement.
-Très bien, Marco. Je vais faire ce que vous me demandez. Mais je vous préviens, ce ne sera pas facile. Il faut obtenir l’autorisation du Vatican, trouver un exorciste disponible, organiser son voyage, son hébergement, sa sécurité… Tout cela prend du temps et de l’argent. Et pendant ce temps, que va-t-il se passer dans cette maison ?
Le prêtre baissa les yeux.
-Je ne sais pas, Monseigneur. Je ne sais pas ce que ces démons ont prévu pour cette famille. Mais je sais qu’ils sont puissants et maléfiques. Je sais qu’ils ne reculeront devant rien pour les détruire. Je sais qu’il faut agir vite, très vite…
L’évêque posa sa main sur l’épaule du prêtre.
-Courage, Marco. Nous allons faire tout notre possible pour les aider. Dieu est avec nous, il ne nous abandonnera pas. Il nous donnera la force et la sagesse nécessaires pour combattre ces forces du mal. Ne perdez pas espoir, Marco. Ne perdez pas la foi…
L’évêque se leva de son fauteuil et se dirigea vers un bureau en bois massif, surmonté d’un grand crucifix. Il fouilla dans plusieurs tiroirs et en sortit un livre relié de cuir, une fiole d’eau bénite et une tenue de cérémonie. Il fit signe au Père Rosso de s’approcher. Sa voix était grave et solennelle.
-Marco, c’est à vous que je confie cette mission. Vous devez exorciser madame Blanchart au plus vite. Quant à ce pauvre Jimmy, je crains de ne pouvoir vous être d’aucun secours. Vous savez très bien que l’Église ne reconnaît pas l’existence des fantômes, ni celle des mondes parallèles, à part le Paradis. Il vous faut trouver quelqu’un qui ait des méthodes moins conventionnelles pour ce genre de situation.
Le Père Rosso sentit un frisson lui parcourir l’échine. Il regarda l’évêque avec incrédulité.
– Un sorcier ? Un chamane ? Mais où voulez-vous que je trouve une telle personne, Monseigneur ? Et que dira le Diacre si jamais il l’apprend ?
L’évêque posa une main rassurante sur l’épaule du Père Rosso et l’invita à s’asseoir.
– Ne vous inquiétez pas pour le Diacre, Marco. Il n’a pas besoin de savoir. Quelles que soient les preuves que vous lui apporterez, l’Église ne donnera jamais son aval pour la cérémonie. Il vous faut un médium capable de voyager dans l’au-delà. Je sais que je ne devrais pas croire en ces choses-là, mais j’ai toujours eu l’esprit ouvert. Au cours de ma vie, j’ai assisté à des phénomènes inexplicables et j’ai rencontré des gens dotés de dons extraordinaires. Bien sûr, l’Église les traite d’imposteurs, mais ce n’est pas mon cas. Vous ne seriez pas venu me voir, sinon. N’est-ce pas ?
Le Père Rosso acquiesça. Il était soulagé que l’évêque le soutienne dans sa démarche. Celui-ci lui tendit le livre qu’il tenait dans les mains. Le Père Rosso reconnut un ouvrage rare de la Bible, qui contenait toutes les prières et les formules nécessaires à un rituel d’exorcisme. Il l’avait vu une seule fois au Vatican, lorsqu’il avait prononcé ses vœux. Il prit le livre avec respect et le serra contre sa poitrine.
L’évêque lui donna ensuite la fiole d’eau bénite venant de Lourdes et lui remit la tenue de cérémonie. C’était une aube blanche immaculée, une étole pourpre et une chasuble brodée d’or. Ces vêtements symbolisaient la puissance de Dieu lors d’un combat spirituel. Le Père Rosso les prit avec précaution et les ajouta aux objets sacrés que l’évêque lui avait confiés.
– Avant de partir, mon père, j’aimerais vous demander quelque chose.
Le Père Rosso se tourna vers l’évêque et attendit sa requête.
-Si vous réussissez à sauver Jimmy et sa mère, pourriez-vous revenir me raconter comment cela s’est passé ? J’aurais aimé être à vos côtés, mais ma santé ne me permet plus de mener ce genre de combat.
Le Père Rosso vit la tristesse dans les yeux de l’évêque et lui sourit avec compassion.
-Bien sûr, Monseigneur, répondit-il. Je vous promets un rapport complet des événements. Merci pour votre aide.
L’évêque leva la main, comme pour dire que cela n’était rien, et raccompagna le Père Rosso à la porte.
– Je prierai pour vous et pour la famille Blanchart, Marco. Que Dieu vous protège.
Le Père Rosso le remercia une dernière fois et sortit de la pièce. Il sentit le poids de sa responsabilité sur ses épaules. Il devait à tout prix trouver un médium, et vite. Le temps lui était compté. Il ignorait ce qui se tramait dans l’autre monde, mais il pressentait que le danger était imminent.
Il faisait nuit noire quand il arriva dans la rue. Un pick-up venait de se garer devant la porte des Blanchart. Il vit un homme imposant descendre du côté conducteur. Une femme de couleur l’accompagnait. Elle avait l’air malade et fragile. Il accéléra le pas pour les rejoindre. L’homme se retourna vers lui. Le Père Rosso lui sourit et se présenta. L’homme fit de même et lui dit le nom de son amie.
-Quelle aubaine, pensa le père Rosso. Il cherchait désespérément un médium pour l’aider dans cette affaire ! C’était peut-être un signe du ciel ou du moins un signe d’espoir. Il regarda en direction de la femme. Celle-ci ne semblait pas les voir. Son regard était rivé sur la façade de la maison. Elle frissonna.
-Est-ce qu’elle va bien ? s’inquiéta le Père.
L’homme haussa les épaules. Elle sortit brusquement de sa torpeur et les deux hommes la suivirent devant l’entrée. D’un geste brusque, elle frappa à la porte. A l’intérieur, Michaël se réveilla en sursaut. Il lui avait semblé entendre des coups sourds. Il vit Mark se lever du canapé. Celui-ci se dirigea vers la porte d’entrée et Michaël entendit des voix étouffées. Il se leva doucement de son lit improvisé et secoua son père qui dormait à côté de lui. Jean ouvrit les yeux et le regarda d’un air étonné.
-Que se passe-t-il, Champion ?
Il se redressa et se dirigea vers l’entrée. La lumière de la pièce de devant s’alluma et les autres occupants se réveillèrent à leur tour. Ils avaient pu dormir quelques heures sans qu’aucune manifestation ne vienne troubler leur sommeil. Sylvia était toujours dans un état comateux et, pendant que le Père Rosso était parti voir son supérieur hiérarchique, Mark avait envoyé Jean à la pharmacie pour aller chercher des poches de sérum ainsi qu’un cathéter pour pouvoir nourrir Sylvia qui commençait à montrer des signes de déshydratation. Quand Jean était revenu, Mark avait pris la tension de Sylvia et écouté son rythme cardiaque. Pour l’instant, elle tenait le coup mais cela ne durerait pas si l’entité restait en elle trop longtemps. Ils avaient essayé de la réveiller pour la nourrir mais elle ne semblait pas pouvoir revenir à elle. Mark lui avait donc placé la perfusion. Jean regardait sa femme d’un air désespéré. Mark se dépêcha donc à reprendre ses paramètres et sortit de la chambre en emmenant Jean avec lui. Après son agression, Mark préférait ne pas laisser Jean seul avec sa femme. Il était clair que le démon se servait de son corps pour atteindre les autres membres de la famille. Il valait mieux les tenir à l’écart. Il s’était réveillé au bruit du tambourinement sur la porte d’entrée. Quand il ouvrit, il se retrouva devant une silhouette familière et poussa un soupir de soulagement. C’était Billy. Il était accompagné par le Père Rosso et une femme que Mark ne connaissait pas. Il s’écarta pour les laisser entrer. Billy entra, chargé de deux grosses valises qui semblaient contenir du matériel électronique. Le Père Rosso le suivit en saluant tout le monde d’un signe de tête. La femme resta un moment sur le pas de la porte puis se décida à entrer en jetant un regard méfiant autour d’elle.
-Andréa, dit-elle en tendant la main à Mark d’une voix rauque. Celui-ci lui serra la main et prit le temps de l’observer. Elle était d’une pâleur effrayante qui contrastait avec ses cheveux noirs et ses yeux sombres. Il la trouvait frêle et se demandait ce qu’elle était venue faire dans cette maison maudite. Il était clair que sa place aurait plus été dans un hôpital. Mark engagea la conversation. – Je m’appelle Mark. C’est moi qui ai appelé Billy. Je ne sais pas si vous connaissez la situation mais puis-je vous demander quelles sont vos compétences ? Andréa le jaugea un moment puis, s’avançant lentement dans la pièce, elle lui répondit : – Un épouvantable drame s’est déroulé ici. Une entité maléfique hante cette maison depuis des années. Elle s’est attachée à Julio comme un parasite dans un moment de grande faiblesse du jeune homme. Elle a pris possession de sa mère et elle veut les détruire tous. Je suis ici car je dois les aider à se libérer de l’emprise de cette créature. Je suis médium et je peux communiquer avec les esprits.
Le Père Rosso, grâce à son exorcisme, nous servira de diversion pour faire revenir Jimmy parmi le monde des vivants. Car tant que cette chose occupera le corps de cette femme, elle ne pourra pas occuper l’autre monde en même temps. Mark l’écoutait attentivement. Elle avait l’air de savoir de quoi elle parlait.
-Il va falloir être très prudent dans notre démarche car si le démon se rend compte de notre plan, tout sera foutu. Allons rejoindre les autres. Je dois parler au Père Rosso ainsi qu’aux autres membres de cette famille. Y a-t-il un Michaël parmi vous ?
Mark acquiesça.
-Oui, c’est le fils de la femme possédée. Pourquoi ?
Andréa ne répondit pas tout de suite. Elle se dirigea vers le salon et demanda à Mark de lui raconter dans l’ordre les événements. Mark lui fit un rapide résumé, lui montrant les vidéos et les photos et lui parlant également des carnets de Vittorio. Andréa écoutait attentivement. Ensuite, elle demanda à voir Michaël. Le jeune homme s’approcha timidement. Andréa pouvait voir la terreur et le désespoir sur les traits las de son visage. Elle lui demanda également de raconter sa version des faits. Le jeune homme s’exécuta. Il lui raconta le début des phénomènes avec les grattements, les portes ouvertes et la sensation que quelque chose ne tournait pas rond dans cette maison jusqu’aux apparitions des jumeaux dans le miroir de la salle de bain, en terminant par l’attaque de la créature à son encontre dans sa propre chambre. Andréa l’écoutait et Michaël se rendit compte qu’elle le scrutait, comme si elle cherchait quelque chose que d’autre ne pouvait pas percevoir.
-Tu es spécial, mon garçon, lui dit-elle quand il eut fini son histoire. Tu dégages un tel halo de lumière…Je n’avais jamais vu ça avant. As-tu eu des cauchemars ou bien un sentiment de malaise avant d’habiter cette maison ? Qu’as-tu ressenti en entrant ici pour la première fois ?
Michaël réfléchissait. Il se souvenait qu’il avait fait d’horribles cauchemars avant leur déménagement mais ne se rappelait pas de quoi il avait rêvé. Cependant, il lui parla de la sensation de malaise et cette peur irraisonnée à leur arrivée. Andréa hocha la tête, comme si elle comprenait exactement de quoi Michaël voulait parler. Le garçon attendit qu’elle s’explique mais Andréa se contenta de lui serrer l’épaule et lui promit qu’elle ferait son possible pour les aider. Elle se dirigea vers le Père Rosso, Mark et Jean qui étaient assis à la table de la salle à manger et commença à leur expliquer son plan.
-Le Père Rosso va tenter un nouvel exorcisme sur Sylvia pour attirer l’attention du démon et le faire sortir momentanément du corps de la femme. Pendant ce temps, Billy va installer du matériel électronique dans la chambre des jumeaux pour capter les ondes paranormales et créer un portail entre les deux mondes. Je vais me servir de mes dons pour entrer en contact avec Jimmy et essayer de le ramener vers la lumière.
Jimmy se recroquevilla au fond de l’armoire. Il avait parlé avec Antonio de son plan pour atteindre le portail. Il connaissait la maison comme sa poche, puisqu’elle était la copie conforme de celle d’Antonio. Il savait où se trouvait l’issue, mais il ne savait pas comment y accéder sans se faire repérer par la créature. Il avait besoin d’un leurre, et Antonio avait proposé de demander aux jumeaux de les aider à attirer l’attention du démon pendant que Jimmy se faufilerait dans la chambre. Mais cette idée le mettait mal à l’aise. Il n’aimait pas l’idée d’utiliser ces pauvres garçons comme appât, alors qu’ils subissaient les tortures de la créature depuis plus de vingt ans. Lui qui avait l’habitude d’aider les gens en leur procurant un peu de chaleur lors d’échange avec leurs chers défunts, il se sentait coupable de leur demander un tel sacrifice. Il regarda encore une fois au fond de l’armoire les visages des jumeaux qui le dévisageaient d’un air angoissé. Il n’arrivait pas à se décider. Comment pouvait-il leur demander une chose pareille ? Ce fut Antonio qui prit la parole.
– Les garçons, voici Jimmy. Ce jeune homme est toujours en vie mais il ne risque pas de le rester longtemps si nous ne l’aidons pas à traverser le portail. Il doit absolument regagner son monde.
Les jumeaux l’écoutaient silencieusement. Leurs yeux étaient toujours fixés sur le visage de Jimmy. La créature leur avait enlevé les sutures de leurs yeux mais pas de leurs bouches. Pourquoi ? Certainement pour qu’ils puissent voir ce que l’un subissait du démon pendant que l’autre regardait, impuissant. Cette pensée fit frissonner Jimmy. Cette créature avait un degré de sadisme incomparable. Voyant l’hésitation sur le visage de ses fils, Antonio ajouta ce que Jimmy savait être un mensonge.
– Si ce garçon regagne le monde des vivants, il pourra certainement nous libérer aussi. Cela vaut la peine d’essayer.
Les jumeaux regardèrent Jimmy avec un regard plein d’espoir qui le fit se sentir encore plus mal. Il allait répondre quand Antonio l’interrompit en sortant de l’armoire. Ses fils le suivirent et après quelques secondes de réflexions, Jimmy les suivit. Il n’y avait pas d’autre choix. S’il voulait sortir d’ici, il fallait absolument qu’il évite la créature et qu’il passe ce fichu portail. Le groupe se dirigea prudemment vers la porte de la chambre et chacun tendit l’oreille. Un silence de mort régnait. Aucun bruit ni mouvement ne se faisait entendre. Ils récapitulèrent le plan une dernière fois. Le portail se trouvant dans le placard de la chambre des jumeaux, ceux-ci devaient attirer l’entité dans l’endroit le plus éloigné, c’est-à-dire la cave. Avant de rejoindre les jumeaux dans le placard, Jimmy et Antonio avaient visité tous les recoins de la maison. Antonio lui avait indiqué une porte dissimulée par les couches épaisses de peinture cachée sous les escaliers de l’entrée. Jimmy et lui y étaient descendus et avaient trouvé que l’idée était bonne. Il était clair que l’entité se déplaçait vite mais pas aussi rapidement que Jimmy se l’était imaginé. Elle avait besoin de temps pour reprendre contenance quand elle passait d’un monde à l’autre. Ce qui laisserait le temps à Jimmy pour grimper l’échelle. Cependant, pour assurer le plus de chance possible, Jimmy avait tracé un pentagramme sur le sol de la cave et l’avait recouvert d’un vieux tapis. Il ne savait pas si cela servirait à quelque chose mais il n’avait pas d’autres idées. Antonio lui avait demandé de le rejoindre dans l’armoire et de demander l’aide des jumeaux. Le moment était venu de mettre le plan à exécution. Si tout se passait comme prévu, Jimmy aurait peut-être une chance de se sauver. Il saisit la poignée, prêt à sortir quand une lumière bleue éclatante envahit la pièce.
Il se retourna et ce qu’il vit le laissa bouche bée. Une femme venait de sortir du miroir de la commode. Sa silhouette était transparente mais elle brillait d’une lueur intense. Elle se tourna vers le groupe et leur sourit. Jimmy la regardait d’un air stupéfait et mit un moment à réagir. Il se dirigea vers elle, comme pour s’assurer qu’il n’hallucinait pas, et lui demanda qui elle était. –Je suis Andréa. Une amie de votre frère. Je suis venue pour vous aider. Vous ne pouvez pas rester ici. Si la créature vous trouve, vous serez perdus à jamais. Vous resterez ici pour l’éternité. Elle se tourna vers les jumeaux et le vieil homme.
-En ce qui vous concerne, je ferais mon possible pour libérer vos âmes de ce lieu sombre. Ce sera difficile, peut-être même impossible, mais je vous promets d’essayer.
Les jumeaux et Antonio hochèrent la tête en signe de compréhension. Andréa se tourna de nouveau vers Jimmy.
-En ce moment même, le Père Rosso pratique un exorcisme sur la femme possédée. Tant que le rituel durera, le démon sera coincé dans son corps. Dès que le démon sera enfermé à l’intérieur, vous devrez trouver la sortie et passer le portail. Savez-vous où il se trouve ?
Jimmy répondit par l’affirmative.
-Alors, je vous conseille de ne pas traîner. Quand je vous le dirai, foncez vers la sortie et revenez.
Jimmy se tourna vers Antonio. Il avait du mal à accepter l’idée de s’enfuir en laissant ces trois hommes derrière lui. Antonio du comprendre son désarroi car il lui dit d’une voix douce :
– Ne vous inquiétez pas pour nous, jeune homme. Tout se passera bien.
Vaincu, Jimmy s’assit sur le lit et attendit le coup de départ. Il pria un moment, demandant à Dieu de lui laisser une chance de s’en sortir. Soudain, comme porté par un écho, un rugissement de rage retentit. Andréa se tourna vers lui.
-Allez Jimmy ! Maintenant !
Jimmy se précipita sur la porte. Les rugissements semblaient faire trembler les murs de la maison. Il grimpa rapidement l’échelle et se précipita sur la porte du placard. Quand il l’ouvrit, il fut inondé par une lumière aveuglante. De l’autre côté, il entendait la voix de Billy. Son frère l’appelait, lui demandait de suivre sa voix. Alors, sans hésitation, Jimmy commença à avancer.
Mark et Jean écoutaient attentivement Andréa. Le plan était simple. Pendant que le Père Rosso procéderait à l’exorcisme de Sylvia, Andréa se servirait du voyage astral pour aller aider Jimmy dans l’autre monde. Mais il fallait absolument que l’entité soit coincée dans le corps de Sylvia assez longtemps pour permettre à Jimmy de trouver la sortie et revenir parmi eux. Le Père Rosso hocha la tête et se dirigea vers la salle de bain pour se vêtir de son costume de cérémonie. Il pratiqua une bénédiction sur les personnes rassemblées dans le salon puis, suivi de Mark, de Jean et de Michaël, il monta dans la chambre parentale. Andréa et Billy les suivirent. Les techniciens étaient restés devant les écrans pour leur assurer une visibilité totale de la maison. Sur l’écran, ils virent Andréa s’installer devant le miroir. Elle glissa des bouchons dans ses oreilles et prit une posture décontractée. Elle se mit alors à fixer intensément le miroir. Le père Rosso en profita pour commencer le rituel. Il commença en se signant et en aspergeant la pièce ainsi que Sylvia avec de l’eau bénite. La réaction fut immédiate. Les yeux de Sylvia s’ouvrirent sur un regard terrifiant et celle-ci se mit à pousser des hurlements stridents. En réponse à sa réaction, le Père Rosso lui tendit un crucifix et Sylvia se mit à se débattre violemment. Cet à cet instant qu’Andréa sembla totalement en transe. Le miroir sembla onduler un instant puis reprit son apparence normale. Billy s’assura que le corps d’Andréa reste bien installé sur la chaise en la maintenant avec ses mains. Le prêtre se mit à réciter une prière.
– Au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, Amen. Seigneur, Père céleste, regarde favorablement tes serviteurs. Par le Précieux Sang de ton Divin Fils, accorde-nous toutes les grâces et tous les dons du Saint-Esprit, pour que nous Te connaissions toujours mieux, que nous T’aimions toujours plus ardemment et te servions encore plus fidèlement.
Tout en récitant la prière, il aspergeait Sylvia d’eau bénite. Celle-ci se mit à insulter le prêtre avec une voix rauque et gutturale. Celui-ci ne se laissait pas impressionner et malgré les vociférations du démon, il continua sa litanie :
-Écarte de tes serviteurs toutes les influences néfastes de l’Esprit-Malin. Je te commande, esprit rejeté par Dieu avec ta suite, de te retirer immédiatement, de détruire et d’écarter tout le venin que tu as répandu sur nous, que tu ne reviennes plus et que tu n’aies plus aucune emprise sur nous.
Levant toujours le crucifix, il continua:
-Voyez la Croix du seigneur, fuyez esprits infernaux. Je vous l’ordonne comme enfant de la Sainte Église catholique, au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, Amen.
Le démon se démenait comme jamais. Ses hurlements faisaient trembler les murs de la maison. Mark et Jean se trouvaient de chaque côté de Sylvia, essayant de la maintenir sur le lit pour ne pas qu’elle se blesse ou qu’elle s’échappe. Michaël se trouvait derrière son père. Le regard effrayé, il observait sa mère. Son visage horriblement défiguré se tourna vers lui et le démon lui sourit avec un affreux rictus. Michaël sembla terrifié par son regard. Il eut un mouvement de recul quand l’entité se mit à parler avec la voix de Sylvia.
-Michaël, mon chéri, je t’en prie ! Empêche ces hommes de me faire du mal ! Je suis ta mère ! S’il te plaît !
Michaël resta figé sur place. Entendre la voix de sa mère l’avait tétanisé. Jean et Mark étaient également déroutés par ce phénomène. Ils regardèrent le prêtre d’un air interrogateur mais celui-ci s’écria :
– Ne l’écoutez pas ! Ce n’est pas Sylvia ! Le démon usera de la ruse pour ne pas être expulsé du corps de cette malheureuse. Il faut continuer. Il reprit sa prière.
Sylvia se tordait de douleur. Des objets volaient et s’écrasaient contre les murs de la chambre. Michaël, terrifié, courut se réfugier dans l’armoire au fond de la pièce. Il y vit une lueur étrange. En plissant les yeux, il reconnut les jumeaux. Ils lui souriaient comme pour le rassurer. Il ferma donc la porte de l’armoire et se blottit contre ses oncles. Il entendit le prêtre poursuivre son rituel.
– Que la Toute-puissance du Père céleste, la Sagesse de Son Divin Fils et l’Amour du Saint-Esprit me bénissent, Amen. Que Jésus Crucifié me bénisse par son Sang Précieux. Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, Amen. Que Jésus dans le tabernacle me bénisse par l’Amour de son Sacré-Cœur. Que Marie la Mère et la Reine céleste me bénisse du haut du Ciel et qu’Elle remplisse mon âme d’un amour toujours plus grand pour Jésus. Que mon Ange Gardien me bénisse et que tous les Saints Anges me viennent en aide, pour écarter toutes les embûches de l’Esprit Malin. Que mes Saints Patrons, mon Saint Patron de baptême et tous les Saints du ciel me bénissent. Que les chères pauvres âmes de mes proches défunts de toutes les générations me bénissent. Qu’elles soient mes avocates au trône de Dieu pour que je parvienne, moi aussi, au but éternel.
Michaël percevait le démon hurler de rage. Mais il lui semblait aussi y déceler de la douleur et de la peur. C’était absurde, bien sûr ! Un démon n’avait peur de rien. Il resta caché dans l’armoire un moment, rongé par le remords et la culpabilité. Sa mère était dans cet état à cause de lui. Il était si épuisé par les tourments que sa famille subissait depuis si longtemps qu’il se sentait comme vidé de son énergie. Il sentit une main se poser sur son épaule et releva les yeux. Les jumeaux le regardaient toujours mais ce n’était pas eux qui le touchaient. Michaël se retourna lentement et ses yeux se remplirent de larmes quand il vit le visage bienveillant de son Nonno.
-Nonno, que dois-je faire ? lui demanda-t’il la voix tremblante. Comment puis-je aider maman?
Alors Antonio se pencha sur son petit-fils et lui chuchota à l’oreille. Il parla pendant quelques minutes et les traits de Michaël commencèrent à se détendre. Quand Antonio eut fini, le jeune homme se frotta le visage et acquiesça à son grand-père. Puis, sans attendre, il sortit de l’armoire et se dirigea vers le lit. Le prêtre achevait sa prière.
– Que la bénédiction de notre Mère la Sainte Église, de notre Saint-Père, le Pape, de notre Évêque, la bénédiction de tous les évêques et de tous les prêtres descende sur moi. Que la bénédiction de toutes les Saintes Messes m’atteigne tous les jours, qu’elle m’obtienne bonheur, santé et tous les bienfaits et qu’elle me garde de tout malheur et me donne la grâce de la persévérance et d’une heureuse mort. Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, Amen.
La prière terminée, le Père Rosso s’approcha du lit et imposa les mains de chaque côté de la tête de Sylvia et commença à réciter des psaumes en latin. Michaël ne comprenait pas ce qu’il disait mais ces mots avaient l’air de faire souffrir l’entité. Le jeune homme s’approcha alors du lit et commença à lui parler avec tendresse.
-Maman, je sais que tu es là quelque part. Je t’en prie, bat-toi ! Ne le laisse pas gagner ! Je t’aime !
Et sur ces mots, il s’allongea auprès de sa mère et la serra dans ses bras. Sylvia se mit à convulser encore plus fort et une onde de choc sembla retentir dans la pièce. Soudain, son corps se souleva à plus de dix centimètres du matelas, resta un instant suspendu dans les airs, puis retomba complètement inerte dans le lit.
Andréa revint à elle. Billy, qui la soutenait, la relâcha et lui demanda comment elle allait. Le voyage qu’elle venait d’effectuer lui avait pompé beaucoup d’énergie. Elle essaya de se lever mais elle chancela et retomba dans les bras de Billy. – Ce n’est pas un démon, Billy, murmura-t-elle à son ami. Quand j’ai franchi la barrière, j’ai vu Jimmy mais aussi Antonio et ses fils. Ils ont une sorte de chaîne attachée à leur poitrine mais je crois que nous pouvons les libérer. Il faut en savoir plus sur cette chose. Mais, j’en suis sûre, ce n’est pas un démon. C’est une possession mais ce qui habite le corps de la mère de Michaël n’est pas démoniaque. Et avant de perdre connaissance, elle ajouta : c’est un spectre.
Chapitre 8
Mark et Jean échangèrent un regard inquiet lorsque le corps de Sylvia retomba sur le lit, sans vie. Michael restait collé à elle et murmurait son nom. Même le Père Rosso avait cessé ses prières. Il s’avança prudemment vers Sylvia et lui apposa le crucifix sur le front mais elle ne broncha pas. Jean et Mark interrogèrent le prêtre du regard.
-Que se passe-t-il, mon père ? interrogea Mark.
Le prêtre haussa les épaules, désemparé. Jean s’approcha et essaya de dégager son fils mais celui-ci s’agrippait à elle avec force. Jean n’insista pas et demanda à Mark de vérifier les signes vitaux de sa femme. Elle avait arraché sa perfusion pendant la lutte. Mark approcha un petit miroir de son visage et poussa un soupir de soulagement quand il se couvrit de buée. Sylvia respirait encore. Il remit la perfusion en place et tenta à son tour d’éloigner Michaël.
-Lâche-la, Champion, lui dit-il doucement. Je crois que l’entité est partie. Mais ta mère est épuisée et elle a besoin de repos. Michaël le dévisagea avec méfiance mais finit par lâcher sa mère. Il se redressa lentement et recula du lit.
-Vous en pensez quoi, Père Rosso ? Ma mère est-elle libérée de cette chose ?
Le père secoua la tête, incertain. C’est alors que Billy intervint.
-Cette chose n’est pas un démon. C’est autre chose.
Tous se tournèrent vers lui, intrigués. Billy avait allongé Andréa sur le sol et avait glissé un oreiller sous sa tête. Il leur raconta ce qu’Andréa lui avait dit avant de s’évanouir. Mark lui demanda ce qu’elle voulait dire par là. Billy garda le silence un instant mais il avait sa petite idée. Il se tourna vers Jean et lui demanda si l’hôpital psychiatrique où Julio avait été soigné conservait encore les archives papier de tous les patients présents à l’époque de son internement. Jean ne sut pas quoi répondre. Mais Billy leur demanda à tous de descendre pour leur expliquer son hypothèse. Personne ne se fit prier. Après plusieurs heures à affronter cette créature, ils avaient tous besoin d’une pause. Avant de quitter la chambre, Michaël jeta un coup d’œil dans l’armoire mais il n’y vit personne. Il sortit le dernier et, avant de refermer la porte, jeta un dernier regard à sa mère, le cœur serré, se demandant si elle allait s’en sortir.
Ils descendirent tous au salon, Mark aidant Billy à porter Andréa sur le canapé. Celle-ci commençait à reprendre ses esprits et Mark fit du café pour tout le monde. Andréa prit la tasse d’une main tremblante. Tout le monde but en silence, lui laissant le temps de récupérer. Quand sa tasse fut à moitié vide, Billy vint s’asseoir à côté d’elle et Andréa prit la parole.
-Ce qui hante ces lieux n’est pas un démon. Il en prend l’apparence mais c’est uniquement pour terroriser ses victimes. Je ne sais pas ce que c’est exactement mais je sais, ou plutôt je sens que cette chose n’était pas ainsi à l’origine. Je pense que Billy et Mark devraient aller se renseigner sur l’hospitalisation de Julio lorsqu’il a été interné. Je crois que tout a commencé avant son accident.
-Avant? S’étonna Mark. Mais que voulez-vous dire par là? Andréa réfléchit un instant.
-Les archives. Je ne sais pas pourquoi mais je crois que vous devriez fouiller les archives des patients qui ont été hospitalisés dans cet hôpital, vous trouverez quelque chose d’intéressant. Je sens qu’il y a un lien.
Billy acquiesça. Il avait pensé la même chose qu’Andréa. Si quelque chose s’était accroché à Julio avant sa chute, ça avait peut-être commencé bien avant son hospitalisation. Il regarda Jean et lui dit :
-Nous allons avoir besoin de vous pour ça. Seul un proche parent peut consulter les archives d’un patient. Vous devrez faire diversion pendant que Mark et moi fouillerons de notre côté si nous trouvons quelque chose d’anormal.
Jean ne voyait pas comment de vieilles archives poussiéreuses pourraient aider sa femme mais il n’avait plus d’autre piste. Il accepta donc et appela le service des archives de l’hôpital psychiatrique de Manage pour prendre rendez-vous. Quand il raccrocha, il informa ses compagnons d’infortune que les archives n’ouvraient que le lendemain à partir de neuf heures du matin. Billy proposa donc de préparer le dîner et de profiter de quelques heures de sommeil. Personne ne protesta. Tous étaient épuisés et affamés. Billy se mit donc aux fourneaux et Jean en profita pour se rapprocher de Michaël. Celui-ci était livide et ses yeux semblaient perdus dans le vide. Jean ne savait pas quoi lui dire. Il prit son fils dans ses bras et le serra très fort. Michaël était anéanti.
-Tu devrais peut-être aller quelques temps chez ton ami Mario, lui suggéra Jean à son fils. Je ne veux pas te faire subir plus que tu n’en as déjà subi. Et je pense qu’il serait mieux de t’éloigner de cette chose le temps que nous trouvions une solution.
Michaël avait le regard vague et ne semblait pas écouter mais Jean attribua son silence à l’épuisement. Le repas prêt, ils mangèrent tous dans le calme puis Jean emmena Michaël chez Salvatore. Il frappa à la porte et celle-ci s’ouvrit immédiatement.
– Bonsoir Salvatore. Pourrais-tu accueillir mon fils pour quelques jours ? C’est…
Salvatore ne laissa pas Jean terminer sa phrase.
-Tu n’as pas à te justifier, l’ami. Vous serez toujours les bienvenus chez nous. Viens, Michaël. Je vais demander à ma femme de t’installer dans la chambre de Mario.
Michaël regarda son père et celui-ci lui fit signe de rentrer. Salvatore posa une main rassurante sur l’épaule de Michaël et celui-ci sembla se détendre un peu. Jean remercia son voisin et souhaita bonne nuit à son fils, lui promettant de le tenir au courant des événements.
Quand il regagna la maison, Mark l’attendait sur le pas de la porte. Jean le regarda un instant paniqué mais Mark le rassura. Tout était calme dans la maison. La créature avait apparemment elle aussi besoin de repos. Cependant, Mark observait la porte des voisins d’un air inquiet. Jean lui demanda ce qui le tracassait. Mark hésita un instant puis secoua la tête et lui répondit qu’il était simplement inquiet des conséquences que toutes ces choses auraient sur Michaël. Jean aussi était inquiet mais pour le moment il devait se concentrer sur leur mission. Ils allèrent donc se coucher.
Le lendemain matin, Mark et Jean se levèrent aux aurores. Il était à peine sept heures et ils avaient déjà élaboré un plan pour accéder aux archives sans se faire remarquer. Mark demanda à Antoine de pirater l’ordinateur du bureau des archives et de leur envoyer les plans du bâtiment. Quelques minutes plus tard, ils découvrirent que les archives étaient situées au sous-sol de l’hôpital et qu’elles disposaient d’une porte de secours donnant sur l’extérieur.
-Parfait, dit Billy. Jean va se faire passer pour un chercheur et demander à consulter le dossier de Roberto sur place. Une fois dans la salle des archives, il nous ouvrira la porte de service discrètement. On aura alors tout le temps de fouiller les documents.
Jean n’était pas très rassuré par cette idée mais il n’avait pas le choix. Andréa se réveilla vers sept heures trente et semblait aller mieux. Quand Billy lui demanda comment elle se sentait, elle lui répondit avec son humour habituel :
– Comme un charme ! Rien de tel qu’une bonne nuit de sommeil et un bon café.
Billy lui rendit son sourire mais il n’était pas dupe. Il voyait bien qu’elle était fatiguée et qu’elle avait maigri.
Le père Rosso leur annonça qu’il allait informer l’Évêque de la situation. Il quitta donc la maison et Mark, Jean et Billy montèrent dans la voiture de Jean. Avant de partir, Mark recommanda à Andréa de se reposer et de le prévenir si quelque chose se passait en leur absence. Il demanda aussi à Antoine et Philippe de garder un œil sur Sylvia grâce aux caméras. Puis il rejoignit Jean et Billy qui l’attendaient dans la voiture. Le trajet se fit dans le silence.
Comme prévu, Jean déposa Mark et Billy à l’arrière de l’hôpital où se trouvait la porte de secours et alla se garer sur le parking. Il entra dans l’hôpital et prit l’ascenseur. Il regarda le panneau et vit que le service des archives était au -2. Il appuya sur le bouton et attendit. L’ascenseur descendit lentement et s’ouvrit sur un couloir sinistre aux murs verts délavés et au sol usé. L’endroit était lugubre. Une ambiance oppressante y régnait et la lumière était faible. Il se dirigea vers le bureau et tomba sur l’employé qu’il avait eu au téléphone. L’employé lui demanda sa carte d’identité et, après avoir vérifié son identité sur le registre, le conduisit dans une immense pièce où les murs étaient recouverts de dossiers et où le centre était occupé par des étagères si serrées qu’on pouvait à peine s’y faufiler sans faire tomber quelque chose. Le technicien vit l’air désemparé de Jean et eut un geste d’excuse.
-Je ne sais pas ce que vous cherchez exactement mais je vous souhaite bonne chance. Toutes les archives à partir de 1990 ont été numérisées mais avant cela, tout est encore sous format papier. Jean acquiesça sans rien dire et entra dans la pièce.
-Prenez votre temps, lui dit l’employé. Ce n’est pas tous les jours qu’on a de la visite ici. Si vous avez besoin de quelque chose, n’hésitez pas à me le demander.
Jean le remercia et l’employé sortit de la pièce en fermant la porte derrière lui. Jean attendit quelques secondes et quand il entendit le bruit du bureau qui grinçait, il fit signe à Mark et Billy d’entrer par la porte de secours. Comme ils s’y attendaient, Billy constata que la tâche allait être longue. Ils se mirent au travail sans perdre une minute. Après une longue recherche, ils finirent par trouver les archives contenant la liste des patients hospitalisés entre 1978 et 1980.
Ils mirent la main sur le dossier de Roberto parmi la trentaine de classeurs qui s’empilaient dans la pièce des archives. Le temps pressait. Mark tendit l’oreille et perçut les pas de l’employé qui se rapprochait. Il échangea un regard anxieux avec ses compagnons. Billy, sans réfléchir, attrapa tous les classeurs et entraîna Mark vers la sortie. Jean, surpris, les suivit en courant. Il arriva juste à temps pour ouvrir la porte et se retrouver nez à nez avec l’employé. Celui-ci le dévisagea avec curiosité.
– Alors, vous avez trouvé ce que vous cherchiez? Jean sentit son cœur battre la chamade. Il se força à prendre un air déçu et répondit que non, hélas, il n’avait rien trouvé. Il sortit de la pièce en claquant la porte derrière lui et l’employé lui emboîta le pas. Il lui demanda pourquoi il s’intéressait à ce patient. Jean inventa une histoire à la hâte : son beau-frère avait été interné après la mort tragique de son frère jumeau, tombé du toit, et il avait succombé à son chagrin. L’employé parut réfléchir un instant puis, alors que Jean atteignait la porte de l’ascenseur, il l’interpella. Jean se figea, craignant d’être démasqué. Mais l’employé n’avait pas l’air soupçonneux. Il s’approcha de Jean et lui souffla une idée qu’ils n’avaient pas encore envisagée.
– Si c’était un suicide, il y a peut-être un rapport de police. Vous devriez aller voir aux archives du commissariat.
Jean le remercia chaleureusement et se précipita vers sa voiture. Il s’installa au volant et sursauta quand Billy et Mark ouvrirent les portes en même temps. Billy éclata de rire en voyant la tête de Jean.
– Du calme, l’ami. Mais on ferait mieux de filer d’ici. J’espère qu’on trouvera quelque chose dans ces documents et qu’on pourra les remettre en place rapidement.
Jean démarra le moteur et quitta le parking de l’hôpital. Une fois sur la route, il se détendit un peu. Billy feuilletait déjà les dossiers à la recherche des noms des patients. Jean raconta à Mark ce que l’employé lui avait dit au sujet des archives de la police. Mark trouva que c’était une piste intéressante et qu’il fallait l’explorer. Ils rentrèrent à la maison et s’installèrent autour de la table, chacun avec une dizaine de dossiers à examiner. La journée s’annonçait longue.
En arrivant, ils virent Andréa allongée sur le canapé, dormant profondément. Antoine et Philippe veillaient sur Sylvia, toujours plongée dans le coma. Mark leur demanda si tout allait bien et ils répondirent que rien d’anormal ne s’était produit pendant leur absence. Aucun bruit, aucune manifestation étrange ne venait troubler le silence de la maison. Quand les hommes se mirent au travail, Andréa se réveilla et les rejoignit. Mark lui fit part du conseil de l’employé concernant les archives de la police. Andréa approuva l’idée et alla s’asseoir à côté d’Antoine qui, grâce à un logiciel pirate, réussit à pénétrer dans la base de données de la police. Il savait que c’était risqué mais la situation l’exigeait. Pendant qu’Antoine fouillait le système, Andréa fit une liste des patients admis à l’hôpital le même jour que Roberto. Elle en comptait vingt-trois au total. Elle revint vers les trois hommes et se mit à éplucher les dossiers avec eux, les triant par catégories. Au bout d’une heure de recherches, ils écartèrent les dossiers qui ne concernaient que des accidents domestiques ou des morts naturelles. Il leur restait cinq dossiers à étudier plus en détail.
Ils se plongèrent dans les dossiers avec une attention accrue, espérant y trouver un indice. Antoine avait réussi à se connecter aux archives de police, où toutes les anciennes affaires avaient été numérisées. Il chercha les dossiers des morts accidentelles et des suicides. Il tapa l’année et le nom de Julio. Le dossier s’afficha, confirmant la déclaration de décès et le rapport du médecin légiste. Celui-ci avait conclu à un suicide, malgré les nombreux hématomes inexpliqués sur le corps de Julio. Faute de preuves d’une agression, il avait signé les papiers sans plus de commentaires. Le dossier de Roberto était similaire. Un suicide par dénutrition, entraînant un arrêt cardiaque. Antoine se tourna vers la liste de noms que lui avait donnée Andréa et commença à les entrer un par un. Les dossiers défilaient sur l’écran, accompagnés de photos.
Anne Sacler, 62 ans, morte d’une pneumonie ; Luigi Vital, 82 ans, mort d’une chute dans les escaliers ; Raymond Dubois, 35 ans, mort dans un accident de la route. Rien qui ne sorte de l’ordinaire. Andréa venait de finir le dossier de Raymond Dubois. Rien de particulier non plus. L’homme était mort sur le coup, avant d’arriver à l’hôpital. Elle prit le dernier dossier et sentit un frisson lui parcourir l’échine. Comme si elle savait que la réponse était là. Elle ne savait pas comment, mais elle le sentait. Elle ouvrit le dossier et au même moment, Antoine s’exclama :
Mark, Jean, Billy et Andréa se précipitèrent vers l’écran. Ils restèrent bouche bée devant le visage qui s’y affichait. Un homme au visage pâle et étroit, aux cheveux longs et gras, noirs comme l’ébène. Son visage était marqué par de nombreuses cicatrices. Mais ce qui glaçait le sang, c’était son regard. Ses yeux gris acier semblaient vous transpercer l’âme. Même sur la photo, on avait l’impression qu’il vous dévorait des yeux. Et il souriait. Pas un sourire gêné ou timide, comme on en voit souvent sur les photos d’identité. Non, un sourire de prédateur. Quand Andréa vit son visage, elle eut l’impression de recevoir une décharge électrique. Ses mains se mirent à trembler et elle recula lentement, jusqu’à tomber sur une chaise. Elle regarda le dossier qu’elle tenait dans ses mains et réalisa avec horreur qu’il s’agissait du même homme que sur l’écran. Les autres la rejoignirent, inquiets de son état. Billy prit le dossier et lut le rapport de l’hôpital. Homme de 45 ans, origine américaine, cause du décès : abattu par les forces de l’ordre. Heure du décès : 3h03. Billy passa le dossier à Mark avec un air grave. C’était donc un criminel. Mais quel genre de criminel ? Mark demanda à Antoine d’ouvrir le dossier complet de l’homme en question.
Antoine hésita un instant. L’homme avait apparemment été recherché par toutes les polices du pays et Antoine se demandais s’il voulait vraiment en connaître la raison. Voyant son hésitation, Philippe le poussa doucement et se mit à pianoter sur les touches du clavier. Un instant plus tard, plusieurs dossiers s’affichèrent mais ils nécessitaient tous un mot de passe. Philippe se tourna vers Mark et lui annonça qu’il lui faudrait un moment avant de pouvoir accéder aux fichiers confidentiels.
Billy réfléchissait. Ce type lui disait quelque chose mais il n’arrivait pas à le situer dans sa mémoire. Pourtant, quand il avait vu son portrait, une angoisse terrible l’avait saisi. Et il n’était pas le seul apparemment.
Andréa avait l’air de nouveau nauséeuse et refusait de regarder de nouveau la photographie de l’individu. Ses mains tremblaient toujours sans qu’elle ne sache d’où lui venait ce sentiment de terreur intense.
Philippe était toujours occupé à trouver un moyen de déverrouiller les dossiers. Pendant ce temps, Mark épluchait un peu le rapport du médecin légiste. L’homme se nommait Robert Phillips. Le rapport du médecin légiste décrivait évidemment les blessures par balles issue de la tentative d’arrestation de l’individu. Cependant, il avait noté quelques détails plutôt troublant comme certains tatouages sur le torse et les bras du prévenu. Des symboles bizarres que le légiste n’était pas parvenu à identifier. Il constata aussi que l’homme avait été récemment brûlé au visage, certainement avec un liquide corrosif quelconque et que ses yeux avaient subit des dégâts importants. Il constata également des cicatrices plus ancienne qui pouvait faire penser à une scarification volontaire, mais sans conviction réelle, n’ayant pas les antécédents psychiatriques du mort sous la main. Il clôtura donc son dossier par une mort par balles au niveau du thorax.
Billy, pendant ce temps, était parti voir si Sylvia se portait bien. Il était rentré dans la chambre et avait vérifié les constantes de la pauvre femme. Son pouls était toujours faible mais elle avait l’air de tenir le coup, malgré une perte de poids qui devenait inquiétante. Ses membres étaient couverts d’hématomes et de coupures. Il changea la perfusion et la remplaça par une poche pleine. Il demanda à Jean s’il voulait profiter pour faire la toilette de son épouse. Andréa proposa de l’aider et Jean lui en fut reconnaissant. Bien qu’il fût malheureux de ce qui arrivait à sa femme, il en avait peur également.
Ils montèrent donc et en profitèrent pour laver Sylvia et changer les draps du lit. Ceci fait, Andréa s’assit un instant auprès de cette femme et tenta de rentrer en communication avec elle. Elle sentait qu’elle n’était pas loin mais elle semblait se cacher dans un endroit où elle n’aurait pas à faire face à la chose qui la détenait.
Au moment où Andréa allait se lever, Sylvia papillonna des yeux et attrapa la main d’Andréa. Celle-ci se retourna doucement et fut heureuse de constater que Sylvia était revenue à elle. Elle n’arrivait pas à prononcer de mot mais elle semblait consciente de son environnement.
Jean, voyant sa femme enfin réveillée, se précipita sur elle et l’enlaça dans ses bras.
-Sylvia, enfin ! Je croyais t’avoir perdue pour toujours ! J’ai eu si peur, mon amour !
Sylvia murmura quelque chose mais Jean ne comprit pas et se pencha vers la bouche de sa femme. Ce qu’il entendit fit glisser un froid le long de sa colonne vertébrale.
Il reposa Sylvia doucement et lui demanda :
-Tu en es sûre ? Comment ?
Mais Sylvia était encore très faible.
Andréa intervint et proposa à Jean de préparer un bol de soupe pour sa femme pendant qu’elle resterait à ses côtés.
Jean, encore déboussolé, sortit de la chambre pour se rendre dans la cuisine et annoncer la bonne nouvelle au reste de l’équipe.
Andréa se tourna sur Sylvia et tenta de communiquer de nouveau avec elle.
Sylvia fixait Andréa avec un regard terrifié, essayant de lui transmettre des images mentales. Andréa capta soudain les visions de Sylvia et se leva d’un bond, quittant la chambre en courant. Elle rejoignit Mark et Billy dans le salon et leur dit d’une voix tremblante :
-On a un gros problème, les gars ! Un problème énorme !
Billy la dévisagea, intrigué.
-De quoi tu parles, Andréa ? Qu’est-ce qui se passe ?
Andréa s’affala sur le canapé, se balançant d’avant en arrière, comme si elle voulait se réconforter. Elle était paniquée et Billy s’assit à côté d’elle pour essayer de la calmer.
-C’est l’horreur, Billy. L’horreur absolue.
Puis, elle se redressa brusquement et murmura :
– Il faut les prévenir ! Ils sont en danger de mort ! Il faut faire vite !
Mark s’approcha d’elle et lui demanda de s’expliquer, mais il n’eut pas le temps de finir sa phrase. Les yeux d’Andréa se révulsèrent et elle tomba dans les pommes. Billy la secoua doucement, lui caressant le visage, mais Andréa ne reprit pas connaissance. Ils appelèrent une ambulance et Andréa fut emmenée à l’hôpital de Jolimont. Antoine décida de l’accompagner pour les tenir au courant de son état. Il monta dans l’ambulance et Mark et Billy les regardèrent s’éloigner.
Quand ils rentrèrent dans la maison, Jean était hors de lui. Mark lui demanda ce qu’Andréa avait vu dans la tête de Sylvia. Jean leur raconta que Sylvia s’était réveillée en prononçant le nom de leur fils et en disant que l’entité avait quitté la maison. Billy proposa à Jean de l’aider à nourrir Sylvia. Jean accepta volontiers. Ils prirent un bol de soupe et des tartines beurrées et montèrent à l’étage. Ils trouvèrent Sylvia qui essayait de sortir du lit. Jean la retint de force et la recoucha sur ses oreillers. Avec l’aide de Billy, il lui fit avaler quelques cuillerées de soupe. Sylvia ne semblait pas l’écouter. Elle répétait qu’il fallait retrouver Michaël avant qu’il ne soit trop tard. Jean essaya de la rassurer en lui disant que leur fils était chez les voisins et qu’il irait le chercher dès qu’elle aurait mangé un peu plus. Sylvia voulut dire quelque chose mais Jean lui mit une autre cuillerée dans la bouche et elle se tut. Quand le bol fut vide, Jean annonça qu’il allait chercher Michaël chez Salvatore. Sylvia ne réagit pas. Billy trouva son comportement étrange, comme si elle savait quelque chose qu’ils ignoraient tous. Mais comment faire confiance à quelqu’un qui avait subi tant d’épreuves ? Peut-être avait-elle perdu la raison ?
Quand Jean sortit de la chambre, Billy s’approcha de Sylvia et lui demanda ce qui n’allait pas. Ce que Sylvia lui confia le stupéfia. Ce qu’elle disait était invraisemblable ! Pourtant, Billy l’écouta attentivement, prenant des notes sur son carnet qu’il gardait toujours sur lui. Quand Sylvia eut fini, il lui dit qu’elle devait se reposer et qu’il allait s’occuper de tout. Mais quand Jean revint de chez Salvatore, il avait l’air abattu. Mark vit son angoisse sur son visage. Il lui demanda ce qui se passait. Jean le regarda avec désespoir.
-Michaël a disparu ! Il s’est enfui de chez Salvatore. Sylvio et ses fils sont partis à sa recherche mais ils ne l’ont pas retrouvé.
Mark resta bouche bée. La situation empirait de minute en minute. Son téléphone sonna et Mark regarda son écran. C’était Antoine. Andréa était plongée dans un coma profond. Une tumeur maligne au cerveau la rongeait depuis des mois. La nouvelle tomba comme un couperet sur tout le monde. Billy en fut anéanti. Andréa n’était pas seulement son amie, elle était sa sœur de cœur. Il la connaissait depuis toujours et il ne pouvait imaginer sa vie sans elle. Il se laissa tomber sur une chaise et enfouit son visage dans ses mains. Mark remercia Antoine au téléphone et raccrocha. Il rejoignit Billy et lui tapota l’épaule pour le réconforter. Billy se sentait vidé. Andréa dans le coma, Jimmy prisonnier d’un autre monde. Quel sens avait sa vie ? Il n’entendit pas les paroles de Mark qui essayait de le rassurer en lui disant qu’il trouverait un moyen de sauver Jimmy. Il se leva soudain et se dirigea vers la chambre de Sylvia. Elle s’était rendormie mais elle avait l’air plus reposée. Un bon repas lui avait sans doute fait du bien. Mark, intrigué, le suivit et lui demanda ce qu’il avait en tête. Billy ne répondit pas et réveilla doucement Sylvia. Il lui demanda si elle savait où était Jimmy. Comme il s’y attendait, Sylvia lui dit qu’elle avait rêvé d’un endroit qui ressemblait à sa maison mais qui était différent. Billy lui demanda si elle savait comment sortir de cet endroit, sachant que l’entrée était le miroir de la chambre de son père. Sylvia lui montra la chambre de son fils.
-Le placard, murmura-t-elle. C’est là qu’il faut aller pour sortir.
Billy se tourna vers Mark et lui annonça qu’il allait chercher son frère. Mark ne comprenait pas comment il comptait faire sans Andréa mais Billy lui fit une révélation étonnante.
-Andréa n’est pas la seule à avoir ce don. Je suis moins fort qu’elle mais je peux essayer de faire comme elle. Par contre, si ça ne marche pas, je veux que tu me promettes quelque chose.
Mark resta silencieux. Il vit que Billy attendait son accord et il acquiesça.
-Si je ne reviens pas, je veux que tu suives ces instructions. Promets-le !
Mark prit le morceau de papier que Billy lui tendit et promit. Billy sembla soulagé et s’assit devant le miroir. Comme Andréa l’avait fait avant lui, il ferma les yeux un instant, se concentrant intensément, puis les rouvrit et fixa le miroir avec force. Au début, rien ne se passa. Billy était bien moins puissant qu’Andréa. Mais soudain, le miroir se mit à scintiller et une lumière bleue envahit la chambre et une brise glaciale souffla. Billy se retourna vers Mark et lui rappela sa promesse. Puis, sans attendre de réponse, il disparut à l’intérieur du miroir.
Pendant ce temps, Jimmy poursuivait ses recherches de l’autre côté. Avec les jumeaux et Antonio, il avait d’abord fouillé la chambre du grenier, mais la porte du placard lui avait résisté. Il avait posé ses mains sur le bois sec et avait ressenti une sorte d’aimantation. Le portail était bien là. Mais malgré tous ses efforts, il n’avait pas réussi à l’ouvrir. Il était resté un moment abattu, ne sachant plus quoi faire. Comment s’échapper s’il ne pouvait pas forcer la serrure ? La porte n’avait pas de poignée, contrairement à celle de la chambre de Michaël. La créature devait donc entrer dans le portail par un autre moyen. Après un instant de découragement, il se remit à réfléchir. La solution devait se trouver ailleurs dans la maison. Cela faisait longtemps que la créature ne s’était pas montrée. D’ailleurs, il lui sembla que l’atmosphère du lieu s’était allégée, comme si la créature n’était plus dans les environs. Peut-être que le prêtre avait réussi à l’expulser du corps de Sylvia. Mais comment sortir d’ici alors ? Il se mit à explorer la maison, sans trop savoir ce qu’il cherchait. Il décida de commencer par la chambre où se trouvait le portail. Il avait remarqué le symbole au-dessus du bureau de l’adolescent, mais il n’y avait pas prêté attention. Il s’en approcha et l’examina de plus près. C’était un pentagramme, bien sûr. Mais il avait été dessiné avec du sang et non de l’encre. Il n’était pas là pour protéger qui que ce soit. En fouillant le bureau, il découvrit des objets étranges. Des bougies noires, des plumes d’oiseaux liées avec des petits os, et une sorte de poupée de paille parsemée d’aiguilles étaient cachées au fond du tiroir. Il continua ses recherches et inspecta la chambre avec attention. Il fit le tour de la pièce et se rendit compte qu’elle semblait plus petite que l’originale. Il tapota les murs et finit par trouver un endroit creux. Il se retourna vers les jumeaux et Antonio, qui attendaient des explications. Sans perdre de temps, Jimmy descendit à la cave et chercha un marteau. Il aurait préféré une masse, mais il n’y en avait pas. Quand il voulut remonter les marches, il eut un malaise, comme s’il était épié. Il se retourna, mais rien ne bougea. Il resta immobile un moment, mal à l’aise, et fixa les murs de la cave. La sensation disparut et Jimmy remonta dans la chambre des jumeaux. Il se plaça devant le mur et commença à frapper sur ce qui semblait être une planche cachée sous le papier peint. Une sorte de cavité se trouvait dans le mur. Quand Jimmy voulut regarder à l’intérieur, une odeur horrible lui prit le nez. Ça sentait la mort là-dedans. Il jeta un coup d’œil rapide et vit une collection d’objets ordinaires, comme des montres, des bagues, des mèches de cheveux, et aussi quelques squelettes de petits animaux. Des chats ou des chiens, sans doute. Il préféra ne rien toucher car il avait l’impression que ces choses étaient chargées d’une noirceur malsaine. Il descendit lentement du grenier et se rendit dans la chambre d’Antonio. À part le miroir avec sa surface bleutée, il ne trouva rien d’intéressant. Idem dans la chambre parentale. Il descendit au rez-de-chaussée et ne put s’empêcher de regarder par la fenêtre qui donnait sur l’entrée principale. À sa grande surprise, il vit des maisons de l’autre côté de la rue. Il se dirigea vers la porte et l’ouvrit doucement. La rue était bien là, mais les bâtiments en face n’étaient pas des maisons. C’étaient plutôt des sortes d’entrepôts. Il posa un pied sur le sol et le sentit solide. Jimmy posa l’autre pied sur le sol. Il ne s’enfonçait pas. Étrange… Il se dirigea vers le premier hangar et en poussa la porte. Des machines de construction l’attendaient à l’intérieur: des mini-grues, des épandeurs, des recycleuses à froid. Le propriétaire devait travailler dans le bâtiment. Jimmy visita les autres hangars et y trouva le même genre de matériel, ainsi que des sacs de ciment, de plâtre et des outils. Rien de très intéressant. Il ressortit du dernier hangar et remarqua un changement dans la façade de la maison. Il ne savait pas quoi, mais quelque chose clochait. Il vit alors un morceau de métal sur le trottoir. C’était une grille d’aération arrachée d’une sortie de cave. Il regarda le bas de la façade et reconnut l’endroit d’où venait la grille. Il se demanda pourquoi elle avait été enlevée. Intrigué, il s’approcha du trou et jeta un œil à la cave. Tout semblait normal, sauf le tapis qu’il avait utilisé pour couvrir le pentagramme qu’il avait dessiné au sol pour se protéger d’une éventuelle attaque. Le tapis avait disparu, et le pentagramme avait été modifié. Un cercle l’entourait, et des bougies noires brûlaient à chaque pointe de l’étoile. Au centre, des taches brunâtres ressemblant à du sang séché maculaient le sol. Jimmy en eut assez. Il remonta en vitesse dans la maison et ferma la porte de la cave à double tour. Avec l’aide des jumeaux, il la bloqua avec un buffet qu’il traîna depuis la pièce voisine. Le couloir était étroit, mais ils y arrivèrent. Antonio le regardait avec curiosité et Jimmy lui fit signe de le suivre dans le salon. Il avait maintenant la certitude que la créature n’était plus là. Ni dans cette maison, ni dans ce monde. Il raconta à Antonio ce qu’il avait vu et lui dit ce qu’il pensait de leur ennemi. Ce n’était pas un démon, mais plutôt le résultat d’une magie noire. Il lui demanda s’il connaissait l’histoire de leur maison et de leur quartier. Antonio haussa les épaules. Il était juste un immigré qui cherchait du travail pour sa famille. Le logement lui avait été fourni avec l’emploi. Jimmy écoutait le vieil Antonio lui raconter l’histoire de sa maison, qui semblait identique à la sienne mais cette version semblait appartenait à un autre temps. Il se demandait comment cette demeure avait pu être le théâtre d’événements si horribles, qui avaient laissé une empreinte maléfique sur les lieux. Il ignorait qui avait construit ces entrepôts qui les entouraient, et qui étaient les propriétaires de cette dimension parallèle. Il se contenta de dire à Antonio ce qu’il pensait de l’entité qui les hantait. -Je ne crois pas que ce soit un démon, dit-il. C’est plutôt le résultat d’une magie noire qui a mal tourné. Votre maison était déjà habitée avant votre arrivée, et quelque chose de terrible s’est produit ici. Cette chose était un humain, jadis. Un humain monstrueux, peut-être, mais un humain quand même. Soudain, ils entendirent du bruit à l’étage. Jimmy retint son souffle. Il perçut des pas dans la chambre d’Antonio. La porte s’ouvrit, et Jimmy se prépara à fuir vers les entrepôts. Mais il reconnut alors une voix familière.
-Jimmy ? Jimmy, c’est moi, Billy. Je suis venu te chercher, petit frère.
Jimmy se précipita dans le couloir, et tomba dans les bras de Billy, qui venait de descendre l’escalier. Les deux frères s’étreignirent avec émotion, puis Billy examina Jimmy pour s’assurer qu’il n’était pas blessé. Jimmy était stupéfait.
-Comment as-tu fait pour arriver ici ? C’est l’entité qui t’a envoyé ? Ce n’est pas un démon, Billy.
Billy sourit devant l’enthousiasme de son frère cadet. Il admirait son courage et sa détermination face à cette situation effrayante. Il s’attendait à le trouver terré dans un coin, priant pour qu’on vienne le sauver.
-Ne t’inquiète pas, frangin. Je suis venu de mon plein gré.
Jimmy fut impressionné à son tour. Il savait que Billy était un médium doué et un expert en phénomènes surnaturels, mais il n’avait jamais osé tenter le voyage astral, trop dangereux et incertain. Mais Billy avait fait mieux que ça. Il était venu en chair et en os dans ce monde étrange pour lui, son petit frère. Jimmy sentit les larmes lui monter aux yeux. Il savait que Billy ferait tout pour le ramener parmi les vivants, mais ce qu’il avait fait dépassait ses espérances. Billy fit semblant de ne pas remarquer son émotion, et lui expliqua comment ils allaient sortir d’ici. Il vit alors le vieil homme et ses fils, qui les regardaient avec tristesse. Il leur adressa un regard compatissant. Antonio comprit qu’ils n’avaient pas beaucoup de temps, et leur sourit avec résignation.
-Allez-y, faites ce que vous avez à faire pour vous échapper. Ne vous souciez pas de nous. Si l’entité est partie, vous avez des choses plus importantes à faire dans votre monde. Nous pouvons attendre encore un peu, n’est-ce pas ?
Jimmy fut touché par les mots du vieil homme. Il le remercia pour son aide et lui promit de trouver un moyen de les libérer de cet enfer. Antonio lui caressa l’épaule affectueusement.
-Tu es un brave garçon, Jimmy. Ne change jamais. Maintenant, sauve-toi. Ici, tu ne sers à rien.
Jimmy suivit donc Billy jusqu’au grenier et lui montra la porte sans poignée qui bloquait leur passage.
-Elle ne veut pas s’ouvrir. Comment on fait ?
Billy observa le trou dans le mur et le pentagramme qui y était tracé. Il eut une intuition et sortit un couteau de sa poche. Il se fit une entaille à la main, sous le regard effaré de Jimmy. -Mais qu’est-ce que tu fais ? demanda Jimmy. Billy ne répondit pas et lui saisit la main. Il lui fit une coupure similaire, sans rencontrer de résistance. Jimmy lui faisait confiance. Si Billy agissait ainsi, c’était qu’il savait ce qu’il faisait. Le sang coula sur leurs paumes. Jimmy se sentit un peu nauséeux. Il n’aimait pas voir du sang, même le sien. Billy se dirigea vers la porte.
-Viens, Jimmy. Je crois qu’on doit payer le prix pour sortir d’ici.
Jimmy comprit le sens de ses paroles et le rejoignit. Billy prit la main de son frère et le regarda dans les yeux.
-Tu es prêt ? On y va ensemble ! Ils appuyèrent leurs mains sanglantes sur la porte, qui disparut comme par enchantement. Ils se retrouvèrent face à un tourbillon lumineux qui les aspirait irrésistiblement. Sans hésiter, Billy, tenant toujours la main de son frère, plongea dans ce vortex de couleurs.
Chapitre 9
Mark avait rejoint Jean, bouleversé par la disparition de son fils. Il lui demanda s’il savait où Michaël pouvait s’être réfugié, mais Jean l’ignorait. Il habitait cette maison depuis quelques mois seulement et, à part ses voisins, il ne connaissait pas d’autres amis de son fils. Mark lui demanda si Michaël avait un téléphone portable. Jean se reprit et consulta son téléphone. Il activa la géo localisation du portable de son fils, mais le résultat était étrange. Selon l’application, Michaël était chez eux. C’était impossible ! Il l’aurait vu entrer ou sortir par la porte d’entrée ou celle de la cuisine. Non, il avait sûrement oublié son GSM à la maison. Mark lui suggéra de retrouver le téléphone pour vérifier les messages de Michaël. Peut-être avait-il contacté un ami ou quelqu’un d’autre pour l’héberger ? Jean acquiesça et ils fouillèrent les différentes pièces de la maison. Le téléphone restait introuvable. Cela étonna Mark. Il proposa néanmoins à Jean de faire un tour du quartier en voiture, dans l’espoir d’apercevoir son fils sur la route. Une fugue était envisageable au vu de la situation. Jean prit ses clés, embrassa sa femme et sortit. Mark remarqua que Sylvia avait un comportement étrange. Elle semblait terrorisée, alors qu’aucune manifestation ne se faisait plus entendre. Malheureusement, il n’avait pas le temps de la rassurer. Il fallait absolument retrouver l’adolescent. Il rejoignit donc Jean dans la voiture et ils parcoururent les petites rues autour de leur domicile. Ils croisèrent la voiture de Salvatore, qui s’arrêta à leur hauteur. Jean se gara à côté de lui.
-Alors, tu l’as retrouvé ? lui demanda Jean.
Mark observa l’homme au volant. S’il l’avait retrouvé, il aurait eu l’air soulagé. Mais c’était de l’inquiétude que Mark lut sur son visage.
-Je suis désolé, Jean. Nous avons cherché partout. Nous avons fait toute l’entité, nous sommes même allés jusqu’à Binche et La Louvière. Aucune trace de Michaël. Je m’en veux, mon ami. C’est ma faute. J’aurais dû être plus prudent. Quand ma femme l’a installé dans la chambre de Mario, il s’est endormi tout de suite. Nous avons donc décidé de le laisser se reposer. Il avait l’air tellement épuisé. Mais quand nous sommes allés nous coucher, Mario a trouvé la fenêtre de sa chambre ouverte et Michaël avait disparu. Nous avons d’abord fouillé la maison, au cas où il aurait voulu manger ou aller aux toilettes. Voyant qu’il n’était pas là, nous sommes partis à sa recherche quand tu es venu frapper à notre porte.
Jean ne lui en voulait pas. Il savait que les adolescents étaient imprévisibles et que son ami avait fait de son mieux pour l’aider. Il remercia Salvatore, qui en profita pour prendre des nouvelles de Sylvia. Jean lui apprit le réveil de sa femme et sa libération de la chose qui la possédait.
Salvatore poussa un soupir de soulagement. Il suggéra à Jean d’appeler la police pour signaler la disparition de Michaël. Mark approuva l’idée et tenta de convaincre Jean. Il lui dit que la police avait sûrement plus de moyens qu’eux pour retrouver un adolescent en fugue. Ils ne connaissaient pas bien la région et la police était certainement plus efficace pour ce genre de situation. Jean se résigna et acquiesça. En sortant de la voiture, Mark heurta quelque chose de dur avec son pied. Il grimaça de douleur, ce qui amusa Jean.
-Je vois que ma souffrance vous fait rire, l’ami, plaisanta Mark en souriant.
Quand il put marcher normalement, il chercha ce qu’il avait percuté et découvrit que c’était la grille d’aération de la cave de la maison. Il le fit remarquer à Jean qui examina le trou sur la façade.
-Vous êtes déjà allé à la cave ? demanda Mark.
Jean lui raconta que c’était Michaël qui avait repéré la porte presque cachée sous l’escalier du couloir mais qu’il n’avait jamais eu le temps d’y descendre.
-Eh bien, allons-y alors ! proposa Mark.
Au moment où les deux hommes entrèrent dans la maison, un grand bruit se fit entendre à l’étage. Ils se regardèrent avec inquiétude et Mark se dirigea lentement vers l’escalier. Jean alla rejoindre sa femme et jeta un coup d’œil aux écrans. Philippe, qui était en train de pirater les dossiers, avait sursauté sous le choc. Il regarda aussi l’écran et se leva en courant.
-Mark ! Ils sont revenus !
Mark le regarda un instant, puis comprenant de qui Philippe parlait, monta les marches à toute vitesse et tomba nez à nez avec Jimmy et Billy qui affichaient un sourire radieux. Il prit son ami dans ses bras.
-Jimmy, mon vieux ! Ne me refais jamais ça ! J’ai cru qu’on t’avait perdu !
Jimmy était épuisé mais semblait en bonne santé. Mark serra la main de Billy.
-Bravo, mon gars. Vous êtes vraiment incroyable ! Billy regarda Mark d’un air sérieux.
-Pour mon frère, je ferais n’importe quoi, répondit-il avec conviction.
Mark l’observa un instant, gêné par la situation mais Billy détendit l’atmosphère en lui donnant une accolade. Mark se relaxa. Il était heureux de revoir les deux hommes sains et saufs. Ils descendirent ensemble rejoindre le groupe. Jean et les deux techniciens enlacèrent Jimmy, soulagés que leur ami soit enfin de retour. Mark était tellement soulagé que quand Jimmy leur demanda timidement s’il pouvait avoir quelque chose à manger et à boire, le groupe éclata de rire.
-Place aux priorités ! lança Mark.
Billy se rendit à la cuisine et servit son frère. Jimmy dévora la nourriture avec une telle voracité que les hommes se mirent à rire de nouveau. Même Jimmy se joignit à eux. Que c’était bon de revenir ! De pouvoir manger ! De pouvoir respirer sans être sous l’emprise de la peur ! Il savoura son bol de soupe et quand Billy lui proposa de le resservir, il tendit immédiatement son bol. Seule Sylvia ne semblait pas participer à l’hilarité générale. Elle était assise sur le canapé et regardait Jimmy intensément. Sentant son regard sur lui, Jimmy se tourna et répondit à la question muette qui se lisait sur son visage.
-Votre père et vos frères vont bien. Bien sûr, ils sont encore coincés dans ce monde alternatif mais l’entité qui semblait les retenir n’y est plus. Sylvia parut soulagée.
Elle remercia Jimmy et avant qu’elle puisse ajouter quelque chose, des coups retentirent à la porte d’entrée.
Jean ouvrit la porte et se retrouva nez à nez avec deux agents de police. Il les invita à entrer et leur annonça la disparition de son fils. L’un des officiers prit sa déposition et lui posa une série de questions pour évaluer le risque de fugue. Jean répondit du mieux qu’il put, espérant que son mensonge ne se verrait pas. L’officier lui promit qu’ils allaient faire le nécessaire pour retrouver l’adolescent et le prévenir dès qu’ils auraient du nouveau. Jean les remercia et les raccompagna à la porte. Il rejoignit ensuite sa femme dans le salon et la prit dans ses bras. Mark interrogea Jimmy sur ce qu’il avait vu de l’autre côté du miroir. Le médium lui fit un compte-rendu détaillé de son exploration. Mark notait tout sur son carnet et fronça les sourcils quand Jimmy lui livra ses impressions.
– Je te le dis, ce n’est pas un démon. C’est une âme damnée. Mais il a un pouvoir énorme et il maîtrise une sorte de magie noire. Tu n’as pas trouvé quelque chose qui pourrait nous aider à savoir qui c’est ?
A ce moment-là, Philippe poussa un cri triomphant. Il venait de réussir à pirater les fichiers confidentiels du commissariat. Jean se félicita d’avoir reçu les policiers sur le seuil. Il n’avait pas pensé qu’ils pourraient fouiller la maison et tomber sur des indices compromettants. Philippe se pencha sur son écran et commença à parcourir les dossiers qu’il venait de débloquer. Au fur et à mesure qu’il lisait, son visage se décomposa. Mark lui demanda ce qui n’allait pas mais Philippe ne répondit pas. Il ouvrit plusieurs photos jointes aux rapports et eut un haut-le-cœur. Le groupe se pressa autour de l’écran et découvrit avec horreur des scènes macabres dignes d’un film d’horreur. Des animaux éventrés gisaient au milieu d’un autel improvisé, entouré de bougies et de symboles occultes.
D’autres photos montraient des cadavres de jeunes gens qui avaient subi des tortures innommables. Leurs corps étaient squelettiques et portaient des marques de mutilations atroces. Philippe n’en pouvait plus. Il laissa la place à Mark et alla s’asseoir à côté de Jimmy. Mark copia les dossiers sur son disque dur et ferma le site de la police. Il demanda à Philippe s’il fallait effacer leurs traces. Philippe le rassura. – Pas besoin. J’ai tout fait pour qu’on ne puisse pas nous remonter. Sur ce, Mark ouvrit le premier dossier.
Tout avait commencé par une série de disparitions d’animaux de compagnie dans le petit village de Binche, en Belgique. Les soupçons se portaient sur le fils d’un riche entrepreneur américain, William Phillips, qui s’était installé dans les environs avec sa gouvernante haïtienne, Blanche Mbala, une dizaine d’années auparavant. Le père était un homme respecté et apprécié, qui avait créé son entreprise de construction et offert du travail à de nombreux habitants. Le fils, Robert, était un garçon solitaire et taciturne, éduqué à domicile par la gouvernante. Celle-ci, quant à elle, était regardée avec méfiance et curiosité par les voisins, qui la trouvaient bizarre et l’avaient surprise en train de pratiquer des rituels étranges la nuit.
La police avait été alertée, mais sans preuve ni indice, l’affaire avait été classée sans suite. Les habitants avaient alors décidé de s’organiser en comité de vigilance et de surveiller leurs animaux. Pendant un temps, les disparitions s’étaient arrêtées et le calme était revenu.
Mais un soir, tout bascula. Une promeneuse vit Blanche Mbala égorger un chat sur un autel orné de symboles inconnus, en psalmodiant des paroles incompréhensibles. À ses côtés se tenait Robert, qui semblait participer au sacrifice. La femme s’enfuit en hurlant et alla prévenir le pasteur du village. Celui-ci l’écouta avec effroi et lui conseilla d’alerter la police. Cette fois, les forces de l’ordre ne tardèrent pas à intervenir. Ils arrêtèrent la gouvernante et internèrent le fils dans un asile. Le père fut interrogé mais il se défendit en invoquant les croyances de son employée, qui étaient courantes en Haïti. Il ne fut pas inquiété davantage, mais il perdit la confiance et l’estime de ses voisins.
Quand les policiers lui mirent les menottes, le jeune homme ne résista pas. Il les suivit docilement jusqu’au fourgon qui l’emmena à l’asile. Là-bas, il subit des traitements douteux, censés le guérir de sa folie. Les psychiatres qui s’occupaient de lui découvrirent son intérêt obsessionnel pour l’occultisme et sa connaissance impressionnante du vaudou haïtien. Le jeune homme était taciturne et méfiant, mais il se mettait à parler avec passion quand on abordait ses sujets favoris. En fouillant sa chambre, on trouva un journal intime où il racontait son attirance morbide pour la dissection et l’anatomie humaine. Il prétendait que c’était par curiosité scientifique, car il rêvait de devenir chirurgien. Il resta interné pendant deux ans, sans faire parler de lui. Puis il fut libéré pour bonne conduite et retourna chez son père. Celui-ci l’inscrivit dans une faculté de médecine, où il apprit tout ce qu’il y avait à savoir sur la chirurgie.
Le jeune Robert se révéla très doué et apprécié de ses professeurs et des chirurgiens qu’il assistait lors d’opérations délicates. Ses camarades d’études, en revanche, le trouvaient bizarre et inquiétant. Il ne cherchait pas à se lier avec eux et s’enfermait dans sa chambre dès la fin des cours. Quand il obtint son diplôme et qu’il quitta la faculté, son père reçut une plainte de la part de l’établissement pour dégradation de biens privés. Des photos montraient la chambre du jeune homme, dont les murs étaient couverts de symboles étranges et le sol jonché de cadavres d’animaux en putréfaction. Certains organes, comme le cœur ou les intestins, avaient été prélevés. Il y avait aussi des traces de brûlures, probablement causées par des bougies. Le père régla l’affaire en payant les frais de rénovation et en offrant une somme rondelette au directeur pour qu’il se taise. Robert continua sa vie comme si de rien n’était, malgré l’inquiétude grandissante de son père. Ils vivaient seuls tous les deux, la gouvernante ayant été renvoyée en Haïti et personne ne voulant travailler pour eux.
Les gens du voisinage se méfiaient du jeune homme, sentant qu’il cachait quelque chose de sombre.
Robert avait ouvert son cabinet de médecine et s’était vite fait une solide réputation. Il était très doué et ne faisait pas payer les ouvriers de l’entreprise de son père. Au début, les gens avaient cru qu’il voulait se racheter de ses erreurs passées et de son implication dans les affaires louches de sa femme. Ils lui avaient accordé le bénéfice du doute et l’avaient accepté dans la communauté. Pendant plusieurs années, tout se passa bien. Les patients étaient satisfaits des soins du Dr Phillips et le calme était revenu parmi les habitants. Après tout, ce jeune homme avait été victime d’une femme étrange aux pratiques douteuses. Il était jeune, il méritait une seconde chance. On oublia donc ces histoires.
Dans le deuxième dossier, il y avait une coupure de presse. C’était la disparition d’un adolescent de quinze ans, Luigi Ricci. Ses parents l’avaient signalé après trois jours sans nouvelles. Ils n’avaient pas tout de suite paniqué car il lui arrivait souvent de dormir chez un ami sans prévenir. Mais quand ils avaient appelé ses amis et son école, personne ne l’avait vu depuis longtemps. Les policiers avaient cherché mais sans succès. On avait pensé à une fugue et le dossier était resté ouvert mais sans suite. Les parents avaient fait appel à un journaliste pour lancer un avis de recherche mais en vain. Le garçon avait disparu sans laisser de traces.
Plusieurs autres coupures de presse relataient des événements similaires. Des disparitions d’adolescents inexpliquées et inquiétantes. Mark en compta au moins une trentaine.
Sur la dernière coupure de presse, le titre était choc : « L’adolescent disparu retrouvé dans des conditions horribles ! » Selon l’article, voici ce qui s’était passé. Par une nuit glaciale du 7 au 8 novembre 1975, un couple de vieux promenait leur chien quand ils avaient trouvé un garçon allongé dans la neige, en état de choc. Il ne portait qu’une chemise de nuit. Ils l’avaient emmené à l’hôpital de Jolimont en urgence. Le médecin avait constaté que le garçon souffrait de malnutrition, de déshydratation et de multiples ecchymoses. Ses poignets portaient des traces de corde, comme s’il avait été attaché. Le médecin l’avait soigné et isolé aux soins intensifs. Il avait appelé la police pour signaler l’incident. Le garçon fut identifié comme Arthur Rizzo, 12 ans, disparu le 1er novembre alors qu’il allait fleurir la tombe de ses grands-parents pour la Toussaint. Les inspecteurs se rendirent à l’hôpital et essayèrent de l’interroger mais il était catatonique. Ses parents furent prévenus et vinrent le rejoindre à l’hôpital. Quand il vit sa mère, il se jeta dans ses bras en pleurant hystériquement. Quand elle réussit à le calmer, les policiers tentèrent à nouveau de l’interroger. Il ne dit qu’un nom. Celui du Docteur Phillips.
Le lendemain de la plainte, la police débarqua chez le docteur Phillips avec un mandat de perquisition. Le médecin tenta de fuir par une fenêtre à l’étage, mais il fut rattrapé et menotté par les agents. Il fut emmené sans ménagement dans une cellule, tandis que sa maison était passée au peigne fin. Ce que les policiers découvrirent les glaça d’effroi. Sous l’escalier du couloir, une porte secrète dissimulée derrière du papier peint donnait accès à une vaste cave. Celle-ci avait été transformée en un sinistre cabinet médical, où trônaient une table d’opération inclinable, des instruments chirurgicaux de toutes sortes, et un autel macabre orné d’organes humains. Des bougies noires entouraient un pentagramme tracé avec du sang sur le sol. Au-dessus de l’autel, un grand miroir aux motifs exotiques semblait renvoyer le reflet des atrocités commises. Dans un recoin de la cave, les cadavres des trente jeunes hommes disparus depuis cinq ans gisaient dans un état de décomposition avancée.
Le docteur Phillips fut jugé et reconnu coupable de meurtre et d’enlèvement de mineurs dans le cadre de rituels de magie noire. Il écopa d’une peine de prison à vie. En prison, il fut soumis à une expertise psychiatrique qui intrigua l’inspecteur chargé de l’affaire. Le rapport du psychiatre révélait en effet des éléments troublants sur la personnalité et les motivations du tueur. Le psychiatre avait pris des notes au fur et à mesure de ses entretiens avec le docteur Phillips. Il était de plus en plus inquiet par le comportement du détenu. Il avait rassemblé ses questions et les réponses du prisonnier dans un dossier sous forme de dialogue.
-Comment vous appelez-vous ?
-Robert Phillips.
-Quelle est votre profession ?
-Docteur en médecine.
-Parlez-moi de votre enfance.
-Je n’ai pas eu d’enfance.
-Très bien. Et de votre relation avec madame Mbala, qui vivait avec vous ?
-C’était ma gouvernante.
-Que vous a-t-elle appris ?
Le docteur avait lancé un regard énigmatique mais n’avait pas répondu. Le psychiatre avait poursuivi son interrogatoire.
-A quoi servait l’autel où les organes humains ont été découverts ?
-Vous ne pouvez pas comprendre. -Essayez de m’expliquer, s’il vous plaît.
-Vous ne pouvez pas comprendre, avait-il répété. Il existe d’autres réalités. Mais pour y accéder, il faut des sacrifices. Tout a un prix, n’est-ce pas ?
-De quoi parlez-vous ? -Vous le saurez bientôt, docteur Godeau, vous le saurez bientôt.
Le psychiatre avait sursauté. Il n’avait jamais donné son nom au docteur Phillips. Il avait senti un frisson lui parcourir le dos et il avait levé les yeux de son carnet. Les yeux du docteur Phillips étaient devenus entièrement noirs. Il le fixait avec un sourire cruel et c’est alors que le psychiatre perdit son sang-froid. Il appela le gardien à l’aide et lui demanda de sortir au plus vite. Le gardien accourut pour lui ouvrir la porte de la cellule, mais il était trop tard. Le docteur Phillips s’était jeté sur le psychiatre et lui avait lacéré le visage et le flanc avec une brosse à dents aiguisée. Le psychiatre fut transporté à l’hôpital et le docteur Phillips fut transféré dans un hôpital psychiatrique sous haute surveillance.
Dans le dossier, des photos du psychiatre à son arrivée à l’hôpital montraient les blessures qu’il avait subies. Mark remarqua qu’elles étaient identiques à celles qu’il avait vues sur Michaël après son agression par l’entité. C’était comme une signature, une façon de marquer ses victimes. Mais pourquoi ?
Quelques semaines plus tard, le docteur Phillips comparut devant la cour de justice où il fut condamné à la prison à vie pour le meurtre et la mutilation des 29 jeunes hommes qui avaient disparu. Le seul survivant ne put assister au procès, mais son témoignage avait été enregistré sur un magnétophone et retranscrit par écrit. Voici ce qu’Arthur Rizzo avait raconté de son calvaire.
-Bonjour, Arthur. Je suis le docteur Medioni et voici l’inspecteur Leclerc. Nous sommes là pour t’écouter. Peux-tu nous dire ce qui s’est passé le soir du premier novembre, quand tu as quitté ta maison ?
-Est-ce que je dois vraiment parler ? demanda Arthur d’une voix tremblante.
-Tu n’as pas à avoir peur, Arthur. Le docteur Phillips est arrêté et il ne te fera plus jamais de mal, je te le promets.
-Vous ne comprenez pas, dit Arthur. Cet homme, c’est le mal incarné. Il a fait des choses atroces. C’est un monstre qui pratique la magie noire. J’ai vu les horreurs qu’il a infligées à ces pauvres enfants.
-Alors raconte-nous, Arthur, l’encouragea l’inspecteur Leclerc. Tu es le seul survivant de cette affaire. Tu ne veux pas rendre justice à tes amis ? Sans ton témoignage, il pourrait s’en sortir avec un simple internement psychiatrique. Il pourrait recommencer un jour. Mais si tu parles, il ira en prison à vie. Arthur hésita encore un moment, puis se décida à parler.
Ce soir-là, je voulais aller déposer un chrysanthème sur la tombe de mes grands-parents. Il faisait déjà nuit et il faisait froid, mais je n’avais pas pu y aller plus tôt. J’avais demandé à mon père et il m’avait dit que ça allait, mais qu’il fallait que je fasse attention à la route qui était verglacée. Je lui avais dit que si c’était trop dangereux, je dormirais chez Lissandro, mon copain qui habite près du cimetière. Quand je suis arrivé au cimetière, j’ai posé les fleurs et j’ai prié un peu. Puis je suis sorti et j’ai entendu quelqu’un m’appeler par mon nom. J’ai vu une voiture garée sur le bord de la route et je me suis approché. C’était le docteur Phillips. Il m’a demandé ce que je faisais là tout seul et je lui ai expliqué pour les fleurs de la Toussaint. Il m’a souri et m’a dit que j’étais un brave garçon. Il faisait très sombre et très froid, alors il m’a proposé de me ramener chez moi et j’ai accepté. Mes parents connaissaient bien le docteur, il soignait les rhumatismes de ma mère et il était toujours gentil avec nous. Je suis monté dans sa voiture. Il m’a offert un morceau de gâteau qu’il avait dans sa boîte à gants et il m’a dit que c’était pour me réchauffer. J’avais faim car je n’avais pas encore dîné, alors j’ai pris le gâteau. Après ça, je ne me souviens plus de rien. Quand j’ai repris conscience, j’étais enfermé dans une grande cage en verre avec des trous pour respirer. Je ne savais pas où j’étais ni ce que je faisais là. J’ai eu très peur. J’ai regardé autour de moi et j’ai vu qu’il y avait d’autres garçons dans la même situation que moi. Ils étaient quatre, je crois, mais il faisait trop sombre pour bien les voir. La pièce où nous étions sentait très mauvais. Comme de la viande avariée ou quelque chose comme ça, c’était horrible. J’ai voulu crier mais un garçon m’a dit de me taire sinon il allait venir. Il avait une voix toute petite et j’ai compris qu’il était plus jeune que moi. Il m’a dit qu’il s’appelait Loris et que le docteur l’avait kidnappé comme moi. C’est là que j’ai remarqué que je n’avais plus mes vêtements sur moi. Je portais juste une sorte de chemise de nuit comme dans les hôpitaux. J’avais froid et j’avais mal au ventre. Peu après, j’ai entendu des bruits de pas qui descendaient un escalier. La porte de la pièce s’est ouverte et le docteur est entré avec un grand plateau. Il nous avait apporté à manger. Il était souriant et il nous parlait comme si de rien n’était. Il nous racontait ses études de médecine et les choses qu’il avait apprises sur le corps humain. Il nous expliquait comment il fonctionnait et il nous posait des questions. On essayait de lui répondre, malgré notre peur. Il m’a dit qu’il nous avait pris pour ses recherches parce que nous étions des garçons très intelligents et en bonne santé. Il s’est même excusé de nous avoir enfermés mais il nous a dit que c’était pour notre bien, pour nous éviter les infections. Il nous a promis qu’il nous ramènerait chez nous quand il aurait fini ses expériences et qu’il nous récompenserait avec de l’argent. Alors on a mangé ce qu’il nous avait apporté, en écoutant ses histoires. Au début, il nous parlait du corps humain, de ses organes et de ses fonctions. Mais ensuite, il se mettait à parler d’un autre monde, qu’il disait être le monde de la connaissance. Moi, je croyais qu’il parlait du Paradis, comme le curé à l’église. Alors je l’écoutais avec attention. Mais à chaque fois que je finissais de manger, je me sentais très fatigué et je m’endormais. Le lendemain, quand je me réveillais, il y avait un garçon en moins dans la pièce. Au début, on était content car on pensait que le docteur l’avait relâché et qu’il était rentré chez lui avec plein d’argent. Mais le jour suivant, il y en avait encore un qui avait disparu. Et le surlendemain, encore un autre. Il ne restait plus que moi et Loris, le plus jeune. On commençait à avoir peur. Le docteur nous laissait sortir de notre cage une fois par jour pour aller aux toilettes et nous laver, mais il nous surveillait tout le temps. Il nous donnait des jouets et des livres pour nous distraire, mais on n’avait pas envie de jouer ni de lire. On voulait juste rentrer chez nous. Mais le docteur nous disait toujours que c’était bientôt fini, qu’il avait presque terminé ses recherches et qu’on allait bientôt être libres. Dans la pièce, il y avait un grand rideau en velours qui cachait quelque chose. Je voyais le docteur passer derrière de temps en temps, mais je ne pouvais pas voir ce qu’il y faisait. Ma cage était trop loin et il faisait trop sombre. Je me demandais ce qu’il y avait derrière ce rideau. Nous étions quatre au début, enfermés dans des cages comme des animaux. Le docteur nous disait que nous étions des héros, que nous participions à une expérience scientifique très importante pour l’humanité. Il nous racontait des histoires fantastiques sur le monde extérieur, sur les merveilles qu’il y avait à découvrir. Il nous donnait à manger et à boire, mais aussi des cachets qu’il disait être des vitamines. Il nous faisait passer des tests, des prises de sang, des électrodes sur la tête. Il nous souriait toujours, mais il y avait quelque chose de faux dans son regard.
Deux jours plus tard, il n’en restait plus que trois. J’ai demandé au docteur ce qu’était devenu le quatrième garçon, celui qui était dans la cage d’en face. Il m’a dit qu’il avait terminé son rôle dans l’expérience et qu’il était rentré chez lui, retrouver sa famille. Mais il avait l’air nerveux, et il a vite changé de sujet. J’ai eu un mauvais pressentiment. Les autres garçons aussi étaient troublés. L’un d’eux m’a confié qu’il avait fait un cauchemar horrible, où il entendait des cris déchirants mais qu’il ne pouvait pas se réveiller. Au matin, il avait vu que la cage de son ami était vide.
Ce soir-là, j’ai feint d’avoir mal au ventre et je n’ai presque rien touché à mon repas. Le docteur a froncé les sourcils, mais il m’a tendu un médicament en me disant que ça allait me soulager. J’ai fait mine de l’avaler, puis je l’ai écouté me raconter ses histoires habituelles avant de me souhaiter bonne nuit. Quand il est parti, j’ai fait semblant de dormir, comme mes amis. Mais je restais aux aguets.
Au milieu de la nuit, j’ai entendu la porte s’ouvrir et des pas descendre l’escalier. C’était le docteur, qui tenait une bougie à la main. Il s’est approché d’une des cages et a jeté un coup d’œil à l’intérieur. Il a hoché la tête, puis il est passé à l’autre cage. Je savais qu’il allait venir vers moi ensuite, alors j’ai fermé les yeux et j’ai ralenti ma respiration. Il est venu près de moi et a éclairé mon visage avec sa bougie. J’ai senti son souffle sur ma joue, et j’ai eu envie de hurler. Mais je suis resté immobile, espérant qu’il me croie endormi. Il a fini par s’éloigner, et j’ai entrouvert les yeux pour le suivre du regard.
Il a écarté le rideau qui divisait la pièce et j’ai aperçu avec horreur une table en métal au milieu. Il a ouvert la cage du garçon et l’a porté sur la table. Il a allumé des bougies qui révélaient des machines sinistres accrochées au mur. Un immense miroir et des chandeliers sur un buffet ancien ajoutaient à l’ambiance lugubre. L’odeur était nauséabonde. C’était l’odeur de la putréfaction. J’ai vu le docteur examiner le garçon et s’assurer qu’il était endormi. Puis, il a retiré son pull et sa chemise et j’ai remarqué des signes étranges gravés sur sa chair. Je ne savais pas ce qu’il tramait mais j’avais peur. Je restais immobile. Il ne paraissait pas me voir. Il a prononcé une sorte de formule dans une langue étrange. Ensuite, il s’est badigeonné d’une crème et il a dessiné des figures sur le corps de mon ami. Je ne pouvais pas voir ce qu’il dessinait car j’étais trop loin et allongé au sol. Et c’est là que je l’ai vu brandir un énorme couteau. Je me demandais ce qu’il allait infliger à mon ami mais je ne pouvais rien faire. J’étais enfermé et si je criais, il me tuerait. Je l’ai donc vu planter le couteau dans le torse de mon ami. Celui-ci s’est réveillé en hurlant de douleur. Ses cris étaient terrifiants. Ça n’a pas cessé pendant des minutes qui m’ont paru des heures. Quand le silence est revenu, le docteur s’est tourné vers un plateau où il y avait des objets scintillants. La lumière des bougies se reflétait dessus. J’étais tétanisé. J’avais envie de hurler, de pleurer mais je savais que pour rester en vie, je devais continuer à faire semblant d’être endormi. Il s’est approché du corps de mon ami et j’ai entendu des bruits répugnants, comme quand mon père découpait un cochon et lui brisait les côtes pour le vider. Mon père est boucher. Quand le docteur s’est redressé, il tenait quelque chose de sanglant dans ses mains. C’était le cœur de mon ami. Il l’a posé sur la table bizarre avec le miroir. Puis, il s’est penché de nouveau sur mon ami et lui a ouvert le ventre. Je n’ai pas pu supporter et je me suis évanoui. Le lendemain, quand j’ai repris connaissance, j’ai raconté au dernier garçon ce que j’avais vu la veille mais il m’a traité de fou. Il n’avait rien entendu et il refusait de voir le docteur comme le monstre qu’il était. Je lui ai parlé de la nourriture et je lui ai dit que nous étions sûrement drogués pour nous endormir. Il a commencé à avoir des doutes mais c’est à ce moment-là que le docteur est revenu. Il avait l’air content ce jour-là et il nous a laissé sortir un peu de nos cages. Je lui ai demandé où était le petit garçon et il m’a répondu que mon ami avait été si coopératif qu’il avait pu rentrer chez lui et qu’il l’avait ramené lui-même chez ses parents. Je savais que c’était un mensonge mais je n’ai rien dit. L’autre garçon a paru soulagé et il m’a regardé comme si j’étais le menteur. Je n’ai plus essayé de le convaincre et j’ai profité de notre liberté relative pour chercher un moyen de m’échapper. Je voulais aller du côté du rideau pour lui montrer que je disais la vérité mais le docteur nous avait attachés avec une chaîne autour du torse et un cadenas qui était relié à un anneau dans le mur du fond, loin de la pièce derrière le rideau. En fouillant, j’ai trouvé un gros clou qui traînait sur le sol et je l’ai caché dans ma bouche. Pendant toute la journée, mon colocataire a lu des livres et mangé des bonbons que le docteur nous avait donnés en échange de notre discrétion. Il nous avait expliqué que ses recherches étaient très importantes et qu’il devait les garder secrètes jusqu’à leur réussite. Il nous avait dit aussi que nous serions des héros quand il présenterait ses travaux aux médecins car c’était grâce à nous qu’il avait progressé. Mon ami souriait et gobait ses paroles. Mais moi, je savais ce que j’avais vu et je savais qu’il mentait. Alors, pendant que mon ami s’amusait, j’ai observé la cage où je dormais la nuit. Les panneaux en verre de la cage étaient maintenus par des barres en fer vissées tout autour. J’ai vu qu’avec le clou, je pouvais dévisser les vis sans faire tomber les panneaux. J’ai donc passé le reste de la journée à dévisser pour affaiblir la structure. Je le faisais sans que mon compagnon ne s’en aperçoive car j’avais peur qu’il me dénonce au docteur. Mais il était trop occupé par sa lecture pour me surveiller. J’ai vérifié que la structure tienne encore assez pour ne pas éveiller les soupçons du docteur. J’ai essayé plusieurs fois d’entrer dans la cage pour m’assurer qu’aucun panneau ne s’écroule quand je montais dedans et ça marchait. Le soir, quand le docteur est arrivé avec les plateaux repas, j’ai fait semblant de rien et j’ai mangé le moins possible en prétextant une douleur au ventre. Il m’a donné un médicament que j’ai fait semblant d’avaler. Nous avons regagné nos cages et j’ai prié pour que rien ne s’effondre mais, heureusement pour moi, la cage est restée stable. Il continuait à nous raconter ses histoires, mais je voyais bien que mon ami n’en pouvait plus. Il s’était endormi, la tête penchée sur le côté. J’ai décidé de faire comme lui et de fermer les yeux. Peut-être que le docteur nous laisserait tranquilles si on faisait semblant de dormir. Plus tard, j’ai entendu des pas dans l’escalier. J’ai entrouvert les yeux et j’ai vu le docteur s’approcher de nos cages. J’ai retenu mon souffle, espérant qu’il ne remarquerait pas que j’étais éveillé. Mais il a passé devant ma cage sans s’arrêter et s’est dirigé vers celle de mon ami. J’ai senti une vague de culpabilité me submerger. J’aurais voulu l’aider, le sauver de ce monstre, mais je savais que c’était ma seule chance de m’échapper. C’était lui ou moi. Alors, quand le docteur a sorti mon ami de sa cage et l’a posé sur la table, j’ai profité de son inattention pour agir. J’ai poussé doucement les panneaux de ma cage, en faisant attention à ne pas faire de bruit. Les panneaux ont cédé et j’ai pu sortir de ma prison. Le docteur était trop absorbé par son rituel macabre pour me voir. Il tenait un couteau à la main et s’apprêtait à faire subir à mon ami le même sort que la veille. Quand il a enfoncé le couteau dans le corps de mon ami et que celui-ci s’est mis à hurler, j’ai pris mes jambes à mon cou. Je ne sais pas si le docteur m’a poursuivi. Je n’ai pas regardé derrière moi. Je me suis précipité vers les escaliers et j’ai débouché dans la maison du docteur. J’ai reconnu la porte du cabinet de consultation et j’ai suivi les indications pour trouver la sortie. Par chance, la porte d’entrée n’était pas verrouillée. J’ai couru comme un fou vers ma maison. Je me souviens encore de la sensation du froid sur mes pieds nus dans la neige. J’avais mal partout, j’étais affamé et épuisé. Quand je suis arrivé au cimetière, j’ai perdu connaissance. Quand je me suis réveillé, j’étais ici, à l’hôpital. Le garçon se tut. Il avait l’air vidé par son récit. L’inspecteur le remercia pour sa bravoure et le laissa avec le psychiatre. Mais avant de quitter la chambre du garçon, celui-ci lui lança une dernière phrase. –C’est le Diable, vous savez. Son miroir brillait d’une lumière bleue à chaque fois qu’il nous tuait. Comme s’il aspirait nos âmes. Ce miroir, c’est la porte des Enfers.
Fin du témoignage d’Arthur Rizzo, 9 novembre 1975.
Le document suivant était une revue de presse qui relatait le procès du docteur Phillips et sa tentative de fuite lors de son transfert.
e dcument suivant était une revue de presse qui Le docteur Phillips venait d’être condamné à la prison à vie pour des crimes abominables. Il n’avait pas prononcé un mot pendant son procès, malgré les questions insistantes du juge et des avocats. Il s’était contenté de les toiser d’un regard mauvais et de leur adresser un sourire carnassier qui glaçait le sang des familles des victimes présentes dans la salle. Personne ne sut jamais ce qui l’avait poussé à commettre ces atrocités, ni ce qu’il faisait avec les cadavres, les accessoires et l’autel macabre retrouvés chez lui. Le seul rescapé de son enfer avait été incapable de témoigner, tant il était traumatisé.
Le docteur Phillips fut escorté par des policiers jusqu’à un fourgon blindé qui devait le conduire à la prison de Mons, dotée d’une aile psychiatrique. Il était entravé par des menottes aux poignets et aux chevilles, reliées par une chaîne. A l’arrière du fourgon, il fut attaché à un piston au sol par une autre chaîne. Deux gendarmes armés surveillaient l’arrière du véhicule. Mais quand ils arrivèrent à destination, ils eurent la stupeur de constater que le prisonnier avait disparu. Ils alertèrent aussitôt le poste central et des patrouilles se mirent à sa recherche.
Après plusieurs heures d’investigation, une patrouille qui était restée dans le quartier du docteur Phillips vit un homme s’approcher de sa maison. Il portait une tenue de l’asile de Manage et avait encore des morceaux de chaîne aux poignets et aux chevilles. C’était le fugitif. Les gendarmes se lancèrent à sa poursuite. Le docteur Phillips tentait de pénétrer dans sa cave par la grille d’aération, n’ayant plus les clés de sa porte d’entrée. Un gendarme le rattrapa et le mit en joue, mais il ne s’arrêta pas. Il était déjà à moitié passé par la grille quand le gendarme lui tira dessus plusieurs fois. Le docteur s’écroula dans la cave et le gendarme le suivit.
Avec sa radio, il appela du renfort et entra dans la cave, son arme braquée sur le fugitif. Celui-ci gisait au milieu de la pièce où les corps mutilés avaient été découverts. Il respirait faiblement. Mais soudain, il se mit à ramper vers l’autel sacrificiel et tendit le bras vers le miroir qui trônait au-dessus. Il murmura quelques mots incompréhensibles et le miroir se mit à briller d’une lueur bleutée. Le gendarme n’en revenait pas. Il sentit une vague de terreur l’envahir, mais il resta sur ses gardes. Il ordonna une dernière fois au docteur de ne plus bouger. Mais à cet instant, la lueur du miroir s’éteignit et le docteur cessa de respirer. Ses yeux vitreux fixaient le néant, un sourire énigmatique sur les lèvres.
Les renforts arrivèrent et trouvèrent le policier assis par terre, comme pétrifié. Ils jetèrent un coup d’œil par la grille d’aération et virent le corps du docteur Phillips. Il était mort. Le corps du docteur Phillips fut transporté à l’institut médico-légal de Bruxelles pour y être autopsié. Le médecin légiste constata que les balles avaient été fatales, mais il remarqua aussi une étrange brûlure au visage. On aurait dit que le docteur avait été aspergé d’un acide corrosif. Mais aucune trace de substance chimique ne fut détectée sur le cadavre, et comme l’affaire était close avec la mort du criminel, on n’approfondit pas la question. Le corps du docteur fut rendu à son père, qui le fit incinérer et déposa ses cendres dans l’église du village, sous l’œil vigilant de l’évêque.
Le père du docteur ne se remit jamais du choc de découvrir les atrocités commises par son fils. Il se sentait coupable et honteux, et il sombra dans la dépression. Il mourut quelques années plus tard, laissant un testament inattendu. Il avait légué une partie de sa fortune aux familles des victimes de son fils, comme un geste de repentir et de compassion. Les familles, bien que toujours endeuillées, acceptèrent cet héritage et y virent une forme de justice. La maison et le cabinet du docteur Phillips furent démolis et il n’en resta que les ruines.
Mark ouvrit le dernier dossier, qui contenait les plans du quartier où le docteur Phillips avait installé son cabinet médical. Il les examina attentivement et écarquilla les yeux. Il se précipita sur les plans régionaux de la ville de Binche et chercha la rue où il se trouvait actuellement. Il eut soudain une illumination et comprit le lien entre tous les événements. Il poursuivit ses recherches et trouva confirmation de son intuition. Dans les archives de la ville, il découvrit un article de presse datant de l’époque où des maisons de corons avaient été construites pour accueillir les familles d’immigrés italiens qui travaillaient à la mine. Sur les photos, on voyait encore des entrepôts à la place des maisons. Mark zooma sur l’une d’elles et lut l’inscription sur la façade : “Société Phillips”. Il se laissa tomber sur sa chaise, stupéfait. C’était ça ! C’était la raison de tout ce qui arrivait à cette malheureuse famille ! Il sentit les regards curieux du reste de l’équipe et du couple sur lui. Mark se tourna vers eux et leur résuma l’histoire du docteur Phillips. Quand il arriva à la partie où le docteur était mort et sa maison démolie, il leur montra les plans d’urbanisme. On y voyait la maison du docteur et les maisons de mineurs qui avaient été construites ensuite. Le couple ne semblait pas saisir le sens de ces plans. Mais Billy et Jimmy avaient deviné. – C’est ici, n’est-ce pas ? demanda Jimmy. C’est pour ça qu’il connaît la maison comme sa poche ? Mark acquiesça d’un signe de tête. – Mais bon sang, s’exclama Jean. Quelqu’un peut-il m’expliquer ce qui se passe ? C’est Billy qui lui répondit. – C’est pourtant clair, Jean. Votre maison a été édifiée sur les ruines du cabinet du docteur Phillips. Votre maison repose sur un sol maudit.
Chapitre 10
Michaël ouvrit les yeux et se sentit perdu. Il avait la tête qui lui faisait un mal de chien et il ne reconnaissait pas l’endroit où il se trouvait. Il se souleva péniblement et réalisa qu’il était dans une sorte de cave. Il faisait sombre et humide. Il essaya de se rappeler comment il était arrivé là, mais sa mémoire était vide. Il se souvenait seulement de s’être endormi dans la chambre d’ami chez Mario, sa mère lui avait préparé un lit confortable. Ensuite, le trou noir. Il se leva lentement, tâtonnant dans l’obscurité. Ses yeux s’adaptèrent peu à peu et il distingua les contours de la pièce. Le sol était recouvert d’un carrelage ancien, les murs étaient couverts d’un papier peint vert défraîchi et une odeur de moisissure emplissait l’air. Il sortit son GSM de sa poche et vit qu’il ne lui restait presque plus de batterie. Il tenta d’appeler son père, mais il n’y avait pas de réseau. Il activa alors sa lampe torche et se mit à explorer la pièce. Elle était assez grande, environ vingt mètres carrés, et divisée par un rideau de velours rongé par les mites. La pièce était en désordre et remplie d’objets hétéroclites entassés dans les coins. Michaël avança prudemment vers le fond de la pièce, en se guidant avec sa main sur le mur, et heurta quelque chose de métallique. Il braqua sa lampe dessus et vit qu’il s’agissait d’un piston fixé au mur, avec un anneau auquel étaient attachées des chaînes. Il continua son chemin et découvrit plusieurs panneaux de verre percés de trous, ainsi que des structures métalliques. On aurait dit des aquariums, mais pourquoi avaient-ils des trous ? Il s’approcha du rideau de velours et ressentit soudain une douleur aiguë dans la poitrine. Sa tête se mit à tourner. Il n’y voyait plus clair. Il eut l’impression d’être attiré par ce qui se cachait derrière le rideau. Malgré lui, son corps avança vers cet endroit, sans qu’il puisse le contrôler. Il franchit le rideau et se retrouva face à une table métallique. Elle ressemblait à une table d’autopsie. Mais ses pieds ne s’arrêtèrent pas là. Ils le poussèrent vers le fond de la pièce. Dans la pénombre, il aperçut une lueur qui venait du fond de la pièce. Il vit alors une sorte de table en pierre sur laquelle étaient gravés des symboles étranges. Des bougies noires étaient disposées aux quatre coins de la table. Un pentagramme était incrusté dans la pierre et Michaël reconnut le même symbole que celui qui ornait le mur de sa chambre. La table était maculée de taches sombres qui ressemblaient à du sang séché. Les bougies s’allumèrent soudainement. Un vent froid le frappa au visage. Il semblait sortir du miroir. Intrigué, il se pencha vers la table pour mieux voir les taches, mais il fut pris de nausée. Il se redressa et croisa son reflet dans le miroir. C’était un miroir étrange. Michaël fixa le miroir et eut un choc. Le visage qui le regardait n’était pas le sien. Il s’approcha, persuadé d’halluciner, mais le reflet fit de même. Il se dévisagea un instant et dut admettre l’évidence. Ce visage n’était pas le sien. Comment cela se pouvait-il ? Il toucha sa joue et le reflet l’imita. Michaël était pétrifié. Comment son visage avait-il pu changer sans qu’il s’en rende compte ? Avant qu’il ait le temps de réfléchir, une voix résonna dans sa tête.
– Salut, Champion !
Michaël se retourna vivement et scruta la pièce, mais il n’y avait personne. Il reporta son regard sur le miroir, mais son reflet ne bougeait plus. Au contraire, il affichait un sourire carnassier et une lueur narquoise brillait dans ses yeux. Le jeune homme était terrifié. Que se passait-il, bon sang ? Il observa cet homme et le vit se rapprocher. Il recula instinctivement, mais la voix retentit de nouveau dans sa tête.
– Inutile de fuir. Tu es pris au piège. Il n’y a pas d’issue.
L’homme lui souriait toujours et ses yeux étaient d’un noir profond.
– Qui êtes-vous ? Qu’est-ce que vous voulez ? balbutia l’adolescent, la peur faisant trembler sa voix.
L’homme se colla presque au miroir, comme s’il voulait en sortir. De la buée se forma sur la vitre.
– Qui je suis n’a pas d’importance, répliqua-t-il. Pas pour toi, en tout cas. Par contre, qui tu es, ça c’est important. Quant à ce que je veux, tu vas bientôt le savoir. Tu ne le sais pas encore, mais tu es quelqu’un de très spécial, mon garçon. Ton aura brille comme un phare dans la nuit. Et j’ai justement besoin de ce genre d’âme pour accomplir mon dessein.
– Et quel est ce dessein ? demanda Michaël, la voix faible. Qu’est-ce que vous comptez faire ?
L’homme le regarda avec un air moqueur et son sourire s’élargit. Sa réponse plongea l’adolescent dans une panique totale.
– Ce que je veux ? Mais c’est évident, non ?
L’homme traversa le miroir comme s’il n’était qu’une illusion et sa main apparut de l’autre côté.
– Ce que je veux, Michaël, c’est toi. Ou plutôt ton corps. Ce que je veux, c’est renaître.
Michaël vit l’homme sortir entièrement du miroir et se mit à hurler. Il essaya de s’échapper mais son corps était paralysé. Il avait l’impression d’être cloué au sol. L’homme sortit du miroir et se planta devant le pauvre adolescent terrifié. Il lui sourit avec malice.
– Ne le prends pas mal, tu sais. Mais je t’attends depuis si longtemps. Il est temps de procéder à l’échange. Si ça peut te rassurer, dis-toi que tu retrouveras ta famille disparue.
Il tendit les bras et saisit le jeune homme par le visage. Son regard était comme un gouffre rempli de ténèbres. Michaël ne put s’empêcher de plonger dans ses yeux noirs. Ce qu’il y vit était tellement horrible qu’il se mit à hurler encore plus fort. Puis, tout devint noir.
Jean raccrocha le téléphone, déçu. L’agent de police lui avait dit que Michaël était toujours introuvable et que les pistes étaient minces. Il sentit le regard désespéré de Sylvia sur lui. Il alla la prendre dans ses bras. Elle se blottit contre lui et se dirigea vers la cuisine. Ils étaient tous épuisés et Sylvia essaya de se changer les idées en leur préparant un bon repas. Elle n’arrivait pas à croire ce qu’elle avait appris sur l’entité qui les tourmentait. Comment un fantôme pouvait-il s’acharner ainsi sur les vivants ? Elle avait grandi dans la foi catholique et ce qu’elle avait appris au catéchisme ne l’avait pas préparée à de telles horreurs. Pour Sylvia, quand on mourait, on allait soit au Paradis, soit en Enfer. Il y avait bien le purgatoire, mais c’était juste une étape pour accomplir une dernière volonté, une dernière mission. Elle n’avait jamais entendu parler d’une âme humaine capable de revenir posséder les vivants. Perdue dans ses pensées, elle se concentra sur la préparation des légumes. Elle fit des boulettes de viande et une potée de poireaux. L’odeur du repas attira Billy dans la cuisine. Il proposa son aide à Sylvia, qui lui confia les assiettes. Billy les apporta à table et tout le monde s’installa pour manger. Ils mangèrent en silence, appréciant le repas, mais sans oublier les révélations récentes. Quand ils eurent fini, Mark et Antoine débarrassèrent la table et les autres allèrent dans le salon. Ils étaient fatigués mais trop angoissés pour dormir. C’est alors qu’ils entendirent un hurlement sinistre résonner dans les murs. Mark, qui essuyait la vaisselle, lâcha l’assiette qu’il tenait. Il se tourna vers les autres et vit qu’ils étaient tous figés par ce cri glacial. D’où venait-il ? se demanda Mark en avançant vers le salon. Jean, Philippe et Billy s’étaient levés et scrutaient les alentours. Jimmy restait immobile. Il regarda vers le couloir et murmura :
– On dirait que le docteur Frankenstein est de retour.
Mark suivit son regard. Il se souvint de la grille d’aération extérieure de la cave. Il regarda Jimmy et comprit qu’il pensait à la même chose que lui. Mark, suivi de Billy et de Jean, se dirigea vers la porte cachée sous l’escalier. Il colla son oreille à la porte et écouta. Il n’y avait aucun bruit qui venait du sous-sol. Pourtant, l’atmosphère avait changé. L’air était lourd de tension. Il se tourna vers Billy et celui-ci s’approcha de la porte. Il posa ses mains dessus et sembla entrer en transe. Un instant plus tard, il rouvrit les yeux et soupira.
– Je crois que Jimmy a raison, dit-il. L’entité est de retour. Mais c’est bizarre. J’ai l’impression qu’elle n’est pas seule. Je ne sais pas comment l’expliquer mais je ressens de la détresse, de la peur et de la haine pure en même temps. C’est perturbant.
Mark réfléchit un instant. Jean lui demanda ce qu’il se passait.
– Eh bien, je pense qu’il est temps de visiter votre cave, Jean. Je crois que nous avons de la visite.
Jean le regarda sans comprendre. Puis son regard se posa sur la porte de la cave et il réalisa ce que Mark voulait faire. Il alla dans le salon et demanda à Sylvia de rester avec Antoine, Philippe et Jimmy. Il prit le crucifix qui était sur la table basse et rejoignit Mark et Billy. La main sur la poignée, Mark attendit le signal de Billy. Celui-ci acquiesça et Mark ouvrit doucement la porte. L’escalier était plongé dans l’obscurité. Mark chercha un interrupteur. Il le trouva et appuya dessus, mais rien ne se passa. L’ampoule devait être grillée. Il sortit son GSM et alluma la lampe torche. Il vit des marches en pierre couvertes de poussière. Le sous-sol semblait profond. Les marches tournaient sur la droite, formant un angle mort.
– Je n’aime pas ça, murmura-t-il.
Billy haussa les épaules et le dépassa. Ils descendirent prudemment les escaliers et arrivèrent dans une pièce sombre qui sentait l’humidité et la putréfaction. Jean et Mark regardèrent autour d’eux, tandis que Billy avançait dans la pièce. Soudain, Billy aperçut un mouvement furtif du coin de l’œil. Il dirigea sa lumière vers le coin de la pièce, mais il n’y avait que de vieux panneaux vitrés et une chaîne accrochée au mur. Sur le sol, il reconnut le pentagramme que Jimmy avait dessiné dans l’autre monde. Billy tira doucement le rideau de velours. Mark et Jean l’avaient rejoint. Ils virent avec horreur la table d’autopsie et l’autel nauséabond au fond de la pièce. Billy s’approcha de l’autel et regarda le miroir.
-Voilà le portail, dit-il à Mark. Je peux sentir son attraction sur moi. J’ai presque l’impression qu’il m’appelle.
Mark ne répondit pas. Il ne ressentait pas la même chose que Billy, mais ce miroir lui déplaisait fortement. Une sensation de malaise s’en dégageait et Mark voulait juste fouiller la cave et sortir au plus vite de cet endroit. Il allait s’éloigner du miroir quand il sentit une présence derrière lui. Il se retourna et vit Michaël. Le jeune homme était allongé dans un recoin et semblait inconscient. Mark appela Jean et Billy.
Les deux hommes s’approchèrent, mais quand Jean vit que c’était son fils, il se précipita sur lui et le secoua par les épaules. Michaël ne réagissait pas aux secousses. Ne sachant pas quoi faire, Jean se tourna vers Billy, mais celui-ci regardait avec effroi derrière Jean. Jean se retourna brusquement et sentit une brûlure aux mains. Il regarda son fils, mais le visage qui le fixait n’était plus celui de Michaël. Son visage était devenu celui d’un prédateur. L’œil noir et le sourire narquois, la chose le regardait d’un air amusé.
– Alors, Champion ? On ne dit pas bonjour à son fiston ?
Jean recula, terrifié. L’entité se redressa et les toisa d’un regard triomphant.
– Je suppose que ce n’est pas la peine que je me présente, n’est-ce pas ?
Elle s’avança lentement vers les hommes, l’air sûr d’elle.
– Qu’avez-vous fait à mon fils ? hurla Jean. Où est-il ? Est-il dans votre monde parallèle ? Est-il mort ?
La créature lui sourit.
– Ne t’inquiète pas, mon cher papa. Non, Michaël n’est pas mort. Il est ici avec nous. Disons qu’il fait un petit somme pour l’instant du moins.
Les trois hommes ne comprenaient rien à ce qu’elle disait. La créature semblait s’amuser de leur confusion. Jean brandit alors le crucifix qu’il tenait dans la main, mais la créature éclata de rire et dit :
– Vous pensez que ce bout de bois a un effet sur moi ? Vous me prenez pour quoi ? Un vampire ?
Jean ne savait pas quoi dire et baissa le bras, se sentant légèrement ridicule. L’entité le regarda avec condescendance.
– Bon, j’aurais aimé discuter avec vous plus longtemps, mais je n’ai pas de temps à perdre. Elle leva le bras et Mark et Billy furent projetés contre le mur. Les chaînes s’enroulèrent autour d’eux et les immobilisèrent. Jean resta pétrifié sur place.
– Qu’allez-vous faire ? demanda-t’il à la fausse Michaël. La créature lui sourit.
-Ce que je vais faire, Jean ? Eh bien, c’est très simple. Tu vois, ton fils est très spécial. Il a une âme si pure et innocente. Le réceptacle idéal pour ma renaissance. Mais pour pouvoir l’habiter pleinement, je vais devoir détruire toute cette lumière qui l’anime. Il était déjà bien affaibli depuis la mort de son grand-père, mais ce n’était pas suffisant. C’est là que tu interviens, mon cher assistant.
Jean ne saisissait pas. A ce moment-là, il entendit la porte de la cave s’ouvrir et la voix de Sylvia résonner.
– Jean ? Est-ce que tout va bien ? Qu’est-ce qui se passe ?
Jean voulut lui répondre, lui crier de ne pas descendre, mais il ne put pas ouvrir la bouche. Son corps était paralysé. L’entité prit alors une voix plaintive et répondit :
– Maman ? Maman, aide-moi s’il te plaît ! Je suis ici !
La voix était si semblable à celle de son fils que Jean en fut sidéré. Il entendit avec horreur les pas de Sylvia descendre les marches en appelant son fils.
– Michaël ? C’est toi ?
Jean essaya de se débattre pour se libérer, mais il avait l’impression que ses membres étaient figés. Il ne put que regarder, impuissant, sa femme entrer dans la pièce et le regarder avec inquiétude. Jean la regarda d’un air paniqué, essayant de la prévenir, mais quand elle vit Michaël, elle se précipita sur lui et le serra dans ses bras.
– Michaël, mon cœur ! Tu es là, enfin ! J’étais tellement inquiète ! Où étais-tu ? Tu es blessé ?
Trop occupée à examiner le corps de son fils, Sylvia ne remarqua son expression que quand elle leva les yeux vers son visage. Elle eut alors un mouvement de recul, mais avant qu’elle n’ait pu s’éloigner, la créature l’attrapa par le bras. Sylvia se mit à se débattre, mais la main qui la tenait était d’une force incroyable et ses efforts furent vains. La créature approcha son visage du sien et lui chuchota à l’oreille :
– C’est comme ça que tu traites ton fils, maman?
Sylvia était tétanisée. D’une voix tremblante, elle lui dit :
– Vous n’êtes pas mon fils ! Que lui avez-vous fait ?
La créature se mit à rire.
– Où crois-tu qu’il soit, ma chère Sylvia ? Tu as eu l’occasion de visiter ma demeure. Tu n’as pas une petite idée ?
Sylvia vit alors le miroir au fond de la pièce et ce qu’elle y vit la terrifia. Derrière le miroir, son fils la regardait d’un air terrifié. Il semblait lui crier quelque chose, mais aucun son ne sortait de sa bouche. Sylvia hurla, mais la créature lui plaqua une main sur la bouche.
– S’il te plaît, Sylvia. Arrête de hurler. D’habitude, j’aime entendre la peur dans la voix de mes victimes, mais tu comprendras que j’ai des projets et que je veux les réaliser. Donc, si tu veux bien coopérer, nous allons commencer. Sylvia ne comprenait pas, mais quand la créature la traîna vers la table métallique, ses yeux s’écarquillèrent d’horreur. Sylvia se souvint des photos des meurtres du docteur. Elle se débattit, mais la créature était trop forte. Sylvia se retrouva allongée sur la table métallique, les membres immobilisés. On aurait dit qu’une force invisible la retenait. L’entité ne se pressait pas. Elle se dirigea vers l’autel et regarda Michaël dans le miroir. Celui-ci semblait hurler en tapant contre la vitre, mais l’entité savait qu’il ne pouvait pas s’échapper.
Le docteur se rappela le jour de sa mort terrestre. Il avait lui aussi traversé le miroir et passé dans ce monde parallèle. Heureusement qu’il avait été formé par la meilleure sorcière vaudou qu’il ait connue. Sans elle, il n’aurait pas pu mettre son plan à exécution. Mais ça n’avait pas été facile. S’évader du fourgon de la gendarmerie n’avait pas été difficile. Il lui avait suffi d’hypnotiser les gardiens qui l’accompagnaient et de les convaincre de le libérer. Ils lui avaient même ouvert la porte ! Mais ensuite, la course-poursuite avait été épuisante et quand il avait enfin atteint sa rue, il avait dû user de ruse pour atteindre sa destination. Il était malheureusement tombé sur un jeune policier qui, sans le savoir, avait le don de voir à travers les illusions. Il n’était pas tombé sous le charme du docteur et lui avait tiré dessus à plusieurs reprises. Heureusement pour le docteur, l’autel et le miroir étaient toujours là, avec ses offrandes et ses maléfices, et il avait pu transférer sa conscience dans le miroir avant que son cœur ne s’arrête de battre. Néanmoins, il était resté longtemps dans ce monde parallèle et avait eu le temps de réfléchir à comment regagner le monde des vivants. Et c’est là qu’un miracle était arrivé. Une maison avait été construite au-dessus des fondations de sa demeure et ce cher Robert avait pu utiliser l’énergie vitale de ses habitants pour reprendre des forces. Mais ça ne suffisait pas. Il fallait un sacrifice de sang. Alors, quand cette bande de gamins imprudents avaient décidé de traverser le toit, le docteur y avait vu une occasion unique. Il pouvait interagir avec les matériaux de la maison et avait détaché les tuiles du toit, ce qui avait provoqué la chute de ce cher Julio et lui avait donné le sang nécessaire pour reprendre des forces. Ensuite, vu l’état du cerveau de ce pauvre garçon, il avait été facile de le manipuler et de lui faire perdre la raison. Mais il s’était trompé sur la force mentale de ce jeune homme. Malgré le harcèlement dont il était victime, le docteur n’avait pas pu l’inciter à tuer sa famille. Les catholiques et leurs principes ! Il s’était donc tourné vers le jumeau de celui-ci, mais lui non plus n’avait pas cédé. Quand Roberto avait enfin réalisé que l’entité qui était avec lui n’était pas son frère jumeau, il avait décidé d’arrêter de se nourrir. Le docteur l’avait pourtant assailli d’images horribles de sa famille agonisante, mais Roberto n’avait pas cédé. Quand il était mort à son tour, le docteur n’avait pas eu d’autre choix que de rejoindre le miroir. Il était plus fort, oui, mais pas assez pour trouver le réceptacle qu’il recherchait. Il avait bien tourmenté le vieil homme, mais celui-ci ne l’intéressait pas. Il préférait un jeune homme en pleine forme. Alors, il eut l’idée de le terroriser au point que la santé du vieil homme décline et qu’il soit obligé de quitter les lieux. Tout se passait comme le docteur l’avait espéré. Au fil des années, il avait pu se nourrir de nombreux locataires, mais ceux-ci ne restaient jamais assez longtemps pour qu’il puisse mettre son horrible projet à exécution. Il se contenta donc de se nourrir de leur peur pour gagner en pouvoir et attendit patiemment le jour où il trouverait enfin sa perle rare. Et ce jour était arrivé ! Le vieil homme était revenu dans sa maison et, comble de la joie, il était accompagné de sa famille.
Le docteur avait une onde de chaleur le traverser quand il vit le jeune homme entrer dans la maison. C’était lui, le joyau qu’il convoitait depuis si longtemps. Il avait été fasciné par l’éclat de son âme, si pure et si lumineuse. Il avait tout orchestré pour le briser, le pousser à la folie. Il avait manipulé son grand-père mourant, lui faisant croire qu’il épargnerait sa famille s’il venait le rejoindre. Il avait possédé sa mère, la transformant en marionnette sans volonté. Il avait détruit leur relation si fusionnelle, leur infligeant une souffrance inouïe. Il l’avait attiré dans son antre, son « laboratoire », et l’avait projeté de l’autre côté du miroir. Il avait dû libérer les autres prisonniers de leurs chaînes, mais qu’importe. Ils étaient impuissants, condamnés à assister au spectacle macabre. Il se pencha sur Sylvia, un sourire malsain aux lèvres, et commença à lui arracher son chemisier. Elle se débattit, mais en vain. Il était trop puissant, trop gorgé d’énergie accumulée au fil des années. Il allait enfin renaître ! Il saisit le couteau qu’il avait dissimulé sous le bord de la table sacrificielle et approcha la lame du torse de la jeune femme.
-Vous êtes prête, ma chère ? Ce sera un peu douloureux, mais je vous assure que ce sera rapide !
Jean hurla de rage et de terreur. Il tenta désespérément de se libérer de l’emprise du monstre, mais son corps était paralysé. Il vit avec horreur le docteur s’apprêter à égorger sa femme. Michaël, qui avait cessé de marteler la vitre, le fixait avec des yeux écarquillés. Soudain, des pas résonnèrent dans l’escalier. Une silhouette apparut et tous reconnurent Jimmy. Il semblait étrangement calme face à l’horreur qui se déroulait devant lui. Il avança lentement dans la pièce et posa son regard sur le faux Michaël. Puis il se tourna vers le miroir et ce qu’il y vit confirma ses soupçons. Le docteur avait pris possession du corps du pauvre garçon. Il soupira et s’approcha du docteur.
– Ne vous faites pas d’illusions, mon cher Jimmy, lança celui-ci d’un ton arrogant. Vous ne pouvez rien contre moi. Je dispose de suffisamment de pouvoir pour vous immobiliser. Alors restez sagement à votre place si vous voulez revoir votre frère vivant.
Jimmy regarda Billy et lui adressa un sourire triste. Il se dirigea vers lui et lui murmura à l’oreille :
-Ne t’inquiète pas Billy. Tout va bien se passer. Je te remercie pour tout ce que tu as fait pour moi. Merci de m’avoir aidé à accepter ce don, ou plutôt cette malédiction. Mais je dois t’avouer que je n’en peux plus. Si j’ai tenu le coup jusqu’à présent, c’est grâce à toi. Mais aujourd’hui, je vais enfin pouvoir me rendre utile. Pour une fois, cette malédiction aura servi à quelque chose de bien.
Billy ne comprenait pas ce que Jimmy voulait dire. Quand il le vit s’élancer vers le docteur, toujours armé de son couteau, il se mit à hurler son nom mais les chaînes le retenaient toujours. Des larmes coulèrent sur ses joues tandis qu’il assistait impuissant à la scène. Le docteur observa Jimmy s’approcher. Il y avait quelque chose d’inquiétant dans son calme apparent.
-Quel est ton but, mon cher petit médium ? Tes capacités sont certes fascinantes, mais elles ne te serviront à rien face à moi.
Jimmy s’assit sur une vieille chaise et jeta un coup d’œil aux autres. Ils étaient immobilisés, mais semblaient conscients. Il reporta son attention sur le docteur.
-J’ai quelque chose à vous proposer.
Le docteur le dévisagea, surpris, puis éclata d’un rire dément. Il se moqua de lui pendant de longues minutes, puis se calma et le fixa.
-Une proposition ? Et qu’as-tu à m’offrir qui pourrait me faire renoncer à mes plans ?
Jimmy sourit tristement à Michaël, puis regarda le médecin dans les yeux.
-Je veux vous parler d’un échange. Moi contre Michaël et sa famille. Le docteur le scruta avec malice et réfléchit.
-Qu’as-tu donc de plus que ce jeune garçon ? Il est le réceptacle idéal pour mon esprit. Pourquoi devrais-je te choisir toi ?
Billy, qui entendait tout, se mit à se débattre de nouveau. Mais Jimmy savait ce qu’il faisait. Il s’approcha du médecin et commença à plaider sa cause.
-Il est vrai que ce jeune homme a une âme pure et innocente. Mais son âge est un handicap. Il n’a que dix-sept ans. Cela ne pose pas de problème pour la réincarnation, mais qu’en est-il de la suite? Comment un adolescent pourrait-il s’échapper et recommencer une nouvelle vie sans être traqué par la police ? Son père a signalé sa disparition. Même si les autorités ne croiront jamais à une histoire de possession ou de réincarnation, vous serez vite rattrapé et enfermé dans ce corps, isolé dans un asile. Et vous savez mieux que quiconque comment on y vit, n’est-ce pas ? De plus, vous n’aurez pas d’argent. Et même si vos connaissances en médecine sont remarquables, vous devrez refaire vos études avant de pouvoir exercer à nouveau. Sans compter le père Rosso qui connaît bien la famille et qui pourrait vous causer des ennuis s’il se mettait à leur recherche.
Le docteur écoutait Jimmy avec attention. Il pesait le pour et le contre. Jimmy continua.
-Avec moi, vous auriez plus de facilité pour recommencer une nouvelle vie. Je n’ai que vingt-huit ans, ce qui n’est pas si vieux. Et je suis un médium renommé qui a une certaine notoriété. Je mène une vie confortable. Je suis également diplômé en médecine. Je suis prêt à vous laisser prendre possession de mon corps si vous libérez toutes les personnes qui sont ici ainsi que les âmes que vous avez piégées dans cet autre monde. Laissez ces âmes reposer en paix et laissez les autres reprendre leur vie et je vous suivrai sans résistance.
Le docteur hésitait. Il avait été tellement obsédé par sa renaissance qu’il n’avait pas pensé à sa vie future. Le petit médium avait des arguments convaincants. Il y eut un silence qui sembla durer une éternité, puis le docteur se décida et se dirigea vers le miroir, suivi de Jimmy. Celui-ci jeta un dernier regard à son frère.
-Adieu Billy. Je t’aime grand frère.
Billy sentit les larmes lui monter aux yeux en voyant Jimmy et le docteur franchir le miroir. Il voulut crier, les retenir, mais il ne pouvait pas bouger. Il assista, impuissant, à la disparition de son frère dans l’autre monde.
Chapitre 12
Jimmy était resté auprès de Philippe qui surveillait la progression de Mark, Jean et Billy à travers la caméra du sous-sol. L’image était brouillée, mais le son était clair. Ils virent le trio avancer vers le fond de la pièce et découvrir ce qui se cachait derrière le rideau en même temps qu’eux. Jimmy fut saisi par la vue du miroir. Même à travers l’écran, il sentait son pouvoir d’attraction. Il comprit alors que ce miroir était le passage vers le monde parallèle que le docteur s’était créé. Il réfléchit vite. Il n’était pas un spécialiste du vaudou, mais il connaissait les principes des portails. Si la sortie était dans la chambre des jumeaux, l’entrée devait être dans la cave. Il appela le Père Rosso. Celui-ci répondit aussitôt.
-Jimmy ? Quoi de neuf ? Avez-vous retrouvé Michaël ?
Jimmy trépignait d’impatience.
-Mon Père, je n’ai pas le temps de tout vous expliquer. C’est la folie ici. Mais j’ai besoin de vous demander un service. Ne me posez pas de questions, le temps presse. Pouvez-vous venir tout de suite ? J’ai besoin de vous pour sceller le portail de la chambre de Michaël. Je suis sûr que vous savez faire ça.
Le Père Rosso hésita un instant. Il réfléchit quelques secondes.
-Je pense pouvoir le faire, mais qu’en est-il des âmes prisonnières de l’autre côté ? Nous ne pouvons pas les abandonner ! Elles doivent continuer leur chemin !
Jimmy soupira.
-Ne vous inquiétez pas, mon Père. J’ai un plan et je pense qu’il a des chances de marcher. Mais dépêchez-vous, s’il vous plaît.
Sur ce, Jimmy raccrocha. Il croisa les regards d’Antoine et de Philippe qui le questionnaient du regard et se rapprocha d’eux.
-Tu as vraiment un plan ou tu improvises ? lui demanda Antoine.
Jimmy lui sourit.
-Un peu des deux. J’espère ne pas me tromper. Mais je vais avoir besoin de votre aide à tous les deux aussi.
Il leur exposa son idée. À en juger par leur expression, Jimmy vit qu’ils n’étaient pas du tout emballés par son idée.
-Tu ne peux pas faire ça, Jimmy. C’est trop dangereux ! Et Billy, tu y as pensé ?
Philippe regarda Jimmy avec tristesse. C’est vrai que ce n’était pas le meilleur plan du monde, mais il ne voyait pas d’autre solution. Il fallait qu’il tente le coup. Voyant que Jimmy était déterminé, Antoine et Philippe se résignèrent.
-Promets-nous de ne rien faire avant qu’on te donne le feu vert. Il faut respecter le timing à la lettre.
Découragés, les deux hommes lui firent la promesse demandée.
-Billy ne nous le pardonnera jamais ! dit Philippe d’un air désolé.
Jimmy posa la main sur l’épaule de son ami. Il était désolé de leur imposer ça, mais la situation l’exigeait. Il n’y avait pas d’autre issue possible.
–Ne t’en fais pas, Philippe. Billy comprendra que c’était la seule façon de faire. Et puis, c’est moi qui vous ai obligés à faire ça. Vous n’êtes pas responsables.
Philippe secoua la tête et baissa les épaules.
-OK, Jimmy. On fera comme tu dis.
Jimmy leur sourit et leur expliqua les différentes étapes de son plan. Il venait juste de finir quand le Père Rosso arriva. Il portait sa tenue de cérémonie et avait apporté tout le matériel que l’Évêque lui avait confié.
Sans perdre de temps, Jimmy lui demanda de monter à l’étage et de sceller le portail du placard. Le Père Rosso observa un moment ce jeune homme. Il ne savait pas pourquoi, mais il avait l’impression que c’était la dernière fois qu’ils se voyaient. Jimmy sentit l’angoisse du prêtre et lui fit un faible sourire.
– Ne vous en faites pas, mon Père. Tout ira bien. Scellez cette porte puis, quand Philippe et Antoine vous le diront, descendez à la cave et suivez leurs instructions.
Le prêtre accepta de monter à l’étage pour tenter de purifier la chambre. Il sentit une différence dans l’atmosphère, moins oppressante qu’avant, mais toujours inquiétante. Le portail qui s’ouvrait dans le placard semblait moins actif, moins menaçant. Il espéra que c’était bon signe.
Il déposa son matériel sur le bureau de l’adolescent et commença le rituel. Il récita des prières de libération pour Antonio et ses fils, prisonniers de ce lieu maudit. Il vit des boules de lumière se détacher du portail et se diriger vers la fenêtre, comme si elles cherchaient à s’échapper. Il pria encore plus fort, demandant à Dieu de refermer cette brèche infernale. Il s’approcha prudemment du placard et constata avec soulagement qu’il n’y avait plus rien d’anormal. Plus aucune vibration, plus aucune présence.
Il aspergea le cagibi d’eau bénite et y fixa un crucifix. Les boules de lumière avaient disparu. Le prêtre espéra que les âmes d’Antonio et des jumeaux avaient trouvé la paix. Il redescendit rejoindre les deux techniciens au moment où Jimmy et le sosie de Michaël franchissaient le miroir. Le Père Rosso n’en crut pas ses yeux. Quelle sorcellerie était-ce là ? Comment cela pouvait-il être possible ? Il se tourna vers les techniciens et Antoine lui expliqua ce qu’ils avaient découvert sur l’entité. Le Père écoutait avec attention.
-Donc, vous me dites que ce n’est pas un démon? Que cette chose que nous affrontons depuis si longtemps n’est que le fantôme d’un homme ?
Philippe intervint à son tour.
-Pas n’importe quel homme, mon Père. Un homme qui pratiquait la magie vaudou. Je sais que l’Église ne croit pas en ces choses-là et les considère comme des impostures, mais après tout ce que nous avons vu, je pense que vous devriez revoir votre jugement. Cet homme avait des dons particuliers depuis son enfance et la gouvernante haïtienne les a transformés en quelque chose de très noir. Quand on fait le bilan de tous les événements depuis l’arrestation du docteur, on ne peut que constater qu’on est dans le domaine du surnaturel. Sinon, comment expliquer qu’il ait pu s’évader d’un véhicule blindé sans l’aide de ses gardiens ? Comment a-t-il pu survivre sans son corps physique ? C’est de la magie noire, mon Père. Mais vous pouvez quand même nous aider.
Le Père Rosso le regarda avec étonnement.
-Vous aider ? Mais comment ? Je ne suis pas un sorcier !
Philippe s’assit à côté du Père et lui exposa le plan de Jimmy. Plus il parlait, plus il voyait que le Père Rosso était réticent à cette idée.
-N’y a-t-il pas une autre solution ? C’est du suicide !
Antoine se leva et s’approcha du Père Rosso.
-Je sais, mon Père. Nous sommes du même avis. Mais c’est la dernière volonté de Jimmy et nous avons accepté. Il est trop tard pour reculer maintenant. Jimmy a traversé le miroir. Nous devons attendre son signal et ensuite nous irons à la cave et nous ferons ce qu’il nous a demandé.
Le prêtre semblait déchiré intérieurement. Les deux techniciens lui laissèrent le temps de réfléchir. Le Père Rosso les regarda d’un air désolé puis finit par s’asseoir en soupirant, l’air résigné.
-S’il n’y a pas d’autre solution, je vous suivrai donc.
Antoine et Philippe le remercièrent et se remirent devant les écrans, attendant le signe de Jimmy. Rien n’avait changé dans la cave. Sylvia gisait toujours sur la table d’autopsie, Jean était pétrifié comme une statue de pierre et Mark et Billy étaient enchaînés au mur. Le miroir scintillait, attendant le retour de Jimmy et de son double maléfique. Les deux hommes faisaient les cents pas, impatients et angoissés.
A l’hôpital, Andréa était plongée dans le coma. L’infirmière qui veillait sur elle vérifiait ses constantes. Elle regarda les derniers scanners et vit la tumeur qui dévorait la moitié de son cerveau. Pauvre femme. C’était un miracle qu’elle soit encore en vie. En consultant son dossier médical, l’infirmière apprit qu’Andréa vivait avec cette tumeur depuis cinq ans. Une tumeur inopérable, incurable. Elle avait refusé la chimiothérapie, craignant de perdre son don de médium. Elle avait gardé son secret pour elle et avait continué à aider Billy dans ses enquêtes paranormales. Elle et Billy s’étaient rencontrés sur un cas de possession qui avait coûté la vie à la victime. Un lien unique les avait unis. Ils étaient restés en contact depuis. L’infirmière soupira et reposa les documents. Il n’y avait plus rien à faire pour cette femme. Elle allait sortir de la chambre quand elle entendit Andréa murmurer quelque chose. Elle se rapprocha et eut l’impression qu’elle parlait avec quelqu’un. Elle doit rêver, se dit l’infirmière. Elle écouta encore un moment et crut distinguer un prénom. Jimmy. Puis le silence revint. L’infirmière regarda Andréa encore un instant puis quitta la chambre.
Andréa voyait tout ce qui se passait autour d’elle. Elle voyait son corps décharné, allongé sur le lit d’hôpital, relié à des machines qui la maintenaient artificiellement en vie. Elle voyait le respirateur qui gonflait et dégonflait ses poumons, l’électroencéphalogramme qui mesurait son activité cérébrale. Elle sentait que la fin était proche. Elle l’avait acceptée. Mais elle ne pouvait pas y penser maintenant. Quand elle avait décidé de suivre Billy, elle savait que ce serait sa dernière mission. Elle savait qu’elle devait aider cette famille. Elle se regarda une dernière fois puis se tourna vers la porte de la chambre et se retrouva dans un couloir sombre. Elle ferma les yeux et se concentra, laissant ses pensées la guider vers la maison des Blanchart. Elle sentit une force l’attirer à une vitesse vertigineuse, comme si elle était aspirée par un aimant. Quand elle ouvrit les yeux, elle était dans la maison des Blanchart. Elle vit le prêtre et les deux techniciens assis dans le salon, hypnotisés par les écrans. Elle chercha Billy et le localisa au sous-sol. Elle ressentit sa détresse et sa colère. Elle sentit aussi d’autres présences avec lui.
Elle descendit prudemment les marches et découvrit la scène qui se jouait sous ses yeux. Billy et Mark étaient prisonniers des chaînes, Jean était immobilisé par une force invisible, Sylvia était clouée à la table de métal. Andréa s’approcha de Billy et il sembla percevoir sa présence.
-Andréa ? C’est toi ? dit-il d’une voix tremblante.
Andréa effleura la joue de Billy et il sentit une vague de chaleur l’envahir. C’était bien elle. Il tenta de lui transmettre ses pensées pour la mettre en garde, mais Andréa semblait déjà attirée par le miroir. Elle lui souffla un faible adieu, déposa un baiser sur sa joue et disparut dans le miroir.
De l’autre côté, Jimmy et le docteur se tenaient devant un autel semblable à celui de la cave des Lambert. Michaël était assis par terre, recroquevillé sur lui-même. Il se sentait faible et terrifié. Il voyait son corps possédé par cette entité et il avait l’impression d’avoir été violé. Même s’il récupérait son corps, il ne se supporterait plus. Il se sentait souillé pour toujours. Le docteur s’affairait à préparer le rituel de transfert. Jimmy le regardait avec curiosité. Il ignorait tout des pratiques de la magie et il était attentif. Le docteur devina son intérêt et se mit à lui expliquer les différentes étapes qui permettraient à Michaël de retrouver son corps et au docteur de prendre celui de Jimmy. Malgré l’horreur de la situation, le docteur trouvait que Jimmy était étrangement calme, comme résigné. Mais il ne s’en inquiétait pas. Ce monde était le sien. Il l’avait créé avec son esprit et il y avait tout pouvoir. Il avait remarqué que les âmes du vieil homme et de ses fils avaient disparu, mais il s’en fichait à présent. Il avait tout ce qu’il lui fallait. Il continua donc à mélanger ses potions, tout en discutant avec Jimmy. Il y avait longtemps qu’il n’avait plus parlé avec personne. Pas depuis que sa gouvernante avait été chassée de Belgique. C’était agréable.
Un peu distrait, il ne vit pas la silhouette translucide d’Andréa émerger du miroir. Michaël, toujours blotti dans un coin, observait les deux hommes discuter comme de vieux amis. Il ne savait pas ce que Jimmy mijotait, mais il préférait rester loin du médecin. Cet homme émanait une telle noirceur que Michaël en avait la nausée. Soudain, il sentit une présence et une chaleur l’envelopper. Quand il leva les yeux, il vit Andréa. Elle n’avait pas l’air réelle, pourtant il pouvait sentir sa compassion et sa force l’aider à reprendre courage. Elle posa un doigt sur ses lèvres pour lui faire signe de se taire et le garçon acquiesça. Andréa se glissa discrètement vers les deux hommes. Jimmy la remarqua mais ne laissa rien paraître. Elle en profita pour lui parler par télépathie, sans que le docteur ne s’en aperçoive. Jimmy entendait parfaitement sa voix dans sa tête. Elle lui expliqua son plan pendant quelques minutes puis se fit plus discrète.
Heureusement, car le docteur se tourna vers Michaël.
-C’est l’heure, mon cher. Je vais te rendre ton corps et tu pourras retrouver ta famille. Tu es content, n’est-ce pas ?
Michaël se redressa mais ne dit rien. Il regarda Jimmy et celui-ci lui fit signe d’approcher. Le docteur enduisit son corps d’une huile visqueuse et fit de même sur le jeune homme. Il traça des symboles étranges sur le torse de Michaël. Puis, il se mit à psalmodier une langue inconnue et Michaël se sentit aspiré par son propre corps. Tout devint noir un instant puis, quand Michaël rouvrit les yeux, il vit son reflet dans le miroir. Il avait retrouvé son apparence.
Le docteur était à côté de lui mais il avait une apparence translucide. Cependant, il dégageait une puissance phénoménale. Une sorte de brouillard noir et épais l’enveloppait. L’air de la pièce devint irrespirable. Une odeur de putréfaction envahit les lieux. Jimmy observait aussi le médecin avec une certaine terreur mais resta immobile. Il se tourna vers Michaël et lui montra le miroir du doigt. Michaël regarda le médecin. Le visage de l’homme changeait sans cesse, passant d’une apparence humaine à une allure de démon. Mais le pire était les visages de nombreux jeunes garçons qui apparaissaient sur le torse de la créature. Chaque visage exprimait une horreur sans nom. Michaël était fasciné par cette vision cauchemardesque.
-Tu peux partir, jeune homme, lui dit la créature. Je n’ai plus besoin de toi.
Michaël leva les yeux vers le sourire cruel de la créature et celle-ci lui fit signe de se dépêcher avant qu’elle ne change d’avis. Michaël recula lentement vers le miroir et, avant de le franchir, se tourna vers Jimmy. Il voulait lui dire tant de choses ! Mais Jimmy secoua la tête.
-Vas-y Michaël. Je sais ce que tu veux me dire et je te remercie pour tout. Mais une promesse est une promesse. Tu es libre. Va rejoindre ta famille. Tout sera bientôt fini.
Michaël ne dit rien mais les larmes coulèrent sur ses joues. Il regarda une dernière fois Jimmy puis traversa le miroir, dans un éclair de lumière bleue, qui le ramena dans la cave familiale. Il tomba lourdement sur le sol et perdit le souffle. Il essaya de se relever. Quand ses yeux s’habituèrent à l’obscurité, il vit sa mère sur la table en acier et son père à côté d’elle. Il les toucha et, comme par magie, ses parents furent libérés du sortilège. Sa mère se redressa et le serra dans ses bras en pleurant. Son père s’approcha avec prudence, scrutant son fils dans les yeux, et fut soulagé de reconnaître Michaël.
Billy et Mark étaient enfin libres de leurs liens, grâce à l’aide du prêtre et des deux techniciens qui venaient de les rejoindre. Billy se précipita vers le miroir, espérant retrouver son frère de l’autre côté. Mais il se heurta à une barrière invisible qui l’empêchait de passer. Il appela Jimmy à plusieurs reprises, mais aucun son ne lui parvint. Il essaya de forcer le passage, de se glisser entre les mailles du miroir, mais rien n’y fit. Il finit par s’asseoir, découragé, et attendit. Peut-être qu’en se concentrant, il pourrait entrer en contact avec Jimmy. Mais le miroir restait muet. Il se releva et commença à arpenter la pièce, anxieux. Il se tourna vers Michaël, qui semblait être le seul à savoir ce qui se passait de l’autre côté. Mais le jeune homme était comme pétrifié, tremblant et agrippé aux bras de sa mère. De l’autre côté, le docteur s’avança vers Jimmy. Il avait pris une forme monstrueuse, avec des visages hurlants qui surgissaient de son torse. Jimmy était terrifié par cette vision cauchemardesque.
-C’est le moment, très cher, murmura le docteur. Le moment de ma renaissance. Jimmy ne dit rien. Il n’avait plus la force de fuir.
-Je dois admettre que je vous admire, lui dit le docteur. Vous êtes prêt à vous sacrifier pour sauver ce jeune homme. C’est un acte noble et admirable. Même si je n’en saisis pas les motivations. Mais cela n’a pas d’importance, n’est-ce pas ?
Jimmy fixait le médecin avec mépris. Sans Michaël à ses côtés, il n’avait plus aucune raison de cacher son aversion pour cet être abject.
-Vous n’êtes qu’un monstre sans âme, lui cracha-t-il. Le sacrifice ne signifie rien pour vous. Vous n’avez que faire de la vie des innocents que vous utilisez pour vos expériences atroces. Vous me répugnez.
Le docteur leva les yeux vers Jimmy, surpris, puis se mit à rire aux éclats, comme si Jimmy venait de lui faire une bonne blague. Il reprit son sérieux et, sans un mot, enduisit Jimmy d’une substance nauséabonde. Jimmy sentit que sa fin approchait. Il pria silencieusement pour que tout soit rapide et indolore. Il frissonna au contact des doigts glacés de la créature sur sa peau. Mais alors que le docteur commençait à psalmodier, une lumière éblouissante jaillit. Elle s’approcha lentement du docteur par derrière et l’enveloppa comme un linceul. Une fine couche blanche semblait se coller à son corps.
-Que se passe-t-il ? hurla le docteur. Quelle est cette sorcellerie ?
Il tourna son regard furieux vers Jimmy et son visage se déforma en une expression féroce et effrayante.
-Qu’as-tu fait, misérable ver de terre ?
Jimmy resta bouche bée. Il ignorait ce qui se passait. La couche blanche montait progressivement sur les membres de la créature.
Le docteur se débattait de toutes ses forces pour se libérer de cette membrane qui l’emprisonnait comme un cocon. Il essayait de la déchirer mais ses doigts la traversaient. Jimmy était fasciné par ce qu’il voyait. La membrane semblait partir de ses pieds et remonter le long de son corps. Elle avait déjà recouvert ses jambes, son ventre, sa poitrine. Le docteur hurlait de rage et de désespoir.
-Sale petit médium ! cracha-t-il à l’adresse de Jimmy. Quel est ton tour de passe-passe ? Tu crois que tu vas me tuer et t’échapper ? Tu te trompes ! Si je meurs, tu resteras prisonnier ici à jamais !
Jimmy était pétrifié. Il ne savait pas d’où venait cette chose qui attaquait le docteur. Il n’avait rien fait pour la provoquer. Quand la membrane atteignit le cou du docteur, Jimmy vit avec stupeur le visage d’Andréa apparaître à travers la substance gluante. Elle avait l’air de souffrir atrocement. Elle regarda Jimmy avec un mélange de tristesse et de détermination. Elle lui parla d’une voix faible :
-Fuis, Jimmy ! Fuis tant qu’il est temps ! Je ne peux pas le retenir longtemps ! Cours vers le miroir !
Jimmy hésita. Il ne voulait pas abandonner Andréa. Mais elle lui dit encore :
-Fuis, Jimmy ! C’est trop tard pour moi ! Fuis et sauve-toi !
Jimmy vit le docteur se transformer à nouveau en monstre. Il comprit que la résistance d’Andréa faiblissait. Le cocon se craquelait de partout, laissant apparaître les griffes, les crocs, les yeux rouges du monstre. La lumière d’Andréa était presque éteinte, engloutie par les ténèbres. Il n’y avait plus rien à faire pour la sauver.
Jimmy se précipita vers le portail, le cœur serré. Il jeta un dernier regard vers le monstre qui se libérait de sa prison. Il vit son regard de haine se poser sur lui. Il entendit son rire dément résonner dans la pièce. Il sauta dans le portail sans réfléchir. Le miroir devint transparent et Jimmy tomba aux pieds de son frère. Billy n’eut pas le temps de dire un mot qu’Antoine et Philippe attrapèrent Jimmy et l’éloignèrent du portail. Jimmy se mit à crier :
-Dépêchez-vous ! Cassez-le ! Cassez-le !
Les deux hommes saisirent des barres de fer qui traînaient sur le sol et frappèrent le miroir de toutes leurs forces. Le miroir se fissura en plusieurs endroits et, avant de se briser complètement, ils entendirent tous les hurlements de colère du monstre qui était resté de l’autre côté. Puis, il y eut une explosion. Des éclats de verre volèrent dans tous les sens. Ils se protégèrent le visage avec leurs bras. Quand le calme revint, Billy se précipita vers Jimmy, le releva et le prit dans ses bras.
Le prêtre s’approcha du miroir brisé et le bénit avec de l’eau sainte tout en récitant une prière de protection. Quand il eut fini, il poussa un soupir de soulagement. C’était fini. Enfin ! Ils avaient vaincu cette horreur. Le groupe se rassembla et le prêtre leur demanda de former un cercle en se tenant par la main.
-Il nous reste une dernière chose à faire, leur dit-il. Nous allons prier pour la libération des âmes qui ont été captives de cette créature maléfique pendant si longtemps.
Ils se prirent tous par la main et le prêtre commença sa prière. Des petites sphères de lumière apparurent dans l’air. Il y en avait une trentaine. Elles scintillèrent un instant, puis s’envolèrent vers le plafond de la cave. Elles étaient libérées. Il n’en resta que trois. Elles prirent brièvement une forme humaine et Sylvia éclata en sanglots. C’était son père et ses frères. Ils s’approchèrent d’elle, lui touchèrent l’épaule avec tendresse, puis disparurent à leur tour. Ils étaient en paix. La prière se termina et ils remontèrent tous à l’étage.
Jean arracha le crucifix de la main du prêtre et le cloua sur la porte de la cave. Mark le regarda avec étonnement.
-On n’est jamais trop prudent, dit Jean avec un sourire forcé.
Mark haussa les épaules et ne dit rien. Michaël resta un moment dans le couloir et observa les lieux. L’endroit semblait plus clair et plus serein. Il n’y avait plus aucune trace de malveillance. Pourtant, il avait du mal à réaliser qu’il avait réussi à vaincre le monstre. Il se sentait encore faible et nauséeux. Il rejoignit les autres. Et c’est ainsi que la vie reprit son cours normal. Le monstre avait été vaincu et la famille retrouva peu à peu son équilibre.
Billy et Jimmy se rendirent à l’hôpital où ils apprirent la mort d’Andréa. Ils organisèrent les funérailles, la pauvre femme n’ayant plus de proches. Michaël et ses parents y assistèrent. Le prêtre Rosso, qui avait pratiqué l’exorcisme, rentra chez lui et rédigea un rapport détaillé des événements pour l’évêque. Il lui annonça également sa décision de quitter son poste de curé de la paroisse. Après tout ce qu’il avait vécu, il se sentait trop vieux pour affronter les forces du mal. Ce qu’il ne dit pas, c’est qu’il faisait des cauchemars horribles où il entendait encore les cris du démon qu’il avait combattu. Il se retira dans un monastère où il finit ses jours dans une relative tranquillité. Mais il ne put jamais oublier l’histoire de la famille Giorno.
Billy et Jimmy rentrèrent chez eux. Billy, avec l’accord de Sylvia et Jean, écrivit un livre sur les événements qu’ils avaient vécus, en changeant les noms pour des raisons évidentes. Il remporta le prix du meilleur roman d’horreur de l’année. Jimmy rejoignit une association qui luttait contre la cruauté envers les animaux. Il ne se servit plus de son don pendant longtemps. Il avait confié à Billy ce qu’il avait vu dans le portail : l’apparition d’Andréa et le cocon qu’elle avait formé autour du docteur. Cela l’avait profondément bouleversé. Billy avait fait des recherches approfondies sur ce phénomène, mais il n’avait jamais trouvé d’explication satisfaisante. Il ne savait pas non plus si Andréa était déjà morte quand elle s’était attaquée au docteur, ou si son corps était encore vivant. Il se demandait ce qu’était devenue son âme.
Était-elle coincée dans ce monde parallèle, s’il existait encore, ou avait-elle été libérée avec les autres victimes ? Toutes ces questions le tourmentaient et l’empêchaient de trouver le sommeil les nuits d’hiver où le temps semblait suspendu et que la lumière blafarde du matin n’arrivait pas à réchauffer la journée qui commençait.
Un mois après les événements, les parents de Michaël décidèrent de déménager et mirent la maison en vente. Malgré que la maison soit libérée de l’entité, les mauvais souvenirs qui la hantaient les empêchaient de s’y sentir bien. Ils trouvèrent un bel appartement à quelques rues de là et y emménagèrent. Michaël reprit les cours et recommença à voir ses amis. Ils ne lui posèrent jamais de questions sur ce qu’il s’était passé et Michaël n’en parla jamais non plus. Ils vécurent ainsi relativement heureux pendant près de dix ans. Son père avait retrouvé du travail dans une banque et sa mère s’était remise à peindre des tableaux.
Michaël termina ses études secondaires et entama des études de médecine. Il n’avait pas prévu de se lancer dans cette voie, mais quelque chose au fond de lui le poussait à étudier l’anatomie humaine. Il pensait que c’était à cause du traumatisme qu’il avait subi en voyant sa mère possédée. Il voulait être capable de l’aider si elle tombait malade. Il ne supportait pas l’idée d’être impuissant face à la souffrance. Il poursuivit ses études et rendit souvent visite à ses parents.
Sa mère était toujours ravie de le voir, mais Michaël remarqua que son père avait toujours l’air inquiet quand il venait chez eux. Quand Michaël lui demandait ce qui n’allait pas, Jean lui répondait qu’il lui fallait du temps pour oublier leur cauchemar. Il savait que son fils n’était pas coupable des malheurs qu’ils avaient subis, mais il n’arrivait pas à effacer de sa mémoire la voix du docteur sortant de la bouche de son propre fils.
Mais Michaël ne s’en faisait pas trop. Il était sûr qu’avec le temps, son père finirait par tourner la page et que la vie reprendrait ses droits. Pas comme avant, bien sûr, mais avec plus d’optimisme. Car si après tout ce qu’ils avaient traversé, leur famille n’était pas plus forte, alors à quoi servaient les épreuves ? C’est sur ces pensées apaisantes que Michaël s’endormit.
Mais il ne savait pas que son sommeil serait troublé par un rêve étrange. Il se revoyait dans la cave, face au portail. Le miroir était intact et il reflétait une image déformée de lui-même. Il entendit une voix familière lui parler :
-Michaël… Michaël… C’était la voix d’Andréa.
Elle semblait lointaine et faible, mais il la reconnaissait sans peine.
-Andréa ? dit-il, surpris. Où es-tu ? Que veux-tu?
-Michaël… Michaël… Aide-moi… Aide-moi…
Elle répétait ces mots comme un appel désespéré. Michaël sentit son cœur se serrer. Il voulait aider Andréa, mais il ne savait pas comment. Il s’approcha du portail, comme attiré par la voix. Il tendit la main vers le miroir, comme pour le toucher.
Mais avant qu’il n’atteigne la surface, il entendit un autre rire. Un rire qu’il connaissait trop bien. Un rire qui lui glaça le sang. C’était le rire du docteur. Il vit son visage apparaître dans le miroir, à côté de celui d’Andréa. Il avait l’air triomphant et cruel. Il dit à Michaël :
-Tu croyais m’avoir vaincu, n’est-ce pas ? Tu te trompes, Michaël. Je suis toujours là. Et je reviendrai te chercher. Toi et ta famille. Vous ne serez jamais tranquilles. Jamais !
Michaël recula, terrifié. Il voulut crier, mais aucun son ne sortit de sa bouche. Il se réveilla en sursaut, trempé de sueur. Il regarda autour de lui, cherchant à se rassurer. Il était dans sa chambre, dans son lit.
Ce n’était qu’un cauchemar. Rien de plus. Il se leva et alla boire un verre d’eau. Il essaya de se calmer et de se convaincre que tout allait bien. Ils avaient vaincu ce monstre.
Il regagna son lit et s’endormit aussitôt. Par l’entrebâillement de la porte de la salle de bain, le miroir se mit à luire d’une lueur bleutée. Un rire sardonique résonna, puis plus rien. fer
La prison de verre
Derrière le miroir
Tome 1
Chapitre 1
Les monstres n’existent pas.
Du moins, c’est ce que j’avais toujours cru jusque-là. Mais avant de vous conter mon histoire, je dois vous expliquer le contexte dans lequel ma famille est passée d’une charmante bourgade du nom de Bruz en France à une misérable et terrifiante maison de coron située dans un petit village de Belgique. Je m’appelle Michaël Blanchart et, à l’époque, j’étais un adolescent de dix-sept ans passionné d’histoire. J’adorais lire des romans historiques mais j’étais également passionné par le paranormal. Bizarre ? Peut-être, mais j’étais fait ainsi. J’étais aussi très introverti, ce qui n’était pas pratique pour se faire des amis, je l’avoue. Du haut de mon mètre quatre-vingts, j’avais tendance à intimider mes camarades, mais cette impression ne durait pas dès qu’ils se rendaient compte de ma timidité maladive. Le nez toujours dans mes bouquins, je m’étais donc forgé la réputation d’un géant solitaire. Un géant affublé d’une longue chevelure noire, d’un nez aquilin et des yeux bleu azur. Avant de quitter Bruz, j’étais inscrit dans une école catholique privée du nom de Providence. Mon père, Jean Blanchart, Français de naissance, travaillait au Crédit Agricole de Bruz. Il adorait son travail. Malheureusement, m’avait-il expliqué un soir, quand vous êtes performant, et mon père l’était, vous avez des problèmes avec ceux qui veulent en faire le moins possible et vous finissez par les gêner. Dix années ont suffi à mon père pour comprendre que seuls les « piranhas », comme il les appelait, s’en sortaient. Bien que la banque ait mis toute une politique en place pour le bien-être au travail, le bureau des ressources humaines était bien trop éloigné du terrain pour défendre efficacement ceux qui mettaient toute leur énergie et leur temps au service du client. Ainsi, après une décennie d’heures supplémentaires, de pressions quotidiennes et d’exigences de plus en plus sollicitées, mon père avait fini par craquer. Il était rentré un soir, la mine sombre et les yeux rougis, et avait annoncé à ma mère qu’il allait démissionner. Il avait l’air si vieux, si fragile que j’en ai eu le cœur serré. A quarante-deux ans, ses tempes étaient déjà grisonnantes et il paraissait usé. Lui qui avait toujours été d’une nature enjouée, qui aimait rire et était d’un naturel optimiste m’a paru ce soir-là comme éteint. Je me souviens l’avoir vu s’asseoir en silence à la table de la cuisine, mettre son visage dans ses mains et fondre en larmes.
De toute ma vie, je ne l’avais jamais vu dans cet état. Mais il est vrai que quand on est jeune, on ne remarque pas toujours quand une personne va mal. Et comme mon père était toujours de bonne humeur quand il rentrait du travail, je ne m’étais jamais demandé si tout allait bien pour lui en général. J’étais dans le salon en train de faire mes devoirs et je voyais donc la cuisine. Ma mère, qui était en train de préparer le dîner, n’avait pas répondu mais s’était avancée vers mon père et l’avait serré dans ses bras. Il avait l’air si désemparé que j’allais me lever pour le rejoindre mais je vis ma mère secouer la tête, m’intimant de rester à ma place. Tout en caressant doucement ses cheveux, elle le laissa s’épancher dans ses bras et quand ses sanglots se transformèrent en simples reniflements, elle lui donna un mouchoir et le rassura en lui promettant que tout allait s’arranger. Ils trouveraient une solution ensemble, comme ils l’avaient toujours fait. Elle était ainsi, ma mère. Toujours positive, toujours aimante, toujours disponible. Italienne de naissance, ma mère Sylvia Giorno était femme au foyer depuis ma venue au monde. Avant de rencontrer mon père, elle vivait en Belgique, dans un village appelé Péronnes Charbonnage. Elle venait d’une famille nombreuse d’immigrés italiens qui avaient travaillé dans les mines de charbon. Heureusement, c’était bien après l’horrible accident du Bois du Cazier, où plus de deux cent trente mineurs avaient péri dans un incendie souterrain. Son père et sa mère avaient mis tout en œuvre pour scolariser leurs quatre enfants, et quand ma mère eut terminé ses études secondaires, elle décida de s’inscrire aux Beaux-arts de Paris et quitta donc son pays natal pour suivre ses cours, logeant dans un petit appartement partagé avec d’autres étudiants. C’est là qu’elle le rencontra. Il faisait un Master en sciences juridiques et financières. Ils eurent le coup de foudre immédiat. Oui, c’est un peu fleur bleue, mais c’est ainsi que mes parents m’ont toujours raconté leur rencontre. Et quand je les revois dans mes souvenirs, après tant d’années de mariage, je me dis qu’ils avaient raison. Que c’était ça le grand amour. Quand mon père fut enfin calmé, il sembla remarquer ma présence et se força à sourire en me demandant : -Alors, comment tu vas champion ? Comme d’habitude, il essayait de me rassurer. Je me levais et allais l’embrasser. Nous avions une très belle relation, lui et moi. Je lui répondis que tout allait bien et lui retournais la question. Il devait voir l’inquiétude sur mon visage car il se leva et me serra dans ses bras en m’assurant qu’il était simplement fatigué. Une voix se fit entendre à l’autre bout de la maison. Ma mère se dirigea vers la chambre d’amis où se trouvait mon grand-père Antonio, que j’appelais Nonno. Mon grand-père vivait avec nous depuis le décès de sa femme, il y a de cela plus de vingt ans. Je n’ai pas eu la chance de la connaître mais mon Nonno m’en avait si souvent parlé que je me sentais proche d’elle sans l’avoir jamais vu.
D’après ce que ma mère m’avait raconté, sa mère Giulia était partie au marché et sur le chemin du retour, elle avait été percutée par un chauffard qui était sous l’emprise de l’alcool. Le choc l’avait tuée sur le coup. Mon grand-père ne s’en était jamais remis. Et quand il tomba malade, ma mère décida de mettre sa petite maison de coron en location et installa son père chez nous. Je me dirigeais également vers la chambre et vis que mon grand-père était assis dans son fauteuil et regardait ma mère d’un air interrogateur. Il avait dû entendre mon père pleurer et semblait inquiet. Ma mère le rassura et lui demanda s’il voulait se joindre à nous pour le dîner, ce qu’il accepta avec joie. Quand il était dans une de ses bonnes journées, comme il les appelait, il aimait partager notre compagnie autour d’un bon plat et nos conversations étaient assez animées. Lui aussi était un féru d’histoires et il n’était pas rare que je passe la soirée entière à discuter avec lui de tout et de rien mais surtout des sujets qui me passionnaient. Quand il rejoignit la cuisine avec ma mère, mon père se leva instantanément et lui avança une chaise pour qu’il s’y installe. J’aimais voir mon grand-père sourire. C’était plutôt rare à cette époque, son emphysème pulmonaire s’étant aggravé avec les années. Mais malgré ses souffrances, il était solide. Jamais il ne se plaignait et surtout il nous aimait. Rien ne lui faisait plus plaisir que de passer du temps avec nous. Il considérait mon père comme son propre fils et était toujours à l’écoute quand mon père lui demandait conseil. Ce soir-là, nous dînâmes dans la bonne humeur et le repas terminé, ma mère me demanda d’aller finir mes devoirs dans ma chambre. Je me doutais que mes parents voulaient parler de la situation avec mon grand-père donc je pris mon sac de cours, embrassai ma petite famille et montai dans ma chambre. Je laissai néanmoins ma porte entr’ouverte dans l’espoir de capter quelques bribes de la conversation mais ma mère dut se douter de mon stratagème car elle avait refermé la porte menant au salon. Je m’installai donc à mon bureau et entrepris de me concentrer sur mon devoir de mathématiques. Après plus de deux heures d’efforts, je fermai mon cahier et entendis la voix de mes parents souhaiter une bonne nuit à mon grand-père. Ils montèrent à l’étage et j’entendis frapper à ma porte. Mon père et ma mère entrèrent, me demandant si j’avais fini mon travail et m’embrassèrent avant de regagner leur chambre. Ils ne me dirent rien de plus ce soir-là, mais leur expression me faisait dire que notre vie était sur le point de changer. Aujourd’hui, je me rends compte que j’étais loin de savoir à quel point. Plongé dans mes pensées, je me mis en pyjama et allai me coucher. Cette nuit-là, mon sommeil fut rempli de cauchemars mais quand je me réveillai le lendemain, je n’avais plus aucun souvenir de ceux-ci. La semaine qui suivit cette soirée se passa normalement. J’allai à l’école et mon père, ayant écrit sa lettre de démission le soir même où il avait annoncé sa décision à ma mère, était parti au travail pour clôturer certains dossiers qui exigeaient sa présence. Ma mère avait accompagné mon grand-père à l’hôpital pour un examen de routine. Le vendredi, quand mon père rentra à la maison, il me demanda de rejoindre ma mère et mon grand-père dans le salon. Je descendis donc de ma chambre et allai m’installer sur le canapé. Mon père m’annonça qu’au vu de la situation, ils avaient décidé, ma mère et lui, de retourner en Belgique dans la maison de mon grand-père. Mes parents attendaient de voir ma réaction mais je ne savais pas quoi répondre. Devant mon silence, ils m’expliquèrent que leur situation financière ne nous permettait plus de vivre à Bruz et que le temps que mon père retrouve un emploi, mon grand-père lui avait proposé d’aller vivre dans sa maison, ce qui donnerait du temps à mes parents pour se remettre sur pieds.
Voyant que je ne répondais toujours pas, mon grand-père tenta de me rassurer en m’expliquant que la Belgique n’était pas si différente de la France et qu’il était sûr que je serais beaucoup plus épanoui à la campagne. Sincèrement, je n’y voyais pas d’objections. Je leur dis donc que j’étais d’accord et ils parurent tous soulagés, ce qui me fit sourire. Mon grand-père me prit dans ses bras et m’embrassa en me disant que j’étais un bon garçon. Ma mère aussi était ravie. Mon père paraissait soulagé et me promit que tout cela serait temporaire et que c’était pour moi l’occasion de visiter un autre pays. Sur cette nouvelle, je regagnai ma chambre sans rien dire d’autre. La Belgique. Je ne connaissais rien de ce pays. Je me dirigeai donc vers mon ordinateur et fis une recherche. Quand le résultat s’afficha, je remarquai que c’était un tout petit pays à côté de notre chère France. Je tapai le nom du village de mon grand-père et tombai sur quelques images de petites maisons et d’étendues de champs. Ce n’était pas Bruz, c’est sûr. Mais je n’étais pas difficile. Après tout, ce n’était pas comme si j’avais une vie sociale et des amis à quitter. Rappelez-vous, j’étais le géant solitaire. En plus, j’étais curieux de voir l’endroit où ma mère avait grandi. C’est donc serein que je me couchai ce soir-là.
Le lendemain, je me rendis donc au secrétariat de mon école pour leur annoncer notre départ prochain et je fus étonné de voir la réaction des élèves de ma classe qui m’organisèrent dans la semaine un pot de départ en me souhaitant bonne chance dans ma nouvelle vie. J’ai toujours cru qu’ils me prenaient pour quelqu’un d’étrange et je me rendis compte à ce moment-là qu’ils allaient me manquer. Cependant, cela me rassura aussi. Si je n’étais pas le bizarre de service, mon entrée dans une autre école devrait bien se passer. Quand la fin du mois arriva, mon père revint avec une excellente nouvelle. Notre maison s’était vendue à un très bon prix, ce qui nous permettrait de subvenir à nos besoins pendant un temps. Le lundi suivant, ma mère m’annonça qu’il était temps que j’emballe mes affaires car nous partions à la fin de la semaine. Je passai donc mes journées à empiler mes vêtements et mes livres dans plusieurs valises et aidai mon père à charger la camionnette qu’il avait louée en vue du déménagement. Ma mère emballa la vaisselle et fit les valises de mon grand-père, s’assurant de ne rien oublier. Dans l’après-midi, nous prîmes la route, mon père au volant de la camionnette et ma mère, mon Nonno et moi-même dans notre voiture. Le trajet promettait d’être long. D’après le GPS, nous étions à presque sept cents kilomètres de notre destination. Lorsque nous arrivâmes à hauteur de Paris, mon père s’engagea sur un petit parking qui jouxtait un restaurant italien. Ma mère se gara juste à côté de la camionnette et nous profitâmes de cet arrêt pour nous restaurer et surtout pour soulager nos vessies. Le repas fut convivial, les plats excellents et lorsque le serveur nous apporta l’addition, ma mère en profita pour s’occuper de son père. Il avait l’air épuisé par le voyage et ma mère s’inquiéta de son teint pâle mais il la rassura. Tout allait bien et il était heureux de revenir chez lui. Nous reprîmes donc la route. Plusieurs heures plus tard, nous arrivâmes enfin à destination.
Mon père se gara devant la maison, suivi de ma mère. Mon grand-père regardait d’un air satisfait la façade brune aux briques sales, laissant traîner son regard sur la demeure. Je ne fus pas aussi enthousiaste que lui. La maison avait l’air minuscule et semblait laissée à l’abandon. Les fenêtres étaient sales et ressemblaient à des yeux qui nous regardaient d’un air mauvais, comme si nous étions responsables de son état. Le toit était en pente aiguë fait de tuiles flamandes. La porte d’entrée avait vraiment besoin d’un bon coup de peinture. Il faisait sombre à l’intérieur, malgré le soleil éclatant dans le ciel. Un vrai taudis. La vérité, c’est que cette maison me mettait mal à l’aise et quand ma mère introduisit la clé dans la serrure, je fus parcouru par un frisson glacé qui remonta le long de ma colonne vertébrale, faisant dresser mes cheveux sur ma nuque. C’était ridicule bien sûr. Cette maison était vieille et mal entretenue mais rien ne pouvait me laisser croire que je risquais quoi que ce soit sous son toit. Pourtant, en pénétrant dans la maison, mon malaise persista. La pièce de devant était minuscule. Composée d’une énorme cheminée aux proportions grotesques, elle ne devait cependant pas dépasser les huit mètres carrés. Nous avançâmes et tombâmes sur un minuscule couloir où se dressait un escalier qui permettait de monter à l’étage. S’ensuivait une autre pièce un peu plus spacieuse où trônait au fond une minuscule cuisine et une autre porte donnant sur une salle de douche. Ma mère installa son père sur un vieux canapé laissé par les anciens locataires et me demanda d’aller inspecter les chambres. Je montai doucement les escaliers, comme sur la défensive. Il faisait vraiment sombre malgré les luminaires. J’arrivai sur le palier et constatai que l’étage ne comportait que deux petites chambres de plus ou moins dix mètres carrés chacune. Elles étaient vides mais le sol était poussiéreux et les vitres salies par de nombreuses intempéries. Le papier peint fané était d’un marron foncé avec de petites striures blanches. Le sol était couvert d’un vieux linoléum gris. Il était clair que personne n’avait fait le ménage depuis un bout de temps. L’autre chambre était identique. Même papier peint, même linoléum. Je revins sur le palier et, regardant par la petite fenêtre qui éclairait peu le couloir, je remarquai une corde pendant du plafond. Je la saisis et tirai dessus doucement. Un escalier escamotable se déplia en grinçant et un carré d’obscurité apparut. Je montai prudemment les marches et passai la tête par la trappe. C’était un grenier. Il devait bien faire la surface des deux chambres du dessous. Je montai le restant des marches et regardai autour de moi. La pièce avait certainement été aménagée en chambre supplémentaire mais elle n’était guère plus accueillante avec son papier peint orange garni de grosses fleurs brunâtres. Le tapis était jauni aux endroits où s’étaient trouvés d’anciens meubles. Le sol était revêtu d’un vieux linoléum marron usé par les années. La pièce comportait un placard exigu qui devait certainement servir de fourre-tout. Il était vide également. Un petit velux laissait passer quelques rayons de soleil mais la vitre était tellement sale que la lumière avait du mal à filtrer. En retournant vers l’échelle, j’eus une étrange sensation. Comme une impression d’être observé. Je me retournai mais, évidemment, il n’y avait personne. Je redescendis l’échelle et repassai par le petit palier quand je constatai que les portes des chambres étaient grandes ouvertes. Je fus un instant déstabilisé car j’étais certain d’avoir refermé derrière mon passage mais je décidai de ne pas m’attarder sur le sujet. Après tout, j’avais peut-être oublié de refermer les portes. Je descendis l’escalier en direction du rez-de-chaussée et rejoignis mes parents dans le « salon».
Là aussi, le papier peint était affreux et le sol tellement sale qu’il était impossible de savoir sur quoi nous marchions. On aurait dit une étable. Je décrivis les chambres à ma mère qui soupira. Nous allions devoir faire un grand ménage avant de commencer à vider la camionnette. Mon père avait déjà sorti des brosses, des serpillières et des seaux et commençait à les remplir au robinet de la cuisine. Je partis un instant à la recherche de mon grand-père et le retrouvai à l’arrière de la maison. Sur le côté de la cuisine, une porte camouflée par un énorme rideau en velours donnait sur un petit potager où rien n’avait poussé depuis longtemps. Assis sur un banc en pierre moussue, mon Nonno contemplait l’état du jardin. Des mauvaises herbes avaient envahi tout le terrain. Un pommier malade trônait au milieu. On voyait encore des lambeaux de corde qui avaient dû appartenir à une balançoire pendre au bout d’une des plus grosses branches de l’arbre. Nonno me remarqua et m’invita à le rejoindre. Il avait vraiment l’air malade, pourtant il se tenait droit et souriait. Il avait vécu plus de vingt ans dans cette maison. Revenir ici devait remuer beaucoup de souvenirs et lui donner l’impression d’être plus proche de ma grand-mère. Au fond du jardin, quelques rosiers en piteux état se balançaient doucement dans la brise légère. Je lui demandai s’il avait besoin de quelque chose mais il me conseilla d’aller aider ma mère pour le ménage. Prendre l’air lui suffisait pour l’instant. Je n’insistai pas et retournai dans la cuisine où mon père était déjà en train d’astiquer le sol à grands coups de balai-brosse.
-Courage, champion ! me dit-il quand il vit ma mine déconfite devant l’ampleur du travail qui nous attendait. Tu verras qu’une fois remise en ordre, nous serons bien installés. Bien sûr, il faudra effectuer quelques travaux de rénovation mais quand ce sera fini, nous aurons une splendide demeure, je te le promets.
Je lui souris sans rien répondre, pris un seau d’eau savonneuse et m’attaquai à la pièce de devant. Le nettoyage du rez-de-chaussée dura le reste de la journée. Je découvris que sous l’énorme crasse du sol se cachait un carrelage couleur rouille. Ma mère avait récuré la cuisinière et nettoyé toutes les armoires. Elle finissait le frigo et alla chercher quelques cartons dans la camionnette. Elle rangea quelques assiettes et couverts, ainsi que quelques verres dans les armoires. Quand elle eut terminé, elle alla chercher son père dans le jardin et l’installa de nouveau dans le salon. Nous étions épuisés et affamés. Mon père proposa à ma mère d’aller faire quelques courses à la supérette du coin pour le souper. Ils partirent donc, me laissant veiller sur mon grand-père. Celui-ci s’était endormi sur le petit canapé, épuisé par le voyage. J’en profitai pour sortir une chaise de jardin qui se trouvait à l’entrée de la camionnette et m’installai à ses côtés. Je commençai à somnoler quand j’entendis soudain de petits grattements. Au début, le bruit était plutôt discret mais plus je tendais l’oreille, plus le grattement s’intensifiait.
-Super, me dis-je. Il doit y avoir une belle colonie de rongeurs dans les murs.
J’allais me lever pour chercher d’où venait le bruit quand la porte d’entrée s’ouvrit sur mes parents, les bras chargés de provisions. Je m’empressai d’aller aider ma mère et déposai les courses sur le plan de travail de la cuisine. Mon père alla chercher les casseroles que ma mère avait oubliées dans la camionnette et nous préparâmes le dîner. J’allais réveiller mon grand-père quand j’entendis encore ce grattement insistant. Je me tournai vers mon père, l’œil interrogateur.
-Tu n’as rien entendu ? lui demandai-je.
Mon père tendit l’oreille mais le grattement avait cessé.
-Non, je n’entends rien de spécial, me répondit-il. Tu dois être fatigué. Viens manger et ensuite, nous irons chercher les matelas gonflables.
Je réveillai mon grand-père et lui apportai un bol fumant de minestrone et des petits pains à la mortadelle. Nous mangeâmes en silence. Quand nous eûmes fini de manger, ma mère alla faire la vaisselle et mon père et moi sortîmes les matelas. Mon grand-père préféra rester sur le canapé. Ma mère alla lui chercher une épaisse couverture et un coussin moelleux et l’installa le plus confortablement possible. Puis elle distribua à chacun une couverture et un oreiller et nous nous installâmes chacun dans une pièce. Je logeai dans la pièce de devant. Souhaitant bonne nuit à ma famille, j’allai m’allonger, un bouquin à la main. J’étais épuisé, mais je n’arrivais pas à m’endormir. Je tendis l’oreille mais n’entendis rien de spécial. Je consultai mon GSM et constatai qu’il était déjà vingt-trois heures. Je posai donc le livre près de mon oreiller et fermai les yeux. J’entendis la voix de mes parents pendant quelques minutes puis je finis par m’endormir.
Le lendemain matin, je fus réveillé par la voix de mon grand-père qui semblait venir du jardin. Je consultai l’heure sur mon GSM et vis qu’il était déjà huit heures. Je me levai péniblement et me dirigeai vers la cuisine. À travers la fenêtre, je vis mon Nonno en grande conversation avec un vieil homme au visage buriné, habillé d’une chemise blanche, d’une vieille salopette en velours marron et d’une sorte de béret marron également. Je les observai un moment et quand je les entendis rire, je finis par me diriger vers la salle d’eau, dans l’espoir de pouvoir nettoyer la sueur du travail de la veille. Tout en me savonnant, j’entendis par la petite fenêtre ouverte de la pièce les rires de mon Nonno et du vieil homme. Ils devaient certainement se connaître. Sortant de la douche, je tombai sur ma mère qui était en train de préparer le petit déjeuner. Je l’embrassai sur la joue et lui demandai si elle avait bien dormi.
-Comme un loir, me répondit-elle en riant. J’ai les articulations qui craquent comme des biscottes, mais sinon tout va bien.
Mon père nous rejoignit quelques minutes plus tard, les cheveux en bataille et les yeux encore collés par le sommeil. Ma mère lui tendit une tasse de café noir. À ma grande stupéfaction, elle m’en tendit une également.
-Juste pour cette fois, dit-elle pour se justifier. Nous avons encore une énorme journée qui nous attend.
Je pris la tasse en souriant. Je n’avais pas le droit de boire du café car ma mère estimait que j’étais encore trop jeune pour me shooter à la caféine. Mais avant d’avoir pu porter la tasse à mes lèvres, elle y ajouta une bonne rasade de lait et un morceau de sucre. Je la regardai, étonné, et tout le monde se mit à rire.
Ma chère maman ! Ce qu’elle me manque aujourd’hui.
Elle alla chercher mon grand-père en lui apportant une tasse de café et discuta un moment avec l’inconnu qui se dressait devant notre jardin. Je pouvais les voir de la fenêtre. Je vis à sa réaction qu’elle venait de reconnaître son interlocuteur car, à un moment donné, elle passa la porte du jardin et serra le vieil homme dans ses bras. Elle l’invita à entrer et lui servit également un café noir. Le vieil homme nous salua, mon père et moi, et s’assit sur le canapé, suivi de mon grand-père. Ma mère fit les présentations. Vittorio Rizzoli était notre voisin. Il habitait la maison juste en face de la nôtre. C’était un grand ami de mon grand-père et également un ancien collègue de travail. Quand il avait vu le camion de déménagement se garer la veille devant chez lui, il avait constaté avec plaisir que son ami Antonio était revenu au pays. Il s’était donc levé de bonne heure pour lui souhaiter la bienvenue et nous proposa de l’aide pour nous installer. Sa femme et lui avaient deux fils robustes qui ne demandaient pas mieux que de nous prêter main forte. Il nous raconta que les locataires précédents n’étaient malheureusement pas des gens très propres et qu’il avait vu, impuissant, la maison de son ami se dégrader d’années en années. Nous acceptâmes sa proposition de bon cœur et une heure plus tard, nous vîmes deux solides gaillards habillés de salopettes en jeans et de T-shirts, chaussés de bottes de jardinage nous attendre près de la camionnette. Mon père leur ouvrit la porte et les salua chaleureusement. Ils se présentèrent. Sylvio et Salvatore. Du fond de la cuisine, ma mère, à l’évocation de ces prénoms, nous rejoignit et étreignit les deux hommes dans ses bras.
Il était clair qu’elle les connaissait depuis longtemps. Elle m’expliqua que les frères étaient ses amis d’enfance. Elle me présenta également et les deux hommes me serrèrent la main en complimentant ma mère d’avoir eu un beau jeune homme comme moi, ce qui me fit rougir sur le champ. Ils m’informèrent qu’ils avaient également deux fils chacun qui étaient du même âge que moi et que je les rencontrerais très vite. J’étais un peu embarrassé mais heureux de voir que ces gens étaient aussi chaleureux. Sans plus attendre, ils se mirent au travail, munis de tout un équipement de nettoyage professionnel et se dirigèrent vers les escaliers menant à l’étage. Sylvio monta immédiatement. Salvatore, par contre, eut un moment d’hésitation qui n’échappa pas à mon attention. Quand il se rendit compte que je le regardais, il me sourit en m’expliquant qu’il n’avait jamais aimé monter à l’étage. J’allais lui demander pourquoi mais ma mère m’appela et Salvatore commença à monter les marches sans me répondre. Elle avait commencé le nettoyage des vitres et me demanda de passer un torchon humide sur les plafonds et les murs pour en retirer la poussière et les toiles d’araignées qui s’y étaient accumulées. Je me mis donc au travail.
Quand j’eus terminé, je lui demandai ce que je pouvais faire d’autre et elle me suggéra d’aller voir si les frères n’avaient pas besoin d’aide à l’étage. Je montai donc les marches et me mis à la recherche de Salvatore. Je le trouvai dans le grenier. La lumière y était plus vive grâce à un nettoyage intensif de la vitre et je vis que Salvatore avait déjà bien avancé dans le récurage du sol. Quand je m’approchai de lui, il eut un sursaut et son regard se figea un instant, mais quand il constata que ce n’était que moi, il me sourit et me demanda si j’avais besoin d’aide. Je lui répondis que non et que c’était plutôt le contraire que j’étais venu proposer. Il accepta et nous nous mîmes au travail. Tout en frottant les boiseries du grenier, je décidai d’engager la conversation. Il m’apprit qu’il habitait la maison voisine de celle de son père et que lui et son frère avaient monté une boîte de nettoyage professionnel, ce qui expliquait les nombreuses machines à vapeur qu’ils possédaient.
J’orientai la conversation vers leur enfance commune avec ma mère. Il m’expliqua qu’ils se connaissaient depuis toujours et qu’il leur arrivait souvent de jouer l’un chez l’autre, leurs parents respectifs étant de très bons amis. Il me raconta quelques anecdotes de leur enfance, les jeux, les dîners, les bêtises qu’ils avaient faites, et se dit attristé quand ma mère avait décidé de quitter le pays pour aller faire ses études en France. De la façon dont il en parlait, je pense que Salvatore avait certainement eu le béguin pour ma mère dans son adolescence. Ce que je trouvais compréhensible. Ma mère était aussi jolie que gentille et elle était aussi très douée en art. Elle pouvait vous peindre des tableaux extraordinaires en l’espace d’une journée. Mais quand j’évoquai sa remarque sur le fait qu’il n’aimait pas monter à l’étage, son visage se rembrunit et il devint silencieux. Comme j’insistai, il me répondit d’un air sombre que toutes les maisons avaient leur secret et leur bizarrerie et que je ne devrais pas trop m’inquiéter. Mais je voyais bien qu’il ne me disait pas tout. Pourtant, voyant le malaise sur son visage, je décidai de ne pas insister. Il était clair qu’il n’était pas prêt à me révéler les sombres secrets de cette maison. À cet instant, Sylvio informa son frère qu’il avait terminé les deux petites chambres et qu’il descendait aider mon père à installer le mobilier dans la maison. Ayant terminé également, je me dirigeai vers l’échelle quand je surpris Salvatore jetant un coup d’œil inquiet au placard du grenier. Je ne dis rien mais je commençai vaguement à me demander la raison de son malaise. Il me suivit sans tarder et nous allâmes rejoindre Sylvio et mon père. À la fin de la journée, la maison avait l’air bien plus habitable qu’à notre arrivée. Quelqu’un frappa à la porte et ma mère alla ouvrir. Une vieille dame portant une énorme casserole fumante franchit le seuil et se présenta. Elle s’appelait Herminia et était la femme de Vittorio. Elle était venue nous souhaiter la bienvenue et nous avait préparé un délicieux repas pour fêter le retour d’Antonio et de sa famille dans leur maison. Ma mère la remercia et prit la casserole qu’elle déposa dans la cuisine. Maintenant que les meubles étaient installés, la maison semblait plus confortable et nous pûmes tous nous installer autour de la table de la salle à manger. Le repas se passa dans la joie des retrouvailles et quand Vittorio et sa famille s’en retournèrent chez eux, mon grand-père semblait si heureux que je me souviens m’être dit que la décision de revenir chez lui avait été la meilleure. Mais ça, c’était avant que des événements de plus en plus terrifiants ne nous arrivent. Ce soir-là, néanmoins, j’étais heureux d’être ici, notre nouveau chez nous. Nous allâmes nous coucher car le lendemain, nous devions monter les meubles des chambres à coucher à l’étage. Je souhaitai bonne nuit à ma famille et je m’effondrai sur mon matelas. Je m’endormis immédiatement.
LES INEXISTANTS PRÉFACE Si vous pensez ouvrir un livre fantastique écrit par un auteur humain, vous vous trompez. Ceci n’est pas un livre mais une tentative de communication avec vous,...
Contenu complet
LES INEXISTANTS
PRÉFACE
Si vous pensez ouvrir un livre fantastique écrit par un auteur humain, vous vous trompez. Ceci n’est pas un livre mais une tentative de communication avec vous, en même temps que le récit de la naissance de Smith. Je ne suis pas un écrivain, car je ne suis pas l’un d’entre vous.
Alors qui, ou que suis-je ?
Si vous voulez me donner un nom, vous pouvez m’appeler Nemo, (je sais, c’est classique et bête). Ce que je suis n’a pas vraiment d’importance pour vous et il vous sera extrêmement difficile de comprendre mon comportement ou mes valeurs, car je n’en ai pas dans le sens ou vous l’entendez habituellement. Il est aussi difficile pour moi de comprendre les vôtres, car comprendre une chose existante n’est pas évident en soi mais lorsqu’il s’agit de vous……
Toutefois il est important que vous sachiez ceci : Je n’ai aucune de vos valeurs morales, religieuses, philosophiques, temporelles, culturelles ou autres. J’observe et essaye d’apprendre de vous, car toute vie potentielle observée peu m’enseigner quelque chose sur moi-même. Vous êtes des potentiels, riches parfois, amusants souvent. N’oubliez jamais, en lisant ce livre, que vos notions de bien et de mal ne font pas partie de moi et que vous êtes une des rares espèces, même sur votre monde, à avoir ces notions (du moins selon vous). Je ne suis ni un extra-terrestre, ni une sorte de divinité et encore moins un être supérieur à vous, ne vous méprenez pas. Je suis seulement différent. Je n’interfère pas dans votre monde, n’en voyant aucune utilité et aucun sens. Enfin, je n’ai aucune intention de vous vexer ou vous choquer en écrivant ces lignes, ces notions me sont étrangères.
J’écris ce qui va suivre à cause de Smith qui me l’a demandé avec insistance.
Cet écrit n’a pas pour but de vous informer ou de vous guider en quoi que ce soit.
Vous êtes condamnés à trouver votre propre existentialité vous-même.
Nemo.
1-Découverte.
La première difficulté rencontrée lors de mon premier contact avec l’humanité fut la compréhension de votre manière de communiquer et de former des idées. Je ne parle pas d’un langage particulier, mais du fait de l’imprécision du sens des mots utilisés par rapport à votre pensée qui, quelle que soit la langue, est elle-même très imprécise. N’étant pas familier de ce mode de communication, ceci demeure toujours un obstacle majeur dans ma quête de compréhension et dans la rédaction de ce texte. Depuis mon arrivée parmi vous, beaucoup de choses ont changé dans vos sociétés dans les domaines techniques, mais votre comportement n’a subi pratiquement aucun changement depuis de longs siècles.
C’est une évidence, diront certains d’entre vous ! Non, rien n’est évident, tout comme rien n’est naturel. Vous pensez que tout ce qui vous entoure sont des ‘choses’ que vous croyez contrôler plus ou moins. Malheureusement pour vous, une ‘chose’ n’est ‘réelle’ qu’à un moment défini dans le temps si toutefois on suppose la réalité du temps, car la perception du temps est différente entre vous et les autres espèces de votre monde. Cette perception étant très faible pour certaines d’entre elles.
Le temps est une création de l’esprit humain, fort compréhensible et pratique dans un monde comme le vôtre. Il a pour origine des cycles naturels observable à vos sens, le jour, la nuit la rotation de votre planète autour de votre soleil et aussi la diversité des enchaînements des événements que vous observez. Il vous sert à créer des points de repère le long de votre ‘existence’ et dans votre environnement afin d’obtenir une stabilité dans certains domaines d’ordre biologique ou pratique, ainsi que de faire des comparaisons et d’acquérir des certitudes (demain, le soleil se lèvera a 6h38). Il est réel pour vous parce que vous l’avez créé, vous avez donc créé le concept ‘Temps’ dont vous avez fixé les règles. Des règles que vous avez définies sans connaître vraiment ce que vous créez, seulement en observant la ‘nature’ qui vous entoure sans toutefois la comprendre non plus et vous avez défini les ‘choses’ à l’intérieur de ce concept.
Ceci est une des premières choses qui m’ont surpris, votre capacité à créer des concepts. Que celui-ci existe ou pas a été pour moi secondaire, voire négligeable. Cette capacité de création d’objets conceptuels est assez rare pour ne pas être intéressante. Toutefois elle à un grave inconvénient, celui de créer des limites. Soit ! Ces limites sont parfois souples et évolutives ou parfois rigides, mais elles restent des limites et, en tant que telles, des obstacles majeurs à votre compréhension de ce qui vous environne.
Je vous ai observé, créant sans cesse ces ‘concepts’ que vous avez nommés science, théologie, philosophie, vie, etc. À l’intérieur de ceux-ci vous avez construit des domaines, par exemple dans le concept sciences: les mathématiques, la chimie, la physique, etc. Il en est de même pour chaque concept. Votre ‘esprit’ a une tendance à trier, classifier, diviser afin de pouvoir comprendre. Par exemple, le concept de ‘vie’, implique pour vous la conformité aux critères de ce que vous définissez comme vivant en excluant tout ce qui ne correspond pas à ces critères. Un minéral ne peut donc être vivant selon vous, car il est ‘hors critères, hors limites’.
Ceci fut pour moi une forme de tentative de compréhension nouvelle. Pourquoi ? Parce qu’elle ne m’est pas familière ? Pas vraiment, seulement parce qu’elle est due à un ensemble de facteurs environnementaux, à votre constitution physique limitée, à votre échelle et à vos sens.
Je vous propose de réfléchir sur ces concepts au long de cet écrit. Comme je suis conscient que cela ne peut se faire qu’avec votre manière d’appréhender votre monde, ou plutôt les nôtres, car ils peuvent nous êtres commun dans certaines conditions. Je m’efforcerai de le faire à votre façon tout en gardant, mais en minimisant ma réalité, ce qui me sera assez difficile.
Ouvrez votre esprit et suivez-moi sans peur, vous ne risquez rien d’autre que de perdre votre ‘vie’.
2-Les mots et leurs définitions, la voiture.
Tout mot définit un objet matériel, un concept, un ensemble ou leur projection temporelle. Ceux-ci peuvent être ‘réels’ ou non.
Un exemple : Mr Smith me dit: ‘C’est une belle voiture’. Le mot voiture désigne un objet, celui-ci est un ensemble, car il est composé d’autres objets (roues, volant, etc.) qui sont aussi définis par des mots. La voiture et réelle pour lui, car elle est là (c’est). À première vue, l’ensemble ‘voiture’ est donc situé dans un contexte temporel. Cet ensemble est ‘beau’, ce qui entraîne un concept abstrait (la beauté), qui lui, n’a aucune réalité justifiable, car il est relatif et il peut y avoir autant de beautés différentes que d’observateurs de l’objet (pour mon ami Franck, elle serait plutôt ‘moche’). Vous voyez que cette simple petite phrase entraîne plusieurs choses.
A : que l’ensemble voiture est réel pour l’observateur Mr Smith, du moins le croit-il.
B : que l’ensemble voiture est situé a un moment précis, celui-ci étant le moment ou Mr Smith prononce la phrase en voyant la voiture et que nous appellerons ‘temps T1’
C : Que la beauté de l’ensemble n’est pas un critère réel, ou plutôt n’est réel que pour Mr Smith
Et si nous allions un peu plus loin ? Que nous dit ce cher Mr Smith qui ne puisse être mis en doute ?
Mr Smith, appelons-le l’observateur, a observé un événement situe dans un moment T1 dans son champ de perception propre qui est étroitement lié a T1.
Pour le décrire il a fait appel à différents concepts, l’un est un ensemble matériel (la voiture) l’autre abstrait (la beauté). C’est l’observateur, le témoin, et il peut se tromper (mauvaise vision, mauvaise définition du véhicule car cela pourrait être une fourgonnette et j’en passe), donc l’information qu’il nous transmet peut se révéler fausse. Il y a un doute sur la véracité de ses dires, pour nous. Pour l’observateur Smith, non, aucun doute n’est permis.
Soit, vous pouvez penser que, bien que ce que dit M’Smith peut être mis en doute, il n’empêche que de son point de vue il dit la vérité, car il est conscient de ce que ses sens ont enregistrés au moment T1.
Oui ? Conscient de quoi ?
Ce qu’il a observé est une suite d’événements qui se sont déroulés, non au moment T1, mais dans un espace temporel qui commence au moment où il perçoit la voiture et qui finit au moment où il achève sa phrase, appelons le Tp (p=perception). L’ensemble ‘voiture’ est constitué par des sous-ensembles multiples qui sont ses différents éléments (roues, volant, moteur, etc.). Chacun d’eux étant composé d’autres ensembles et ainsi de suite.
L’ennui, c’est qu’aucun d’entre eux n’est stable dans le temps, c’est-à-dire qu’à chaque micro-seconde qui passe, chaque ensemble a changé (les roue se sont usées, leur température a changé, ce qui leur a fait perdre de la matière et de l’énergie, elles ont collecté des gravillons sur la route et en ont perdu d’autres le tout a divers endroits). Bref, aucun ensemble ne reste identique à lui-même dans un contexte temporel. Donc on ne peut plus qualifier de tels ensembles ‘d’unique’, ce sont différents ensembles nés du premier. Chaque roue a donnée naissance à une infinité de roues, toutes différentes l’une de l’autre pendant toute la durée Tp. De plus chacun des différents états (ou caractéristiques) de ces ensembles dépendront de conditions et inter-réaction avec des événements extérieurs à lui-même (température de l’air, particules de poussières), le nombre de ces événements extérieurs semble être aléatoire et peut être extrêmement élevé. Leur apparence aléatoire n’est en réalité qu’une apparence partielle (ceci fera l’objet d’un autre chapitre).
Quelle est donc cette voiture si belle que Mr Smith a observé ? Existait-elle ?
Visiblement oui, si l’on s’en tient à ce qui a été dit, à condition que ‘la voiture’ soit définie comme ceci: L’ensemble, appelé voiture, est en réalité une suite d’ensembles consécutifs au premier, différents entre eux et dont l’état de chacun dépend d’influences ‘externes’ ‘aléatoires’ ou supposés tels. Chacun de ces ensembles consécutifs étant unique par rapport aux autres.
Combien de ces ensembles peuvent exister pour un même ensemble de départ dans une plage temporelle définie ? Il est impossible de répondre à cette question, car pour cela il faudrait obtenir tous les paramètres et données concernant l’état de l’ensemble ‘voiture’ à l’instant où commence Tp ainsi que tous ceux des événements externes influant ou susceptibles d’influer sur lui au même instant, ce qui implique la même chose pour chacun des sous-ensembles de la voiture et ce pendant tout le cycle TP. Une limite peut lui être fixée par la constance de Planck (Longueur et/ou temps) car vous pensez qu’en dessous d’une certaine valeur temporelle ou de longueur, rien ne peut se déplacer. Si Planck a raison, cela vous permet de fixer seulement une limite de début ou de fin d’état de l’ensemble. Néanmoins cette quantité d’événements est très élevée, à un point difficilement imaginable pour votre esprit. De plus Tp est composé d’un nombre d’instants qui seraient la durée de TP (disons 5 min) divisée par le temps de Planck. Rien que le résultat de cette division vous donnerait un chiffre astronomique dont chaque unité devrait être traitée en corrélation avec les événements externes influant ou susceptibles d’influer sur lui. .
Se trouvant dans l’impossibilité de répondre à ce type de problèmes, les hommes se sont tournés vers les calculs de statistiques. Ceux-ci permettent de calculer les probabilités qu’un événement se réalise ou non (Explications dans le chapitre ‘Mathématiques’).
Néanmoins pour ce cher Mr Smith la réalité est simple. C’est une voiture. Il peut en décrire la forme, la couleur, la marque, le modèle et même obtenir plus de renseignements, car il en a relevé le numéro d’immatriculation. Tout ceci, pour lui, étant des preuves de sa réalité. Soit ! Il a raison, car il est situé sur la même échelle que l’ensemble ‘voiture’, qui fait partie de son environnement. C’est ‘SA’ réalité telle qu’il la conçoit et telle qu’il la ressent. Supposons que, comme la voiture lui plaît beaucoup, il décide de l’acheter, il se dit que comme elle est en bon état il pourra la garder 10 ans ou plus, bien sûr il lui faudra changer quelques éléments de temps en temps à cause de leur usure mais l’ensemble sera toujours fonctionnel. En fait, seul dans un laps de temps qu’il juge raisonnable, l’apparence et la fonctionnalité de la voiture retiendra son attention.
Là, quelques précisions s’imposent dans les termes utilisés. Nous voyons se dessiner 2 réalités. La première est une réalité espace-temps, la deuxième une réalité conceptuelle déterminée par l’échelle ou se trouve l’observateur Mr Smith. Cette échelle ne lui permet d’appréhender le réel qu’en fonction de ses capacités sensorielles et des connaissances et expériences qu’il acquière de celles-ci. Ceci lui permet de maîtriser son environnement, de se protéger des dangers de celui-ci et d’envisager ses meilleures conditions de survie ainsi que de gérer son futur (achat de la voiture). Cela lui suffit et il est clair pour lui (comme pour vous) que le monde ou il évolue EST cette échelle, EST le Monde. Nous appellerons ce niveau l’échelle 0. Cette échelle 0 est importante, car ce sera notre niveau de référence, car c’est le vôtre, et tout ce que vous pouvez essayer de comprendre sera déterminé par elle. Elle possède ses propres lois et ses propres limites qui, nous le verrons ne s’appliquent qu’à elle.
Les 2 réalités qui se dessinent, celles que je nomme ‘espace-temps’ et ‘conceptuelle’ ont plusieurs points communs. Les deux se situent dans un univers temporel, elles impliquent les mêmes notions de matière, d’ensembles et de temps. La différence fondamentale étant surtout que la première implique des niveaux d’échelles pouvant être très élevés alors que la deuxième n’en implique qu’une, le niveau 0.
Par contre, notons un fait essentiel. Au niveau 0, les ensembles sont des séquences temporelles, ce qui implique qu’ils sont incorporés dans une trame temporelle. Dans la réalité appelée ‘espace-temps’ la question se pose. En effet, les suites d’ensembles peuvent se situer de la même façon, mais elles peuvent aussi bien constituer la trame temporelle elle-même, ce qui dans ce cas changerait radicalement la notion de ‘temps’. Il deviendrait alors une conséquence crée par les suites d’ensembles. Amusant, non ? Peut-être pas si drôle, finalement, car le fait que les ensembles créent le temps implique la possibilité d’agir sur lui et non de le subir. Vous allez dire que ceci s’applique aussi à l’échelle 0 et vous avez raison, mais l’échelle 0 est considérée par vous comme base de certitude stable, c’est pourquoi je fais cette distinction.
J’en vois, parmi vous, qui ont des réactions de déception du genre ‘il commence à me gaver sérieux avec sa ‘philo pseudo-scientifique à deux balles’ ou ‘ouais, ce n’est pas ça qui me sortira de ma merde actuelle’. Patience, patience, ce que j’écris n’est pas important, ce qui l’est est que, dans un premier temps, vous commenciez à réfléchir un peu dessus avec un esprit ouvert. La première des choses à faire, lorsque l’on est né en prison est de prendre conscience que l’on EST en prison et la deuxième est qu’il y a un extérieur qu’il faut trouver et ce n’est pas facile, car les gardiens sont la pour vous en empêcher. Ces gardiens sont choisis, mis en place et payés par vous et vous êtes entièrement d’accord avec eux pour qu’ils vous gardent en prison, d’ailleurs.
Pour ceux qui veulent continuer et devenir fous, continuez à me suivre.
3-La matière, premiers contact avec Smith.
Jusque-là, nous avons désigné les ensembles comme composés de matière, or comme nous n’avons pas défini ce qu’est la matière il serait plus judicieux de changer cette appellation en « événement » celui-ci désignant tout objet existant dans l’univers. Un homme, une voiture, un électron, une étoile ou le châle de ma grand-mère sont des événements. Je complique ? Non je simplifie.
Un conseil en passant: ne prenez pas la première aspirine maintenant sinon vous risquez le surdosage avant la fin du chapitre, merci.
Vous me suivez ? Ça ne vous dérange pas trop ?
Donc, ce qui se forme dans l’univers sont des événements, soit ! Les pensées, désirs et autre états d’âme de l’homme aussi ? Et bien oui. Mr Smith est content, car il me dit que cela va lui permettre de clarifier beaucoup de choses. Ce n’est pas si sûr.
Prenons la ‘matière’ et essayons de la définir. Les différents niveaux inférieurs au niveau 0 concernant la voiture serviront d’exemple dans un premier temps.
La voiture, on l’a vu est un ensemble (ou événement) composée de différents ensembles eux-mêmes composée de sous-ensembles de compositions différentes et dont les fonctions diffèrent.
Prenons par exemple le moteur : Il est fait de pièces mécaniques et a pour but de créer un mouvement qui, transmit à un autre ensemble (les roues), ont pour but final de propulser l’ensemble voiture. Ce moteur est lui-même fait d’ensembles mécanique (pistons, bielle, soupapes, etc…) ayant chacun une fonction précise qui vont lui permettre de créer ce mouvement rotatif, chacun de ces ensembles étant eux-mêmes composé de différentes pièces, lesquelles sont constituées de métaux choisis en fonction de leurs spécificités pour la fonction qu’ils auront à assumer, ces métaux seront souvent des alliages de différents métaux. Ils sont composés d’atomes, qui eu mêmes sont constitués d’électrons, et de noyaux. Les noyaux étant aussi des ensembles de neutrons et de protons eux-mêmes fait de quarks. A l’heure actuelle la liste s’arrête officiellement là.
Nous voici descendu d’une échelle de niveau 0 à une échelle de niveau atomique. Entre les deux, une grande quantité de niveaux dont nous remarquons qu’ils sont dépendants les uns des autres, en effet l’existence même de chaque ensemble à chaque niveau va dépendre du niveau inférieur auquel il fait suite. Oui, qu’il advienne une erreur de composition dans un alliage et tous les ensembles en seront affectées aux nivaux supérieurs, donc le moteur cassera ou ne fonctionnera pas. Idem aux niveaux de l’assemblage des pièces. Il s’agit là d’un phénomène de cause à effet des plus classiques que tout le monde connaît. Par contre le côté intéressant est que nous sommes descendus à un niveau atomique et que là, les choses vont commencer à se gâter.
Vous pensiez à une époque pas si lointaine, que ce niveau était l’ultime manifestation ou état, de la matière et vous commencez à vous apercevoir qu’il n’en est rien. De plus, un gros problème vous est apparu. En effet un atome est un ensemble de matière, mais qu’en est-il de ses composants ? Son noyau est compose de protons et de neutrons, et ceux-ci sont des particules de matière aussi, pensez-vous, mais qu’en est il de ses électrons ? Après avoir été considéré un certain temps comme matière, ils le sont de plus en plus comme onde, or une onde est immatérielle et de plus les éléments constituants les protons et les neutrons (les quarks) sont aussi considérés comme ondes. Toutes ces différentes composantes que l’on appelle particules peuvent être étudiées sous deux formes, en tant que matière (dit particule) ou en tant qu’onde. L’étude des autres particules dites ‘élémentaire’ de niveaux subatomiques ne peut être observée que sous ces deux formes aussi. Or, elles ne sont ni l’une, ni l’autre, mais les 2 à la fois. Vous vous heurtez là, a un paradoxe, car elles ne peuvent, selon vous, être les 2 en même temps. Vous pourriez, peut être vous poser une petite question simple: ‘Onde’, ‘particules’, sont des concepts humains, sont-ils justes ? Sont-ils réels ?
– Attendez me dit Mr Smith j’ai dû manquer un épisode, ou est donc passé ma bonne vieille matière, bien solide ?
– Pas de panique mon bon Smith, en fait elle n’existe pas, en tant que telle au niveau subatomique pas plus qu’à l’échelle 0, seulement elle est en définitive constituée de ce que vous appelez faussement ‘ondes’, ce qui pour vous ne change rien car si vous vous cognez la tête contre un mur de briques, que celles-ci soient constituées de particules de matière ou d’ondes le résultat sera le même, à savoir : une belle bosse.
– Mais ce n’est pas possible me dit ce cher Smith, un atome est solide et immuable.
– Non, il change constamment d’état, ses électrons tournent autour de son noyau d’une manière qui vous semble extrêmement complexe, en suivant des lois auxquelles ils sont soumis. Il se désagrège pour se transformer en d’autres éléments (c’est une question de temps), on peut briser son noyau, et si vous pouviez prendre des photos de lui à des moments distincts, vous le verriez sous des apparences très diverses. Cela ne vous rappelle rien ? Oui, lui aussi est un ensemble, un événement.
– Une particule de matière, est solide, je peux le concevoir mais une onde non. Alors comment une onde pourrait être solide ? Ou constituer une chose qui le soit ?
– Mon cher Smith, ceci nous amène aux notions de matérialité et immatérialité, mais sachez que si pour vous une ‘onde’ comme vous dites, est immatérielle, c’est seulement vrai pour vous, car vous n’êtes souvent pas capable d’en ressentir des effets immédiats d’une manière consciente à travers vos sens. Pensez aux personnes ayant été irradiées par certaines d’entre elles, et qui sont atteinte de cancers à la suite de leur exposition à ces ondes (ou radiations), ou bien mettez simplement un morceau de viande dans un four a micro-ondes et vous verrez le résultat. En été, sur la plage, avez-vous remarqué à quel point les ondes ultra-violettes, brûlent la peau si vous y êtes expose assez de temps ? Donc à votre avis, une onde est matérielle ou immatérielle ? En fait, tout dépend de la sensibilité de perception de l’ensemble qui entre en contact avec elle et des fonctions de relation avec l’extérieur dont il dispose, (organes si celui-ci est un organisme vivant).
Les notions de matérialité ou d’immatérialité sont des concepts humains et n’existent pas en tant que tel dans la nature, en fait, il n’existe que des interférences entre différents états de différents ensembles ou événements.
Voyez-vous mieux maintenant, mon cher Smith le problème de la signification des mots et de leurs sens ?
Au niveau subatomique, nous l’avons vu, existe ce que vous appelez des particules très petites, en principe de matière ou d’ondes. Vous les avez observées avec l’outillage dont vous disposiez pour le faire et qui c’est très vite révélé inadapté. L’outil principal que vous utilisez étant les mathématiques.
4-Les mathématiques.
Je viens d’entendre un grand cri ‘au secours’. Rassurez-vous ce chapitre sera explicatif, mais sans formules barbares.
Les mathématiques sont un groupe d’outils, comme tels ils sont destinés à subir des modifications et des remises en cause. Le but final de leur utilisation est la compréhension de votre environnement et, de façon pratique, la création de nouvelles technologies. Tout ce système de calcul est basé sur un système de cause à effet, (a entraîne b, qui entraîne c, qui entraîne b, qui entraîne e.) Une cause entraînant un effet, qui en entraîne un autre et ainsi de suite. Il est aussi basé sur un système de symbiose associative, a+b=c assez facile à comprendre.
Pour les puritains pur et dur des math, je précise que ce qui suit n’a pas une vocation éducative ou spécifique, encore moins ‘Mathématique‘. Son seul but est d’amener à une réflexion personnelle.
Aimez-vous les bonbons ?
1+1=2. Voila le point de départ de ce que vous appeler mathématique, c’est simple et précis, non ? Tout ce qui découle de cette addition est présent dans votre vie quotidienne (argent, toutes sortes de réalisation matérielle, toute mesure, etc.) Vous appliquez le résultat de vos calculs et ainsi construisez des maisons et des machines de toutes sortes. La base principale de votre société, qui est l’argent, n’est qu’un ensemble de nombres changeant. Vous vous apercevez que les objets réalisés ainsi fonctionnent. Je ne dirais pas le contraire bien sûr. Mais regardons d’un peu plus prêt.
1+1=2, donc 1 bonbon+1bonbon = 2bonbons. C’est peut-être vrai. Pour que cela soit vrai, il faut impérativement que les 2 bonbons qui sont ainsi additionnés soit parfaitement identiques l’un à l’autre, sinon les additionner n’aurait aucun sens. Pire, ce serait une erreur monstrueuse.
Si le premier bonbon est à la fraise et le deuxième à la vanille le résultat sera : 1 bonbon à la fraise+1 bonbon à la vanille=1 bonbon vanillé à la fraise, donc 1+1=1 dans le cas ou on considère l’addition comme une symbiose.
Si non, le résultat serait : 1 bonbon à la fraise+1 bonbon à la vanille = 1 bonbon à la fraise+1 bonbon à la vanille. 1+1=1+1. Ce qui rend l’addition impossible.
Il existe deux alternatives pour solutionner ce petit problème:
La première consiste à raisonner dans l’absolu. Dans ce cas les bonbons ne sont plus des bonbons mais des concepts intemporels (un type de bonbon parfait et absolu possédant ou non des caractéristiques précises), dans ce cas oui, 1 bonbon+1bonbon =2 bonbons. Comme il n’existe pas dans tout l’univers de concept absolu, cette solution bien qu’utilisable, est inapplicable dans l’univers réel.
La deuxième consiste à considérer les bombons comme des ensembles, dans ce cas on en revient au problème de départ, 2 ensembles ne peuvent être parfaitement identiques même s’ils sont issus d’un même ensemble source, la seule possibilité étant, comme dans la première alternative, de les placer en dehors d’une trame temporelle, ou bien de prendre comme référence temporelle l’instant de l’observation. Dans ce cas les 2 ensembles n’existent plus pour vous, car ils ne peuvent exister hors du temps (ce qui est un peu gênant).
Donc la base de tout calcul mathématique ne peut se concevoir que dans un absolu qui n’existe pas dans un contexte temporel. Ce qui implique que toute application des mathématiques se rapportant à des ensembles ou concepts, c’est-à-dire au monde matériel ne peut être que fausse.
Pourquoi donc arrivez-nous, à l’aide de calculs et de formules à réaliser des machines aussi perfectionnées ? Pour la simple raison qu’elles tolèrent des marges d’erreur qui ont très peu d’influences, à l’échelle 0, sur les résultats pratiques et aussi que certains ensembles sont très ‘visiblement inter-réactif’ entre eux. Par exemple: la liaison de 2 ensembles, huile et jaune d’œuf et réalisable (= mayonnaise), vous appelez ça de la chimie. Jusqu’à une époque très proche le fait que les mathématiques soient fausses à l’échelle 0 n’avait que peu d’importance en effet, car les résultats bien que grossier et imprécis, correspondaient assez bien à vos besoins.
– Mais où est le problème ? Car si les mathématiques sont fausses, elles sont utiles, et cela seul compte ! (Tien, voila Mr Smith de retour du supermarché.)
– Il n’y a pas de problème, car la caissière ne s’est pas trompé en vous rendant la monnaie je suppose ? Toutefois les Physiciens, eux ont commencé à réaliser le malaise quand ils ont commencé à utiliser les mathématiques dans le domaine subatomique.
– Et pourquoi donc, monsieur Nemo?
– Parce que cela ne fonctionnait plus à cette échelle. C’est-à-dire que 1+1 n’était pas égal à 2. Parfois le résultat était 3ou 4 ou autre chose, et de temps en temps (oh miracle), c’était 2 mais c’était rare (ceci est imagé). Cette situation était pour le moins embarrassante.
La solution fut trouvée, vous êtes vous dit, en utilisant et en intégrant le calcul des probabilités dans les mathématiques. En clair, cela se résume à essayer de savoir quelles sont les chances que 1+1=2 dans une situation donnée.
Un exemple: Vous voulez savoir le moment ou une voiture se trouvera à Dijon sachant qu’elle vient de traverser Lyon et va rouler en direction de Paris. Ça c’est simple à calculer, pensez-vous, si on sait que la voiture roule à une vitesse de 60 km/h, que la distance est de 150 km et qu’il est 5 h du matin.
Maintenant remplacez ‘voiture’ par ‘électron’, Lyon par ‘le point de départ p’, Dijon par ‘le point d’arrivée y’, 5 h du matin par T, le moment d’arrivée à Dijon par t1. Si vous utilisez les mêmes règles de calcul que pour le trajet en voiture, vous constaterez que vos résultats sont faux, car tout simplement l’électron n’obéit pas aux mêmes lois que la voiture. Nous sommes à l’échelle subatomique.
La seule solution que vous avez trouvée est de type suivant : il y a X chances sur cent que la voiture arrive à Dijon à 7 h, Y chances sur cent que la voiture arrive à Dijon à 7h15mn, Z chances sur cent que la voiture arrive à Dijon 6h21mn et ainsi de suite. Vous tiendrez en compte la probabilité la plus haute, mais il vous sera impossible de négliger les autres. Sans compter sur le fait qu’elle puisse ne jamais arriver à destination, un accident ou une panne étant possible aussi.
Comme vous le voyez il ne s’agit plus de calculer des certitudes mais des possibilités. Pire encore, s’agissant d’une particule vous ne pouvez pas savoir la direction vers laquelle elle se déplace et sa vitesse en même temps, vous pouvez déterminer soit l’une soit l’autre, cela étant dû aux règles qu’imposent vos méthodes de calculs.
Reprenons notre petit voyage en voiture, cette fois à l’échelle 0. Le résultat de vos calculs est que vous arriverez à 6 h 51mn 34 s (simple supposition). Qu’en sera-t-il en réalité ? En fait, les conditions de circulations, le climat, votre fatigue, une envie d’aller aux WC ainsi que beaucoup d’autres paramètres (événements) impossibles à intégrer dans vos calculs, font que vous ne serez pas à Dijon à l’heure calculée. Comme vous le voyez, même dans votre échelle 0, les résultats seront faux. Et même en utilisant les probabilités ils seront tout aussi faux, tout simplement parce que, là aussi, vous ne pouvez pas prendre en compte tous les événements qui peuvent influencer la voiture. Il est intéressant de constater que, avec ou sans calculs de probabilités, le résultat est le même.
Vous ne pouvez calculer que des probabilités, pas des certitudes et même lorsqu’elles sont extrêmement élevées elles restent des probabilités, même à l’échelle 0. On est loin de l’idée très répandue que les mathématiques sont une science exacte.
Dans le domaine des sciences vous avez fait un grand progrès, vous avez presque fini par admettre que toutes vos découvertes scientifiques étaient approximatives et sujettes à caution. Sans toutefois les remettre en cause, bien sûr, et encore moins de le crier sur les toits (il ne faut pas déconner non plus, ceux dont c’est la profession n’ont pas envie de perdre leurs réputations et encore moins de se retrouver au chômage).
Qu’en pensez-vous mon cher Smith ?
– La caissière m’a pourtant bien rendue 3 Euros 50, ça c’est réel et elle ne s’est pas trompée.
– Oui je vois, 3 pièces de 1 Euros et une de 50 cents. Mais aucune des 3 pièces de 1 Euro n’est parfaitement identique aux autres et donc vos 3,50 euros sont un concept ‘matériel’, même pas un ensemble puisque un ensemble serait 1 pièce ‘A’ de + ou – 1 Euro, +1 pièce ‘B’ de + ou – 1 Euro, +1 pièce ‘C’ de + ou – 1 Euro + 1 pièce ‘D’ de + ou – 50 cents. De plus un Euro est un pur concept par lui-même puisqu’il ne correspond à rien de concret, mis à part le papier ou le métal qui lui sert de support et dont la valeur est différente.
– Nemo, vous êtes pénible.
– Pas du tout, je vais le devenir plus tard. Vous verrez, vous êtes encore au Paradis, c’est en Enfer que je vous mène, en comparaison duquel, tous ceux que vous avez imaginés ne sont que des séjours 5 étoiles aux Caraïbes. VOTRE Enfer.
– D’après vous, Nemo, calculer revient à supposer que telle ou telle chose soit réelle ou pas, ou possible ou pas si j’ai bien compris ?
– Supposée réelle ou pas, non, sûrement pas Smithounet, car vous ignorer ce que ce mot signifie. Possible ou pas est une autre affaire, voyons voir.
Le possible, est un concept imaginaire qui peut être vu comme un événement dont on pense qu’il peut se concrétiser à un moment donné. C’est vrai que vous l’utilisez en math ou en physique. Par exemple vous vous posez la question ‘est il possible que: a+b=c+d’. Les réponses que peuvent nous donner les math sont : oui, non, oui si, non si, (oui entre telles valeurs et telles autres, non entre telles valeurs et telles autres, oui ou non jusqu’à telles valeurs, etc.) Nous retrouvons ici les mêmes erreurs qu’auparavant, et de plus elles sont dans le cas des ‘si’ soumises à conditions. Si vous intégrez les probabilités dans vos calculs il ne restera que ‘oui’, peut être, si’ et ‘non, peut être, si’. Avouez mon cher Smith que votre science des mathématiques tourne un peu au ridicule en ce qui concerne la fiabilité et la précision.
Par contre, cher Smithi, je vous dirais que TOUT événement est possible. TOUT peut être réel,cela a seulement, suivant vos statistiques, plus ou moins de chances d’arriver, c’est une des rares leçons à retenir de vos calculs. À supposer que cette forme de calcul ait un sens, et il n’en a pas.
– Nemo, mais alors il n’existe aucun moyen d’obtenir des réponses certaines ?
– Si, plusieurs, le premier consiste en ceci:
Abolissez toute temporalité dans vos raisonnements et vous arriverez à des états parfaitement équilibrés, mais ingérables à votre niveau. Comment? Ça ne vous mène à rien, car un équilibre parfait est concrètement impossible ? Dans cette condition non seulement il est possible, mais il SERA. Pourtant il n’existera jamais pour vous, car vous êtes de nature instable dans un contexte évolutif temporel. C’est ce que vous tentez de faire à l’heure actuelle (et depuis un bon moment) avec vos Math, ce serait même le summum de celles-ci, mais vous échouez toujours, vous échouerez toujours car pour réussir il vous faudrait être vous-même intemporel dans un contexte intemporel. Je vous l’ai déjà dit, vous êtes dans une prison.
Le deuxième consiste dans le fait de connaître d’une manière parfaite toute l’évolution de tous les événements contenus dans l’univers depuis sa création et leurs interférences entre eux. (Je vous souhaite bien du plaisir). Là, vous atteindriez une connaissance absolue pour peu que vous puissiez en calculer les conséquences. Retenez bien ce que je viens de dire, et si votre réaction est de hausser les épaules en pensant ‘ce n’est pas demain la veille qu’on y parviendra’ ‘c’est une pure utopie’ ou ‘seul Dieu le peu’, dites-vous bien que vous vous mettez le doit dans l’œil jusqu’au trognon comme vous dites vulgairement, car c’est aussi possible.
Le troisième consiste à créer des ensembles hors de ce que vous appelez ‘le réel’ et à les observer dans un contexte de probabilités (bonjour, Mr Ket) et dans un cadre de lois ‘physiques ‘. Les résultats que vous obtenez dans ce domaine sont d’une grande précision et très prometteurs. Vous appeler ça la physique quantique. Ce chemin est, en fait, très loin d’être fiable mais c’est le seul que vous ayez à votre disposition pour le moment. Jevous conseille vivement de continuer à progresser sur cette voie et à faire le ménage sur certaines définitions telles que ‘énergie, espace, chaleur, onde, matière, temps et autres’, dontparticulièrement les définitions de ‘mouvement’ et ‘information’. À force de donner différentes définitions à ces mots vous finirez par ne plus rien comprendre à l’objet étudié, je sais que ce n’est pas si facile, mais vous pouvez créer de nouveaux mots pour différentes variantes ou états (ce qui vous éloignerait encore du but recherché mais serait bien dans vos habitudes de couper les cheveux en 4 à l’envi), ou bien alors analyser ces mots dans leurs significations, parce que, souvent vous désignez la même chose sous des appellations différentes. C’est juste des petites suggestions de ma part, qui vous apporteront de petites surprises. Vous n’arriverez par ce moyen, ni a la précision absolue, ni a la connaissance de la substance ‘primordiale’ de l’univers, mais elle vous ouvrira d’autres chemins et, aux échelles ou vous l’utilisez, vous permettra d’approcher mieux le réel (elle vous le permet déjà).
– Smitounet, je vais faire un peu de café, en voulez-vous ?
– Hein ? Oui merci.
(Je reviens dans 5mn, merci).
5- Mr Ket
– Votre café est bouillant, Qui est Mr ket?
– Un copain, dont le nom de famille est ‘Ensemble quantique’.
– Nemo, je n’ai pas très bien saisi votre dernière réponse. Celle qui consiste en ces ensembles quantiques que l’on crée et qui ne font pas partie du réel, vous savez ce troisième moyen…
– Smitou, Il s’agit simplement de que vous nommez ‘la physique quantique’ aussi appelée ‘Physique indéterministe’, par opposition à la physique classique ou ‘physique déterministe’ Je ne vous propose pas de développer ce sujet, ce n’est pas le but ici. Vous avez développé ce moyen, d’étudier la matière et les phénomènes qui se produisent à une échelle de niveau subatomique, car vous croyez que le fait de cumuler quelques données, sur des milliards qui vous sont inconnues, vous permettent de progresser dans votre quête. Puis-je vous recommander de lire quelques ouvrages concernant ce sujet ? Celui-ci le mérite. Mr Ket est intéressant, soit! Il n’est pas facile de comprendre son langage et il a un caractère de cochon, mais il est le seul qui vous permette fondamentalement une évolution de vos connaissances dans le domaine de la physique et, peu à peu, dans d’autres domaines scientifiques. Je vous dirais plutôt Smitou que Mr Ket est une clef qui n’ouvrira pas la porte du coffre aux trésors. Elle n’est pas la seule, d’autres clefs sont près de vous, qui elles, sont aptes à ouvrir ce coffre, mais vous ne les voyez pas ou vous les négligez, pourtant Mr Ket vous en met quelques-unes à portée de mains.
– Concevoir un système hors du réel me dépasse et finalement en quoi tout ce que vous me dites peu me concerner finalement ? Mr Nemo. J’aime discuter avec vous, mais J’aimerais que vous arrêtiez de m’appeler Smitou ou Smitounet, Je m’appelle Smith et vous le savez.
– Excusez-moi Smity. Le fait est que cela vous concerne énormément, cela dépend uniquement de vous de réaliser l’importance de la prise de conscience de l’univers dont vous faites partie et par conséquences, de vous-même. Votre existence en est l’enjeu. Cela vous gêne-t-il à ce point, le fait que je vous nomme de différentes façons ? J’ai une excellente raison de le faire pourtant.
– ça me gêne, oui. Mais quelle raison ?
– Simplement parce que depuis le temps que nous sommes ensemble à bavarder, je n’arrête pas de m’adresser à des Mr Smith différents. Vous êtes un ensemble comme notre fameuse voiture, et je m’étonne que vous ne l’ayez pas encore compris. Donc le Mr Smith auquel je m’adresse maintenant n’est pas le même que tous ceux qui l’ont précédé et que, facétieusement, j’ai nommé de manière différente.
6-Qui êtes-vous ?
– Si je suis un ensemble issu d’une suite d’ensembles, je suis avant tout un homme Nemo, et ça je sais très bien ce que c’est.
– Bien, magnifique, enfin quelqu’un qui sait ce qu’est un homme, je désespérais presque de vous rencontrer un jour et vous propose de décréter ce jour, la fête mondiale de la définition de l’humain. Non, sans rire, je suis très content que vous le sachiez, car moi j’avoue que je l’ignore.
Ah ! Si, je vois. Vous êtes un être vivant, famille des mammifères, de type Homo sapiens, qui est, comme chacun le sait, l’évolution ultime de la vie dans sa perfection. Unique, à l’image de Dieu, non, que dis-je ? L’égal de dieu en attendant que l’élève ne dépasse le maître. Mâle, issus d’une très vielle famille anglaise, de confession Chrétienne, marié à une charmante femme et père de 2 enfants bien éduqués, auxquels vous souhaitez une longue et heureuse vie tout en sachant qu’elle ne le sera pas, mais les souhaits ne sont pas chers en ce moment, 6 pour le prix de 4 chez Carrefour.
C’est à peu près ça? Smithou, ou je me trompe?
– Et j’en suis fier malgré vos sarcasmes, oui. Mais enfin Nemo, c’est quand même clair non ?
– Pas pour moi. Au point que je suis certain que je ne vous parle pas en ce moment.
– Vous vous dites intelligent et ne dites que des bêtises, ou alors prouvez-le-moi !
– Je ne suis pas ‘intelligent’, ce n’est pas dans ma nature. Dommage, vous étiez jeune encore comme le disait le poète slovène M Bor. Bon, allons-y. Maintenant vous devez être conscient que vous êtes un ensemble d’organes variés dont le but semble être de vous maintenir en vie et vous reproduire après l’âge adulte. Reprenons ma définition précédente à laquelle vous adhériez.
7-Homme vivant.
Vous êtes donc un être vivant dites-vous. En effet, vous correspondez à sa définition, votre nature est organique et vous vous reproduisez. Vous êtes un organisme. Cet organisme, composé comme pour tout ensemble, de sous-ensembles ‘organes’ qui ont chacun une fonctionnalité précise dont le sens semble échapper à chacun d’eux mais qui est indispensable au bon fonctionnement de l’ensemble (muscles, nerfs, vaisseaux sanguins, reins, foie, poumons, etc.). Ces organes dont le fonctionnement dépend de celui des autres et d’éléments de provenance interne et externe de votre corps, sont eux-mêmes composé de différents sous ensembles très variées, ceux-ci étant constitués de substances chimiques, de cellules contenant cette fameuse ADN, elle-même constituée de molécules, qui comme chacun sait sont des assemblages d’atomes divers comme le reste de vos cellules. Je m’arrêterais là pour l’instant Smith, mais commencez déjà à réfléchir sur la suite. Retenez surtout, s’il vous plaît, que chaque sous-ensemble est lui-même un organisme dont la fonction estdifférente et indépendante des autres, bien que leurs fonctionnements soient dépendants des autres.
À ce point il est simple de constater deux ou trois choses qui vous émerveillent, la complexité des éléments, leur symbiose ‘merveilleuse’ et leur précision. La similitude entre l’homme et la voiture est évidente, seule la nature des éléments diffère. Êtes-vous vivant pour autant ?
– Oui, car j’ai aussi une conscience.
– Conscience de vous-même ? La seule conscience que vous avez, se limite au fait de savoir que vous existez, d’après Mr Descartes. D’une manière floue et indéfinie d’ailleurs. En fait, comme vous êtes incapables de comprendre votre composition et votre fonctionnement, vous ne pouvez avoir qu’une conscience extrêmement réduite de vous-même et par conséquence, fausse.
La famille des mammifères dont vous faites partie, partage avec vous la même conception biologique et d’ailleurs la différence entre vous et les autres espèces n’est pas grande.
8-Intelligence.
Vous êtes un homme, issus d’une des branches des mammifères, (c’est possible, improbable mais possible). Ceci par le fait que vous possédez une singularité que vous nommez ‘intelligence’ qui, d’après vous, est due au volume de votre cerveau, à un processus d’évolution, à une intervention Divine ou au hasard. Ce qui fait de vous un être à part parmi les autres races et, évidement, supérieur à elles.
Cette intelligence, vous avez beaucoup de mal à la définir, car elle une résultante de plusieurs facteurs: La collecte d’informations externes à travers vos sens et la mémorisation d’événements, à court, moyen et long terme. Ce qui vous permet d’utiliser un système de déduction-comparaison dans un concept temporel et en fonctions de variables, partiellement aléatoires, génétiquement ou auto programmées dont le résultat est votre pensée. Le fonctionnement de ce système est assez ardu à comprendre et vous travaillez beaucoup sur ce sujet à l’heure actuelle. Je vous signale que les autres mammifères possèdent la même fonction, seulement, elle est adaptée à leur environnement de survie immédiat et à la perception spécifique de leurs sens (comme la vôtre). Ce qui ne veut absolument pas dire que votre intelligence est supérieure à la leur. Elle est différente. Cela est vrai non seulement pour les mammifères mais aussi pour toute espèce animale. Vous n’êtes pas plus ou moins ‘intelligent’ que les autres. La faculté de raisonner dans l’abstrait n’est pas non plus votre privilège, car elle se retrouve dans d’autres espèces, à un niveau considéré par vous comme inférieur au vôtre, mais dont la raison est que ces autres espèces ne ressentent pas la nécessitée d’un raisonnement plus complexe pour leur survie.
– Je m’excuse, Nemo, la complexité et le volume du cerveau humain dépasse, de loin, celle des autres espèces. Ce qui prouve bien la supériorité intellectuelle de l’homme par rapport à l’animal.
– Dans ce domaine, Smitounet, La complexité entre votre cerveau et celui de Cerbère, votre petit chien, est la même, seulement les axes de son évolution dans ses fonctions de raisonnement, non. Mais c’est certain, il raisonne et plus logiquement que vous parfois. Il vous en donne tous les jours des preuves. En ce qui concerne le volume du cerveau, ce n’est qu’un critère quantitatif et non qualitatif, donc sans grande importance.
– Vous avez peut-être raison, Cerbère me surprend beaucoup parfois, continuez.
9-Unique.
Unique vous l’êtes en tant qu’individu, pensez-vous ? Non puisque vous n’êtes pas le même à chaque instant qui passe.
– Je reste pourtant toujours moi, Nemo, quoi qu’il arrive.
– Jamais le même, ‘moi’ ne peut exister dans un contexte temporel, que vous le réalisiez ou pas. Heureusement pour vous, Smithom car, dans le cas contraire, votre ‘vie’ serait si brève que vous n’auriez pas eu le temps de vous constituer et encore moins de vous développer. Vous n’auriez simplement même pas ‘existé’ à votre échelle. Vous êtes unique de par votre composition générale et votre programmation génétique qui vous et particulière en partie et ce, seulement pour une durée déterminée car sous l’action du temps vous remarquerez que ces 2 choses changent aussi. Ce qui fait votre identité est le souvenir de votre vécu et celui-ci et partiel, déformé. Il vous arrive même de perdre complètement ces souvenirs, et lorsque cela arrive, tous vos concepts de ‘valeur’ disparaissent ainsi que vos ‘connaissances’ et vos ‘acquis’. Vous n’êtes plus, dans ce cas, des êtres supérieurs mais inférieurs suivant vos propres critères, aux animaux.
10-Mâle.
Cela vous détermine seulement dans les fonctions sexuelles car, comme de nombreuses espèces, vous êtes sexué. Cela n’a aucune sorte d’importance en dehors du domaine de la reproduction. Néanmoins cette programmation spécifique influe sur votre comportement et vos raisonnements.
– Oui, mais ça c’est au moins quelque chose de sûr Nemo.
– Même pas, Smitoune, l’homosexualité existe et les paramètres sexuels d’un humain peuvent changer aussi dans le temps.
11-De confession chrétienne.
Ceci est comme l’origine de votre naissance. Ce en quoi vous croyez concernant l’existence d’un être supérieur à vous, n’a aucun rapport avec ce que vous êtes et n’a absolument aucune importance. Vos croyances ne pouvant en avoir que si elles étaient démontrées mais alors ce ne serait plus des croyances. Néanmoins, les mêmes croyances partagées avec d’autres êtres vivants de la même espèce, deviennent des ensembles réels, car vous les avez crée.
Un lieu devient un pays, car un certain nombre d’humain l’on crée d’un commun accord. Un Dieu devient aussi un ensemble réel pour la même raison. L’importance pour vous de ces deux ensembles est souvent extrême. Aussi bien l’un que l’autre, vivent aussi. De manières différentescertainement, mais ils sont vivants, car vous les faites vivre. Concernant les divinités c’est d’ailleurs cocasse, puisque vous pouvez créer des Dieux que vous nommez souvent vos créateurs. Et dire qu’il vous arrive souvent de vous entre-tuer pour ces raisons ! Les autres espèces d’animaux ne le font pas pour cela, leurs raisons étant beaucoup plus logiques, car elles concernent leur survie ou celle des leurs. Et vous osez vous dire supérieur ?
– Si vous voulez, on en reparlera, mais je vous préviens, Dieu existe, il nous aime et je ne suis pas le seul à le croire.
– Von Smith, vous l’avez créé comme je vous l’ai déjà dit, donc il existe et il est ce que vous avez voulu qu’il soit. Je dois sincèrement vous dire que je suis profondément surpris par le fait qu’un homme puisse et crée des ensembles RÉELS, ceci reste un mystère pour moi. Toutefois il faut bien distinguer une différence primordiale entre un ensemble RÉEL créé par un humain et un ensemble RÉEL véridique. L’ensemble ou concept issu de l’homme à besoin de l’homme pour subsister dans le temps car sitôt qu’il arrête de l’alimenter, il disparaît. C’est le cas de beaucoup de ‘religions’ par exemple. L’ensemble RÉEL véridique est indépendant de l’homme et ne peut être créé par lui.
Au passage, auriez-vous lu un livre intitulé ‘ Héla et Sophie’
– Non
– Je vous le conseille. Si vous voulez mieux comprendre qui je suis, et il vous sera indispensable pour comprendre mes petits clins d’œil à ma petite sœur Sophie. Bien que, assez fantasque et traitant de la mort, il est très intéressant et de compréhension facile.
– Vous avez une sœur et de la famille ?
– Oui. Sophie est ma sœur, ses parents lui ont donné ce joli non qui veut dire ‘sagesse’, son père était un auteur de romans et elle est née un beau jour d’été dans les pages d’un livre écrit par un humain. Elle avait 13 ans lorsqu’elle est née et n’était pas l’héroïne du roman.
– Vous voulez dire que votre sœur est un personnage créé de toutes pièces par un romancier?
– C’est exactement ça Smitou.
– C’est impossible, vous êtes vivant vous, un homme ne peut avoir pour sœur un personnage de livre, vous déraillez Nemo.
– Écoutez-moi donc au lieu de dire des imbécillités. Ne vous ai-je pas déjà dit que je ne suis pas un homme ? Le père de Sophie lui avait donné une personnalité, comme il le fait pour tous ses personnages, et avait créé de toutes pièces l’univers romanesque ou elle évoluait. Dans le roman elle rencontra un garçon, Louis, et après maintes péripéties, parti, ou plutôt s’évada, avec lui. À la fin du roman, ils étaient tous deux assis au bord d’un lac, une barque attachée à un arbre non loin d’eux.
Son père, l’auteur, avait fait plusieurs erreurs: En rédigeant son roman, il avait doté Sophie d’une grande curiosité et d’une grande soif d’apprendre ce fut là sa première erreur, et de plus il lui avait donne accès à une énorme Bibliothèque. Toutefois, sa faute la plus grave fut de lui avoir donné pour mère un être Réel sans le savoir, croyant que ce personnage n’était qu’un mythe. Celle-ci eut une influence considérable mais très particulière sur Sophie. À un degré inférieur, croyait-il, il avait doté Louis de la même curiosité. Une fois le roman terminé, l’auteur referma le manuscrit et passa à autre chose.Sophie naquit à cet instant, ayant terminé la quête qu’avait imaginé son père pour elle dans le roman et qui était de répondre à la question ‘QUI EST TU ? Alors, pour la première fois elle fit quelque chose par elle-même, elle se leva et commença à détacher la barque.
– Impossible Nemo, un personnage imaginaire ne peut avoir qu’une mère imaginaire et dans ce cas, il n’y a pas de communication authentiquement possible entre eux. Ce ne peut être que l’auteur qui invente les rapports entre eux, les comportements, les dialogues. Rien ne peut se passer dans un roman qui ne soit la création de l’auteur.
– Sauf si, comme c’est le cas avec Sophie, sa mère est Réelle.
– Je ne comprends pas, ça ne peut pas exister. Vous ne pouvez pas être le frère d’un être hybride issu de l’imagination d’un homme et élevée par une vraie femme. C’est matériellement impossible.
– Je n’ai jamais dit que la mère de Sophie était une femme. Mes parents ne sont pas les siens, ils n’étaient pas humains et pourtant elle est ma sœur.
– Ça y est, j’ai compris, elle est votre sœur dans l’âme, pas pour de vrais.
– Non, Herr Smitou, vous n’avez rien compris, elle est ma sœur, une vraie sœur et vous ne pouvez pas le comprendre pour le moment.
– Mais qui sont vos parents à vous Nemo? Ceux qui vous ont fait et enlevé ?
– Ils ne m’ont pas fait, ni élevé, car ils sont morts bien avant ma naissance. Ils n’ont jamais su que je naîtrai à partir de leurs composants, personne n’aurait pu le deviner. Je dois ma vie à un hasard vrai et je dois mon existence après ma mort en partie à Sophie. Je sais, vous allezencore me dire que c’est aberrant. Laissez tomber pour le moment, vous comprendrez peut-être plus tard. Votre niveau de compréhension actuel ne vous permet pas de seulement entrevoir ce que je suis ou ce qu’est ma sœur Sophie.
12-Mariage.
Bon, Smith, si on regardait un peu ce mot ‘mariage’.
Pour moi, ce terme désigne une entente entre deux personnes de sexe opposé visant à la reproduction dans le but d’assurer à leur descendance un environnement plus sûr et d’assurer leur vieillesse. Il est aussi une forme d’échange de ressources de différentes sortes.
Ceci n’est pas le cas de tous les animaux peuplant votre planète, mais vous êtes loin d’être les seuls.
Chez certaines espèces la fiabilité de ce type de relation est même supérieure à la vôtre. Et les sentiments, l’amour ? Direz-vous ? Nous parlons de mariage et un mariage humain ne comprend pas de partie sentimentale c’est un contrat civil ou religieux. Avez-vous oublié qu’il n’y a pas si longtemps, en occident les mariages se faisaient sans le consentement de l’une ou l’autre des parties principalement concernées et que cela continue de se pratiquer à l’heure actuelle dans beaucoup de régions de votre belle planète ?D’ailleurs l’accouplement, dans le cadre du mariage n’exige pas le consentement mutuel.
La notion de viol à elle un sens dans ces conditions ? Pourtant bien que la plupart du temps il soit considéré comme un délit grave hors mariage, dans le cadre du mariage, il ne l’est pas souvent, et n’est pratiquement pas réprimé à moins qu’il n’ait provoqué la mort ou des blessures, et encore, car certaines lois ou croyance dans certains pays considèrent cela comme non punissable. Décidément, vos paradoxes civilisationnels me surprennent toujours.
Pour résumer je dirais qu’un mariage est un contrat ou les deux parties s’engagent à fournir et à recevoir réciproquement certaines prestations. En clair: Tu me donnes des biens matériels (dot, terres, argent) plus des services sexuels et, en échange, je te donne protection contre l’environnement extérieur, à toi et nos futurs enfants, ainsi que nourriture, car je suis physiquement plus fort que toi. C’est trivial, Dites-vous ? Certainement, mais pas hypocrite. L’hypocrisie est une de vos spécialités, pas la mienne, et ce que je viens de dire n’est simplement qu’une constatation de vos mœurs qui d’ailleurs me laisses indifférent.
– Ce que vous décrivez, Nemo, était vrai dans le passé et même si cette conception existe encore, elle est en passe de disparaître. Notre civilisation évolue et s’améliore car maintenant les mariages se font à la suite de relations affectives.
– Dites-moi Oldsmith, je suppose que vous faites allusion à ce qui se passe dans ce que vous nommez le monde occidental, si c’est vraiment le cas, comment se fait-il qu’il y a autant de divorces et que le nombre de mariages a une tendance à la baisse ?
Comment se fait-il qu’il y ait dans vos pays dit ‘occidentaux’ de plus en plus d’éléments d’autres cultures qui pratiquent la polygamie ?
– Je l’ignore, mais je suppose que c’est dû à la vie moderne et à nos principes de tolérance, Nemo.
– Oui, sans doute, c’est dû au progrès de la vie ‘moderne’, que je ne peux que considérer que comme une évolution locale.
– Ne vous moquez pas de moi Nemo. Vous savez bien que ce n’est pas une bonne chose.
– Bon ou mauvais sont des termes sans sens pour moi. Il s’agit d’évolution, c’est tout. Vous venez de prononcer un mot qui dépasse pour moi mes facultés de compréhension. Il s’agit du mot tolérance. Être tolérant signifie pour vous d’accepter une chose que vous n’aimez pas, qui va contre vos principes et qui ne peut que vous nuire. Je ne comprends pas pourquoi un homme doit être tolérant sans y être forcé, c’est illogique et suicidaire à moins que ce soit une forme de masochisme, mais je dois me tromper car la tolérance est une vertu non ? Pouvez-vous m’expliquer ?
– Oui, La tolérance est l’acceptation de l’autre en tant qu’être humain dans toute sa différence.
– Oui, je comprends Smithong, néanmoins la cohabitation dans la tolérance me parait difficile, voire une source de conflits permanents. Les Romains devaient être très tolérants, les ruines romaines sont très intéressantes.
Bon, passons donc à la suite logique du mariage comme vous le dites assez souvent.
L’arrivée d’enfants constitue la continuation de l’espèce. Le long de votre histoire, cet événement à toujours été vécu différemment par les deux parents. Considéré comme un événement dont ils n’avaient pas le contrôle, ils l’ont souvent attribué à la volonté divine, commeils l’ont souvent fait lorsque ils ne comprenaient pas quelque chose. Néanmoins, pour eux il s’agissait d’un fait potentiellement positif, en effet, si l’enfant survivait jusqu’à l’âge adulte, il serait en mesure de subvenir à leurs besoins et à leur apporter protection. L’enfant, sitôt en âge de pouvoir effectuer des efforts physiques, pourrait aider la famille en travaillant. Les liens affectifs étaient jusqu’à cet âge assez limité en général. Ceci est très compréhensible, car le taux de mortalité enfantin était très élevé jusqu’à une époque récente et, s’attacher émotionnellement n’était pas souhaitable. Cependant, la mère a une fonction centrale vis-à-vis de l’enfant, car elle seule assure sa nourriture et les soins qu’il nécessite au début de sa vie. Cette fonction est, ce que vous nommez communément ‘l’instinct maternel’, elle est commune à la plupart des animaux à sang chaud dont vous faites partie. La mère développe avec le temps une relation émotionnelle avec son enfant. Pourquoi ? Pour les raisons matérielles déjà citées dans la notion de mariage, par sa composition biologique et par sa quête vitale de protection future, supérieure à celle de l’homme. Ces relations émotionnelles étant les seules en son pouvoir pour obtenir la protection future souhaitée. Ce besoin est vrai pour l’homme aussi, mais dans une moindre proportion.
Étant donné que l’appel à ces ‘sentiments‘ n’est parfois pas suffisant les parents y ajouteront des biens matériels dont leur progéniture hériteront à leur décès, à condition qu’ils satisfassent à leurs besoins jusque-là, si bien sûr, ils peuvent en accumuler.
Afin de parfaire ce dispositif, l’homme utilise un outil nommé ‘éducation’. Il s’agit de conditionner l’enfant pour le but recherché. La crainte des enfants envers les parents et leur dépendance vis-à-vis d’eux en ont toujours été les bases, mais pour atteindre le but cela ne suffit pas. Beaucoup d’autres aspects sont nécessaires comme l’apprentissage du langage et des principes moraux. Donc la création de règles de conduite, de lois, de systèmes religieux, de traditions qui vont s’auto-confirmer l’un l’autre, ou dont ils seront issus, ils s’avéreront primordial. Car il faut à l’enfant des repères afin de croire en quelque chose. Cela s’avérera positif pour son évolution, car il développera un sens critique de l’observation qui le poussera de temps à autre, à remettre en cause certains principes.
Par exemple, Si vous dites à un enfant : Tu me dois le respect et tu dois m’aider! Il pourrait se demander pourquoi ? Il lui faut des réponses et des certitudes, votre rôle consistera à les inventer. Pour cela, le meilleur moyen est de faire intervenir une divinité sur laquelle vous pourrez vous appuyer, à laquelle vous donnerez les caractéristiques suivantes : infaillibilité, amour des hommes, justice, omnipotence, immortalité, inaccessibilité, entre autres. Vous vous appuierez aussi sur la tradition et surtout sur votre propre conditionnement. Vous avez, par ce moyen, inventé les bases de la société humaine que je développerais plus loin. Ce processus a été développé par de nombreuses générations qui vous ont précédées et, dans ce cadre, il est logique de souhaiter une longue vie à sa progéniture puisque votre propre avenir en dépend. Ce comportement parents-enfants peut vous paraître primitif. En fait il ne l’est pas du tout étant donné que les races animales n’attendent ni aide ni protection future de leur progéniture, les causes de leur existence étant seulement d’ordre biologique.
Je remarque là, une petite chose. À savoir le passage d’un instinct, ou plutôt d’une programmation animale inconsciente, à une tentative de programmation individuelle dont le but est la réalisation d’un état comportemental futur. Ce qui nous amène au fait de la prise de conscience par l’homme de l’écoulement du temps et donc de l’existence d’un avenir. Il s’agit là d’une des rares caractéristiques spécifique de votre race, spécifique, mais pas exclusive.
13-Les Dieux et leurs conséquences.
Première intervention de Sophie
J’ai dit, en parlant des divinités, qu’elles étaient des créations humaines. Que l’homme ait toujours reporté les phénomènes qu’il ne pouvait expliquer sur l’action d’une divinité est logique, car une sensation de peur très caractéristique le domine d’une manière plus ou moins inconsciente. Cette peur est différente de celle d’un animal par le fait qu’elle n’est pas seulement tributaire du présent mais se projette dans l’avenir.
Je m’explique : L’homme comme l’animal peu avoir peur d’un phénomène immédiat, par exemple la rencontre soudaine et imprévue avec un prédateur qui le met en danger imminent, mais contrairement à l’animal, il aura peur avant la rencontre s’il a appris, quelques jours ou quelques heures avant, que le prédateur se trouve dans la même zone que lui. Cette faculté l’amène à toujours tenter de se protéger. Néanmoins il ne le peut pas toujours, ou pas complètement, et afin d’exorciser sa peur il va créer un ensemble inaccessible à ses sens, et dont les facultés d’action seront bien supérieures aux siennes. Une fois cet ensemble crée il va le nommer, puis le symboliser sous une forme matérielle et, enfin essayer d’attirer ses bonnes faveurs et sa protection. Il pensera obtenir cela par une relation d’échange sous forme de donation (nourriture contre protection). C’est là, le système d’offrande le plus courant. Celui-ci ne se limitant pas à la nourriture mais pouvant être très diversifié (sacrifices d’animaux, d’humains, boissons, objet précieux), l’important étant que l’objet du don soit précieux pour le donneur et apprécié du receveur, devenant ainsi un objet sacré. L’être divin ainsi créé, interviendra en sa faveur lorsque sa vie sera en danger quelle que soit la nature de celui-ci, du moins c’est ce que l’homme espère. Que la personne concernée soit ‘bonne’ ou pas n’a aucune importance pour la divinité. Ce qui compte étant l’adoration par l’offrande. Le premier Dieu fut ainsi créé.
– Simpliste et primaire Nemo, il se peut que cela se soit passé ainsi il y a longtemps, au début de l’histoire de l’humanité. Mais depuis les choses ont évoluée.
– Oui, ceci était probablement le début, Smitof, mais ces bases et ces principes de créations sont restées les mêmes depuis des siècles.
L’homme, en effet, c’est rendu vite compte, à la vue des résultats, que ce système était incomplet et n’était pas très fiable. Il a donc essayé de le rendre plus efficace.
– Je me doute comment. En diversifiant ?
– Oui, entre autres en créant d’autres Divinités, spécialisées dans divers domaines des peurs et des espérances humaines. Cette spécialisation c’est réalisé en s’inspirant du domaine environnemental, Elles ont pris forme dans le règne animal, en faisant de certaines races plus puissantes physiquement que l’homme, des ‘races-divinités’ par exemple: lion, crocodile, éléphant. Plus loin dans le temps, mammouth, ou autres. Là, on peut penser que la notion de force physique animale en a été le moteur. Le règne végétal et les lieux en eux-mêmes ont aussi été source d’une grande création de divinités en tant que telles. Les forêts, les cavernes, ont été depuis longtemps des endroits dangereux, obscurs, menaçants, à l’intérieur desquels les sens devenaient moins fiables et ou la peur augmentait d’intensité. D’où la création d’êtres divins peuplant ces espaces. Les endroits difficilement accessibles devinrent aussi sources de création d’entités divine comme les fleuves, les montagnes et aussi le ciel. Sans oublier aussi les 4 éléments, vous n’ignorez pas les places privilégiées de l’eau et du feu dans le panthéon des divinités.
– En fait Nemo, tout pouvait devenir source de créations de divinités?
– Non, pas tout, seulement les sources de danger potentiels majeurs qui inspiraient un degré de peur extrêmement élevé en fonction de l’environnement, cette peur pouvait avoir pour cause aussi bien un ennemi animal ou humain qu’être produite par l’angoisse d’une mauvaise chasse ou récolte. Le résultat de ce processus de création a entraîné plusieurs états, une répartition particulière entre chaque divinité, des pouvoirs précis conférés à chaque entité et le développement d’un culte, spécifique à chacune d’entre elles, qui sera composé de rites de plus en plus élaborés et stricts. Cette multiplicité des divinités est restée longtemps limitée à une région géographique, puis c’est étendu de plus en plus, provoquant des conflits entre humains dans les territoires voisins à cause de celles déjà en places et les nouvelles arrivantes.
– Déjà des guerres de religions, Nemo?
– Je n’irais pas jusque-là, pas dans le sens moderne, disons que c’était des conflits afin d’imposer les divinités d’un groupe en détruisant celles d’un autre dans le but de préserver la protection de leurs dieux et par ce fait démontrer leur puissance. Même si les deux divinités en causes étaient, de par leurs caractéristiques, trèssimilaires et avaient les mêmes fonctions protectrices, mais ceci était rare. De plus les véritables raisons de ces conflits n’étaient pas souvent d’ordres purement religieux, mais plutôt d’intérêts individuels ou de groupe. Ceci est d’ailleurs toujours d’actualité. La divinité étant sollicitée dans ces cas en tant qu’aide dans le but d’acquérir la victoire. Ce qui permettait de motiver et rassurer les individus. Justifier les raisons d’un conflit par la volonté ou au nom d’un dieu est un prétexte plus que classique, il est commode, indiscutable et invérifiable. C’est un des meilleurs prétextes utilisé dans votre histoire, sinon le meilleur et il fonctionne toujours à merveille.
La création de ces ‘ Dieux’ à très rapidement entraîné l’apparition d’un nouveau groupe dans les sociétés humaines, celui de la caste religieuse. Celle-ci, doit, pour s’imposer et avoir une influence importante au sein du groupe, se présenter devant celui-ci en tant que porte parole ou représentant de la divinité.
– Comment ?
– Pour cela elle doit acquérir des ‘connaissances’ concernant le dieu. Elles sont principalement de deux sortes. La première est la concrétisation du dieu, c’est-à-dire la création de son essence, de ses origines (qui peuvent être ‘fils ou fille d’un autre dieu’ donc d’ordre généalogique ou bien demeurent très floue si le dieu en question est extrêmement puissant), de ses exploits, de ses pouvoirs. La deuxième est constituée des liens rattachant la divinité à la nature et par conséquent aux hommes. Ces connaissances seront principalement du domaine de la botanique (propriétés curative ou létales de certaines plantes), de la cosmologie (saisons, éclipses, phases lunaires, etc.), des révélations du dieu par des pratiques spécifiques dont l’oracle de Delphes est un bon exemple, ce qui permet de donner l’illusion de connaître le futur et, bien sûr, la connaissance des phénomènes naturels, météorologiques ou autres. Ces connaissances étant indispensables à la crédibilité de leurs relations privilégiées avec le dieu.
L’apparition de cette caste modifia les relations entre les membres d’un même groupe. Auparavant constitué d’éléments de forces physiques inégales, celui-ci fonctionnait selon une hiérarchie fondée sur la force sans laquelle l’individu faible ne pouvait prétendre à la domination du groupe et aux avantages s’y rattachant. De la tribu de type animal ‘meute’ l’homme avait évolué au stade de ‘civilisation’. Dans ce nouveau contexte l’individu faible pouvait, sinon dominer ses congénères, au moins obtenir d’eux respect, protections et biens matériels par son appartenance à la caste religieuse. La domination absolue restant toujours entre les mains du plus fort.
Il est intéressant de noter que l’origine de cette création humaine est la peur. Non une peur animale, presque instantanée, mais une peur temporelle. Dans un contexte d’une prise de conscience de la réalité d’un ‘présent-futur’. Cette peur a été utilisée dans le but d’établir une nouvelle hiérarchie de base, autre que la force pure. Soit !, mais elle a pour source même la peur ressentie par leurs créateurs mêmes. Cette peur étant elle-même un réflexe de survie dont l’origine est la méconnaissance de la réalité pure.
– Nemo, cette prise de conscience d’une notion temporelle présent-futur serait, suivant vous, l’origine de la création des croyances humaine? Mais qu’en est-il de la mort ?
– La notion de mort est liée à cette notion temporelle en effet Smitonof. Elle est aussi toujours intégrée dans un système religieux quel qu’il soit et y tient une place prédominante. La mort n’est pas entièrement ‘l’inconnu’ pour vous. Vous avez constamment sous les yeux ses effets et conséquences, mais telle que vous la connaissez, vous n’en voyez que des effets que vous estimez négatifs. Ce que vous voyez est une modification de votre état d’un ensemble vers d’autres ensembles plus petit à votre niveau, et que vous croyez moins complexe.
Smith, demandez donc à Sophie ce qu’elle pense de la mort maintenant. Elle sera sûrement de bon conseil, elle qui est une ‘déesse’, dont l’origine est ‘divine’.
– Tout cela ne serait que pure création de l’esprit humain, des illusions? Je ne peux le croire Nemo. Et comment pourrai-je demander quoi que ce soit à votre soi-disant sœur qui n’est que le fruit de l’imagination d’un écrivain?
– Bravo, Smithson vous venez de rendre Sophie furieuse.
– Mr Smith, J’EXISTE, je suis là, je vous entends, vous vois. Nemo existe comme moi, en tant que non humain, PAS VOUS. Je ne suis pas une illusion. TOUT CONCEPT, TOUT ENSEMBLE CRÉE PAR VOUS, EXISTE dans votre prison et seulement dans votre prison. Vous serez peut-être de mon monde. Étant de votre monde, vous n’êtes PAS. Si mon père est un écrivain humain, n’oubliez pas que ma mère est Héla.
– Excusez-la, Smithong, elle est un peu impulsive et ce n’est pas son genre cependant, là elle a entièrement raison. Mais je n’en ai pas fini sur le sujet aussi continuons voulez-vous?
– Continuez Nemo, et dites à la gamine, qui se cache probablement dans la cuisine pour ne pas être vue, de faire ses devoirs d’école.
– Oui, c’est ce qu’elle fait Smithine.
J’ai essayé de décrire l’origine de la création des religions et leurs causes, il s’agit d’un survol, car ce sujet nécessiterait un livre entier, et même plusieurs. Les religions sont passées progressivement d’un stade d’influence locale à une influence de plus en plus étendue géographiquement en englobant des populations diverses. Ce développement a entraîné plusieurs changements, notamment la création de systèmes religieux monothéistes. La cause principale étant due au fait de la difficulté de maintenir un système diversement complexe dans une structure hiérarchisée. Maintenir la stabilité d’un système est irréalisable, puisque aucun système ne peut être stable dans un contexte temporel. Cela entraîne une division ou une évolution du système. C’est le cas pour ce type de concept. Vous êtes donc passé à un système ou un être (Dieu) devient une projection d’espoir, en lui attribuant des caractéristiques spécifiques que vous voulez universelles.
– Et quelles sont-elles d’après vous Nemo ?
– Je vais tenter de les énumérer dans les grandes lignes.
Dans le passé, tous les concepts théologiques étaient caractérisés par leur appartenance à un peuple. De ceux-ci n’ont survécu que ceux qui ont évolués vers une universalité. C’est en s’adressant à tous les hommes qu’ils ont pu se développer.
Ainsi la notion d’un dieu juste et équitable était nécessaire ainsi que celle de bonté, en effet une divinité bonne pour les humains leur procure assurance et confiance en l’avenir (si Dieu est bon il ne peut m’arriver que des bonnes choses, car il n’est pas capable d’actes qui me nuiraient et ceci dans tous les cas), Certaines religions sont allées plus loin en affirmant que leur dieu est le père de tous les hommes et qu’il les aime, ce qui entraîne que les représentants de cette divinité sont de facto à l’image de dieu, ceci les rendant inattaquables dans leurs actions.
Vous avez, bien sûr, gardé l’antique notion de crainte qui d’une part, confirme la divinité dans sa toute puissance et d’autre part permet à ses représentants sur terre un contrôle sur les croyants. Cette notion essentielle crée un climat de peur indirecte qui est censée détourner le risque de rébellion ou la perte de foi (vieux truc incontournable qui se retrouve bien représenté dans la phrase que vous dites aux enfants ‘si tu n’es pas sage, le croquemitaine viendra te manger’. Ah, ce vieux croquemitaine que personne n’a jamais vu mais qui fait si peur).
Autre élément important s’il en est, est la création de l’au-delà afin de rassurer l’homme sur son devenir après sa mort. Cet au-delà doit être toujours conditionné à deux choses. La première, est la fidélité à la croyance et aux dogmes. La deuxième est le comportement individuel durant la vie terrestre qui doit être conforme à la doctrine théologique. De plus il est essentiel que cet au-delà soit un endroit ou toute peur soit exclue et tout besoin satisfait dans l’éternité. Cet au-delà est généralement appelé ‘Paradis’, récompense suprême d’une vie de soumission totale.
Afin de prévenir, et éventuellement réprimer toute controverse, il est nécessaire de créer son opposé, c’est-à-dire l’enfer. Ceci dans le but de maintenir la dualité soumission-punition ou récompense-punition (le croquemitaine est toujours là sous des noms différents).
Autres caractéristiques sont l’infaillibilité et la volonté divine. Celles-ci doivent être inaccessibles à la compréhension humaine car, étant donné que les phénomènes négatifs sont inévitables, il est indispensable de les justifier. Ils seront donc attribués à la volonté de la divinité, consentant à laisser agir un être maléfique (Satan ou autre) qui est son ennemi, mais dont le pouvoir est inférieur au sien. Cette attitude incompréhensible sera justifiée par l’impossibilité de l’esprit humain de comprendre, dans tous les cas, la volonté et les plans divins ou bien elle le sera par la volonté du divin de laisser la liberté de choix à l’homme. Ceci permettant de justifier les actions divines, de les rendre positives pour l’homme, fautif de ne pas pouvoir les comprendre, car le dieu est un dieu ‘bon’ même s’il laisse se produire des ‘mauvaises’ choses, c’est pour le bien des hommes et par respect de leur liberté. Ce système paradoxal a fonctionné pendant des siècles et fonctionne toujours très efficacement. Ces différents traits se retrouvent dans toutes les religions monothéistes actuelles. Je n’inclus pas là d’autres croyances actuelles, telles que le Bouddhisme, le taoïsme et autres, car je les considère plus comme des philosophies que comme des religions (en fait il s’agit le plus souvent d’un mélange des deux). Ce système decontrôle des populations et de manipulation est l’un des plus efficaces mis en place depuis que l’homme marche sur cette planète. Je ne puis que constater le magnifique ensemble que vous avez crée et en admirer les rouages. Le plus remarquable étant cette faculté des manipulateurs eux-mêmes d’y croire sincèrement. Le but de ces religions n’est pas la recherche du réel, bien que toutes se targuent de détenir la seule et unique vérité. Non, leur seule raison d’être est la domination complète de la population par un groupe (religieux) dans le but de s’approprier les ressources de la population des croyants.
– Je ne peux pas vous suivre sur cette voie, Nemo. Vous faites fi des vertus humaines essentielles qui font de nous des êtres à part et dont tout humain ne peut qu’en tirer fierté, telles que L’amour et le bien. Même si les hommes on crée les dieux ce n’est pas négatif, étant donné qu’il en a résulté une morale positive pour le genre humain.
– Je ne juge pas vos croyances Monsmith, je constate et apprécie, dans sa conception et son fonctionnement, cet ensemble que vous avez crée, qui existe et donc, Vie. Vous me dites que, de son existence, a résulté une morale positivepour vous, je suis très loin de partager cet avis, car je n’y vois rien là de positif ou de négatif, seulement une entrave à votre évolution, mais si, comme vous auriez pu le faire, l’inverse en aurait été le fruit, c’est-à-dire une morale négative, je considérerai l’ensemble de la même manière. Puisque vous me parlez des vertus humaines essayons de voir ce sujet.
14-Notions humaines vs notions animales.
– Les vertus humaines sont des créations de l’homme. Ce terme de vertu d’ailleurs n’implique que les choses ‘bonnes’ dans la langue actuelle, dans le passé il comprenait les ‘mauvaises’ aussi (la tromperie, par exemple). Smithc, vous avez dû remarquer que le processus de formation d’une religion correspond à toute création d’ensembles. Celle-ci est composée de sous-ensembles crée de toutes pièces par l’homme, les vertus que vous citez sont des créations humaines dont les raisons ont été évoquées en partie et qui ne correspondent nullement à une réalité naturelle ou universelle. Les notions de bien et de mal qui vous tiennent tant à cœur n’ont aucun sens dans la ‘nature’. Comme la plupart des ‘valeurs humaines’ d’ailleurs. Voulez-vous qu’on les analyse en les comparants entre l’homme et l’animal ?
– Essayez, nous allons voir, Nemo.
– Je vous propose d’en examiner les termes suivant une optique animale, en excluant de ceux-ci la totalité des insectes et assimilés.
a- Bien – mal :
Pour un animal comme pour la nature le bien comme le mal n’existe pas. Une action est nécessaire ou elle ne l’est pas. Dans le cas d’un carnivore, sa nature biologique le pousse à se nourrir de viande. Pour cela il tue, uniquement quand il a faim et seulement pour se nourrir. Il ne tue pas l’un de ses semblables sauf en cas d’extrême nécessité. Les notions de bien et de mal n’existent simplement pas pour lui.
À l’opposé, l’humain considère le bien ou le mal en fonction de concepts qu’il a créé de toutes pièces et qui ont pour noms, morale, intérêt et religion. Il définit le bien comme ce qui est positif pour la communauté et ses membres. En fait cet outil est un prétexte afin de légaliser et justifier une emprise individuelle sur ses congénères. Par le truchement des lois, il décide ce qui est ‘bien’ ou ‘mal’ mais n’hésite pas à les redéfinir en fonction d’intérêts individuels ou ceux de certains groupes. Le fait de se contredire ne le gêne pas. Telle chose considérée comme bonne à un moment est classifiée mauvaise du jour au lendemain, ce qui visiblement ne vous pose pas d’énormes problèmes dans vos sociétés.
– Mais c’est de l’évolution de l’homme, du progrès que vous parlez Nemo, il est naturel d’évoluer !
– Il est vrai que vous avez su développer tout un arsenal de techniques de conditionnement extrêmement efficaces et que votre mémoire est très volatile. En fait, on arrive à vous conditionner à tout. Même à ce qui va à l’encontre de votre survie individuelle et menace votre espèce. Est-ce là ce que vous nommez ‘progrès’?
Un exemple: Un humain conditionné au respect de la vie des autres, pourra l’être de nouveau pour devenir un tueur en série dont officiellement ce sera le métier (Voir ce qui c’est passé dans vos camps d’extermination durant votre seconde guerre mondiale).
– C’ était des circonstances exceptionnelles, Nemo, elles ne reflètent pas la véritable essence de l’homme.
– Exceptionnelles, vous dites ? Pas du tout. Les exemples sont légions et vos guerres et votre histoire en fourmillent, un soldat étant une machine à tuer ses propres frères de race dans l’intérêt d’un groupe, d’une personne, ou pour son propre intérêt. Il suffit pour cela d’un prétexte d’ordre religieux, moral, politique ou supérieur. Ce soldat d’ailleurs, vous le vénérez quand il fait bien son travail et que vous-même y trouvez un intérêt matériel ou une satisfaction morale, vous l’appelez ‘Héros’.
Vous n’hésitez pas une seconde à le rejeter si ce n’est pas le cas où lorsque le but est atteint, car vos soldats doivent vaincre l’ennemi et quand ce n’est pas le cas et qu’ils reviennent vaincu, ses compatriotes seront les premiers à les rejeter.
Même en temps de paix, votre comportement est aberrant par rapport à vos lois.
Lorsque l’un de vous tue l’un de ses semblables, vous dites ‘c’est un assassin’ et vous le punissez sévèrement et donc en agissant ainsi vous êtes conforme à votre code moral. Lorsque l’un de vous tue 2, 3, voir 10 de ses semblables, vous dites ‘c’est un tueur en série, un monstre, pas un homme’ et vous le punissez sévèrement aussi. Mais quand cette même personne en tue 3000 ou 300 000 autres, vous dites ‘c’est un héros, un grand homme’ et vous le récompensez et en faite un exemple à suivre. Ils deviennent les ‘Grand Hommes’ de votre histoire (Alexandre, César, Napoléon), du moins ceux qui ont gagné leurs guerres, car les perdants, eux, vous en faites des monstres (Hitler). Ce sont pourtant les mêmes. Comme je le disais, vous n’en êtes pas à un paradoxe prêt. Ce qui me surprend, ce n’est pas vos actions, non, c’est votre changement de comportement radical.
Vous rendez vous compte que vous êtes la seule espèce dans la nature à vous autodétruire à grande échelle ?
Ce fait est dans votre nature, donc un comportement normal et logique pour vous. Étant donné que vous n’avez plus de vrais prédateurs à redouter, il est nécessaire de réguler votre population, l’autodestruction en est un bon moyen (il n’est pas le seul mais c’est un moyen rapide et efficace), donc vous l’utilisez mais sans en avoir conscience, car vous mettez toujours en avant des prétextes moraux pour le faire. Vous ne reconnaissez jamais les véritables raisons qui vous poussent à massacrer les autres, au contraire, vous les cachez toujours derrière des prétextes même si ceux-ci ne résistent pas une seconde à la réflexion et sont incroyable même pour le plus débile d’entre vous. De toute façon, vous admettez ces prétextes sans problèmes tant qu’ils correspondent à votre morale du moment et vous permettent de penser ‘j’ai la conscience tranquille, car ma cause était juste’. Vos concepts de bien et de mal n’ont aucune signification dans vos communautés, vous vous l’êtes démontré à vous-même le long des siècles. Comment se fait-il que vous vous refuser toujours à l’admettre, Smithy?
– Nous apprenons, Nemo, nous essayons d’aller vers le bien.
– Vous n’apprenez rien du tout, vous n’avez rien appris sur la vie et l’univers depuis des siècles.Vous ne savez même pas l’essentiel, à savoir ce que vous êtes et où vous vous trouvez. Ce n’est pas un reproche, Smithy, je ne peux pas reprocher quoi que ce soit à un ensemble croyant être en vie.
– Enfin, Nemo, c’est vrai que les guerres sont une catastrophe, mais elles sont inévitables. Pour progresser, il faut se battre contre ceux qui veulent nous priver de notre liberté ou de nos biens.
– Quelle liberté ? Quels biens ? Vous n’avez rien du tout. Vous croyez posséder des objets matériels, des ‘biens’ comme vous dites, une liberté inexistante, un honneur que vous n’avez jamais eu. Allez donc faire un tour sur un lieu de conflit (autrefois ‘champ de bataille’), vous me reparlerez d’honneur, de bien, de justice, de libertés après. Si vous n’en revenez pas dans un sac en plastique.
– Et ma vie, Nemo? C’est mon plus grand bien et il est normal de la défendre.
– Ce serait normal, mon capitaine, si vous étiez vivant, hors ce n’est pas le cas et, tant que vous ne le serez pas vos actions ne seront que chimères.
Vous êtes dans la pire des situations possible, bien en dessous de l’état de cadavre.
– C’est faux, je vis.
– Non, et c’est pour cela que vos ‘actes’ sont sans conséquences.
– Reprenons.
b- Amour 1 ou ‘Désir’:
Dans le cas de l’animal, il s’agit d’une fonction biologique, dont le but est la reproduction de l’espèce. Il l’effectue avec plaisir et suivant un processus particulier à sa race. Vous vous comportez comme eux.
c- Amour 2 ou ‘Amour vrais’:
Considéré comme un sentiment semblable à l’amitié humaine et hors de tout contexte sexuel, il existe pour certains animaux, particulièrement chez les mammifères. Les exemples en sont nombreux, même entre races différentes (homme-cheval, chat-chien, etc.) Il se caractérise toutefois par une absence totale d’intérêts matériels.
Ces 2 formes d’amours se retrouvent chez vous. Toutefois, l’absence totale d’intérêts matériels en est souvent exclue. Intérêts matériels et soif de possession sexuelle en sont les sources la plupart du temps.
Ces termes n’existent que chez l’humain, ils en sont même les détenteurs exclusifs avec, bien sûr, leurs contraires. Vous estimez qu’ils sont des défauts ou des qualités de votre race. C’est vrai pour vous, mais seulement suivant les circonstances. De votre point de vue je ne peux que vous donner raison, puisque, visiblement pour vous, seul compte la satisfaction de vos désirs individuels dont la sexualité est l’un des plus importants à vos yeux, peu importe les moyens de les assouvir et leurs conséquences. Pour moi, ce ne sont ni des défauts ni des qualités. Ce sont juste des comportements sans intérêts.
– Nemo, des hommes ont donné leur vie par amour, par amour pur!
– La plupart d’entre eux l’on fait par orgueil ou par rage, rare, très rare l’ont fait par amour pur, comme vous dites. Les hommes donnent très rarement leur vie volontairement. J’ai assisté à ce genre de scène plusieurs fois. Une fois même, je suis intervenu. Cela se passait pendant les guerres Napoléoniennes dans un village allemand. Des soldats avaient massacré une famille dans une ferme, la femme et les enfants étaient morts ainsi que trois voisins. Le mari, désarmé, regardait sans réagir. Sa peur de mourir était visible ainsi que sa rage, pourtant il n’était pas immobilisé et les soldats ne s’occupaient pas vraiment de lui. Je me tenais à côté de lui, invisible et plantais à ses pieds une épée. Il la vit, la regarda un moment mais ne fit rien pour la prendre. Je sentais qu’il ne voulait qu’être avec les siens. Je ressentais cet amour pur qui émanait de lui et n’avait qu’un seul but, sa famille. Les soldats le tuèrent peu après.
– Que vouliez-vous qu’il fasse contre un groupe de soldats ennemis avec une épée, Nemo?
– Cette épée était une clef, une clef portée au rouge, à la poignée hérissée de pointes acérées. Une des rares qui ouvre la porte du réel, de la vie. Il ne l’a pas saisie et a été entièrement détruit. S’il l’avait fait, il aurait eu une chance de se sauver, de sauver sa famille et tout ce qui aurait été lui.
– Sa famille était déjà morte, Nemo. Vous venez de le dire et comment voulez-vous qu’il saisisse une épée brûlante et dont la poignée l’aurait blessé ?
– Morte, oui, pas détruite encore. L’épée était portée au rouge, sa poignée l’aurait blessé, elle aurait brûlé et percésa main, oui, infiniment plus que vous ne pouvez le concevoir. C’était mon épée. La seule issue possible à ce moment-là. La seule clef disponible, pas la plus facile à utiliser. Le plus drôle est que lui, la voyait comme une épée banale, sans danger pour lui.
Je vous demande une minute, Smith, Sophie pleure, je l’entends.
– Me voila de nouveau, j’ai lamentablement échoué à calmer complètement sa douleur. Je n’ai pas pu, pas su. Pardonne-moi, Sophie.
Me revoilà dans votre monde, Smith. Il m’est toujours très pénible d’y revenir mais comme tous les mondes sont reliés les un aux autres il m’est impossible de l’ignorer.
– Nemo, je suis désolé pour Sophie, suis-je la cause de sa peine ? Puis-je aller lui parler dans la cuisine ?
– Oui, Smithy vous en êtes la cause, mais peut être que vous ne le serez plus. Quant à aller la calmer c’est impossible pour vous pour l’instant.
– Quand le pourrais-je ?
– Quand vous la verrez et discuterez avec elle.
– J’espère que ce sera bientôt, Nemo. En tout cas vous êtes drôle par moment, appeler la cuisine ‘un autre monde’, quand même, et votre histoire lors des guerres Napoléoniennes est simplement loufoque, vous n’étiez même pas née, c’est n’importe quoi.
– Bientôt ? J’en doute, étant donné la rapidité de compréhension dont vous faites preuve. Quant à ma naissance, j’étais déjà vieux, quoi que relativement jeune lorsque cela c’est produit. Néanmoins, comme vous êtes une exception, vous Smith et pas un autre, ce moment decompréhension arrivera peut-être et, si ce jour arrive, vous serez le premier à le regretter amèrement.
– Parlons de propriété voulez-vous ?
d- Propriété :
Pour l’animal, cette notion n’existe que dans les cadres suivant:
Territoire de chasse, logement (terrier ou autre), nourriture et parfois la sexualité.
Chez vous, c’est différent. Elle s’étend à tout ce que vous considérez comme ayant une valeur, matérielle ou autre. Tout ce qui vous entoure devient votre propriété potentielle ou effective. Une maison devient votre maison, un travail, votre travail, une femme, votre femme, un terrain, votre terrain, et ainsi de suite. Grossières erreurs, Smith, vous ne possédez rien et ne posséderez jamais rien.
– C’est faux, je suis propriétaire de ma voiture et personne ne peut me la prendre jusqu’à ma mort ou jusqu’au moment où je décide de la vendre.
– Vous l’avez dit. Pour une certaine durée, dépendante ou non de votre volonté. Cependant une institution que vous nommez ‘état’ peut vous la prendre à tout moment, vous appelez ceci une ‘réquisition’. Pour posséder réellement quelque chose il faut quatre conditions essentielles mon cher Smitounet.
– Lesquelles d’après vous ?
– Que l’objet qui est votre propriété existe, que vous-même existiez dans l’univers, que vous ayez conscience de votre état dans celui-ci, et que vous sachiez quel est l’état réel de l’objet que vous convoitez.
Aucune de ces conditions n’est remplie étant donné que vous ne pouvez pas définir votre réalité, vous n’en avez aucune conscience.
Le jour ou vous réaliserez que vous n’existez pas, sera un grand jour pour vous, car à partir de ce moment-là, vous commencerez peut-être d’exister et deviendrez réels. Si un jour cela arrive, vous constaterez que la ‘propriété’ n’existe pas. Ce qui me fera bien rire.
– Ce n’est pas possible ça. Je ne peux pas l’admettre, j’existe ! Et vous, Nemo, vous n’êtes pas réel.
– Oh que si, mon Smithiton, je suis réel et je ne suis pas le seul. Cela vous fait peur ? Non ? Pas encore ? Cela viendra.
Continuons donc.
e- Peur :
Existe sous forme instantanée et devant une menace vitale, se dissipe très vite ou se transforme en énergie combative pour faire place au combat proprement dit, si la vie de l’animal est en jeu. Elle peut aussi se transformer en résignation ou en fuite dans le cas où le rapport de force est trop inégal ou que le sujet pense qu’il l’est.
La peur humaine est identique à la différence qu’elle se projette plus loin dans le temps et l’espace. Dans ce cas, il prend diverses formes comme la peur de tomber malade ou de perdre un ‘bien’ quelconque. Votre peur de l’avenir a pour source votre non-réalité et la non-réalité de votre environnement, ainsi que la conscience de votre mort prochaine telle que vous la concevez. Elle est la source de votre croyance en une vie après la mort que vous imaginez heureuse, sans soucis, dans l’opulence et éternelle.
– C’est naturel, Nemo.
– Pas du tout, bien au contraire. Comment peut-on avoir peur si vous êtes conscient que vous n’avez absolument rien à perdre, pas même la vie ? Puisque vous ne possédez rien et n’êtes rien.
– Vous délirez complètement.
– Ça, c’est une chose que je ne peux pas faire comme vous, ‘délirer’ comme vous dites.
f- Vol :
S’approprier la nourriture d’autrui lorsqu’il a faim est naturel, car il s’agit d’une question de survie pour l’animal. Votre race agit de même, non seulement pour sa survie mais aussi pour son confort personnel.
– Nous punissons cela Nemo, et sévèrement. C’est du vol.
– Ah, bon ? Pas toujours. J’ai surtout remarqué que vous utilisiez d’autres mots et expressions afin de contourner une éventuelle punition et justifier un vol par la légalité. Par exemple, expropriation, décret (très jolis fourre- tout, celui-là), contrat, Intérêt national, volonté divine. Lorsque vous les utilisez, c’est la personne volée qui est punie en cas de rébellion, pas le voleur. D’ailleurs j’ai remarqué que, plus le vol est important, plus les mots pour le légaliser font appel à des instances supérieurement puissantes mais vagues, qui n’impliquent pas une ou des personnes précise, tel que par exemple, la loi, l’état ou Dieu.
De plus il est assez courant chez vous de punir un vol dont le but manifeste était la survie d’un homme mais de ne rien faire contre un voleur de grande envergure possédant des appuis puissants et un statut élevé dans vos sociétés.
g- Justice :
Ce terme est considéré comme l’un des plus importants dans vos sociétés. Il est aussi l’un des plus mal interprétés. La justice est synonymed’équité et représente le ‘bien’. Son rôle étant la punition du ‘ mal ‘ et le rétablissement du ‘bien’ lorsque cela est possible. C’est du moins ce que pensent la plupart des humains. Il n’en est rien. Dans les faits, elle n’est que l’application de lois, qui elles ont été faites dans des buts de protection d’intérêts individuels ou collectifs. La plupart du temps, elles n’ont de ‘juste’ que le nom et ne s’appliquent pleinement qu’à des personnes de rang social bas. Tout cela vous le savez, Smithonito, aussi vous réagissez comme tant d’autres en disant ‘ Dieu est juste et il punira les hommes ‘mauvais’ après leur mort, car on ne peut rien lui cacher’.
– C’est vrai, et ils n’échapperont pas à la justice divine.
– Les dieux étant une création de l’esprit humain, j’en doute fort. Néanmoins il y a un tout petit peu de vrais dans ce que vous dites, car un homme tourné vers ses intérêts personnels et méprisant les autres ne peut généralement pas parvenir au stade d’existence, il demeure enchaîné à ses passions et ne peut concevoir une réalité, sauf de rares exceptions. Dans ces rares cas, leur réalité serait considérée par vous comme négative ou ‘mauvaise’, pour moi, elle est comme les autres. Certains d’entre vous y sont parvenus comme un certain Donatien, marquis de Sade, A.Hitler ou Néron, de leurs noms terrestres, mais ils sont vraiment très rares.
– Comment ? Ces types devraient être en enfer !
– Si vous voulez, ils y sont, mais dans le leur, et ils s’y trouvent très bien.
– Ce n’est pas possible, ils ne peuvent pas s’y trouver bien.
– Non seulement ils s’y trouvent bien, mais ils y sont pleinement ‘heureux’ comme vous dites, car ils ont Réalisé ce qu’ils étaient.
– Si c’est vrai, il n’y a pas d’enfer ou de justice.
– Bingo, O’ Smith.
h- Fidélité :
– Bien qu’existante chez certaines espèces (oiseaux, mammifères) elle n’est pas une généralité. Elle a parfois une origine sexuelle comme pour l’homme, mais il est difficile de dire que seule la sexualité en est la cause. Plusieurs éléments comportementaux me portant à croire que non. Vos principes d’amitié, d’allégeance, d’honneur, entre autres, peuvent entraîner un phénomène de fidélité. Il est important de comprendre ceci : il existe une forme de fidélité qui est une clef.
– Laquelle ?
– Si vous trouvez la bonne réponse, et c’est facile, vous n’aurez plus besoin de clef, car la porte sera ouverte.
i- Douleur physique :
Son existence est incontestable, et d’origine biologique, quelle que soit l’espèce, bien que se manifestant la plupart du temps chez l’animal d’une façon moins expressive que chez l’homme.
Elle n’existe qu’à votre échelle.
j- Peine – tristesse :
Non seulement elle existe chez beaucoup d’espèces mais de plus elle s’exprime spontanément avec une sincérité pure, n’ayant subit aucune influence sociale, morale ou religieuse. Elles sont d’ailleurs très liées aux amours 1 et 2. Il en est de même pour vous, si l’on met au conditionnel les aspects de sincérité pure et d’influences. J’entends, par là que votre peine peut, et est, souvent feinte volontairement, ou elle est le résultat d’un conditionnement, ce qui dans ce cas sera une peine non sincère, mais non consciente.
– Comment savoir si une peine est purement sincère, Nemo?
– Difficile, très difficile. On ne parvient à le savoir que lorsque l’on naît réellement. Je sais que ce n’est pas la réponse que vous attendez mon cher Smithsen. Ce que je peux vous assurer c’est que tous ceux qui sont comme moi, l’on apprit à ce moment-là. Ce n’est pas que je ne veuille pas vous le dire, je ne sais pas si l’on peut connaître la réponse hors de ce moment. Et il en est de même pour la joie.
k- Joie :
L’expression de la joie est aussi très présente dans le règne animal comme je l’ai défini. Il se caractérise par des gestes et des expressions faciales comprenant le sourire, de la même manière que dans la race humaine. Il n’est pas besoin de s’étendre plus sur la joie, car vous la connaissez, mais comme elle peut avoir une grande variété de sources, il serait bon que vous vous penchiez un peu sur ces sources, car l’une d’elles est intéressante.
l- Partage :
Le partage, à la base, concerne surtout la nourriture et se fait dans le cadre familial ou dans le cadre d’un groupe (meute, société). Il est toujours hiérarchisé obéissant à la règle de base ‘ le plus fort est le premier à se servir ‘.
Il se pratique dans le cadre familial animal afin de nourrir les petits et le parent qui reste pour les protéger, dans le but de la préservation de l’espèce.
Dans le cas de la meute/société, la nourriture étant le résultat d’une action communautaire, elle est partagée entre les membres, le but reste la préservation du groupe. Il s’agit là d’un type de société animale assez évoluée, surtout dans le monde des insectes ou sa structure atteint un haut degré d’évolution.
Le partage des ressources a constamment été source de débat chez vous. Elle vous est naturelle dans le cadre familial quoi qu’elle le devienne de moins en moins. Dans celui de la communauté c’est différent. Autrefois le partage de type ‘meute’ était assez répandu, car il présentait de grands avantages individuels. Maintenant, la tendance c’est inversé. Ce qui domine est l’individualité, car les dangers venants de l’extérieur de la communauté ont fortement diminué ou ont disparus et il est de moins enmoins nécessaire d’unir vos forces pour obtenir ce que vous convoitez, la technologie remplaçant les hommes. Du moins c’est ce que vous avez tendance à croire. Certains d’entre vous pensent qu’ils peuvent se passer des autres, qui de toute manière sont trop nombreux et qu’ils n’en seront que plus riches et plus puissants. Dans votre situation, il serait peut-être judicieux de ne pas baisser votre garde, si vous voulez conserver une chance de pouvoir exister un jour. Qu’en dites-vous ?
– Oui, les dangers nous menacent toujours, je suis conscient que nous ne sommes pas à l’abri de phénomènes naturels tels que les séismes ou les épidémies. Il serait peut-être plus sage de partager plus nos ressources. En cela je suis d’accord avec vous.
– Ne vous méprenez pas encore, Smithneth, ce que je viens de dire est juste un avis, même pas un conseil car quoi que vous fassiez, cela ne me concernera jamais directement et l’éventuelle disparition de votre race me laisse totalement indifférent, car tout ensemble non réalisé est un vide total, absolu, figé dans le néant, dans le non-être.
– Soyez franc, Nemo, vous êtes concerné et de plus, ce que vous exprimez peut se révéler très dangereux pour vous. Vous savez bien que nous n’avons jamais hésité à éliminer ceux qui exprimaient autre chose que les idées du moment.
– Une irréalité ne peut agir contre une réalité. Je suis hors de votre portée, quoi que vous tentiez. Par contre l’inverse n’est pas vrai. Je peux vous empêcher assez facilement de devenir réel, même de vous détruire, il ne me faut pour cela que l’accord de votre ‘père’ et je l’ai déjà. Je peux aussi vous aider à devenir réel. Je ne ferais rien de tout cela car, comme je vous l’ai expliqué ça m’est complètement indifférent. Cette indifférence est dans l’ordre des choses dans le réel, ce n’est pas de la cruauté de ma part.
Je ne suis pas un de vos dieux, Smitho, je ne suis pas là pour aider ou détruire quoi que ce soit et, si pour vous, je fais une exception et interviens, c’est simplement parce que je ne peux pas faire autrement que de tenir mes promesses.
– Pourquoi une exception en ce qui me concerne ? Par respect, par pitié ?
– De part votre nature Smith, de part ce que vous êtes sans le savoir.
– Le jour ou Nemo vous respectera ou éprouvera de la pitié pour vous il pleuvra des pièces d’or Mr Smith. Excusez mon rire, mais vous êtes si drôle dans votre bêtise.
– Nemo, comment pouvez-vous tolérer cette insolence ? Si vous ne réagissez pas, je vais dans la cuisine apprendre la politesse à cette gamine effrontée.
– Asseyez-vous Smitonigno, vous ignorez à qui vous avez affaire et, croyez-moi, elle n’est pas une ‘gamine effrontée’. Ne vous ai-je déjà pas dit qu’elle est une ‘Déesse’.
– Déesse ou pas, elle aura une belle baffe si elle continue à se moquer de moi, comment pouvez-vous rester assis sans réagir ?
– Ce n’est pas une forme de moquerie Mr Smith. Quant à me donner une baffe, vous rêvez. Vous me comprendrez mieux au moment de votre mort.
– Calmez-vous, mon cher Smitounino, vous auriez tout à perdre si vous allez dans la cuisine ma sœur n’a rien contre vous, mais elle peut être impulsive, je vous l’ai déjà dit.
– Peut-être, mais une gamine adolescente doit respecter ses aînés.
– Sachez que vous l’insultez en l’appelant ‘gamine adolescente’, à votre place je surveillerai mon langage, elle n’est pas votre ennemie, bon oubliez ça et venons-en au respect
m- Respect :
Celui-ci est étroitement lié à la hiérarchie, qui elle-même est déterminée par les rapports de forces entre individus. L’animal ne possédant pas les notions de bien ou de mal, ces rapports de force sont naturels et de plus, étant donné que le chef est le plus fort, il est le plus apte à protéger la communauté. Dans une meute, il sera parfois le seul à procréer, et dans ce sens tendra à améliorer la force, la résistance et la combativité de la génération suivante.
Il en est de même chez vous à la différence que la ruse a remplacée au fil du temps la force brute et que le chef humain ne sera pas le seul reproducteur du groupe, au mieux se contentera-t-il d’un ‘harem’, mais grâce à la quantité de sa ‘fortune’ et de sa ‘notoriété’ il pourra posséder toutes les femelles qu’il veut.
– Pas du tout, je respecte certains hommes pour leurs actes et pour ce qu’ils ont apporté à l’humanité de positif. Vous ne pourrez nier le génie, la grandeur d’âme ou les découvertes de certains hommes, d’Einstein, de Newton, Descartes, Voltaire, Da Vinci et de tant d’autres. Sans parler d’êtres comme Shakespeare, Gandhi.
– Ouah, je vais vous révéler quelque chose Smithodor, de tous ces hommes que vous avez cités, un seul existe maintenant, celui que vous appeliez le Mahatma Gandhi. Il fait partie de ma famille et est un de mes frères, nous nous connaissons bien et sommes très proches. Parmi ceux dont vous avez parlé il est le seul, mais d’autres que vous avez oublie en font partie. D’ailleurs votre respect concernant mon frère était très ‘élastique’ quand il se trouvait parmi vous. Le connaissiez-vous ? Non, vous connaissiez le Mahatma Gandhi, la ‘grande âme’ Gandhi. Si vous saviez à quel point cette expression dont vous l’affûtiez est juste vous ne seriez pas ici, mais avec nous.
Connaissiez-vous Voltaire, ce ‘magouilleur’ aux affaires louches, Newton, cet arrogant présomptueux et les autres que vous avez cités. Dites-vous bien que s’ils ne font pas partie de ma famille il y a une bonne raison. Votre respect est sans sens, car mes frères et moi n’en tenons aucun compte. Vous accordez quelque chose que vous nommez ‘respect’ à des objets idolâtrés, sans les connaître. Il s’agit simplement d’adoration aveugle ou d’une expression de votre peur.
– Mais je respecte les autres hommes, leurs différences, leurs opinions, même si je ne pense pas comme eux, même si je désapprouve leurs comportements ou leurs idées.
– Parce que vous savez, au fond de vous-même, que si vous vous dressez contre eux ouvertement, ils vous nuiront. Ce que vous appelez ‘respect’ est seulement de la lâcheté, ou au mieux une attitude prudente née de la peur.
– Est-ce de la lâcheté ou de la peur de respecter la race, la religion ou la culture d’un autre homme ?
– Cela ne le serait pas si vous regardiez seulement l’homme en question. Si vous necompariez pas sa race, sa religion, sa culture aux vôtres. Déterminant finalement que vos valeurs sont supérieures ou inférieures aux siennes.
Si vous cherchiez ensemble à savoir qui, ou ce que vous êtes. Dans ce cas, le respect serait aussi un mot vain. Ce serait de ‘amour 2’, ce serait une symbiose. Réfléchissez ces paroles, car ce que je viens de dire, vous seul, plus que tout autre pouvez facilement le comprendre. Je sais que vous le sentez au fond de vous-même.
n- Égoïsme :
N’existe, dans le règne animal, que dans le cadre de la survie, ce qui lui confère un sens. En cela il ne diffère pas beaucoup de l’égoïsme humain à la base. Néanmoins ce dernier l’étend à des domaines qui débordent largement le cadre des besoins vitaux. En fait il s’étend à presque tous les domaines. Si toutefois il utilisait cet égoïsme avec d’autres yeux, il pourrait trouver plus facilement une clef.
– Comment ? Une comme celle dans votre histoire de fermiers massacrés?
– Oui, pas la même, évidemment, mais ouvrant la même porte. Décidément, vous n’avez toujours rien compris à l’histoire de cet homme et de sa famille que je vous aie raconté, c’est dommage.
– Oui, décidément, Nemo, vous devez être un peu dérangé parfois. Un homme égoïste pourrait selon vous trouver l’une des clefs, et comment le pourrait-il ?
– En ramenant tout à lui-même.
– Je ne comprends pas.
– Du calme frangin, je sens que l’inverse de ton attitude envers lui jusqu’à présent ne va pas tarder à se manifester en toi. Reste dans le côté de toi que tu as choisis au départ. Je suis ici pour cela, prés de toi.
– Il ne comprend pas. Il ne comprend rien, il n’est toujours rien, il ne sera jamais que rien. Sophie, il n’y a rien à attendre de cette chose vide.
– Si. Te rappelles-tu de cette histoire humaine de la boite de Pandore ? Tout ce qu’il en était sorti ?
– Oui Sœurette.
– Et de cette unique chose qui est restée dans la boite, cette chose est mienne et je te la donne maintenant
Frérot. Prends là en toi. Partage-la avec moi.
– Non, garde là, elle est tienne, elle est aussi toi. Je n’ai pas besoin d’elle pour continuer Sophie. Je vais continuer sur le chemin que je t’ai promis.
– Tu l’auras quand même.
– Je ne comprends pas tout ce que vous dites Nemo, mais j’essaye. Tous ce qui arrive est invraisemblable pour mois. Vous en premier. Votre comportement est plus qu’étrange. Vous vous entretenez avec Sophie comme si je n’étais pas présent. J’ai eu beaucoup de mal à comprendre votre conversation avec Sophie. Elle parlait du contenu au fond de la boite de Pandore et ce qui y est resté. Si ma mémoire est bonne c’est l’espoir et elle en parle comme si l’espoir lui appartenait ou comme s’il était un de ses membres, comme une de ses mains.
– C’est le cas. Bon, Smith Kim, égoïsme peut se traduire par ‘Tout est à moi rien n’est aux autres, car ‘je’ suis le centre de tout et rien n’estimportant sauf moi’. Évidement, il s’agit d’une petite définition. L’évolution est toujours individuelle, l’individu-ensemble seul peut Exister, avec un esprit, son esprit. Par contre, c’est une voie vers l’existence extrêmement difficile car pour parvenir au bout du chemin il est nécessaire mais pas suffisant d’être égoïste. Cette clef est infiniment plus difficile à manier que mon épée.
– Je commence à comprendre un peu. En fait l’égoïsme est nécessaire, mais il ne fait pas tout, non ?
– Oui. En ce qui concerne la compréhension de l’égoïsme Smithoukai. Sachez que je ne souhaite pas que vous me compreniez mais que vous vous compreniez.
– Nemo, cette épée dont vous parliez, existe-t-elle ou elle est une sorte de symbole ? Je ne vois rien sur vous.
– Elle fait partie de moi, elle est l’un de mes sous-ensembles. Oui elle Existe. Elle est même mon essence, car elle est à double tranchant.
– Pourquoi je ne vois rien sur vous en ce cas ?
– Dans votre état actuel, il est préférable que vous ne la voyiez pas. Elle ne serait d’aucune utilité pour votre avenir, au contraire. Vous savez, vous avez dans votre mythologie nordique une épée dont j’ai oublié le nom, ah oui, l’épée de Ragnarök je crois, dont le fait de la sortir de son fourreau déclencherait la fin du monde, la mienne est un peu comme ça. Prenez ces mots dans un sens positif, elle est une arme et un symbole. Elle est aussi moi.
o- Bonté :
Ce terme suggère un acte de don gratuit ou un sentiment bienveillant et protecteur envers un autre être vivant. Il est aussi étroitement lié à l’amour. Alors l’animal est il bon ?
Ignorant la ‘méchanceté’, il l’est assurément envers les êtres qu’il choisit. Toutefois, il l’est avant tout envers lui-même, car son instinct de survie prime avant toute chose. Votre chien est bon pour vous dans ce sens, il vous aime aussi et vous pleurera au moment de votre décès. Cela ne l’empêchera pas de manger votre cadavre s’ila faim. (Et entre nous Smith, il aura raison et personne ne pourrait lui en tenir grief sauf les imbéciles).
Vous êtes capable aussi de bonté. Vous en avez même fait un dieu, un dieu de bonté et d’amour.
– Cela prouve notre humanité non ? C’est une preuve flagrante Nemo.
– Si vous considérez la bonté comme un caractère majeur de votre humanité, non, car elle ne l’est pas. Elle en est aux antipodes. Le raisonnement paradoxal, par exemple, entre bien mieux dans les caractéristiques humaines.
Désolé Smith. Vous êtes bons avant tout envers vous-même. En général, vous vous foutez complètement des autres, surtout s’ils ne vous sont pas utiles.
– Jésus était un homme bon, il l’a prouvé.
– C’est à se tordre de rire. Vous ne le connaissez pas. Ce que vous savez de lui n’est que son image écrite. A-t-il existé ? Si oui, était-il comme les écrits vous le disent ? Encore une fois, vous parlez de choses que vous ignorez et en déduisez des certitudes.
– C’est vrai, Nemo, excusez-moi, mais franchement, vous qui dites ne pas être humain, vous devez le savoir ?
– Oui.
– Alors ?
– C’était un homme qui a donné un sens incomparable à un mot.
– Quel mot ? Amour ?
– Non, Bonté.
– C’est un de vos frères ?
-Non, il sera peut-être l’un des nôtres.
-Ce n’est pas possible, vous dites avoir une sœur qui visiblement n’est qu’une ado effrontée, et Jésus ne serait pas un de vos frères, il n’existerait pas ? Lui, qui vaut bien plus qu’elle ? Votre soi-disant famille ne vaut pas grand-chose.
– Je n’ai pas dit qu’il n’Existait pas, mais qu’il n’était pas de mes frères, pas encore.
– Comment, ‘pas encore’?
– Il doit encore attendre un événement.
– Lequel ?
– L’existence de son père. En ce moment il est en compagnie de la mère de Sophie.
– Nemo, il n’en a pas besoin, lui est son père ne font qu’un, il l’a prouvé par sa mort et sa résurrection. Il est bonté, vous l’avez dit vous-même !
– Pour que l’amour vrai existe il faut être deux, l’aimant et l’aimé. Comme vous le dites, il est mort et ressuscité dans votre monde, mais sa résurrection réelle ne s’est pas encore produite. Il n’est encore que mort et attend la naissance de son père. Son père est celui qui ressent pleinement sa bonté.
p- Mort :
Assurément, l’animal est conscient de la mort. Quand il est directement concerné et qu’elle est la suite d’une maladie ou d’un accident, il le sait souvent par avance.
J’ai vu des animaux mourir de diverses manière, tous ou presque, exprimaient de la tristesse, du regret ou de la douleur, jamais de la peur. S’agissant de la mort d’un autre animal proche (compagne ou enfant), leurs attitudes étaient toujours indescriptibles. Si les mots d’amour et de peine ont un sens, c’est dans leurs yeux que je l’ai vu, brûlants, limpides, déchirés.
Bien sur cela ne dure pas, car la vie reprend son cours comme vous dites.
Il peut paraître paradoxal que lorsqu’il s’agit de la mort d’une proie il n’en soit pas ainsi. Cela ne l’est pas, car il s’agit d’une proie qui va le nourrir, d’un animal étranger de par sa race, et avec lequel il n’a aucune relation affective.
Je constate qu’il en va de même pour les humains, sauf quand la mort d’un proche apporte un profit ou exalte une haine. Dans ces cas c’est une joie qui vous domine. Le plus souvent aussi, votre conditionnement détermine votre attitude et, au fond de vous-même, vous voyez dans la mort de votre parent votre propre fin.
– Nemo, rien que pour ça nous méritons de vivre, d’exister, j’en suis sûr. Malgré les réactions de joie que nous pouvons avoir parfois.
– Je vais vous surprendre, cela pourrait être une des raisons qui feraient de vous une réalité, toutefois vous ne ‘méritez pas de vivre ‘, vous n’êtes pas vivant. En supposant que votre existence soit conditionnée à des raisons, ce qui n’est le cas que très partiellement pour toute forme de réel, ce ne serait pourtant pas suffisant. Vous verrez quand vous connaîtrez mieux ma petite sœur, ce qu’est, ou peut être la mort, elle connaît bien ce domaine.
– Vous m’avez dit hier qu’il existait un état pire que la mort et que vous nommez ‘destruction totale’. La mort, pour moi, est un passage, j’y serais jugé et suivant mes actes passes, admis dans un monde meilleur ou pire, est-ce dernier que vous appeler ‘destruction totale’?
– Non, pas du tout. Il n’y a pas de jugement à ce moment-là et encore moins de ‘redirection’ vers un monde pire ou meilleur. Il y a seulement vous et votre guide et celui-ci ne peut que vous conduire à votre fin définitive, à moins que vous deveniez lucide, cela est rare, très rare.
– Un guide ?
– Oui, ou plutôt une accompagnatrice. Le mot guide est inapproprié, il implique un être qui montre un chemin, une voie. Ce qui n’est pas le cas. Elle est là pour adoucir l’instant de votre anéantissement, Pour être avec vous.
– Une accompagnatrice, c’est donc une femme ?
– Oui, elle est féminine, comme la vie.
– Mais enfin elle n’est d’aucune utilité si elle n’est pas là pour me conduire, m’expliquer, me parler. Elle ne serait que mon bourreau.
– Vous êtes votre bourreau, pas elle. Elle vous dira seulement une phrase et bien que j’en sache la raison, j’ignore pourquoi elle prend toujours cette peine. Elle ne l’a pas prononcé pour moi.
– Laquelle, Nemo?
– ’Regarde-moi.’
– Pourquoi ? Pourquoi ne vous l’a-t-elle pas dit ?
– Par ce que c’est Elle, par ce qu’Elle Est, par ce qu’elle n’avait pas besoin de me le dire, car je la connaissais déjà et elle m’avait touché depuis un moment.
– Vous m’aviez dit que votre petite sœur Sophie connaissait bien ce sujet, est-ce elle, cette ‘accompagnatrice’?
– Bavarde et curieuse comme elle est ? Non, Smithounetto. Sophie est trop enthousiaste, trop spontanée et parfaitement incapable de faire ce travail sauf peu être pour un cas particulier. Ce n’est pas dans sa nature, ni dans la mienne d’ailleurs. Au fond d’elle-même elle sent qu’elle voudrait aider, agir comme sa mère et je suis sûr que tôt ou tard elle essayera, c’est son héritage maternel qui la pousse, je suppose. Je sais que des tas de questions viennent à votre esprit, mais vous devez trouver les réponses vous-même. Montrez-vous intelligent.
– Nemo, combien de temps me reste-t-il avant ma destruction totale?
– Maintenant, il vous en reste peu jusqu’au moment où ma sœur vous demandera de la regarder.
– Je ne regarderais pas Sophie.
– Le mieux qu’il puisse vous arriver est que vous n’auriez pas à le faire, hélas c’est impossible, mais si vous mourrez et, en présence de ma sœur, vous ne le faites pas, vous ne serez plus rien. Je vois que vous êtes un peu sourd par moment, la sœur dont je parle n’est pas Sophie.
– Excusez-moi, oui vous m’avez dit que Sophie n’est pas ‘l’accompagnatrice.’ ………..
Tout est normal ! Tout est normal ? Prologue Il y a des histoires qui commencent avec des il était une fois, d’autres par un meurtre qui lance...
Contenu complet
Tout est normal !
Tout est normal ?
Prologue
Il y a des histoires qui commencent avec des il était une fois, d’autres par un meurtre qui lance une enquête. La mienne commence par une gifle. Une gifle lancée par mon compagnon et arrivée sur ma joue. Cette gifle provoqua une réaction en chaîne quelque peu imprévisible.
Laissez-moi me présenter, je suis Sophie Baumgartner. J’ai vingt-six ans, brune aux yeux noisette, pas grande, mais pas petite ! Je plafonne à un mètre soixante. Je suis la troisième d’une famille de quatre enfants.
Ma famille est une famille parfaite. Des parents mariés depuis quarante ans, trois filles et un fils. Les deux aînés mariés, avec enfant, maison et chien. Moi, fiancée et bientôt mariée, mais sans travail, puisque pour mon homme, fidèle aux mêmes croyances que ma famille, la place de la femme est à la maison. J’étais heureuse dans mon petit monde de certitudes, coincée entre une mère qui me trouvait pas assez ou trop selon l’occasion et un futur mari qui m’avait persuadée que sans lui, je n’étais plus rien.
Vous voyez où je veux en venir ? Bien sûr…
L’homme merveilleux, aimé de mes parents, avait décidé de partir travailler à l’étranger, emportant avec lui sa femme. Elle, pas réellement ravie, s’était occupée de vendre meubles, bibelots et autres choses en prévision du grand départ et de la nouvelle vie qu’il voulait mener. Trois jours avant le grand départ, elle avait peur, peur de quitter son nid douillet, peur de quitter ceux qu’elle aimait, peur de se retrouver seule loin de tout ce qu’elle connaissait, alors elle refusa de partir comme ça après plusieurs mois de préparation. Je vous fais grâce de la conversation qui en suivit, elle s’étira lamentable entre des : tu ne peux pas me faire ça et des : tu n’es qu’une idiote et se finit par LA gifle.
L’avantage quand on a prévu de partir, c’est que pour quitter son ex, il n’y a plus grand-chose à emballer, à peine une valise. Fuyant chez mes parents, déjà au courant par un coup de téléphone, je fus reçue avec un « t’es contente de tout foutre en l’air à cause d’un petit mouvement d’humeur, enfin tu as, dieu merci, le temps de réfléchir à ta connerie ! » Merci maman !
Deux jours plus tard, je savais deux choses : que jamais je ne retournerai avec mon ex et qu’il fallait que je parte d’ici et vite. Mes options ? Pas de boulot, pas d’amis prêts à m’héberger, ben oui, ce sont les mêmes que les siens, mais un billet d’avion déjà payé et l’argent de mes études pas faites sur mon compte.
Ce vol, nous devions le prendre ensemble et à chaque nouvel arrivant, je tressaillais de peur. À vingt minutes de l’embarquement, il n’était toujours pas là et je recommençais à respirer. J’allais partir seule et loin et ne jamais revenir, bref, j’allais faire exactement ce qui m’avait fait si peur. La vie de rêve dans ce pays, prévue avec mon ex servirait à quelque chose après tout : à ma renaissance. Bien décidée à mettre le plus de distance entre cette vie et la suivante, je me sentais forte, enfin, j’avais la trouille, mais une formidable envie de me prouver que non, je n’étais ni stupide, ni moche, ni incapable et que le nouveau monde m’appartenait.
Sauf que, arrivée à New-York, assise sur ma valise au milieu de la foule, je n’en menais pas large. Quoi faire, maintenant ? Où aller ?
Avisant une agence de voyage, je décidais de laisser le hasard décider, je fermais les yeux, attrapais un prospectus, voilà où j’irais. Contente de moi, je rentrais dans l’agence en tendant le prospectus à la jolie blonde qui s’y trouvait. Le hasard se planta grave. La demoiselle derrière son ordinateur me dit avec un grand sourire :
– Ah, Paris au printemps, c’est magnifique.
Mais non, non, pas Paris, pas l’Europe, quel con ce hasard ! Je me décomposais, à ma tête, elle avait compris que quelque chose n’allait pas, alors elle me demanda ce que j’avais, je fondis en larme et en bégayant. Je lui narrais mon histoire, en finissant par un : je veux du calme. Elle était parfaite, elle m’écouta sans rien dire en me fournissant en mouchoir. Puis elle me dit :
– Du calme, de la nature et loin de lui. C’est ça ?
Je fis oui de la tête.
– Hé, Mandy, tu avais été où en vacances l’année passée, tu sais ce bled perdu ?
Sa collègue approcha.
– C’est perdu, mais joli, il y a un lac, un endroit rêvé pour se reposer.
– Vendu ! Répondis-je avec un grand sourire entre mes larmes.
Il faut vraiment que j’apprenne à réfléchir avant de parler, vol avec deux escales, puis changement d’appareil, puis à nouveau une escale, un trajet presque aussi long que Paris-New-York, Youpi ! Perdue, j’allais l’être et mon enthousiasme disparaissait à mesure que mes heures de vols augmentaient. J’étais en fuite, avouons-le. J’allais, je ne savais pas où. Je n’avais rien à y faire.
Je devais trouver une idée ! Il me fallait un plan !
Le formidable pourquoi pas tu peux le faire c’était transformé en mais pourquoi l’as tu fait, puis en t’es qu’une idiote dès que j’ai posé un pied dans le minuscule avion douze places qui devait m’emmener dans un bled dont je ne suis pas capable de retenir le nom, coincée entre des marchandises diverses et variées ou, à l’odeur, pas loin d’être avariées. Ben oui, agir avant de penser, ça pose parfois des petits soucis surtout lorsqu’on ne l’a jamais fait.
Le fameux plan que je n’avais pas trouvé depuis, c’est le passager à côté de moi qui m’en donna l’idée. Il m’avait assommé de questions sur qui, où, quoi, comment, etc. Devant mes réponses pas claires, il en avait conclu que je cherchais une maison à acheter pour les vacances et pourquoi pas ?
Je cogitais dur, point un, acheter une maison, ce qui m’éviterait de faire demi-tour aux premières difficultés, du moins je voyais ça comme ça. Point deux, trouver du travail, dans une région touristique, je devrais m’en sortir. Point trois… Je n’avais pas de point trois, mon plan n’allait pas loin. Il avait juste l’avantage d’exister. Un peu… Voilà, un début, un presque rien, mais un peu.
Je profitais de la dernière escale, hé oui, encore une, pour faire ma recherche. Je tombais sur une annonce : Une maison à vendre avec travaux, cuisine, salon-salle à manger et une grande salle de bain au rez, trois chambres à l’étage, pas chère, loin d’être neuve et, d’après les photos, abandonnée depuis des années. Cette petite maison me semblait parfaite si j’évitais de penser à la somme incroyable de travaux qu’il faudrait pour juste la rendre habitable et je ne parle pas de confortable…
Bref, dans un élan de fol optimisme, j’avais appelé l’agence qui la vendait, baragouiné comme je pouvais mon intérêt et fixé un rendez-vous de visite. C’est emplie de fierté que je remontais dans le coucou volant qui allait m’amener vers mon coup de cœur.
J’étais épuisée, je sentais aussi mauvais que le carton qui restait à livrer et avec mes cernes sous les yeux, je devais ressembler à un panda sous calmant.
Voilà comment j’arrivais dans ma première nouvelle vie. Vous m’y suivez ?
Chapitre 1
En descendant de l’avion, j’étais super fière de moi ! Là, sur le banc devant la piste du mini aéroport, je doutais et plus j’attendais la voiture que j’avais cru comprendre que l’on m’envoyait, plus je paniquais. Pas une petite panique commune à tous, non, une vraie, immense, intense, explosive, dévastatrice, panique me laissant là, incapable de réfléchir et faisait tourner en boucle dans ma tête des scénarios catastrophes des plus terrifiantes.
J’ai une grande imagination. ce qui n’est dans ces moments-là, pas une qualité, croyez-moi, entre on m’a oublié et je vais me faire attaquer par un tueur en série ou un ours affamé, un loup peut-être ? D’ailleurs ce corbeau me regardait d’une drôle de manière, non ? Mon esprit s’amusait à me voir mourir de mille manières plus gores les unes que les autres. Ça a duré des heures soit 10 min que l’on se fie à mon esprit ou à mon téléphone qui ne sont pas du tout d’accord entre eux.
Au moment où une jolie brune souriante s’avança enfin vers moi en me tendant la main, un immense sourire aux lèvres, mon cerveau quitta mes talons où il se planquait et se remit à fonctionner, ouf !
– Bonjour. me dit-elle, en français !
Je la fixais hébétée, mais ravie, j’étais sauvée de l’ours, du loup, du corbeau et du tueur psychopathe qui m’avaient tous menacée !
– Je suis Ada, continua-t-elle, votre accent m’a soufflé que vous étiez de langue française.
– Bonjour, euh oui, enfin, je suis pas française enfin, mais oui, je parle enfin, c’est sympa que vous, enfin, c’est étonnant, mais je, Sophie, enfin ravie, je suis.
Et au milieu de ce cafouillis verbal empli d’enfin, je lui tendis ma main en souriant.
– Sophie ? C’est ça ? Bienvenue ! Je ne vous ai pas trop fait attendre ?
Elle était plus grande que moi d’au moins une tête, pas difficile, je vous rappelle que je culmine à 1,60 m, non je ne suis pas petite, fine avec des yeux bruns pétillants qui illuminaient un visage un peu trop allongé, encadré d’une cascade brune tombant dans son dos et vêtue d’un petit tailleur pantalon bleu. Elle avait tout de la femme d’affaires et elle me détaillait curieuse, à côté d’elle, je devais ressembler à une sans-abri, avec mes poches sous les yeux, mon pantalon noir et mon t-shirt froissé.
– Désolée, bonjour Ada, je suis Sophie, je parle français et je suis vraiment ravie de vous rencontrer ! Vous ne pouvez pas savoir à quel point !
J’avais réussi à faire des phrases sans bafouiller et sans trop me sentir idiote. Je lui souriais à présent et me sentais sauvée.
– Je m’en doutais, pouffa-t-elle. Mais, ici, on dit, tu ! Viens, nous avons encore un bout de route avant la ville et je veux tout savoir de ce qui t’amène ici. Nous discuterons dans ma voiture.
Elle attrapa ma valise d’une main, la balança dans la voiture et fit le tour pour se mettre au volant, avant de s’inquiéter.
– Tu n’as rien d’autre ? Tes bagages arrivent plus tard ?
– Rien d’autre ! Juste moi !
Elle me fixa un instant, troublée et dit :
– Nouveau départ ?
– Oui !
Je la fixais fièrement, oui, nouveau départ et rien de mon passé ne devait avoir de place ici. J’étais fermement décidée à tirer un trait sur la gentille, timide et effacée Sophie.
– Alors tu as choisi le bon coin ! Tu verras, la ville est sympa, un peu perdu hors saison, mais on s’y sent bien.
– Pas grave, là tout ce que je veux, c’est du calme et du temps pour moi.
Elle rit de bon cœur et me fit un clin d’œil.
– Ce n’est pas avec les animations du coin que tu vas être débordée ! Je comprends mieux ton choix cette maison est en dehors de la ville, cinq kilomètres, ce n’est pas le meilleur moyen pour s’intégrer, mais si tu cherches le calme, tu vas le trouver. Bien que je pense que pour le début, tu devrais t’installer plus près du centre.
– Comment ça la maison, tu n’es pas envoyée par l’agence de tourisme ?
– Oui, mais je m’occupe aussi d’immobilier et d’autre chose. Je t’y conduirai demain et j’ai d’autres maisons à te montrer, tu sais. Pour le moment, je vais te déposer à l’hôtel, en ville, tu as réservé pour une semaine. Il faut bien ça pour s’habituer. Tu verras que c’est calme en cette saison.
Calée dans mon siège, je me laissais bercer par les paroles d’Ada qui me décrivait la petite ville, les coins à voir et que connaître pour m’y sentir chez moi. Elle insistait sur la froideur relative des habitants, peu enclin à faire confiance au premier regard, beaucoup arrivaient ici, pour ne pas rester, mais si je tenais bon, au moins une année, je verrais le changement dans leur comportement. Je lui parlais des raisons qui m’avaient amenée ici que du très banal finis-je par dire. Elle fit non de la tête et se lança dans un discours sur le courage de changer. Elle était d’une curiosité incroyable et d’une gentillesse intrigante pour la nouvelle arrivée que j’étais.
Je me sentais bien là, dans ce pick-up défoncé à écouter une parfaite inconnue me parler comme si nous étions de vieilles amies, démentant en même temps ces dires sur la froideur des gens du coin.
Puis elle me parla de la maison longtemps, sérieusement comme si elle tentait de me faire changer d’avis, trop loin, perdu dans les bois, difficile pour quelqu’un comme moi, elle insistait sur les histoires de fantômes qui s’y rattachaient, de la difficulté des travaux, tellement que je finis par lui demander si elle souhaitait la vendre ou pas.
Elle me fixa et me dit :
– Ce n’est pas ça, mais il y a déjà eu quatre propriétaires et ils ne sont pas restés et j’ai envie que tu restes, au moins un peu, ce n’est pas souvent que je peux parler français et cela me manque, c’est ma langue maternelle et puis, la maison est vraiment loin de tout et en mauvais état, il faut bien le reconnaître, plein de travaux commencés et jamais finis. J’en ai d’autres à te montrer, tu sais, plus proche de la ville, mais quand même un peu perdu. Ce serait peut-être mieux ? J’ai bien compris que tu étais arrivée ici un peu par hasard et pour changer de vie, ce n’est pas toujours facile, alors pourquoi commencer par une maison si loin ? Tu pourrais t’installer en ville et voire comment tu t’y sens avant de t’isoler autant. Il n’y a pas d’urgence à acheter quelque chose, ce n’est pas ici que tu risques de perdre une maison si tu ne l’achètes pas tout de suite, grimaça-t-elle. C’est tellement calme que la vente n’est qu’un passe-temps, je suis guide en montagne le reste du temps et les locations se font par l’office de tourisme. Alors je peux te promettre que même dans un an, la maison sera toujours là, si tu y tiens.
Que dire ? Que m’isoler était justement ce que je voulais, disparaître et prendre le temps de savoir qui j’étais puis m’intégrer, mais pas dans l’immédiat. J’aimais l’idée de vivre loin de tout, sans personne, sauf mon café ! Oui, parce qu’entre mon café et moi l’histoire d’amour était totale et éternelle. Voilà, une vie simple sans personne pour me prendre la tête, me juger, me blesser, me gouverner. Devenir moi était le but de cette aventure, pas devenir membre émérite de la communauté.
– C’est ce que je souhaite, la ville, tu sais, je n’aime pas, trop de monde et de bruit pour moi. Je cherche le calme. J’en ai besoin là.
Elle rit franchement, un bon moment puis me montra la ville en question qui apparaissait entre les sapins. Ok, elle ressemblait plus à un gros village perdu dans la montagne qu’à une métropole, pas un seul bâtiment de plus de trois étages, une grande rue longeant le lac et des parcs, partout, beaucoup comme si la nature avait bien voulu céder quelques morceaux de terre de-ci de-là pour une maison, mais n’avait pas voulu abandonner le lieu.
Je me mis à rire aussi.
– Ce n’est pas tout à fait la ville que j’attendais, je le reconnais. Alors, je verrai ces maisons que tu as en réserve, mais pas au centre, on est bien d’accord ?
– Promis, tu verras, il y a le choix. Pour ces prochains jours, tu devras t’y faire, l’hôtel est sur la grande rue. Mais, je t’assure que ce sera calme, nous ne sommes pas en saison.
– Saison de quoi ?
– Ski et randonnée, deux des activités possibles ici, il y a aussi un peu de chasse.
Elle haussa les épaules et grimaça en le disant.
– Mais c’est plus loin, les chasseurs ne font qu’une halte ici. Tu sais skier ?
Là, j’éclatais de rire.
– Non, pourtant je viens d’une région de montagne pleine de station, mais je n’ai jamais appris. Par contre, le ski de fond ou les raquettes, oui.
Elle me fixa et se mit à rire.
– Alors tu pourras en faire sans aller plus loin, en hiver ce n’est pas la neige qui manque ici.
C’est de joyeuse humeur que je débarquais devant la façade fatiguée de l’hôtel : le royal ! Qui devait avoir été royal quelques siècles plus tôt. L’hôtel comme la ville semblait figé dans le passé, loin de nos temps modernes et j’en étais ravie.
La porte de la voiture juste claquée, une femme, la soixantaine, à l’allure de grand-mère, attrapa ma valise, faisant signe de la main à Ada qui me criait à demain en agitant la main.
– Bonjour, petite, contente de voir une amie de notre Ada, viens, je t’ai préparé notre meilleure chambre, je vais te monter un plateau, comme ça tu pourras te reposer tranquillement, le voyage à dû être long. Ah, la France, Ada s’en ennuie parfois, mais c’est bien si ses amies se décident à venir la voir, depuis le temps. Elle nous a dit que tu pensais à venir vivre ici, toi aussi, ce serait bien pour elle, les Européens ne réagissent pas toujours comme nous, mais tu t’y feras, elle va t’aider ce sera plus simple pour toi, voilà nous y sommes, ne t’inquiète de rien, repose-toi, le petit déjeuner est servi à sept heures. Je reviens tout de suite avec de quoi manger. J’espère que tu aimes les patates douces, ma petite.
Noyée, j’étais noyée par un flot ininterrompu de paroles, lancés avec gentillesse, mais sans pause par une dame qui avait dû comprendre de travers les paroles d’Ada ou alors c’est que mon anglais était encore pire que je le pensais.
Dans le doute, je ne disais rien, souriante et hochant de la tête dès qu’elle reprenait sa respiration, j’espérai qu’elle ne verra là qu’une nana fatiguée et pas une idiote incapable de parler.
Elle m’abandonna dans une jolie chambre avec grand lit en plein centre, une table coincée sous la fenêtre et deux chaises. Une petite salle de bain sur le côté me faisait de l’œil et je cédais à son appel, ravie d’y découvrir une baignoire.
Alors que l’eau coulait, la porte s’ouvrit sans que personne frappe et la dame dont j’ignorais toujours le nom, les bras chargés d’un plateau, pointa son nez. Elle le posa sur la table près de la fenêtre, mit ses mains sur ses hanches, me fixa, sourit et disparu.
Voilà, je restais bête un instant, des gens froids ? Il devait y avoir erreur. J’avais l’impression d’être tombée dans la maison d’une lointaine cousine qui était ravie d’avoir de la compagnie et je craignais qu’un interrogatoire en ordre arrive avec le petit déjeuner, voire que faire la vaisselle soit comprise dans le lot, comme chez tata.
Pour le moment, mon estomac remit mon cerveau en marche et c’est décidé que je transportais le plateau dans la salle de bains où je m’installais dans la baignoire, le calant entre elle et le lavabo. Une heure plus tard, je me traînais mollement de la baignoire au lit et ne vis plus rien du reste de cette étrange journée.
L’interrogatoire redouté n’a pas eu lieu, je n’avais croisé personne, strictement personne. Une table était prête, oui parce qu’il n’y avait que ma table de mise, un couvert et un petit déjeuner gardé au chaud, voilà, c’est tout. Moi, les tables, les chaises et le mur, et rien d’autre. Je mangeais, remontais dans ma chambre et quant à huit heures Ada y frappa, j’étais à deux doigts de l’embrasser, tellement je ne savais pas quoi faire.
Toujours en tailleur bleu, mais celui-ci bleu foncé, les cheveux attachés dans une queue de cheval serrée, il n’y avait que ces yeux pétillants de malice qui venaient contredire le sérieux qu’elle affichait.
À peine un bonjour lancé, elle m’attrapait le bras et me poussait vers la sortie.
– On a beaucoup de choses à voir, j’ai plusieurs maisons à te montrer. Tu vas voir, elles sont parfaites comme tu voulais des travaux tu as vraiment le choix, ce n’est pas la demande la plus courante.
Une ville à cyclone, voilà où j’étais tombée. Hop, elles apparaissent, emportaient mon cerveau et boum, le vent retombait et je ne comprenais plus rien ni où j’étais.
– Euh, bonjour, oui, chouette. Si tu veux.
Elle pilla net devant la porte de l’hôtel et me regarda.
– Oh, pardon, je suis parfois trop enthousiaste. Je m’emballe d’un coup et j’oublie que me suivre n’est pas facile. On me le reproche tout le temps. Je pense trop vite et j’oublie de parler du coup, on ne sait pas où je vais, mon oncle s’en plaint tout le temps.
Elle avait l’air si désolée que je ris franchement.
– Me voilà prévenue, nous allons donc voire ces fameuses maisons avec travaux et ensuite celle dans les bois ?
– Oui, celle dans les bois, uniquement si tu n’as pas trouvé ton bonheur avant, tu sais garde l’esprit ouvert et puis tu n’es pas pressée, l’hôtel est vide en cette saison, donc tu peux garder ta chambre un moment. Mona te fera un prix, j’en suis sûr.
– Mona ?
– Oui, la patronne. Elle t’a accueilli hier.
Je fis une grimace en y repensant.
– Elle m’a attrapé, poussé dans l’escalier jusqu’à ma chambre en me sous-entendant que tes amies t’avaient laissée tomber et m’a planté là. Oh, elle m’a aussi amené à manger, mais a dû oublier les présentations, tu n’es pas la seule tornade du coin.
Ada, rougit, mais vraiment, elle devient écarlate, je sentais la chaleur qui se dégageait de ses joues. Elle baissa les yeux en marmonnant :
– J’ai trouvé plus simple de dire que je te connaissais. On est hors saison et Mona t’aurait fait crouler sous ses questions et c’est aussi plus simple pour acheter, les prix seront plus bas pour une amie que pour un touriste, alors je me suis permise…
Je comprenais, une amie, on l’accueille, une étrangère non, ce serait plus simple pour moi de me faire accepter en ville. Ce qui était gentil de sa part, mais je ne comprenais pas pourquoi cette fille tenait tant à ce que je reste.
– Pourquoi fais-tu ça pour moi ? On ne se connaît pas. Pourquoi tiens-tu tant à ce que je reste ?
– Tu sais, souffle-t-elle en regardant au loin. Je suis arrivée il y a seize ans, j’avais quatorze ans et la mentalité entre l’Europe et ici, je t’assure, c’est vraiment différent, j’ai eu du mal à m’y faire et puis parler français me manque réellement, j’ai l’impression de le perdre chaque année un peu plus et avec lui, ce sont des souvenirs qui partent.
Elle baissa la tête et regarda ses pieds.
– À ce point-là différent ? En quoi ? Et, si tu n’aimes pas la vie ici pourquoi es-tu restée ?
– Je n’ai pas dit que ça ne me plaisait pas, j’aime la vie ici. Juste que je ne me suis pas fait de vraies amies. Lorsque j’ai perdu mes parents, je suis venue vivre chez mon oncle, ma seule famille. Il n’était pas prêt à s’occuper d’une ado de la ville. Elle rit doucement. Pauvre tonton, je lui en ai fait voir. Mon oncle n’est pas très sociable, il vivait loin de la ville et y a déménagé à mon arrivée. Les choses n’ont pas été simples. Je n’ai rien fait pour les rendre faciles. J’en suis consciente.
Il a vieilli et c’est vraiment ma seule famille. Je n’ai pas envie de partir loin de lui, même si depuis quelques années, il est retourné à sa cabane et moi, je suis restée en ville. Je me sens chez moi ici, mais avoir une amie avec qui partager me manque. J’aurais pu m’en faire, mais mes premières années, tu sais, je n’ai pas été sympa et même pire. J’avais du mal à accepter d’avoir dû tout quitter et je l’ai fait payer à tous ceux qui m’approchaient.
Elle leva les yeux au ciel, ils s’étaient assombris alors qu’elle parlait.
– Bref, je ne me suis pas faite d’amies, alors, je me suis dit…
– Pourquoi pas la débile qui débarque dont ne sait où et sans savoir où elle met les pieds ?
– Non, tu n’es pas…
je l’interrompis en riant.
– Je rigole, mais je te comprends. Je pensais avoir des amis et ils m’ont laissé tomber, ce n’était pas réellement des amis. Alors, je peux comprendre. En plus, tu parles français, c’est un atout majeur pour moi, une vraie chance en fait.
Je lui souris, elle me sourit en retour en me tendant la main elle dit :
– Salut, je suis Adeline Chérine, mes amis m’appellent Ada.
Je lui serrais la main.
– Salut, je suis Sophie Baumgartner et je t’interdis de m’appeler Soso…
Une poigne de main franche cella notre pacte. J’avais une amie apparue comme par magie alors que je pensais impossible de m’en refaire une dans cette nouvelle vie. Une petite voix me souffla qu’il y avait certainement une arnaque là-dessous, j’y penserai plus tard pour le moment j’appréciais de connaître quelqu’un dans ma nouvelle vie.
Chapitre 2
Elle tint parole et me fit visiter, six maisons, toutes charmantes du même modèle que celle qui m’avait amené ici. Pas très grandes, deux étages, chauffage au bois et des travaux, beaucoup de travaux, pour toutes.
Mais je ne craquais pas, il me manquait à chaque fois un quelque chose, un je ne sais quoi, rien n’y faisait, pas de coup de cœur pour elles. Dépitée, ma nouvelle amie finit par m’amener à ma maison.
Oui, ma maison, sans aucun doute possible, j’en étais tombée amoureuse sur la photo de l’annonce et ce sentiment devint une évidence quand je la vis et l’avoir à moi devint urgent.
Perdue, elle l’était, en mauvais état moyennement, les anciens propriétaires avaient commencé les travaux, mais rien n’était fini. Le toit perdait ses tuiles, les volets qui restaient pendaient et servaient de perchoirs aux corbeaux, la peinture n’avait de blanc que le souvenir.
Pour ouvrir la porte, il fallut à Ada un grand coup d’épaule et le grincement qui suivit me fit rire. Le salon était rempli de matériel et il était impossible d’en voir la taille, la cuisine datait de l’époque des fourneaux à bois et les chambres, seules pièces à peu près finies, étaient remplies de toiles d’araignée, seules habitantes du coin depuis longtemps. La maison était sur une petite butte dégagée, entourée d’arbres, cachée de la ville, probablement hantée insistait Ada.
Ok, une vieille maison de bois dans les bois, hantée, me faisait de l’œil et je craquais. Je la voulais ! Et, je la voulais maintenant, pas dans une année. Elle, pas une autre.
C’est une Ada soupirante qui me ramena en ville. Elle bouda jusqu’à ce que je lui dise :
– Boude pas, là au moins, tu as une excuse pour rester dormir, trop loin pour rentrer de nuit pour les jeunes filles sages que nous sommes.
Elle sourit, hocha la tête et rajouta :
– Et personne pour savoir à quelle heure et dans quel état on s’est couché…
J’éclatais de rire. Fin de la bouderie, début d’un concours de bêtises sur la curiosité des gens des petites villes et de comment éviter de se faire pincer quand on est un jeune du coin. C’est riant comme des petites filles que nous arrivions en ville, elle me traîna à son bureau où son chef, un gros type en tenu de chasse, me salua à peine d’un yo avant de replonger son nez dans son ordinateur. Elle me fit m’asseoir dans un joli canapé qui semblait s’être égaré dans un coin de la pièce et prit les documents de vente sur le second bureau. Elle les avait préparés au cas où, me dit-elle.
– Tu es vraiment sûr ? Tu ne veux pas y réfléchir encore ? Me redemanda-t-elle.
– Oui, je suis sûre, arrête maintenant sinon je t’engage pour les travaux !
La voix de son patron sonna dans la pièce.
– Parlez pas français ici, je veux pas qu’on vienne me dire que je suis un escroc qui profite des touristes.
– C’est pas une touriste, boss, répondit Ada, C’est une de mes amies qui vient s’installer ici. Elle loue pas, elle achète.
La tête du boss sorti de derrière l’écran.
– Elle achète ?
– Oui, et cash !
– Oh, mais le contrat est en anglais, pas dans sa langue.
– Je sais, mais elle parle aussi anglais, elle manque juste de pratique, pour ses débuts, c’est plus simple si je traduis.
– Ok, mais elle achète quoi ?
Elle me fixa et me demanda en anglais cette fois :
– Tu es sûr, vraiment ?
– Oui, dis-je, ou plutôt yes…
Le regard de son boss allait d’elle à moi, ses sourcils froncés, tentant de comprendre l’hésitation d’Ada.
– Elle veut laquelle ? Redemanda-t-il.
– La maison hantée, grimaça Ada.
– Ah, celle-là, tu lui as raconté ?
– Oui, enfin elle n’y croit pas, j’ai pourtant essayé.
– C’est ton amie, ton problème. Faites un tour à la bibliothèque avant la vente, ça pourrait lui faire changer d’avis.
Elle fit oui de la tête et même si j’insistais pour signer tout de suite, elle me proposa de prendre un peu de temps avant.
– Tu sais, il te faut une voiture et chiffrer les travaux et leur durée. Tu pourrais louer quelque chose en attendant et puis il faut tout commander, ici il n’y a pas beaucoup de magasins alors, tu vois…
Ce que je voyais surtout, c’est le manque d’entrain qui ressortait, le sien et celui de son boss, sans que je puisse voir en quoi cette maison était un monstre. Pour moi, ce n’était que croyances et médisances. La maison isolée pouvait sans aucun doute prêter à ce genre de légendes urbaines. Si fantômes il y avait, j’étais prête à leur tenir tête et à les virer de là parce que cette maison, je la voulais. Mais, je pouvais attendre encore un peu, je n’étais pas à un jour près et il me fallait reconnaître que oui, j’avais besoin d’une voiture, de quelqu’un qui me montre où tout acheter, du clou au lit. Donc en attendant, je pouvais prendre le temps de visiter la bibliothèque et les magasins du coin.
– Bon, d’accord, finis-je par dire en me levant du canapé. Tu as gagné. Allons voir cette bibliothèque.
– Super !
Fut la seule réponse que j’eus et elle me poussa dehors en lançant un à demain à son boss. L’avantage des petites villes, c’est que tout est proche. Trois immeubles plus loin se trouvait l’école qui cachait une bibliothèque incroyable, une merveille, vraiment. La bibliothécaire d’une quarantaine d’années, était blonde plus petites que moi avec des yeux verts à tomber. Une véritable poupée qui ne correspondait pas réellement à l’idée que l’on se fait de la bibliothécaire vieille fille et coincée. La petite dame discutait avec un homme grand, pâle et presque chauve. Ada me précisa que Flo tenait depuis peu la bibliothèque et que James, le vieil homme, était l’ancien bibliothécaire et lui correspondait à l’idée que l’on se fait d’un bibliothécaire, vieux, sérieux et peu souriant.
Ils discutaient en chuchotant, penchés sur un livre. Ils levèrent la tête en même temps et Ada se transforma d’un coup en petite fille gênée, au seul regard du vieux monsieur, ça me fit sourire. Flo vint vers nous et me fixa étonnée.
– Bonjour, dis-je.
– Bonjour, répondit-elle et elle ne dit plus rien d’autre.
Ada demanda timidement si je pouvais consulter les archives des journaux de la région à quoi un pourquoi et un haussement de sourcils lui répondirent.
– Je m’intéresse à la maison hantée !
Deux yeux glaciaux me fixèrent.
– Vous croyez à ses bêtises ?
Le ton était sec, agacé et elle ne me regardait plus, mais fixait Ada.
– Non, mais on m’a conseillé de me renseigner avant de l’acheter.
– Bien, les yeux verts pivotèrent vers moi, je comprends, vous savez les gens d’ici ont leurs légendes.
– Je n’en doute pas, fis-je avec un petit sourire. Pourtant, j’avoue que connaître le passé de la maison serait un plus, si je trouvais des plans…
– Impossible, me coupa-t-elle, dans les coins les plans…
Son regard était interrogateur, bon sang, on pouvait lire dans ses yeux la moindre de ses émotions.
C’était troublant. Elle me fit signe de la suivre. La salle des archives, comme toute bonne salle d’archive, était au fond, tout au fond, remplie d’armoires en métal avec une table au centre, le tout sentait la poussière, normal.
– Nous n’avons rien sur informatique, dit-elle, du moins rien de récent. James n’était pas…
La phrase laissée en suspens comme si personne ne pouvait comprendre à quel point ce James était hors du temps.
– Ce n’est pas grave, je préfère de loin le papier.
Elle me sourit d’un coup.
– Les jeunes et leurs ordinateurs ne comprennent plus rien aux livres, dit-elle en haussant les épaules.
– Et pourtant, le toucher, l’odeur, le plaisir de tourner les pages, dis-je pour compléter sa phrase.
Et hop, les yeux verts me scrutèrent plus intensément encore cette fois-ci, ils étaient tellement expressifs, mais leur propriétaire ne dit rien de plus que :
– Je vous laisse, Ada sait où chercher, n’est-ce pas ?
Sa voix se fit mielleuse lorsqu’elle lui parla et me fit froid dans le dos. Oui, Ada savait exactement où chercher et quels articles me faire lire. Le premier, le plus ancien, parlait de la découverte de la femme du premier propriétaire retrouvée assassinée dans la cuisine, le mari étant porté disparut, mais suspect. Le second du troisième ou quatrième propriétaire retrouvé pendu dans sa chambre puis une série impressionnante d’article annonçant les nombreux accidents arrivés aux différents ouvriers engagés pour y faire des travaux puis quatre propriétaires différents avaient eu des pépins plus ou moins importants, allant de la perte d’un doigt, resté coincé dans une porte, à une commotion due à une chute dans l’escalier.
Bon, je devais bien admettre que la maison n’aimait pas trop les étrangers. Si fantômes il y a, la femme du premier couple à y avoir vécu semblait être toute désignée, elle ou son mari, jamais retrouvé, mais rien n’y faisait, je la voulais. Allez comprendre…
Je promis à Ada que si perte d’un doigt il y avait, je déménagerais tout de suite même si j’en avais neuf de plus. J’étais sérieuse, vraiment ! Mais, elle soupira, secoua la tête et me dit :
– Viens, j’ai faim !
Elle ne dit plus un mot jusqu’à ce que nous soyons assisse à la table d’un des deux restaurants de la ville. Le Grill, un simple nom justifié par les plats servi, tout était grillé de la viande aux légumes jusqu’aux nappes. Elle ne me dit pas un mot avant que nos plats arrivent. J’en avais profité pour regarder les autres clients. Le restaurant était plein, pas une table de vide et les regards me passait dessus, s’arrêtant sur Ada, avant de nous ignorer totalement.
– Tu m’en veux parce que je tiens toujours à acheter la maison ?
– Non, souffla-t-elle, je t’avoue que j’aurais préféré te voir rester en ville, c’est plus sûr, tu ne connais rien à la vie ici, mais j’aurais au moins tenté de te faire changer d’avis.
Elle pointa son menton vers la salle.
– Une réputation est vite faite ici, déjà te voir avec moi ne va pas t’aider alors si, en plus, tu achètes la maison maudite…
Du coup, je doutais de ne jamais m’adapter à cette ville. Elle ne semblait pas y être parvenue et bien que je comprenne son envie de se trouver une amie qui ne soit pas d’ici, je redoutais cette amitié, un peu trop rapide. Et, puis zut !
– He bien, au contraire, tu devrais être contente, d’un, personne ne saura jamais ce que j’y fais donc ce que tu y feras non plus. De deux, tu n’as pas besoin, avec moi, d’être ce que tu ne veux pas, je me fiche de ton passé, le mien n’est pas glorieux et franchement, je ne suis pas là pour me faire des amis. De trois, tu pourras les menacer de faire venir toutes tes folles d’amies de France pour les faire taire. Qui sait, je pourrais être un medium venu pour parler aux fantômes et c’est pour cela que je tiens à l’acheter, tes autres amies, sorcière, non ? Ça pourrait le faire ?
Un œil incrédule me fixa puis une lumière y dansa répondant à celle qui était dans mes yeux. Le rire nous prit par surprise. Vous savez, ce rire franc, heureux qui vous secoue de la tête au pied, magistral et renforcé par les regards sur nous.
Bien dix minutes plus tard, le calme revenu et difficilement maintenu, j’étais absolument convaincue d’être classée parmi les folles furieuses du coin.
– Si tu voulais passer pour quelqu’un de normal, c’est fichu…
– Tant mieux j’en avais marre d’être normal !
Je lui tirais la langue. Le pacte scellé la veille se renouvelait et mes doutes se turent, ça allait vite, mais je me sentais heureuse, finalement, je me fichais de ce que ces gens penseraient de moi, rappelez-vous, je ne suis pas venue me faire des amis. Une, c’était déjà bien plus que prévu. Elle passa la soirée à me montrer discrètement les personnes présentent, me faisant un petit topo sur leur vie, tout se savait ici. Le temps fila, je me sentais bien et mon « non » projet semblait prendre une tournure intéressante !
J’avais hâte et je me sentais prête à remuer des montagnes.
Chapitre 3
Refusant toujours de me laisser signer l’acte de vente, Ada m’avait fourni les papiers concernant la maison. Il y avait l’état des lieux, enfin surtout la liste des travaux à faire d’urgence et le devis des travaux. Mes économies n’y suffiraient pas si je devais faire appel à une entreprise. Une fois bien épluché la liste, j’en avais conclu, optimiste, qu’à part le toit, je devrais pouvoir tout faire de mes blanches mains. Je décidais par où commencer, la salle de bains me semblait être l’obligation d’urgence, puis je fis une magnifique liste de ce dont j’aurais besoin, longue de plusieurs kilomètres. Non, je n’exagérais pas. Elle commençait par trouver une voiture, ou un bus, ou un camion, enfin un n’importe quoi avec des roues et un coffre, un grand, au vu des travaux prévus et avec un budget serré, du neuf était impossible.
Impossible n’étant presque pas Ada, elle prit les choses en main et je me retrouvais devant une femme d’une cinquantaine d’années, grande, charpentée comme un bûcheron qui me fixait d’un drôle d’air. Mais, si vous savez, ce regard que les natifs d’un coin posent sur ceux qui débarquent et qui dit : toi tu ne vas pas faire de vieux os ici, charmant !
Sauf que sans trop savoir comment le regard se modifia au fur et à mesure qu’Ada me présentait et expliquait mes besoins. Je me retrouvais avec une jeep rouillée et une remorque qui l’était encore plus, en moins de dix minutes et la vente se conclut par :
– Tu peux payer en plusieurs fois si tu restes, sinon je reprends le tout quoique tu aies déjà payé.
Ok, c’était simple et précis.
– Merci madame.
– Pas madame, Suzanne, juste Suzanne.
– Merci Suzanne, fis-je en lui tendant la main.
Elle la saisit entre les deux siennes et après un instant dit doucement :
– Soit la bienvenue, la vie n’est pas facile ici, mais si tu t’accroches, tu devrais t’y plaire. Passes me voir si tu as besoin de quelque chose.
Elle nous fit un signe de tête avant de partir.
– La voiture, c’est fait. Viens, cette fois-ci, tu peux signer les papiers pour la maison ! Je t’ai obtenu un rabais. Ils sont pressés de vendre.
J’avais loupé quelque chose, non ? Les papiers comme ça, boum et en vitesse, je vous prie. J’avais vraiment loupé quelque chose. Rien compris moi. Bref, en moins d’une semaine, j’avais une maison presque en ruine, une voiture qui ne valait pas mieux, une remorque qui grinçait tellement que l’on devait m’entendre de plusieurs kilomètres, un compte dans le seul magasin de bricolage du coin, le tout mis en place au pas de course par une Ada survoltée qui ne me laissait pas le temps de souffler.
En ville, on commençait à me reconnaître, l’attraction de la nouveauté ne s’essoufflait pas aussi vite que je l’avais espéré et les regards qui s’attardaient sur moi me mettaient mal à l’aise, j’avais hâte de pouvoir filer loin de tous. Oui, même loin d’Ada dont je ne comprenais pas l’enthousiasme frénétique de ces derniers jours et qui m’épuisait.
Papiers signés devant l’œil attentif de Bogdan, le patron d’Ada. Mon compte en banque dépouillé de beaucoup moins que prévu. C’est l’esprit conquérant et toute seule, comme une grande que je me rendis « chez moi » avec l’espoir fou, j’en suis consciente, de pouvoir rapidement m’y installer. Lorsqu’au dernier contour, la maison se fit visible, je stoppais net.
Chez moi, fut la seule chose à laquelle je pensais, chez moi et loin de tout. Un vrai bonheur m’envahit, sauvage, puissant, chez moi, toute seule.
Je restais là à contempler un long moment cette maison qui m’avait fait tant envie et qui aujourd’hui était en passe de devenir mon foyer. Je profitais du calme. Je profitais de ce sentiment de confiance qui grandissait en moi. Je prenais le temps de paniquer, un peu, devant l’ampleur de la tâche puis me décidais à me bouger. Je fis le reste à pied, le coin était si calme que je n’avais pas envie de troubler ce silence avec un moteur. Je m’approchais et caressais la porte du bout des doigts en murmurant.
– Salut, toi, c’est moi, tu penses que l’on va s’entendre ? J’en ai bien envie, tu sais.
Je restais là, devant cette porte ne sachant trop ce que je voulais faire puis je me traitais d’andouille, ris un peu et ouvris cette fichue porte pour faire le tour de MA maison !
Rien de bien remarquable, il faut le reconnaître, une cuisine assez grande, séparée du salon-salle à manger envahi de matériel, dont il faudra bien que je fasse l’inventaire et une salle de bain où ne restait qu’un trône et un bout de miroir perdu au milieu de morceaux de carrelage. Un désastre qui me fit soupirer. Arriverais-je à m’en sortir ? En regardant de plus près je fus pris de doutes monstrueux qui m’accompagnèrent à l’étage, là, les trois chambres étaient vides, les murs repeint et habitable en l’état, une fois délogées les centaines d’araignées qui les avaient colonisés.
Une odeur de moisi envahissait le tout. J’ouvrais les fenêtres, débloquais comme je pus les volets qui restaient et laissais entrer le soleil et l’air pur. Le monstrueux doute qui me tenait compagnie ne résista pas à la vue sur les arbres et au silence qui régnait. Je voulais vivre ici et j’allais y arriver.
Laissant tout ouvert, j’attaquais l’inventaire de ce que contenait le salon, entre les fenêtres et les meubles rassemblés là, je trouvais un tableau noir où des dessins d’enfants à la craie étaient à moitié effacés. Je le posais contre un mur, le nettoyais avec ma manche et en riant, je notais : Bonjour à vous fantômes de la maison, je suis Sophie et je vais vivre ici, j’espère que nous serons amis dans un avenir proche.
Je rigolais et commençais à effacer ma demande d’amitié quand un klaxon m’interrompit. Ada arrivait. Elle bossait quand elle ? Donc je disais, Ada arrivait avec dans sa voiture, le matériel complet de la parfaite femme de ménage. Elle avait même caché ses cheveux sous un long foulard. Je pouffais en la voyant.
– Tu changes de métier ?
– J’y songe, hors saison ce boulot est d’un ennui, tu n’imagines pas.
– Et nettoyer la maison t’as semblé une bonne occupation ?
– Non, mais te regarder faire, oui !
Elle me passa devant en me jetant un foulard.
– Au boulot, cria-t-elle comme le général qu’elle semblait être devenue avec moi.
C’est râlant ouvertement que je la suivis à l’intérieur et toujours en râlant devant son air faussement outré que nous avons attaqué la chasse aux araignées de l’étage.
J’étais alors, bien décidée à ne sortir de là qu’une fois les nettoyages finis, mais alors que je ramassais les débris de catelle dans la salle de bain. Je fus arrêtée net par le bout tranchant de l’une d’elle. Les doigts ça saigne, les miens encore plus, ils saignent, vraiment, beaucoup. J’en mis partout, on pouvait me suivre à la trace, mince, et en plus un morceau était resté figé dans la coupure. Bien sûr, pas d’eau, pas de pansement, nous n’avions rien prévu.
Je râlais, pestais contre ma maladresse et les rire d’Ada ne m’aidèrent pas à me calmer. Je la fusillais du regard.
– Arre oi bin.. erci, finis-je par dire la bouche pleine de mon doigt, ce qui ne fit rien pour la calmer, bien au contraire.
Nettoyages terminés pour aujourd’hui, direction la ville et la pharmacie.
Une fois mon doigt déguisé en poupée, ma fierté écornée me poussa à abandonner ma soi-disant amie ricanante. J’étais trop fatiguée pour sortir et tout ce que je voulais, c’était un bon bain chaud et dormir. Mon doigt tapait encore et je me promis de commencer par m’équiper de gants dès le lendemain et en m’endormant, je songeais à tout ce que je devrais encore acheter.
Ada ne m’ayant pas laissé conduire, elle avait raison, j’aurais mis du sang partout, je devais me taper cinq kilomètres et des poussières à pied pour aller retrouver ma voiture.
En arrivant à la maison, je trouvais les fenêtres fermées. J’étais pourtant sûr de les avoir laissés ouvertes. Ada était probablement revenu les fermer, gentil à elle. J’effectuais un rapide tour et repartis en voiture cette fois-ci. L’achat de gants, achat hautement important, me ramenant en ville, je profitais pour étoffer un peu mon matériel. Une brouette, une pelle et une ramassoire en fer me vengeraient de ces fichues catelles. Le reste de la journée, je l’occupais à contrôler ma liste et à réfléchir mollement assise dans le petit parc à ce qu’il me faudrait commander en premier. Je me décidais pour de nouvelles toilettes, ça, c’était urgent ! Réellement urgent !
Il me fallut plus d’une semaine pour vider tout le fatras qui s’entassait dans le moindre coin du rez, j’avais acheté un de ses abris de jardin en kit qui me serviraient d’entrepôt, cassé la pelle, plié la ramassoire et découvert plusieurs muscles que j’ignorais posséder, eux aussi ignoraient qu’ils servaient à quelque chose et leur réveil fut des plus douloureux.
L’absence d’Ada se faisait sentir, après les premiers jours où elle m’avait servi de nounous, elle avait repris son travail à plein temps, la saison avait commencé. Je souriais en pensant à elle à chaque fois que je passais devant le tableau noir, le jour où elle était venue fermer les fenêtres, elle avait répondu à mon message par un “moi aussi” écrit avec soin à côté de ma note.
J’avançais dans les travaux, pas vite du tout, mais le temps était venu pour moi de quitter ma chambrette en ville. J’allais dormir sur un lit de camps, faire la cuisine sur un réchaud de camping, mais le plus important, j’avais des toilettes fonctionnelles. Le luxe !
Je n’avais pas revu Ada, je passais donc à son bureau pour lui annoncer mon emménagement. Elle n’y était pas. Son patron m’annonçant qu’elle était absente pour encore trois jours, je laissais un mot sur son bureau, un peu dépitée et je retournais pour la dernière fois à l’hôtel. Je vidais ma chambre et fis mes adieux à la ville avec soulagement. C’est euphorique que j’arrivais dans ma maison !
Euphorie qui une fois sur place ne dura que quarante-cinq minutes, maximum. Alors que je finissais mon installation de fortune, posant ma valise dans un coin du salon, trop flemmarde pour la monter dans une chambre et transportant mes affaires dans la salle de bain, mon front décida de faire une rencontre sonore avec la tablette du lavabo fantôme de la salle de bain. Ce fichu bout de porcelaine qui avait résisté à la destruction des anciens propriétaires, sûrement parce qu’il était plus que solidement fixé, c’est du moins l’impression qu’eut mon front. Je vis des étoiles, du sang couler devant mon œil, bobo, gros bobo et merde. J’enroulais ma tête dans une serviette après avoir désinfecté la plaie, avalais un cachet en râlant puis me couchais en espérant que ça passe. Pour une première journée, ce fut une journée mémorable, aïe !
Je me réveillais avec un atroce mal de tête et je ne bougeais pas. Je pris le temps de me souvenir de qui j’étais et où, d’être bien sûr que j’étais vivante que ma tête ne tournait pas trop. Ho, elle faisait mal, un mal de chien, mais je ne m’en tirais pas si mal. Un bon moment plus tard, je me levais en titubant en direction de la cuisine et de la petite pharmacie qui s’y trouvait. J’avalais deux cachets, hésitais à en prendre un troisième et retournais me coucher. Grosse journée en vue.
C’est le soleil qui me réveilla le lendemain, ma tête allait mieux et bien que je me sentai vaseuse, mon estomac, lui, était en forme. Un café et deux tartines plus tard, je me décidais à contrôler l’ampleur du désastre sur mon front. Une cicatrice légère au milieu d’une bosse, elle-même au milieu d’un bleu qui englobait mon œil et une partie de ma joue. Je ressemblais à un boxeur, le perdant bien sûr. Tablette de lavabo un, moi zéro !
Je ne sais pas pourquoi, je m’attendais à bien pire. Il me semblait avoir plus saigné, mais je ne trouvais pourtant que quelques traces et uniquement à la salle de bain. Il faut croire que le choc avait été rude, sacrément rude, mais sans gros dégâts.
Dire que j’ai eu du mal à me remettre à mes travaux, n’est rien à côté du courage que je n’avais pas. Au fil de la journée, je passais plus de temps à rêvasser qu’à travailler. Je finis par m’installer dehors pour avaler mon sandwich, les journées rallongeaient, le temps était plus doux et j’avais envie de profiter du soleil en ce début d’après-midi pour refaire le plein de volonté que je n’avais toujours pas et qui me faisait surtout tourner en rond. Lasse de mon manège et pour décider par où commencer, je finis par reprendre le tableau noir, le nettoyais et commençais à noter :
Cuisine, ouvrir ou non ?
Sol, carrelage ou lino ?
Four, gaz ou électrique ?
Micro-onde ?
Salle de bain, place pour baignoire ou non ?
Quelles couleurs ?
Douche ?
Salon, mettre un nouveau sol ?
Garder la cheminée ouverte ?
Et ainsi de suite. La liste des questions s’agrandissait, celle des réponses ne bougeait pas. Le temps passait en interrogation et je me couchais en pensant à tout ce qui me restait à décider. Dans un grand élan de lucidité, je décidais de ne pas décider pour le moment ! Cette bonne résolution prise, je m’endormais.
C’est le hurlement suraigu d’une alarme qui me réveilla au petit matin. La sirène d’alarme se nommant Ada, était debout devant moi, gesticulante. Je crus comprendre des mots comme, folle, porte non fermée, visage défiguré, risque de mort, têtue et en danger, dit d’une voix si forte et aiguë que tous les chiens dans un rayon de dix km devaient hurler pour y répondre. Mon mal de tête était de retour ou était-ce un nouveau provoqué par le flot de parole qui se déversait sur moi ? Dans le doute, je refermais les yeux.
Oui, j’avais mal à la tête, oui, Ada hurlait, oui, il fallait arrêter ça.
– Bonjour, ça fait plaisir de te voir. Glissais-je rapidement alors qu’elle reprenait sa respiration.
– Ben pas à moi, répondit-elle tu as vu dans quel état tu es, dix jours et je te retrouve à moitié morte.
Sa voix tremblait un peu, me prouvant qu’elle était réellement inquiète.
– C’est rien, je t’assure, je me suis cognée, la tablette de la salle de bain a gagné, mais c’est plus moche que grave.
– As-tu mal à la tête ? Des vertiges ?
– Oui, non, mais oui, parce que tu hurles là.
– Non, je ne hurle pas, dit-elle en hurlant.
– Si, un peu quand même.
– Non, juste ce qu’il faut ! Et il faut bien que tu te rendes compte de tes bêtises, non ?
– Hurler, ça me donne plutôt envie de faire le contraire, répondis-je en riant.
Elle soupira, une fois, deux fois, trois fois, ferma les yeux, puis avec un quatrième soupire, dit beaucoup plus calmement :
– Quand j’ai trouvé la porte ouverte, j’ai eu peur que tu sois partie ou pire morte.
– Je ne suis ni partie, ni morte. J’ai juste un œil au beurre noir, qui va rester quelques jours avant de se transformer en joli arc-en-ciel et disparaître, rien de grave. Allez calme-toi. J’ai besoin d’un café, tu en veux un ? Ou plutôt une tisane ? Calmante ! Dis-je en riant.
Elle me suivit dans la cuisine et mon petit réchaud de camping fit sans broncher son travail.
Une tasse de café à la main, Ada ayant catégoriquement refusé la tisane, nous nous installions dans le jardin. De vieux rondins vermoulus nous servirent de chaises et je profitais du soleil.
– Bon, sang, tu ne t’es pas ratée, il est immense ce bleu.
– Yep, je sais, un sacré match, mais mon adversaire à tricher. Je ne l’avais pas vu venir.
Elle sourit en tendant un doigt pour me toucher. Je reculais la tête en vitesse de peur d’avoir mal et glissais du rondin, me retrouvant pleine de café, les fesses par terre.
– Ok, fit-elle, tu es un vrai danger pour toi-même, il va falloir que je passe régulièrement pour contrôler que tu n’as pas cassé quelque chose ou coincé, ou coupé…
Elle parlait sérieusement, enfin essayait, le rire pointait dans ses yeux. Je me relevais, secouais mes vêtements et alors que je passais devant elle, hautaine et fière, son rire fusa d’un coup. Je me retournais et la vis tenter d’essuyer les larmes de rire qui perlaient.
– Tes fesses, souffla-t-elle entre deux hoquets.
Je passais ma main sur elles, mince le pantalon était déchiré. Ok, j’étais ridicule, un œil au beurre noir et les fesses à l’air. Elle se fichait de moi, qui pouvais-je ? Je ruminais une vengeance en me préparant une nouvelle tasse de café. Pourtant, je reconnaissais que la voir était un vrai plaisir, j’appris que nous étions lundi, son jour de congé et qu’elle avait décidé de me traîner en ville. J’avais selon elle besoin de vêtement mieux adapté à mon mode de vie. Les éclairs dans ses yeux sous-entendaient, mieux adapté à ma maladresse. Je ne répondis rien, me drapais dans ce qui me restait de dignité et allais me changer. Mon œil au beurre noir ne passerait pas inaperçu et allait susciter des commérages pour plusieurs jours, mais comme je ne connaissais personne, je ferais avec. Je soupirais en souriant et enfilais des vêtements entiers.
Néanmoins, je passais une merveilleuse journée et quand je rentrais, les bras chargés de sacs, j’étais épuisée. Je ne sais pas où Ada puisse son énergie, mais moi, je n’en ai jamais eu autant.
C’est en souriant que je me préparais à manger et je m’installais dans mon salon pour recommencer à réfléchir à ce que je voulais. En regardant le tableau, je fus étonnée de voir qu’Ada avait répondu à mes questions. Je pouvais lire à côté de ma liste des commentaires à cuisine, ouvrir ou non ? Un non-mur porteur était rajouté pour le reste le choix était entouré jusqu’à salle de bain ou douche et bain étaient entourés avec un si possible les deux, ajouté à côté.
Mais l’autre, quel culot ! Je rigolais en lisant ses choix. Arès tout pourquoi pas, un vrai petit général cette nana, mais qui n’avait pas tort, une douche et une baignoire, mmm, ce serait merveilleux. Je rangeais mes nouvelles affaires dont une salopette en jeans solide que j’avais tenu à acheter malgré les soupirs et les yeux au ciel à cause de mon mauvais goût, de mon amie. Demain, je m’attaquerai à la salle de bains et me vengerais de mon adversaire victorieux ! Na !
C’est plein d’entrain que j’attaquais bout par bout la maison. Le jardin avait pris des airs de camping sauvage, des abris en toiles s’amoncelaient, un par pièce et j’y entassais les choses que je voulais garder. J’avais même installé un véritable atelier. Je travaillais beaucoup et à force de me tromper, de casser, j’apprenais et j’étais fière de moi !
Le tableau noir en guide précieux se noircissait de petites notes et de réponses, je ne comprenais pas comment Ada arrivait à les écrire aussi souvent. Trop occupée et trop fatiguée, je laissais de côté les choses étranges.
La salle de bains, pas complètement finie, avait maintenant une douche. Les catelles anciennes faisaient un joli carré en son centre et la baignoire commandée n’arrivera que dans quelques semaines, ici tout prenait des semaines.
J’avais recopié au propre les suggestions du tableau noir et finalement, elles semblaient me convenir ou alors mon côté petite fille obéissante n’avait pas totalement disparu ce qui mériterait que je prenne un instant pour y songer. Je le ferai plus tard, ce n’était qu’une réponse de plus à trouver. J’en avais déjà plein.
Comme aucun accident ni fantôme n’étaient venus me compliquer la vie, j’avançais, vraiment pas vite, mais j’avançais. Les journées étaient longues. Heureusement mes muscles hurlant de contrariété au début s’y faisaient, moins de courbatures, plus de travail et moi qui avais toujours été un peu ronde, j’avais trouvé le meilleur des régimes, bouge-toi et bosse ! Je vous le recommande.
Je me couchais avec les poules, bien plus tôt que le soleil qui traînait trop longtemps pour moi depuis que l’été était arrivé et me levais avec le soleil. Un rythme soutenu, car je voulais avoir fini les gros travaux avant l’hiver. Je voulais avoir chaud et être bien installée pour affronter la neige.
Chaque jour était rempli de petits travaux qui n’avaient rien de compliqué sur le papier, mais prenait un temps fou. Un temps que je perdai régulièrement en soupir et raz le bol. Mon vocabulaire rageur partait du français et quand j’en avais fait le tour passait à l’anglais. Langue qui s’étoffait de jurons plus que d’autres mots, merci Ada.
Les jours passaient et se ressemblaient, interrompu par ses visites, qui ne servaient qu’à vérifier que je ne m’étais pas coupé un bras ou pire, car elle les passait à boire une bière assisse par terre et à me regarder faire, une aide précieuse…
Chapitre 4
J’avais pris l’habitude de faire mon programme sur le tableau noir. Liste que je prenais plaisir à tracer tous les soirs et qui me faisait soupirer par son peu d’avancement. J’avais bien compris que pour rester motivée, je devais me limiter à quelques lignes réalistes pour le lendemain. Ce soir-là, je notais finir la salle de bains, vider la cuisine, demander de l’aide pour sortir le vieux fourneau, voir s’il peut être réparé, enlever le sol et si encore temps démonter les placards. Quatre petites choses de rien du tout, mais de l’aide ne serait pas mal venue. Je soupirais. Pourquoi tout était-il aussi lourd ?
Bref, ça attendrait demain, le plus urgent était de filer me laver de toute la crasse accumulée dans la journée. Alors que je sortais de la douche, mon orteil fini dans un carton de catelle. Vous ai-je dit que la salle de bains n’était pas tout à fait finie ? Oui, elle est dans ma liste. Un carton de catelle, posé là par des lutins qui en avaient après moi, j’en étais persuadée, c’est beaucoup plus dur qu’un orteil. Je hurlais, les orteils, ça fait mal !
Sautillant en râlant, je partais à la recherche de ma trousse à pharmacie, glissais et finissais la tête contre la cheminée. Bobo. Mais, vraiment aïe, je vis mes copines les étoiles et merde, tout ça pour un orteil. Ma tête se mit à tourner et je ne vis plus rien.
Je me réveillais avec un mal de tête atroce, encore une fois. Le souvenir de mon œil encore bien présent dans la tête, je jugeais que là, c’était pire, vraiment pire. J’avais mal partout. Je pris un temps fou pour lentement m’asseoir et j’étirais muscles après muscles, jusqu’à ceux de ma nuque qui refusèrent de fonctionner, oh surprise !
Je devais me lever et me diriger vers la cuisine où se trouvait la trousse. Je ne serais capable de rien sans un cachet contre la douleur. J’étais mal, franchement et avant de me lever, je jetais un œil autour de moi, cherchant quelque chose pour m’aider à avancer. La trousse était là, pas à la cuisine, mais à un mètre de moi sur le sol, sauvée ! Je me levais doucement et tanguais dans sa direction. Me pencher fut une véritable prouesse tant ma tête cognait, mais j’y parvins en faisant très, mais alors très attention. J’avalais deux cachets, fit demi-tour en traînant la trousse et retournais me coucher en me promettant d’appeler Ada si des nausées apparaissaient.
Je ne le fis pas. Je dormis toute la journée et le lendemain, je me levais en mode zombie, la nuque raide pour trouver un mot mis sur la table de la cuisine. Quelqu’un y avait écrit : faites un peu plus attention ! J’ai sorti le fourneau pour vous avancer.
Je fixais la note bêtement, mon cerveau en panne refusait de comprendre. Qui avait sorti le fourneau qui pesait deux tonnes ? Ok, donc, heu, voilà, c’est quoi ce bordel ? Il y avait quelqu’un chez moi ? Mes pieds décidèrent de retourner au salon où mon corps, cerveau toujours absent, me fit tomber assise sur mon lit. Je restais là, bêtement, loin de la cuisine comme si d’un coup tout allait revenir à la normale. La douleur de ma tête me fit sentir vivante, ce fut du moins la seule chose qui me semblait normal.
Vous connaissez cette impression que votre cerveau gèle ? C’est au-delà de la panne simple et bête, rien, plus rien ne marchait dans ma fichue caboche. Un grand vide y régnait. Mon corps avait pris la relève, mais une fois réfugié au salon, il abandonna la direction des opérations. Plus rien, nada, néant total. Seuls mes yeux semblaient vouloir faire le boulot, enfin un peu, je voyais flou. À grand coup de respiration profonde, je tentais de reprendre mes esprits et de calmer la douleur. Non, je n’allais pas retourner voir la cuisine, enfin pas tout de suite. J’étais tentée de m’enfuir, mais sans l’aide de mes jambes ce n’était pas possible.
Deux pauvres neurones se remirent à fonctionner et tentaient à eux deux de réfléchir à la situation, pas bien, vraiment, rien de concret pour les aider. J’avalais un contre-douleur. L’un mes deux neurones eut l’idée idiote de me faire bouger les yeux. Ils se fixèrent sur le tableau noir où ma liste d’à faire s’étalait. Je la relisais : finir la salle de bain, vider la cuisine, demander de l’aide pour sortir le vieux fourneau, voir s’il peut être réparé, enlever le sol et si encore temps démonter les placards, rien à dire, sauf que, sauf qu’en dessous, juste en dessous « demandez quand vous avez besoin d’aide » était noté. C’était l’écriture d’Ada. Enfin me dit un de mes neurones, tu pensais que c’était l’écriture de… Ha, ha gros malin de te décider à analyser ça maintenant et l’autre neurone, celui qui n’était pas occupé à faire des conclusions désagréables, relu une bonne dizaine de fois le texte qui ne changeait pas. Il était donc possible qu’il soit bien là et que ce n’était pas une hallucination due au choc, comme celui de la cuisine. Et mince. Enfin peut-être, pour la cuisine, il faudrait que je retourne voir. Non, pas envie du tout et puis mes pieds ne voulaient pas.
Je restais là, un temps infini. Je fixais le tableau. Ma tête restait vide. J’étais en panne, panne totale.
Mon fichu estomac se moquant complètement de la situation se mit à gronder : du café dit-il ! Si, il l’a dit, j’en suis sûr. De toute façon au point où j’en étais un estomac qui parle, ce n’était que du normal. Je fermais les yeux, fort, jusqu’à voir des petites lumières se balader contre mes paupières. Je respirais profondément. J’ouvris les yeux, le texte était toujours là, je me levais, celui de la cuisine aussi. C’était réel, je me fis une tasse de café, la bus, puis une deuxième avant de retourner au salon.
Je relus le texte pour la millième fois, mieux réveillée cette fois-ci, pas en forme, pas à l’aise, mais mieux réveillée. Un troisième neurone, sûrement boosté par le café se fit entendre. Il voulait faire un conseil à trois ou plus. Le conseil se teint et conclu que d’un, ça ne pouvait pas être Ada, de deux, c’était écrit en français. En français, bordel t’a noté, en français ! À part Ada personne ne le parlait ici. De trois, c’était plutôt gentil de m’avoir aidé, flippant, mais gentil. De quatre que mes yeux étaient des imbéciles de n’avoir pas lu jusqu’au bout. En effet, en dessous de la signature que je peinais à lire, un P.S. était rajouté. Il disait : il serait souhaitable que nous nous rencontrions, ne pensez-vous pas ? Quel soir vous conviendrait ? Amicalement Louis.
Enfin je pense, la signature commençait par un L, c’était sûr, le reste beaucoup moins.
Mais, bordel, c’était qui ce type ? Il faisait quoi chez moi ? D’ailleurs vu son message le premier jour, il était là avant moi. Les fantômes écrivent ? Sérieux ? Ok, panique ! Là, maintenant, tout de suite, fou le camp, putain de pieds de merde ! Ils ne bougeaient pas. Je ne bougeais pas.
Il y avait quelque chose, je devais y réfléchir. Vraiment, je devais prendre le temps d’y penser. Mais penser à quoi ? Au café dit neurone numéro trois, plein de café rajouta numéro quatre qui sortait de je ne sais où en baillant, ok, encore plus de café, c’était un bon début. Début à quoi ? Je n’en savais rien, mais mon mal de tête atténué par le cachet et le café me laissait un peu plus de place pour réfléchir.
Café en main, assise par terre, je regardais le jardin. Quelques neurones supplémentaires se réveillèrent et se joignirent à la longue conversation qui se tenait dans ma tête.
Bon, disait numéro trois, oui, c’était lui, n’en doutez pas, récapitulons. Récapituler quoi ? Franchement, aucune idée et puis, numéro quatre dit, on reprend depuis le début, ok les gars ? Et, là, ils se mirent au boulot. Mon cerveau gavé de café dégela. Je pouvais à nouveau penser.
Depuis le début donc, voyons, déjà depuis quel début ? Mon arrivée ou ma maison ? Je me levais, allais au tableau noir et notais, arrivée à la maison et là, je bloquais. Que c’était-il passé que je n’avais pas retenu, mais qui au fond de mon esprit s’était imprimé suffisamment pour que cette impression d’avoir loupé un truc énorme soit si présente et pourquoi cette impression ne vient que maintenant ? Tu étais crevée dit numéro un. Bon, passons.
Donc le premier jour, je me suis coupé le doigt et les fenêtres ouvertes, j’en étais sûr, elles étaient ouvertes, mais retrouvées le lendemain fermé. J’avais pensé à Ada mais non, alors, le fantôme ? Je grimaçais. Et, quoi d’autre ? Le sang, j’en avais mis partout et le lendemain, presque plus rien. Les fantômes font le ménage ? Je ricanais. Puis mon choc à la tête dans la salle de bains, un sacré coup et peu de sang. Je secouais la tête, non impossible, je délirais. Les désires sur le tableau noir, ceux du fantôme ? Tous les petits mots trouvés ? Mais, quand même c’était, non rien, ce n’était pas possible et voilà, mais…
La tête entre les mains, je me sentais vide. Je cherchais encore et encore ce que j’avais pu ne pas voir, ne pas considérer comme important. Je me mis à douter, une plaisanterie ? Un vagabond vivant dans la maison ? Il n’avait rien fait de mal pour le moment. Il m’avait aidé, mais pourquoi ces mots maintenant ? Je n’avançais pas, ne trouvait rien, ne comprenait pas.
Dans le flou et la panique, une idée germa. Une seule qui me semblait pouvoir m’apporter une réponse. Il fallait que je retrouve mon calme, au moins un peu. J’effaçais le tableau noir, deux fois.
Quand les phrases dans ma tête se mirent dans un ordre que je jugeais correct, j’écrivis : Qui êtes-vous ? Que faites-vous là ? Pourquoi ne pas vous être montré avant ? Partez de chez moi !
C’était nul, mais n’ayant aucune autre idée, ça ferait l’affaire. J’attrapais vite fait mes clefs et fuyait ma maison.
Quand la ville fut en vue, je m’arrêtais, une partie de moi voulait fuir, une autre me disait que non, la fuite, j’avais déjà fait. L’envie de me battre pour ma nouvelle vie se disputait avec mon envie de me cacher. Arrêtée au bord de la route, je regardais la ville en tentant de décider quoi faire et puis zut ! C’était chez moi. L’autre-là n’avait rien à y faire. J’avais assez courbé l’échine, assez laissé les autres décider pour moi, n’est-ce pas, cette maison, je la voulais. D’accord, je reconnais qu’être seule n’est pas aussi facile que je ne le pensais, mais c’était ma maison.
Une petite voix au fond de moi susurrait doucement que je ne craignais rien. Elle avait du mal à se faire entendre entre panique et colère, mais elle était là, me rappelant que, oui, depuis le début je n’étais pas seule. Elle me soufflait que si problèmes il y avait, rien de grave ne s’était passé, que la panique était mauvaise conseillère. Elle se faisait entendre entre les deux grosses musclées qu’étaient panique et colère, prenant le pas sur leurs directives. Si tu as peur, va dormir dans une chambre et ferme-la, la nuit, continuait-elle, tu ne risques rien sinon le pire serait déjà arrivé et puis il veut se présenter. Tu peux lui laisser une chance.
Je ne sais pas d’où cette petite voix sortait, mais sa douceur était persuasive et faisait taire ma panique, laissant la colère qui me poussait dans la même direction. Rentre chez toi et bats-toi pour. Oui, je l’aimais cette baraque, j’y avais passé des heures à la retaper, j’y avais des projets et non, je ne voulais pas la laisser, à personne, pas sans me battre, pas cette fois-ci.
Bien plus tard, je soupirais en sortant de la voiture. Je soupirais toujours en transportant mes affaires dans la plus grande des chambres. Je m’y installais en frissonnant, inquiète. Je restais là, assise sur le lit de camps, regardant autour de moi, la porte fermée à clef, une chaise coincée sous la poignée. Je ne savais plus quoi faire d’autre. Je me sentais à nouveau incapable, nulle, perdue comme si ces dernières semaines ne m’avaient rien appris. Une petite chose incapable d’affronter le monde et qui, réfugiée dans sa chambre, laissait le moindre problème la submerger. La seule chose qui sortait de ce marasme était que je voulais garder ma maison. Quitte à la partager ? Je n’en étais pas sûr. Pouvais-je faire confiance à cette petite voix ? Il me fallut des heures pour calmer le tourbillon de mes pensées et m’endormir.
Quelque chose était arrivé, je dormais et n’ai rien entendu. Pourtant, au petit matin, j’avais bien la preuve que quelque chose était arrivé, un message remplaçait le mien. Je pris le temps de boire un grand café noir avant de le lire, enfin deux, même si j’avais dormi la nuit avait été courte et mes neurones toujours sous le coup de la panique pédalaient dans le vide.
Debout en face du tableau, ma deuxième tasse de café en main, je m’obligeais à me calmer avant de lire ou plutôt à respirer avant de lire puis doucement, je levais les yeux. « Bonjour, je ne vous veux pas de mal. J’apprécie de savoir que ma maison est aujourd’hui aussi votre maison. Vous ne risquez rien, je vous le promets. Je pensais que mes petits mots avaient suffi à vous faire comprendre que vous n’étiez pas seule. Je suis navré qu’ils n’aient pas suffi. Pensez-y tranquillement. Votre ami. Livius »
Bon, voilà et je faisais quoi moi maintenant ? Sa maison ? Non, ma maison ! Un de mes fichus neurones regardait la signature et me faisait signe que je m’étais gourée, pas Louis, Livius.
– Et alors connard, dis-je à haute voix, que veux-tu que ça change ?
Rien ça ne changeait rien. Je restais toujours là à ne pas savoir quoi faire. Pas avoir peur, il en avait de bonnes. Y penser, si seulement je pouvais juste penser. Fichue trouille, fichue colère, mais où était la petite voix tranquille quand on avait besoin d’elle ? Partie, elle aussi, je me sentais seule, je me sentais perdue, mon cerveau ramait de nouveau et je faillis mourir lorsque mon téléphone sonna. Mon téléphone sonnait. Put… mon téléphone, Ada ?
Ce n’était pas Ada, juste le magasin du coin qui m’annonçait l’arrivée de ma baignoire. Je raccrochais au nez du vendeur et appelais Ada qui ne répondit pas. Il fallait que je fasse quelque chose, n’importe quoi pour ne plus me sentir si stupide.
Je m’occupais les mains pendant une journée interminable, rien ne retenait vraiment mon attention et je sursautais au moindre bruit. J’avais même réussi à me faire peur toute seule en laissant tomber un crayon. La journée tirait en longueur, mon esprit bloquait. J’avais fini par me mettre au démontage des placards, transportant les portes dehors pour les poncer puis les repeindre. Je n’avais pas encore décidé de la couleur, mais je fis quelques tests, mes gestes étaient mécaniques, peu précis, trop occupé qu’était mon cerveau à analyser, décortiquer, comprendre, faire des conclusions et leurs contraires. Usée par ce méli-mélo de pensées, je finis par aller me coucher sans manger pour m’endormir à peine la tête posée sur l’oreiller, la fatigue nerveuse l’emportant. Notez que si la fatigue physique permet un bon sommeil, la fatigue nerveuse pas du tout !
À mon réveil, j’évitais le salon et filait à la cuisine. Le rituel du café réveil neurones effectué, je me posais en face du tableau, les yeux fermés, je respirais à fond et lu le nouveau mot qui était sur le tableau. « Merci d’être restée et de me faire confiance. Content de voir que vous vous êtes enfin installée dans une chambre. Bonne journée Sophie. P.S. Je préfère le bleu pour les portes des placards, mais faites comme vous le souhaitez. P.P.S. Vous buvez trop de café. »
Ho, ha, et ? T’es pas ma mère fut ma première pensée. Ok, ça ne volait pas haut, lui faire confiance ? Il rigolait là ? C’était juste dingue et j’étais dingue. J’avais des hallucinations à force de rester seule voilà. Néanmoins tout cela semblait bien réel.
Je n’avais toujours pas réussi à décider quoi faire alors voire où cette situation allait me mener pourquoi pas. Finalement toutes les solutions envisagées me semblaient dingues. Je notais une réponse dans ce sens et attaquais la peinture bleue des placards, c’était aussi ma préférée, nous avions au moins des goûts en commun, me figes-je en ricanant.
Mon humour refit son apparition dans la journée, finalement la maison était bel et bien hantée. D’un fantôme parlant français, s’il vous plaît. Ce qui expliquait pourquoi les anciens propriétaires avaient fuis. Que des emmerdes avec ces Européens ! Du coup, comme j’en étais une, nous devrions nous entendre.
C’est dans cet état d’esprit que j’attaquais les jours suivants. Mon fantôme communiquait. Tous les jours, je trouvais un mot, ça allait de la couleur d’un mur à la supplication de ne pas détruire telle chose ou telle autre, jusqu’à sa désapprobation maintes fois exprimé sur ma consommation de café. De quoi je me mêle avais-je fini par lui écrire qu’il laisse donc mon histoire d’amour avec le café en paix.
Je découvrais petit à petit les goûts très vieux jeu de mon colocataire fantôme. Il voulait tout conserver, je voulais moderniser. Il ne lâchait rien, allant jusqu’à récupérer ce que je jetais pour le remettre dans la maison. Je ne lâchais rien moi non plus, je n’allais pas me laisser faire comme ça. Je me découvrais têtue et ma confiance en moi augmentait de jour en jour face à cet adversaire invisible.
L’aide qu’il m’apporta durant cette période, me permit d’avancer plus vite que prévu. Le sol de la cuisine fut arraché puis la baignoire posée devant la maison par le livreur, fut magiquement mise en place pendant la nuit. Je l’avais découvert doué en menuiserie et le laissa refaire la table et réparer les chaises.
Cela fonctionnait bien, une relation de confiance se tissait et j’aimais de plus en plus l’idée de cette étrange colocation, néanmoins je refusais ses demandes de rencontre. Il ne s’en formalisait pas, attendait quelque jour puis relançait l’invitation que je refusais. Je ne me sentais pas prête à conforter l’idée que je me faisais de lui à travers nos échanges avec une réalité que je craignais moins agréable.
Non, je ne l’imaginais pas beau, craquant et super musclé, mais vieux, barbu, style ermite en perdition et cette idée de lui me le rendait sympathique, bien plus que la version musclée et beau. J’appréhendais tellement cette rencontre que lorsque je l’entendais travailler la nuit, je faisais semblant de dormir. Un jour, il me faudra accepter la rencontre, mais pour le moment cette relation dingue me convenait et calmait mes appréhensions.
L’été tirait à sa fin quand le grand projet du toit fut inscrit sur le tableau noir. Je ne pouvais pas le faire seul et l’entreprise contactée devait arriver dans trois jours. Je notais donc sur notre tableau, oui, c’était devenu le nôtre, notre moyen de communication, que le toit serait refait à partir de lundi et que si tout allait bien serait fini le vendredi.
J’étais contente que ce gros chantier soit fait avant l’hiver. L’entrepreneur, Francis, qui supporta mes appels presque six semaines avant de craquer, devait s’en occuper. Pour être honnête, je ne gagnais que suite à l’intervention de Suzanne, sa tante, qui une fois que je l’avais, sans savoir leur lien de parenté, mise au courant de la situation, fonça sortir son neveu de son bureau pour lui faire promettre de venir dès la semaine suivante.
Je profitais de passer la soirée avec Ada qui depuis le début de la saison n’avait plus de temps pour rien. Elle passa son temps à pester sur les touristes et regardait d’un œil noir ceux qu’elle croisait en ville. D’amicale et charmante durant son travail, elle se transformait en monstre dès qu’elle quittait son rôle de guide, pour mon plus grand plaisir.
Je passais une agréable soirée à l’écouter se plaindre des gens de la grande ville et de leur équipement hors de prix, mais totalement inutile ici. Elle en avait après les gens stupides qui confondaient randonnée en montagne et balade au bord de mer, les baskets, pas faites pour marcher, mais pour frimer, les ongles peints qui ne servent à rien, les bottes pas « cassées » avant la marche et qui faisait des ampoules à des citadins surpris d’apprendre que si, il fallait les porter avant, ainsi qu’à tout ce ou ceux qui n’étaient pas faits pour la montagne. Je l’écoutais en souriant ne l’interrompant que pour lui dire combien elle avait raison. Je n’avais pas envie, vu son humeur, qu’elle me râle aussi dessus puis je rentrais, bien contente de ne pas voir ces gens-là autour de chez moi et je m’écroulais au fond de mon lit pour un repos bien mérité. Elle était presque plus fatigante que les travaux.
Chapitre 5
– Sophie, Sophie, s’il te plaît, réveille-toi !
Une voix rauque me parvenait dans mes rêves, une voix qui parlait français avec un accent.
– Sophie, réveille-toi !
L’odeur du café me chatouilla le nez, mmm, je m’étirais en soupirant.
– Sophie, c’est important, réveille-toi !
Une main se posa sur mon épaule et me secoua doucement. Une main ? Je sursautais renversant la tasse que tenait une autre main devant mon visage. Assise d’un coup, je fixais deux yeux noirs qui me fixaient et je hurlais. L’homme recula d’un bond et me dit doucement :
– Sophie, calme-toi, c’est moi Livius.
Me calmer ? Me calmer ! Il était dans ma chambre ! Je pris le coussin et le lui jetais à la figure.
– Dehors ! Hurlais-je.
Il recula les mains en avant.
– Je vais à la cuisine vous refaire du café, il faut que l’on parle.
Et, il me planta là.
Mon cœur menaçait de sortir de ma poitrine par ma gorge, mes mains et mes jambes tremblaient. Il me fallut un bon moment avant de me souvenir d’où j’étais et de qui pouvait bien être ce type, Livius. Je mis ma tête entre mes genoux, ce qui ne servit à rien, pris de grandes inspirations pour me calmer, ce qui ne servit à rien non plus et me levait. Il allait m’entendre ! Je vous jure qu’il allait m’entendre l’autre là.
Il était sagement assis à la cuisine, une tasse de café posé loin devant lui et un petit sourire gêné sur les lèvres. Brun, la quarantaine, les yeux noir charbon, un visage taillé à la hache et une fossette sur la joue droite, il semblait bien plus grand que moi, fin, mais pas maigre. Il était bien loin de l’image du SDF poilus squattant mon sous-sol que je m’étais faite. Pas mignon, non, ça marchait pour les chatons, mais pas pour lui, beau ? Oui, mais d’une beauté sombre, il se dégageait de lui une force incroyable qui me mettait mal à l’aise.
J’attrapais la tasse de mauvaise grâce et le fixait méchamment presque déçue qu’il ne soit pas le gentil ermite que j’avais imaginé.
– Je ne voulais pas vous faire peur, mais vous avez le sommeil plutôt profond. Me dit-il doucement.
Les accents rauques de sa voix étaient étonnants, je le fixais sans rien dire. Il me fixait, lui aussi, mais pas en me détaillant, il fixait mes yeux y cherchant quelque chose. Puis, il dit dans un demi-sourire :
– Pas trop déçue ?
Toujours ses yeux au fond des miens, déçue, non mais plutôt mourir que de le dire puis j’eus très chaud, mon visage virait au rouge pivoine, le sale traître.
– Enfin, non, enfin, ça va, enfin…
Et voici, Sophie, la reine de la conversation dans son œuvre la plus connue, les enfin en cascades. Il allait me prendre pour une idiote à bafouiller en rougissant comme ça.
– Je ne voulais pas vous faire peur.
– Tu ! Le coupais-je.
– Te faire peur, corrigea-t-il.
Je bus mon café pour me donner contenance. Il était infect, vraiment imbuvable ! Ce qui eu l’avantage de refroidir mes joues et de remettre mon attention sur autre chose que ce demi-sourire.
– C’est important, il fallait que nous parlions.
– J’avais cru comprendre, marmonnais-je le nez dans la tasse. Et, de quoi ?
– Des ouvriers pour le toit.
Je relevais la tête, le ton plus que désagréable qu’il avait, n’annonçait rien de bon.
– Ben quoi les ouvriers ?
– Je n’en veux pas.
Net, simple et glacial, cinq petits mots qui semblaient dire, ils viennent, ils sont morts.
– Et vous compter refaire le toit tout seul ? Demandais-je. Il faut changer une partie de la charpente.
C’est bien le café dégueulasse, ça me garde sur ma réserve. Bon, soyons honnête, ce n’était pas du tout la première question que j’avais à lui poser et de loin. J’en avais plein, merde, j’aurais dû les noter.
– Pourquoi la charpente ?
Tiens ses sourcils se froncent et ses yeux semblent encore plus noirs.
– Pourri !
Puisqu’il économisait ses mots, j’allais en faire autant. Je me levais pour refaire du café, du bon cette fois, le laissant réfléchir et me disant qu’au lieu de parler de charpente, je devrais lui demander d’où il sortait et pourquoi il parlait français et zut à la fin.
– Vous buvez trop de café.
Ha, ben oui, ça aussi, c’était super important.
– Je sais vous me l’avez souvent écrit. Je suis fatiguée, j’aime le café et pour le moment, c’est comme cela.
– La charpente est vraiment abîmée ?
Retour brutal à la discussion super importante qui m’a sorti du lit.
– Oui, il y a des fuites, des tuiles se sont déplacées et à force la charpente a pourri. Il vaut mieux changer les poutres. Je ne sais pas faire.
Il soupira, moi aussi, plus fort, exprès.
– Moyen de raccourcir leur présence ?
– Enlever et remettre vous-même les tuiles.
– Toi.
– Quoi moi ? Ça va pas ?
– Si je te dis tu, toi aussi, pas toi enlèves les tuiles.
Il sourit, un vrai, pas le truc de travers à moitié. On avançait, super. Je lui souris en retour.
– Donc je disais, pour que ça aille plus vite il faut que TU enlèves les tuiles avant leur arrivée, lundi. Je ne monterais pas sur le toit.
– Je vais m’en occuper. Conclut-il
Il y eut un long silence, ben voyons il va s’en occuper et la marmotte… Puis j’éclatais me faire réveiller pour ça ?
– Et c’est tout, pourquoi c’est un problème ? Finalement, ils viennent de jour et tu as l’air de vivre la nuit, va savoir pourquoi. Je ne vois pas en quoi leur présence te dérange à ce point-là ? Franchement, tu te prends pour quoi, me réveiller en pleine nuit alors qu’un simple mot aurait suffi. Et puis d’où tu parles français et d’où tu sors et… et… et…
Je croisais un regard noir, des sourcils froncés, une bouche pincée.
– Mais, c’est vrai, quoi, mais enfin ? Chevrotais-je en me rasseyant le nez dans ma tasse de café.
Rougissants, bafouillant et maintenant chevrotante, le tiercé de la honte dans l’ordre. La petite voix douce se fit entendre dans ma tête. Tiens, la revoilà celle-là : calme-toi, regarde-le, il ne rit pas.
Non, il ne riait pas, n’avait même plus l’air en colère, il me fixait d’un air interrogatif.
– Tu as raison, nous avons à parler, mais je te propose de remettre ça à la fin des travaux.
Finit-il par lâcher du bout des lèvres.
– Ho, alors dans dix ans plus ou moins si je dois tout finir avant. Grinçais-je.
– Non, le week-end prochain, je répondrais à tes questions.
Il était super sérieux, presque raide, pas fâché, mais mal à l’aise et pas franchement ravi d’avance.
– Mouais, ça marche, plus de réveil au milieu de la nuit et plus jamais tu n’entres dans ma chambre. Marchandais-je en plus.
– Sauf si urgence.
Vu SES urgences, je doutais qu’il tienne parole. Le prochain réveille aurait certainement lieu pour un problème de plomberie ou parce que j’aurais envie d’inviter Ada à la maison. D’ailleurs en y pensant :
– Au fait…
Il me coupa.
– Retourne te coucher, si tu arrives à dormir avec tout ce café. Il faut que je m’y mette si je veux finir pour lundi.
Et il me planta là.
Je pris ma tasse, remontais dans ma chambre et je m’y enfermais. Je restais un long moment à écouter les bruits venant du toit et à réfléchir à cette drôle de rencontre. Le bruit au-dessus de ma tête continuait toujours, c’est alors que ma petite voix recommença : il est pas mal le fantôme ! Oui, un peu brute de décoffrage, mais à quoi fallait-il s’attendre d’un homme qui vit caché dans un sous-sol. Il avait dû faire un effort de tenu pour moi. C’est vrai que je m’attendais à un ours poilu et revêche. J’avais un ours pas poilu et franchement aussi revêche qu’imaginé, mais plus craquant. Je pouffais dans mon coussin, me traitait d’idiote et fermais les yeux, soulagée que mon fantôme n’en soit pas un.
Il n’y avait aucun mot sur le tableau le lendemain matin. Je sortis dans le jardin et vus des piles de tuiles posées en tas régulier contre la maison, je rentrais, me préparais un grand petit déjeuner que je dégustais tranquillement au soleil. Oui, je traînais, et alors ? Je m’offrais le droit de ne rien faire aujourd’hui, si monsieur le colocataire voulait se la péter en démontant tout seul le toit, qu’il le fasse. Aujourd’hui ce serait sans moi.
Je finis par appeler Ada pour lui proposer une pizza en ville et je partis sans trop attendre rejoindre mon amie. Sa pizza avalée, elle lorgnait sur la mienne. Je lui en tendis presque la moitié. Mais où mettait-elle tout ça ? Ada se remit à se plaindre des touristes. Je commençais à penser qu’elle le faisait exprès, au fond, elle devait adorer s’en moquer.
L’après-midi fila mais je n’avais pas envie de rentrer, pas aujourd’hui alors Ada, ravie, me traîna au cinéma où ce jouait un marathon Seigneur des Anneaux. Du pop-corn, du coca et plein de cochonneries, nous tiendraient compagnie. Si je devais apprécier une chose chez mon amie, c’était que nos goûts étaient pareils, en matière de cuisine, de livres et de cinéma.
Repus de plus de sucre que je n’en avais mangé depuis un an, avec une envie pipi à me fendre le crâne, c’est vers quatre heures du matin que je rentrais. Je me garais, filais à la salle de bain et à peine étais-je assise, qu’on y frappa.
– Tout va bien ? Fit une voix inquiète, tu…
C’est pas vrai, pas maintenant.
– Oui, un moment, j’arrive. Coupais-je.
Depuis mon arrivée il avait toujours été super discret et là… Mais c’est pas vrai, pouvais-je faire pipi en paix ? Et puis, il avait quoi à être inquiet. Je soupirais, encore, ça devenait une manie. Je sortais de là pour trouver mon colocataire assis à la table de la cuisine, il était inquiet cela se voyait.
– Tu vas bien ? Il est tard.
– Oui je vais bien, je suis sortie avec une amie. Nous sommes allées au cinéma et le temps de rentrer… Je haussais les épaules en faisant un geste de la main. J’avais envie de faire autre chose aujourd’hui.
Il hocha la tête.
– Je m’en suis douté quand j’ai vu que rien n’avait bougé. Il avait l’air penaud. J’ai contrôlé si tes affaires étaient toujours là et comme le temps passait, je me suis demandé si tu avais un problème ou un accident et puis il n’y avait pas de mot sur le tableau.
Le demi-sourire était de retour, ironique à souhait, contre lui cette fois-ci. Je le fixais interloquée.
– Je suis sortie, depuis quand dois-je te prévenir ?
Je retins de justesse le : tu n’es pas mon père qui arrivait dans ma bouche. Bien ma fille, tu progresses et une ânerie de non dite, une.
– Ce n’est pas habituel, se justifia-t-il, tu es plutôt du style à te coucher tôt.
– Je suis habituellement tellement fatiguée que même si je le voulais, je ne pourrais pas me coucher tard. Aujourd’hui j’ai fait une pause et pris du temps dehors. J’en avais besoin.
– À cause de moi ?
Là j’hésitais entre le oui, tu me rends dingue et le non, tu n’es pas le centre du monde ou alors un peu ? J’optais pour ce dernier.
– Un peu, je ne comprends pas tout, nous nous connaissons seulement par écrit et je n’étais pas vraiment prête à te rencontrer pour de vrai et un peu parce que Ada est ma seule amie ici et passer du temps avec elle me fait du bien.
– Je comprends.
Il en avait de la chance, moi, pas grand-chose.
– Bon, maintenant que tu es rassuré et que tu m’as vu vivante, la couche-tôt que je suis ayant largement dépassé son heure de coucher va aller dormir.
Je faillis aller l’embrasser pour lui dire bonne nuit, mais au secours, quelle gourde ! Je déviais vivement pour attraper une tasse que je remplis d’eau pour en faire quelque chose et je filais sans plus attendre dans les escaliers.
– Bonne nuit Sophie, fit-il juste derrière moi.
Je me retournais d’un coup et mon visage fini dans sa poitrine, ma tasse contre son ventre. Je reculais, renversais tout et bredouillais une bonne nuit gênée. Il souriait franchement, me fit un clin d’œil et me laissa en disant :
– Si tu le demandes, je veux bien te faire un bisou de bonne journée demain matin.
Il se moquait de moi, j’avais les joues en feu et merde. Il se moquait de moi et je ne trouvais rien à répondre. Je montais en écrasant chaque marche pour bien montrer mon énervement, ce qui le fit rire et me rendis encore plus énervée. Bref, il était plus que temps que je dorme, au moins au fond de mon lit, je n’allais pas faire ou dire de bêtises puis je me rendis compte, il s’était inquiété et sans comprendre pourquoi, j’en étais ravie.
Le lendemain, un mot sur le tableau me donna la rage nécessaire pour faire en une journée ce que j’avais prévu de faire en deux. C’est bien la rage, ça permet d’avancer. Pourquoi étais-je de cette humeur merveilleuse ? Le mot sur le tableau disait : je n’ai pas osé te réveiller d’un baiser, tu étais rentrée tard et au vu de tes ronflements, j’ai pensé qu’il valait mieux que tu te reposes encore. Bonne journée.
Ha, ha très drôle ! J’en avais mal aux côtes de rire. Du coup, c’est en imaginant la tête du comique nocturne que je lavais et frottais les meubles stockés dehors. En levant la tête, je pus voir que le clown avait presque fini de démonter le toit. Demain tout serait prêt pour le neveu de Suzanne. Youpi, comme ça mon colocataire à l’humour défaillant se calmerait. Allais-je, oui ou non lui répondre et que lui répondre. La fatigue avait eu raison de ma mauvaise humeur, mais je ne voulais pas le laisser gagner comme ça. Je pris le temps et notais : Seul un prince charmant aurait pu me réveiller d’un baiser pas un fantôme. Bonne nuit. Il comprendrait ou pas.
Le matin, je me levais courbaturée, tiens, ça faisait longtemps. Une bonne douche plus tard, ma deuxième tasse de café en main, je regardais sur le tableau sa réponse : Je ne suis pas UN fantôme, mais je veux bien être le tien ! Bonne journée, ma belle au bois dormant.
Ok, Il avait gagné, car c’est en souriant que j’ouvrais aux ouvriers qui se présentèrent devant la porte. Francis me dit :
– C’est sympa d’avoir avancé le travail, tante Suzanne m’a fait promettre de venir cette semaine. Cependant, j’ai un autre chantier en cours. Il faudra que tu m’expliques comment tu as fait, sans vouloir être impoli, tu ne ressembles pas vraiment à une force de la nature.
Je ne répondis rien, mais il me faudrait penser à remercier mon fantôme pas charmant parce que si Francis n’avait qu’une semaine, l’opération rénovation du toit aurait capoté. Ce que je n’avais pas prévu, c’est l’énorme engin qui arriva peu après et auquel il fallut faire de la place.
Malgré mes doutes, Francis et son équipe travaillaient vraiment bien. Mémo personnel, faire plus confiance aux dires de Suzanne. En fin de journée, son équipe partie, Francis traîna pour boire une bière et discuter un peu.
Il m’avait vu au cinéma avec Ada et me demanda très sérieusement si j’avais choisi d’y aller ou si Ada m’y avait traînée de force. J’allais lui répondre sèchement quand j’aperçus son regard pétiller.
Je fronçais les sourcils et demanda pourquoi ?
– Je la connais depuis son arrivée, me confie-t-il. Elle était en classe avec mon frère. Sa réputation de terreur est méritée crois-moi. Elle en a fait voir à tous à son arrivée, une vraie rebelle.
J’en ris et lui répondis que non, j’aimais ce genre de film et que je les avais déjà vus plusieurs fois et que la seule chose que je pouvais reprocher à mon amie, c’était cette extraordinaire énergie. Elle m’épuisait parfois.
Il était parfaitement d’accord, nous avons parlé de tout et de rien, soudain il me dit que sa tante m’attendait pour manger samedi soir. Il avait failli oublier, elle ne l’aurait pas pardonné. Il me fit un clin d’œil puis me souhaita bonne soirée et fila avant même que je puisse refuser l’invitation.
L’urgence pour le moment était de me couler dans un bon bain chaud, le reste attendrait.
Le reste attendit plus que prévu, je m’étais endormie. Je sortis de là alors que la nuit était déjà tombée. Mince, j’avais trempé sacrément longtemps et je mourrais de faim. Je me séchais rapidement puis entourais ma serviette autour de mes cheveux et filais à la cuisine mettre mon repas à réchauffer, l’estomac gargouillant d’anticipation. J’y pénétrais comme un courant d’air et me figeais net.
Il était là, devant le micro-onde, un bol fumant à la main et son regard, ho, mon Dieu son regard. De surpris, il se fit curieux puis ravi ? Je le fixais et je réalisais en voyant son sourire apparaître que j’étais nue, une serviette enroulée sur ma tête comme seul vêtement. Et merde, merde, merde…
Mes pieds firent un demi-tour tandis que mes mains attrapaient le linge et le déplaçaient de ma tête à mon corps. Les escaliers furent montés en 2 secondes, la porte de ma chambre claquée et c’est tremblante que je m’y appuyais pour reprendre mon souffle.
Non mais c’est pas vrai, il venait de me voire nue. J’étais passée par tous les rouges connus pour finir avec un qui en plus chauffait sur mes joues. Je glissais le long de la porte et me pris la tête entre les bras. Je ne suis pas pudique, mais pas franchement à l’aise quand je suis nue. Je restais assise contre la porte en me sermonnant. Il n’y avait pas de drame, ce n’était rien, enfin, c’était pas grand-chose et puis il n’avait rien dit, pensé, j’en étais sûre, mais rien dit, c’était déjà ça de pris. Je reprenais contenance petit à petit et le léger coup donner contre ma porte me sortit de ma tornade de pensées.
– Sophie ? Ça va ?
Mon nom était juste soufflé très bas, doucement, presque un murmure. Il voulait juste me faire savoir qu’il était là.
– Oui ! J’arrive, un instant, dis-je.
Bon, finalement, il m’avait vu nue et puis ? C’était un accident rien de plus. Reprends-toi, tu n’es pas une nonne ! Lui peut-être, n’était-il pas ermite ? Il n’a même pas fait un geste alors arrête de baliser. Puis l’image me frappa, je l’imaginais en nonne. Mais c’est pas vrai ! L’image de mon fantôme en nonne flotta un moment dans mon esprit et me permit de finir de me calmer. Le ridicule ne tue pas et l’imaginer ainsi me permettait de dédramatiser.
Arrivée à la cuisine, je vis que le bol était lavé, posé sur l’évier et lui était assis sagement à table. Je lui fis un petit signe de tête pour me donner contenance. Je fouillais dans mon frigo et en sorti un sandwich. Mon repas en main, j’allais m’asseoir en face de celui qui n’avait rien dit depuis mon arrivée.
– Bonsoir Sophie, dure journée ?
Il parlait tranquillement, d’accord, faisons comme si rien ne s’était passé.
– Oui, épuisante ! Il a fallu faire de la place pour la grue et je me suis endormie dans la baignoire.
Bien, ma grande, tu n’as même pas bafouillé, tu as parlé normalement. Je fixais mon assiette, seul moyen que j’avais trouvé de ne pas le regarder. Un doigt vint se loger sous mon menton pour le soulever et ses yeux noirs cherchèrent les miens.
– Ne te prends pas la tête. Tu n’es pas la première femme que je vois nue et je te promets que tu ne risques rien !
Il avait un regard si sérieux et un sourire doux. Il ne lâchait pas mes yeux y cherchant je ne sais quoi. Je devais le prendre comment le : tu ne risques rien ? Je suis moche, c’est ça ? Ou il est gay ?
– Merci, mais je n’ai pas aimé la surprise.
Il sourit malicieux.
– Moi, oui et j’ai apprécié !
Il appuya ses dires d’un clin d’œil et me voyant rougir, il redevint sérieux et dit :
– Parlons d’autre chose, donc la journée fut fatigante, mais les travaux ont bien avancé.
– Oui, soufflais-je, le toit est démonté, plus vite que je ne le pensais. Francis et son équipe ont bien travaillé.
Il fronça les sourcils.
– Francis ?
– Oui, le charpentier où je ne sais quoi, le neveu de Suzanne, son entreprise est en ville.
– Et donc, les travaux dureront encore combien de jours ?
Il y avait comme un agacement dans sa voix, lui et sa sacro-sainte tranquillité !
– Demain, ils attaquent le remplacement. Francis m’a promis que ça ira vite. Ils sont venus en nombre pour finir au plus vite. Il est resté un moment pour parler après sa journée, il m’a vu avec Ada au cinéma et m’a raconté les bêtises qu’elle avait faites plus jeune.
Je souriais à ce souvenir mais, quand je croisais son regard, mon sourire disparut. Il semblait furieux et je ne comprenais pas ce que j’avais bien pu dire pour le mettre de cette humeur. Trop crevée pour y réfléchir et surtout bien décidé à ne plus réfléchir en ce qui le concernait, sinon j’allais paniquer et probablement déménager ailleurs. Encore une fuite et celle-là, je ne voulais pas la faire donc tout était normal venant de lui. Je biaisais.
– Je n’ai plus faim, je vais aller me coucher, demain sera encore une journée compliquée. Bonne nuit Livius.
– Bonne nuit, Sophie.
Je sentis son regard me suivre jusqu’aux escaliers et une fois dans ma chambre, je pris un minuscule temps pour réfléchir à cet étrange moment. Son humeur était si changeante que j’avais du mal à suivre. Il devait avoir passé trop de temps seul, puis son image en nonne revint à mon esprit et je fus pris d’un véritable fou-rire qui me détendit et me permit de dormir sans rêves.
Chapitre 6
Francis était à l’heure et à la pause nous avons discuté de mon arrivée et des bruits qui courrait sur moi, alimentés par mon amitié avec Ada et des différences entre ici et l’Europe. Discussion lancée car se plaignait-il, mon café avait failli les tueuses et qu’Ada le buvait de la même manière. Je veux bien reconnaître qu’entre un expresso italien et le jus de chaussette servi dans le coin, la différence pouvait surprendre, mais j’insistais, le mien était meilleur, ils n’étaient que des mauviettes.
Je lui fis promettre de demander à Suzanne de ne pas en faire trop, précisant que je ne mangeais pas beaucoup et je ne buvais que peu d’alcool et lui rappelant que je devais encore rentrer. Il me promit de transmettre le message, mais précisa qu’avec sa tante, je n’aurais pas d’autre choix que de manger et boire. Au pire, il se ferait un plaisir de me ramener puisqu’il serait présent ainsi que la moitié de la famille ou je pourrais demander à Ada qui venait elle aussi.
Voyant ma tête, il se mit à rire et fuit avant que je ne puisse lui dire que non, je ne viendrais pas. Une fois assez loin de moi, il me dit en criant :
– Tu as dit oui, alors tu viens.
Il était mort de rire. Je m’étais fait avoir. Mais pourquoi avais-je accepté sans demander d’abord ce qui était prévu ?
Le soir arrivait et la seule chose que je souhaitais en ce moment était un bon repas suivit d’un dodo de compétition. Je traînais des pieds en entrant dans la cuisine, hésitais un instant et me fit des crêpes. Je sursautais en entendant un bonsoir, lancé depuis la porte. Mon colocataire était là, appuyé contre le mur et n’avait pas exactement la tête des bons jours.
– Ça sent bon, que prépares-tu ?
– Bonsoir, des crêpes, tu en veux ?
– Non merci, à plus tard, bon appétit.
Je répondis dans le vide un : merci bonne soirée. Il n’était déjà plus là, à croire que de me croiser le soir le dérangeait. Bon sang qu’est-ce qui m’avait pris d’accepter sa présence ? En étant honnête, je pense qu’une partie de moi était ravie de ne pas être seule, dur de changer du tout au tout en si peu de temps. La petite fille n’était jamais loin et faisait des retours pas toujours agréables pour celle que je souhaitais devenir.
Allez arrête, tu ne vas pas recommencer les prises de tête, à table, mademoiselle Sophie et au dodo !
Je ne l’ai pas revu. A vrai dire, je faisais attention de ne pas traîner plus tard que les journées d’été me le permettaient. Je filais dans ma chambre avant que la nuit n’arrive. Je laissais des petits mots, il y répondait et voilà, la situation me convenait.
Les tuiles retrouvaient le toit, le bruit du marteau ne m’avait pas vraiment dérangé, mon désagréable fantôme semblait attendre que je sois profondément endormie pour s’y mettre. Oui, bon d’accord, il n’était pas si désagréable que ça. Il faisait attention à moi, mais franchement il n’était pas facile à cerner.
Le vendredi matin, la note sur le tableau disait : le toit est presque fini, qu’as-tu prévu ? Sans signature, sans bonjour. Alors, j’avais bien le droit de le trouver désagréable, non ? J’y avais répondu : comme je sors samedi soir, je pense que nous pouvons nous offrir un week-end tranquille, lundi il faudra attaquer les fenêtres.
Soit, j’avais maintenant une cuisine remise à neuf, une salle de bain de luxe, hé oui, j’avais bossé pour, un toit qui ne fuyait plus, mais je n’avais toujours pas changé les fenêtres. Les nouvelles achetées par les anciens propriétaires attendaient dehors et la cheminée ne servirait à rien si les courants d’air persistaient. Mais ce soir je sortais et franchement, j’en avais envie même si je craignais un peu le nombre d’invités présent. Au matin j’avais trouvé une note : amusez-vous bien avec votre Francis. Mais que diable venait faire Francis là-dedans ? Je répondais à l’invitation de Suzanne.
La journée s’étira, vraiment, beaucoup, horriblement. Je me traînais d’un coin à l’autre réfléchissant un moment à ce que je devais encore faire, un autre à cette étrange colocation ou plutôt au caractère de mon fantôme, réussissant à ne rien faire de concret.
Je décidais de me préparer et de partir en ville. J’envoyais un message à Ada, priant pour qu’elle soit libre et abandonnais mon chantier, ma maison, mon fantôme et je l’espérais mes interrogations. Ada n’était pas libre, oh surprise. Je flânais donc en ville, le lèche-vitrine reste une occupation comme une autre.
À dix-neuf heures tapantes, une Ada survoltée, normale quoi, me sauta dessus pour m’emmener chez Suzanne, imposant de prendre sa voiture et d’y arriver ensemble sans me laisser le temps de répondre. Je suivis en soupirant, elle m’y traînait en rayonnant, c’est donc avec des sentiments complètement différents que nous sommes arrivées, bien qu’elle m’ait assuré durant le trajet que j’allais adorer.
Ada entra sans frapper, criant :
– Coucou, c’est nous.
Auquel une dizaine de voix répondirent. Mince, mais ils étaient combien ? Une Suzanne en tablier à petite fleur surgit devant moi, me prit dans ses bras, me cassant sûrement deux côtes, me claqua deux énormes et bruyantes bises sur les joues en me souhaitant la bienvenue. Relâchée d’un coup, de cette formidable étreinte, je faillis tomber à la renverse. Je fus retenue par Francis qui murmura à mon oreille.
– Suzanne est un peu démonstrative, tu vas t’en remettre ?
Le ton était moqueur à souhait alors qu’il m’attirait contre lui en me retournant pour me claquer, lui aussi, deux énormes bises sur les joues.
Je rencontrais d’un coup, le mari de Suzanne, leurs enfants, un frère de je ne sais plus qui, le cousin de truc et un ami de la famille ou un membre de la famille, une amie de cousin truc et quelques autres personnes dont je ne compris ni le lien avec les autres, ni d’où ils pouvaient bien sortir. Je ne reteins aucun nom, fus embrassée à chaque fois et finis par me retrouver assise sur un canapé avec une assiette de petits fours sur les genoux. Étourdie, épuisée et pas vraiment sûre de ce qui venait de se passer, je subissais les conversations plus que je n’y participais.
Le reste de la soirée fut semblable, un peu comme se retrouver à une fête de famille, mais pas la sienne, où les repères sont inexistants et les gens, trop heureux de vous y accueillir, vous noient sous une tonne d’anecdotes dont vous ne comprenez rien. Je serais ingrate de dire que je passais une mauvaise soirée, car ce ne fut pas le cas, juste que je me sentais un peu submergée par tant de paroles, de gens et de nourriture.
À vrai dire, surtout de nourriture, Suzanne remplissait mon assiette de tout, de beaucoup, tout le temps. Elle semblait trouver que je devais prendre dix kilos avant la fin de la soirée. Ada à ma droite vidait régulièrement mon assiette. Je la remerciais à chaque fois par une grimace de soulagement. Je dois avouer que j’attendais le café avec impatience bien que je craignais qu’il ne soit que le jus de chaussette, habituel ici. Quel ne fut pas ma surprise quand je vis arriver devant mon nez un café dont l’arôme ne pouvait tromper, un vrai café ! Je le fixais un moment puis en levant la tête, je vis Suzanne me faire un sourire.
– C’est ce que tu appelles du vrai café, non ?
– Oui, il semble parfait, merci
– Tu vois je t’avais dit, triple dose pour elle.
Je fixais Ada.
– Triple ? Mais, ils boivent de l’eau colorée ?
Mon air faussement effaré les fit rire aux larmes et Suzanne finit par répondre.
– Ada aussi, aime le café trop fort.
Elle leva les yeux aux ciels.
– Tu vois ce que j’ai dû endurer avant ton arrivée. Ils étaient tous persuadés que je faisais exprès de les contredire.
Alors que depuis que tu es là, ils savent que c’est juste une différence, notable cependant, entre eux et le reste du monde.
– Une vraie faute de goût d’ailleurs, ajoutais-je en rigolant.
Ada opina de la tête, Suzanne et Francis soupirèrent et le reste de la tablée se lança dans une discussion animée sur les différentes habitudes selon les régions. J’appris ainsi que Suzanne venait d’une famille anglaise, que le cousin truc avait de la famille en Australie et qu’en fait presque personne ici, n’était natif du coin.
Je me sentais un peu moins perdue dans cette assemblée, qui m’avait acceptée comme l’une des leurs. Ada me souriait. Suzanne s’inquiétait que j’aie assez mangé. Francis expliquait à son père ou au mari de Suzanne ou à l’oncle machin, je n’en savais rien, les travaux que j’avais déjà faits dans ma maison. Celui-ci me félicitait en me demandant ce que je devais encore faire et la soirée avançait.
Lancée dans une discussion animée avec Francis, un mouvement avait attiré mon attention, une ombre derrière la fenêtre, une ombre que j’avais l’impression de connaître. Je fronçais les sourcils pour comprendre. L’ombre avait déjà disparu. Francis interprétant de travers mon froncement de sourcil, me dit :
– Je sais que c’est beaucoup de travail, mais il faut le faire, ta sécurité compte.
Je le fixais complètement perdue, mais de quoi parlait-il ? Ha oui, la cheminée…
– Je sais bien, il faut que je le fasse correctement, mais je ne sais pas si j’arriverai à tout finir avant l’hiver.
Il se lança dans une longue explication sur l’importance du risque incendie, ouf, bien rattrapé. Je perdis le fil de la conversation, perdue dans mes pensées. Francis fini par décréter que j’étais trop fatiguée et que je devais rentrer. Il héla Ada pour qu’elle me reconduise et en quelques minutes j’étais assise dans une voiture ceinture bouclée et la tête remplie de faites attention, bonne nuit, à bientôt, repose-toi ! Les joues encore vibrantes de baisers plaqués avec force et les côtes douloureuses d’étreintes énergiques, sans trop bien comprendre comment j’étais arrivée là. Je trouvais Ada épuisante, elle était calme et zen comparée au reste des invités. J’étais épuisée.
Le retour se fit dans le calme habituel d’Ada, elle parla non-stop.
– Alors tu vois, ils sont sympas non ? Je sais que ça fait beaucoup en une fois, mais tu verras tu t’y feras. Suzanne t’attend samedi prochain. C’est cool, non ? Comme ça, tu vas rencontrer tout le monde. Enfin tous les amis de Suzanne et sa famille. Tu seras plus vite adoptée. Ils t’ont trouvé adorable. Tu fais déjà partie des habitants, tu sais, pour beaucoup le boulot que tu as fait…
Je n’écoutais qu’à moitié, en partie parce qu’affolée à l’idée de remettre ça dans une semaine, en partie parce que inquiète, sans trop savoir pourquoi de ce qui m’attendait à la maison.
Sortie du dernier contour, la vue de ma maison dont la cuisine était éclairée, m’affola d’un coup. Je criais presque à Ada de s’arrêter là, tout de suite. Elle planta sur les freins et regardant de tous les côtés, elle me demanda pourquoi.
– Il y avait un écureuil, fut la seule réponse que je trouvais. Enfin, j’ai cru. Je crois que j’ai dû m’endormir. Laisse-moi ici un peu d’air me fera du bien.
– Tu en es sûr ?
– On y est presque, je t’assure que ça me fera du bien.
Dix minutes plus tard, après avoir promis que, si, j’avais besoin d’un peu d’air et que non, je ne traînerai pas et que oui, j’avais probablement oublié d’éteindre les lumières. Dis trente fois merci et bonne soirée, assuré que je viendrais samedi prochain et que j’avais a-do-ré la soirée, je pus sortir de la voiture.
J’attendais en faisant au revoir de la main qu’elle fasse demi-tour avant d’avancer vers la lumière, mais quelle idiote j’étais de ne pas avoir pensé que mon colocataire pourrait être là. Il faudrait sortir de ce secret tôt ou tard et tôt serait mieux pour mes nerfs.
Alors que j’avançais dans le jardin, je le vis assis sur les marches devant la cuisine. Il me fixait sans rien dire. Arrivée à sa hauteur, je m’assis mal à l’aise et je me mis à fixer les objets que la lumière de la cuisine faisait apparaître sur le sol. Je sentais toujours son regard sur moi puis un murmure.
– Alors tu as passé une bonne soirée ?
– Oui, un rien étourdissante, mais la famille de Suzanne est vraiment adorable. Je suis invitée samedi prochain.
– Je vois.
– Tu vois quoi ?
Il ne répondit rien et son regard se perdit dans le vide.
– Tu vois quoi ? Insistais-je
– Tu t’adaptes plutôt bien.
– C’est gentil, mais là j’ai plutôt l’impression d’avoir survécu à un typhon.
Je me massais les côtes en souriant. Un typhon de bisous et de câlins qui m’avait laissée tout étourdie et pas complètement remise.
– Fait attention aux gens de la ville, ils ne sont pas tous comme Suzanne.
– Parce qu’il y en a d’autre comme Suzanne ou Ada ?
– Je disais juste que tout le monde ici, n’est pas aussi amical qu’elles.
– Je pense bien mais…
– Mais tu verras bien, fais juste attention !
– Côté gens incorrects, je pense avoir un peu de… enfin, j’en ai connu et je ne pense pas que, enfin… pas Suzanne en tout cas.
– Sois prudente, c’est tout.
Lâché dans un souffle comme à contre-cœur, une petite phrase de rien du tout qui me fit du bien. Bon sang, je m’étais attaché à lui au fil des jours et son absence due à sa froideur et sa colère des derniers temps m’avait plus blessée que je ne voulais l’admettre alors cette petite phrase me faisait du bien.
– Je tiens à toi aussi.
Je lui répondis en l’embrassant sur la joue. Je me levais, filais à la cuisine. Avant même d’y parvenir je sentis deux bras me saisir la taille, une tête se nicher dans mon cou et deux lèvres remuer contre ma peau. Un baiser doux, un soupir puis au creux de mon oreille un souffle rauque.
– Va te coucher il est tard, petit ange.
Il m’avait embrassée juste en dessous de l’oreille provoquant une pluie de frissons. Ses mains libérèrent mes hanches et alors que son corps s’éloignait du mien, j’eus froid. Je me retournais pour trouver la cuisine vide. Je restais là, ébranlée. C’était quoi ça ? Non, pas le baiser, pas son comportement, mais ma réaction. Je suis pas idiote, c’était clairement du désir, mais je ne voulais pas. Je ne voulais pas ressentir de désir pour mon fantôme, pas plus que pour aucuns autres hommes du coin. Désirer quelqu’un c’est le bordel, ça me met la tête à l’envers, m’empêche de réfléchir et je vire stupide et soupirante, incapable de voir les défauts, avalant les mensonges comme du petit lait et me laissant berner, j’y étais déjà passée. Stop, stop, stop, hors de question de. Bien décidée à ne pas me laisser aller, je filais sous la douche pour me calmer parce que oui, mon corps lui, était un imbécile de première. Et, merde, je ne suis pas une sainte ! Loin de là ! J’ai des besoins comme tout le monde, mais je ne voulais plus avoir envie de, enfin si, mais pas comme ça, pas maintenant, pas lui.
Je ne le revis plus, le tableau noir repris son usage premier. Je notais le programme, il indiquait ce qui était fait, je lui souhaitais bonne soirée, il me souhaitait bonne journée. Mes nuits restaient compliquées, mon esprit l’imaginant devant ma porte, elles n’étaient plus vraiment reposantes. Je m’épuisais pendant la journée pour tenter de dormir. Je m’épuisais pendant la nuit pour tenter de ne pas penser, mais je tins bon.
Le samedi arriva comme un sauveur. J’allais faire face à plusieurs ouragans amicaux, mais cela me semblait plus calme et reposant que la semaine qui venait de passer. Je ne fus pas déçue. Il y avait encore plus de monde, dont bien sûr, je ne retins aucun nom, trop à manger, merci Ada, beaucoup de bruits, de rires et une Suzanne inquiète de ma petite mine. Mes joues et mes côtes subirent les assauts affectueux de tout le monde à l’arrivée comme au départ.
Je rentrais pour trouver la lumière de la cuisine allumée, mais personne ne s’y trouvait. Un mot sur le tableau me souhaitait une bonne soirée et une bonne nuit, c’était la seule trace de mon fantôme.
Les semaines se suivirent sur le même modèle ou presque. Mon cerveau reprenait le dessus, mes nuits se firent plus calmes, sans ruminations interminables sur mon colocataire et je pus me reposer vraiment.
La cheminée fut inspectée, réparée et attestée sans danger par un ami de Francis, David qui m’invita à sortir à chacune de ses visites. Il reçut la même réponse que celle donnée à Francis au cours des derniers samedi : merci, mais non merci. J’allais finir par être taxée de pénible ou de vieille fille frigide. Ada fut d’une aide précieuse en précisant à tous les invités de Suzanne, le samedi suivant, alors que Francis se montrait insistant, que, vu mon passé, un homme n’était pas une urgence pour le moment. Ils en conclurent que j’avais eu une grave déception, ce qui n’était pas faux, ce qui amena Francis à s’excuser de son insistance et à clore une fois pour toute, le sujet.
Sauf que si je m’en étais remise et que j’aurais pu faire de la place à un nouvel amant, même si je ne désirais ni David, ni Francis. Parce que pour le moment la situation n’était pas aussi simple que si mon fantôme n’existait pas.
L’automne s’installa, les journées raccourcissant, il me devenait de plus en plus pénible de me
coucher avant le soleil. Il fallait trouver un autre accord au moins avant l’hiver. Le tableau noir se vit promu médiateur. Je le couvrais de : il faut que l’on parle, formulés de toutes les manières possibles et imaginables, auquel étaient répondu des : de quoi, sans autres commentaires.
Je tentais une autre approche en la jouant claire et nette : qu’allons-nous faire cet hiver, les jours raccourcissent et il serait bien que l’on trouve un moyen de cohabiter, à quoi me fut répondu un : ça ira, laconique.
Mon colocataire avait coupé suffisamment de bois pour chauffer la maison, au moins plusieurs hivers ou lors d’une mini glaciation, nettoyé le jardin de tout ce que j’y avais stocké et l’avait parfaitement rangé dans la cabane en bois qu’il avait construite. J’avais quant à moi, fini de changer les fenêtres et repeint le salon et une partie des chambres. Un canapé avait fait son apparition ainsi qu’une télévision et surtout d’un lecteur DVD. L’installation de ma super bibliothèque était en cours, car à force de me coucher avant le soleil, j’avais fini par dévaliser la petite librairie du coin, étonnant…
La maison perdait petit à petit son air de maison hantée et prenait doucement l’apparence du foyer que j’avais vu en elle.
Je laissais tomber les tentatives de discussions en septembre. Finalement, si nous devions nous croiser, arrivera ce qui devait arriver. Les jours devenant de plus en plus courts, je refusais de me ranger dans ma chambre de plus en plus tôt. Je l’annonçais sur le tableau, n’y trouvais aucune réponse le lendemain, excepté le “bonne journée” habituel.
Je m’intégrais beaucoup, grâce à Suzanne, un peu à contre-cœur à cause de mon fantôme. Je commençais à retenir les visages, quelques noms, pas beaucoup, je l’avoue. Je saluais gaiement les gens en ville, sortais de plus en plus le soir et me fis une nouvelle amie.
Elle travaillait dans une boutique qui vendait des articles artisanaux. Boutique ouverte en saison et qui pratiquait la vente à la tête du client. Je m’explique, un prix pour les touristes, un pour les habitants, un autre pour les habitués. Il valait mieux y arriver avec quelqu’un de connu du propriétaire ou de la vendeuse, ce que j’appris plus tard.
La première fois que j’y entrais, je craquais littéralement pour un tapis aux couleurs vivent, remplis de dessins stylisé d’animaux du coin. Quand je demandais le prix, je pâlis. Non, mais je devais vendre un rein pour l’avoir ? Je ne l’achetais pas, mais pris une petite lampe dont le prix me sembla plus correct. J’y retournais plusieurs fois et finis par engager la conversation avec la petite rousse derrière la caisse. Elle se nommait Théa et avait appris depuis peu que je n’étais pas une touriste. Elle était rouge de la tête aux pieds quand elle me présenta ses excuses pour le prix demandé lors de mes achats précédent. C’est ainsi, que j’appris qu’en ville les touristes, comment dire, on les saignait volontiers alors qu’on faisait attention à ne pas exagérer avec les gens du coin. Ce qui expliquait pourquoi Ada m’avait traînée partout en me présentant comme une amie.
Les prix baissèrent sérieusement après notre discussion et je repartis avec le tapis qui soudain était tout à fait dans mes moyens. J’eus même droit à une remise important en guise d’excuse. Tapis et lampes voyagèrent de la boutique à la maison suivit par un couvre-lit en patchwork livré, un mercredi, par une petite rousse survoltée comme tout le monde ou presque ici.
Elle resta manger puis revint le mercredi suivant puis Ada pris le temps de se joindre à nous puis le mercredi soir fut le repas copine de la semaine. Finalement, les habitudes se prenaient vite ici sauf une…
Chapitre 7
Je ne me faisais pas à l’idée de ne plus revoir mon fantôme qui comme au début se montrait discret, tellement que si des mots n’apparaissaient pas sur le tableau, j’aurais pu le croire parti. Alors que je m’étais fait tout un monde de sa présence, je n’avais plus envie de le voir disparaître. Je devais reconnaître que j’avais pris l’habitude et qu’il avait pris une place importante dans ma vie et si on excluait le passage du baiser dans le cou, il s’était comporté en grand frère. Bien que je n’aimais pas trop l’idée qu’il me voit comme une sœur. Il me manquait. Je me l’étais avoué un soir alors qu’enroulée dans une couverture devant la télévision, je me retrouvais à parler à voix haute. Stupide moi !
J’avais rencontré Théa, j’allais manger tous les dimanches chez Suzanne. Oh, j’avais oublié de vous dire, les repas du samedi soir ne permettant pas au plus jeune de profiter du cinéma ou de différentes sorties entre amis, le repas fut déplacé au dimanche midi enfin au dimanche une heure puis transformer en brunch. Je disais donc, le samedi, sorties, le dimanche, gavage chez Suzanne, le mercredi, repas filles, le reste de la semaine, nettoyages, peintures et aménagement. Je n’avais pas le temps de m’ennuyer et pourtant je m’ennuyais. Je m’ennuyais de mon fantôme qui portait beaucoup trop bien son surnom depuis quelques semaines.
Septembre passa, octobre pointant le bout de son nez Ada devint comme folle. Son amour des touristes ne se démentait pas et les repas du mercredi s’enrichirent de longues tirades sur la bêtise et les âneries de ses clients adorés, le tout saupoudré par les arnaques du boss de Théa. J’avais mal au ventre à force de rires. Le repas finissait toujours par la promesse de ne rien dire de ce qu’elles m’avaient confié, promesse que je renouvelais sans soucis, tellement j’aimais les entendre raconter leurs petites et grosses arnaques.
Octobre était aussi une période folle pour Suzanne et pour la moitié de la ville, la fête du saint patron de la ville ou du premier colon, selon les sources consultées, avait lieu le deuxième samedi du mois et monopolisait toute âme charitable à la ronde. Je fus engagée sans avoir pu dire non, ni bien compris comment d’ailleurs, pour tenir un stand de tartes fabriquées par toutes les femmes du coin. Juste pour la matinée m’avait promis Suzanne.
Je me retrouvais donc affublée du magnifique tablier à fleur de ladite Suzanne. C’est pas sérieux de vendre des tartes sans tablier avait-elle répliqué à ma protestation, placée derrière trois énormes tables croulantes sous des tartes à tout, des myrtilles à la viande en passant par les pommes ou le poulet. Je n’allais jamais savoir laquelle était à quoi. Je me voyais déjà vendre du poulet à la place des fraises et me faire hurler dessus par un touriste mécontent, mais je ne vis pas un seul touriste. Les tartes partirent comme des petits pains, achetées presque entières qui par le frère de la cuisinière qui par le mari. Je compris au fil de la matinée que les hommes du coin venaient acheter les tartes de leur cuisinière pour éviter que celles-ci, les tartes pas les cuisinières, ne restent invendues au soir et provoque le désespoir de celle-ci. Une jolie preuve d’amour vite démentie par un jeune homme qui me dit que si elle n’est pas vendue ce soir, ce serait à lui de la manger. Il me fit un clin d’œil et disparut avec la tarte. Voilà pourquoi avant même la fin de la matinée, j’avais tout vendu.
Suzanne apparue sur le coup dès onze heures m’expliqua que c’était parti plus vite que les autres années. Normal, je ne connaissais pas assez les gens d’ici pour savoir qui avait fait quelle tarte. Je la regardais consterner et elle se mit à rire.
– Ne t’en fais pas, c’est tous les ans pareil, me consola la voix d’Ada, Suzanne a juste profité que tu sois moins connue pour se débarrasser au plus vite de tout ça. De plus l’argent va servir pour rénover le parc alors c’est pour la bonne cause.
Mouais, je retirais le tablier à fleur en ignorant le : ho, non il te va si bien, de ma future ex-amie et le tendis à Suzanne.
– Allez les jeunes, filez profiter de la journée, il y a plein à faire.
Finalement, je me consolais en m’octroyant le titre de vendeuse la plus rapide de la ville. Titre validé par Théa quand je lui expliquais. Elle tenait un stand rempli de comment dire, de trucs étranges, sur tout était indiqué artisans de la région et pour être honnête, je ne suis pas fan des animaux empaillés, ni des fourrures où l’on voit la tête de l’animal. Si je comprenais bien l’avantage de la fourrure dans le coin où les hivers étaient froids, je n’étais pas pour. Mon côté citadin restait bloqué sur l’idée que pour avoir de quoi faire tout cela, il avait fallu tuer un animal et je n’arrivais même pas à tuer les araignées alors, c’était incompréhensible pour moi et voilà. Mes deux amies levèrent dans un bel ensemble, les yeux au ciel. Je leur tirais la langue, fis promettre à Théa de nous rejoindre plus tard et filais au stand suivant.
Remplie à ras bord de hot-dogs, de gaufres et d’un tas d’autres nourritures grasses et sucrées, trois nanas tentaient de digérer, affalées sur un banc. Même Ada avait déclaré forfait, c’est dire. Armées d’une tisane digestive, avait dit la vendeuse du stand, nous tentions de faire discret les burps que nos estomacs produisaient. Sexy les nanas. La soirée était déjà bien entamée et s’il n’y avait eu un feu d’artifice prévu dans un peu moins de trente minutes, je serais déjà rentrée chez moi, mourir dans mon canapé. Franchement, j’hésitais à me rouler jusqu’à ma voiture, mais je n’avais pas assez de courage pour bouger.
Après le feu d’artifice, Ada nous abandonna pour aller s’offrir un dernier verre et Théa baillait encore plus que moi, lorsque je donnais le signal du départ.
– Bon, c’est pas tout ça, mais faut rentrer.
Deux bises plus tard, je filais en direction de ma voiture, la longue agonie digestive avait au moins permis de dégager le parking, il ne restait que quelques voitures parsemées. En dépassant un quatre-quatre noir, je vis David qui ne marchait plus très droit. Il se dirigeait vers moi en me saluant de grand geste. Je le saluais en retour et continuais d’avancer vers ma voiture. Il me rattrapa, me saisit pas le bras et m’attira à lui et sans que je puisse rien faire m’embrassa. Son halène puait l’alcool. Je le repoussais de toutes mes forces, en tournant la tête de droite à gauche pour éviter sa bouche. Il me tenait fermement. Il ne me lâchait pas. Il marmonnait des : laisse-toi faire qui me glaçait le dos. Mince, il était bien plus fort que moi, complètement saoul aussi. Crier ? Vu le bruit de la musique, cela ne servirait à rien. Je tentais de le raisonner, peine perdue. Il était passé de laisse-toi faire à t’es une salope. J’avais envie de vomir. Je ne voyais pas comment me tirer de là.
Ma voiture n’était qu’à dix mètres si j’arrivais à me dégager, peut-être. Ses baisers se firent insistants. Sa bouche ne décollait pas la mienne. Sa main droite se glissa sous ma veste. Je tentais de lever mon genou, mais il était tellement collé à moi que j’arrivais à peine à bouger. Je sentais la nausée arriver. Je paniquais. Il était clair qu’il n’allait pas s’arrêter là. J’avais peur. Je pleurais. Je pouvais à peine respirer.
Je luttais pour rester debout, ne pas tomber pour ne pas me retrouver piégée sous lui. Je suppliais. Lui était parti dans un discours fait de tu vas aimer suis un bon coup et de tu fais envie et tu dis non alors il ne faut pas t’étonner. Merde. Le temps s’étirait. J’avais l’impression que ça ne servirait à rien de continuer à me débattre qu’il aurait de toute façon le dessus. Je ne voyais pas comment me tirer de là. Je le suppliais. Je me raccrochais à l’espoir que quelqu’un, n’importe qui passe par là. Il continuait à écraser ma bouche. Sa main avait fini par se glisser sous mon pull empoignant mon sein et le malmenant. Il pesait de tout son poids contre moi. Il me maintenait avec force contre lui. Il continuait son monologue.
Sous son poids, je basculais en arrière. Il me tomba dessus m’écrasant encore un peu plus contre lui. Je sentis sa main quitter mon dos pour s’accrocher à mon pantalon et tenter de l’ouvrir alors que son autre main ouvrait déjà le sien. Je hurlais de panique. Je hurlais, je me tortillais pour me sortir de dessous lui. Je le suppliais encore de me laisser. Il riait en m’assurant que j’allais aimer. Sa main avait ouvert mon pantalon et tentait de se glisser entre mes jambes. Il reprit ma bouche pour me faire taire. Il serra son corps contre le mien et je sentais parfaitement bien l’envie qu’il avait. Je pleurais de plus en plus fort. Je gémissais de peur. Il se moqua de moi et il disparut.
Il disparut ? Je me recroquevillais en pleurant, de soulagement et de peur. Je n’arrivais pas à calmer mes larmes. Je tremblais. J’avais envie de vomir. Deux bras me saisir doucement. Je paniquais lorsque je me retrouvais plaquée contre un torse dur. Je voulais hurler. Je me débattais. Une voix douce se fit entendre, juste un murmure.
– Je suis là, mon ange.
Je me figeais hébétée à ce mot et ce fut le trou noir.
Je me réveillais en fin d’après-midi dans mon lit. J’avais mal partout. Les souvenirs de la nuit remontaient et les larmes coulaient à chaque fois. Je pris une longue douche m’arrachant presque la peau pour enlever l’impression des doigts de David qui y restaient accrochés. Je tremblais toujours de peur. Je restais en robe de chambre incapable de me motiver à autre chose qu’à pleurer.
Dire que je commençais à me sentir chez moi, en sécurité auprès des habitants, que je m’étais faite des amis et… et… Les sanglots firent cesser toutes réflexions. Je n’étais que douleur et pleurs. Je me traînais jusqu’au canapé et allumais la télévision, j’avais besoin de bruit pour me sentir rassurée.
Mon téléphone sonna. Je ne regardais même pas qui appelait. Je ne voulais voir personne.
Vingt minutes plus tard, Ada défonçait la porte de la cuisine. Je ne bougeais même pas. Elle était avec Suzanne et Théa. Elles me regardèrent. Elles ne posèrent aucune question. Mes amies me prirent dans leurs bras. Suzanne se mit à préparer du café. Je pleurais. Puis Théa, tout doucement, en me caressant les cheveux posa la question qui devait les rendre folles.
– Est-ce que ce connard t’a, enfin, est-ce que ?
Je secouais la tête vivement. J’entendis trois soupirs. J’eus presque envie de rire.
– Non, il a voulu, mais enfin, mais on est venu à mon aide. Quelqu’un l’a, enfin je sais pas trop. Mais, d’un coup, il n’était plus là.
En fait, même si je savais qui ce quelqu’un était, je n’avais pas tout compris. Je ne mentais pas. Un moment, il était là, l’instant d’après il ne l’était plus. Je regardais Théa.
– Mais com…
Ada me coupa.
– On a retrouvé David ce matin, il était salement amoché. Il a fallu du temps pour qu’il explique ce qui s’était passé. Il a fini par expliquer sa soirée quand Francis a menacé de remuer toute la ville pour trouver le coupable et lui casser la gueule. Je pense qu’il a préféré donner sa version quand il a su qu’on avait retrouvé ta voiture sur le parking et qu’on pourrait relier son passage à tabac avec toi. Il a tenté de te faire passer pour une allumeuse qui avait changé d’avis et qui était partie avec un autre type après que le type en question s’en soit pris à lui parce qu’il n’avait pas voulu le laisser t’emmener. C’était du moins sa version avant que Judicaël n’arrive et ne l’oblige à donner la bonne. Il ne lui a pas laissé le temps de se trouver des excuses ni d’inventer autre chose, il a fini par le menacer pour avoir la vérité et je t’assure qu’il l’a encore moins bien pris que nous.
On aurait dit qu’elle vomissait, rien que d’y penser. Suzanne était assise raide au bord de sa chaise et Théa me serrait fort contre elle.
– Il a eu de la chance, continua-t-elle. Si moi ou Francis l’avions surpris, ce n’est pas qu’amoché qu’il aurait été. Oh mon Dieu Sophie, jamais je n’aurais dû te laisser rentrer seule. Je m’en veux tellement.
– On s’en veut, on aurait dû rester avec toi.
– Vous ne pouviez pas savoir, soufflé-je.
Je me serrais encore plus contre Théa et Ada. Suzanne renifla, pas de peur ni d’émotions, elle reniflait de fureur. Tout en elle était raide, furieux. Elles restèrent jusqu’au soir, s’assurant que j’allais mieux, me forçant à manger au moins un peu, me proposant de rester pour la nuit pour que je me sente en sécurité. Je finis par les mettre dehors en leur promettant de me coucher et de fermer tout à clefs, à double tour, même à triple et de coincer une chaise sous ma porte. Je promettais de prendre toutes les protections possibles et imaginables.
J’avais besoin de rester un peu seule, non, pas seule. J’avais besoin de voir et de remercier mon fantôme. Une fois mes amies parties, je fermais la porte à clef, éteignis toutes les lumières, me posais sur le canapé et attendis. Je finis par m’endormir. Une main posée sur ma joue me réveilla. Je sursautais, ouvris les yeux d’un coup et ne vit rien. Le noir était complet. Je paniquais et hurlais.
– Doucement mon ange, ce n’est que moi.
Soulagée et sans réfléchir, je me penchais en avant pour l’enlacer simplement pour le remercier, enfin j’enlaçais ses jambes, ma tête à hauteur de…, mince, il s’était redressé. Et re-mince ma position, n’était pas, enfin, j’étais tout contre, bref, je sentais, oh merde. Il s’était redressé de partout et j’appuyais ma joue sur, voilà, voilà. Je virais au rouge carmin, les joues en feu, brûlantes contre son… Je bafouillais. Je le lâchais et m’écrasais par terre.
Il ne dit rien pendant que je réunissais le peu de dignité qu’il me restait. Il me tendit la main pour m’aider à me relever, me tira avec douceur entre ses bras. Il m’embrassa sous l’oreille et me murmura :
– Ça va aller ?
J’opinais de la tête et je soufflais ces mercis que j’avais à cœur de lui dire.
– Sans toi, je…
Je ne finis pas ma phrase, un doigt posé sur mes lèvres, m’en empêcha. La main posée dans mon dos me resserra contre lui et sa voix rauque me répondit.
– Si j’étais arrivé juste quelques minutes plus tard, jamais je ne me le serai pardonné.
– Tu es arrivé à temps. Rien de grave ne s’est passé.
– Rien de grave ?
Il releva la tête si vite que je partis en arrière, son bras dans mon dos me reteint alors que je l’entendais grogner d’une voix encore plus grave.
– Ce salaud a osé te toucher et tu dis que ce n’est pas grave ?
Sa vois vibrait de rage, tout son être semblait animé d’une fureur. L’entendre ainsi me coupait littéralement le souffle. Tout en lui, dégageait une puissance écrasante et bien que la fureur que je sentais ne m’étant pas destinée. Je me sentais toute petite devant lui. Je touchais son bras du bout des doigts, remontant vers sa joue. Je voulais juste le calmer. Le pire avait été évité et même si je ne me sentais pas bien, le pire avait été évité. Je le lui redis
– Tu es arrivé à temps. Le pire n’est pas arrivé grâce à toi. Si j’ai bien compris, tu m’as en plus vengée. C’était vraiment une chance que tu sois là, sans toi, j’aurais passé un mauvais moment
voir bien pire.
Je frissonnais à l’idée de ce qui aurait pu se passer, mais j’étais en un morceau, chez moi et je voulais juste remercier l’homme qui m’avait tiré de là. Je ne voulais penser qu’à ça. J’étais en sécurité chez moi. Il me serra contre lui, son visage enfoui dans mon coup. Je le sentais trembler d’une rage contenue contre moi. Je n’en menais pas large non plus et la bosse qui s’imprimait dans mon bas ventre focalisait mon attention.
Bien sûr, idiote, tu as failli te faire violer et la seule chose d’intelligent que tu trouves à faire, c’est te coller à un autre homme. Bien ma fille, tu es d’une logique parfaite sur le coup là. Reviens sur terre et décolle-toi de lui !
Je reculais un peu alors que ma main restait posée sur son torse et glissait en direction de… Je la stoppais ne sachant plus trop comment réagir. Il se dégagea d’un coup. Il m’embrassa sur la tempe et m’envoya dormir, car il était tard et que j’avais besoin de repos.
Mais non. Je suis pas d’accord là, c’est quoi ce délire ? Mais non alors ! Je le suivis à la cuisine pour lui dire que non, je n’allais pas dormir, enfin pas de suite. Je lui rentrais dedans. Il avait stoppé net. Me massant le crâne, je pestais contre lui. Il se pencha vers moi et murmura à mon oreille.
– Ça suffit mademoiselle Baumgartner, il est temps pour vous d’aller vous coucher.
Puis, il me fit pivoter et me poussa vers l’escalier. Le, vous, m’avait glacé, j’avançais, encore une fois perdue. D’accord, j’avais eu peur et d’accord, il me faudrait un peu de temps. Je reconnais que j’avais surtout besoin de douceur et grand seigneur, il n’en profitait pas et il me repoussait, mais ça ne me convenait pas. Fichu corps qui perdait le nord, fichu cerveau qui analysait trop, fichu fantôme trop correct. Là, je les haïssais tous.
Cette histoire provoqua petit à petit, un changement, mon fantôme se socialisa. Il passait depuis peu, ses soirées avec moi. Le nez dans un bouquin, un de ces vieux livres reliés de cuir écrit dans une langue que je ne connaissais pas, en râlant contre les séries débiles que je regardais. Il en avait surtout après Buffy que j’avais plutôt été contente de dénicher lors d’un vide-grenier. Lui n’aimait pas et le faisait savoir, moi, j’aimais et je faisais semblant de ne pas l’entendre. Il était assis sur un fauteuil de cuir qu’il avait sorti de je ne sais où alors que moi, je m’étendais sur tout le canapé, enroulée dans une couverture. Il s’occupait de remettre du bois dans la cheminée et je somnolais.
Il ne mangeait pas avec moi, apparaissant une fois que je m’étais installée devant la télévision. Il se faisait chauffer un bol de je ne sais quoi et me rejoignait au salon. Nous parlions peu. Sa présence était, je voulais m’en convaincre, suffisante, mais surtout j’avais besoin de me sentir en sécurité et l’avoir avec moi le soir, m’y aidait.
La journée Ada et Théa se relayait pour ne jamais me laisser seule. J’avais durement gagné le droit de passer mes soirées et nuits seule. Suzanne me couvait du regard et se montrait agressive dès qu’un homme de sa famille ou pas, me parlait trop longtemps selon elle. Toute la ville savait ce qui était arrivé, toute la ville se sentait coupable. Je n’allais plus trop en ville.
Chapitre 8
Le temps semblait s’étirer sans fin et je m’occupais du mieux que je pouvais. Je me retrouvais démuni quand les chambres furent finies. Lits, rideaux et tapis installés, il ne me restait presque plus rien à faire. Tout se mettait en place et si la façade devait encore être refaite, la neige et le froid extérieur m’en empêcheraient encore quelques mois. Il ne restait plus que la cave que son occupant m’interdisait.
Donc je traînais ma désolation de pièces en pièces, donc je virais invivable d’ennui, même s’il me restait les mercredis et les dimanches midi pour me changer les idées.
Fin novembre même mes mercredis me furent arrachés. Trop de boulot pour l’une, touristes à materner pour l’autre, et hop, plus personne ne venait manger. Les dimanches restaient une bouffée d’air même si de moins en moins de personne y était, eux aussi avaient trop de travail. Je devais m’occuper et vite.
C’est ainsi que je me retrouvais à proposer à Suzanne de la décharger du repas du dimanche. Allez hop, tout le monde chez moi. L’avantage de cette situation était que je pouvais inviter Théa. Je prévins mon colocataire qui ne râla même pas à l’idée d’être envahi. La journée, c’était chez moi et puis je le lâchais un peu avec la cave. Nous y trouvions tous les deux notre compte.
Décembre pointa le bout de son nez, couvert de neige et bien froid et j’ai toujours aimé cette période pour les décorations de Noël, les lumières, les pères-Noël et le sapin. Je craquais littéralement pour une pluie d’étoiles à accrocher sous le toit ce qui fut la cause d’une première vraie dispute entre Livius et moi.
Je voulais fêter Noël, lui pas. Je voulais décorer, lui pas. Je voulais un sapin, lui pas. Je fulminais devant tant de non et fini par le menacer de tout faire en douce durant la journée. Il me répondit qu’il déferait toute la nuit. Je pestais, il restait calme. Je tapais du pied, il levait à peine les sourcils. Trois jours de tempête et rien n’avançait, le refus était toujours aussi net et mon envie toujours aussi forte. Je ne savais plus comment me faire entendre de cette tête de mule.
Ma maison était la seule à ne pas briller de décorations alors dépitées, je filais admirer celle de la ville. Une soirée à regarder les lumières des autres, à faire sauter de joie la petite fille en moi. Je traînais depuis des heures, pas pressée de rentrer quand je croisais Théa.
Nous nous sommes baladé, admirant les décorations, riant comme deux petites filles. Théa n’était pas plus croyante que moi, Noël était pour elle, un moment de joie dans l’hiver rien de plus. Pour moi, c’était surtout lié à mes souvenirs d’enfance. Mes parents sont très croyants.
La soirée s’avançant Théa me proposa de rester avec elle. Elle logeait en hiver à l’hôtel. La route menant à sa maison n’avait de route que le nom, gelée tout l’hiver, le chemin n’était pas sûr et son patron fatigué de la voir arriver en retard la moitié de l’année, avait trouvé comme solution de lui louer une chambre. Elle pestait un peu de ne vivre que six mois dans sa maison, mais était ravie de n’avoir plus la route à faire et elle se sentait comme chez elle chez Mona.
La soirée fut courte. Elle avait voulu me prêter un T-shirt qui resta coincé sur ma tête. Vous ai-je dit qu’elle est petite et toute fine ? La soirée pyjama fut faite sans pyjama ! Rien n’aurait pu m’aller et c’est enroulée dans une couverture que je m’installais dans le lit tout en continuant à papoter avec Théa.
Le lendemain matin, quand son réveil sonna, elle était en grande forme, moi en forme de zombie. Le manque de sommeil et moi ne sommes pas copain. Je me traînais jusqu’au café, jus de chaussette de l’hôtel puis, après un au revoir gai comme tout de sa part, à moitié baillé de la mienne, je filais chez moi prendre un vrai café ou deux.
Quand j’arrivais, rêvant de mon café, la lumière à la cuisine était allumée comme à chacune de mes absences. À peine avais-je éteint le moteur que Livius ouvrait ma portière. Il était furieux. Il me saisit par le bras, me tira dehors de ma voiture, grommelant je ne sais quoi. Il me poussa vers la cuisine, là je pouvais comprendre quelques mots : inconsciente, stupide et autre qualificatifs pas très sympathiques. Je fus auscultée, non mais vraiment, sous toutes les faces, retournée, palpée de partout. Non mais ça va pas ou quoi ? Je chassais les mains, poussais leur propriétaire et me plantais en face de lui.
– C’est quoi ton problème ? grondais-je.
– Tu as disparu toute la nuit, je ne t’ai pas retrouvée et…
– Et tu t’es dit que je m’étais de nouveau mise dans une sale position, soupirais-je en me passant la main sur le visage.
– Oui, soupira-t-il en écho
– J’étais avec Théa, j’ai dormi chez elle, enfin à l’hôtel. Il était tard et je ne voulais pas faire la route.
– Tu aurais pu prévenir !
Ben oui, voyons et comment ? Pas de téléphone dans la maison, je n’avais pas son numéro, s’il en avait un et je n’allais pas faire la route pour lui dire, au fait, je repars pour dormir en ville pour ne pas faire le trajet, mais bien sûr ! Je levais les yeux au ciel. J’allais répondre un oui papa, mais me mordis les lèvres.
– Reprenons. Je suis sortie hier après-midi pour aller en ville, j’avais envie de voir les lumières de Noël dans les jardins, j’ai traîné un peu, Théa m’a rejointe et voilà, rien de grave
– Tes satanées décorations !
Il vomit le dernier mot.
– C’est bon, j’ai bien compris que tu n’en voulais pas.
Je me dirigeais d’un pas lourd vers la machine à café si nous recommencions à nous prendre la tête j’en avais encore plus besoin. Comme aucune réponse ne me parvenait, je me retournais. Il me fixait, une sale habitude à mon avis.
– Ben quoi ?
– Mets tes fichues décorations si tu y tiens !
Il lâcha ces mots du bout des lèvres, fit demi-tour et disparut. Il me fallait vraiment un café. Café bu, suivit d’un autre puis le troisième en main, je sais, je suis accro, je me traînais jusqu’au salon où se trouvait l’emmerdeur de service.
– Ça veut dire quoi exactement ?
– Mets tes décorations puisque tu y tiens tellement, c’est assez clair, non ? Mais, je ne veux pas voir de crèche, rien de religieux !
– Ce n’est pas le côté religieux de Noël que j’aime, mes parents sont croyants, moi pas. C’est le côté lumière au cœur de l’hiver, c’est le côté réunion entre famille et amis que j’aime et les cadeaux, aussi, faut pas les oublier.
Un doigt en l’air pour souligner ce fait important, je souriais à moitié moqueuse.
– Ah, oui les cadeaux, pas très religieux ça.
– Mais important !
Il éclata de rire.
– Dois-je comprendre quelque chose ?
Il haussa un sourcil.
– Même pas, j’aime les faire, c’est un vrai plaisir pour moi. Par contre, les recevoir c’est plus compliqué.
Froncement de sourcil, je m’expliquais.
– Je n’ai jamais reçu de cadeaux qui me plaisent réellement, des utiles, des qui aurait pu me plaire mais… Je n’ai pas, enfin, ce n’est pas que je sois pénible non, mais c’est comme si…
– Ta famille ne savait pas qui tu es, finit-il à ma place.
– Je suis le mouton noir.
Je grimaçais en le disant, parce que oui, j’étais le truc bizarre dans une famille bien sous tout rapport, une famille croyante et pratiquante, pas moi et pourtant j’avais essayé de me couler dans le moule, rien à faire, je débordais du cadre. Il a dû voir quelque chose dans mes yeux, car j’étais dans ses bras et il me caressait le dos.
– Tu es parfaite comme tu es, mon ange, me souffla-t-il au creux de l’oreille.
Je soupirais en le repoussant.
– Ouais, on dira ça. Bon, je vais mettre les décorations avant que tu ne changes d’avis. Je te dis bonne nuit.
Je filais à l’étage où les achats décoratifs avaient échoué au cours des derniers jours. Mettant court à cette discussion qui me replongeait dans de mauvais souvenirs. J’étais en train de choisir par où commencer quand du pas de la porte, il intervint.
– Ne va pas te rompre le cou pour placer les lumières. Je m’en occuperai ce soir.
– Oh, hé, je ne suis pas aussi maladroite, protestais-je.
– D’accord alors ne va pas te casser une jambe…
Je me tournais, le fixais méchamment.
– Mais ça suffit, entre toi, Ada, Théa, Suzanne et Francis, on dirait que je suis en verre et que vous avez tous peur que je finisse par me casser. Je suis une grande fille, c’est clair ?
Aucune réponse autre qu’un demi-sourire moqueur et un ricanement, il ne me prenait pas au sérieux. Sans répondre, je pris un premier sac pour le descendre à la cuisine, lui passa devant en levant haut le menton, risquant de quelques millimètres de me casser la figure dans les escaliers, fis semblant de rien et restais digne jusque dans la cuisine où je rageais de l’entendre rire.
Je passais le reste de la journée à installer mes décorations. Un traîneau lumineux avec deux rennes magnifiques dont l’un avec un nez rouge, plein de petits animaux et une étoile. Je fis sauter trois fois les plombs. Je finis par crier Francis au secours dans mon téléphone et l’entendit me répondre qu’il passait à midi, ce qui m’amena à calmer le jeu et à lui préparer un bon repas de remerciement.
Francis resta un peu plus longtemps que prévu, lui aussi, insistait pour que je ne me tue pas en mettant les décorations le long du toit, mais franchement, je n’étais pas si maladroite que ça, je l’envoyais promener en grognant que j’avais déjà un grand frère qui lui me fichait la paix.
– Il est de l’autre côté de la planète, il peut, me railla Francis. Suzanne va me tuer s’il t’arrive quelque chose. Se plaignait-il
– Pfff, oust, vilain !
Je le poussais à sa voiture.
– T’as pas du boulot autre que de me materner ?
– Si, mais moins risqué !
Je le frappais sur l’épaule, en fronçant les sourcils.
– File, méchant ! dis-je en souriant. Je te rappelle que j’ai retapé la maison sans me tuer.
– Oui et on ne sait toujours pas comment tu as fait !
Bon, c’est vrai, pas toute seule, mais j’avais bien bossé, faut pas l’oublier. Il finit par partir en se moquant de moi et en me promettant la pire des vengeances si je me blessais, je restais debout à lui faire des au revoir de la main jusqu’à ce que congelée, je rentre me réchauffer.
En fin d’après-midi la maison avait pris des airs de fêtes, ne manquait qu’un sapin pour parfaire le décor et bien sûr, les lumières sous le toit. J’attaquais le pain d’épice, tradition familiale, dans le vain espoir de réussir à en faire une maison. L’odeur était suffisante pour que je me sente retomber en enfance.
Je réalisais d’un coup que pour la première fois j’allais passer les fêtes seule. Le cafard me submergea. Les larmes se mirent à couler le long de mes joues sans que je puisse les arrêter. Je pleurais toujours en découpant le pain d’épice. Je pleurais encore en construisant la maison. Je pleurais sans cesse quand Livius entra dans la cuisine. La maison était montée, remplie de cure-dent pour tenir, j’avais mangé toutes les chutes, je frôlais l’indigestion et je pleurais sans bruit.
Deux bras me soulevèrent et je me retrouvais serrée contre lui. Ses lèvres contre mon front, il ne disait rien. Il me serrait. Mes larmes coulaient toujours doucement et je murmurais.
– Je ne veux pas passer Noël seule.
– Penses-tu que Suzanne ou Ada le permettront ? Tu vas te retrouver entourée de plus de gens qu’il m’est possible de supporter.
Je sentis ses lèvres s’incurver dans un sourire.
– C’est pas pareil, ce n’est pas ma famille.
– C’est mieux, eux t’ont choisi.
Là, il marquait un point, plusieurs même. Je restais songeuse, être entourée de ma famille dans laquelle je m’étais toujours sentie étrangère ou être entouré d’étrangers avec qui je me sentais en famille. Finalement, je serais mieux ici, non ? L’idée de passer les fêtes loin de ma famille me faisait mal, mais les passer entourée d’amis, de vrais amis, me mettait du baume au cœur.
Je soupirais, coinçais ma tête contre l’épaule de Livius et laissais mes larmes se calmer. Il ne disait toujours rien. Un long moment plus tard, mes pieds touchèrent le sol et mon fantôme, levant les yeux au ciel me dit :
– On va les mettre ces fichues lumières ?
Sa tête déconfite, sa moue boudeuse et ses yeux désespérés me firent rire. J’en avais mal au ventre alors qu’il se dirigeait, droit comme un I en direction de la porte.
– Tu as deux minutes pour me les apporter.
Je filais au salon, attrapais le sac et le lui tendis en moins de vingt secondes. Un énorme sourire aux lèvres, fière de moi. Il prit le sac, grogna et sortit. Je chopais ma veste et le suivit. Il me repoussa dans la cuisine d’un air grognon, m’enfila mon bonnet qu’il descendit jusqu’à mes yeux puis pris une écharpe qu’il noua au niveau de mon nez. Il recula d’un pas, admirant son travail. Je voyais à peine et ne pouvais presque plus respirer, mais il avait l’air satisfait. Merci papa ! C’est dingue ce besoin de me materner qu’ils avaient tous, je n’arrivais pas à m’y faire.
Il nous fallut presque deux heures pour les mettre mes fichues lumières. Tout d’abord, parce que nous ne trouvions plus l’échelle, puis parce que nous n’étions pas d’accord de comment la mettre, enfin parce que je n’avais pas pensé à où la brancher. Il fallut tout démonter pour que la prise soit au bon endroit.
Seule possibilité pour la brancher, la prise de mon réveil, dans ma chambre. Je filais donc ouvrir ma fenêtre pour attraper le bout de câble qui pendouillait devant et le tirais pour le brancher. Je tirais si bien que le pied de Livius parti avec le câble qui s’y était enroulé, un gros merde, suivit d’un boum, me fit paniquer. Merde, merde, merde, je l’avais blessé, sûrement gravement, non tué, j’en étais sûr, c’était une sacrée chute. Je descendis l’escalier quatre à quatre, Oh mon Dieu, je l’avais tué.
Je retrouvais mon fantôme de chair et de sang, assis par terre à côté de l’échelle, le regard noir. Il était vivant. Ouf ! Mais sûrement blessé. Je courrais vers lui et me mit à le tâter de partout en demandant :
– Où as-tu mal, je suis… désolée, enfin, merde, je… Comment… je suis… oh lala…
J’étais parfaitement clair dans mes paroles et pas du tout complètement affolée. Pas du tout ! Il me posa la main sur la bouche, secoua la tête et se releva.
– Des bleus et des bosses ce n’est rien. Ta tentative d’assassinat n’a pas marché, je suis plus solide que ça. Par contre, ces horribles choses ne bougeront plus jamais de là, ne compte pas sur moi pour les enlever ou les remettre et je t’interdis de le faire toi-même. Suis-je bien clair ?
J’opinais de la tête vivement. Soulagée qu’il n’ait rien de grave, j’étais prête à lui promettre la lune pour me faire pardonner.
– Tu vas les allumer ou rester là à me regarder ?
Je filais dans ma chambre, tirais tout doucement sur le câble, ce qui me valut un commentaire moqueur.
– Vas-y tire, je suis déjà par terre.
Je branchais la prise, courus dehors pour voir et restais là, à admirer les étoiles qui tombaient en cascade le long de mon toit.
– Elles se reflètent dans tes yeux dit le cascadeur, en m’entourant de ses bras. Tu avais raison, le jardin est magique avec toutes ces lumières.
Je me laissais aller contre lui en souriant. Oui, il avait raison. C’était magique. Nous sommes restés là un long moment puis alors que je commençais à me transformer en petit glaçon, il se détacha de moi et me poussa vers la maison. J’étais transie de froid alors que lui, juste avec son pull ne semblait pas frigorifié. Ada était pareil, Théa était comme moi par contre, heureusement, qu’au moins une de mes connaissances ne supportait pas le froid.
Je me fis un chocolat chaud, éteignis toutes les lumières de la maison et debout derrière la fenêtre, je regardais mon jardin illuminé. Livius m’avait enroulée dans une couverture et me frottait les bras. Je me sentais bien, prête à attaquer les fêtes sereinement.
Ce ne fut pas si serein que ça, finalement. Ada rentra blessée de sa dernière randonnée, et donc d’une humeur frisant la perfection. J’en entendis de toutes les couleurs sur la bêtise crasse des touristes-citadins-abrutis qu’elle avait dus accompagner. Théa n’avait pas un moment de libre, trop occupée à arnaquer les susnommés touristes, quant à Francis, il avait disparu, occupé pour dix jours m’avait annoncé Suzanne, il serait de retour pour les fêtes.
Le compte à rebours avait commencé. Je me rendis compte que contrairement à ce que je m’étais imaginé, la plupart de mes amis voyaient les fêtes comme Théa, un bon moment à passer en famille.
J’avais profité des vacances forcées et de l’humeur radieuse de ma meilleure amie pour faire les deux heures de route qui séparait notre petite ville de la prochaine. Journée achat cadeaux, lui avais-je annoncé, ce qui me valut un fait chier, encourageant. Son enthousiasme fut tel, qu’en fin de matinée nous avions à peine fait cinq magasins. A ce rythme-là, il me faudrait la semaine pour tout faire et bien plus de patience que je n’en avais pour la supporter.
Elle me laissa tomber comme une vieille chaussette quand elle reconnut dans la foule un de ses voisins. Elle le supplia de la ramener, elle semblait prête à se mettre à genoux. Non, je ne fus même pas vexée, si, un peu, mais juste un peu, j’étais trop contente de pouvoir finir mes achats sans le doberman qui se traînait en râlant derrière moi.
Deux heures plus tard j’avais fini. La citadine en moi s’était réveillée et le bain de foule dans les magasins m’avait fait du bien. Je rentrais le coffre plein de cadeaux et l’humeur chantante. À vrai dire, je massacrais tous les chants de Noël qui passaient à la radio, c’était chouette.
Arrivée à la maison, j’eus la surprise d’y trouver un sapin dans le salon et un Livius y accrochant des pommes en guise de boules. Je lui sautais au cou, lui claquant un énorme baiser sur la joue. Le plantant là, je filais faire du pop-corn à la cuisine pour en faire des guirlandes. Me retournant je le vis planté sans avoir bougé, l’air ébahi. Je lui fis mon plus énorme sourire et lui dit :
– Suis trop contente, il est superbe !
– Merci, j’espérais bien qu’il te fasse plaisir, sinon il ne serait jamais arrivé là. Tu fais quoi ?
– Du pop-corn pour les guirlandes, bien sûr !
– Bien sûr…
Je passais la soirée à confectionner des kilomètres de guirlande et à expliquer à Livius où et comment les mettre. Il fut parfait, ne râlant que quelques centaines de fois sur mon exaspérante idée puis sur ma tendance à exagérer, même pas vraie.
Je montais en excitation de jour en jour. Mon premier Noël, oui bon, le premier loin de ma famille, mais mon premier à moi, à ma manière. Plus on s’en approchait plus je virais infernal, mais adorable, oui, même si seule Théa le trouvait. Les autres me supportaient de moins en moins. Ils allaient s’en remettre.
Chapitre 9
Deux jours avant la date fatidique la cuisinière de Suzanne tomba en panne. Je la vis débarquer en sueur, les bras charger d’un truc qui devait être la plus grosse dinde jamais vue. Elle me passa devant comme une folle en direction de ma vieille cuisinière et mis sa dinde dedans avant de dire.
– Ouf, chez toi elle passe.
Ha bon, bonne ou mauvaise nouvelle ? Du point de vue de Suzanne la nouvelle avait l’air parfaite, moi, je ne voyais pas encore les conséquences.
– Je vais prévenir tout le monde, nous passerons Noël ici. On ne va pas tout transporter deux fois.
Elle sortit la dinde du four, la fourra dans mon frigo en virant presque tout son contenu pour y arriver, m’embrassa sur les deux joues et sorti en téléphonant à je ne sais qui pour annoncer que le repas de Noël se ferait chez moi.
Heu… oui, mais non, là ça allait poser problème et me demander et mon fantôme alors ? Mon téléphone sonna, Ada me remerciait d’accepter de recevoir tout le monde parce que j’étais la seule à avoir un four assez grand. Bon la seule aussi à avoir assez de place, mais c’était semble-t-il secondaire, le four d’abord, les chaises après. Elle me raccrocha au nez avant que je ne lui réponde.
Le téléphone re-sonna et une Théa toute timide me demanda si, comme c’était chez moi, peut-être que, enfin si j’étais d’accord, elle pourrait venir, mais seulement si j’avais envie. Je lui répondis mais tu viens bien sûr et elle raccrocha. Puis j’eus Francis pour me dire qu’il amenait tout demain, puis Suzanne pour me dire de ne pas m’inquiéter elle s’occupait de tout. Je fixais bêtement mon téléphone, debout dans la cuisine, incapable d’intégrer les différents ouragans qui venaient de se déchaîner.
Mon colocataire me trouva ainsi. Surpris, il me demanda :
– Un problème ?
– Il semblerait que Suzanne ait décidé de faire son repas de Noël ici, je n’ai rien pu dire.
J’étais encore perdue, mes sourcils étaient froncés et je parlais en fixant mon téléphone.
– Il y a moyen de les mettre dehors ?
– Je pense pas, soufflais-je en lâchant enfin mon téléphone pour fixer mon fantôme.
– Ça devait arriver, commenta-t-il en haussant les épaules. Je me ferais discret pour la soirée.
– Mais non, grinçais-je, c’est pas à toi de…
Sa main se posa sur ma bouche pour me faire taire. Je détestais cette manie. Il me fit un clin d’œil puis dit :
– Je n’avais pas prévu de faire la fête, tu le sais bien, je passerai une soirée tranquille à lire et toi, tu vas être l’hôtesse la plus merveilleuse du monde.
Il m’embrassa le bout du nez et se prépara son bol me laissant là, digérant les événements. Je sursautais quand le téléphone sonna. Suzanne au bout du fil me demandait si j’avais un congélateur et un deuxième frigo, tout ne passerait pas dans le mien. J’eus à peine le temps de dire non qu’elle me raccrochait au nez pour me rappeler trois minutes plus tard et me dire que Francis me livrerait le tout demain avant de raccrocher. Je levais mes yeux pour voir le truc qui me servait de colocataire s’étrangler de rire le nez dans son bol, pffff.
– Elle est impossible, dis-je.
– Elle en a l’air, rigola-t-il.
Je regardais tout ce qu’elle avait viré du frigo pour y mettre le monstre, pardon la dinde. Je mis le tout dans un sac et le posais dehors, vu les températures, ça ne risquait rien.
– Mauvaise idée, fit Livius.
– Pourquoi ? Ça risque de geler c’est tout.
– Ça va attirer les animaux. Donne, on va leur trouver de la place !
On leur en a trouvé en jouant au Tétris. Le lendemain ma cuisine fut envahi, tôt le matin, par Francis qui me livrait un énorme frigo qui trouva une place dans la petite réserve, puis il arriva, je ne sais pas trop comment à y coincer le congélateur bahut. Mes boites de conserves virées de là, déménagèrent dans une des chambres à l’étage. Francis voulait les descendre à la cave, je l’en empêchais prétextant que l’escalier était mort et que je n’avais pas prévu de le réparer avant le printemps.
– Tu devrais faire venir quelqu’un pour le refaire, c’est dangereux les escaliers.
Et, les bêtes sauvages et les échelles et… et… et… tout était dangereux pour moi si je les écoutais. Moins de dix minutes plus tard, un type que je ne connaissais pas frappa à ma porte, déposa des caisses de légumes sur le palier, me salua et parti avant même que je puisse réagir. Suzanne surgit droit après, elle s’en empara et fila dans la cuisine.
Ouragan Suzanne sur place, accrochez-vous ! J’allais la rejoindre, reçus un tablier à petite fleur, pas le même qu’à la foire, mais elle en avait combien ? Et, je fus mise au travail. Lorsque le tas d’épluchure dépassa ma tête, Suzanne me permit d’arrêter. Elle n’avait pas cessé de parler de son mari, de son neveu, de la voisine, bref, le tour complet de la ville ou presque en cancans et petites histoires. J’avais mal aux mains. J’étais saoulée de paroles et épuisée par l’énergie qu’elle déployait. Les légumes furent coupés, émincés en moins de temps que j’avais mis à les éplucher. Elle m’expliquait sa recette au fur et à mesure et m’assurait que tout serait meilleur réchauffé sauf la purée et la dinde qu’elle préparerait demain.
Une fois ma cuisine dévastée, elle fila, plein à faire s’excusa-t-elle. Je rangeais mollement quand une voix derrière moi me fit sursauter.
– C’est un vrai chantier !
– Oui et c’est que le début, je ne sais même pas combien de personne vont débarquer demain.
– Tu ne le lui as pas demandé ?
Je me tournais vers lui, mon regard disait tout.
– D’accord, je n’ai rien dit. Un café ?
– Même dix ne suffiraient pas.
Il m’en prépara un, mis son bol à réchauffer et pendant que je buvais mon café en fixant le vide, il fit comme tous les soirs, bol avalé, lavé, rangé. Je soupirais, je me sentais si molle que de le voir bouger m’épuisait.
– Va prendre un bain se moqua-t-il. Je te réveillerai dans une heure.
– Même pas la force d’y aller.
Ma tête tomba sur la table pour bien signifier que là, je ne bougerai plus. Morte, j’étais. Il me souleva et me déposa dans la salle de bains. Il en sortit en claquant la porte.
– Dans une heure, je te réveille !
Je lui tirais la langue, il ne le vit pas. Une heure plus tard, il me réveillait en tambourinant contre la porte. Je coulais hors de la baignoire, m’enroulais dans ma robe de chambre et sortis en baillant. Il se marrait. Je le haïssais. Je fus soulevée et transportée devant ma chambre. Il n’y entra pas, mais m’ouvrit la porte.
– Bonne nuit, pauvre petit ange fatigué !
– b’nuit vous !
Je ne pris pas la peine d’enlever mon peignoir, je me glissais entre les draps et dormis. Suzanne débarqua à l’aube, oui bon d’accord, à huit heures, les bras chargés de nappes, couverts et services. Je comptais rapidement quarante assiettes, quarante ? Mon Dieu ! Quarante ! Ça ne passera jamais, on va se retrouver plus serré que des sardines dans mon salon. Il faudra un chausse-pied pour tous nous faire rentrer à moins qu’ils ne comptent asseoir la moitié sur les genoux de l’autre. Je commençais à regarder ma table, elle ne suffirait jamais et je n’avais pas la place pour en mettre d’autres, d’ailleurs comment je m’étais retrouvée là-dedans moi ? J’étais perdu dans mes pensées quand Ada surgit.
– Je mets où les tables.
– Regarde avec la petite comment elle veut faire. Il faudra pousser un peu le canapé, j’en ai peur.
Donc résumons. Quarante personnes allaient débarquer dans quelques heures, il me faudrait vider la moitié de la maison et je n’avais pas mon mot à dire. C’était limpide.
J’allais dans le salon et commençait à donner des ordres aux deux cousins, me semblait-il, de Suzanne qui attendaient là. La télévisons et son meuble disparurent à l’étage, suivit du canapé, du fauteuil et du tapis. Le vaisselier prit le même chemin. Il ne restait que ma table qui fut mise en long et d’autres apparurent par magie, bon d’accord, portées par les cousins et Ada pour former un U dans mon salon.
J’oubliais, le sapin déménagea de son angle pour se retrouver à côté de la porte de la cuisine. Ben oui, il gênait pour les chaises et j’avais refusé de le voir grimper dans une chambre. Franchement, le sapin quoi ! Vers dix heures, une petite voix se fit entendre.
– Je peux aider ?
Théa toute mal à l’aise était à la porte de la cuisine. Je lui sautais au cou en lui disant d’entrer. Il fallait mettre les nappes et tout et tout, elle ne serait pas de trop. Suzanne lui jeta un drôle de coup d’œil, mais me voyant lui prendre le bras pour la tirer au salon, ne dit pas un mot. Ada était déjà en train de se prendre la tête avec un cousin qui mettait les nappes à l’envers. Je virais les cousins, attrapais les nappes et dit à Ada.
– Bon, chef comment tu les veux, ces fichues nappes ? Nous sommes à tes ordres, mais n’oublie pas, tu es chez moi !
Théa pouffa, Ada râla. Les nappes furent mises ainsi que les couverts. Il était à peine midi que tout était en place, nous avions un peu d’avance. Ada disparut, un truc à faire et je me retrouvais avec Théa qui fixait mon sapin.
– J’aime beaucoup tes décorations, les pommes, c’est plus vivant que les boules en verre. Savais-tu qu’avant les sapins étaient décorés de pommes tous les hivers pour fêter le solstice ?
– Non, je ne savais pas.
Elle avait l’air rêveuse, perdue dans ses songes puis elle me prit la main avant de demander :
– Tu as prévu quelque chose pour décorer les tables ?
– Non, pas vraiment, tout c’est passé si vite, je n’avais même pas prévu de tout déménager.
– Viens, on va trouver quelque chose.
Je l’amenais à l’étage pour fouiller dans les décorations toutes neuves qui s’y trouvaient, elle fixa son choix sur des petits anges en verre et quelques boules bleues. Je la laissais décorer les tables et filais à la cuisine pour demander à Suzanne si elle avait besoin d’aide et je compris que non quand elle me vira de là. Bon, ben, voilà, plus qu’à attendre.
À quatre heures Ada réapparut suivie de Francis et de ses parents. Puis, par petit groupe, tout le monde arriva. Mes joues furent mises à l’épreuve, mes côtes protestèrent et Théa disparaissait derrière moi à chaque arrivée. Je finis par la prendre dans mes bras et à lui affirmer qu’elle avait plus que bien d’autre le droit d’être là. Elle était mon invitée et si cela dérangeait quelqu’un, il n’avait qu’à aller fêter Noël ailleurs, car ici, c’était chez moi et qu’en tant qu’amie, elle y était toujours la bienvenue. Je le dis assez fort pour que Suzanne qui avait toujours ce drôle d’air quand elle la regardait m’entende, en fait tous m’avaient entendu et Théa se détendit d’un coup. Elle redevint le petit lutin drôle que j’avais plaisir à voir. La soirée s’annonçait parfaite
On a trop bu, bien rit et ainsi respecté à la lettre la tradition. Vers deux heures du matin, les premiers invités partirent, leurs cadeaux encore emballés sous le bras. On les ouvre le vingt-cinq au matin ici, non mais, m’avait houspillée Suzanne alors que je tentais d’en déballer un en douce, je compris vite que la tradition était importante et mis de côté ma curiosité.
Suzanne voulu rester pour m’aider à ranger, je la poussais dehors lui promettant qu’entre Théa, Ada et moi, ça ne prendrait pas long. Je finis par virer Ada qui avait oublié de me dire qu’elle partait en rando dans moins de quatre heures et je proposais à Théa de rester dormir à la maison si elle voulait bien m’aider à ranger. Elle était de si bonne humeur que le rangement se transforma en jeu. La vaisselle était à moitié lavée, entassée dans la cuisine. Les nappes furent mises en tas sur une table et les restes rangés dans le grand frigo.
L’heure du dodo avait depuis longtemps été dépassée. On se traîna à l’étage, se souhaitant en baillant bonne nuit.
La nuit fut courte. Je tombais du lit à neuf heures. Des coups répétés se faisaient entendre. Francis et ses cousins étaient devant la porte, frais et fringuant, j’étais derrière la porte les cheveux en bataille et des cernes sous les yeux. Mais, que cette famille pouvait être épuisante de bonne santé ! Heureusement, le truc roux qui descendait les escaliers dans un de mes t-shirts qui lui faisait robe, en râlant, les cheveux en bataille et des cernes presque aussi noirs que les miennes, me rassura. J’ouvrais aux trois énervés, leur dit de se débrouiller et filais à la cuisine rejoindre ma rouquine préférée pour nous faire du café. Les tables, nappes et assiettes disparurent alors que nous faisions un concours d’apnée en café que j’étais bien décidée à gagner quand je signalais à Francis que le frigo et le congélateur étaient encore là, il me dit qu’ils resteraient là, cadeaux de Suzanne.
Théa me regarda, je regardais Théa en haussant les épaules. Les trois trucs montés sur ressort finirent de tout emporter. Francis avait insisté pour que je garde des restes. Je l’avais supplié de tout prendre, soutenue par Théa dont autant la mine que l’estomac était plus proche des miens que des leurs. Une bonne soupe serait plus que suffisante après une bonne sieste ou l’inverse. Francis voulu encore redescendre mes meubles. Comme j’étais fatiguée de le voir tourner comme une hélice, je lui certifiais que j’allais me débrouiller toute seule. Il n’insista pas, il avait à faire. Je lui fis au revoir de la main et après un long regard désabusé, Théa et moi remontions nous coucher.
Je me relevais à quatre heures, l’estomac toujours en mode digestion intensive, ma seule envie était de boire un café, assise sur mon canapé, canapé qui n’était plus à sa place. Théa, levée avant moi, avait descendu la télé et son meuble, une partie du matériel qui devrait se trouver dans le vaisselier et avait balayé et récuré le salon et la cuisine. Efficace la demoiselle ! Me voyant arriver, elle me fit un énorme sourire et fila chercher les coussins du canapé.
– Je vais les chercher comme ça on pourra au moins s’asseoir, avait-elle lancé en remontant comme une furie.
N’y avait-il que moi qui ne pouvais plus en avant ? Ils avaient quoi tous ? Plus l’habitude des excès que moi certainement. Théa revint les bras chargés, elle balança les coussins par terre et me poussa dessus.
– Reste là, je vais te faire ton café !
Excellente idée ! Elle avait même remis le sapin à sa place et à ses pieds les cadeaux reçut qui ne devaient pas être ouverts avant, ben, avant aujourd’hui. Curieuse, je tendais déjà la main pour attraper le premier quand un bol de truc noir et fumant arriva devant mon nez. Oh bonheur !
– Tu ouvres le mien en premier ?
Elle me tendit un tout petit paquet, emballé d’un papier bleu. Elle aimait vraiment le bleu. Je ne pris même pas la peine de boire mon café. J’attrapais le paquet et après l’avoir retourné dans tous les sens, l’ouvris super curieuse et déjà ravie du cadeau. Je restais sans voix devant le minuscule cœur en pierre qui s’y trouvait. Je l’observais longuement et la petite voix de Théa intervint.
– Je sais que c’est pas grand-chose. Je l’ai trouvé dans la rivière à côté de chez moi. Tu sais comme tu es ma première amie fille, je me suis dit que…
Elle parlait la tête baissée alors je la pris dans mes bras en disant :
– Il est magnifique. J’adore !
Parce que oui, il était magnifique, la pierre grise était striée de blanc et érodée par l’eau, elle était douce au toucher. Je lui claquais deux énormes bises sur les joues.
– Tu es génial, merci.
Ses yeux se remirent à pétiller et je lui tendis mon cadeau, j’avais trouvé un petit pendentif en forme de larme ou de goutte plutôt, en verre teinté de bleu, sa couleur préférée et je l’avais suspendu à un cordon de cuir blanc. Sans qu’elle ne le voie, je croisais les doigts dans mon dos, j’espérais tellement qu’il lui plaise.
– Tu sais, tu n’avais pas besoin de m’offrir quelque chose, commença-t-elle, pouvoir passer la soirée ici plutôt qu’à l’hôtel, était déjà beaucoup.
Elle faisait tourner le paquet dans ses mains sans l’ouvrir.
– Tu aurais passé la soirée seule ?
– Pas vraiment, mais avec les clients de l’hôtel et la famille de Mona. Ce n’est pas pareille.
Et, hop, la tête se rebaissait sur une petite moue dépitée.
– Oui, comme Ada quoi, finalement on fait un chouette trio. Pas de famille pour nous et si ma réputation dans le coin n’est pas trop mauvaise, tu devrais entendre ce que ma famille dit de moi.
Elle releva la tête d’un mouvement brusque et la surprise se lut dans ses magnifiques yeux.
– Mais toi, t’es adorable.
– Pas pour tout le monde. Je haussais les épaules. Je ne suis pas venue ici pour rien, je fuyais ma famille, mon ex et mes problèmes…
Elle ne répondit pas et ouvrit son cadeau. C’est avec des yeux remplis de larmes qu’elle sortit le petit pendentif de sa boite. Elle le retourna, l’inspecta et finit par le mettre à son cou puis fila à la salle de bain comme une furie. Je la suivis.
– Il te plaît ?
Elle admirait son reflet et caressait la petite larme. Elle se jeta dans mes bras.
– Il est parfait, vraiment !
Je crus entendre dans le soupir qui suivit, mon premier vrai cadeau. J’avais du mal entendre.
Théa n’avait sous le sapin qu’un autre paquet de la part d’Ada, une bouteille. Pour moi, notre amie avait déniché quatre livres en français, j’étais ravie.
Théa fila avant que je n’ouvre les autres, la route, la nuit, etc. j’avais plutôt l’impression qu’elle ne voulait pas que je me sente gênée d’ouvrir mes autres cadeaux, alors qu’elle n’en avait plus. Nous nous fîmes un énorme câlin sur le pas de la porte et j’y restais, agitant la main, jusqu’à ce que sa voiture disparaisse.
De retour sur mon coussin, je déballais mes cadeaux, un tablier à fleur de la part Suzanne, oh combien ironique, mais drôle, un bon d’achat de la librairie de Francis, de vieux DVD de la part de Joe, mais c’est qui lui ? Des boîtes de biscuits en nombre, le cadeau fourre tout quand on ne connaît pas. Des écharpes tricotées, ok, je suis frileuse, le bonnet le plus moche que je n’aie jamais vu, chaud, mais moche le truc et au fond une petite boîte sans papier.
J’avais le bonnet sur la tête, dix écharpes autour du cou, le tablier sur l’épaule, une montagne de boîte à biscuits à côté de moi et la petite boite en main quand un rire fusa à ma gauche.
– Tu as été gâtée, on dirait, il y avait un concours de l’écharpe la plus moche ?
C’était méchant, pas tout faux, soyons honnête, mais méchant.
– Ils ne me connaissent pas bien, alors, les biscuits et les écharpes, c’est plus simple.
J’avais toujours la boîte dans les mains et je devais avoir l’air stupide enroulée dans mes écharpes en plus j’avais trop chaud.
– Et original, vraiment !
Il s’approcha et pris la boîte de mes mains.
– Celui-là, il est de ma part.
Il tournait et retournait la petite boîte avant de me la rendre.
– Je croyais que tu ne fêtais pas Noël ?
– Je ne le fête pas, mais je peux faire des cadeaux comme tout le monde, enfin pas des horreurs pareilles.
Il venait de voir le tablier et le pointait du doigt. J’ignorais sa remarque, intriguée par la boîte, émue à l’idée qu’il avait pensé à moi. En l’ouvrant, je découvris un pendentif doré, un hibou minuscule sur une branche avec comme deux lunes de part et d’autre de la branche, enfin plutôt en dessous. C’était d’une finesse incroyable, car malgré sa taille, deux ou trois centimètres tous les détails étaient visibles. La branche était remplie de motifs et les plumes du hibou étaient grises. Une petite merveille !
– Si tu virais les horreurs que tu as autour du cou que je puisse te le mettre ?
Sa voix était rauque et je relevais la tête surprise
– Il est magnifique, c’est fou, tu n’aurais pas dû.
Il était en train de m’enlever les écharpes qu’il jetait au sol.
– N’en fais pas une maladie, c’est un vieux truc, je me suis dit qu’il te plairait. Savais-tu que le hibou est symbole de sagesse, je vais espérer qu’en porter un t’évite de te blesser.
Vieux sûrement, truc pas d’accord, il était trop beau pour être traité de truc. Qu’il me plaise, oh que oui, qu’il me rende sage, fallait pas rêver non plus. Sans plus attendre il saisit la boîte et me passa le collier autour du cou et je fis comme Théa, le plantant là pour filer à la salle de bain le regarder dans le miroir. Il était absolument magnifique et je le caressais du bout des doigts un long moment.
Lorsque je retournais au salon, Livius n’y était plus, il lavait son bol à la cuisine. Je l’y rejoins et me coulais entre ses bras.
– C’est une merveille, soufflais-je.
Il m’embrassa le bout du nez, pris le pendentif entre deux doigts puis reposa contre ma peau en disant.
– Je trouve qu’il te va bien.
Il ne me regardait pas, il ne regardait que le hibou au creux de mon cou. Je restais là, blottie contre mon fantôme en me disant qu’il avait eu raison, un Noël loin de ma famille pouvait être magique tant mes nouveaux amis étaient incroyables quand je me souvins que j’avais moi aussi un cadeau pour lui. Je m’échappais de ses bras, filait dans ma chambre et revint en courant presque tenant son paquet.
– Pour toi !
Fière de moi, les bras tendus, j’attendais qu’il le prenne, mais il l’ouvrit alors que je le tenais toujours. J’avais trouvé une édition de Sherlock Holmes reliée en cuir, un beau livre. Bon, j’ignorai s’il aimait les livres policiers, mais qui n’aime pas Sherlock ? J’eus droit à un baiser sur le nez, à un merci qui m’avait semblé sincère et à bonne nuit. Avais-je fait un bide ?
Alors que je me flagellais mentalement de n’avoir pas su trouver le bon cadeau, il s’occupa de descendre son fauteuil et une partie du vaisselier. Je pris une longue inspiration et allais le voir. Il était installé dans son fauteuil mon livre entre les mains et avait commencé sa lecture. Perdue dans mon autocritique, j’en conclus qu’il voulait juste être poli et vexée comme un pou, je lui souhaitais bonne nuit et filais d’un pas rageur dans ma chambre. J’avais l’impression qu’une écharpe ne lui aurait pas moins fait plaisir. Pfff
La remise en place du salon m’occupa le lendemain. Les petits mots de remerciement que je m’appliquais à écrire, deux jours de plus, je me promis de retenir les noms à partir de la tout de suite, je ne savais même pas à qui je disais merci, frustrant.
Chapitre 10
Nouvel an arriva, je le passais avec Théa à l’hôtel, il y avait des animations plein les rues et nous fîmes honneur au champagne offert par la maison, je crois bien que notre interprétation des chansons qui passaient à la radio restera dans les mémoires, oh pas dans les nôtres heureusement.
La routine revenait, les mercredis avec les filles me manquaient et même si les dimanches midi étaient de retour chez Suzanne, qui avait décrété qu’on m’avait bien assez dérangé, ils rythmaient bien mon manque d’activité.
J’avais tenté à plusieurs reprises de sous-entendre que la cave devait enfin, voilà, faudrait s’y mettre. Mon fantôme virait sourd à chaque fois, donc je laissais tomber.
L’ennui devenait pénible, le froid intense et les jours longs, très longs, non mais vraiment longs. Je traînais mon ennui partout. Je devais sentir l’ennui à des kilomètres alors que tous ceux que je connaissais en ville courraient partout. La saison d’hivers battait son plein et moi, je tournais en rond.
Il me fallait une occupation. Je m’essayais au tricot. Je fis de magnifiques serpillières qui auraient dû être des pulls, pas concluant du tout. Puis je testais la peinture, à part pour peindre les murs, j’étais nulle. Je me lançais dans la sculpture sur bois, trois doigts transformés en poupée plus tard Livius balança le tout à la poubelle, m’interdisant de continuer. Je devais faire quelque chose de ma vie.
C’est quand on touche le fond que les miracles se produisent, le mien arriva sous la forme d’un libraire dépassé. Alors que j’écumais plusieurs fois par semaine la librairie, fallait bien s’occuper et qu’à cause de mes nouvelles résolutions, je demandais pour la quatrième fois son nom au gentil monsieur dernière le comptoir pour ne pas dire une connerie, une voix sortit de l’arrière-boutique pour dire :
– Vous prenez pas la tête. Il ne restera pas longtemps. Il me lâche.
Je me dévissais la tête pour observer le vieux type qui me parlait. Rhaa, je le connaissais, c’était, haaa c’était, mais merde, d’où je l’avais vu lui ?
– James Andersen, ancien bibliothécaire, nous nous sommes croisés peu de temps après votre arrivée
– Ha, heu, oui, enchantée.
– Je vous disais donc, mademoiselle Sophie que mon vendeur quittait la ville pour tenter sa chance ailleurs, alors ne prenez pas la peine de retenir son nom !
Ok, donc il semblerait que mon incapacité à retenir le nom de gens était connu, il fallait vraiment que je fasse des efforts, parce que là j’avais compris, tiens prends ça dans les dents, moi je connais ton nom.
– Ce qui me dérange le plus, continua-t-il, c’est quand cette saison trouver un remplaçant va être difficile.
Je levais le doigt avant même que mon cerveau n’enregistre le tout.
– Moi, je suis libre, tout de suite si vous en avez besoin, je n’ai rien de prévu avant plusieurs mois.
Le doigt en l’air comme à l’école, j’avais parlé avant même d’y avoir vraiment réfléchi. Au fond pourquoi pas, mon anglais s’était amélioré au cours des dimanches et de mes mercredis entre fille et je connaissais presque par cœur les rayons de la librairie pour y avoir traîné mon ennui des jours durant.
Je vous passe le comment du pourquoi, mais le lundi suivant, je commençais à faire la poussière dans la librairie en attendant un potentiel client. Je voyais s’envoler mon ennui et mieux encore je me mettais à espérer que ce travail deviendrait mon travail. La routine reprit un rythme qui me convenait bien.
Deux mois plus tard j’étais toujours derrière le comptoir de la librairie et même si j’étais ma meilleure cliente, presque la seule d’ailleurs, les jours passaient gaiement. Je retrouvais mes mercredis midi filles, plus chez moi, mais à la pizzeria du coin, la seule de la ville tenue par Adisorn et Rasamee, deux Thaïlandais vraiment sympathiques. Non, ne vous moquez pas, leurs noms sont écrits sur toutes les cartes de menu, à force je les ai retenus. Mes bonnes résolutions, vous vous rappelez ?
Je disais donc, les repas filles du mercredi avaient recommencé même si Ada nous lâchait régulièrement. Mes dimanches étaient remplis de trop de nourriture avalée chez Suzanne et le reste de la semaine, je mangeais sur le pouce coincé entre les cartons dans la réserve. Mon colocataire s’était de nouveau transformé en fantôme. Je ne le croisais presque plus, Mes soirées à regarder des séries, sans râleur à côté, étaient devenues mon petit plaisir.
L’hiver s’étirait puis le printemps pointa son nez, je troquais mon bonnet moche et mes écharpes tricotées mains pour une écharpe fine. Le fond de l’air restait frais en soirée. Puis l’écharpe rejoignit la penderie avec les pulls et je sortis les chemisiers, enfin ! Le mois de mai était là et j’appréciais tous les jours un peu plus Théa qui, elle aussi, gardait une veste sur les épaules alors qu’Ada était déjà en tongs, nous nous faisions traiter de frileuses et nous l’assumions plutôt bien à deux contre une.
Je n’étais plus la seule cliente de la librairie, la curiosité de savoir que la nouvelle travaillait là, attirait du monde. Monde qui n’osait pas repartir sans rien acheter. Monsieur Andersen m’assura qu’il n’avait jamais eu un mois de mai aussi rentable. Je fus confirmé à ma place.
Ma nouvelle vie me plaisait, mes amis étaient incroyables et j’envisageais l’avenir avec un bonheur que je n’avais pas ressenti depuis longtemps. La pauvre petite chose arrivée ici il y a un an, avait disparu, laissant place à une nana bien dans sa peau.
Ada me sauta dessus un jeudi matin pour me dire que la boutique serait fermée l’après-midi, James était d’accord. Finalement, elle me fit fermer tout de suite et me traîna derrière elle.
– Faut que je te montre un truc, avance, plus vite !
Avancer ? Il me fallait presque courir pour me maintenir à sa hauteur. Elle me poussa dans l’hôtel puis me tira dans la grande salle, le tout au pas de course. J’étais essoufflée et quand je finis par la rejoindre, je me statufiais. Il y avait un « bon anniversaire » accroché contre le mur, plein de ballon partout et mes amis.
– Ça fait un an que tu es arrivée ! Me dit Ada. Fallait bien le fêter, non ? Tu te rends compte, qui aurait pensé que tu allais tenir ?
Pas moi, en fait, un an, un an que j’étais arrivée déjà ? J’avais la bouche ouverte, les yeux exorbités et je me mis à pleurer. Ce fut la panique en deux secondes, Suzanne me prit dans ses bras, Ada me serrait une main dans les siennes, Théa me frottait le dos et Francis se marrait.
Merci, Francis, le voir rire me permis de retrouver un peu de cervelle, pour murmurer entre deux sanglots :
– C’est trop, fallait pas.
Je fus traînée et assise à table entourée de ces gens formidables qui, je ne comprendrais jamais pourquoi, m’avaient adoptée aussi facilement.
Quoique, j’appris que le mari de Suzanne avait parié que je ne passerai pas l’hiver. Rhaa, Judicaël quel prénom impossible, donc Judicaël avait parié que je ne passerai pas l’hiver, les paris variaient entre fin octobre et mars, même Ada avait parié, la traîtresse !
Elle se justifia par mon passage d’ennui profond qui l’avait fait craindre un départ pour ailleurs. Elle se justifia d’une toute petite voix contrite encore plus quand il s’avéra que Théa avait parié que je resterais, elle ! Ce fut un chouette moment entre amis et je rentrais sur un petit nuage, un an ! Waouh, je n’en revenais pas.
Au milieu de la nuit, mon téléphone sonna, c’était ma mère. Vive le décalage horaire ! Elle me demanda de but en blanc quand je rentrais maintenant que mon année sabbatique était finie. Quand je lui dis que non, je ne rentrais pas, elle me fit bien comprendre en hurlant ce qu’elle pensait de ma crise d’adolescence tardive. J’étais une inconsciente qui allait finir sous les ponts ou pire à la charge de mes frères et sœurs qui, eux, avaient réussis etc, etc. je connaissais par cœur le discours.
C’est en mettant le téléphone sur haut-parleur et en buvant stoïquement un café que je répondais à intervalle régulier des oui mais, non mais, ça va aller ou je comprends mais…
Je n’essayais même pas de finir une phrase, j’attendais patiemment que ma mère en finisse. Je savais qu’une fois qu’elle aurait raccroché, j’aurais droit au même discours de ma sœur aînée qui rajouterait, mais tu sais on t’aime, c’est pour ça qu’on s’inquiète puis mon grand-frères le ferait aussi, en étant moins virulent et en précisant qu’il faut comprendre les parents, c’est pas moi, c’est eux qui s’inquiètent. Quand il aura raccroché ma petite sœur m’enverra un texto me remerciant de foutre le bordel pour faire mon intéressante. Une fois qu’ils m’auront bien tous prédit le pire, ils me lâcheront et je n’en entendrai plus parler, jusqu’à la prochaine fois.
Je regardais dans le vide, ma sœur parlait, parlait, parlait. Mon fantôme entra, écouta un moment, me fit une grimace qui faillit me faire rire. Pas bonne idée, mais alors pas du tout, ne pas rire quand grande sœur faisait la morale sinon j’en reprendrais pour le double. Je haussais simplement les épaules.
Il s’installa en face de moi et écouta très attentivement. Il se décomposa au fur et à mesures. Je lui fis signe de se taire et profitait que ma sœur raccroche pour lui dire.
– Ma mère vient de lui dire que je ne rentrerais pas. J’ai même pas réussi à dire que j’avais un travail ici. Ils pensaient tous qu’à la fin de mon année sabbatique, je rentrerai la queue entre les jambes.
Mon frère appela et les reproches reprirent.
– Un an ? Mima Livius.
Je fis oui de la tête et murmurait loin du téléphone.
– Un an, aujourd’hui !
Il fit bravo des deux mains sans un bruit puis alors que je désespérais que mon frère se taise, il dit à voix haute :
– Quand allez-vous finir de vous écouter parler, c’est le milieu de la nuit et votre sœur travaille demain.
Et, merde non, il n’avait pas osé, mais ce n’est pas vrai, il allait empirer la situation.
– Qui êtes-vous ? Questionna sèchement mon cher et adorable frère.
– Un de ses locataires, répondit courtoisement mon coloc
– Un de tes quoi ?
– Locataires, compléta tranquillement le fourbe qui me toisait alors que je me décomposais.
– Tu as des locataires ?
– Je viens de vous le dire. Un de ses locataires. Il se moquait de moi en continuant. Vous avez de la chance de n’avoir pas réveillé Mademoiselle Théa, elle est un peu revêche au réveil.
– Sophie qu’est-ce que ça veut dire ?
Je coupais le haut-parleur, fusillait du regard mon « locataire » et répondis à mon frère. Oui, j’avais une maison et oui, je louais des chambres. Je ne pouvais pas lui révéler que je partageais la maison avec un homme dont je ne savais presque rien et que ledit homme venait de s’amuser à ses dépens ou avait tenté de me défendre, à choix.
Étrangement, il raccrocha dès l’explication bancale donnée. Je savais qu’il allait téléphoner à ma mère qui elle-même téléphonera à ma sœur et que l’une d’entre elle finirait par me téléphoner pour à nouveau me faire la morale sur cette fois-ci le thème de tu ne nous dis rien.
Je ne soulignerai pas qu’on ne m’avait pas laissé parler et attendrais que ça se tasse. Depuis le temps, je ne me prenais plus la tête. Je fis un pâle sourire au pire locataire de l’année en lui précisant que c’était gentil, mais ne servirait à rien, j’allais avoir droit à un nouveau sermon alors que j’en voyais le bout.
– Retourne te coucher et éteint cet engin de malheur !
Mais combien de fois m’avait-il envoyé au lit ? Je crochais sur cette question en allant me coucher. Bonne fille qui obéit.
Les téléphones familiaux n’eurent plus lieu au milieu de la nuit, mais très tôt le matin. Je fus estomaquée quand je me rendis compte que ce que ma mère retenait était en un, que j’avais une maison assez grande pour y loger du monde, en deux, que je gagnais de l’argent et c’est tout. Je n’insistais pas. Les téléphones se calmèrent. Je repris ma petite vie.
Chapitre 11
C’est le mois suivant que tout bascula. Il faisait beau et chaud. Un soleil radieux m’accompagnait tout au long de la journée et arrivait même à percer au milieu des livres. Je mangeais à midi, sur un banc profitant du bienfait du soleil. Je troquais mes chemises contre des hauts à petites bretelles ou de petites robes. Je vivais en tong, comme la moitié des habitants, et étais capable de repérer un touriste à dix mètres. J’étais devenu du coin. Je me sentais du coin.
Ce mercredi-là, avec Théa nous avions décidé de manger sur l’herbe du parc. Tout se passait bien quand je retirais le châle que j’avais mis. Elle resta immobile à fixer mon pendentif. Elle blêmit en me demandant sèchement :
– Qui t’a offert ça ?
– Il était dans mes cadeaux de Noël.
– Tu te souviens de qui te l’a offert ?
– Non, pas vraiment il faudrait que je cherche.
Même si j’en avais assez de cacher ce gros pan de ma vie, je ne me sentais pas prête à l’avouer à mon amie, alors que je voyais bien que ces yeux revenaient sans cesse sur le collier.
– Et si on se faisait une soirée fille, je passe prendre des pizzas et on se retrouve chez toi pour se regarder ta série débile là.
– Laquelle ? Tu trouves toutes mes séries débiles.
– La fille blonde et le beau mec et son père
– Fringe ?
Elle fit oui de la tête, cool, ce serait sympa, je lui dis oui.
L’après-midi passé, la boutique fermée sans avoir vu personne, c’est toute contente que je filais en direction de ma maison. Théa était déjà devant la porte avec deux énormes cartons dans les mains.
Installée dans le canapé, les cartons de pizza vides sur la table basse, je digérais en écoutant la rousse expliquer sa journée. L’arnaque aux touristes fonctionnait à plein, j’étais heureuse que dans ma petite boutique ce sport ne se pratiquait pas, les prix des livres étaient fixes, tant mieux. Quatre épisodes de ma série débile plus tard, le quatrième ayant été exigé par Théa qui voulait absolument voir la suite, je finis par l’abandonner sans regrets. Je notais dans un coin de ma tête de lui offrir la série complète, débile pour elle peut-être, mais addictif, tout en montant me coucher.
C’est vers quatre heures du matin que des voix me réveillèrent, persuadée qu’elle s’était endormie devant la télévision allumée, je me motivais pour descendre l’éteindre, la télévision pas Théa.
À mi-chemin, je stoppais net, ce n’étaient pas les voix des acteurs que j’entendais, mais celles Théa et de Livius. Bon, une discussion s’imposait, flûte, m’approchant pour intervenir, je restais figée en entendant Livius.
– Qui de toi ou de moi représente le plus grand danger pour elle ? Si j’avais voulu la blesser, ce serait déjà fait, ne penses-tu pas ? J’ai eu plus d’un an pour. Mais, toi, contrôles-tu vraiment tes instincts ?
Un silence.
– Avec elle ce n’est pas pareil. C’est mon amie. Elle ne risque rien.
– Alors tu peux comprendre qu’elle ne risque rien avec moi.
Ok, ils parlaient de moi, mais c’était quoi ce bordel, qu’avais-je à craindre de Théa et comment se connaissaient-ils. Parce qu’ils se connaissaient, là j’en étais sûr. J’avançais pour me montrer, bien décidée à tirer au clair ces étranges paroles. C’est Théa qui me vit en premier. Elle se figea. Livius ne se tourna pas, il passa sa main sur son visage et dit :
– Bonsoir Sophie, désolé de t’avoir réveillé et si tu venais t’asseoir ?
Ben non, je voulais rester debout moi et surtout je voulais des réponses.
– De quoi parliez-vous ?
Mes yeux allaient de l’un à l’autre, Théa répondit.
– C’est à cause du collier, je l’ai reconnu, alors je voulais savoir pourquoi tu l’avais et surtout si tu savais qui te l’avait offert.
Elle fit un geste du menton en direction de mon colocataire. Il se tourna vers moi pour répondre.
– Je connais Théa depuis longtemps.
– Et comme tu ne m’avais pas dit que tu n’étais pas réellement seule ici, je voulais…
Elle s’arrêta net.
– Elle voulait être sûre que tu me connaissais bien.
Ben, non, je ne le connaissais pas bien du tout.
– Et ?
– Et comme dans le coin je ne suis pas très appréciée, tu as bien vu comment Suzanne me regarde, continua-t-elle.
– Oui et ?
– Je n’ai pas bonne réputation
– Moi, encore moins, dit-il.
– Ok, en quoi vos réputations risquent de me faire du mal ?
Parce que oui, si je me moquais complètement de ce qu’on disait d’eux, je ne me moquais pas de ce que je venais d’entendre, deux énormes soupirent me répondirent.
– C’est une façon de parler. Tu sais les gens parfois se comportent.
– Comme des cons et vous pensez que j’en suis aussi. C’est pas crédible là.
J’étais énervée de les voir noyer le poisson, sans vraiment me répondre. On évitait de me regarder dans les yeux, on admirait ses chaussures. Ils me prenaient pour une débile.
– Bon, il va falloir que vous arrêtiez de me mentir tous les deux. Quel est vraiment le problème ?
S’il me restait un doute sur le fait qu’ils me mentent, là je n’en avais plus aucun. Théa avait pâli et Livius regardait par-dessus ma tête. Certes mon mur était très joli, mais pas à ce point-là. Je tapais du pied.
– J’attends !
Le concerto pour soupires en do mineur se fit entendre. Théa tomba plus qu’elle ne s’assit sur le canapé et Livius me fit signe de m’asseoir. L’heure des révélations avait sonné et j’étais bien décidée à ne rien lâcher avant d’avoir eu la vérité.
– Bon par où veux-tu que l’on commence ? Dit Théa en me serrant la main
– Par le début ? Enfin, commençons par : vous vous connaissez depuis quand ?
– J’ai rencontré Livius à mon arrivée ici, il m’a aidé à trouver un coin qui me convenait.
D’accord, donc en gros une dizaine d’années, elle n’avait pas plus de 30- 35 ans.
– De gros problème avec ma famille m’avait poussé à m’éloigner. Je ne connaissais personne et j’étais en pleine révolte. Toi, tu es arrivée en douceur, tu voulais avoir la paix, moi, je suis arrivée furieuse et je cherchais, bref, je n’étais pas là pour me faire des amis.
– D’où ta mauvaise réputation…
– Entre autres, continuât-il. Elle a logé chez nous, le temps de trouver où aller. Carata l’aimait bien.
– Carata ?
Il ferma les yeux, ceux de Théa se remplirent de larmes.
– Ma compagne, elle est morte.
Ok, sujet sensible, très sensible à voir la tête de Théa.
– Je suis…
– Il y a longtemps maintenant, donc je disais, Théa est restée ici le temps de trouver où se loger.
– Tu ne m’as jamais dit que tu connaissais la maison, lui reprochais-je.
– C’est plus tout à fait la même et te dire que j’avais connu un des anciens propriétaires aurait servi à quoi ? Je pensais qu’il était parti.
– À éviter tout ce merdier ?
Ils grimacèrent tous les deux.
– Il faut la comprendre, à la mort de Carata, j’ai disparu, je ne voulais plus voir personne. Elle a pensé que j’étais parti, c’est normal.
Ça, je pouvais comprendre, même si je me sentais blessée de ne pas avoir été mise au courant. Voilà bien la preuve que je ne connaissais rien de lui. Rien d’eux. Je touchais mon pendentif, Théa fixait ma main.
– Tu as reconnu le collier parce que tu l’avais déjà vu. C’est pour ça que tu m’as demandé qui me l’avait offert. Ne me dites pas qu’il était à elle.
Je t’en supplie, pas le collier d’une morte à mon cou, s’il te plaît. Pas ça !
– Carata ne l’a jamais porté, ce collier est dans ma famille depuis longtemps.
Sec, net, précis, n’en demande pas plus disait sa voix. Bon, mais, du coup se posaient plein d’autres questions.
– Alors pourquoi me l’as-tu offert ?
– On en parle plus tard, tu as demandé depuis le début, non ?
Sans me laisser répondre il continua.
– Donc après son décès, je ne voulais plus voir personne. Je voulais qu’on me laisse en paix, tu peux comprendre ?
Oui, son grand amour est mort, il s’est retiré du monde pour la pleurer, jusque-là, ça allait. Si j’oubliais la tristesse infinie que je ressentais. Pour changer de sujet, je demandais :
– Et tu as joué sur la croyance que la maison était hantée pour faire fuir les nouveaux habitants.
– Oui, on peut dire ça, c’est ma maison.
Re coup de poignard au cœur, sa maison oui, pas la mienne, des larmes perlèrent à mes yeux. J’étais l’étrangère ici.
– Quand j’ai vu le collier, j’ai compris qu’il n’était pas parti et je me suis demandée pourquoi tu n’avais jamais parlé de lui et je me suis inquiétée parce qu’il n’est pas, enfin, il n’a pas l’air de… c’est un…
Elle se tue, cherchant visiblement ses mots.
– Un quoi ?
– Heu, tu ne sais pas ? Ho, je n’aurais pas dû.
Elle avait blêmi d’un coup, Livius se mit à genoux en face de moi, me prit les mains, plissa les lèvres et finit par dire sèchement :
– C’est bon, Théa, je pense que tu peux te taire.
Elle baissa la tête, mais continua.
– Il va bien falloir le lui dire.
– Je sais.
Deux mots murmurés les yeux fermés, sa bouche ne faisait qu’un trait, tout en lui était tendu et mon imagination partit en vrille. C’était un tueur en série, non un agent secret, non, c’était un pervers qui dormait avec le cadavre de sa femme et c’est pour cela qu’il m’interdisait la cave, non, il avait juré de vivre la nuit pour être avec le fantôme de sa femme, non, il était, stop, stop Sophie, tu te calmes et tu écoutes. J’étais complètement paniquée, car je m’attendais au pire quand il continua presque en chuchotant.
– Sophie, je vis la nuit, tu l’as bien remarqué ?
Je fis oui de la tête et d’ailleurs, c’était saoulant.
– J’ai pu déplacer la cuisinière seul, elle est plutôt lourde. Comment ai-je pu le faire ?
Oh qu’elle était bonne cette question-là. Il n’avait pas l’air super musclé, style haltérophile, c’est vrai.
– Je n’y ai même pas réfléchi, avouais-je
Les yeux de Théa doublèrent de volume et Livius secoua la tête.
– Tu es vraiment un ange, incroyable.
– Elle l’est. Confirma Théa.
Là je doutais que ce fut un compliment, idiote, naïve serait bien meilleure comme qualificatifs.
J’eus droit à un baiser sur le front.
– Donc résumons, je vis la nuit, j’ai beaucoup de force, je suis rapide et je peux tomber d’une échelle sans me faire mal. Je suis…
À son regard, il attendait une réponse. Mes neurones se mirent à faire des brasses, je nageais. Il avait bien remarqué que rien ne sortait de ma petite caboche. Il ferma les yeux, baissant la tête sur un sourire.
– Le soir, je bois toujours un bol de ?
Pas de café, sinon il ne l’aurait pas demandé comme ça, un bol de quoi ? Mince, mes neurones ne faisaient plus de brasses, ils coulaient. Je savais qu’un truc énorme m’échappait, la connexion ne se faisait pas. Je me sentais idiote, mes neurones ne coulaient plus, ils étaient portés disparus et les secours n’arriveraient jamais à temps.
Je le fixais. Il avait posé une main sur ma joue et de son pouce caressait ma tempe, il attendait et moi je pataugeais. Théa intervint.
– Imagine que l’on est dans une de tes séries. Je suis certaine que tu sais.
Dans mes séries ? Mon fantôme serait quoi ? Mes yeux se posèrent sur l’étagère et je passais en revue mes DVD. Je tombais sur Supernatural puis sur Buffy et je secouais la tête, faut pas exagérer non plus. Dans ces séries-là, il serait un vampire sauf que les vampires, ça n’existe pas ! Un tueur en série recherché ? Un alien tant qu’on y est ! Dans mes séries, il n’y avait que ça. Ha non, j’oubliais les zombies. Nan, pas possible.
– Montre-lui !
– Laisse-lui encore un peu de temps pour tout assembler.
Sauf que je n’assemblais rien du tout. Je me tournais vers Théa et l’interrogeais du regard.
– As-tu confiance en lui ? Me demanda-t-elle.
Je pris le temps de réfléchir. Depuis mon arrivée, il m’avait aidée avec la maison, sortie des griffes de David et m’avait toujours bien traitée. Jamais il ne m’avait rabaissée ou jugée ou blessée. Je n’avais pas peur de lui, même si son caractère n’était pas toujours facile, mais je ne connaissais pas grand-chose de sa vie, enfin, carrément rien. Avais-je confiance en lui ?
Ma petite voix qui sortait toujours dans les moments où mes neurones ne me servaient plus à rien, intervint. T’es con, disait-elle, je te rappelle que tu as accepté de vivre avec lui sans trop te poser de question et que tu ne l’as jamais regretté. Arrête de te pourrir la tête dit oui et assume la suite !
La suite était justement le problème, mais le pouce sur ma tempe, les yeux noirs attentifs et le soupir qu’il semblait retenir, finit par avoir raison de ma peur. Je me noyais dans ses yeux et dit :
– Oui, j’ai confiance en toi.
Le soupir retenu sortit et il souleva mon menton.
– Je ne te ferais jamais de mal, je te le promets à nouveau. Jamais. Quoi qu’il arrive !
Je fermais les yeux, il prit mon visage entre ses mains et tout doucement me releva la tête.
J’ouvris les yeux et les fixais sur les siens. Il fit un petit non de la tête en indiquant sa bouche. Je fronçais les sourcils. Merde, je rêvais ou j’hallucinais ou je devenais folle ?
Deux canines étaient en train de s’allonger devant mes yeux et pas qu’un peu. C’est quoi ce délire ?
Ok, c’était la merde. Comme j’étais une jeune femme équilibrée et bien dans ses baskets, mon cerveau se mit en grève et mes muscles tétanisèrent. Boum, je tombais en panne, plus rien ne fonctionnait, enfin, non, un truc fonctionnait, ma terriblement énervante petite voix qui était en train de bondir de tous les côtés en hurlant des c’est trop cool, youpi et autres joyeusetés. La conne ! Elle jouait à la balle élastique dans mon crâne. Je sentais venir la migraine.
Elle se calma un peu et devint toute douce en me faisant le résumé : bon, tu n’avais rien vu, normal quand on pense que les vampires n’existent pas, on ne cherche pas de preuve. Là, quand même, tu dois reconnaître que des preuves, il y en a. Oui, là je pouvais admettre que les preuves étaient solides, surtout les deux dents qui étaient toujours sorties et que je fixais sans pouvoir m’en détacher. Sauf que même si j’adorais les séries avec des vampires, des loups-garous et des zombies, là on n’était pas dans une série.
Mais bon sang, dans quoi m’étais-je fourrée. C’est ton ami, continua la petite voix. Ne l’oublie pas. Il te fait confiance, tu crois qu’il montre qui il est à tout le monde ? Franchement, tu en as de la chance et puis tu lui fais confiance souviens-toi ! Oui, c’est vrai, enfin j’avais confiance dans mon fantôme. Fantômes, vampires repris la voix, du pareil au même. Allez arrête de faire l’autruche et réagit. Mais oui, hurler me semblait une bonne idée ou m’évanouir ?
Une partie de moi réagissait, je sentais à nouveau la caresse de son pouce sur ma tempe et la main de Théa qui me frottait le dos. Je croisais son regard. Incroyable ce qu’il semblait inquiet. Je crois que c’est cette lueur de peur que j’y voyais qui me décida à revenir dans le monde des vivants. Un mot s’échappa de mes lèvres.
– Vampire ?
Les crocs disparurent, ses yeux se fermèrent et il fit juste oui de la tête.
– J’ai besoin d’un verre.
Ben oui quoi, je ne pouvais pas douter de ce que je voyais, pas besoin de me pincer. Sauf qu’il fallait l’avaler, pas le verre, la vérité. Sa tête lorsque je disais ça, faillit me faire rire. Théa revenait déjà avec un grand verre qu’elle me fourrait dans les mains. Je ne sais pas ce que c’était, mais je me mis à tousser, les larmes me piquèrent les yeux et l’émail de mes dents parti voir ailleurs s’il y était, à peine la première gorgée avalée. Ça me fit un bien fou.
– Ça va ? Comment te sens-tu ? Demanda mon fan… non mon vampire.
– Si je suis pas devenue folle enfin, ça devrait aller, enfin, c’est juste que, enfin les vampires, enfin ça n’existe pas, enfin je croyais, enfin.
Allais-je arrêter de dire enfin ? Merci mon cerveau pour me soumettre à cet instant précis la seule question qui n’avait aucun intérêt.
– Tu le savais, accusais-je Théa.
– Je savais que les vampires existent, mais ils sont supers discrets, m’informa Théa. Plus que les loups, eux, ils laissent des traces partout.
Ha, oh, les loups, ok, on va où là ? Et hop, une gorgée du truc trop fort pour faire passer cette nouvelle information.
– Mais tu sais, ce ne sont pas les pires, continuait la rousse.
Je levais la main pour l’arrêter, paniquée.
– Laisse-moi déjà digérer le fait que les vampires et je suppose par loup que tu veux dire loup-garou, existent, d’accord. Pour quelqu’un comme moi, c’est déjà trop.
– Tu prends plutôt bien la chose. Tu trouves pas Livius ?
Lui ne disait rien, mais observait attentivement. Ses mains reposaient sur mes genoux et il s’était légèrement reculé. Je ne sais pas ce qu’il cherchait à voir en moi. Je ne savais toujours pas si c’était réel ou non.
– Tu vas avoir besoin de temps pour digérer.
Il leva la main et la garda en l’air. Il était indécis et me scrutait. Le léger mouvement de recul que j’avais eu ne lui avait pas échappé. Sa main retomba et il se releva pour s’éloigner.
– Je vais vous laisser en discuter, le jour ne va pas tarder.
Il était lugubre et je me sentis mal d’avoir eu ce recul, mais il pouvait comprendre. J’avais de bonnes raisons là. J’avais un peu peur, beaucoup en fait. Il ne dit rien de plus, me fit un signe de tête et disparut au sous-sol Théa grimaçait un peu et voulu relancer la discussion.
– Non, s’il te plaît, là, j’ai besoin d’un moment, seule. Si tu pouvais rentrer chez toi, ce serait sympa. Je, j’ai vraiment besoin de réfléchir tranquillement.
– Tu es sûre, je pense qu’il faut qu’on en parle, tu as des questions à poser et je ne vais pas te laisser seule dans un moment pareil.
Il me fallut presque une heure pour la convaincre de partir. Car, non, je ne voulais pas en parler et non, je ne voulais rien savoir de plus. Là déjà, c’était trop. Elle finit par céder de guerre lasse.
– D’accord et ne t’inquiète pas, je préviendrais James que tu es malade, comme ça tu as la journée pour, enfin, tu pourras rester tranquille, puisque c’est ce que tu veux.
Je la remerciais, lui souhaitais une bonne journée et montais m’enfermer dans ma chambre. Je voulais être seule. Quand j’entendis la porte se refermer et la voiture de Théa démarrer, il y eut dans ma tête comme une tempête. J’étais assise sur mon lit, incapable de dormir ni de réellement penser. Je restais ainsi toute la matinée. Je n’avais ni faim, ni soif, mais je m’obligeais à avaler une soupe. J’avais l’impression de bouger dans du coton dense. Le moindre geste était compliqué et me demandait plus d’énergie que je n’en avais.
Chapitre 12
Dans l’après-midi, un vent de panique me tomba dessus, un truc énorme. Je tremblais de la tête aux pieds et si j’étais toujours incapable de réfléchir correctement, toutes les fibres de mon corps criaient à la panique alors j’y cédais.J’attrapais ma valise, y fourrais de tout en vrac, descendis quatre à quatre l’escalier et filais sans m’arrêter à ma voiture. Je ne pris même pas la peine d’ouvrir le coffre, je jetais la valise sur le siège passager et je fuis, encore. Fuyant ce que mon petit cerveau refusait de considérer comme réel. Juste fuir.
Je roulais droit devant, tentant de ne réfléchir à rien. Tellement à rien que j’oubliais que les routes ici, ne sont pas vraiment des boulevards et après des heures à lutter entre les trous, les bosses et les chemins de terre, j’étais épuisée et je m’étais perdu. La nuit avait fini par tomber, brouillant encore plus mes repères. Il valait mieux attendre le jour pour reprendre la route. Je me glissais à l’arrière, contrôlais que j’avais bien fermé les portes et les fenêtres, me recroquevillais sur le siège et fermais les yeux.
Les larmes arrivèrent à ce moment-là et je versais toute l’eau de mon corps. J’étais secouée de sanglots impossibles à arrêter. Je pleurais sur moi, sur mon idiotie de n’avoir rien vu, de ses amis qui m’avaient menti sur quoi d’autre encore ? Je m’apitoyais sur mon sort. Je m’épuisais de chagrin. Rien d’autre ne comptait plus que mes larmes qui semblaient ne pas vouloir se tarir.
J’avais physiquement mal au cœur. Je me sentais plus nulle qu’à mon arrivée. Je pleurais, c’était tout ce que je pouvais faire. J’étais au milieu de nulle part. J’étais seule. J’avais peur du noir cette nuit et ma lampe de poche montrait des signes de faiblesse et j’étais perdue dans tous les sens du terme. Tout ce que je pouvais faire, c’était pleurer.
La crise durait encore quand on frappa à la vitre. Je relevais la tête et croisais des yeux noirs. Je ne voulais pas lui parler. D’un coup, je me sentais en colère, tout ça c’était sa faute. Je secouais la tête et la plongeait entre mes bras en collant mon nez contre le siège. Mais, qu’il me fiche la paix, qu’ils me fichent tous la paix !
– Ouvre, sinon je casse la vitre !
– Non !
Il se prenait pour qui ?
– Sophie, ouvre ! Je n’hésiterai pas à casser la vitre.
Mais, bien sûr, continu à me menacer comme ça j’aurais confiance. Il était dingue ou quoi ? Je relevais la tête. Il avait le front appuyer contre la vitre et son inquiétude était visible.
– Sophie, mon ange, ouvre-moi s’il te plaît !
Je ne sais pas si c’est d’entendre ce doux surnom, la voix qu’il avait ou le s’il te plaît que je ne lui avais jamais entendu dire. Les yeux noirs étaient suppliants. Il restait là à me regarder. Je déverrouillais la porte sans plus réfléchir. Il entra, ne dit rien, me prit contre lui en soupirant.
– Tu m’as fait une peur bleue. J’ai cru, j’ai cru…
J’étais dans ses bras, il me serrait contre lui, m’embrassant les cheveux. Il ne disait plus rien, mais ne desserrait pas son étreinte. Mon corps me trahissait en se détendant contre lui. J’étais furieuse une seconde plus tôt et maintenant, je restais sans rien dire, blottie contre lui. Je suis d’une logique sans faille.
Au bout long d’un moment, il souffla à mon oreille.
– Tu veux bien rentrer à la maison, je sais que c’est difficile à accepter, tu sais, partir n’est pas la bonne solution. Théa est morte d’inquiétude.
Je ne l’écoutais qu’à moitié parce que ma petite voix faisait un vacarme de tous les diables dans ma tête, trop heureuse de retrouver son, mon vampire. Elle faisait des cabrioles l’idiote et hurlait, tu vois il tient à toi. Mais bien sûr… Elle refusait de se taire et c’est elle plutôt que moi qui répondis
– C’est juste que…
– C’est difficile à avaler, finit-il à ma place
– Mouais et pas qu’un peu.
Il me serra plus fort.
– La vérité n’est pas toujours le mieux.
– Mais elle est préférable.
– Pas toujours, crois-moi, pas toujours.
Il ne dit plus rien. Je tentais de donner un ordre dans tout ça. Je ne sais pas combien de temps passa avant qu’il ne demande :
– Tu préfères renter en voiture ou que je te ramène ?
Là, sa question était bizarre, je relevais la tête.
– Je vais te révéler un secret de plus, je ne sais pas conduire. Alors, soit tu laisses ta voiture ici et je te porte pour rentrer, soit si tu n’es pas trop fatiguée, tu conduis pour nous ramener.
Il me fit une grimace penaude et j’éclatais de rire. Ho, bon sang que ce rire me fit du bien.
– Je ne le dirai à personne. Promis ! Sauf que je ne sais pas du tout où nous sommes, je me suis perdue.
– À dix minutes de la maison à peine je te guiderais.
Ok, j’avais donc tourné en rond et je n’étais pas allée loin. J’avais raté ma fuite, bravo, bien joué ! Note à moi-même faire des plans avant de fuir.
Une fois devant la maison, je me retrouvais dans des bras qui me serraient fort, à croire qu’il avait peur de me voir encore fuir. Il me faut avouer qu’une partie de moi y avait songé. La porte s’ouvrit sur une Théa livide et en pleurs, mon cœur se serra encore plus si c’était possible.
– C’est bon, je l’ai retrouvée et en un morceau
Le soupire que poussa Théa me fit me sentir mal, elle s’était vraiment inquiété. Je ne pus pas y réfléchir, j’étais déjà dans ma chambre où avec une infinie douceur il me posa sur mon lit.
– Tu veux boire ou manger quelque chose ?
– Un grand verre d’alcool, fort !
Je reçus un baiser sur le nez.
– Sale gamine, je reviens, je vais te chercher un de tes affreux cafés et de l’eau. Promets-moi de ne pas bouger.
Gamine ? Au fait, il avait quel âge ? Gamine possible du coup, je fis oui de la tête. Je n’avais de toute manière plus aucune force. Ma petite voix était toute triste à l’idée qu’il ne voyait en nous qu’une gamine et je me sentais réellement comme une gamine prise en faute. Papa inquiet de sa fifille qui avait fuguée, mais soulagé de l’avoir retrouvée et la mettant au lit, voilà l’impression qu’il me donnait.
Le café bu, il remonta les draps presque sous mon nez et me caressa encore les cheveux. Voilà, papa met sa petite fille au lit. J’avais envie de pleurer tellement cette impression me faisait sentir mal. Il resta là, attendant que je m’endorme tout en me chuchotant que j’étais ici chez moi et qu’il ferait tout pour que je m’y sente bien et en sécurité. J’avais envie de hurler merci papounet, mais je ne dis rien. La caresse de ses doigts dans mes cheveux était si douce que je m’endormis, épuisée.
C’est Théa qui me réveilla en fin de journée, je me sentais toujours fatiguée. Elle déposa sur mes genoux un plateau contenant deux tartines et une cafetière remplie à raz bord d’un breuvage noir qui sentait divinement bon.
– Je n’ai jamais connu quelqu’un qui boive autant de café. Je me suis dit qu’une tasse ne serait pas assez. Les tartines sont à la confiture de mûres, je n’ai pas trouvé celle aux myrtilles.
– Je l’ai finie, mais mûres, c’est bien aussi.
Ma voix était éraillée, ma gorge me faisait mal et même si je me sentais mieux, je redoutais le moment où il faudrait parler. Alors, je mangeais le plus lentement possible. Elle attendait que je finisse. J’en étais à ma quatrième tasse de café quand elle saisit le plateau.
– Je te laisse ton café et le temps de te lever. Après il faudra que l’on discute de cette horrible tendance que tu as à fuir.
Avant que je ne puisse lui répondre la porte se refermait sur elle. Et voilà, c’était ma faute. Ben voyons ! Et, puis la fuite, c’est bien. Moi j’aime bien.
Étrangement après ma crise de panique, je me sentais bien, fatiguée, épuisée, mais bien. En arrivant à la cuisine, je trouvais mon vampire et Théa, ils me scrutaient et j’allais faire demi-tour quand elle me prit dans ses bras en pleurant. Là, je me sentais coupable. Ah, flûte, je ne devrais pas, mais les larmes de Théa…
Je répondis à son étreinte. Bon, à première vue, mon amie avait eu peur.
– Mes côtes ne t’ont rien fait, lâchais-je.
– Tu nous as fait une sacrée peur, renifla Théa, alors tes côtes peuvent payer pour.
– Et si tu la laissais respirer ?
Je fus poussée dans le salon, assise sur le canapé à la même place qu’hier, sauf que là, en face de moi ils avaient l’air encore plus mal à l’aise.
– Bon, heu je commence, dit Théa.
– Attends, en premier, Sophie, je comprends, tu as dû faire face à quelque chose que, comment dire. Tu as dû accepter une réalité un peu différente. Je comprends ta réaction, mais je tiens à te prévenir que si tu fuis à nouveau…
Il ne lui manquait qu’une paire de lunettes et le doigt en l’air pour ressembler à monsieur Carron mon prof de math alors qu’il nous sermonnait. Stop, je devais me concentrer pour ne pas laisser mon esprit dériver.
– Je ne fuirais pas, il me fallait un peu de recul pour digérer et ma foi, paniquer un peu.
Ils levèrent les yeux au ciel.
– Bon d’accord, beaucoup. Mais, pour ma défense, j’ai été élevée dans la foi catholique et je ne suis pas croyante. Alors croire en…, en…, en ça…, en toi
Je levais les mains en signe de paix.
– Je veux dire que, enfin, c’est pas, non enfin, c’est beaucoup, enfin ça fait un choc, enfin non, pas un choc enfin, si.
Le retour des enfin en cascade, mais fermes là, Sophie, fermes là ! Je repris ma respiration, en soufflant un bon coup.
– Je veux bien croire que c’est vrai. J’ai des millions de questions, mais pour le moment, c’est le gros bordel dans ma tête. Je ne sais pas quelles révélations m’attendent encore et à vos têtes, il y en a. Je n’ai pas envie de tout entendre. Là, c’est déjà assez, je me sens déjà stupide. Vous vous rendez compte que pour moi, tu n’étais qu’un type agoraphobe avec quelques manières étrange et que je ne me suis pas posé plus de question. Une vraie idiote. Vous avez du bien rire.
Théa ne souriait pas, mais alors pas du tout et c’est avec un air presque sévère qu’elle me dit.
– Non, tu n’as pas été idiote, juste trop confiante et ne le prend pas comme un défaut. Pour moi, cette confiance n’a pas de prix. Écoute, je comprends que tout te dire d’un coup n’est pas la meilleure façon de faire. Même si ne plus avoir à te mentir serait pour moi, pour nous, une vraie délivrance. Alors, je te propose que tu prennes le temps de parler à Livius et à digérer déjà ce côté-là. Quand tu te sentiras prête viens me voir. Il n’y a aucune urgence, je tiens juste à tout te dire. Plus de mensonges ! Si je ne t’ai pas parlé avant, c’est par peur de te perdre, car je tiens beaucoup à toi. Quand on ne t’a pas trouvé hier, j’ai craint le pire. J’ai bien compris qu’il te fallait du temps, donc téléphone-moi quand tu veux. Promis ?
Je promettais, soulagée de ne pas avoir à faire face à plus ce soir. Elle partit avec timide au revoir. Je me retrouvais seule face à mon… face à un vampire. Que lui dire ? Plein de questions avaient tourné dans ma tête et là, je n’en trouvais pas une seule. Tout ce qui me venait me semblaient si stupide. Je ne trouvais rien à dire, je cherchais quand je m’entendis demander.
– Quand j’ai acheté la maison ai-je aussi acheté le vampire ?
Merde, je l’ai dit à voix haute. Moi qui faisais de l’ironie dans ma tête, pourquoi cette question-là justement. Mais quelle idiote, pauvre conne, tu n’avais rien de mieux à demander, franchement. Bravo Sophie, on sent que tu as bien pris le temps de réfléchir à ce qui était important de savoir. Non, parce que logique, il fallait commencer par…
Son rire interrompit mon autoflagellation. Il riait, à gorge déployée. Bon, au moins un qui était détendu lorsqu’il reprit son sérieux, il s’installa dans son fauteuil et en regardant le vide, il me dit :
– Je me suis réveillé pour trouver un mot sur un tableau noir. Je l’ai relu plusieurs fois. Je me suis demandé quel genre de créature pouvait croire aux fantômes. Par amusement, j’y ai répondu. Quelque temps plus tard, alors que je voulais te mettre dehors, je t’ai trouvé allongée sur ton lit de camp. Quand tu t’es retournée dans ton sommeil, tu avais une énorme bosse sur le front et un bleu que je voyais grandir. Tu semblais si fragile. Je me suis persuadé qu’après ça tu laisserais tomber. Tu es bien plus têtue que tu en l’air. Au fil des jours, je voyais ton travail et la maison renaître comme tu ne semblais pas troublée par mes notes j’ai pensé que tu savais que j’étais là. Et il y a eu cette nuit où je t’ai entendu tomber quand je suis sorti de la cave, tu convulsais.
Il fit un geste pour me faire taire alors que j’allais protester.
– Tu convulsais à ce moment-là. Il haussa les épaules en secouant la tête. Je ne sais pas pourquoi je t’ai fait boire de mon sang, juste un peu. Ajouta-t-il en me voyant grimacer. Je ne vais pas t’apprendre que le sang de vampire guérit.
– Ah, parce que c’est vrai ? Et, le reste ? Demandais-je.
– Attends, je répondrais à tout après. Laisse-moi finir que tu comprennes. Ensuite, il y a eu cette ordure qui s’en est pris à toi. C’est là que j’ai réalisé que je tenais à toi. Incroyable, je tenais à une humaine, maladroite, mal dans sa peau et terriblement naïve. Le comble pour un des miens, une vraie gageure. Impossible, me suis-je dit, mais si je suis honnête, je dois le reconnaître, je tiens à toi.
Je me renfrognais. Bon, d’accord il n’avait pas tout tort, mais pas besoin de le dire comme ça !
– Ne te vexe pas ! Dit-il en pointant un doigt vers moi. Tu ne vas pas me dire que tu ne l’es pas. Malgré cela, tu as éveillé le même sentiment chez Théa. Nous tenons à toi, une humaine.
Bon, il allait vraiment finir par me vexer. Il prononçait le mot humain comme moi, je dirais limace, avec un dégoût non feint.
– C’est bon, j’ai compris. Une humaine, idiote, maladroite et naïve. Sympa merci.
Il me souriait moqueur.
– Oui et à laquelle je tiens. Le jour où tu t’es fait agresser par ce connard. J’ai fini par comprendre que tu étais plus importante que je ne voulais l’admettre. Je pensais juste que je tenais à toi, car tu ramenais de la vie dans la mienne. C’est ce qui s’est passé ce jour-là qui m’a poussé à t’offrir le collier.
Je touchais le petit hibou en fronçant les sourcils.
– Pourquoi ? Il a quoi ce collier ?
Il y avait un truc qui allait me déplaire, parce qu’il passait sa main nerveusement dans ses cheveux et avait fermé les yeux. Ho, comme je ne la sentais pas la nouvelle révélation. Il me répondit enfin
– Il, enfin le hibou est mon emblème, je ne suis pas tout jeune, tu t’en doutes. C’était une tradition qui s’est perdue. Peu de jeune vampire choisissent un symbole. C’est surtout que… Ne te fâche pas d’accord. C’est juste un moyen d’indiquer…
Oui, d’indiquer quoi ? Mais bon sang accouche !
– Ton symbole autour de mon cou, ça veut dire quoi ?
Il prit une grande inspiration et lâcha :
– Il indique que tu m’appartiens aux autres vampires.
Ok bon. Là non, j’allais me mettre à hurler quand il continua très vite.
– Et pas qu’à eux, mais ce n’est pas ce que tu crois.
– Ouais et je crois quoi ? Demandais-je entre mes dents serrées.
– Théa l’a reconnu, tu t’en doutes.
– Oui et ?
– Elle n’est pas la seule.
Oh, mais j’allais le découper en morceau s’il ne finissait pas très vite son explication. Je bouillais de rage.
– C’est le moyen que j’ai trouvé pour te protéger, c’est tout !
– Me protéger de quoi ? Les vampires sortent la nuit et la nuit, je suis ici ou avec du monde.
– Pas que des vampires. Sophie, Théa n’est pas humaine et vit le jour et elle n’est pas la seule ici.
Bon, de ce point de vue-là, je pouvais comprendre, pas en être contente, mais comprendre. Même si cette explication pas franche me faisait sentir encore plus idiote qu’avant. Théa n’était pas humaine et qui d’autre ? Et, puis si c’était son symbole alors…
– Pourquoi m’as-tu dit que Carata ne l’avait jamais porté si c’est une protection ?
– Elle n’en avait pas besoin, elle était vampire.
La réponse avait fusé et je me sentis stupide d’avoir posé cette question et encore plus de la pointe de jalousie que j’avais ressenti en apprenant qu’il avait une compagne. Reviens à la réalité, déjà qu’elle n’est plus vraiment ce que tu connaissais, concentre-toi sur l’important.
– Et moi, j’en ai besoin, car je ne suis qu’une petite humaine idiote.
– Non, toi, tu en as besoin parce que je tiens à toi, toute humaine que tu sois.
Je haussais les épaules, agacée.
– Je peux toujours l’enlever !
Il fronça le nez et ses dents sortirent. Oups…
– Non, tu ne peux pas.
Il le dit dans un grognement et de rage, je glissais mes mains dans ma nuque pour ouvrir le collier. Sauf que je ne trouvais pas le fermoir. Mes yeux s’arrondirent alors que je le fixais.
– Vieille magie, dit-il.
Là, il avait l’air de ce qu’il était, loin de mon fantôme agoraphobe, il se rapprochait bien plus du prédateur. Je tremblais, il s’en aperçut et soupira.
– Écoute, je te l’enlèverai dans quelque temps, si tu y tiens. Il ne t’oblige à rien !
Donc bonne nouvelle, on pouvait l’enlever.
– Mais tu penses que j’en ai besoin, soufflais-je
Il ne répondit pas.
– Garde-le, le temps de trouver toute la vérité.
Ce n’était pas un ordre plus une demande. Je triturais le hibou. La pauvre humaine que j’étais, avait-elle besoin de protection ? Il semblerait bien que oui. De la sienne ? Et, contre qui ? D’autres vampires, des loups et quoi d’autres ? Je sentais la panique revenir. Il me fallut de longues minutes pour la calmer et pouvoir répondre.
– D’accord, pour le moment je le garde.
Un soupir de soulagement me répondit. Je continuais.
– Vampires, loup et quoi d’autre ?
Tant qu’à faire autant me foutre la trouille du siècle d’un coup, me soufflait mon énervante petite voix. Tant qu’à faire…
– Un peu de tout.
Ok, on n’allait pas loin avec une telle révélation. Un peu de tout donc…
– Théa est mieux placée que moi pour te répondre. Je ne sors plus assez.
Vu comme ça, il n’avait pas tort. Je demandais sans grand espoir.
– Et Théa est ?
– Une ondine, elle t’expliquera ce qu’elle est mieux que moi.
Je relevais la tête d’un coup, j’étais certaine qu’il ne répondrait pas.
– Plus de mensonges ! J’ai promis !
Bon, plus de mensonge et des réponses, allez Sophie pose tes questions. Courage, par où commencer ?
– Parle-moi des tiens ? Des vampires.
– Pas grand-chose à dire, on se nourrit du sang, pas forcément humain.
Là, j’étais intriguée.
– Nous avons besoin de sang, mais du sang reste du sang. Le goût change et celui des humains est meilleur. Je ne vais pas te mentir, il apporte plus d’énergie et calme notre faim plus longtemps, mais nous pouvons boire du sang animal. Nous vivons la nuit et dormons le jour, ça reste vrai.
– Pourquoi reste ?
– Nous ne brûlons pas comme une torche au soleil. Disons que c’est plus comme des coups de soleil qui nous affaiblissent, mais les plus vieux résistent à cette brûlure et peuvent passer plusieurs heures au soleil, toutefois nous préférons la nuit.
– Vous vivez très vieux ?
– Sans accident oui. Il y a peu des nôtres qui vivent des milliers d’années entre les morts violentes et une sorte de dépression, d’ennui qui fait que beaucoup se laissent mourir au bout d’un moment. Notre nombre reste assez stable. Le temps passant, l’immortalité perd de son attrait.
Il disait ça d’un ton si désabusé que je compris qu’il avait dû ressentir cet ennui.
– Tu es vieux à ce point ?
– Je suis vieux.
– Et moi une gamine, marmonnais-je. Tu as dit qu’ils se laissaient mourir ? Comment ?
– Contrairement aux idées reçues nous ne sommes pas des cadavres ambulants, c’est plus comme une mutation. Voilà pourquoi nous avons besoin de sang, il nous apporte vitamines et nutriments sans avoir à digérer. Je ne connais pas tout le processus, mais certains des nôtres sont devenus des experts. La plupart n’y songent même pas.
– Donc pour vous laisser mourir, vous ne vous nourrissez plus ?
– Tu as compris. Nous arrêtons de nous nourrir, c’est souvent la mort que choisissent les plus vieux. Le seul problème, c’est le temps que prend ce mode de suicide. Rester au soleil ou se faire tuer est bien plus simple, en cessant de manger, nous nous momifions petit à petit, mais restons conscient et vivant pendant ce temps.
Ma petite voix et moi n’avions pas envie d’en entendre plus, on était un peu dégoûtées. Il dut le sentir, car il se leva pour prendre mon visage dans ses mains. Au moment où il commença sa phrase des coups violents se firent entendre. Je sursautais lorsque la porte claqua contre le mur et où Ada folle furieuse déboulait dans le salon en hurlant :
– Lâchez-la !
Il m’embrassa le bout du nez avant de se redresser en disant.
– Tu voulais que ça aille doucement que tu puisses digérer les révélations les unes après les autres, désolé, je crains que tout sorte ce soir.
Ada interloquée nous regardait tour à tour en demandant.
– Qu’est-ce que ça veut dire ?
– Que Livius, ici présent m’a avoué être un vampire que Théa est une ondine et…
Je faisais un geste vague de la main. Ada avait blêmi.
– Alors tu sais que je suis une louve !
Ha ben non, ça pas, mais bon, allez je n’étais plus à ça prêt. Et, hop, une vérité de plus.
– Théa n’avait rien dit. Lui répondit Livius.
Je me levais sans plus faire attention au vampire moqueur et à la louve blême. Je fonçais sur le bar, en sortis une bouteille et en avala de grandes gorgées directement au goulot. Finalement, une gueule de bois me semblait aller dans le sens de cette nuit.
Ada me l’arracha des mains, me prit dans ses bras et gémit.
– Je voulais te le dire, mais je n’ai jamais trouvé le bon moment et puis c’est pas facile comme aveu.
– Suis plus à ça prêt, lui répondis-je.
– Et puis la vérité, c’est bien.
Oui, bien sûr, faut juste l’avaler. Elle renifla contre mon épaule et me lâcha. Je repris la bouteille et me rassis. Voilà quoi faire d’autre ? Qu’est-ce qui allait encore me tomber sur la tête ?
– Il y a quelqu’un en ville de normal ? Enfin d’humain à part moi ?
Ada secoua la tête, non
– Pas beaucoup et la plupart savent ce qui se passe. Et, il y a James, il est sorcier, c’est presque comme un humain.
À la bonne heure, je bossais pour l’être qui se rapprochait le plus d’un humain. Youpi, non, je ne suis pas sarcastique ! D’accord, un peu et pendant qu’on y est…
– Et les touristes ?
– Moitié-moitié, dit Ada.
Prévisible, allez une gorgée pour Sophie et une grosse.
– Au fait, qu’est-ce que tu fais là ?
– Je viens de rentrer et j’ai appris que tu étais malade. Je venais voir comment tu allais.
– Moi pas encore malade, demain oui, mais pas encore, marmonnais-je le nez dans ma bouteille.
Ma bouteille disparut, pouf, envolée. Je croisais le regard sévère du vampire-colocataire-protecteur et papa à ses heures. Je tentais de la rattraper, mais purée qu’il était rapide. Je ne demandais même pas son retour, à la bouteille pas au vieux truc et je filais m’en prendre une autre. Na ! Je fus soulevée sans ménagement et jetée sur le canapé. C’est pas drôle un vampire.
– Tu as assez bu. Tu vas avoir une belle gueule de bois demain.
– Bah, c’est mieux que de réfléchir, je peux fuir si c’est ça.
Ça grognait, pas que le truc à dent longue, Ada aussi, pas drôle.
J’étais assise et je boudais. C’était mon droit ! Je boudais si je voulais. Honnêtement, j’avais trop bu et la fatigue me tombait dessus. Tout me tomba dessus et je me mis à pleurer. Papa-vampire me souleva et me mit au lit en me grondant. Ada me fit un gros bisou sur le front et le lit se mit à tanguer dangereusement. Alcool et mer déchaînée ne sont pas un bon mélange. Je ne les loupais ni l’un ni l’autre quand je vomis. Bon, tire ! Hurla ma petite voix dans ma tête. Après tout devint flou.
Dire que j’avais la gueule de bois était bien en dessous de ce que je ressentais. Je n’arrivais à me lever qu’au troisième essai. Il me fallait d’urgence un café et un cachet. Oh, surprise, je trouvais à la cuisine Ada et Théa assises sagement qui devaient attendre que ma majesté se lève. Enfin, majesté des poubelles serait plus juste, vu comment je me sentais.
Une tasse apparu son mon nez et une main charitable me tendit un cachet. Ouf, sauvée ! Je tombais plus que je m’asseyais. Deux bouchent grimaçaient un sourire en face de moi, elles ne dirent rien me laissant retrouver le peu de dignité qu’il me restait. Théa fut la première à se lâcher.
– Il semblerait que tu aies un moyen de défense efficace !
Ses yeux pétillaient et elle faisait de gros effort pour se retenir de rire. Ada avait l’air moins joyeuse.
– La petite humaine fait ce qu’elle peut.
– Et ça marche, fit-elle dans un éclat de rire, en tout cas ça a marqué !
Son rire raisonnait dans ma tête. Mince, j’allais passer une journée de merde. Je frottais mes yeux sous le regard goguenard d’Ada.
– Vas-y moque-toi !
– Même pas, tu es assez punie et c’est en partie notre faute, tu as beaucoup à digérer.
Elle était super sérieuse alors que l’autre était rayonnante.
– Et si on passait une fin de journée tranquille, sans rien de…
– Il va falloir parler, grimaça Ada.
– On parlera…
Mais, pas aujourd’hui, ni demain. J’allais tout faire pour.
Chapitre 13
Je pris encore deux jours de repos, refusant toutes discussions avec mes amies. J’en avais assez à digérer et toute information complémentaire n’était pas la bienvenue. Je voulais retrouver mon calme et ma petite vie.
Rappelez-vous je suis venue ici pour recommencer une vie tranquille loin des drames ! Pas pour ce bordel sans nom.
Mon retour à la librairie fut un vrai bonheur, retour à la normal me disais-je. Bon, pas tout à fait, je regardais les habitants différemment, ce que j’avais mis dans les différences entre l’Europe et les USA, se transformait en différence entre humain et, et quoi d’ailleurs ? Une partie de moi refusait de savoir, l’autre tentait de deviner.
J’étais mal dans ma peau et Théa me rendait folle. Son besoin de tout me révéler, alors qu’elle avait promis d’attendre, la rendait nerveuse, explosive même. Autant Ada était devenue calme et attentive à ne pas me mettre mal à l’aise, autant Théa ressemblait à une boule magique qui rebondissait partout. Quant à papa-vampire, lui restait sombre, discret et horriblement paternel.
Je me raccrochais à mes habitudes. Tout va bien dans le meilleur des mondes ! Viendrait le temps où je devrais ouvrir un peu plus la porte de cette nouvelle vie, pour le moment je m’accrochais comme je pouvais. Vous pouvez en penser ce que vous voulez, tout ce que je voulais, c’était rester dans l’ignorance, encore un peu.
C’est le dimanche que je compris qu’il n’y aurait pas de retour possible et que tout avait bel et bien changé. Lorsque j’arrivais chez Suzanne et qu’au lieu d’être accueillis par toute une troupe, je me retrouvais seule avec Ada. Suzanne me prit dans ses bras, me collant au passage ces habituelles énormes bises, puis me serrant toujours contre elle, elle me dit :
– Je suis tellement heureuse que tu sois restée. La plupart des humains fuient quand ils nous découvrent alors pour te laisser un peu respirer, Judicaël a décidé que tu n’avais pas besoin d’entendre plus et que nous reprendrions les repas une fois que tu te sentiras vraiment à l’aise.
À ce que je comprenais, on me chouchoutait encore plus. Je n’avais pas super bien réagi, alors on me laissait un peu d’air, mais j’étais toujours là et pour mes amis, ça faisait toute la différence. De l’air, j’allais en avoir besoin et de beaucoup…
Un jour monsieur Andersen décida qu’il était temps pour moi d’arrêter de faire l’autruche. Il posa devant mon nez un livre duquel dépassait des marques pages.
– J’ai indiqué les noms de tes connaissances et leurs clans. Je pense qu’il est temps pour toi, d’arrêter de te cacher.
Ben, non, je trouvais mon attitude plutôt agréable, ne pas se prendre la tête, ne rien vouloir savoir, rester zen et tranquille. Je ne vois rien, je ne sais rien, mon nouveau mantra ! Qui ne semblait ne convenir qu’à moi.
– Au moins fait le pour Théa ! Elle va devenir folle si elle doit encore se taire.
Là, il n’avait pas tort, elle virait sur les nerfs. Elle allait finir par exploser et me coincer pour tout me dire d’un coup. Je me massais les tempes en soupirant. Ils allaient tous me rendre dingue à force.
– Allez le plus dur est fait. Tu as accepté que le monde n’est pas tel que tu le pensais, le reste n’est que des détails, ne joue pas à la gamine.
Oulà, il m’avait vexée. Déjà que tout le monde me maternait, lui hors de question ! Je relevais la tête et il me fit un clin d’œil. Il savait qu’il avait tapé juste !
– Leur vie est bien plus longue que la nôtre, nous ne sommes que des enfants pour eux.
Vu l’âge de mon patron, je ne devais même pas être sortie du berceau. Je fis oui de la tête, mais plutôt que de découvrir dans un livre la vérité, j’envoyais un message à Théa pour l’inviter à la maison.
Elle n’était pas survoltée en arrivant, c’était bien pire. Nous avons parlé une bonne partie de la nuit. Elle est une ondine, ça je le savais, particularité de son clan dont, heureusement, elle est la seule représentante ici, noyer gaiement les jeunes filles. Si, si elle a dit gaiement !
Elle me précisa à plusieurs reprises que moi, elle n’avait pas envie de me noyer, une chance pour moi, un vrai coup de bol ! Ça expliquait ses nombreuses remarques sur le fait que j’étais sa première amie femme, souffla ma petite voix.
Au fil de la soirée, je me rendis compte que c’était surtout de me dire qu’elle ne me voulait pas de mal qui lui tenait à cœur, puisqu’elle ne répondait pas à la moitié de mes questions dont une qui me titillait : son âge.
– Je suis plus vieille que j’en ai l’air et pour te donner une idée, je suis presque aussi vieille que LUI Oui, parce que depuis la révélation de la nature de mon colocataire, elle en parlait en disant LUI.
Je ne savais pas trop quoi penser. Oh, j’étais heureuse de n’avoir provoqué aucune envie de meurtre chez mon amie, mais avoir une tueuse comme amie, est-ce bien raisonnable ?
Je compris l’importance de cette révélation quand, alors qu’elle me redisait combien elle était contente de ne pas avoir envie de me noyer, papa aux dents longues fit son apparition. Il avait entendu la fin de la conversation et fixait Théa les sourcils froncés.
– Pas envie ? Tu veux dire que tu te contrôles ?
– Mais non, explosa-t-elle, pas envie ! L’idée ne m’a même pas traversé la tête ! Au début, je me suis dit que je l’aimais bien et que l’envie me prendrait plus tard. C’est déjà arrivé et puis une humaine de plus ou de moins. Mais, non, rien n’est venu même pas quand nous nous sommes baignées ensemble !
J’appris une nouvelle chose : un vampire, ça peut blêmir
– Baignées ensemble ?
Il avait la voix aussi blanche que le teint.
– Oui, tu te rends compte. Même pas là !
– Sophie, on ne se baigne pas avec une ondine !
– Mais si elle peut avec moi, insista Théa. Et j’adore ça !
Elle était à nouveau montée sur ressort et sautillait de joie devant un Livius transformé en statue. Je fis une mini crise de panique quand j’assimilais qu’une ondine, une humaine et une baignade…
Ha, non, c’était pas une bonne idée. Puis ma petite voix se mit à se marrer, un peu tard pour s’en inquiéter. Mouais, elle n’avait pas tort. La statue blanchounette debout devant Théa due en conclure la même chose et se remit à parler.
– Et comment tu expliques ça ? Tu as perdu ton besoin de tuer ?
– Oh non, je dois éviter de trop traîner avec Ada, si Sophie n’est pas là, je suis tentée. Je dois vraiment faire attention parce que les loups, c’est pas comme les vampires, ça ne ressort pas de l’eau quand on les noie et je ne pense pas que Sophie me le pardonne, alors je gère.
Elle finit sa phrase en baissant la tête alors que lui levait les yeux au ciel. Pensez à prévenir Ada de ne pas traîner avec l’autre folle dingue. Quoi qu’elle dût être au courant ainsi que toute la ville ; ce qui expliquait les regards de travers de Suzanne…
La tueuse rousse se tourna vers moi.
– C’est ma nature, je lutte contre mais c’est ma nature et en ville, on me craint un peu, je me suis laissé emporter parfois. La ville borde le lac alors… Toi, tu ne risques rien, je te le promets ! Jamais je ne te ferais de mal !
Elle avait les yeux suppliants. Elle se tenait debout devant moi. Je crois qu’elle venait de se rendre compte de ce que je pouvais ressentir. Théa était une tueuse, mon colocataire probablement aussi. Mais, qu’est-ce que je foutais là au milieu ? Je lorgnais du côté du bar quand un non, sec fusa. Mince repérée, il ne m’avait pas vraiment pardonné de lui avoir vomi dessus. Ma petite voix se marrait au souvenir et Théa le regarda, étonnée.
– Ton amie ne supporte pas bien l’alcool. Dit-il. Demande à Ada !
Oui, bon une fois, juste une où j’ai un peu abusé faut pas non plus en faire un drame.
– J’avais de bonnes raisons. Fis-je en levant le menton.
Théa se marra, lui pas. Je souris. Sale gamine disait les yeux noirs, ceux de Théa passaient de l’un à l’autre, elle se retenait de commenter, c’était visible.
J’en rajoutais, j’en étais consciente, mais que pouvais-je faire d’autre ? Comme j’étais bien décidée à ne pas me rendre malade des révélations qui me tombaient dessus, énerver papa-vampire m’offrait une diversion. Je lui tirais donc la langue et proposait à Théa une fin de soirée plus tranquille devant la télévision.
Pour faire râler mon copropriétaire, je proposais Buffy. Théa ne connaissant pas, elle fut un amour d’amie en disant oui, malgré le commentaire désagréable qui tomba du fauteuil et elle fut encore plus une alliée quand elle trouva Angel super sexy et se mit à baver dessus au grand dam du vrai vampire du coin.
Et ce fut ma vie. Faire enrager le vieux vampire pas drôle, voir Théa rire de toutes ses dents, rayonnante et profiter du calme relatif d’Ada. Et oui, à côté de la bombe rousse, ma grande brune semblait calme, c’est dire. Je profitais de chaque instant où nous n’étions que tous les deux, Théa prenant de plus en plus de place. Ada comprenait et trouvait drôle de me voir suivie par une ombre rousse qui regardait presque tout le monde de travers, enfin tous ceux qui m’approchaient. Je le supportais sans peine, j’avais compris que l’amitié d’Ada et de Théa m’avait évité bien des ennuis. Depuis l’été, le collier visible à mon cou complétait mes gardes du corps.
À mon arrivée, on me regardait de travers, car j’étais nouvelle, aujourd’hui on me regardait de travers à cause de mes fréquentations. Rien ne changeait vraiment et ça me convenait parfaitement !
Je posais peu de question, le livre de monsieur Andersen trônait sur ma table de nuit, mais je ne l’avais pas ouvert, je ne me sentais pas prête à franchir une nouvelle étape.
Je finis par éviter mon vampire, me conduire comme une idiote pour le faire râler avait perdu de son charme. Je redoutais l’arrivée de l’hiver et de ses longues nuits où il serait plus difficile de ne faire que le croiser. Mon comportement avec lui posait problème à Ada mais faisait marrer Théa. Je n’y pouvais rien, me faire traiter de gamine ne me donnait que l’envie d’en être une.
L’été s’étira, rempli de sortie entre fille, de repas en petit comité et de rien de neuf en fait. J’arrivais presque, à occulter les révélations.
C’est l’arrivée de l’automne qui provoqua chez moi une réaction, mais pas celle que tout le monde attendait. Plus la date de la fête de la ville approchait, plus je montais sur les nerfs ne supportant plus rien. Je refusais toute sortie et passais mes soirées enfermées dans ma chambre. Je revivais mon agression presque chaque nuit, provoquant l’arrivée en mode ouragan d’un papa-vampire inquiet et consolant. Moi qui pensais avoir bien géré…
La date se rapprochant, Ada était venue m’assurer que rien ne m’arriverait, que je ne serais jamais seule, qu’elle ne me lâcherait pas de la journée, ni de la soirée et pour une fois Théa était silencieuse, elle devait toujours s’en vouloir.
Le jour dit, je ne fus effectivement pas une minute seule, Suzanne tint le stand de tarte avec moi, ce qui nous prit la journée. Ada passait régulièrement voir comment je me sentais et Théa avait installé son stand en face des tartes. J’étais sous haute surveillance. Néanmoins, je voyais David partout. Je me décidais à demander à Suzanne si elle savait où il était.
– Non, personne ne l’a vu partir de la ville. Vu ce qu’il t’a fait, personne n’a pris la peine d’aller le voir à la clinique.
Elle renifla méprisante et ne dit rien de plus. Plus tard dans la journée, je reposais la question à Ada.
– Il a été banni, je pensais que tu le savais, David avait passé outre les ordres de Judicaël, notre chef de clan. On ne pardonne pas la désobéissance.
– Les ordres ?
– Tu as la protection de Suzanne, elle t’adore et ce que Suzanne veut…
Et, hop, encore un garde du corps, mais combien en avais-je ? Je soupirais, le savoir banni et hors de la ville ne calma pas vraiment mon angoisse. La ville accueillait plein de touristes en cette période, il pouvait se glisser parmi eux. Mais au moins, il ne se montrerait pas devant Ada. Plus l’heure du feu d’artifice approchait, plus je paniquais.
Théa avait tenu à s’installer sur le même banc, pour exorciser, avait-elle dit. Ça ne marchait pas. Franchement, je n’arrivais ni à me détendre, ni à profiter des feux. Je me dandinais sans cesse sur le banc, c’est là qu’elle murmura à mon oreille.
– Je t’assure qu’il ne reviendra plus.
Sa voix était sèche et assurée. D’un coup deux fils dans mon cerveau se connectèrent et je la fixais.
– Quoi ? Il s’en était pris à toi et je n’avais tué personne depuis un moment alors lui…
Elle haussa les épaules et se remit à manger sa glace. Ben oui quoi, semblait-elle dire, je suis ce que je suis et lui ne méritait rien de mieux, que du normal. Je ne sais pas comment expliquer ce que j’ai ressenti. C’était un mélange de soulagement et d’ahurissement, un peu de peur aussi de la voir si calme. Elle avait tué un méchant qui selon elle le méritait amplement et puis ça lui avait fait du bien de se lâcher un peu. On allait pas en faire une maladie. Si un peu quand même, un peu beaucoup même. Non ?
– Tu l’as eu avant nous, s’étonna Ada. Tu as été rapide !
Ha ben non, Stop une minute hein ? Quoi ?
– Je ne voulais pas vous le laisser, s’excusa Théa.
Ben voyons, tout est normal !
– Je te comprends, répondit Ada.
Ben pas moi, je les écoutais l’air complètement effaré et j’assimilais que mes amies ne collaient pas vraiment avec l’image que j’avais eu d’elles. Normal, tout est normal… Mouais non, rien n’est normal. Je me pinçais l’arête du nez.
– Allez, ne prend pas les choses comme ça. Au moins tu es tranquille, il ne reviendra pas.
– Et personne n’osera plus t’approcher, ricana Ada.
– Comment ça plus personne n’osera m’approcher ? Couinais-je.
Ada désigna la petite rousse qui regardait sa glace comme si elle était l’objet le plus important au monde.
– Disons que notre amie a sa petite réputation, mais elle ne s’était jamais prise à un loup, on est plutôt coriace.
– Et ? Demandais-je effarée.
– Et quand sa réaction, on dira ça comme ça, sera su même les loups éviteront de se la mettre à dos.
Je fixais incrédule la petite rousse qui se la jouait timide sauf que dans ses yeux luisait une lueur de fierté non dissimulée. Rappelle-toi Sophie, tout est normal.
– Elle ne risque pas d’ennui ?
– Notre justice est un peu plus expéditive que la vôtre, expliqua Ada en haussant les épaules.
– Oui, juste un peu plus.
– Ce que tu dois comprendre, reprit Ada, c’est que nous ne sommes pas de gentils nounours. Nos règles sont strictes et la mort fait partie de notre nature.
– Si nous vivons plus ou moins en paix, c’est parce que nous ne laissons rien passer. Continua Théa, nos guerres ne sont pas si lointaines.
– Donc si je résume, David a désobéi à un ordre de son chef de clan et méritait la mort pour ça ?
– Oh non, fit Théa. Il méritait la mort parce qu’il s’en était pris à toi et que j’avais été clair, tu es mon amie.
Je fermais les yeux un instant. Elle disait ça si calmement.
– Il avait été banni pour avoir désobéi ce qui a permis à Théa de te faire justice sans crainte de représailles des loups.
Ben voyons, soyons clair, on ne tue pas n’importe comment ! Au secours !
– Et s’il n’avait pas été banni ?
– Je ne risquais rien, je sais faire disparaître les preuves.
Elle disait ça avec un mouvement négligeant de la main et un haussement d’épaule.
– Les règles des autres clans, je m’en fiche.
Et, c’était clairement ce qu’elle pensait, pas le moindre remords, pas la moindre émotion. Il le méritait et que les autres soient ou pas d’accord, elle s’en moquait totalement. Ma petite voix me souffla que finalement, il valait mieux avoir une psychopathe comme amie et protectrice que de figurer à son tableau de chasse. Mouais, vu comme ça, en effet.
On ne parla plus jamais de David. Je pus constater que la nouvelle du jugement de Théa était connue par le discret, mais réel vide qui s’était fait autour de moi.
Nous évitions de parler de meurtre commis par l’une ou l’autre de mes amies. Parce que oui, je les considérais toujours comme mes amies et je ne me sentais pas mal à l’aise en leur présence, ce qui restait incroyable pour une partie de moi, enfin, tant qu’elles évitaient de parler de chasse, noyade ou autres habitudes de leurs clans. Là, j’avoue que mon côté petite humaine fragile ressortait. Elles se taisaient net dès que je me mettais à grimacer. Elles étaient adorables avec moi.
J’avoue que je supportais bien mieux leur protection que celle du truc à dent longue à la maison. Lui me rendait folle, si à chaque cauchemar il débarquait dans ma chambre pour me rassurer, il se montrait si distant le reste du temps que je n’arrivais plus trop à le cerner.
J’avais fini par demander à Théa ce qu’elle en pensait, elle tapota mon collier et me dit :
– Il tient beaucoup plus à toi qu’il ne veut l’admettre et tu es si jeune. Là-dessus, on se ressemble, lui et moi. L’idée de te survivre n’est pas des plus agréables. C’est pour cela qu’il se protège, moi, au contraire, j’ai décidé d’en profiter à fond.
Et elle me claqua deux bisous sur la joue. Franchement, je fus surprise qu’elle ne les pince pas. J’allais finir par me promener avec un biberon avec ces deux-là.
Noël me prouva qu’elle avait raison. J’avais refusé de me rendre chez Suzanne pour le passer tranquillement à la maison avec Théa. Ada et son oncle avaient choisi de se joindre à nous et avaient embarqué monsieur Andersen. Après le repas, Théa alla déterrer Livius qui finit la soirée avec nous, gros effort de sa part, pour me faire plaisir avait-il grommelé. Mon petit monde se limitait à moins de dix personnes. C’était amplement suffisant ! Surtout quand on connaît les personnes.
Pour nouvel an par contre, je fus traînée par deux furies dans la ville voisine. Une nouvelle boîte avait ouvert et elles voulaient y passer la soirée. C’est en traînant les pieds que j’y allais, poussée par les deux folles. Alors que mes amies se déhanchaient, j’incrustais la forme de mes fesses sur un siège du bar.
La soirée allait être longue cependant elles ne me lâchaient pas des yeux et venaient régulièrement s’assurer que j’allais bien et n’avais besoin de rien. Partir n’étant pas une option, je noyais cette envie sans grande conviction dans les cocktails. À chaque fois qu’on m’approchait, hommes ou femmes, je voyais rappliquer en vitesse non pas une mais mes deux gardes du corps. Du coup je discutais avec le barman qui, intrigué par le comportement des deux dingues, m’avait posé des questions. Il compatissait, mais trouvait la situation hilarante, pas moi. La soirée n’en finissait pas. Je sais qu’elles n’avaient que de bonnes intentions, mais, franchement, si je n’avais pas autant bu, j’aurais piqué la voiture pour rentrer.
Aux douze coups de minuit mes joues furent mal menées par les deux cinglées et alors que mon voisin de bar se tournait vers moi pour m’embrasser comme tout le monde. le barman tendit la main pour l’en empêcher sans que je comprenne pourquoi. Son geste n’avait pas été assez rapide et l’homme qui m’avait à peine touché le bras, hurla et regarda sa main d’un air étonné. Elle était recouverte de cloques. Je restais figée en la regardant et j’hallucinais, les cloques guérissaient rapidement puis je levais les yeux vers l’homme qui semblait aussi perdu que moi et je constatais que ses canines étaient sorties. Mon voisin de bar était un vampire. Je ne pus pas réfléchir plus longtemps.
– Voilà qui est intéressant, dit une voix derrière moi. Il y a longtemps que je n’en avais pas vu.
Je me retournais surprise. En face de moi, se trouvait un homme d’une cinquantaine d’années, grand, mince, les cheveux aussi noirs que ceux de Livius et des yeux d’un bleu profond.
– Vous permettez que je regarde de plus près ?
Il montrait mon pendentif du doigt avant que je puisse répondre mes deux gardes du corps réapparaissaient. Il leva les mains et sans se démonter dit :
– Allons, on se calme ! Geraldo Conti, se présenta-t-il, je suis le propriétaire, je suis bien intrigué par la présence d’une humaine accompagnée d’une louve et d’une ondine dans mon repaire. Si nous allions au calme ? Je suis dévoré de curiosité.
Il leur fit un clin d’œil et me fit signe de la main de le suivre. Là, j’avoue, je n’ai pas tout compris quand Ada siffla d’admiration et que Théa se mit à glousser. C’est qui lui ? Et entendre glousser Théa était, comment dire, tellement incongru que j’en restais sans voix. Je me levais un peu mal à l’aise et alors que mes deux amies me poussaient, je traînais des pieds en suivant le curieux qui nous mena dans une alcôve un peu à l’écart, commanda du champagne et resta un long moment à fixer mon collier.
– Alors comment une humaine a-t-elle pu finir dans un bar ouvert pour les autres espèces ?
J’indiquais du doigt les deux nanas qui m’accompagnait.
– Je vois et avec de telles accompagnatrices, vous ne risquiez pas grand-chose, encore plus avec ceci.
Il pointait un doigt vers le pendentif.
– Je suis heureux de savoir que Livius est sorti de sa quarantaine. Comment va ce vieil emmerdeur ?
Ses yeux avaient quitté le hibou pour se planter dans les miens et milles questions semblaient y tourner.
– Égal à lui-même, répondit à ma place Théa. Rigide, têtu et associable.
Il se tourna vers elle, mais pointa un doigt sur moi.
– Et comment expliques-tu ceci ?
Elle haussa les épaules.
– Disons qu’avec Sophie les choses ne s’expliquent pas vraiment.
– C’est peu dire, compléta Ada.
Un long moment passa, lui réfléchissait à ce qui venait d’être dit. Ada et Théa sirotaient tranquillement leur champagne et moi, comme d’habitude, je nageais. Rien de neuf, je le reconnais. Un jour, j’arriverai peut-être à ne pas me sentir complètement larguée. Bha non, je n’y croyais même pas.
– Ce qui m’étonne le plus après le collier, c’est votre comportement à toutes les deux. Mon barman m’a signalé que vous étiez arrivées toutes trois ensembles et que vous deux, ne lâchiez pas des yeux cette demoiselle.
– C’est une amie, firent-elles en cœur.
Là, je dois dire que sa tête faillit me faire éclater de rire. Pour une fois, je n’étais pas la seule complètement larguée.
– Comme je te l’ai déjà dit, avec Sophie les choses ne s’expliquent pas vraiment.
Le sourire de Théa était moqueur et se tournant vers moi elle compléta.
– Mais on aime ça, c’est différent.
Mouais était-ce moi qui étais différente ou elles ? La question se posait non ? En tout cas pour moi, elles l’étaient. Ils étaient tous étranges et différents et les deux rayons laser qui sortaient des yeux de notre hôte et qui me passaient au crible pour comprendre, me le prouvait.
Je voyais bien qu’il n’arrivait pas à comprendre ce que j’avais de spécial, comme moi non plus, je ne voyais pas, je me contentais de siroter doucement, très doucement mon verre. Ces longues pauses silencieuses ne semblaient pas déranger mes amies, pour moi, c’était un supplice tant j’étais fixée.
Il fit claquer sa langue et finit par rompre ce silence.
– D’accord, je ne comprends pas, mais d’accord, elle ne peut être qu’unique pour avoir de tels protecteurs. Il faut m’en dire plus Théa, j’y tiens.
Théa fit un oui de la tête et en haussant les épaules lui répondit :
– Si je comprends, je t’expliquerais. Pour le moment fait comme tout le monde, prends les choses comme elles viennent.
Ok, je n’étais pas la seule à ne rien comprendre et si elle venait de le dire calmement, lui semblait avoir pris la foudre sur la tête. Je levais mon verre et dit :
– Bienvenue au club de ceux qui ne comprennent rien, contente de ne pas être la seule.
Là, j’eus trois regards sur moi, je haussais les épaules.
– Ben quoi ? Ça fait un moment que je ne cherche plus à comprendre. Moi, je nage depuis mon arrivée ici.
Ada me sourit.
– C’est vrai, mais pour nous, c’est une première alors que…
Elle se tut net.
– Alors que pour la petite humaine que je suis, c’est normal d’être larguée. Complétais-je amer.
Et hop, re long silence, c’est cool, on avançait bien, c’était constructif. Non, je ne suis pas sarcastique ! Ma petite voix, elle, oui. Elle se bidonnait de voir à quel point j’intriguais et se réjouissait que je mette un peu de bordel. Une sale bête cette petite voix.
Je fus prise d’un bâillement phénoménal, trop calme pour moi cette fin de soirée, et j’avais encore trop bu. Je pensais que la discussion à peine entamée allait reprendre, mais le type là, le Geraldo me sourit en me tendant une carte.
– Vous êtes fatiguée, il est temps de rentrer. Donnez ça à Livius et dites-lui que je passerais le voir. Où puis-je le joindre ?
Alors là, bonne question, je grimaçais mon ignorance, regarda mes amies qui semblaient aussi ignorantes que moi et finit par lui dire d’attendre l’appel de l’asocial. Ada se levait déjà comme si elle n’avait attendu que le droit de me ramener. Théa faisait de même quand il me dit.
– Dites-lui bien que je suis heureux pour lui.
Mouais, heureux, pourquoi ? Allez encore une question dont je n’aurais pas de réponse. Je tentais d’en obtenir durant le trajet de retour, mais la seule réponse que je reçus de Théa fut de le lui demander directement.
Mes gardes du corps me posèrent à 10 cm de ma porte et attendirent que je sois dedans avant de repartir. La raison ? Il n’y avait pas de lumière à notre arrivée mon papa-vampire devait être absent. Ne voulant pas oublier de lui transmettre ce message énigmatique, je collais la carte sur le tableau noir et laissais un mot. Contente de moi, j’allais cuver mes cocktails au fond de mon lit. Hum, bonheur !
Chapitre 14
Bonheur qui ne dura qu’un instant quand un orage entra dans ma chambre. Je m’envolais du lit, tirée de là, d’une main ferme par un vampire en rogne qui me criait dessus. Oulà, ma pauvre tête, j’ouvris les yeux très doucement, regardais le pénible d’un regard flou et secouant la tête pour en chasser la brume, je demandais :
– quèquia ?
Il arrêta de hurler, bon point ! Il soupira et me traîna à la cuisine où il me fit un café. Oh, la bonne idée. Il restait debout, raide en face de moi et dardait ses yeux sur moi. Le café bu, je redemandais :
– Qu’est-ce qu’il y a ?
– Qu’est-ce que ça veut dire ?
Il me tendait la carte de l’autre là.
– J’ai pas noté ?
– Oui, mais je veux une explication.
– Je suis sortie avec Ada et Théa pour aller fêter nouvel an en boîte, un type s’est brûlé en me touchant et ce type est venu pour me parler.
J’avais débité le tout d’une voix monotone, pas vraiment certaine de ce qu’il voulait savoir.
– Que voulait le type qui s’est brûlé ?
– Me faire une bise pour nouvel an.
Ne pas faire de longue phrase, être précise pour pouvoir retourner mourir au fond de mon lit le plus vite possible.
– Et lui ? Demanda-t-il en me montrant la carte.
– Prendre de tes nouvelles et comprendre ce que je faisais avec elles.
– Avec qui ?
– Ben, avec qui ? Ada et Théa qui d’autre ?
Pour sortir avec quelqu’un d’autre, il faudrait déjà que ces deux-là me lâchent un peu ou soient mortes, personne n’oserait m’inviter tant qu’elles étaient aussi présentes.
– Qu’as-tu répondu ?
– Rien, c’est Théa et Ada qui ont parlé. Au fait, pourquoi l’autre type s’est brûlé ? Je n’ai pas eu de réponse.
– Il n’avait pas à te toucher. Elles ont dit quoi exactement ?
– Que j’étais bizarre.
En résumé, c’est bien ce qu’elles avaient dit, non ?
– Elles ont dit quoi ?
Il était furieux, enfin ce n’était plus la même colère. Il me fixait outré alors que celle qui aurait dû se vexer, c’était moi.
– Elles ont dit qu’avec moi les choses ne s’expliquaient pas. C’est comme ça qu’elles l’ont formulé.
Il s’assit en face de moi. Il était plus calme et opinait de la tête.
– C’est une bonne manière de le dire, c’est juste.
– Je sais que mon amitié avec une ondine est particulière, mais je ne vois pas en quoi les autres sont concernés, pas par mon amitié, mais en quoi je suis différente pour les autres. Soupirais-je.
Il se mit à me caresser la joue, sans rien répondre, encore. Il posa la carte sur la table.
– Et lui, il a dit quoi ?
– Il m’a dit de te dire qu’il passerait te voir et qu’il était heureux pour toi, mais il n’a pas dit pourquoi.
– Pourrais-tu l’appeler pour moi ?
– Pour lui dire quoi ?
– Pour me le passer au téléphone, je n’en ai pas, je te rappelle.
Voilà encore une bataille qu’il me faudrait mener, voiture, téléphone, ordinateur étaient pour lui des objets dont il ne voulait pas et que surtout il ne comprenait pas. De mon point de vue, le pratique de tout ça était bien plus important que son refus. Il allait apprendre à s’en servir, parole de Sophie.
– Maintenant ?
– C’est un des miens, il ne dort pas encore.
Oh surprise, je ne l’aurai jamais deviné. Prends-moi pour plus cruche que je ne le suis et tu verras combien tu vas me le payer. Je plissais les yeux, piquée au vif.
– Ne fais pas cette tête, je ne me moquais pas, appelle-le !
– Oui, chef, à vos ordres chef !
Il grogna, une sale gamine entre ses dents alors que je composais le numéro. Je n’attendis pas que l’autre réponde, je lui filais l’appareil en mode haut-parleur dans les mains et lui dit :
– Je vous laisse entre adulte et la sale gamine va se coucher.
Je le plantais là pour retourner tout oublier au fond de mon lit pendant environ dix minutes. Il avait appuyé sur il ne savait pas quoi et avait coupé le micro. Vingt minutes plus tard, il coupa l’appelle sans le vouloir et ne savait pas comment rappeler. Au troisième réveil, je le haïssais et j’avais la preuve qu’il était urgent de lui acheter un téléphone. Je dormais le nez à moitié dans une tasse de café quand, enfin, la conversation se termina. Pour ma défense, il était six heures du matin, j’avais une nuit blanche derrière moi, je n’avais rien compris de ce qu’ils disaient et aucun café au monde aurait pu lutter contre ma fatigue.
C’est une main toute douce qui se posant sur ma joue me réveilla. Je râlais un laisse-moi dormir, puis je fus transportée dans mon lit où un baiser sur le front plus tard, je me retrouvais seule et où je ne dormis plus, normal. Ma petite voix passait en revue la soirée et la nuit, elle voulait absolument me montrer qu’il s’était passé quelque chose d’important. Heureusement, la dose de cocktail et de champagne avalé eu raison d’elle. Je pouvais enfin dormir et ne penser à rien, puisque de toute manière, je n’aurais aucune réponse à mes questionnements.
Les fêtes disparurent dans le lointain et au cours du mois de février, les repas entre filles reprirent,. Francis et monsieur Andersen s’étaient tout naturellement invités, nous avions déplacés nos repas, du mercredi midi au mardi soir ce qui nous permettait de profiter de plus de temps. Livius faisait des apparitions, mais ne comprenait pas ce rituel.
Au cours du printemps, Suzanne et Judicaël vinrent par moments grossirent les rangs. Mona, vous vous souvenez ? Mais, si, la patronne de l’hôtel, invitée par Théa fini par s’incruster. Non, c’est pas gentil, elle est adorable, elle avait trouvé l’ambiance tellement sympa qu’elle nous rejoint avec plaisir. Les soirées du mardi soir, choisi je l’avoue pour mon amour d’Agatha Christie, cherchez, vous comprendrez, étaient pleines de rires. Je savais que j’étais de loin la plus jeune et que mes invités étaient tous, différents, dirons-nous, mais l’ambiance générale était à la plaisanterie. Nous riions beaucoup, mangions trop et sous le contrôle de tout le monde, je buvais peu, sans commentaire.
Alors que j’écoutais Francis se plaindre de sa tante, on frappa à la porte et j’y découvris Monsieur Geraldo Conti, Conti pour les amis, m’avait-il, précisé. Invité par Livius à passer, mais pas prévenu de l’assemblée disparate qui traînait par là le mardi. Je l’entendis murmurer alors qu’il saluait mes invités.
– Ondine, loups, sorcier, fée et humaine, rassemblés au même endroit et passant la soirée ensemble.
– Et vampire, faut pas l’oublier, un ici, fis-je en le désignant, un là-bas, fis-je en montrant Livius qui pointait son nez.
– Et vampire opina-t-il, un sacré mélange que vous avez là.
– Mes amis, lui affirmais-je.
– Encore plus surprenant. M’avoua-t-il. Il faut vraiment que vous trouviez le temps de m’expliquer comment tout cela est arrivé.
Oui, alors on allait vite être à court de mots puisque je n’en savais fichtrement rien. Sauvée de cet étrange intérêt par l’autre vampire, je poussais tout le monde au salon pour boire le café, jus de chaussette pour les six petites natures, vrai café pour deux d’entre nous et verre de sang pour les deux derniers. Je finissais doucement par m’y faire, du moins je n’avais plus de haut le cœur en le voyant boire et depuis que j’avais vu arriver des poches de sang étiquetées dans le deuxième frigo, je n’imaginais plus qu’il avait égorgé un pauvre écureuil ou avait prélevé sur un humain inconscient sa dose quotidienne, mais je préférais et de loin quand il le buvait dans un bol et que je ne voyais pas la couleur qui ne pouvait pas passer pour du vin rouge.
Judicaël mit la main sur un digestif, en proposa à tout le monde, sauf à moi, bien sûr, me prouvant que non, le comique à répétition n’est pas drôle, mais alors pas du tout, vous pouvez me croire. La soirée s’étirait et je voyais bien le regard de Conti passer des uns aux autres sans cesse, intrigué. C’est quand il ne restai plus que Théa qu’il posa la question qui lui brûlait les lèvres.
– Mais comment est-il possible que tous ces clans se supportent ?
– L’effet Sophie ! Annonça en riant Théa, je l’avais dit, c’est inexplicable, mais c’est comme ça.
– C’est quoi le problème des clans ? Lançais-je.
– J’ai rarement autant de clans représentés au même endroit pour juste passer du bon temps. La dernière fois que j’avais vu une fée tolérer un sorcier remonte loin.
– Mona est présente chaque fois, elle adore nos soirées. Et j’aime beaucoup Mona
– Durant les guerres, les sorciers ont tué plus de fées que tout autre clan, une idiote rumeur qui faisait du sang de fées un puissant ingrédient pour les contres-sorts
Ok, stop on rembobine, il faut reconnaître qu’avec tout ce que j’avais à vous dire j’avais omis de vous parler de ce que pensent mes amis des représentations humaines de leurs espèces. Alors comment dire, je ne vais pas m’étaler sur ce que Théa pense de Paracelse pour elle, il avait de sérieux problèmes avec les femmes, probablement impuissant ou avec une ex dont il n’avait pas que de bons souvenirs et dont il s’était vengé, puisqu’il avait représenté son espèce en blonde fadasse passant le temps à se coiffer et les fées en petites choses toutes fragiles, les sirènes belles mais avec une queue de poisson et enfin vous voyez ce que je veux dire. Je ne dirais pas non plus tous les adjectifs qu’elle utilisa pour décrire sa pensée, mais vous en avez une idée.
Pour les autres, les descriptions n’étaient pas non plus très juste, mais au moins un peu moins éloigné de la réalité. Quant aux loups, ils se fichaient de la représentation qu’on pouvait faire d’eux, un loup reste un loup dans toutes les descriptions, des brutes épaisses soumis à la loi de la meute, pas totalement vrai, mais pas faux.
Revenons à ce qui m’intriguait à ce moment-là, il avait bien parlé de guerres ? Conti vu mon étonnement.
– Chère mademoiselle, je crois qu’il vous reste beaucoup à découvrir.
Puis se tournant vers Livius.
– Quant à toi mon ami, tu as bien plus à me raconter que tu ne me l’avais laissé croire, je suis mort de curiosité !
Que dire, j’étais ravie d’entendre quelqu’un d’autre que moi poser des questions et cerise sur le gâteau, Conti ne lâchera rien, j’en étais sûre. Je m’installais confortablement dans le canapé à côté de Théa et fixais papounet-vampire en attente de réponses, déjà prête à me délecter de la discussion à venir. Théa répondit avant Livius.
– On te l’a déjà dit, l’effet Sophie…
Mouais, Ok, ça ne voulait rien dire ça. Il se tourna vers elle.
– Développe !
– Je ne sais pas comment expliquer ni ce qui se passe réellement, mais juste que je n’ai pas envie de la tuer, que les loups ressentent le besoin de la protéger et que Mona l’a évité à son arrivée pour ne pas avoir à la charmer. Tu sais, les fées, elles nous protègent, mais Mona ne voulait pas que Sophie soit prise dans le charme, remarque même Andersen a refusé.
– Quoi ?
La question fusa au même instant de ma bouche et de celle des deux vampires.
– Oui, quand tu es arrivée, tu as logé à l’hôtel. Normalement, Mona aurait dû te charmer pour que tu ne restes pas ici. Tu voulais t’installer et c’est la procédure habituelle. Les nouveaux logent un temps à l’hôtel, Mona les charme et ceux qui sont humains ressentent le besoin de repartir et ne restent pas, mais le lendemain tu voulais toujours rester, donc Ada a pensé que tu devais être une sorcière, alors que non. Mona lui a avoué qu’elle n’avait pas pu se résoudre à te charmer, quelque chose l’en empêchait. L’effet Sophie !
Elle haussa les épaules comme si tout était dit.
– C’est pas normal, pas normal du tout, souffla papounet.
– Ça n’est jamais arrivé, compléta Conti.
– Et Andersen, demandais-je ?
– Oh lui, rien à voir, pouffa-t-elle, il a simplement dit qu’un peu de nouveauté était la bienvenue, mais je suis persuadée que c’était pour agacer les huit.
– Les huit ?
– Les chefs de clans, répondit Conti. Nous n’en avons pas parlé lors de nos dernières réunions !
Bon, donc ce type-là, était chef de clan, je notais. Je notais aussi qu’il y en avait sept autres.
– Normal, Mona n’avait pas envie de le dire et Andersen est son propre chef de clan, rigola Théa.
Conti grimaça et me fixa.
– J’aimerais vraiment savoir ce que vous êtes.
– Comment ça, ce que je suis ? Je suis une humaine tout ce qu’il y a de plus normal…
– Non, je ne pense pas que vous soyez si normal que ça, pas de sorcière dans votre lignée ? Des mages ? Ou d’autres non-humains ?
– Des curés et des nonnes, ça compte ? raillais-je.
Là, je dois dire que leurs têtes à tous les trois étaient fabuleuses.
– Famille catholique à fond, je l’ai déjà dit non ?
– Oui, souffla Livius, beaucoup de prêtres ?
– Pas mal, oui, et à chaque génération au moins une nonne. Ma tante Annette l’est et puis il y a un cousin de ma mère qui est moine, pourquoi ?
Ils grimacèrent les trois.
– On n’est pas vraiment copain, murmura Théa
J’éclatais de rire.
– Je ne suis pas croyante, tu te souviens, pour moi tout ça, ce sont des.
Je m’arrêtais net. Ok, j’allais dire des croyances imbéciles, mais si eux, vampires, ondines et tous les autres existaient alors se pouvait-il que ? Je secouais fermement la tête, non cette question-là, j’y avais répondu il y a des années, au grand dam de ma famille, d’ailleurs.
– Je ne suis pas croyante, reprenais-je. J’ai grandi entourée de la foi des membres de ma famille, mais petit à petit je me suis détachée de tout ça. Je trouvais étrange qu’un être que l’on dit parfait, enfin bref, j’ai cessé de croire petit à petit et je m’en porte bien.
– Amusant, donc vous n’êtes pas une des nôtres. Reste que le comportement de vos amis est un peu étrange.
Je haussais les épaules.
– Pour moi, depuis mon arrivée tout est étrange, contente de voir que je ne suis pas la seule.
Il me bombarda de questions et râlait de mes non-réponses. Pour lui il y avait quelque chose chez moi qu’il se devait de découvrir. Je laissais faire en répondant au mieux. Théa et Livius se marraient en douce en l’écoutant s’énerver de ma si grande normalité. Humaine, j’étais, humaine, je restais. Au bout d’un moment, ne trouvant plus rien à me demander, il fixa Livius et dit :
– Je suis sûr que ton humaine cache quelque chose. Il n’y a rien qui puisse expliquer que tous la respectent et qu’elle soit si calme devant nous, regarde-la. Les humains sentent instinctivement que nous sommes des prédateurs et elle, elle fonce dans le tas sans problème.
– Elle n’a pas vraiment le sens de l’auto-préservation, fit Livius avec un clin d’œil dans ma direction. Elle a plutôt tendance à se mettre dans la situation inverse.
– J’avais cru comprendre, venir dans la région, déjà, c’est risqué, mais dans cette ville et dans cette maison. Vouloir absolument y venir sans rien sentir même au bout de plusieurs mois, c’est évident que son radar à danger n’est pas des meilleurs.
– Quant à se baigner avec une ondine…
Les yeux de Livius se levèrent au plafond alors qu’il disait ça, ceux de Conti lui sortirent de la tête puis se fixèrent sur moi.
– C’est peut-être ça finalement, murmura Conti, sa confiance.
Il se frottait le menton et nous regardait tour à tour.
– Tu penses que c’est la confiance qu’elle a pour nous qui fait qu’elle ne risque rien ? Peut-être pour les autres, mais ça ne marche pas pour les miens. Nous jouons avec la confiance des humains, ça ne changerait rien.
Théa fronçait les sourcils si fort en disant ça qu’on ne voyait presque plus ses yeux et avait l’air perdue dans ses souvenirs.
– Alors, je ne vois pas, conclus Conti.
Livius lui mit une énorme tape dans le dos en riant.
– Fais avec, comme nous ! Mesdemoiselles, il est temps d’aller dormir pour vous et de discuter pour nous.
Théa releva la tête surprise et marmonna un mais bien sûr vieux chnoque en le fixant d’un air mauvais. Je me reteins de rire alors qu’elle se levait et filait en direction des chambres en lançant :
– Tout est une question d’état d’esprit vieux débris. Viens Sophie, laissons donc les vieux discuter ensemble, nous avons mieux à faire qu’écouter les souvenirs poussiéreux de ces deux vieillards décrépits.
Je la suivis en rigolant devant l’air outré de Conti. Oui, nous avions mieux à faire, j’avais un million de questions sur ce type à poser à Théa. Une fois enfermées dans ma chambre, je regardais Théa qui me fit un oui de la tête et commença à me raconter.
En résumé, Conti, vampire de son état, cadet de Livius, avait pris la tête du clan à la disparition de celui-ci. Il aimait le luxe, les femmes, bref, c’était un condensé de clichés à lui tout seul. Ils étaient amis de longue date, mais concurrant de presque aussi longtemps. Il avait été l’amant de Théa, une folie passagère, m’assura-t-elle, ce qui expliquait les gloussements de nouvel an. Il était l’un des derniers vampires d’origine européenne, ce qui le plaçait d’office dans les plus vieux, jeune continent oblige, de Mésopotamie, il aimait à le préciser. Vieux, très vieux et fier de l’être. Mais, quel âge avait donc mon papounet-vampire ?
Conti était un tel ramassis de clichés qu’à force d’entendre les histoires que Théa avait sur lui, j’étais morte de rire. Il aurait pu sans souci prendre la place de Dracula dans un film. Je fis la remarque et fus prise d’une crise de fous-rires infernal quand Théa, levant un sourcil me souffla d’un air machiavélique :
– Et pourquoi penses-tu qu’il a choisi Conti comme nom de famille ? le Conti-Dracula…
J’en pleurais de rire et les mimiques de mon amie n’arrangeaient rien alors que je tentais de toutes mes forces de me calmer. Elle s’était drapée dans mon couvre-lit, avait sorti ses dents et battait de l’air comme une chauve-souris. Elle murmurait d’un ton lugubre.
– Ton sang, je veux ton sang, au moment où la porte s’ouvrit sur deux vampires incrédules et fâchés. Ou vexés ?
Ce fut trop pour moi, la crise de fou-rire me reprit, incontrôlable, j’en avais mal au ventre, aux joues, partout, mes larmes coulaient et j’étais pliée en deux. Impossible de me calmer, dès que je levais les yeux, je voyais les deux vieux tirer une tête de dix pieds de long et si je ne les regardais pas, je voyais l’air faussement navré de Théa.
Livius finit par secouer la tête et faire signe à Conti-Dracula de nous laisser. Théa vint alors me prendre dans ses bras en me frottant le dos puis une fois sûr qu’ils étaient repartis, elle me souffla :
– En plus, cette espèce a une haute opinion d’elle-même et pas le moindre humour. Tous de vieux cons.
Elle me fit un clin d’œil et me laissa seule pour reprendre mes esprits. C’est un bon moment plus tard que je me couchais, le sourire toujours aux lèvres. Je ne dormais toujours pas quand j’entendis ma porte s’ouvrit doucement. Livius était là et dans un murmure, me demandait si je dormais. Je fis non de la tête et il vint doucement s’asseoir sur le lit. Il me fixait avec un petit sourire et finit par me dire :
– Vous êtes deux pestes.
Je fis oui de la tête.
– Je ne sais pas ce qu’elle a pu te dire avant cette interprétation hasardeuse, mais je tenais à te prévenir que je n’ai pas pu refuser de reprendre la tête de mon clan. La hiérarchie chez les vampires est assez strict. Cependant, ça ne changera pas grand-chose, Conti va continuer de s’occuper des affaires courantes et sa maison restera notre lieu de réunion, tu ne seras pas envahie. Propose à Théa et Adeline de s’installer ici, pour quelque temps du moins, je me sentirais plus tranquille ! La nouvelle de mon retour risque de provoquer des remous et te savoir seule la nuit, n’est pas pour me plaire.
– Théa vit déjà à moitié ici et Ada a du boulot. Fis-je en haussant les épaules.
– Oui, mais faire savoir que les loups ont un pied-à-terre ici, ainsi que la présence de ta Théa éviteront bien des soucis. La réputation de Théa fait déjà bien son travail, mais le nombres de loups est un excellent argument pour calmer les plus téméraires. Se faire chasser par une personne ou plusieurs centaines change la donne.
Là, j’étais inquiète.
– Je risque quelques choses ?
Il prit ma joue dans sa main et du pouce me caressa la tempe.
– Si fragile, murmura-t-il, et pourtant…
Ouais, bon, il me passait de la pommade pour me faire avaler son histoire de clan. Solide moi ? À d’autres, je soupirais.
– C’est la merde à ce point-là ?
– Pas vraiment, c’est juste que je ne fais pas confiance à certains membres de mon clan, j’ai appris à me méfier et mon retour n’arrange pas tout le monde. Je préfère être prudent.
– Je demanderai à Ada, je ne vois pas pourquoi elle dirait non.
Le silence se fit, il promenait toujours son pouce sur ma tempe, mais son regard était figé sur le hibou qui pendait autour de mon cou. Il finit par le prendre dans ses doigts et joua avec un moment.
– Si tu ne me l’avais pas offert, personne ne saurait que tu es revenu, soufflais-je
Il eut un sourire triste.
– Si je ne te l’avais pas offert, j’aurais déjà dû tuer la moitié des vampires de la ville.
J’ouvris les yeux comme des soucoupes.
– Hein ?
Il se pencha vers moi, posa un bref instant ses lèvres sur mon cou puis se relevant il dit :
– Les vampires aiment le sang neuf, tu es nouvelle et ton sang a une odeur particulièrement agréable, comme une étiquette qui dit “produit fermier, bio, élevage de qualité”. Les jeunes vampires arrivent à peine à résister à ce genre de publicité. A vrai dire, même moi parfois.
Il eut un petit rire et disparut.
Ben voyons, me voilà reléguée à poulet fermier, sympa, merci ! Sauf que l’idée d’être tentante ne me convenait pas, mais alors pas du tout, impossible de dormir après une telle révélation, en soupirant, je me glissais vers la chambre de Théa, frappais un petit coup et entrouvris la porte.
– Théa, je peux dormir avec toi ?
– Qu’est-ce qui t’arrive ?
Je lui expliquais en deux mots, elle se bidonna en me lançant :
– Pas trop tôt, tu ne te rends pas compte le nombre de fois où on est intervenu avec Ada.
Elle tapota son lit pour m’y inviter. Je m’y glissais en lui disant merci, merci pour m’avoir protégée, merci de me laisser être l’andouille que je suis et merci pour m’avoir fait un peu de place dans son lit.
– Allez ne te prends pas la tête, avec nous, tu ne risques rien et puis un vampire, c’est facile à éliminer et l’avantage, c’est qu’il n’y a pas de cadavre à dissimuler.
– Tu en as déjà tué à cause de moi ?
Là, je me sentais mal.
– J’aurais bien aimé, mais Ada a préféré leur faire comprendre ce qu’ils risquaient en te tournant autour. Il paraît que prévenir c’est courant, mais je trouve que ça prend trop de temps. En tuer quelques-uns pour l’exemple, c’est plus ma manière de faire, tu vois. Après quelques morts, plus besoin de signaler qu’il est dangereux de t’approcher.
C’était plus clair, mais pas vraiment à mon goût.
– Et puis continua-t-elle, après David, ils ont été nettement moins nombreux à te penser fragile et sans défense.
– Franchement, plus j’en apprends, plus je me sens fragile et sans défense. Vous avez dû me prendre pour une sacrée idiote. J’ai rien vu, rien compris. Et, sans toi et Ada…
Je frissonnais à l’idée de tout ce qui aurait pu m’arriver. Elle rigolait franchement à côté de moi, un rire clair et contagieux. Je me mis à rire aussi, un peu de ma stupidité, un peu de soulagement, beaucoup de reconnaissance envers mes amies.
– Tu n’as jamais été sans défense, Ada y a veillé. Elle ne te l’a jamais dit ? S’étonna-t-elle en voyant ma tête. Pourquoi penses-tu qu’elle t’ait présenté à Suzanne ? C’est la femme de son chef de clan, si elle t’aimait bien, Ada était convaincue qu’elle obligerait son mari à te protéger. Tu es sous la protection des loups presque depuis ton arrivée. Il en rôde toutes les nuits autour de ta maison.
Où comment se sentir encore plus conne !
– Tu as quoi d’autre à m’avouer ?
– Je n’avoue rien, j’explique ! Donc Suzanne ayant apprécié ta nature, continua-t-elle en se fichant clairement de moi, les loups t’ont protégé de loin et Livius a rencontré Judicaël pour lui signaler que tu étais aussi sous sa protection. Judicaël n’a rien dit à Ada, mais il lui a interdit de tourner toutes les nuits autour de la maison. Tu la connais, elle aurait préféré ne plus travailler que de te laisser seule.
– Livius est passé voir Judicaël ?
– Oui, quelques jours après les travaux du toit. Je pense qu’il devait se dire que son odeur avait été repérée et qu’on se douterait qu’il y avait vampire sous roche. C’est à cause de cette protection que je ne te connaissais pas, grinça-t-elle d’un coup, énervée. On a tous pensé que tu étais la compagne humaine d’un loup, venue ici pour se cacher. La plupart des clans n’aiment pas la mixité alors personne n’a vraiment cherché à te connaître. Heureusement que tu es passée à la boutique, on aurait loupé plein de choses.
– Tu m’as arnaquée alors que tu savais que j’habitais ici ?
– Pour moi, tu étais avec les loups. Elle haussa les épaules. Et, ils ne m’aiment pas trop.
– J’avais remarqué, dis-je en riant. La tête de Suzanne quand elle t’a vu, se passait de mots.
– Finalement je t’ai trouvée sympa et en me renseignant, j’ai appris que tu n’appartenais pas aux loups. J’ai été curieuse de comprendre pourquoi ils te protégeaient alors je suis venue te livrer. La suite, tu la connais.
Oui, la suite, je la connaissais, une improbable amitié avec une tueuse, un peu psychopathe et la protection absolue de sa part pour le reste de ma vie.
– C’est pas un peu vieux jeu, cette histoire d’appartenance ?
– Oui, mais quand on sait l’âge de certains d’entre nous, on comprend que l’évolution a eu de la peine à à passer par eux. Les anciennes traditions sont bien implantées. Ils restent bien ancrés dans leurs habitudes.
Ses yeux pétillaient de rires et en repensant aux deux vampires du coin, le fou-rire me reprit.
– Avec ces deux là, on a dû s’arrêter à l’âge des cavernes !
Et, l’un des deux n’avait-il pas sous-entendu qu’il avait parfois envie de me mordre, à vrai dire, lui aussi ? Mon rire cessa net et je chassais ce souvenir de ma tête, Théa ne le laisserait pas faire, j’en étais persuadée.
L’avantage de dormir auprès d’une tueuse qui vous protégera quoi qu’il arrive et contre tout, était que les cauchemars restaient à distance. Je mis un moment à me souvenir d’où j’étais et de pourquoi puis l’odeur de café frais me tira hors de la chambre de Théa.
Ada était à la cuisine, tentant d’expliquer comment faire de vraies crêpes à une Théa pas convaincue. Le spectacle était incroyable, si on prenait en compte la montagne de valises échouées près de la porte, montagne qui semblait dire, je m’installe pour des semaines et pas moins.
– C’est quoi tout ça ?
– Mes affaires pour quelques jours, on m’a prévenue que tu aurais besoin de ma présence pour un moment.
– Tu comptes vivre ici six mois ? Et, qui t’as prévenue ?
– Livius et non pas six mois, c’est juste de quoi tenir une semaine ou deux.
– Les loups abîment beaucoup leur vêtements, tu verras pourquoi un jour. Livius craignait que tu ne demandes pas à Ada de venir.
Voilà que pouvais-je répondre, merci de me traiter en gamine stupide et incapable, ce que j’étais à leurs yeux me semblait-il et je dois l’avouer un peu aux miens depuis quelques jours.
– Il est prêt le café ? Fut tout ce que je demandais.
Chapitre 15
La vie suivit son cours. La seule exception, pour laquelle je m’étais battue, a ma surveillance rapprochée, était de pouvoir prendre ma voiture toute seule. Il y avait une raison à ça, Ada avait toujours des déplacements et Théa était un vrai danger au volant. Non, je n’exagère pas ! Elle roulait comme elle vivait, à toute vitesse.
Les semaines passèrent sans que rien, du moins rien de mon point de vue, ne se passe. Nos soirées marathon de série passèrent de Fringe à Code Quantum, prêté par un ami de Francis, puis de Z Nation à Sanctuary.
Théa craquait invariablement pour le gentil de l’histoire, Ada pour le musclé et moi pour le torturé. Nos différences de goût nous entraînaient dans de longues discussions philosophiques, le tien est moche, le mien est mieux, très profonde comme réflexion, de vraies gamines. Puis vinrent les Sherlock ! Si Ada ne jurait que par l’interprétation de Robert Downey Jr., mon cœur craquait pour Benedict Cumberbatch et Théa, enfin le côté ultra féministe de Théa, avait trouvé en Jonny Lee Miller un Sherlock passable, mais en Lucy Liu, une Watson incroyable. Notre amitié faillit ne pas s’en remettre alors qu’avec Ada nous avions osé dire qu’un Watson devait avoir une moustache. Remarque à peine faite que la guerre éclata dans mon salon !
Les coussins volaient bas et les cris de sioux de Théa nous perçaient les tympans pendant qu’Ada et moi sautions de tous les côtés pour éviter les coussins. Trois furies en training se coursant en riant à travers la moitié de la maison furent stoppées net par l’intrusion d’un inconnu.
Il nous fixait d’un air ébahi, debout à l’entrée de la cuisine. En deux secondes, ma belle brune disparut remplacée par un loup brun qui dépassait ma taille, les babines retroussées et le grognement qu’elle émettait vibraient jusque dans mon ventre. Quant à Théa, elle flottait à plusieurs centimètres du sol comme si un vent ne soufflait que pour elle et ses yeux émettaient une lueur de danger. Elle chantonnait, c’était un son bas et franchement désagréable. Je restais un long moment bloquée à les regarder. Je ne les avais jamais vues ainsi et la puissance qui émanait d’elles était palpable et me coupait presque le souffle. Elles étaient incroyables et je voyais en cet instant ce que je n’avais fait qu’entre apercevoir dans leurs paroles. Elles étaient dangereuses. Elles étaient puissantes et même si je n’avais pas vraiment de point de comparaison et que je ne me fiais qu’à ce que j’avais entendu, je les voyais presque invincibles et totalement flippantes.
L’intrus, un jeune homme blond, recula en mettant les mains devant lui et bredouilla qu’il venait voir son tribun.
– Votre quoi ?
Il ne m’entendit pas entre les grognements et cette horrible et flippante chanson.
– Ça suffit les filles, dit Livius d’une voix sèche.
Ada plantée devant moi, continuait à fixer l’inconnu toujours sous sa forme de loup. Théa remit pied à terre et me dit d’une voix plus grave que d’ordinaire :
– Tribun est le titre des chefs vampires, des vieux vampires.
– Merci.
Livius vient vers moi, passant à côté de la louve en lui disant de se calmer. Il me prit dans ses bras, posa un léger baiser sur mes lèvres et en se reculant dit :
– Je reviens vite ma chère, je vous laisse sous bonne garde. Et, se tournant vers l’homme qui était de plus en plus ébahi. Je vous avais dit de m’attendre dehors. Vous avez de la chance qu’elles soient de bonne humeur. La prochaine fois, elles n’attendront pas pour attaquer.
Ils nous plantèrent là. Je regardais Théa qui se gondolait en face de moi alors qu’Ada redevenait une belle brune à poil sans poils. Elle aussi trouvait la situation marrante, moi moins.
– Il s’est passé quoi là ?
– De la stratégie, gloussa Théa. Un coup de maître.
Bon, Ok, d’accord, on se foutait de moi et je ne comprenais rien au jeu de stratégie qui venait de me tomber dessus.
– Explique !
– Tu n’as vraiment pas compris ? En t’embrassant, il te désigne comme sa compagne à l’autre abruti qui va faire sa commère comme tout bon vampire et le dire à tout le monde. En l’ayant fait venir ici, il a fait en sorte que son pion nous voie en position d’attaque pour te défendre, et ainsi faire comprendre à tout le monde que tu n’es pas seule lorsqu’il est absent et qu’il faudrait être dingue pour s’attaquer à toi puisque tes gardes du corps sont assez connues pour être dissuasives. Il faudrait être fou pour s’attaquer à moi. Au fait Ada, je ne savais pas que tu étais une louve rouge, je pensais que ton espèce avait disparu.
– Il ne reste que mon oncle et moi, fit-elle les lèvres pincées.
– Au moins c’est encore plus dissuasif que les gris ou les noirs, s’il avait pu, il aurait fait dans son pantalon le pauvre pion.
Bon, petit récapitulatif m’a fait ma petite voix, papounet-vampire, inquiet de la nouvelle situation avait fait déménager Ada et Théa pour que tu ne sois jamais seule, De plus, il fait en sorte que son clan te prenne pour quelqu’un d’important à ses yeux et avec une protection rapprochée, Je voulais bien comprendre. Il avait paré à toutes les éventualités. Je n’aimais ni l’idée ni la façon. Le seul point agréable était la présence des deux cinglées. Au fait, elle avait dit quoi sur Ada ? Une louve rouge ?
– Ada, je sais que tu n’aimes pas trop qu’on se mêle de tes affaires, mais, une louve rouge est si différente des autres ?
Son regard se voila, elle soupira et alors que j’étais certaine qu’elle ne me répondrait pas, elle dit :
– Il existe quatre races de loup, les noirs sont les plus courants ici, ils sont originaires de ce continent. Les gris sont les plus nombreux, Asie, Russie, Europe, leurs territoires sont très variés. Les blancs restent concentrés dans les pays nordiques. Les roux ou rouges sont eux originaire d’Afrique du Nord, mais ont été assimilé au gris. Il n’existe plus de lignée pure. Mon oncle et moi sommes déjà des métisses, mais nous avons gardé les caractéristiques des roux, les autres les ont perdus. Lors de la dernière guerre, nos clans ont refusé de prendre part au conflit. Nous avons été massacrés en représailles.
Et, elle se tut.
– Elle date de quand cette dernière guerre ?
– De quand date la dernière des humains ?
Surprise, je répondis :
– Il y en a toujours une en cours.
Elle ferma les yeux, se frotta la nuque. J’attendais sans rien dire, mais elle ne semblait pas décidée à me répondre.
– Les loups aiment la guerre, enfin la grande majorité. Il y a sûrement des loups dans vos conflits en cours et certains ont dû les favoriser. Notre dernière guerre de clan date de votre dernière guerre mondiale. Des accords ont été signés peu après, trop de perte, vos armes ont évolué plus vite que nous. Elles ont fait suffisamment de mort pour que nos clans décident de ne plus prendre parti dans les conflits humains.
Théa avait répondu d’un ton monocorde en regardant par terre. Ada regardait au-dehors et moi, je me sentais mal à l’aise, s’ensuivit une longue, longue discussion sur les faits de guerre, les clans, les amis perdus et les raisons d’une telle boucherie. Je n’écoutais pas, je les regardais tour à tour et je m’étonnais de les voir parler sans passion d’événements aussi terribles. En fait, pas sans passion, mais avec du recul et un respect tangible. C’est lorsque Ada dit qu’avoir été bannie était moins terrible que ce à quoi elle s’attendait, que je tiquais.
– Bannie ?
Le mot sorti comme un cri. Elles me regardèrent, soupirèrent et dire en chœur
– Oui, tu pensais qu’on était là pourquoi ?
Parce que le coin était sympa, la ville jolie, le calme de la nature apaisant, il y avait, de mon point de vue, une dizaine de bonnes raisons. Elles ont dû voir que je ne percutais pas, normal. Théa se mit à rire.
– Tu crois que tu es où ?
Dans le trou du cul du monde, faillis-je répondre, mais à leurs têtes, il y avait encore quelque chose que j’avais loupé. Je soupirais.
– Je n’en sais rien à première vue.
– La ville des bannis, joli petit coin dans les montagnes placé sous la surveillance de José, géant de son état, où ont été casé les indésirables de chaque clan.
– Les indésirables ?
– Les meilleurs soldats si tu préfères. Ceux que les autres clans ne voulaient pas voir circuler librement, ceux dont on préférait ne pas se souvenir, ceux qui dans l’histoire ont tout perdu parce qu’ils ont fait ce qu’on attendait d’eux. Ceux qui furent sacrifiés dans les jeux politiques pour, soi-disant, promettre la paix. On s’est débarrassé de nous. On nous a écarté du reste du monde. On nous a volé nos vies. On nous a parqué dans cette région, zou, fini plus de problème.
La colère contenue dans ses paroles me fit l’effet d’un coup à l’estomac. Je les fixais, incrédule. Oh, je savais bien qu’elles n’étaient pas de gentilles petites dames, je l’avais bien compris, mais je n’avais jamais pensé aux raisons de leur présence ici. Avant même que je puisse en demander plus, Ada changea complètement de discussion.
– Je maintiens toujours que Robert Downey Jr. est le meilleur Sherlock Holmes !
– Peut-être, mais au moins Lucy Liu est badasse en Watson, faut prendre en compte les caractères secondaire et pas que le grand détective !
J’intervenais pour calmer la longue discussion qui pointait son nez.
– Je suis d’accord que mettre plus de femme dans l’histoire est sympa, mais si on se tient aux livres alors Elementary s’en éloigne beaucoup.
– Faut les mettre aux goûts du jour, c’est tout, s’obstina Théa.
– Alors dans ce cas-là, l’adaptation avec Benedict Cumberbatch est la meilleure. D’ailleurs la série garde le nom de Sherlock Holmes.
– Et les femmes dedans sont des cruches aussi ?
La féministe de la première heure en Théa fulminait. Une seule solution s’imposait.
– Ada file enfiler quelque chose, on va avoir une longue nuit devant nous.
Elles me regardèrent intriguer. Je filais à ma bibliothèque et en sorti un DVD de la première saison d’Elementary, un du Sherlock de la BBC et un avec Robert Downey Jr et leur montra.
– Reste plus qu’à tout regarder pour savoir si les femmes sont cruches et les Sherlock et Watson trop machos. Qui me suit ?
Elles ont filé comme le vent, Ada en direction de sa chambre enfiler une tenue décente, Théa en direction de la cuisine en hurlant qu’elle s’occupait du pop-corn, pendant que je remettais les coussins du canapé en place. Parce que oui, il est beaucoup plus important de décider quelle version est la meilleure que de parler du passé trouble de mes amies, pas vrai ?
Au retour de Livius nous dormions toutes trois affalées sur le canapé, gavée de pop-corn et toujours pas d’accord sur le meilleur Sherlock. Je ne le vis pas rentrer, je ne le vis pas secouer la tête en souriant, pas plus que je ne vis la personne qui le suivait et qui disparut dans la cave avec lui. Non, je ne vis rien, mais Ada, oui. Elle nous secoua doucement puis le doigt posé sur ses lèvres, elle nous fit signe de la suivre à l’étage. Là, sans un mot elle prit un papier et nota ce et qui elle avait vu. Théa blêmit puis rougit de rage et avant que nous ne comprenions ses intentions, elle fila à la cave. Elle en claqua la porte si fort que le bruit résonna. Ada me prit par le bras pour m’empêcher de la suivre. Elle me poussa doucement sur le lit, s’y assit et me dit
– C’est une histoire à régler entre elles, il n’aurait pas dû amener Katherina ici alors que Théa était présente. Du moins pas sans la prévenir d’abord. Ne nous en mêlons pas, ça risque de faire des étincelles. Il faut espérer qu’il avait de bonnes raisons de la faire venir.
– Qui est Katherina ?
– Une Baba Yaga, une sorcière russe, précisa-t-elle devant mon regard vide. Elle vit encore plus loin de la ville que mon oncle. Ce sont des solitaires. Elle est arrivée avec le clan de Judicaël. Elle n’est pas méchante, mais Théa et elle, se sont battues pour la possession d’une source et Katherina n’a pas vraiment été correct. Une vieille histoire, ne t’inquiète pas même si Théa est un peu rancunière, ça devrait aller.
Mais au bout de trente minutes, j’étais convaincue que ça n’irait pas. Les bruits qui nous provenaient du sous-sol, donnaient l’impression que la maison allait s’écrouler. Je tenais encore cinq minutes et contre l’avis d’Ada, je filais en direction de la cave. Ma sadique petite voix me murmurait, cool comme ça tu vas pouvoir, enfin, refaire cette fichue cave, mais mon amitié pour Théa me disait de foncer m’assurer qu’elle allait bien.
Livius se tenait sur le canapé, calme, tranquille, l’air pas inquiet du tout. Ada me suivait de près et finit par me stopper avant que je ne puisse descendre.
– Laisse-les faire, me dit-elle, ne t’en mêle pas, viens, on va attendre avec lui !
Elle me tenait fermement et me fit tomber dans le canapé. Je fulminais. Mais pourquoi aucun d’eux ne réagissait aux hurlements et autres bruits sourds qu’on entendait. Je tentais de me relever, Livius me bloqua.
– Laisse-les s’expliquer, elles font toujours pareil. Elles vont se calmer. J’aurais dû le prévoir, mais je ne pensais pas vous trouver encore au salon.
– Si tu m’avais prévenue, j’aurais fait en sorte que nous n’y soyons plus avant que tu ne rentres, c’était jouer avec le feu de les mettre sous le même toit.
Il soupira en grimaçant.
– Je pensais que depuis le temps…
– Es-tu certain de bien connaître Théa ?
Ils éclatèrent de rire. Tout était normal. Tout allait bien. Rien de grave ne pourrait arriver. Je remontais mes genoux contre mon torse et y enfuis ma tête. Ils allaient tous me rendre dingue. Ada me passa la main dans le dos pour me réconforter. Elle me souffla.
– Théa n’est pas une petite chose fragile et Katherina n’est pas assez idiote pour la provoquer plus que nécessaire. Elles vont finir par se calmer. Ne t’inquiète pas.
En effet, les cris se firent moins perçants. Les murs cessèrent de trembler puis ce fut le silence.
Théa sortit de la cave, le menton relevé et les yeux encore étincelants. Elle était fière. Une femme qui semblait terriblement âgée complètement détrempée et encore plus contrariée, la suivait.
– Tu vois, me dit Ada, elles en ont fini.
Oui, j’avais remarqué le niveau sonore était revenu à la normale sauf que Théa ressemblait à un chat qui vient d’avaler un bol de crème et que l’autre ressemblait à la crémière qui se l’était fait piquer et le soupir qui émanait du seul mâle de la pièce m’intriguait. Je me tournais vers lui, mais il ne me regardait pas, il avait les yeux fermés et la bouche pincée, l’air vraiment contrarié. Théa se jeta sur le canapé entre lui et moi, le poussant sans ménagement.
– Alors j’attends, dit-elle.
Je me tournais vers elle en fronçant les sourcils.
– Tu attends quoi ?
– Que le vieux chnoque ici présent s’excuse et que l’autre là, se comporte en être civilisé enfin autant que possible, il ne faut pas rêver.
– Je n’ai pas à m’excuser d’inviter qui je veux chez moi.
– C’est pas chez toi ! C’est chez Sophie et elle tolère de te laisser le sous-sol. Mais franchement, si elle décide de te virer, je serais ravie de l’aider. Sait-on jamais, tu pourrais avoir un souci durant la journée, les accidents, ça arrive.
Elle l’avait coupé net et fait sa tirade d’une voix forte. Ok, bon, voilà qui m’étonnait, je pensais que ces deux-là s’aimaient bien. Je me tournais pour regarder la cause de tout ce bordel qui ne regardait personne, mais fixait le mur comme si sa vie en dépendait. Je me tournais vers Théa et Livius, lui les lèvres pincées, la fixait droit dans les yeux et elle me tournait le dos pour le regarder bien en face. Je me tournais vers Ada qui me fit un clin d’œil en haussant les épaules. Le silence s’éternisait et je faillis mourir d’une crise cardiaque quand la voix de la vieille femme s’éleva.
– Bonsoir mademoiselle, fit-elle, je suis Katherina, monsieur Conti m’a demandé de venir parler avec votre a…, votre, avec Livius. Je crains que Conti ait omis de préciser plusieurs choses comme la présence de. Elle tendit la main en direction de Théa. Il semble qu’il n’avait pas trouvé important de prévenir Livius non plus.
Elle était toujours raide comme un piquet, ne me regardait pas un instant et fixait tellement le mur que j’étais tentée de me retourner pour voir s’il était taché ou je ne sais quoi.
– Elle est venue à la demande de Conti pour s’assurer que nous n’étions pas sous la coupe d’une sorcière assez puissante pour cacher sa nature, soupira le vampire à côté de moi.
– Quoi ?
Fut tout ce que je pus dire. Moi ? Une sorcière ? Je devais avoir l’air complètement abruti, car il ricana.
– Conti est du genre prudent et voir réunis au même endroit plusieurs clans lui a semblé tellement anormal qu’il a cherché toutes les explications possibles.
Je me tournais vers Katherina qui fixait toujours obstinément le mur. Je tentais d’attirer son attention pour entendre sa version, mais elle m’ignorait.
– Elle a peur que tu la charmes si elle te regarde, grinça Théa, ça se dit puissant, mais c’est mort de peur devant la première humaine qui ne rentre pas dans le cadre. Elle a cherché partout des pentacles ou des marques de magie et comme elle n’a rien trouvé, elle s’est convaincue que tu agissais par l’esprit.
Je regardais Théa les yeux ronds et la bouche grande ouverte sur un oh qui ne voulait pas sortir.
Elle me rendit mon regard en haussant sourcils et épaules avec un sourire narquois. Je retrouvais ma voix.
– C’était ça votre dispute ?
– En partie, nous avions un vieux litige à régler d’abord puis, franchement, je n’allais pas la louper. Si Conti croit être le premier à s’être posé des questions sur toi, il se trompe. Je pense que la moitié des habitants ont fait des recherches pour comprendre. Tu penses que James t’a engagé sans contrôler ?
Non, je pensais qu’il avait juste besoin d’une vendeuse et que je faisais l’affaire à défaut de mieux. Je tombais de haut.
Vous dire mes sentiments à cet instant serait totalement impossible. J’oscillais entre fureur, déception, honte et peur. Je me sentais mal en résumé et un peu conne, beaucoup conne. Et, vous savez quoi ? Un petit coup s’imposait. Je me levais, me dirigeais vers le bar, prenais une bouteille et, grosse amélioration, un verre. Je filais vers la cuisine pour ne plus voir les quatre personnes qui étaient chez moi. Je posais le verre et la bouteille sur la table, me rendis dans la réserve en sortis de la glace vanille et je me préparais un petit frappé Bayles-vanille. Ben quoi ? Pas de honte à se remonter le moral d’une manière ou d’une autre.
Mon verre en main, une paille dedans, je retournais au salon où personne n’avait bougé ni parlé. Je me posais entre mes amies, balançais mes pieds sur la table basse et allumais la télévision tout en sirotant mon frappé.
TOUT EST NORMAL !
Je tombais après un zapping féroce sur le retour des tomates tueuses, parfait ! Je m’employais à ignorer totalement les autres personnes présentes dans la pièce. Non, je ne boudais pas. Non, je ne délirais pas. J’en avais juste marre.
Il fallait être clair, il y avait quatre statues dans mon salon dont trois qui me fixaient d’un air ahuri, bon l’autre regardait toujours le mur, rien à y redire. Moi, je regardais mon film et je les ignorais. Je sentais bien qu’ils réfléchissaient à mon comportement et n’y comprenaient rien. M’en fiche, à eux de nager un peu.
C’est Ada qui rompit le silence.
– C’est qui l’acteur ? Sa tête me dit quelque chose.
– George Clooney.
– Il est vachement jeune là, siffla Théa.
Le silence revient, je restais concentrée sur le film.
– Et c’est tout ? Vous ne réagissez pas plus ?
C’était une voix grave qui venait de s’élever dans le salon, je sursautais et me tournais vers la vieille femme qui avait arrêté d’admirer le mur pour poser les yeux sur moi. Je la regardais distraitement sans m’attarder puis sans rien dire, je retournais mon attention sur le film.
Ils étaient quatre à me fixer, je sentais leurs regards sur moi. Non, je ne dirais rien, je ne bougerai pas, je ne réagirai à rien. J’en avais marre. C’était tout simple, je voulais qu’on me fiche la paix. Pas envie d’être un pion dans le jeu politique de l’un ou un objet à surveiller pour d’autres, pas plus envie d’être une petite chose à protéger pour mes amies. J’étais en train de me poser, réellement, la question d’un retour en Europe, un retour à la normale et l’envie en ce moment était très forte. Je fixais l’écran en mâchouillant ma paille. Pour dire vrai, je cogitais comme une malade sur les événements et les révélations de ces derniers mois, me demandant combien il y en aura encore. Je pris une décision, enfin, ma petite voix m’en a soufflé une. Le livre d’Andersen, et si je le lisais enfin, lui qui dormait sur ma table de nuit. Je me levais, posais mon verre à la cuisine et sans regarder personne, je filais dans ma chambre saisir l’objet et quelques affaires de rechange. J’avais besoin d’un autre environnement et je trouvais la petite chambre à l’hôtel de plus en plus intéressante. Je redescendais presque en courant les escaliers et je chopais mon sac et mes clefs de voiture avant de lancer aux quatre ahuris dans mon salon.
– Amusez-vous bien, j’ai besoin de calme !
Et je les plantais là.
Chapitre 16
Je n’arrivais pas à l’hôtel. À peine sorti, je tombais sur une voiture qui venait de s’arrêter. Le conducteur ne m’était pas inconnu, monsieur Andersen me fixait intensément puis sembla comprendre la situation et ouvrit la portière côté passager.
– Monte ! J’ai l’impression que tu as besoin de calme et de réflexion et j’ai une chambre d’ami qui devrait faire l’affaire pour un moment de solitude. Si ça te dit. Je pensais arriver à temps pour éviter à Théa et Katherina de s’entre-tuer, mais la maison est toujours debout et je n’entends pas de cris, donc ça doit aller.
Je ne pris même pas la peine de réfléchir et je m’installais dans la voiture. Une fois arrivés chez lui, il m’amena dans une petite chambre mansardée au dernier étage de sa maison, au-dessus de la librairie et me demanda si j’avais besoin de quelque chose. Je lui fis non de la tête tout en regardant cette chambre dépouillée, un lit, une table, une chaise et rien, enfin si, une petite salle d’eau sur le côté. Il me fit un petit sourire, hocha de la tête et il me laissa seule.
Je restais là comme une conne puis m’allongeais sur le lit pour réfléchir, mais je m’endormis. Lorsque je me réveillais, le soleil était déjà haut dans le ciel, ne sachant pas trop quoi faire, je restais assise les yeux dans le vague et si un coup n’avait pas retentit contre la porte, je pense que je serais restée là, à regarder le vide pour le restant de ma vie.
Monsieur Andersen se tenait devant la porte un plateau dans les mains. Il me fit un petit sourire et dit :
– Tu peux rester ici le temps nécessaire, je pense que personne n’a besoin de savoir où tu es.
Je l’interrompai.
– Je n’ai pas besoin d’un protecteur de plus, là j’en ai mon compte.
Il partit d’un éclat de rire franc et joyeux.
– Non, non, tu m’as mal compris. Je ne vais pas me transformer en protecteur ou te garder enfermée. Dis-toi que je comprends mieux que tu ne le penses ta position. Ils sont parfois invivables avec leurs manières et ils oublient trop vite que leurs connaissances et leur âge, ne sont pas les nôtres.
– Pourtant, monsieur Andersen, vous n’êtes pas humain alors…
– Alors, je suis un mage et mon espérance de vie, bien que plus longue que celle d’un humain ne dépassera pas les deux cents ans, pas des millénaires comme Théa ou Livius, me sourit-il. Rien à voir !
Il me tendit le plateau rempli de mon petit déjeuner.
– Je sais que c’est beaucoup à avaler entre les mensonges, les non-dits et les oublis de tes amis. C’est dans leur nature et je trouve que tu prends les choses plutôt bien, tu restes étonnement calme. Un trait de caractère qui n’arrête pas de m’étonner. Profite de rester tranquille et de lire un peu ! Laisse-les s’inquiéter et se prendre la tête, c’est leur tour. Je pense que ça leur fera du bien d’être incapable de tout surveiller. Ils ont un peu trop pris l’habitude de te couver, ici ils ne te trouveront pas. Et, je m’appelle James.
Il me planta là sans un autre commentaire. Interloquée, je posais le plateau sur la petite table et me servit un café-jus de chaussette infecte, tout en repensant à ce qu’il venait de me dire en ne sachant pas trop quoi en faire. Je regardais un instant les œufs brouillés qui ne me disais rien et me recouchait pour me rendormir presque aussitôt.
Il me réveilla en rentrant, étonné de me trouver encore endormie. Je ne sais pas pourquoi, mais son air inquiet et attentif, l’expression de compréhension que je lisais dans ses yeux provoqua chez moi une réaction inattendue. Je me jetais dans ses bras et pleurais toutes les larmes de mon corps, il ne dit rien se contentant de me frotter le dos, tient ça devient une habitude pour les gens du coin. Après un temps infini, je me calmais, reniflais et levais les yeux vers l’individu qui ressemblait, de mon point de vue, le plus à un humain et lui soufflais.
– J’en ai marre de tout ça. Je veux rentrer chez moi.
– Allez, calme-toi, tu tiens bien le choc, mieux que tous ceux qui sont passés là avant toi. Tu prends les choses comme elles viennent sans tenter de caser cela dans une logique qui n’a rien à y faire et tu restes toi-même. C’est surprenant, mais c’est une bonne manière de faire. Cependant, je reconnais que tu as besoin d’une pause loin de tout ça et de calme pour réfléchir.
Il me fit me lever et du doigt m’indiqua le livre qui traînait sur le sol
– Tu devrais vraiment le lire. La maison est à toi, je dois m’absenter quelques jours. Prends le temps nécessaire ! Ma maison est protégée, la magie te cachera aux yeux de tous. Ils en ont besoin, perdre le contrôle n’est pas ce que tes amis apprécient le plus, fit-il en m’offrant en sourire démoniaque. Ils vont devenir fous et ce sera plus facile pour toi de prendre du recul sans être tout le temps en leur compagnie. Réfléchis, calme-toi, prends tout le temps dont tu as besoin ! Tu es ici chez toi.
Je devais avoir l’air d’une grosse andouille, les yeux et le nez rouges, les joues encore trempées de larmes et le regard vide. Cool, je me sentais vraiment bien. Si, si vraiment.
J’attrapais le livre et me jetais sur le lit. Je le regardais comme si c’était un crapaud visqueux ou un truc qui allait me sauter à la figure, à peine ouvert. Je le retournais dans tous les sens sans réussir à me décider.
En soupirant, je regardais les petits marques pages qui en dépassaient, portant le nom de toutes les personnes que je connaissais en ville. Toutes ! Elles y étaient toutes. Pas un humain n’était dans mes connaissances. Je tripotais le livre toujours hésitante et finit par l’ouvrir au marque-page qui portait le nom de Théa. Je pris une grande inspiration, soufflais fort et me mit à lire.
Ce que je trouvais le plus étonnant, n’était pas les détails sur les ondines qui finalement ne représentaient que deux chapitres et je savais par Théa que son clan était un des seuls vraiment dangereux. Mais ces pages donnaient les détails de la vie de Théa et que de la vie de Théa. Certes, pas tous les détails si son nom complet, La Théadora était bien écrit en majuscule, je ne trouvais pas son âge, ni les lieux de son enfance. Son histoire semblait ne commencer qu’avec la submersion de l’île de Santorin en moins mille-six-cent quelque chose, ce qui, si je calculais bien, lui donnait presque quatre mille ans.
Waw, je pouvais me sentir comme une gamine encore longtemps. Ce qui sous-entendait que Livius était encore plus vieux. Voilà, gamine j’étais, gamine je resterai, cool le petit aperçu de leur âge me faisait me sentir encore plus mal, minable aussi.
Je regardais la page indiquée comme celle d’Ada, même topo, le premier chapitre donnait les caractéristiques de la race et me permit d’apprendre que les métamorphes, loups et autres, vieillissaient vraiment moins vite que moi, puis uniquement celle d’Ada. De sa naissance, en 1980, donc, elle aussi, ne faisait pas son âge, au meurtre de sa famille et à sa vengeance total jusqu’à sa vie de ses dernières semaines alors que le livre était dans ma chambre.
Passant sur le comment, passant sur le pourquoi, je lus attentivement tous les détails sur mes amis soudain affamés d’en apprendre plus sur ce monde que dorénavant je côtoyais et dont les membres avaient oublié de préciser suffisamment de détails pour que je considère qu’ils m’avaient tous menti.
Au fur et à mesure de ma lecture, je me sentais de plus en plus fragile, jeune et je me sentais totalement idiote. Je ne comprenais toujours pas pourquoi, ils s’étaient liés à moi, mais pourquoi ils me protégeaient, devenait à chaque page plus compréhensible. Leur comportement avec moi s’expliquait et je leur en étais à chaque ligne plus reconnaissante.
Je restais cachée trois jours qui me firent le plus grand bien. J’avais étudié à fond les différentes personnes que j’avais rencontrées depuis mon arrivée ici. J’avais tenté de me donner toutes les chances de ne plus me mettre en danger ou à défaut de ne plus obliger mes amis à me défendre.
J’avais aussi, pris la décision de rester et de prendre une part active dans ma vie et ne plus laisser tout le monde décider pour moi. Si, j’y arriverai, je m’en étais auto-persuadée. On ne se moque pas ! C’est remplie de confiance en moi que je décidais de rentrer dans Ma maison, dans ma nouvelle vie, j’avais le menton haut et je me sentais prête à conquérir cette vie.
Enfin que j’avais décidé d’y rentrer parce qu’à peine trois minutes après avoir fermé la porte de chez monsieur Andersen, de chez James, qu’Ada flanquée de Suzanne, furieuses, échevelées et franchement remontées après moi, me tombèrent dessus en hurlant.
Pour faire clair, les seuls mots que je pus comprendre tournaient tous autour de t’es folle, inquiets, plus jamais et idiote. J’en ai fait un résumé, mais vous avez compris la teneur de la majestueuse engueulade que je me pris. Pendant qu’Ada s’époumonait en cœur avec Suzanne, une fusée rousse me sauta dessus en me serrant si fort que j’en eus le souffle coupé et trois côtes sûrement fêlées puis me relâcha pour unir sa voix à celle des deux autres.
Je laissais faire, franchement qu’auriez-vous fait à ma place ? Je laissais la tempête se calmer sans tenter de me justifier ni de réagir, une vieille habitude que j’avais prise lors des discours de ma mère. J’étais devenue maître dans le mouvement de tête qui ne voulait rien dire, mais qui pouvait faire croire que j’écoutais. Une fois le pire, pas passé, mais calmé, je pris ma petite voix et leur dis :
– J’avais besoin de calme et je n’étais pas perdue, mais juste chez monsieur Andersen, chez James et si j’ai bien compris dans le seul endroit en ville où vous ne pouviez pas me retrouver. Franchement, je ne suis pas stupide au point de me mettre en danger. J’ai bien compris qu’ici ce n’était pas le coin le plus sûr pour moi. J’en ai marre que vous me preniez pour une idiote finie, mais je peux comprendre que vous vous soyez inquiétées.
Silence, soupirs, yeux au ciel, les miens, la conversation avançait bien. Je lançai sûre de moi.
– Et puis c’était que trois jours et mon patron était au courant de mon absence puisque je squattais chez lui, rien de si terrible. Si vous ne vous calmez pas, je repars en vacances, loin de vous.
Franchement, je voulais bien reconnaître qu’elles avaient dû s’inquiéter, mais dans le coin que pouvait-il se passer en trois jours ?
– On était tous inquiets, ne pas te retrouver…On a imaginé le pire, dit Théa en fermant les yeux.
– J’ai quand même le droit de vivre sans être tout le temps collée à vous !
– Oui, bien sûr, grinça Ada. Mais pas sans, pas si, pas comme ça, au moins donne des nouvelles.
Je haussais les épaules.
– Je suis venue dans cette ville chercher le calme, on ne peut pas dire que c’est ce que j’ai trouvé. Alors un peu de temps pour souffler ne me semble pas être trop demandé.
Là, elles avaient toutes trois l’air gênées.
– Je sais ma petite, finit par dire Suzanne, je sais, ce n’est pas vraiment ce que tu pensais, mais ne crois-tu pas que c’est ce que tu recherchais ?
Mais, elle me prend pour qui elle ? Désolée, mais non, du calme, c’était trop demandé ? Je soupirais, une fois, deux fois et en prenant toujours de grandes inspirations, je les regardais tour à tour.
– Je vous aime toutes les trois. Vous êtes des amies géniales. Je n’en ai jamais eu comme vous. Mais arrêtez de me surprotéger. Qu’à mon arrivée, comme je ne savais rien, vous vous êtes occupées de me rendre la vie facile, je vous en suis reconnaissante que je puisse vivre sans avoir à m’inquiéter des dangers qui pourraient me tomber dessus, avec de la population du coin, c’est fabuleux. Je sais bien que ce n’est qu’à vous que je le dois. Néanmoins, je pense que depuis quelques semaines, vous exagérez et franchement je me sens étouffer. Je n’ai plus dix ans et puis je voulais prendre le temps de…
Je sortis le livre de James de mon sac et le leur montrais, Suzanne pâlit, elle connaissait donc l’existence du livre et son contenu.
– Tu l’as lu ?
– Oui.
– Oh !
Elle ne dit plus rien, vraiment plus rien. Elle regardait par terre, mal à l’aise, mais Théa réagit différemment, un peu comme je l’avais imaginé en fait.
– Cool, alors tu sais, je me demandais quand tu te déciderais, depuis le temps que tu l’as et qu’as-tu pensé de mon histoire ?
Elle était sérieusement curieuse, pas inquiète pour deux sous. Ses yeux verts plantés dans les miens.
– T’en as bavé.
Voilà tout ce que je trouvais à dire à mon tour. Oui, mon amie aussi étrange que dangereuse, en avait bavé. Elle était la seule de son espèce à avoir été bannie, toutes les autres ondines avaient plus ou moins reçu le pardon et continuaient leur vie d’avant, pas elle. Elle avait payé pour les autres. Enfin, elle n’avait pas rien fait, loin de là, elle était si j’en croyais les écrits, la tueuse la plus prolifique de son espèce. Cependant, lors du traité de paix, elle seule fut sacrifiée en signe de bonne volonté de son clan et se retrouver ici, loin des siens, comme une pestiférée, n’avait pas amélioré son caractère. A son arrivée en ville plusieurs disparitions lui étaient imputées et quelques bagarres plutôt sanglantes, mais elle semblait s’être calmée au fil des années et se tenir presque à carreau depuis mon arrivée.
Les autres clans avaient banni plusieurs des leurs comme Suzanne et Judicaël et les cinquante membres de leur meute qui ont été rejoints par quelque centaine d’autres loups au fil des négociations. Donc, personne ici n’est tout blanc ni tout doux. Je m’étais interrogée sur la paix qui régnait malgré tout en ville et je ne voyais pas comment de tels soldats avaient pu se ranger sans souci. Finalement ce n’était pas mon problème. Non, mon problème était plutôt de leur tendance ultra protectrice avec moi. Attention ! Je ne niais absolument pas que j’avais toujours besoin de protection. J’avais déjà bien compris qu’ici je n’étais rien, mais depuis nouvel-an, c’était l’escalade. C’était parti de la petite humaine innocente et soyons honnête, stupide à la petite humaine qui savait, mais que l’on devait couver et je n’appréciais pas.
– Pas tant que ça. La voix de Théa coupa mes réflexions. Plus de la solitude que du coin.
Sa voix était douce sans colère, juste des regrets puis elle redevint le feu follet dont j’avais l’habitude
– Maintenant qu’on t’a retrouvée, il va falloir discuter d’un léger problème dont je peux me charger si tu veux. Mais elles, elle fit un signe de tête vers les louves, ne sont pas vraiment d’accords
– Un problème ?
– Bien des choses se sont passées en trois jours ! Râla Ada.
– Et un nombre impressionnant de messages sont arrivés sur ton téléphone. Un certain Jacques a tenté de te joindre au moins une centaine de fois.
Ok, donc mon ex avait tenté de me joindre, mais était-ce le problème ?
– C’est lui le problème, pourquoi ?
– Il arrive en fin de semaine.
Je grimaçais et je posais la question la plus sensée qui me venait en tête.
– Et ça change quoi ? Il va loger à l’hôtel, donc Mona pourra…
– Le faire repartir, mais pas l’empêcher de te voir, finit Ada.
– Hé bien je le verrais, ça change quoi ? Je m’attendais à voir débarquer mes parents un jour. Vous ne les connaissez pas, mais ça va finir par arriver. Alors que ça commence par lui ou par eux, ce n’est pas la catastrophe. Vous pensiez me cacher ? Pourquoi ? C’est un humain, donc je peux parfaitement gérer. Ce n’est que mon ex pas un dragon qui débarque, autant y faire face et le faire repartir vite fait.
Je trouvais cela même mieux. Je ne ressentais plus rien pour lui depuis longtemps. Non, ce n’est pas vrai, je lui en veux toujours pour la gifle, mais pas au point de laisser Théa régler le problème. L’idée faillit me faire marrer.
– Et non, Théa, dis-je en la fixant, ce n’est pas parce que c’est mon ex que tu dois te croire obligée de le tuer. C’est un connard. Il a eu un geste qu’il n’aurait jamais dû avoir, mais qui ne mérite pas la peine de mort. Et puis vous devriez le remercier, je ne serais jamais arrivée ici sans ça.
Je ne le leur dis pas, mais j’en étais persuadée qu’il venait à la demande de mes parents pour me convaincre d’en finir avec ma crise d’adolescence tardive et revenir à la maison comme la bonne fifille que je devrais être selon eux. Il allait être déçu. J’imaginais sans peine les réactions des deux folles qui me servaient d’amie-garde du corps et tueuses à temps partiel, s’il se montrait trop têtu ou qu’il tentait de m’intimider. Voilà, une chose qui avait changé, il ne me faisait plus peur.
– De toute façon, dit celle-ci, Suzanne et Ada ont réfléchi ensemble à une solution et elles pensent que ça te conviendra.
– Une solution à quoi ?
– Pour le faire partir rapidement, dit Suzanne, qu’il comprenne bien qu’il n’est pas le bienvenu, mais nous en parlerons une fois rentrées. Livius vire dingue.
Je fus poussée jusqu’à la voiture d’Ada et je ne reçus aucune réponse à mes questions sur l’humeur de Livius. Je me calais dans mon siège en fronçant les sourcils. Qu’allait-il encore m’arriver ? Que me réserverait ma mini-fugue avec le vampire-colocataire ? Qu’avaient-elles encore inventé ? Pourrais-je, un jour, retrouver le calme que je désirais ?
Le trajet du retour se fit en silence, moi derrière, le front appuyé contre la vitre, Suzanne raide comme la justice sur le siège passager avant, Ada lèvres serrées au volant, Théa nous suivant dans sa voiture. On aurait juré que nous nous rendions à l’enterrement d’un ami proche, mais non, nous rentrions chez moi dans la joie et la bonne humeur.
Mes bonnes résolutions semblaient disparaître avec la distance qui se réduisait entre la ville et mon chez-moi. J’avais la trouille qui remontait, le nœud dans mon estomac en était la preuve. J’avais occulté ce besoin maladif que Livius avait de me protéger et ce que j’avais lu sur lui me le présentait sous un jour plutôt particulier. Je comprenais le pourquoi de ce comportement de papa inquiet. Pourtant, j’avais du mal à associer les deux visions que j’avais de lui, celle du livre et celle du papa-vampire qui vivait avec moi.
Vieux, à ce point-là, je ne me l’étais jamais imaginer. Il était plus vieux que les pyramides et avait dû voir leurs constructions. Conti et lui étaient mésopotamiens. J’avais noté dans un coin de ma tête de contrôler dates et lieux, mais je n’avais pas pris le temps de le faire durant ma retraite. Ce qui m’avait frappé, c’est qu’il avait choisi de vivre ici. Il n’était pas parmi les bannis de son peuple. Pourtant, il avait préféré suivre sa compagne et son ami Conti et ce qui me mettait dans tous mes états et m’inquiétait, étaient les événements qui ont suivi, l’amenant à disparaître.
Sa compagne Carata, assassinée par un clan de vampire rivale, lors de son absence pour un conseil où sa présence, en tant que représentant des vampires du coin était obligatoire. À son retour, il avait retrouvé sa maison en feu et la tête décapitée de sa femme mis bien en vue sur le porche. Sa réaction fut, à mes yeux, terriblement violente. Non seulement, il tua les responsables, mais fit disparaître toutes les lignées ascendantes et descendantes des responsables, soit presque trois cents vampires tués dans cette course à la vengeance. Vengeance comprise et admise par les siens, mais qui avait fait de lui, l’un de vampire les plus meurtriers et l’avait fait entrer dans la légende.
Puis, il avait disparu.
Plus aucun écrit jusqu’à mon arrivée. Le livre n’avait donné aucune explication sur ce retour en « vie ». Juste que ça correspondait, plus ou moins, à mon installation dans la maison et ça me foutait la trouille, parce que le livre n’avait pas levé le voile sur grand-chose pouvant expliquer cette relation étrange qu’il y avait entre nous.
Je me traitais d’idiote, il ne fallait pas que je me laisse aller à paniquer. Je devais me tenir à mes décisions et ne plus subir sans réagir et d’être une idiote d’humaine, certes, mais pas une marionnette, même si pour mes amis les raisons de me protéger semblaient plus que valable et pour moi aussi, si je me montrais honnête.
C’était d’un pas décidé que je poussais la porte et entrais avant de me figer et de faire demi-tour. Voilà, j’étais une grande fille et je décidais de ne plus me laisser marcher dessus et je ne paniquais pas. Non, du tout, mais alors pas du tout, je ne paniquais pas ! Mais, que foutait tout ce monde chez moi ? C’est donc, avec convictions et fierté que je faisais demi-tour. Ada me chopa par un bras, Théa me poussa sur le ventre pour me faire reculer et Suzanne voyant que je résistais, m’attrapa par l’autre bras pour me faire rentrer. Voilà, c’était donc à moitié soulevée par les deux louves et maintenue par Théa que je rentrais chez moi, en marche arrière, sous le regard étonné des gens qui squattaient mon salon.
Je sentais bien combien on me respectait et combien on respectait mon libre arbitre. Bref, tout est normal. Je n’avais pas déjà dit ça ? Donc je redisais encore une fois tout est normal !
Posée presque de force sur le canapé, la mine boudeuse, je regardais les intrus qui squattaient ma maison, en face de moi se tenait Mona, Livius, Conti, Judicaël, Katherina et Bogdan, le boss d’Ada, et tous me regardaient de travers. Mes bonnes résolutions fondaient comme neige au soleil. Je me ratatinais dans le canapé, oui, je faisais à cet instant vraiment grande fille sûr d’elle et décidée à se faire respecter. On ne se moque pas de moi ! Je voudrais vous y voir. Ada s’assit à côté de moi avec le sourire de travers et Théa se jeta de l’autre côté en rebondissant et me faisant sursauter. Elles se marraient.
Bon, voilà, voilà…
– Elle était où ? demanda Mona.
– Chez moi, dit James en passant la porte avec un sourire allant d’une oreille à l’autre.
Tiens manquait plus que lui. Ils se retournèrent tous et le fixèrent. Il leva les mains en signe de paix devant les regards assassins qui le fixaient.
– Elle avait besoin de s’éloigner un peu de vous, de nous. Vous la traitez comme une enfant. Elle l’est pour vous, mais pour une humaine, elle est adulte, plus une enfant depuis longtemps et elle est capable de prendre ses propres décisions si vous lui donniez toutes les données et pas seulement des bouts arrachés de-ci de-là. Vous avez de la chance qu’elle ait ce caractère. Accepter notre existence, accepter nos secrets, accepter ce besoin de la surprotéger, nous accepter tel que nous sommes, sans demander plus. Il était normal de la laisser un peu souffler loin de nous, franchement vous auriez dû le faire avant et je lui ai fourni les informations nécessaires que vous n’avez pas eus envie de donner.
– Il lui a refilé son bouquin traqueur, se marrait Théa.
Là je dois dire que les têtes en face de moi se tendirent sérieusement, il y eut des grognements et des soupirs.
– Bien, reprit James, on ne va pas en faire une maladie, elle n’est plus une enfant, martela-t-il. Le savoir permet de mieux éviter les problèmes, au lieu de juste les gérer pour elle et de tout lui cacher.
Il avait l’air si calme et tranquille que je regardais plus attentivement autour de moi. Tous les autres semblaient contrariés et tendus. Ce que j’avais appris sur eux me permettait aujourd’hui de voir dans leurs expressions ce qu’ils étaient derrière le masque. Surtout, ça me permettait de me rendre compte que seule Théa assumait totalement et pourtant si quelqu’un avait à se reprocher quelque chose, c’était bien elle. Là, je dois admettre que l’avoir pour amie était une chance, le contraire aurait été une fin rapide pour moi. J’en frissonnais, mais la rouquine me fit un clin d’œil et souriait.
– Ils ont tous l’air super coincé, tu ne trouves pas ?
Je repensais à son imitation de Conti-dracula, me mordis les lèvres pour ne pas rire alors que tous ceux présents tiraient la tronche puis elle rajoutait.
– Et puis sont tous super vieux et super vieux jeu.
Je pouffais devant ses yeux qui pétillaient et craquait définitivement alors qu’elle concluait.
– Je suis plus vieille qu’eux, plus dangereuse et nettement plus dans le coup, moi.
Je me mis à rire franchement. Car oui, elle était plus jeune dans sa tête que moi et plus dangereuse que tous ceux présents. Je l’avais bien compris, mais surtout elle ne se prenait pas au sérieux dès que j’étais dans les parages comme pour me prouver qu’elle ne me voyait pas comme une enfant et que son amitié était des plus vraie. J’aimais ça. Calmée nette, par le regard tueur et furieux de papounet-vampire, je demandais entre mes dents :
– Il est vraiment furieux après moi ?
– Il s’est inquiété, tu vas te faire engueuler, mais ne l’écoute pas, c’est qu’un vieux ronchon.
Bonne description sauf qu’après ce que j’avais appris, je comprenais mieux son inquiétude et je me sentais mal à l’aise. Il ne me restait plus qu’à subir sans rien dire l’engueulade que j’allais me prendre.
– Ils font quoi tous là ?
Continuais-je sans oser regarder qui que ce soit.
– Nous nous sommes invitées à une réunion des huit. Je n’ai jamais réussi à m’y incruster.
– Tu n’y es pas ?
– Je suis sous l’autorité de Mona. Du moins, ils le croient.
Elle me grimaça un sourire et fit semblant d’être super attentive à ce qui se passait autour de nous.
– Je pense que la réunion devrait être reportée puisqu’il n’y a rien à débattre d’important et que la présence de plus que les huit, nuit à la réunion. Fît la voix grave de Katherina
Elle était raide comme une planche et avait repris son inspection du mur derrière moi. James le remarqua et lui fit la remarque. Elle lui répondit d’un ton encore plus sec
– Elle n’est ni sorcière, ni elfe, ni fée, ni quoi que ce soit de connu. Je sais pourtant qu’elle n’est pas qu’humaine. Mais comme ce n’est pas le but de ce conseil, je ne vois pas pourquoi je devrais la supporter donc je vais m’en aller, si certains souhaitent rester qu’ils le fassent.
Elle fit une mimique qui disait qu’elle ne le voulait pas, c’était parfaitement clair. Elle se leva, fit un geste de tête en direction des autres et sortit suivie par Bogdan et Mona. Et hop, trois de moins en restait cinq, loup, sorcier, ondine et vampires, tiens au fait, ils faisaient quoi les deux sangsues debout en pleine journée ?
– Vous ne dormez pas ?
– Les avantages de l’âge, me répondit Conti dans un sourire.
Je le lui rendis, mais la mine sévère de Livius me fit me coller à Théa qui me souffla dans l’oreille.
– Pas de panique. Ada et moi on lui fait sa fête s’il t’attaque.
Ada assura doucement.
– Demande et on se le fait sans souci. J’ai besoin de calmer mon stress, c’est une bonne solution plutôt que de t’égorger.
Théa éclata de rire. Moi, je me sentais super mal à l’aise et cherchais dans le regard de la brunette si oui ou non, elle le pensait. Son regard glacial me fit mal au cœur, puis je vis un éclair qu’elle n’arrivait pas à retenir, un éclair de moquerie planqué tout au fond, mais bien réel. Impulsivement, je l’embrassais sur la joue en lui demandant pardon de l’avoir inquiété. Elle me prit dans les bras et nous fûmes rejointes par Théa.
Là, si j’étais franche, je me sentais à la maison, en sécurité et heureuse de l’accolade de mes amies. J’étais simplement bien. J’étais à ma place. Ne me demandez par comment ces deux pestes avaient pris tant de place dans mon cœur. Pourtant, je me sentais plus proche d’elles que de mes sœurs et à ce moment précis, je comprenais que jamais je ne partirais d’ici parce que ici, c’est chez moi.
Chapitre 17
Nous étions toujours toutes les trois enlacées quand une main se posa sur ma joue. Je levais la tête et croisais des yeux noirs qui me disaient à quel point leur propriétaire s’était inquiété, mais qui me disaient aussi que j’allais le payer.
– Si vous pouviez stopper les effusions, nous devons parler de ce Jacques.
Suzanne s’en mêlait. Je me tournais vers elle d’un coup en lâchant mes amies. La main qui était sur ma joue se retrouva sur ma nuque et la pression que je sentais n’indiquait rien de bon.
– C’est quoi votre problème avec lui, il vient, il me voit, me dit ce qu’il a à me dire et il s’en va.
Ok, Jacques venait me voir et ? Franchement, j’étais étonnée qu’il ne soit pas déjà venu et que ma famille et lui m’avaient laissé aussi longtemps tranquille. Ça devait finir par arriver. Les premiers moins, je pensais les voir débarquer tous les jours. Avec le temps, je m’étais dit qu’ils s’étaient fait une raison et comme ma mère avait cessé de me parler de Jacques, je m’étais imaginée qu’il avait trouvé une autre gentille petite femme. Ce n’était pas le cas, il venait pour me récupérer. C’était dans son caractère, mais je ne céderais pas. Je ne l’aimais plus et je n’avais aucune raison de retourner en Europe. Sa visite méritait un tel branle-bas de combat ? Nope, pas de mon point de vue.
– Tu es certaine que ce sera aussi simple ? Me demandait Suzanne, l’air préoccupée.
– Ben oui.
– Tu ne penses pas qu’il va s’incruster ou…
Je compris alors une partie du problème.
– Je ne partirai pas. Je n’en ai aucune envie et de plus, je ne ressens plus rien pour lui.
Voilà, c’était clairement annoncé.
– Mais s’il fait le voyage pour te voir.
C’était au tour d’Ada d’avoir l’air mal à l’aise.
– Et quand bien même, la coupais-je. Il restera chez Mona, ici, c’est complet. Après m’avoir vu, il repartira.
– On s’était dit que si tu n’étais plus célibataire ça aiderait, continua Ada.
Je prenais le temps d’y réfléchir. Oui, ça aiderait à le faire partir plus vite et ça calmerait aussi mes parents qui n’auraient plus de raison de me demander pourquoi je me plaisais plus ici que chez eux. Je ne pouvais pas leur répondre que je me sentais plus aimée par ces étrangers qui m’entouraient que par ma propre famille donc je ne répondais jamais. Je ne pensais que cela serait bien pris.
Je les regardais ces étrangers, je les regardais vraiment. Suzanne qui se comportait comme une mère pour moi. Judicaël, bourru, mais toujours présent. James qui m’avait offert un travail. Conti qui, Conti qui rien en fait, Livius à la fois papa, protecteur et ami aux sentiments si complexes, Ada et Théa, mes inséparables amies, sœurs de cœur qui comptaient aujourd’hui plus que personne d’autre n’avait jamais compté. J’avais déjà compris que je ne partirai jamais d’ici, mais à cet instant, mon cœur fut rempli d’amour et me fit presque mal, tellement je les aimais ces étrangers bizarres et dangereux.
– Ça aidera, mais de toute façon, je ne partirai pas. Je suis heureuse ici.
J’avais failli dire avec ma nouvelle famille, car c’est ce qu’ils devenaient, ma famille.
Quelque chose se passa, je pus voir dans les regards qu’ils avaient sentis ou compris ce que je venais de comprendre. Suzanne se mit à pleurer doucement sans bruit. Judicaël lui passait la main dans le dos en se grattant la gorge. James souriait en me regardant. Théa pleurait comme une fontaine sur mon épaule, imitée par Ada dans mon dos. Conti fronçait les sourcils sans bien comprendre quant à Livius, lui c’était figé les yeux brillants sans rien dire ni laisser plus transparaître. Je craquais et me mit à pleurer aussi, de bonheur.
– Il se passe quoi ici ? Demanda un Conti complètement ébahi.
– Rien, grogna Judicaël, juste une petite mise au point qui était nécessaire pour certaines.
Il se racla la gorge et repris.
– Nous nous étions dit qu’avoir un petit ami ici permettrait à ce type de ne pas traîner. Francis, c’est proposé, mais nous ne nous sommes pas encore mis d’accord et finalement, c’est à toi de décider.
– C’est urgent ? reniflais-je. Il arrive quand ?
– Il arrive demain et Ada est censé aller le récupérer à l’aéroport.
– Pourquoi Ada ?
Je me tournais vers elle.
– Comme pour toi, service de l’agence de voyage pour ceux qui débarquent en ville. Comme tu ne répondais pas à ses appels, je lui ai dit que tu étais partie en rando avec mon boss et que le téléphone ne passait pas en forêt.
Je hochais de la tête et j’allais assurer que Francis m’allait bien quand Théa l’ouvrit.
– Je ne suis pas pour Francis. Il y a déjà un homme qui vit ici et si l’on part du principe qu’il y a trois chambres dont deux sont occupées par Ada et moi, que Livius dorme dans celle de Sophie au lieu de dormir à la cave, donnerait plus l’impression qu’ils sont en couple que Francis qui a un chez-lui en ville. De plus, ses affaires traînent déjà dans tous les coins.
D’un geste elle indiquait les livres, le fauteuil et la pipe qui traînaient toujours au salon puis de son autre main elle montrait le manteau et les chaussures qui étaient rangés dans l’entrée.
– Rien à changer, juste le dodo.
Avant même que je puisse répondre un mais non, ça va pas la tête ? Parce que oui, ma relation avec ce truc plein de dents n’était pas claire, mais alors pas clair du tout. De plus presque deux ans de célibat ne me permettait pas d’éviter à le trouver totalement comestible et craquant. Oui, bon là d’accord, c’était petit, mais ce n’était qu’une vengeance mentale au poulet fermier. Je ne tenais pas à dormir avec quelqu’un qui m’avait bien précisé qu’il avait envie de me goûter et je n’étais franchement pas attirée par l’idée. Je ne pus rien dire du tout, car ça causait de tous les côtés sur le bien-fondé de la réflexion de Théa seul Conti n’y participait pas. Lui regardait alternativement Livius et moi, et lâcha surpris :
– Vous n’avez pas encore couché ensemble ?
Sa remarque fit un effet bœuf, plus personne ne parlait et tous nous regardaient. Youpi, c’était ma fête.
– Nous sommes amis, dis-je de la pire voix de fausset que j’avais en répertoire. Lorsque je m’entendis je complétais vite fait. Il me traite comme sa fille !
Voilà, je n’avais rien de plus à dire. Je me retournais vers Livius pour qu’il confirme. Il ne le fit pas.
– Je déménagerais quelques jours dans ta chambre. Quelles excuses pour mes absences en journée ?
– Ton travail, tu bosses, tu rentres tard et tu profites de ta chérie et de ses dingues d’amies, très humain comme comportement.
Théa avait lancé ça comme si tout était normal et tout le monde en conclu que c’était la meilleure solution. Mais non, je suis pas d’accord moi. Je peux dire que je ne suis pas d’accord ? Mon regard tomba sur Conti et je me mordis les joues pour ne rien dire. Quelque chose dans le regard qu’il posait sur Livius me retint de me plaindre. Bon, me voilà en couple avec, avec… lui !
Qu’avais-je dit sur le fait de m’imposer et de ne plus me laisser traiter en petite fille ? Je suis nulle.
Comme ma situation de couple avait été réglée au mieux d’après les personnes présentes, il m’avait fallu expliquer mes trois jours de retraite, puis leur promettre que rien de ce que j’avais lu ne m’avait décidé à les haïr ou à en avoir trop peur pour les considérer comme mes amis. Il me fallut ensuite écouter sans broncher pour la millième fois leurs reproches. Si Conti nous quitta à la nuit tombante, les trois autres insistèrent pour rester et préparer encore l’arrivée de mon ex.
Après un repas copieux cuisiné par Suzanne et avalé en partie par Ada, une bonne dose de reproche et de commentaires sur mon caractère, les comploteurs se décidèrent à rentrer chez eux, me laissant avec Ada, Théa et Livius.
Alors que je m’attendais à finir la soirée en blablas, reproches et cancans, Ada et Théa dans un duo parfait se mirent à bailler et annoncèrent qu’elles allaient se coucher. Mouais, ça ressemblait plutôt à une fuite en règle ou à un piège, plutôt un piège d’ailleurs. Voilà, je me retrouvais seule avec celui qui jouerait au petit ami dès demain soir, mais qui pour le moment ne disait rien, le nez dans un bouquin.
Je le regardais attentivement me demandant comment nous pourrions avoir l’air d’un couple heureux puis mes pensées dérivèrent et je pâlis. Non, je ne pensais pas à lui, enfin pas en tant qu’amant, mais plutôt à ce qui arriverait si, un jour, je ramènerai un ami dans mon lit. Je me voyais lui dire : ne fait pas de bruit papounet est réveillé, il ne faut pas qu’il te voie. Je m’imaginais dire : allons plutôt chez toi, même si ce chez toi était une chambre humide au fond d’une cave. Je pouffais puis me figeais en réalisant qu’entre mes trois colocataires, il n’y aurait jamais de place pour un homme dans mon lit. Comment en trouver un qui convienne ? Comment leur dire : celui-là je me le fais alors laisser le tranquille. Déjà comment leur dire : au fait les amis, j’ai des envies et j’ai décidé de draguer truc ou machin. Aucun homme, loup ou quoi que ce soit de masculin vivant ou non ne ferait l’affaire pire qu’avec mes parents. J’étais atterrée. Je réalisais que protégée comme je l’étais, trouver un volontaire pour me courtiser tirait sur l’impossible. Personne n’oserait me draguer ouvertement avec ces trois-là. Et leur espérance de vie dépassant de beaucoup la mienne, ils seront toujours là à surveiller qui m’approchait. Je me sentis complètement fichue.
Ça me tombait dessus d’un coup, j’allais finir vieille fille, pas le choix. Mais non, je ne suis pas accro au sexe, mais quand même j’aime bien et même beaucoup. Faudrait-il que je fasse collection de jouets ? Je réalisais que parti comme c’était, j’allais respecter la tradition familiale et finir bonne sœur comme tante Annette.
Boum, je me figeais quand la réalité me frappa, j’allais finir nonne.
Livius du sentir quelque chose, car il tourna la tête vers moi, il me regardait attentivement, très attentivement. Je virais au rouge cramoisi après un long moment, il se leva et me dit :
– Je m’occuperai de mettre certaines de mes affaires dans ta chambre, comment souhaites-tu que je me comporte avec toi durant la visite de cet humain ?
Mince, je m’attendais à me faire sermonner au minimum. Non je m’attendais à me faire engueuler comme un poisson pourri pour ma fugue et l’inquiétude que je leur avais fait ressentir. En revanche, je ne m’attendais pas à cette froideur et à ce détachement poli. Oups, il devait être nettement plus furieux contre moi que tout ce que j’avais pu imaginer. Gloups, j’allais prendre cher une fois le cas Jacques réglé.
Reprends-toi, Sophie et pense à respirer ce serait bien. Remets en action les neurones qui ne sont pas partis se planquer dans tes talons. Oui, oui, les trois courageux qui restent vaille que vaille. D’accord ils ne sont pas les plus doués, mais les plus courageux, donc fait les bosser. Comportement avec moi, oui donc, je voulais quoi ?
– Jacques était dominateur avec moi, il décidait de tout et finalement, je me sentais comme une jolie plante verte. Un rire m’échappa. Un peu comme vous le faites tous ici, même si les raisons sont plus, enfin moins égoïst.
– Donc l’opposé ?
– Non, je l’interrompais net, un homme possessif et jaloux qui montre que je lui appartiens et qu’il ne me lâchera pas. C’est ce qu’il est capable de comprendre et se retrouver en face de quelqu’un qui parle son langage devrait le convaincre que c’est vrai et pas de la comédie. Je ne pense pas qu’il puisse prendre au sérieux une relation d’égal à égal. Je haussais les épaules, désabusée. Donc ne change rien à ta manière d’être, rajoute juste des contacts physiques.
J’en frissonnais, ben oui, je ne suis pas nonne, enfin pas encore et le vampire qui partage ma vie, depuis presque deux ans est sexy, rien à jeter. Même si notre relation n’est pas claire, oscillant entre protecteur, ami et, et quoi d’autre en fait ? Il me désire, j’en ai eu la preuve, enfin il a envie de planter ses dents dans ma gorge, il me l’a dit. Son comportement avec moi n’est pas sain, j’en ai conscience, mais là, l’imaginer en chéri collant et amoureux me file des frissons de peur. Comment vais-je réagir ? Comment vais-je réussir à ne pas montrer à quel point il me met mal à l’aise. Mais, merde dans quoi me suis-je encore fourrée. Je fermais les yeux me frottant l’arrête du nez d’un geste nerveux.
– Bien, je serais donc possessif et jaloux.
Et, il disparut dans sa cave sans rien ajouter. Je montais me coucher avec la peur au ventre, en pensant aux jours à venir. Demain, je ferai face à mon ex avec à mes côtés mes amies et mon chéri, à mourir de rire. Or, je dormis comme un bébé, à croire que plus rien n’arrivait à me stresser au point de ne pas dormir. Je sentais que la journée à venir serait rude, elle était passée où la grande fille qui prend ses décisions toute seule ? Pouf ! Disparue !
Chapitre 18
C’est Ada qui me réveilla en sautant sur mon lit avec des cris stridents. J’ouvrais un œil puis le deuxième. Inutile de râler ou de tenter de rester au fond du lit, pas avec l’autre dingue qui voulait me lever. Je m’étirais, la regardais de travers, soupirais et me levais et je me rappelais que mon ex allait débarquer aujourd’hui.
– Bonjour Ada, pourquoi ce réveil en douceur ? demandais-je, ironique.
– Ton humain arrive dans deux heures.
Moi, qui pensais qu’il n’arriverait que ce soir… Donc elle avait raison, il fallait que je me bouge et vite. Sauf que je buguais.
Dans ma chambre se trouvait désormais un valet en bois recouvert de vêtement d’homme, sur la deuxième table de nuit, un livre posé ouvert à l’envers. Il avait poussé le détail jusqu’à mettre une robe de chambre sur le côté du lit comme abandonnée là, à la hâte et je n’avais rien entendu. J’ouvrais mon armoire pour y trouver mes vêtements poussés sur un côté et les siens de l’autre. Je saisissais rapidement un pantalon et une chemise sans même regarder ce que je prenais puis, je me tournais vers la commode et me figeais un instant. Il n’avait pas osé ? Je tendis une main tremblante et ouvris le premier tiroir, celui où se trouvaient mes sous-vêtements. Mes culottes côtoyaient désormais des boxers noirs, le tout rangés avec soin. Il avait osé. Je fermais les paupières mes joues virèrent au rouge soutenu. Il avait osé ! C’est Ada qui me sortit de ma torpeur.
– Waw, il a poussé le détail, c’est cool, personne ne pourrait douter que vous viviez bien ensemble.
– Nous vivons ensemble depuis mon arrivée et je ne pense pas qu’il fallait pousser le détail aussi loin. Je n’ai pas prévu d’ouvrir ma porte à Jacques. Je dois le voir à l’hôtel. Je ne comprends pas pourquoi vous tenez tant à faire autant de mis en scène, dis-je dans un souffle.
– Oui, mais là, elle fit le tour de la chambre d’un geste, franchement vous êtes amants. On ne sait pas ce qui va arriver alors c’est une bonne chose que tout soit prévu, tu ne penses pas ?
– Je sais, oui, c’est bien.
– Je file, Théa ne va pas tarder et je dois aller chercher ton Jacques.
Je saisis ce qu’il me fallait dans le tiroir et filait à la salle de bain, sans lui répondre, noyer mes pensées sous la douche.
Bien plus tard, dans la voiture de Théa, je balisais comme une malade et pour une fois pas de la conduite de mon amie, alors que mon chauffeur volubile parlait pour me changer les idées. Pourtant, rien n’y faisait, je paniquais quand le téléphone de Théa interrompit son flot de paroles.
Vous ai-je dit que si je me trimbalais dans un quatre-quatre d’une bonne centaine d’années, Théa avait comme voiture, une petite citadine flambant neuve et remplie de gadgets, de la caméra de recul au parcage assisté en passant par tout ce qui pouvait être connecté ? C’était donc un haut-parleur qui parlait avec la voix d’une Ada stressée.
– Théa prévient tout le monde le pilote à envoyer un message à Bogdan, l’ex de Sophie ne semble pas être humain.
Théa me fixait d’un air aussi étonné que le mien.
– Je vais le récupérer et je te tiens au courant dès que je me suis fait une idée sur ce qu’il est.
Théa ne répondit rien, pas plus que moi et le bip de fin de conversation emplissait l’air autour de nous. Puis un autre bip bien plus fort et agaçant se fit entendre et nous n’avons dû qu’aux réflexes de Théa de ne pas nous retrouver encastrées dans un arbre.
Elle stoppa la voiture, souffla un bon coup et me regarda en coin. Elle abordait un air si sérieux que je me troublais encore plus qu’à la révélation sur mon ex. Ce n’était pas habituel, puis des éclairs traversèrent ses yeux verts et ses lèvres fremissèrent avant qu’elle ne me balança un :
– Normal quoi, avec Sophie, il ne pouvait pas en être autrement. Tu t’es tapé quoi ? Un troll ? Et, elle s’écroula de rire.
– T’es pas drôle.
Je râlais.
– Excuse-moi, il ne peut pas être un troll trop moche et tu as bon goût. Remarque on a l’embarras du choix. En Europe, il y a presque toutes les races qui sont représentées. Reste plus qu’à espérer que ton ex n’est pas un dragon, c’est pas évident de les noyer.
Elle remit en marche la voiture, en me laissant sur le cul. Oui, je ne voyais pas comment expliquer ce que je ressentais autrement que j’étais sur le cul. Ko, soufflée et super angoissée, assise à côté d’une andouille qui se marrait et qui m’amenait en ville pour jouer l’ex en couple avec Livius et heureuse de vivre sa nouvelle vie.Si ma nouvelle vie me rendait effectivement heureuse, le rôle de petite amie du vampire pas cool qui vivait chez moi, moyennement.
De plus, ma cervelle tournait comme une hélice pour tenter de trouver ce que Jacques pouvait bien être. Un dragon ? Nope enfin, le seul que je connaissais était plutôt zen et tranquille, mais le sont-ils tous ? Un loup ? Il était possessif et dominant comme la plupart de ceux que j’avais rencontré. Ce serait possible sauf que ceux d’ici étaient très proche les uns des autres alors que mon ex ne voyait sa famille qu’à chaque tremblement de terre. Un sorcier ? Non, il aurait utilisé ses dons pour m’empêcher de partir. Un Elfe ? Mmm, non même les noirs, qui étaient ici, étaient proches de la nature ce qui n’était pas le cas de mon ex.
Ma cervelle tournait et retournait tout ce que j’avais appris depuis mon arrivée et n’arrivais pas à trouver assez de point commun entre les races que je connaissais et le comportement de Jacques, si ce n’est qu’il était proche du vampire bipolaire qui partageait ma vie.
Le trajet passa trop, beaucoup trop vite et l’attente dans le grand salon de l’hôtel vira à la panique. Attendre sans savoir, me rendait petit à petit dingue et le calme de Théa avait tout pour m’inquiéter. Mona me fit boire une tonne de tisane de sa conception, censées me clamer qui n’eurent comme seul effet que de me faire courir aux toilettes une centaine de fois, une manière comme une autre de patienter.
Lorsque la voiture d’Ada stoppa devant l’hôtel, Mona me prit par le bras pour me tirer dans la cuisine avec Théa. Elles avaient décidé, durant une de mes absences toilette, de ne pas me montrer avant de savoir ce qu’était l’homme dont j’avais partagé la vie pendant des années.
Elle nous y laissa et se précipita vers la réception. Est-ce parce qu’aujourd’hui je savais ce qu’elle était ou que je faisais plus attention à ce qui se passait, mais je jure avoir senti comme un courant d’air chaud m’envelopper. Je restais figée à côté de Théa qui me tenait la main. Je balisais. Rien ne se passait, pas un bruit ne nous parvenait et je faillis mourir d’une crise cardiaque quand la porte de la cuisine s’ouvrit d’un coup sur une Ada stressée.
– Un Bersek, furent les seuls mots qu’elle prononça.
À la mine de Théa, la nouvelle n’était pas bonne, elle grimaça.
– Mince, un guerrier ours, pas facile à tuer, mais c’est possible. Tu veux vraiment lui parler, ils ne sont pas franchement tendres et compréhensifs.
Voilà, c’était ma Théa, ne pas s’embarrasser de détails et aller droit au but, parce que franchement quelle perte de temps que de parler et réfléchir, j’en souris. Je la pris dans les bras et attrapais Ada d’une main pour l’attirer avec nous. Entre mes deux amies rien ne pouvait m’arriver. Mona nous rejoint en grommelant que l’autre abruti était dans sa chambre et qu’elle lui avait dit que j’allais arriver pour le voir puis elle roula des yeux en soupirant.
– Un crétin de Bersek.
– Je vous rappelle à toutes les trois que je ne connaissais rien à rien avant d’arriver ici. Puis je fixais Ada. Je dois savoir quoi sur cette race ? Je n’en connais aucun ici.
Théa commença.
– Tu parles normal, ce sont de guerriers ours. La seule concession qu’ils ont faite lors des traités de paix, c’est de rester dans le nord de l’Europe en dehors des autres races et des humains. Ton Jacques n’a pas respecté le traité en se liant à une humaine. Il ne va pas être facile à convaincre, crois-moi. C’est une des races les plus têtues que je connaisse.
Ada lui fit signe de se taire et me répondit tout en consultant Mona du regard.
– Les Berseks ou guerrier ours sont originaires du nord de l’Europe. Les légendes disent qu’ils sont capables de prendre l’apparence et la force d’un ours lors du combat et que c’est eux qui ont mené les vikings à travers leurs invasions. Ils ont un caractère difficile et sont prêts à combattre pour tout et n’importe quoi. Durant la guerre, ils se sont contentés de tuer toutes les autres espèces présentent sur leurs territoires sans distinction. Comme a dit Théa, il était plus simple de les laisser en place puisque la seule chose qui les intéressait était de garder leurs terres. Il ne va pas accepter de te laisser sans se battre, parce que pour lui, tu lui appartiens. C’est une chance que tu laisses Livius se faire passer pour ton compagnon. Francis n’aurait eu aucune chance de gagner s’ils avaient décidé de se battre pour ta possession. Ce qui n’aurait pas manqué avec un loup, mais Livius devrait pouvoir éviter ça.
Je blêmis.
– Comment ça pour ma possession, c’est quoi ces âneries ?
– Je te l’ai déjà dit. Ils sont vieux jeu, bloqués dans le passé et complètement dépassés. Le mâle possède la femelle et voilou. Tu crois que je préfère imaginer comment le tuer plutôt que de réfléchir à comment le convaincre de te laisser, pourquoi ? Il n’acceptera pas de te laisser. Je pense qu’il s’est amusé en ton absence et que son amusement du moment ne lui suffit plus, surtout s’il ressent pour toi ce que nous avons senti. Il t’a laissé du temps, probablement pour donner l’apparence de remords envers ta famille et il vient reprendre ce qui lui appartient.
Voilà Théa haussant les épaules et à son regard, elle réfléchissait réellement à comment tuer mon ex et moi, j’appréhendais enfin la réalité de la situation
– Il est aussi dangereux que ça ? Tu penses vraiment qu’il pourrait tuer un loup ?
– Oui, ils sont dangereux, mais pour abattre Livius, il en faudrait plus.
Théa acquiesça et Ada termina par :
– Au pire, elle s’en chargera.
– Oui, avec plaisir.
Elle sourit de toutes ses dents la petite rouquine et à cet instant, elle avait l’air de ce que j’avais appris sur elle, dangereuse et mortelle. Du coup, je ne savais plus pour quelle raison je frissonnais, Jacques ou Livius ou Théa, ils me faisaient tous peur finalement.
Je pris le temps de me préparer mentalement à ma rencontre avec Jacques. Théa resterait avec moi. Ada avait réveillé Livius et ils avaient décidé qu’il devait se pointer à l’hôtel lui aussi, chouette, réunion de famille. Une fois que je ne tremblais plus, même si j’avais toujours peur, ma volonté reprenant le dessus, je m’accrochais à Théa et d’un pas hésitant, j’avançais en direction du salon enfonçant mes ongles dans le bras de Théa qui ne me lâchait pas.
Je le vis. Il était debout dans le salon et regardait le lac par la fenêtre. Superbe comme dans mon souvenir, il était blond, grand et d’une musculature qui m’avait toujours impressionnée. Vous savez les tablettes de chocolat dont on rêve un peu toutes, lui, il les avait. J’avais un pincement au cœur en songeant qu’il m’avait menti sur ce qu’il était tout ce temps, moi qui pensais qu’il avait juste mauvais caractère. Il tourna la tête vers moi et je vis, oh un minuscule instant, ce qu’il était, un guerrier venu pour vaincre. Il s’avança vers moi, les bras grands ouverts, un sourire éblouissant sur les lèvres. Théa s’interposa d’un coup et c’est elle qui lança la discussion.
– Recule, Bersek !
Il s’arrêta, baissa les bras et la regarda attentivement avant de cracher dédaigneusement.
– Une ondine.
– Pas une, je suis LA Théodora.
Dit comme ça avec cette voix emplie de pouvoir et de confiance ce simple prénom sonnait comme un avertissement, ce qu’il était. La Théadora, une ondine puissante et incroyablement sauvage, enfin, c’était avant Théa. Il le prit pour ce que c’était puisqu’il recula d’un pas en plissant les yeux.
– Je vois que tu as un garde du corps, me siffla-t-il.
– Non, j’ai une amie.
Ma voix n’avait pas tremblé et Théa, sous mon commentaire, était encore plus fière que la seconde d’avant. Jacques avait le regard troublé et pas franchement convaincu. L’air était glacial et je me disais que la conversation que je souhaitais, n’aurait jamais lieu alors que la confrontation que voulait Théa, semblait bien partie pour avoir lieu, elle.
– Je vois que tu es bien entourée. Je ne me doutais pas qu’en t’installant ici avec tous ces renégats, tu apprendrais la vérité, je les pensais plus intelligents et prudents. Ça ne change rien, je suis venu te récupérer.
Voilà, il ne faisait même plus semblant d’être poli ou vaguement humain. Il me faisait penser à David et mon estomac se serra. Ma petite voix, tiens qui revoilà, me soufflait de lever la tête et de ne rien montrer de ma peur. Oui, super facile à faire alors que tout ce que je voulais, c’était disparaître dans le plus petit trou de souris, si possible de l’autre côté du monde. Je n’avais pas trop le choix, je devais faire face. Après un instant de réflexion, je calquais mon comportement sur celui de Théa, en bien moins impressionnant.
– Je ne t’appartiens pas. Je ne t’ai jamais appartenu et si je devais appartenir à quelqu’un, ce ne serait pas à toi, mais à celui que j’ai choisi.
Ma voix tremblait un peu, mais restait ferme, ouf. Je me concentrais pour ne pas laisser mes mains trembler et surtout pour ne pas faire demi-tour pour m’enfuir. Ce que tout mon corps rêvait de faire. Je le regardais, ses yeux bleus n’avaient plus rien de ceux que j’avais tant vu et admiré alors que nous étions en couple, plus de douceur en eux, mais de la dureté et de la fureur. Il était le même homme, mais je voyais des différences subtiles comme pour les habitants du coin. Savoir leur vraie nature me permettait de la distinguer en dessous des traits humains. Je n’étais pas sûre que ce soit un avantage à ce moment.
Il me détaillait de la tête au pied. Il me jaugeait et je voyais parfaitement bien dans sa manière de me regarder que pour lui l’affaire était déjà réglée. Il ne me laisserait pas ici et pour lui, j’étais déjà dans l’avion du retour à ses côtés.
Non, je ne paniquais pas, c’était bien pire. C’est alors que ma petite voix me souffla que je devais mettre mon collier en avant. Il me fallut un moment pour me souvenir que le petit hibou qui vivait sur ma peau était l’emblème de Livius et montrait aux autres vampires que je lui appartenais, enverrait-il le même message à Jacques ? La seule manière de faire qui me vint en tête, fut de jouer avec. Ça marcha au-delà de mes espérances. Les yeux de Jacques s’y accrochèrent, ses sourcils se froncèrent et il grogna, toujours furieux.
– Vampire, qui ?
Puis, il me regarda bien en face avec un rictus en ajoutant.
– Aucun mâle ne pourra t’éloigner de moi. Pas plus que la mort liquide dont tu te prétends l’amie.
Les mots froids tombaient entre nous. Je m’attendais presque à entendre un boum ou deux lorsqu’ils toucheraient le sol mais, non, rien ne se produisit. Je campais sur ma position, le menton levé. Du coin de l’œil, je remarquais que Théa flottait à quelques centimètres du sol. Si mes souvenirs étaient bons, c’était le signe qu’elle se préparait à se battre. Je maintenais le regard de cet homme que j’avais profondément aimé et qui devant moi n’était plus qu’un étranger. Je refusais de me montrer plus faible que je ne l’étais. Aujourd’hui, ni lui, ni moi n’étions les mêmes, je savais et lui se montrait sous son vrai jour.
– Je ne prétends pas qu’elle est mon amie, elle l’est tout simplement. Pour être bien précise, elle vit avec moi ainsi que mon autre amie Ada qui t’as conduit jusqu’ici. Comme tu t’en doutes, c’est une louve rouge. Tu vois, ma vie ici me convient. Je ne partirai pas, jamais, et encore moins avec toi.
Pas mal du tout, ma Sophie, clair et net et sans trembler, t’es une championne ma grande, mais pense à respirer ce serait mieux, me susurra la petite voix. Plus qu’à porter le dernier coup. vas-y ma grande ne le loupe pas.
– Tu as perdu tout droit sur moi en me giflant et aujourd’hui je ne suis plus cette gamine qui t’adorait. Maintenant je te laisse le choix, tu t’en vas sans faire d’histoire ou mon mâle comme tu dis et mes amies t’y aideront.
Respire idiote ! Je soufflais, fière de moi.
Il s’avança alors avec une vitesse incroyable et voulu me saisir le poignet, mais j’avais reculé d’un pas et Théa était déjà placée entre nous.
– Tu vas arrêter tes conneries. Tes parents sont d’accord. Tu vas renter avec moi et faire ce qui était prévu, m’épouser. Je ne te laisse pas le choix. Tu n’as pas ton mot à dire. Tes parents et moi avons déjà tout prévu, cesse de faire la gamine.
Sa voix grondait de rage et je savais que l’argument de mes parents était vrai. Ils devaient m’avoir déjà marié avec lui et prévu une flopée de petits-enfants, mais je n’étais plus celle d’avant. Je voyais dans ses yeux ce qu’il pensait vraiment et je savais qu’il allait me tuer si je persistais à lui tenir tête. Bon ben, je persistais.
– Non.
J’avoue, ce simple mot lancé au visage furieux de mon ex, me demanda bien plus de courage que traverser le monde pour finir ici m’en avais demandé. Je serrais les poings pour me rassurer, je me labourais la paume avec mes ongles sans m’en rendre compte mais, au moins, j’arrivais à dévier mon esprit de la monumentale trouille qui envahissait toutes mes cellules et qui n’allait pas tarder à me paralyser. Il le savait, il le sentait, j’en étais sûr.
Chapitre 19
Je me sentais de plus en plus tendue et je ne voyais pas comment je pourrais raisonner Jacques.
– Bonjour, lança la voix faussement joyeuse d’Ada.
Je sursautais, mon cœur manqua plusieurs battements, elle faillit me faire mourir de peur, mais je n’osais pas lâcher Jacques des yeux, car lui aussi me fixait sans ciller.
Ce n’est pas avant de sentir une main se poser sur ma taille et des lèvres effleurer mon cou que je me rappelais qu’elle avait été le chercher, sa main se posa à plat sur mon ventre pour me faire reculer, juste assez pour que je sente son corps se coller au mien. Les lèvres dans mon cou laissèrent passer ses dents et il érafla ma peau. Je le sentais sourire et je vis un changement dans le regard de mon ex. Livius me tenait encore plus serré contre lui. Son autre main remontait doucement le long de mon bras et son souffle sur ma nuque me faisait frisonner. Tout mon corps se détendit et je penchais la tête en arrière contre son épaule. J’étais sauvée. Je laissais échapper un soupir de soulagement et lorsque sa main quitta mon bras pour venir saisir ma gorge, je le laissais faire en fermant les yeux.
– Si tu pouvais gémir, ce serait encore plus convaincant, me souffla Livius au creux de l’oreille.
Je gémissais alors qu’il glissait sa langue le long de ma gorge. Pas parce qu’il me l’avait demandé, mais bien parce que la sensation de son corps contre le mien et celle de sa langue sur ma peau me faisait réagir. Je n’avais pas encore signé pour devenir nonne, je vous signale, pas encore et ce que mon corps me renvoyait en sensations, me prouvait clairement que je ne signerai jamais. Du coup mon gémissement n’avait rien de forcé ni de faux, mais plutôt tout de celui de plaisir que seul un amant devrait entendre. On accusera l’adrénaline…
J’entendis gronder de deux manières différentes, une, était de désir, l’autre de colère. Je ne voulais pas ouvrir les yeux. Je n’avais nulle envie de voir qui d’autre était dans la pièce. Je voulais rester seule dans ma bulle avec Livius mais le grognement de colère se transforma en fureur et m’obligea à revenir sur terre.
– Vous avez un problème ? Demanda Livius d’une voix calme.
Et amusée ? Oui, il trouvait cela drôle, il me lâcha, me retourna et m’embrassa. Il m’embrassait et merde! Il embrassait terriblement bien et je le laissais faire, pire, je participais. J’étais fichue. Comment retrouver une relation normale, enfin normal pour nous, après ça ? Quoique le seul et unique neurone qui restait en état de réfléchir avait décidé que finalement, on s’en fou de l’après. Il m’engageait à profiter, à fond, du moment présent. J’en profitais donc passant mes doigts dans ses cheveux et en collant le moindre centimètre de mon corps au sien. Le gémissement qui s’échappa alors de mes lèvres n’exprimait rien de moins que l’envie que j’avais ignoré depuis plus d’un an. J’oubliais où j’étais, j’oubliais qui était présent, je goûtais avec gourmandise tout ce que Livius m’offrait. C’est lorsque l’une de mes jambes se leva pour s’accrocher à lui qu’il me relâcha, bien trop vite à mon goût et m’ordonna, oui, ordonna !
– Reste à côté d’Ada ! Je dois discuter avec cette chose.
Il me repoussa. Mon esprit se cracha par terre et mon corps obéit automatiquement. Je rejoins Ada qui regardait attentivement le plafond en souriant. J’étais tellement à côté de la plaque que je lançais un regard au plafond pour comprendre ce qu’elle regardait, avant que ma petite voix se fiche royalement de ma gueule et que je tilte sur le pourquoi du comment. En deux secondes, mes joues se transformèrent en phares rouges et brûlants et je me liquéfiais de honte. La meilleure preuve qu’elle était mon amie, fut qu’elle ne fit aucun commentaire sur ce qui venait de se passer, rien de rien.
Le combat de coq qui se passait au fond de la pièce, me rendit mes esprits. Livius se tenait en face de Jacques et se présentait tranquillement, sans élever la voix et sans avoir l’air impressionné ou mal à l’aise, bien au contraire. Il ne tendit pas sa main, mais se plaça à quelque centimètre de Jacques qui ne bougeait plus et ce qui m’étonnait le plus c’était que son regard avait passé d’arrogant à mal à l’aise, je voyais presque de la peur. Ada retrouvant la parole me disait :
– Il était impossible que ton ex ne connaisse pas Livius de réputation même s’il n’a pas reconnu le symbole à ton cou et n’a pas vu tout de suite qui t’embrassait. Il ne peut plus ignorer qui lui fait face. Théa sera déçue de ne pas pouvoir le tuer, mais je ne pense pas que ce mec s’en sorte sans problème. Livius tient trop à toi.
Je regardais Théa du coin de l’œil, elle avait vu mon regard et venait vers nous. Elle avait une mine boudeuse, sa proie venait de lui échapper. Elle tapait des pieds, les mains enfoncées dans les poches, elle semblait si déçue que je me mis à rire. Hé oui, la tension, la peur, le stress ressenti depuis le matin avait décidé de sortir sous forme de rire devant la mine de ma copine trop déçue de ne pas pouvoir tuer gaiement mon ex alors que les deux trucs débordant d’arrogance se jaugeaient au fond du salon.
Livius fut près de moi en moins de temps qu’il ne fallait pour le dire.Il me prit dans ses bras et me fit tournoyer avant de m’embrasser fougueusement. Il me chuchota un t’es folle, mais génial puis me reposait et se tournait vers Jacques.
– Tu vois elle est tellement sûre qu’elle est mienne qu’elle rit à l’idée que tu puisses penser qu’elle t’aime encore. N’est-elle pas adorable ?
Puis, d’un ton bien plus sombre, en se rapprochant de Jacques, il précisa :
– Elle m’appartient.
Il avait à peine fini ses mots que Jacques s’élançait vers moi et s’écrasait à mes pieds. Pas tout compris moi, alors qu’il se relevait, je vis que son nez était en sang et qu’une balafre ornait sa joue. Rapide, ce fut. Jacques essuyait le sang qui coulait sur son visage, mais au lieu de reculer, il se jetait sur Livius et fini à terre avec une nouvelle coupure, au bras cette fois-ci. Il reculait, furieux et moins sûr de lui qu’à son arrivée, mais pas encore décidé à laisser tomber.
Alors, je sentis l’air autour de moi s’épaissir, devenir irrespirable, sans que je comprenne pourquoi. Ada disparut de mon champ de vision, enfin, elle ne disparut pas vraiment puisqu’un loup aux babines retroussées l’avait remplacée. Puis j’entendis la chanson qui sortait des lèvres de Théa alors qu’elle s’élevait comme prise d’un ouragan qui ne touchait qu’elle. Cette chanson me donnait envie de vomir, quant à Livius, il restait immobile. Il n’aurait pas eu l’air plus calme s’il avait été dans son fauteuil à la maison. Il m’énervait de calme.
Devant moi, l’homme que j’avais aimé au point de vouloir l’épouser avait une fourrure épaisse et blanche qui le recouvrait et son corps semblait devenir flou, mal défini. Il ne se transformait pas aussi rapidement que ma louve, mais petit à petit, la forme d’un ours devenait tangible. Un ours immense debout sur ses pattes arrière qui répondait au grognement de la louve par un encore plus fort. Mince, il était terrifiant.
Ma petite voix se fit entendre, elle me fit remarquer que là je devais me calmer un peu. Tu n’as pas eu peur d’Ada en loup. Tu n’as rien dit quand Théa, c’est mis à voleter alors ta gueule, un ours pfff. Tu ne vas pas faire l’enfant. Ce n’est qu’un ours.
Mouais, mais un ours de plus de deux mètres qui n’avait pas l’air ravi et prêt à tailler en pièce mes amis et c’était de les perdre qui me faisait le plus peur. L’idée qu’ils se battent et soit blessé à cause de moi, me terrifiait encore plus que l’ours qui se dressait devant moi. Je hurlais.
– Jacques, ça suffit, arrête tes conneries !
Stop, pause, c’est moi qui ai hurlé ? Mais heu, il me prend quoi ? Non, parce que là-dedans j’étais quand même la seule qui risquait sa peau. Les quatre autres seraient peut-être blessés, mais moi… Mais bordel qu’est-ce qui m’avait pris ? Au secours ! J’avais envie de me frapper la tête contre un mur pour me remettre les idées en place et faire taire ma petite voix qui hurlait de joie dans ma tête en disant : vas-y mets en leur plein la vue. T’es la meilleure !
Bien sûr, ta gueule la voix, non mais te jure !
A première vue, il n’y avait pas que moi qui en étais surprise parce que plus un bruit ne se faisait entendre et que quatre paires d’yeux étaient braqués sur moi. Ils avaient l’air franchement estomaqués. Ben quoi, une petite humaine qui remet au pas quatre dangereux tueurs, à peine de quoi se prendre la grosse tête, non ?
Franchement non, je n’en menais pas large. Je ne me prenais pas pour ce que je n’étais pas. Non, je suis incapable de me battre contre eux, pas la moindre chance de m’en sortir vivante si le cas se présentait. J’avais juste eu un coup de gueule et je le regrettais déjà.
L’ours en face de moi devenait trouble et la louve sur mon côté avait perdu tous ses poils, en quelques instants les deux métamorphes étaient redevenus humains et me fixaient.
– Qu’est-ce que tu es ?
La question maintes fois posée venait cette fois de la bouche de mon ex. J’allais finir par croire que je n’étais pas humaine. Par contre, de là à penser que ma petite personne avait des pouvoirs extraordinaires, c’était risible comme si je pouvais faire plier les dingues qui peuplaient ma vie simplement en hurlant. Ridicule et même plus, ce n’était que par surprise que je les avais eus, rien d’autre. La petite chose que j’étais avait osé crier et c’était tellement inhabituel que ça les avait stoppés. Enfin pas tous, Théa était toujours au centre de sa tornade personnel. C’était risible, mais ça avait fonctionné. Le retour de visages humains autour de moi me fit du bien, sincèrement, je me sentais moins petite, moins démunie, pas sauvée, mais mieux.
– Ça ne te regarde pas.
La réponse prononcée calmement venait de Livius, Ada me soufflait à l’oreille.
– Ne dis rien. Ne dis rien, laisse-le parler.
Mais franchement, ce sous-entendu sur ma soi-disant face cachée et non humaine ne me plaisait pas. Il y eut un duel de regard, le doute enflait dans celui de Jacques. Un truc lui échappait, il le sentait bien, mais ne voyait pas quoi.
– Je te croyais humaine souffla-t-il, je n’ai jamais senti que tu ne l’étais pas.
– On n’a jamais dit que les Bersek étaient les plus douées pour décrypter les énergies. Vous êtes de bon combattants, mais rien de plus.
Ada l’avait dit d’une voix dédaigneuse. Je ne l’avais jamais entendu parler ainsi. Elle n’était pas en colère, dangereuse, oui, mais pas en mode attaque. On aurait dit qu’elle parlait à une limace dégoûtante. Mais, bon sang, il y avait combien de limaces dans cette histoire ? Note à moi-même trouver une autre analogie. On en revenait à cette idée stupide que je n’étais pas humaine, ça me fatiguait, mais à un point que vous ne pouvez pas imaginer.
Jacques reculait encore, son regard passait de Théa qui continuait à flotter à Ada qui se moquait clairement de lui, puis il se tournait vers Livius qui avait enfilé son masque de “je suis le meilleur et j’emmerde tout le monde parce que moi je sais”. Bref, il avait le visage du grand con de vieux vampire qu’il pouvait être parfois.
– La dernière louve rouge, la mort liquide et le tribun, tous prêts à se battre pour une femelle, c’est plus qu’une énergie quelconque qui m’échappe. Qu’est-elle réellement ?
Il me regardait de la tête au pied. Il me scannait les sourcils froncés. Il était clair qu’il ne comprenait pas ce que j’avais de spécial, lui non plus. Bienvenus au club ! Chers amis, vous qui tenez à comprendre, veuillez prendre un ticket et attendre votre tour pour tenter de percer le mystère et débrouillez-vous sans moi parce que moi, je n’en savais rien.
– Elle est Sophie, ma compagne et amie des deux femelles qui se trouve ici.
Ce fut la seule réponse qu’il reçut et même si j’avais envie de râler sur le pronom possessif et le terme femelle qui me faisait frémir. Je restais tranquille. Ce n’était pas le pire entendu depuis quelques heures. J’attendais que quelque chose se passe, n’importe quoi et si possible vite, ça m’arrangerait. Je me sentais de plus en plus mal à l’aise.
– Je pense qu’il est temps pour nous de rentrer, me dit le fier compagnon que la situation m’avait offerte.
Il passa un bras autour de ma taille, me poussait doucement en direction de la sortie quand Jacques lança :
– Elle reste mienne.
Il tournait en rond avec ses à moi, à moi, à moi. On n’avançait pas là et j’avais envie de dire à Théa : vas-y fait ce que tu veux. Je fermais les yeux, serrant mes paupières le plus fort possible. J’avais l’impression que rien ne permettrait d’avance, il considérait que je lui appartenais, je considérais que non. Livius, je ne savais pas ce qu’il pensait et là, tout de suite, je m’en moquais. Je voulais rentrer chez moi, retrouver ce semblant de normalité qui était ma vie aujourd’hui.
Je me retournais pour faire face, tout en moi se tendit de rage et de ras le bol. Je regardais Théa, bien en face et je m’entendis dire :
– Fais ce que tu veux, là, j’en ai marre.
À part Théa qui me lança un sourire radieux, les trois autres présents eurent l’air surpris enfin plutôt ahuri ou plutôt, oui je dirais qu’ils me regardaient comme si j’étais devenue folle.
Le monde devint flou. Une brume épaisse se mit à remplir la pièce, une brume humide et froide. L’ouragan personnel de Théa semblait l’absorber. Elle était petit à petit entourée d’une brume dont les gouttelettes se regroupaient en filet d’eau de plus en plus épais et nombreux. En quelques instants, un torrent tournoyait autour d’elle. Un torrent qui grondait, mais qui n’empêchait pas la chanson basse qui sortait des lèvres de la rouquine de se faire entendre. Le son prenait de l’ampleur et l’eau prenait vie en un bras qui avançait vers Jacques. Plus la chanson devenait forte, plus le torrent d’eau grossissait, plus le bras d’eau s’épaississait.
Le Bersek se retrouva enveloppé d’une bulle d’eau qui semblait le coller quels que soient les gestes qu’il faisait. Il étouffait. Il se noyait. Il s’écroula à genoux, ses yeux me suppliant de tout arrêter. La chanson de l’ondine faisait vibrer toutes les cellules de mon corps. Elle semblait répondre à ma rage, à ma peur. Je ne voulais pas que ça cesse. Je voulais le voir mort. Rien d’autre ne comptait plus.
Je ne me reconnaissais pas. Je voulais la paix et si cela devait passer par sa mort, je m’en moquais. Une partie de moi enfuie bien profond se réveillait et avait pris les rênes de mes pensées. Une part sombre que j’ignorais posséder, mais bien réelle en cet instant. Je voulais le voir mort.
Et, Livius m’embrassa.
Un baiser doux, tendre qui me prit par surprise avalant ma colère. S’il avait été exigeant ou passionné, il n’aurait pas atteint cette partie de moi qui voulais juste la paix et le calme. Un baiser fougueux aurait probablement poussé mon côté sombre, mais pas cette douceur, cette tendresse que je sentais sur mes lèvres. Elle me donnait envie de plus de douceur, mais une partie de moi refusait de se calmer. Une partie de moi voulait qu’enfin Jacques me lâche et si pour cela il devait mourir, pas mon problème. Une autre partie me suppliait de refuser de passer ce cap, de rester Sophie, la petite humaine toute simple, de renoncer à laisser mon amie tuer encore une fois à cause de moi.
Je crois que c’est plutôt cette idée, lancée par la petite voix qui ne faisait pourtant que murmurer dans les tumultes de mes émotions qui me fit hésiter. Je ne pouvais pas demander ça à mon amie. J’avais déjà été la cause de la mort de David, peut être méritée pour mes amis, mais la punition était démesurée de mon point de vue. Je ne voulais pas que Théa tue encore à cause de moi alors qu’il y avait d’autres solutions.
Je repoussais sèchement Livius et me concentrait sur Théa décidée à l’arrêter. Le flot qui l’entourait semblait impénétrable. Je devais réussir à attirer son attention. Je l’appelais du plus fort que je pouvais. Pourtant, elle n’entendait rien entre sa chanson et le bruit de l’eau. Rien ne pouvait pénétrer son ouragan. Je décidais sans trop réfléchir de m’approcher. Je m’attendais à devoir contrer le courant de l’eau qui tourbillonnait. Je m’attendais à devoir lutter pour réussir à passer ce barrage tournoyant. Ce fut plutôt comme entrer dans une rivière, oui il y avait du courant, oui je tenais à peine debout, mais j’avançais doucement sans rencontrer la résistance impénétrable crainte. Je ne voyais plus que Théa qui ne voyait plus rien d’autre que sa proie. Je m’approchais en tendant les bras, un pas après l’autre, doucement pour ne pas me faire emporter. Une fois passé la barrière liquide, le calme me surprit. L’œil de l’ouragan, là où mon amie dirigeait le courant, était empli de vent, un vent léger et agréablement chaud. Elle ne me voyait pas. Elle ne m’entendait pas. Alors je fis la seule chose que je pouvais faire, je la touchais. Je l’attrapais pour la ramener contre moi et je la serrais fort dans mes bras en lui disant doucement avec toute la tendresse que j’avais pour elle :
– Arrête il a compris. Je ne veux pas que tu le tues, pas toi, pas comme ça. Je t’aime trop pour te laisser faire, s’il te plaît, arrête ! Je suis tellement désolée de te l’avoir demandé. Tu mérites mieux comme amie.
L’eau retomba d’un coup en me détrempant et je me pris la plus grosse et la plus longue engueulée de ma vie de la part de ma rouquine furieuse.
Elle était furieuse après moi, pas parce que je lui avais demandé de tuer Jacques, pas non plus de lui avoir demandé d’arrêter, mais totalement hors d’elle que je puisse penser un seul instant que j’étais une mauvaise amie. L’ordre des priorités de Théa n’était vraiment pas le même que le mien. Je la laissais hurler, pester, râler, me maudire jusqu’à ce que le calme fit son retour. Elle était rouge de colère, mais n’avait plus de voix. J’avais les oreilles qui sifflaient et les trois autres avaient des yeux ronds et des bouches béantes.
– Waou, fit Ada.
– Eh bien, fit Livius.
– Merci ! Souffla Jacques.
Du grand n’importe quoi ! Et moi ? Moi, je sautais sur Théa pour l’étouffer dans mes bras en lui assurant que plus jamais, jamais de toute ma vie, je ne lui demanderais quelque chose de semblable. Je tenais trop à elle. Je dis le tout en pleurant à chaudes larmes.
Jacques restait étendu par terre à reprendre son souffle, Ada se tenait à côté de Livius et tous les deux me regardaient d’un drôle d’air. Je relâchais Théa et me tournais vers Jacques.
– Tu repars demain et tu ne reviens plus. Dis à mes parents que tout va bien pour moi que je suis heureuse. Que j’ai des amies et un ami que je leur présenterai si les choses deviennent sérieuses. Que ce sont des gens bien et que tu les as trouvés sympathiques. Si j’apprends que tu as fait la moindre remarque désagréable sur l’un d’eux. Je ferais en sorte que plus jamais tu ne puisses le faire. Suis-je assez clair ?
Il se releva et me fixait, toujours aussi furieux.
– Tu… commença-t-il.
Et je me mis à hurler.
– Non, je ne t’appartiens pas. Non, plus jamais je ne serais tienne. Je suis ici et j’y reste, je te déteste, comprends-tu bien, tu es un monstre, un salaud.
– Monstre, me coupa-t-il, et elle ?
Sa main montrait Théa. Je hurlais encore plus fort, poussée par ma petite voix qui jouait au coach dans ma tête, je m’étonnais moi-même, mais on ne touchait pas à mes amis.
– Elle est mon amie, j’ai confiance en elle et je t’emmerde. Tu n’es rien de plus qu’un abruti qui pense que la force permet tout. Je me fous du nombre de morts qu’ils ont fait. Je me fous de leur passé. Je me fous de ce qu’ils sont. Aucun d’eux ne m’a frappé. Aucun d’eux ne m’a donné d’ordres.
Bon d’accord ce n’était pas tout à fait vrai, on n’allait pas se prendre la tête pour des détails, je continuais alors que ma voix montait dans les aigus.
– Ils m’ont accepté tel que j’étais sans me dire que je n’étais rien ou pas assez ou trop. Eux, ils m’aiment réellement. Eux ont pris soin de moi. Eux m’ont protégé. Eux, je les aime, pas toi.
Je crachais les derniers mots en reprenant ma respiration pour continuer, mais je n’en eus pas le temps. Je le vis avancer, je vis ma mort dans ses yeux. Je n’avais pas le temps de bouger pour l’éviter. Je paniquais.
Je vis du sang qui coulait de sa bouche. Ses yeux remplis de fureur se voilèrent, ses genoux se plièrent. Il était à genoux devant moi sans que je comprenne comment. Avec lenteur, il s’écroula sur le côté, mort. Ça n’avait duré qu’un instant, un battement de paupière, je n’avais rien vu, rien compris, mais Jacques était mort. Le silence était solide autour de moi. J’avais l’impression que l’air était devenu si épais que j’arrivais à peine à respirer.
Je relevais les yeux du corps à mes pieds en remontant le long des jambes qui se tenaient derrière. Je m’arrêtais un instant sur un long couteau couvert de sang, puis sur la main qui le tenait, puis sur le visage de Livius droit devant moi. La rage déformait son visage, aucune autre émotion n’était visible. Il était juste fou de rage. Le silence s’éternisait. Rien ne bougeait, puis Ada parla.
– Mince, je n’ai même pas eu le temps d’intervenir.
– Fais chier, il est trop rapide, propre et sans bavure, beau boulot, approuva Théa.
Elles avaient toutes les deux la voix bougonne. Je me tournais pour les regarder. Elles s’étaient rapprochées pour regarder de plus près, sans gêne. Je soupirais, je recommençais à respirer.
– Il aurait pourtant mérité de souffrir un peu plus, grinça Ada.
Voilà, rien de plus à dire, juste flûte trop rapide et trop bien fait, je te jure, je ne m’y ferais jamais.
– Préviens Albert ! Ordonna Livius.
Ada s’empara de son téléphone et discuta tranquillement avec le dénommé Albert. Elle parlerait de sa liste de course qu’elle ne serait pas plus émue. Il fallait vraiment que je m’enfonce dans le crâne qu’aucun de mes amis n’était tout doux, sinon ce genre de réactions allaient continuer à me mettre dans tous mes états. Et puis franchement, c’était la première fois que je voyais un homme, enfin non, enfin si, bref, c’est la première fois que je voyais un mort et je ne le prenais pas aussi bien que mes amis. Ben ouais, je m’effondrais, je m’évanouissais, Black out total. Vous pensiez quoi ? Que je prendrais tout ça tranquillement ? Ben non, je n’avais rien de la tueuse à sang-froid. Je n’étais qu’une petite humaine stupide.
Je ne touchais pas terre, des bras me saisir et m’allongèrent sur le canapé. J’ouvris les yeux pour voire trois paires d’yeux qui m’observaient avec appréhension. Je bougonnais, agitais la main pour les faire reculer et me redressais lentement. Une fois assise, c’est un quatrième regard qui me troubla.
Un grand type au crâne rasé était debout quelques mètres plus loin, sa peau sombre s’ornait de tatouages et mes neurones pédalaient pour trouver d’où ils l’avaient déjà vu. Ils pédalaient dans le vide, je le reconnais, ils avaient eu leur compte. L’homme regardait la scène qui se passait devant lui, ses sourcils se levaient de plus en plus, preuve que le spectacle était assez surprenant, mais surtout ses yeux passaient sans s’arrêter sur l’équipe qui m’entourait. Remarquant que je louchais par-dessus leurs épaules, ils se retournèrent.
– Pas trop tôt, il ne fallait surtout pas te presser.
C’est Ada qui houspillait le nouveau venu.
– C’est qui ? murmurais-je.
– Alfred, le propriétaire de la station-service. Tu l’as déjà vu !
Oui, je l’avais déjà aperçu, enfin surtout ses pieds qui dépassaient parfois des voitures qu’il réparait, mais sans plus. Il ne figurait même pas dans un chapitre de mon livre, alors ma question suivante était, de mon point de vue, logique, pas aux leurs, vu les haussements d’yeux qui me firent face.
– Et pourquoi il est là ?
– Le clan Bersek est sous la responsabilité des miens quand ils quittent leur territoire.
Sa voix était grave et tranquille comme toute son apparence d’ailleurs, si on exceptait ses sourcils levés. Il nous laissa pour se planter au-dessus de Jacques et le souleva par la veste, le jeta sur ses épaules et sortit. Voilà, comme si de rien n’était et sans plus de commentaires. C’est Ada qui me fournit les explications
– Il va s’occuper de tout, prévenir la famille et leur expliquer ce qui s’est passé, décider avec eux ce qu’il faut faire du corps, prévenir le clan et faire les démarches pour que la disparition de ton ex soit expliquée. Je pense que ce coup-ci un accident d’avion serait une bonne façon d’éviter toutes les questions. Il a l’habitude de gérer, ne t’inquiète pas ton nom ne sera même pas prononcer.
– Heu, si quand même tout le monde savait qu’il venait me voir.
– Tu joueras l’émotion au pire, désolée pour lui, pour ses parents, mais rien de plus.
Mais bien sûr, tout simplement, sans me prendre la tête, elle rêvait. D’un mouvement de main, elle écarta mes protestations à venir.
– Nous ne sommes pas humains, tu te souviens ?
Oui, bon d’accord, ça finira bien par me rentrer dans le crâne, un peu, un jour.
– Allez on rentre, je passe prévenir Mona.
Voilà, on range Sophie et les grandes personnes gèrent le reste, mais comment allais-je pouvoir avaler ce qui s’est passé ?
Je traversais dans une sorte de brouillard les premiers jours puis au fils du temps ma nouvelle normalité repris ses droits. Avoir Ada et Théa comme amie aidait bien, Livius, lui disparaissait des semaines durant, revenait quelques jours avant de repartir.
Il m’a fallu des semaines pour digérer la mort de Jacques. Comme Ada l’avait envisager, la version officielle fut l’accident d’avion. Mes parents me téléphonèrent pour me dire combien ils étaient désolés pour moi que ce drame arrive au moment où, enfin, nous allions nous réconcilier. Du moins c’était ce qu’il avait prétendu et me redire une centaine de fois qu’ils comprenaient que je préfère rester ici, loin des souvenirs. Je jouais sans trop de mal la fiancée choquée par la mort de Jacques, choquée je l’étais réellement, mais pas pour ce que s’imaginait ma famille. Tout avait été réglé et géré par Alfred d’une main de maître.
Une nouvelle routine s’installait, j’avais repris le travail et James me faisait faire l’inventaire entre deux clients, ce surcroît de travail me sortait de mes pensées négatives. Les repas du mardi avaient repris et le chouchoutage intensif prodigué par mes amis finissait doucement de me ramener à la vie. Je me sentais mieux, mais je m’en voulais toujours alors que pour tout le monde rien de grave ne s’était passé, différence énorme de manière de voir ce qui venait d’arriver, mais j’allais de l’avant.
Chapitre 20
À part une certaine ouverture d’esprit, acquise un peu de force, auprès des deux folles qui me servaient d’amies, la plus grande différence dans ma vie, était que le comportement des habitants avait bien changé. Je n’étais plus l’étrangère, je n’étais plus une petite chose sans défense. J’en eus la preuve quand le mois d’octobre pointa son nez et que Suzanne me remit d’office derrière le stand de tarte, encore. Cette fois-ci, ce n’était plus parce qu’on ne me connaissait pas que les clients venaient acheter en grande quantité et rapidement mes tartes, mais au contraire pour éviter de me contrarier, et donc de contrarier mes amis, du moins c’est ce que prétendit Suzanne.
Je dois avouer que de voir Suzanne et Ada mourir de rire en me le disant fut un tantinet désagréable, entendre Théa assurer qu’ils avaient bien raison de se méfier avant d’imiter son fameux Conti-Dracula susurrant à tous les passants “je vais te manger”, fut des plus hilarant. Nous pleurions toutes les trois de rire alors qu’elle restait sérieuse en s’enroulant dans la nappe qui lui servait de cape et qu’elle s’en retournait à son stand de trucs bizarroïdes.
Les tartes vendues, Suzanne ravie me laissa pour aller s’occuper de son mari qui avait disparu depuis un moment, plus attiré par la bière que par les tartes. Ada étant occupée avec ses chers touristes adorés, non, elle n’en avait dévoré aucun, enfin à ma connaissance. J’allais soutenir Théa à son stand ou l’emmerder selon elle.
Je plaide coupable, mais l’entendre doubler les prix, sans broncher le moins du monde, me faisait grincer des dents. Je lui faisais perdre des ventes selon elle. Elle me poussa loin en m’ordonnant d’aller pourrir la vie de quelqu’un d’autre et qu’elle me retrouverait plus tard, le tout dans un grand éclat de rire.
Ce que je fis me baladant pour la première fois sans garde du corps et sans avoir l’impression de risquer quelque chose. Le souvenir de David ne me revint qu’au moment du feu d’artifice, vite remplacé par les rires de mes amies.
Ma seule contrariété venait des absences de Livius. Bon d’accord notre relation n’était pas clair, pas simple, mais il avait toujours été là et sa présence me manquait, je n’y pouvais rien. D’un autre côté, Conti avait pris en douceur une place lors de nos petites bouffes du mardi soir et se montrait beaucoup moins vieux-jeu que prévu. Il supportait de mieux en mieux les remarques ironiques de Théa que je soupçonnais d’avoir toujours pour lui un petit faible, ce qu’elle niait absolument. Le seul problème de Conti était qu’il ne pouvait pas participer au repas et se sentait parfois comme le vieil oncle édenté qui attend sa purée, enfin, c’est Théa qui le qualifiait ainsi. C’est au cours de l’hiver qu’avec Ada nous avons joué aux petits chimistes pour aromatiser la nourriture liquide du pauvre oncle Conti. Ce ne fut pas à chaque fois une réussite, j’en conviens. Ils jouaient le jeu et les fous rires que ces grimaces de dégoûts produisaient resteront dans les annales.
Nous avions fini par trouver de quoi lui faire plaisir et il nous suivait entre entrée et dessert avec de petites quantités de sang goût fraise, chocolat ou café, ses préférés. Lorsque Livius était présent, une fois sur deux environ, il refusait avec obstination de tester nos créations et regardait Conti avaler avec plaisir ce qu’il qualifiait de sacrilège avec une mine dégoutté. Mine que Théa appelait sa tête de phobique de la nouveauté avant de préciser que certains vins tournent au vinaigre en vieillissant, heureusement d’autre devenaient des grands crus, ce qui faisait sourire Conti de toutes ses dents.
À Noël l’invasion fut totale, quarante-deux loups, ma famille d’adoption, ma sœur ondine, un patron sorcier, deux papa-vampires et moi. Si le nombre continuait à augmenter il faudrait pousser les murs. Là, les meubles étaient entassés dans une des chambres de l’étage. Les tables serrées au maximum et les sardines, pardon les invités, avaient juste la place de respirer.
Au cours de la soirée, j’avais tenté à plusieurs reprises d’ouvrir mes cadeaux arguant que nous étions le lendemain et que la tradition serait respectée, mais rien n’y fit.
Oui, je sais, je veux que l’on me respecte comme l’adulte que je suis, pourtant, Noël me faisait redevenir petite fille, c’est comme ça. Et puis j’avais reconnu les fameuses boîtes à biscuits que finalement j’adorais. Biscuits et écharpes avec bonnets seraient cette année encore mes cadeaux, trois ans et hop, voilà une tradition qui se crée toute seule.
La soirée se finit à l’aube. Personne ne marchait plus très droit. Ha, bonne nouvelle, on avait enfin cessé de surveiller ma consommation d’alcool. Ce qui pour moi, était une vraie avancée.
Théa avait emménagé pour l’hiver ou pour toujours, je n’en étais pas bien sûr. J’en étais ravie, mais elle éparpillait ses affaires comme le petit Poucet ses cailloux et passait des heures sous la douche. Ça me rendait folle ! J’appréciais la vie qu’elle mettait dans la maison avec ses fous rires et je ramassais presque sans râler ce qu’elle s’obstinait à semer.
Ada avait réintégré son chez-elle chéri, mais passait régulièrement pour nos marathons séries. Je m’étais inquiétée. J’avais peur qu’elle pense que Théa prenait toute la place. Ada m’avait rassurée, elle aimait son indépendance. Certes les loups vivent en meute, entre le clan des loups très présent en ville et son oncle, elle se sentait déjà assez entourée pour ne pas avoir envie de vivre en colocation surtout avec la pagaille que semait Théa avait-elle précisé puis elle s’était moquée de mes envies de calme pas vraiment respectées, elle n’avait pas tort.
Voilà trois ans que j’étais arrivée ici, voilà trois ans que ma vie avait pris un étrange tournant, riche d’amitié, sombre par le passé et le caractère de mes amis, cependant, rempli d’amour et de tendresse. J’avais fini par intégrer que le monde n’était pas tel que je l’avais pensé pendant plus de 26 ans. Il était bien plus riche. James m’avait fait comprendre que je n’avais fait que soulever le voile, mais soyons sérieux, je trouvais que ce qui avait été dévoilé me suffisait pleinement et je ne souhaitais pas en savoir plus.
Il faut toujours se méfier de ses souhaits.
Les choses sont devenues plus compliquées pour moi en mars. Pas ma faute, je tiens à le préciser, mais par le besoin protectionniste de Livius qui avait atteint des sommets et le rendait invivable, même pour Théa et qui nous avait toutes mises sur les nerfs. Il m’avait réveillé en pleine nuit pour discuter de ce que je devais faire ou pas plusieurs fois par semaine. Il avait fini de me rendre dingue en me secouant encore une fois au milieu de la nuit pour de mon point de vue me pourrir mes nuits, du sien pour me prévenir qu’Ada allait revenir à sa demande et qu’il serait absent deux semaines, colloque vampirique en cause. Il avait mis la moitié de la nuit pour m’expliquer ce qu’il comptait organiser pour ma sécurité.
Je vous explique, sa résurrection avait créé un mini séisme. Il n’était pas le plus vieux vampire en vie, cependant il faisait partie des dix plus vieux, ça Théa avait suffisamment insisté dessus pour que je comprenne.
Un conseil des dix régissait la totalité des clans vampires, un peu comme celui des huit qui régissait la ville sauf qu’eux croyaient en la démocratie, les trucs à dents longues beaucoup moins. Sa résurrection avait donc chamboulé l’ordre du conseil, crée un mini drame politique et secoué le cocotier en pierre du flegme vampirique. Après de longues discussions et remises en question, il fut décidé de lui rendre son rang enfin pour être précis, il reçut l’ordre de réintégrer son rang. Réintégration qui se ferait en grande pompe la semaine prochaine. Une semaine nécessaire pour respecter un protocole vieux et rigide et pompeux.
Il serait donc absent et dans sa tête d’anxieux papounet-vampire-protecteur, rôle qu’il s’était attribué tout seul, il lui fallait donc renforcer la sécurité ce qui me saoulait et pas que moi. Théa fomatait son meurtre dix fois par jour et disait à voix haute combien sa disparition ne saurait tarder. Ada tentait de rester neutre, par contre, elle avait trouvé un moyen de faire connaître avec humour ce qu’elle ressentait. Elle portait une veste avec Team Sophie peint dans le dos, sans dire un mot plus haut que l’autre. Il ne nous trouvait pas drôles. On le trouvait lourd. Conti avait même fini par lui proposer de dormir au pied de mon lit pour qu’il se calme. Va comprendre, il s’est pris une droite de Livius. Ada avait ajouté le symbole peace and love sur l’avant de sa veste et Théa avait proposé que je dorme dans la cave pour le rassurer. Elle était prête à m’enchaîner pour calmer le vampire. Bref, on était tendu.
Le week-end précédent le colloque des sangsues aux dents longues frisa le grand n’importe quoi. Alors que j’étais gavée de conseils sur la sécurité : ferme les portes à clefs, même celle de ta chambre, contrôle que les fenêtres soient toutes fermées correctement, etc. Théa lui fonça dessus, l’attrapa par le col et le tirait en pestant dans la cave. Ada et moi en avions conclu qu’une discussion animée allait avoir lieu et Ada alla chercher du pop-corn pour, à défaut de voir, profiter du son. Nous n’avons pas réagi aux cris, mais le bruit de cascade qui nous parvint nous inquiéta. Lorsque avec Ada nous avions ouvert la porte une Théa furieuse en jaillit en râlant. La cave était ravagée enfin, inondée serait plus juste.
– C’est chiant à noyer un vampire !
Nous n’en sûmes pas plus. Ada avait haussé les épaules et retournait au salon regarder la télévision. Elle méritait la médaille d’or du stoïcisme. Je filais à la cave inspecter les dégâts et finis morte de rire en voyant Livius furieux et détrempé au milieu d’un lac souterrain. Deux conclusions s’imposaient : les travaux de la cave commenceraient au printemps et Livius ne pourrait rien en dire et il ne faut vraiment pas énerver Théa.
James débarqua trente minutes plus tard. Ada lui avait envoyé un message. Elle n’avait pas eu besoin de voir l’état de la cave avant de demander de l’aide à qui de droit. Il regarda le désastre et s’occupa d’évacuer l’eau, Théa ayant refusé. Parfois, c’est pratique d’avoir un sorcier dans ses amis.
Il s’occupa aussi de calmer Livius et pour en finir une fois pour toutes avec cette dispute, lui promis de s’occuper personnellement de protéger la maison.
On n’allait jamais en finir.
Le soir Livius stressait. Théa boudait. James dessinait sur les murs et Ada était allé se promener en annonçant une patrouille autour de la maison et moi ? Moi, je voulais juste dormir. Drôle d’idée…
Je me lançais dans un marathon dvd et juste pour la vie infernale qu’il m’avait fait endurer toute la semaine, je regardais Twilight, Je vous fais grâce de ses commentaires. Théa finit par me rejoindre sur le canapé. James intrigué se mit à regarder debout derrière nous, avant de finir mort de rire et Ada réapparut avec un bol de chips. Elle aimait les films comiques, m’avait-elle, confié un jour. Nous étions quatre contre un. Livius disparut dans sa cave. Enfin, le calme était revenu.
Livius parti dimanche en fin de soirée. Il avait commencé par redonner toutes les instructions de sécurité possibles et imaginables, mais avait dû éviter de justesse un flot d’eau qui sortait de nulle part selon Théa et enfin, enfin, il nous laissa. Pff !
Je pensais que Théa était la plus épuisée par tant de conseil, mais c’est Ada qui claqua la porte derrière lui et nous annonça que s’il n’était pas parti elle aurait fini par l’égorger. Ma reine de la zénitude ne l’était pas ! C’est soulagée et riante que nous nous jetâmes sur le canapé et toujours riantes que nous choisissions le programme de la soirée, pizza, chips et Sherlock. Ben quoi ? Nous n’étions toujours pas d’accord sur le meilleur des trois.
J’envisageais les semaines à venir comme un camp de vacances un peu dingue. Ada serait avec moi,même à la librairie. Une concession faite au frappa-dingue de la sécurité. Théa nous retrouverait pour les repas de midi. Une semaine fille pleine de rire, le programme rêvé après les jours de faites attention à ça ou à ci que nous avions traversés.
Le jeudi pointait son nez, nous étions toujours en total désaccord pour Sherlock. Rien à faire nous campions toutes sur nos positions. De guerre lasse, j’avais écumé le net à la recherche d’une nouvelle série qui pourrait nous mettre d’accord, Ada trancha avec Supernatural et la guerre du : c’est qui le plus mignon commença.
C’est installée confortablement sur le canapé entouré de mes amies que la semaine gueguerre de filles, connu un arrêt net. Alors qu’Ada rigolait de la manière dont mourait un vampire. Non elle n’avait rien contre, enfin si, mais contre un en particulier. Je commençais à me sentir mal. Une impression d’étouffement, un mal au cœur douloureux. Je respirais par à-coups, je me mis à gémir. Panique générale ! Moi, parce que j’avais l’impression de faire une crise cardiaque, mes amies parce qu’elles n’y comprenaient rien. Je tombais à genoux tenant les mains sur ma poitrine, ça brûlait, ça faisait si mal que j’ai bien cru m’évanouir. Je pleurais, je hurlais. Puis je ne pouvais plus que gémir, recroquevillée sur le tapis tout mon corps me brûlait et chacune de mes cellules hurlaient. J’avais l’impression de mourir et que l’on m’arrachait le cœur.
D’un coup la douleur cessa. Je pouvais à nouveau respirer. Je me sentais vide, tous mes muscles râlaient, mais je pouvais à nouveau respirer. Je reprenais mon souffle doucement et mon collier se détacha. Mon collier se détacha et tomba sur le tapis. Je le regardais sans comprendre. J’étais étourdie. J’étais mal à l’aise. J’avais l’impression d’avoir perdu quelque chose de précieux. Je restais là fixant le collier, incapable de réagir. Je fixais le collier qui s’était détaché.
C’est Théa qui réagit en premier. Elle se mit à pleurer. Théa pleurait. Je ramassais le petit hibou du bout des doigts, pour l’observer de plus près. Je ne comprenais pas et Théa pleurait. Dans mon brouillard j’entendais Ada parler, mais je ne comprenais rien. Ada parler, mais parler à qui ?
– Il faut que tu viennes immédiatement. Il y a un problème avec Livius. Non, je ne plaisante pas rapplique tout de suite !
Je relevais la tête, la voix d’Ada m’avait semblé étrange, mais je ne comprenais rien. Ada pleurait aussi. Moi, j’en étais incapable. Quelque chose était brisé. Théa vint me prendre dans ses bras et me serra fort, elle pleurait toujours. J’avais froid. Ada nous rejoint dans ce câlin qui m’étouffait à moitié. Elles pleuraient toutes les deux. J’étais perdue.
Doucement, elles me relevèrent. Ada me tenait si serrée contre elle que je pouvais à peine respirer. Je m’en foutais. Je ne voulais plus respirer. Je ne voulais pas sortir de la stupeur qui m’entourait. Elles pleuraient. Je ne pleurais pas.
Conti apparut sur le seuil, il s’était arrêté surpris. Ada lui fit un signe de tête et il suivit le mouvement des yeux. Il vit le hibou qui brillait dans ma main. Il regarda en blêmissant le collier. Il ne dit rien. Il disparut aussi brusquement qu’il était arrivé.
C’est à cet instant que je m’effondrais. Je ne savais rien de ce qui arrivait. Je ne comprenais pas. Je ne voulais pas comprendre. Ada et Théa s’occupèrent de moi. Elles m’avaient installée sur le canapé et Ada me caressait les cheveux. Son regard était embrumé, mais elle ne pleurait plus. Elle finit par me dire presque en chuchotant.
– Ma chérie, tu sais ce que ça veut dire, n’est-ce pas ?
Je secouais la tête.
– Le collier ne peut être ouvert que par son propriétaire, tu le savais.
J’opinai et je commençais à admettre ce qu’elle allait dire.
– Il ne s’ouvre pas par accident et tu savais aussi qu’il créait un lien entre vous.
Je l’avais compris et je l’avais maudit de m’avoir mis dans cette situation inconfortable.
– Donc, il est tombé.
Parlait-elle du collier ou de… Je ne voulais pas entendre la suite.
– Et si le collier tombe.
Je fermais les yeux.
– C’est que Livius est mort, a dit Théa. Arrête de la traiter comme une enfant. Si le collier se rompt le vampire est mort, c’est tout simple.
Elle avait, elle aussi, encore les larmes aux yeux. Elle avait dit ça d’une voix tremblante, mais dénuée de sentiments et elle serait les points. Ada baissa la tête sur un soupir et moi, je me mis enfin à pleurer en silence.
Et, je lui en voulais.
Et, je m’en voulais.
Dans ma tête tournait des j’aurais dû, il aurait fallu, des et si, et si pas. Je me sentais vide, sonnée. Je lui en voulais vraiment. S’il n’avait pas eu l’idée stupide de m’offrir ce collier et s’il avait fait plus confiance aux loups, jamais personne n’aurait su qu’il n’était pas mort et nous n’en serions pas là. De plus s’il ne m’avait pas mis ce collier le lien entre nous aurait été plus simple, plus clair, plus je n’en savais rien. Mais j’étais sûr que nous n’aurions pas navigué entre tendresse, attirance et méfiance. Notre relation aurait été plus claire, plus saine et je pleurais autant sur lui que sur ce qui n’avait pas été.
Ada me souleva délicatement du canapé et me porta dans ma chambre, me murmurant des mots de consolation sans suite. La musique que faisait sa voix me berçait. Elle me mit au lit, m’embrassa le front et m’assura qu’elle viendrait me tenir au courant de tout. Pour l’instant, je devais me reposer. Elle n’avait pas tort, la douleur que j’avais ressentie m’avait laissée épuisée, mais ma tête ne voulait pas. Je la retenais secouais la tête, je ne voulais pas rester seule. Elle s’assit sur le lit et me frotta la main, restant sans un mot près de moi.
J’ai dû m’endormir parce que, quand j’ai ouvert les yeux, elle n’était plus là. Je ne me sentais pas reposée plutôt épuisée. Mes yeux se remplir à nouveau de larmes, je cachais mon visage dans mon coussin pour étouffer mes pleurs, pas de peine mais de rage. Allez comprendre. Je pleurais et plus mes larmes détrempaient mon coussin plus je me persuadais que c’était impossible. Je m’interdisais de réfléchir plus loin. Je refusais même le droit à ma petite voix d’intervenir, pas cette nuit, pas sur ce sujet.
Le lendemain matin, j’allais mieux. Une nouvelle journée s’annonçait et étrangement j’allais mieux. Le sentiment de perte, c’était calmé et je restais comme en attente de quelque chose. Je pensais que mon esprit avait besoin d’une confirmation et qu’en attendant, nier était une bonne manière d’éviter de devenir dingue. Je retrouvais mes amies à la cuisine. Personne ne parla. Personne n’en avait envie.
Ada en reine de l’organisation, avait prévenu James que je n’irais pas travailler. Si d’un côté j’en étais heureuse de l’autre sortir d’ici où tout me faisait penser à lui m’aurait fait du bien. Je me traînais. Je tournais en rond. J’attendais, je ne sais quoi. Théa avait disparu dans la matinée et Ada se tenait dehors à l’orée de la forêt et je tournais en rond. Doucement, je me faisais à l’idée de ne plus revoir Livius. Je regrettais de ne pas l’avoir plus questionné sur lui ou simplement d’avoir plus profité de sa présence. Je m’en voulais de ne pas avoir été sympa avec lui le soir de son départ. La mort donne toujours des qualités à ceux qu’elle prend et des regrets à ceux qui restent. J’étais emplie de regrets.
Théa réapparut en fin de journée, elle aussi regrettait ce dernier soir. Nous savions toutes les deux que rien ne nous donnerait bonne conscience. Son amitié avec Livius remontait à bien plus longtemps que la mienne et nous nous étions quittés énervés, rien ne pourrait changer ça.
Les soirées DVD n’étaient plus qu’une excuse pour ne pas aller se coucher trop tôt et se prendre la tête. Honnêtement, j’attendais le lundi avec impatience, le retour au travail m’obligerait à me sortir de cette apathie dans laquelle je traînais. J’en avais terriblement besoin. Mais, nous n’étions que samedi soir et le lundi ne me semblait devoir jamais arriver. J’attendais. J’attendais que quelque chose arrive, n’importe quoi.
Tout est normal !
Tout est normal ?
Prologue
Il y a des histoires qui commencent avec des il était une fois, d’autres par un meurtre qui lance une enquête. La mienne commence par une gifle. Une gifle lancée par mon compagnon et arrivée sur ma joue. Cette gifle provoqua une réaction en chaîne quelque peu imprévisible.
Laissez-moi me présenter, je suis Sophie Baumgartner. J’ai vingt-six ans, brune aux yeux noisette, pas grande, mais pas petite ! Je plafonne à un mètre soixante. Je suis la troisième d’une famille de quatre enfants.
Ma famille est une famille parfaite. Des parents mariés depuis quarante ans, trois filles et un fils. Les deux aînés mariés, avec enfant, maison et chien. Moi, fiancée et bientôt mariée, mais sans travail, puisque pour mon homme, fidèle aux mêmes croyances que ma famille, la place de la femme est à la maison. J’étais heureuse dans mon petit monde de certitudes, coincée entre une mère qui me trouvait pas assez ou trop selon l’occasion et un futur mari qui m’avait persuadée que sans lui, je n’étais plus rien.
Vous voyez où je veux en venir ? Bien sûr…
L’homme merveilleux, aimé de mes parents, avait décidé de partir travailler à l’étranger, emportant avec lui sa femme. Elle, pas réellement ravie, s’était occupée de vendre meubles, bibelots et autres choses en prévision du grand départ et de la nouvelle vie qu’il voulait mener. Trois jours avant le grand départ, elle avait peur, peur de quitter son nid douillet, peur de quitter ceux qu’elle aimait, peur de se retrouver seule loin de tout ce qu’elle connaissait, alors elle refusa de partir comme ça après plusieurs mois de préparation. Je vous fais grâce de la conversation qui en suivit, elle s’étira lamentable entre des : tu ne peux pas me faire ça et des : tu n’es qu’une idiote et se finit par LA gifle.
L’avantage quand on a prévu de partir, c’est que pour quitter son ex, il n’y a plus grand-chose à emballer, à peine une valise. Fuyant chez mes parents, déjà au courant par un coup de téléphone, je fus reçue avec un « t’es contente de tout foutre en l’air à cause d’un petit mouvement d’humeur, enfin tu as, dieu merci, le temps de réfléchir à ta connerie ! » Merci maman !
Deux jours plus tard, je savais deux choses : que jamais je ne retournerai avec mon ex et qu’il fallait que je parte d’ici et vite. Mes options ? Pas de boulot, pas d’amis prêts à m’héberger, ben oui, ce sont les mêmes que les siens, mais un billet d’avion déjà payé et l’argent de mes études pas faites sur mon compte.
Ce vol, nous devions le prendre ensemble et à chaque nouvel arrivant, je tressaillais de peur. À vingt minutes de l’embarquement, il n’était toujours pas là et je recommençais à respirer. J’allais partir seule et loin et ne jamais revenir, bref, j’allais faire exactement ce qui m’avait fait si peur. La vie de rêve dans ce pays, prévue avec mon ex servirait à quelque chose après tout : à ma renaissance. Bien décidée à mettre le plus de distance entre cette vie et la suivante, je me sentais forte, enfin, j’avais la trouille, mais une formidable envie de me prouver que non, je n’étais ni stupide, ni moche, ni incapable et que le nouveau monde m’appartenait.
Sauf que, arrivée à New-York, assise sur ma valise au milieu de la foule, je n’en menais pas large. Quoi faire, maintenant ? Où aller ?
Avisant une agence de voyage, je décidais de laisser le hasard décider, je fermais les yeux, attrapais un prospectus, voilà où j’irais. Contente de moi, je rentrais dans l’agence en tendant le prospectus à la jolie blonde qui s’y trouvait. Le hasard se planta grave. La demoiselle derrière son ordinateur me dit avec un grand sourire :
– Ah, Paris au printemps, c’est magnifique.
Mais non, non, pas Paris, pas l’Europe, quel con ce hasard ! Je me décomposais, à ma tête, elle avait compris que quelque chose n’allait pas, alors elle me demanda ce que j’avais, je fondis en larme et en bégayant. Je lui narrais mon histoire, en finissant par un : je veux du calme. Elle était parfaite, elle m’écouta sans rien dire en me fournissant en mouchoir. Puis elle me dit :
– Du calme, de la nature et loin de lui. C’est ça ?
Je fis oui de la tête.
– Hé, Mandy, tu avais été où en vacances l’année passée, tu sais ce bled perdu ?
Sa collègue approcha.
– C’est perdu, mais joli, il y a un lac, un endroit rêvé pour se reposer.
– Vendu ! Répondis-je avec un grand sourire entre mes larmes.
Il faut vraiment que j’apprenne à réfléchir avant de parler, vol avec deux escales, puis changement d’appareil, puis à nouveau une escale, un trajet presque aussi long que Paris-New-York, Youpi ! Perdue, j’allais l’être et mon enthousiasme disparaissait à mesure que mes heures de vols augmentaient. J’étais en fuite, avouons-le. J’allais, je ne savais pas où. Je n’avais rien à y faire.
Je devais trouver une idée ! Il me fallait un plan !
Le formidable pourquoi pas tu peux le faire c’était transformé en mais pourquoi l’as tu fait, puis en t’es qu’une idiote dès que j’ai posé un pied dans le minuscule avion douze places qui devait m’emmener dans un bled dont je ne suis pas capable de retenir le nom, coincée entre des marchandises diverses et variées ou, à l’odeur, pas loin d’être avariées. Ben oui, agir avant de penser, ça pose parfois des petits soucis surtout lorsqu’on ne l’a jamais fait.
Le fameux plan que je n’avais pas trouvé depuis, c’est le passager à côté de moi qui m’en donna l’idée. Il m’avait assommé de questions sur qui, où, quoi, comment, etc. Devant mes réponses pas claires, il en avait conclu que je cherchais une maison à acheter pour les vacances et pourquoi pas ?
Je cogitais dur, point un, acheter une maison, ce qui m’éviterait de faire demi-tour aux premières difficultés, du moins je voyais ça comme ça. Point deux, trouver du travail, dans une région touristique, je devrais m’en sortir. Point trois… Je n’avais pas de point trois, mon plan n’allait pas loin. Il avait juste l’avantage d’exister. Un peu… Voilà, un début, un presque rien, mais un peu.
Je profitais de la dernière escale, hé oui, encore une, pour faire ma recherche. Je tombais sur une annonce : Une maison à vendre avec travaux, cuisine, salon-salle à manger et une grande salle de bain au rez, trois chambres à l’étage, pas chère, loin d’être neuve et, d’après les photos, abandonnée depuis des années. Cette petite maison me semblait parfaite si j’évitais de penser à la somme incroyable de travaux qu’il faudrait pour juste la rendre habitable et je ne parle pas de confortable…
Bref, dans un élan de fol optimisme, j’avais appelé l’agence qui la vendait, baragouiné comme je pouvais mon intérêt et fixé un rendez-vous de visite. C’est emplie de fierté que je remontais dans le coucou volant qui allait m’amener vers mon coup de cœur.
J’étais épuisée, je sentais aussi mauvais que le carton qui restait à livrer et avec mes cernes sous les yeux, je devais ressembler à un panda sous calmant.
Voilà comment j’arrivais dans ma première nouvelle vie. Vous m’y suivez ?
Chapitre 1
En descendant de l’avion, j’étais super fière de moi ! Là, sur le banc devant la piste du mini aéroport, je doutais et plus j’attendais la voiture que j’avais cru comprendre que l’on m’envoyait, plus je paniquais. Pas une petite panique commune à tous, non, une vraie, immense, intense, explosive, dévastatrice, panique me laissant là, incapable de réfléchir et faisait tourner en boucle dans ma tête des scénarios catastrophes des plus terrifiantes.
J’ai une grande imagination. ce qui n’est dans ces moments-là, pas une qualité, croyez-moi, entre on m’a oublié et je vais me faire attaquer par un tueur en série ou un ours affamé, un loup peut-être ? D’ailleurs ce corbeau me regardait d’une drôle de manière, non ? Mon esprit s’amusait à me voir mourir de mille manières plus gores les unes que les autres. Ça a duré des heures soit 10 min que l’on se fie à mon esprit ou à mon téléphone qui ne sont pas du tout d’accord entre eux.
Au moment où une jolie brune souriante s’avança enfin vers moi en me tendant la main, un immense sourire aux lèvres, mon cerveau quitta mes talons où il se planquait et se remit à fonctionner, ouf !
– Bonjour. me dit-elle, en français !
Je la fixais hébétée, mais ravie, j’étais sauvée de l’ours, du loup, du corbeau et du tueur psychopathe qui m’avaient tous menacée !
– Je suis Ada, continua-t-elle, votre accent m’a soufflé que vous étiez de langue française.
– Bonjour, euh oui, enfin, je suis pas française enfin, mais oui, je parle enfin, c’est sympa que vous, enfin, c’est étonnant, mais je, Sophie, enfin ravie, je suis.
Et au milieu de ce cafouillis verbal empli d’enfin, je lui tendis ma main en souriant.
– Sophie ? C’est ça ? Bienvenue ! Je ne vous ai pas trop fait attendre ?
Elle était plus grande que moi d’au moins une tête, pas difficile, je vous rappelle que je culmine à 1,60 m, non je ne suis pas petite, fine avec des yeux bruns pétillants qui illuminaient un visage un peu trop allongé, encadré d’une cascade brune tombant dans son dos et vêtue d’un petit tailleur pantalon bleu. Elle avait tout de la femme d’affaires et elle me détaillait curieuse, à côté d’elle, je devais ressembler à une sans-abri, avec mes poches sous les yeux, mon pantalon noir et mon t-shirt froissé.
– Désolée, bonjour Ada, je suis Sophie, je parle français et je suis vraiment ravie de vous rencontrer ! Vous ne pouvez pas savoir à quel point !
J’avais réussi à faire des phrases sans bafouiller et sans trop me sentir idiote. Je lui souriais à présent et me sentais sauvée.
– Je m’en doutais, pouffa-t-elle. Mais, ici, on dit, tu ! Viens, nous avons encore un bout de route avant la ville et je veux tout savoir de ce qui t’amène ici. Nous discuterons dans ma voiture.
Elle attrapa ma valise d’une main, la balança dans la voiture et fit le tour pour se mettre au volant, avant de s’inquiéter.
– Tu n’as rien d’autre ? Tes bagages arrivent plus tard ?
– Rien d’autre ! Juste moi !
Elle me fixa un instant, troublée et dit :
– Nouveau départ ?
– Oui !
Je la fixais fièrement, oui, nouveau départ et rien de mon passé ne devait avoir de place ici. J’étais fermement décidée à tirer un trait sur la gentille, timide et effacée Sophie.
– Alors tu as choisi le bon coin ! Tu verras, la ville est sympa, un peu perdu hors saison, mais on s’y sent bien.
– Pas grave, là tout ce que je veux, c’est du calme et du temps pour moi.
Elle rit de bon cœur et me fit un clin d’œil.
– Ce n’est pas avec les animations du coin que tu vas être débordée ! Je comprends mieux ton choix cette maison est en dehors de la ville, cinq kilomètres, ce n’est pas le meilleur moyen pour s’intégrer, mais si tu cherches le calme, tu vas le trouver. Bien que je pense que pour le début, tu devrais t’installer plus près du centre.
– Comment ça la maison, tu n’es pas envoyée par l’agence de tourisme ?
– Oui, mais je m’occupe aussi d’immobilier et d’autre chose. Je t’y conduirai demain et j’ai d’autres maisons à te montrer, tu sais. Pour le moment, je vais te déposer à l’hôtel, en ville, tu as réservé pour une semaine. Il faut bien ça pour s’habituer. Tu verras que c’est calme en cette saison.
Calée dans mon siège, je me laissais bercer par les paroles d’Ada qui me décrivait la petite ville, les coins à voir et que connaître pour m’y sentir chez moi. Elle insistait sur la froideur relative des habitants, peu enclin à faire confiance au premier regard, beaucoup arrivaient ici, pour ne pas rester, mais si je tenais bon, au moins une année, je verrais le changement dans leur comportement. Je lui parlais des raisons qui m’avaient amenée ici que du très banal finis-je par dire. Elle fit non de la tête et se lança dans un discours sur le courage de changer. Elle était d’une curiosité incroyable et d’une gentillesse intrigante pour la nouvelle arrivée que j’étais.
Je me sentais bien là, dans ce pick-up défoncé à écouter une parfaite inconnue me parler comme si nous étions de vieilles amies, démentant en même temps ces dires sur la froideur des gens du coin.
Puis elle me parla de la maison longtemps, sérieusement comme si elle tentait de me faire changer d’avis, trop loin, perdu dans les bois, difficile pour quelqu’un comme moi, elle insistait sur les histoires de fantômes qui s’y rattachaient, de la difficulté des travaux, tellement que je finis par lui demander si elle souhaitait la vendre ou pas.
Elle me fixa et me dit :
– Ce n’est pas ça, mais il y a déjà eu quatre propriétaires et ils ne sont pas restés et j’ai envie que tu restes, au moins un peu, ce n’est pas souvent que je peux parler français et cela me manque, c’est ma langue maternelle et puis, la maison est vraiment loin de tout et en mauvais état, il faut bien le reconnaître, plein de travaux commencés et jamais finis. J’en ai d’autres à te montrer, tu sais, plus proche de la ville, mais quand même un peu perdu. Ce serait peut-être mieux ? J’ai bien compris que tu étais arrivée ici un peu par hasard et pour changer de vie, ce n’est pas toujours facile, alors pourquoi commencer par une maison si loin ? Tu pourrais t’installer en ville et voire comment tu t’y sens avant de t’isoler autant. Il n’y a pas d’urgence à acheter quelque chose, ce n’est pas ici que tu risques de perdre une maison si tu ne l’achètes pas tout de suite, grimaça-t-elle. C’est tellement calme que la vente n’est qu’un passe-temps, je suis guide en montagne le reste du temps et les locations se font par l’office de tourisme. Alors je peux te promettre que même dans un an, la maison sera toujours là, si tu y tiens.
Que dire ? Que m’isoler était justement ce que je voulais, disparaître et prendre le temps de savoir qui j’étais puis m’intégrer, mais pas dans l’immédiat. J’aimais l’idée de vivre loin de tout, sans personne, sauf mon café ! Oui, parce qu’entre mon café et moi l’histoire d’amour était totale et éternelle. Voilà, une vie simple sans personne pour me prendre la tête, me juger, me blesser, me gouverner. Devenir moi était le but de cette aventure, pas devenir membre émérite de la communauté.
– C’est ce que je souhaite, la ville, tu sais, je n’aime pas, trop de monde et de bruit pour moi. Je cherche le calme. J’en ai besoin là.
Elle rit franchement, un bon moment puis me montra la ville en question qui apparaissait entre les sapins. Ok, elle ressemblait plus à un gros village perdu dans la montagne qu’à une métropole, pas un seul bâtiment de plus de trois étages, une grande rue longeant le lac et des parcs, partout, beaucoup comme si la nature avait bien voulu céder quelques morceaux de terre de-ci de-là pour une maison, mais n’avait pas voulu abandonner le lieu.
Je me mis à rire aussi.
– Ce n’est pas tout à fait la ville que j’attendais, je le reconnais. Alors, je verrai ces maisons que tu as en réserve, mais pas au centre, on est bien d’accord ?
– Promis, tu verras, il y a le choix. Pour ces prochains jours, tu devras t’y faire, l’hôtel est sur la grande rue. Mais, je t’assure que ce sera calme, nous ne sommes pas en saison.
– Saison de quoi ?
– Ski et randonnée, deux des activités possibles ici, il y a aussi un peu de chasse.
Elle haussa les épaules et grimaça en le disant.
– Mais c’est plus loin, les chasseurs ne font qu’une halte ici. Tu sais skier ?
Là, j’éclatais de rire.
– Non, pourtant je viens d’une région de montagne pleine de station, mais je n’ai jamais appris. Par contre, le ski de fond ou les raquettes, oui.
Elle me fixa et se mit à rire.
– Alors tu pourras en faire sans aller plus loin, en hiver ce n’est pas la neige qui manque ici.
C’est de joyeuse humeur que je débarquais devant la façade fatiguée de l’hôtel : le royal ! Qui devait avoir été royal quelques siècles plus tôt. L’hôtel comme la ville semblait figé dans le passé, loin de nos temps modernes et j’en étais ravie.
La porte de la voiture juste claquée, une femme, la soixantaine, à l’allure de grand-mère, attrapa ma valise, faisant signe de la main à Ada qui me criait à demain en agitant la main.
– Bonjour, petite, contente de voir une amie de notre Ada, viens, je t’ai préparé notre meilleure chambre, je vais te monter un plateau, comme ça tu pourras te reposer tranquillement, le voyage à dû être long. Ah, la France, Ada s’en ennuie parfois, mais c’est bien si ses amies se décident à venir la voir, depuis le temps. Elle nous a dit que tu pensais à venir vivre ici, toi aussi, ce serait bien pour elle, les Européens ne réagissent pas toujours comme nous, mais tu t’y feras, elle va t’aider ce sera plus simple pour toi, voilà nous y sommes, ne t’inquiète de rien, repose-toi, le petit déjeuner est servi à sept heures. Je reviens tout de suite avec de quoi manger. J’espère que tu aimes les patates douces, ma petite.
Noyée, j’étais noyée par un flot ininterrompu de paroles, lancés avec gentillesse, mais sans pause par une dame qui avait dû comprendre de travers les paroles d’Ada ou alors c’est que mon anglais était encore pire que je le pensais.
Dans le doute, je ne disais rien, souriante et hochant de la tête dès qu’elle reprenait sa respiration, j’espérai qu’elle ne verra là qu’une nana fatiguée et pas une idiote incapable de parler.
Elle m’abandonna dans une jolie chambre avec grand lit en plein centre, une table coincée sous la fenêtre et deux chaises. Une petite salle de bain sur le côté me faisait de l’œil et je cédais à son appel, ravie d’y découvrir une baignoire.
Alors que l’eau coulait, la porte s’ouvrit sans que personne frappe et la dame dont j’ignorais toujours le nom, les bras chargés d’un plateau, pointa son nez. Elle le posa sur la table près de la fenêtre, mit ses mains sur ses hanches, me fixa, sourit et disparu.
Voilà, je restais bête un instant, des gens froids ? Il devait y avoir erreur. J’avais l’impression d’être tombée dans la maison d’une lointaine cousine qui était ravie d’avoir de la compagnie et je craignais qu’un interrogatoire en ordre arrive avec le petit déjeuner, voire que faire la vaisselle soit comprise dans le lot, comme chez tata.
Pour le moment, mon estomac remit mon cerveau en marche et c’est décidé que je transportais le plateau dans la salle de bains où je m’installais dans la baignoire, le calant entre elle et le lavabo. Une heure plus tard, je me traînais mollement de la baignoire au lit et ne vis plus rien du reste de cette étrange journée.
L’interrogatoire redouté n’a pas eu lieu, je n’avais croisé personne, strictement personne. Une table était prête, oui parce qu’il n’y avait que ma table de mise, un couvert et un petit déjeuner gardé au chaud, voilà, c’est tout. Moi, les tables, les chaises et le mur, et rien d’autre. Je mangeais, remontais dans ma chambre et quant à huit heures Ada y frappa, j’étais à deux doigts de l’embrasser, tellement je ne savais pas quoi faire.
Toujours en tailleur bleu, mais celui-ci bleu foncé, les cheveux attachés dans une queue de cheval serrée, il n’y avait que ces yeux pétillants de malice qui venaient contredire le sérieux qu’elle affichait.
À peine un bonjour lancé, elle m’attrapait le bras et me poussait vers la sortie.
– On a beaucoup de choses à voir, j’ai plusieurs maisons à te montrer. Tu vas voir, elles sont parfaites comme tu voulais des travaux tu as vraiment le choix, ce n’est pas la demande la plus courante.
Une ville à cyclone, voilà où j’étais tombée. Hop, elles apparaissent, emportaient mon cerveau et boum, le vent retombait et je ne comprenais plus rien ni où j’étais.
– Euh, bonjour, oui, chouette. Si tu veux.
Elle pilla net devant la porte de l’hôtel et me regarda.
– Oh, pardon, je suis parfois trop enthousiaste. Je m’emballe d’un coup et j’oublie que me suivre n’est pas facile. On me le reproche tout le temps. Je pense trop vite et j’oublie de parler du coup, on ne sait pas où je vais, mon oncle s’en plaint tout le temps.
Elle avait l’air si désolée que je ris franchement.
– Me voilà prévenue, nous allons donc voire ces fameuses maisons avec travaux et ensuite celle dans les bois ?
– Oui, celle dans les bois, uniquement si tu n’as pas trouvé ton bonheur avant, tu sais garde l’esprit ouvert et puis tu n’es pas pressée, l’hôtel est vide en cette saison, donc tu peux garder ta chambre un moment. Mona te fera un prix, j’en suis sûr.
– Mona ?
– Oui, la patronne. Elle t’a accueilli hier.
Je fis une grimace en y repensant.
– Elle m’a attrapé, poussé dans l’escalier jusqu’à ma chambre en me sous-entendant que tes amies t’avaient laissée tomber et m’a planté là. Oh, elle m’a aussi amené à manger, mais a dû oublier les présentations, tu n’es pas la seule tornade du coin.
Ada, rougit, mais vraiment, elle devient écarlate, je sentais la chaleur qui se dégageait de ses joues. Elle baissa les yeux en marmonnant :
– J’ai trouvé plus simple de dire que je te connaissais. On est hors saison et Mona t’aurait fait crouler sous ses questions et c’est aussi plus simple pour acheter, les prix seront plus bas pour une amie que pour un touriste, alors je me suis permise…
Je comprenais, une amie, on l’accueille, une étrangère non, ce serait plus simple pour moi de me faire accepter en ville. Ce qui était gentil de sa part, mais je ne comprenais pas pourquoi cette fille tenait tant à ce que je reste.
– Pourquoi fais-tu ça pour moi ? On ne se connaît pas. Pourquoi tiens-tu tant à ce que je reste ?
– Tu sais, souffle-t-elle en regardant au loin. Je suis arrivée il y a seize ans, j’avais quatorze ans et la mentalité entre l’Europe et ici, je t’assure, c’est vraiment différent, j’ai eu du mal à m’y faire et puis parler français me manque réellement, j’ai l’impression de le perdre chaque année un peu plus et avec lui, ce sont des souvenirs qui partent.
Elle baissa la tête et regarda ses pieds.
– À ce point-là différent ? En quoi ? Et, si tu n’aimes pas la vie ici pourquoi es-tu restée ?
– Je n’ai pas dit que ça ne me plaisait pas, j’aime la vie ici. Juste que je ne me suis pas fait de vraies amies. Lorsque j’ai perdu mes parents, je suis venue vivre chez mon oncle, ma seule famille. Il n’était pas prêt à s’occuper d’une ado de la ville. Elle rit doucement. Pauvre tonton, je lui en ai fait voir. Mon oncle n’est pas très sociable, il vivait loin de la ville et y a déménagé à mon arrivée. Les choses n’ont pas été simples. Je n’ai rien fait pour les rendre faciles. J’en suis consciente.
Il a vieilli et c’est vraiment ma seule famille. Je n’ai pas envie de partir loin de lui, même si depuis quelques années, il est retourné à sa cabane et moi, je suis restée en ville. Je me sens chez moi ici, mais avoir une amie avec qui partager me manque. J’aurais pu m’en faire, mais mes premières années, tu sais, je n’ai pas été sympa et même pire. J’avais du mal à accepter d’avoir dû tout quitter et je l’ai fait payer à tous ceux qui m’approchaient.
Elle leva les yeux au ciel, ils s’étaient assombris alors qu’elle parlait.
– Bref, je ne me suis pas faite d’amies, alors, je me suis dit…
– Pourquoi pas la débile qui débarque dont ne sait où et sans savoir où elle met les pieds ?
– Non, tu n’es pas…
je l’interrompis en riant.
– Je rigole, mais je te comprends. Je pensais avoir des amis et ils m’ont laissé tomber, ce n’était pas réellement des amis. Alors, je peux comprendre. En plus, tu parles français, c’est un atout majeur pour moi, une vraie chance en fait.
Je lui souris, elle me sourit en retour en me tendant la main elle dit :
– Salut, je suis Adeline Chérine, mes amis m’appellent Ada.
Je lui serrais la main.
– Salut, je suis Sophie Baumgartner et je t’interdis de m’appeler Soso…
Une poigne de main franche cella notre pacte. J’avais une amie apparue comme par magie alors que je pensais impossible de m’en refaire une dans cette nouvelle vie. Une petite voix me souffla qu’il y avait certainement une arnaque là-dessous, j’y penserai plus tard pour le moment j’appréciais de connaître quelqu’un dans ma nouvelle vie.
Chapitre 2
Elle tint parole et me fit visiter, six maisons, toutes charmantes du même modèle que celle qui m’avait amené ici. Pas très grandes, deux étages, chauffage au bois et des travaux, beaucoup de travaux, pour toutes.
Mais je ne craquais pas, il me manquait à chaque fois un quelque chose, un je ne sais quoi, rien n’y faisait, pas de coup de cœur pour elles. Dépitée, ma nouvelle amie finit par m’amener à ma maison.
Oui, ma maison, sans aucun doute possible, j’en étais tombée amoureuse sur la photo de l’annonce et ce sentiment devint une évidence quand je la vis et l’avoir à moi devint urgent.
Perdue, elle l’était, en mauvais état moyennement, les anciens propriétaires avaient commencé les travaux, mais rien n’était fini. Le toit perdait ses tuiles, les volets qui restaient pendaient et servaient de perchoirs aux corbeaux, la peinture n’avait de blanc que le souvenir.
Pour ouvrir la porte, il fallut à Ada un grand coup d’épaule et le grincement qui suivit me fit rire. Le salon était rempli de matériel et il était impossible d’en voir la taille, la cuisine datait de l’époque des fourneaux à bois et les chambres, seules pièces à peu près finies, étaient remplies de toiles d’araignée, seules habitantes du coin depuis longtemps. La maison était sur une petite butte dégagée, entourée d’arbres, cachée de la ville, probablement hantée insistait Ada.
Ok, une vieille maison de bois dans les bois, hantée, me faisait de l’œil et je craquais. Je la voulais ! Et, je la voulais maintenant, pas dans une année. Elle, pas une autre.
C’est une Ada soupirante qui me ramena en ville. Elle bouda jusqu’à ce que je lui dise :
– Boude pas, là au moins, tu as une excuse pour rester dormir, trop loin pour rentrer de nuit pour les jeunes filles sages que nous sommes.
Elle sourit, hocha la tête et rajouta :
– Et personne pour savoir à quelle heure et dans quel état on s’est couché…
J’éclatais de rire. Fin de la bouderie, début d’un concours de bêtises sur la curiosité des gens des petites villes et de comment éviter de se faire pincer quand on est un jeune du coin. C’est riant comme des petites filles que nous arrivions en ville, elle me traîna à son bureau où son chef, un gros type en tenu de chasse, me salua à peine d’un yo avant de replonger son nez dans son ordinateur. Elle me fit m’asseoir dans un joli canapé qui semblait s’être égaré dans un coin de la pièce et prit les documents de vente sur le second bureau. Elle les avait préparés au cas où, me dit-elle.
– Tu es vraiment sûr ? Tu ne veux pas y réfléchir encore ? Me redemanda-t-elle.
– Oui, je suis sûre, arrête maintenant sinon je t’engage pour les travaux !
La voix de son patron sonna dans la pièce.
– Parlez pas français ici, je veux pas qu’on vienne me dire que je suis un escroc qui profite des touristes.
– C’est pas une touriste, boss, répondit Ada, C’est une de mes amies qui vient s’installer ici. Elle loue pas, elle achète.
La tête du boss sorti de derrière l’écran.
– Elle achète ?
– Oui, et cash !
– Oh, mais le contrat est en anglais, pas dans sa langue.
– Je sais, mais elle parle aussi anglais, elle manque juste de pratique, pour ses débuts, c’est plus simple si je traduis.
– Ok, mais elle achète quoi ?
Elle me fixa et me demanda en anglais cette fois :
– Tu es sûr, vraiment ?
– Oui, dis-je, ou plutôt yes…
Le regard de son boss allait d’elle à moi, ses sourcils froncés, tentant de comprendre l’hésitation d’Ada.
– Elle veut laquelle ? Redemanda-t-il.
– La maison hantée, grimaça Ada.
– Ah, celle-là, tu lui as raconté ?
– Oui, enfin elle n’y croit pas, j’ai pourtant essayé.
– C’est ton amie, ton problème. Faites un tour à la bibliothèque avant la vente, ça pourrait lui faire changer d’avis.
Elle fit oui de la tête et même si j’insistais pour signer tout de suite, elle me proposa de prendre un peu de temps avant.
– Tu sais, il te faut une voiture et chiffrer les travaux et leur durée. Tu pourrais louer quelque chose en attendant et puis il faut tout commander, ici il n’y a pas beaucoup de magasins alors, tu vois…
Ce que je voyais surtout, c’est le manque d’entrain qui ressortait, le sien et celui de son boss, sans que je puisse voir en quoi cette maison était un monstre. Pour moi, ce n’était que croyances et médisances. La maison isolée pouvait sans aucun doute prêter à ce genre de légendes urbaines. Si fantômes il y avait, j’étais prête à leur tenir tête et à les virer de là parce que cette maison, je la voulais. Mais, je pouvais attendre encore un peu, je n’étais pas à un jour près et il me fallait reconnaître que oui, j’avais besoin d’une voiture, de quelqu’un qui me montre où tout acheter, du clou au lit. Donc en attendant, je pouvais prendre le temps de visiter la bibliothèque et les magasins du coin.
– Bon, d’accord, finis-je par dire en me levant du canapé. Tu as gagné. Allons voir cette bibliothèque.
– Super !
Fut la seule réponse que j’eus et elle me poussa dehors en lançant un à demain à son boss. L’avantage des petites villes, c’est que tout est proche. Trois immeubles plus loin se trouvait l’école qui cachait une bibliothèque incroyable, une merveille, vraiment. La bibliothécaire d’une quarantaine d’années, était blonde plus petites que moi avec des yeux verts à tomber. Une véritable poupée qui ne correspondait pas réellement à l’idée que l’on se fait de la bibliothécaire vieille fille et coincée. La petite dame discutait avec un homme grand, pâle et presque chauve. Ada me précisa que Flo tenait depuis peu la bibliothèque et que James, le vieil homme, était l’ancien bibliothécaire et lui correspondait à l’idée que l’on se fait d’un bibliothécaire, vieux, sérieux et peu souriant.
Ils discutaient en chuchotant, penchés sur un livre. Ils levèrent la tête en même temps et Ada se transforma d’un coup en petite fille gênée, au seul regard du vieux monsieur, ça me fit sourire. Flo vint vers nous et me fixa étonnée.
– Bonjour, dis-je.
– Bonjour, répondit-elle et elle ne dit plus rien d’autre.
Ada demanda timidement si je pouvais consulter les archives des journaux de la région à quoi un pourquoi et un haussement de sourcils lui répondirent.
– Je m’intéresse à la maison hantée !
Deux yeux glaciaux me fixèrent.
– Vous croyez à ses bêtises ?
Le ton était sec, agacé et elle ne me regardait plus, mais fixait Ada.
– Non, mais on m’a conseillé de me renseigner avant de l’acheter.
– Bien, les yeux verts pivotèrent vers moi, je comprends, vous savez les gens d’ici ont leurs légendes.
– Je n’en doute pas, fis-je avec un petit sourire. Pourtant, j’avoue que connaître le passé de la maison serait un plus, si je trouvais des plans…
– Impossible, me coupa-t-elle, dans les coins les plans…
Son regard était interrogateur, bon sang, on pouvait lire dans ses yeux la moindre de ses émotions.
C’était troublant. Elle me fit signe de la suivre. La salle des archives, comme toute bonne salle d’archive, était au fond, tout au fond, remplie d’armoires en métal avec une table au centre, le tout sentait la poussière, normal.
– Nous n’avons rien sur informatique, dit-elle, du moins rien de récent. James n’était pas…
La phrase laissée en suspens comme si personne ne pouvait comprendre à quel point ce James était hors du temps.
– Ce n’est pas grave, je préfère de loin le papier.
Elle me sourit d’un coup.
– Les jeunes et leurs ordinateurs ne comprennent plus rien aux livres, dit-elle en haussant les épaules.
– Et pourtant, le toucher, l’odeur, le plaisir de tourner les pages, dis-je pour compléter sa phrase.
Et hop, les yeux verts me scrutèrent plus intensément encore cette fois-ci, ils étaient tellement expressifs, mais leur propriétaire ne dit rien de plus que :
– Je vous laisse, Ada sait où chercher, n’est-ce pas ?
Sa voix se fit mielleuse lorsqu’elle lui parla et me fit froid dans le dos. Oui, Ada savait exactement où chercher et quels articles me faire lire. Le premier, le plus ancien, parlait de la découverte de la femme du premier propriétaire retrouvée assassinée dans la cuisine, le mari étant porté disparut, mais suspect. Le second du troisième ou quatrième propriétaire retrouvé pendu dans sa chambre puis une série impressionnante d’article annonçant les nombreux accidents arrivés aux différents ouvriers engagés pour y faire des travaux puis quatre propriétaires différents avaient eu des pépins plus ou moins importants, allant de la perte d’un doigt, resté coincé dans une porte, à une commotion due à une chute dans l’escalier.
Bon, je devais bien admettre que la maison n’aimait pas trop les étrangers. Si fantômes il y a, la femme du premier couple à y avoir vécu semblait être toute désignée, elle ou son mari, jamais retrouvé, mais rien n’y faisait, je la voulais. Allez comprendre…
Je promis à Ada que si perte d’un doigt il y avait, je déménagerais tout de suite même si j’en avais neuf de plus. J’étais sérieuse, vraiment ! Mais, elle soupira, secoua la tête et me dit :
– Viens, j’ai faim !
Elle ne dit plus un mot jusqu’à ce que nous soyons assisse à la table d’un des deux restaurants de la ville. Le Grill, un simple nom justifié par les plats servi, tout était grillé de la viande aux légumes jusqu’aux nappes. Elle ne me dit pas un mot avant que nos plats arrivent. J’en avais profité pour regarder les autres clients. Le restaurant était plein, pas une table de vide et les regards me passait dessus, s’arrêtant sur Ada, avant de nous ignorer totalement.
– Tu m’en veux parce que je tiens toujours à acheter la maison ?
– Non, souffla-t-elle, je t’avoue que j’aurais préféré te voir rester en ville, c’est plus sûr, tu ne connais rien à la vie ici, mais j’aurais au moins tenté de te faire changer d’avis.
Elle pointa son menton vers la salle.
– Une réputation est vite faite ici, déjà te voir avec moi ne va pas t’aider alors si, en plus, tu achètes la maison maudite…
Du coup, je doutais de ne jamais m’adapter à cette ville. Elle ne semblait pas y être parvenue et bien que je comprenne son envie de se trouver une amie qui ne soit pas d’ici, je redoutais cette amitié, un peu trop rapide. Et, puis zut !
– He bien, au contraire, tu devrais être contente, d’un, personne ne saura jamais ce que j’y fais donc ce que tu y feras non plus. De deux, tu n’as pas besoin, avec moi, d’être ce que tu ne veux pas, je me fiche de ton passé, le mien n’est pas glorieux et franchement, je ne suis pas là pour me faire des amis. De trois, tu pourras les menacer de faire venir toutes tes folles d’amies de France pour les faire taire. Qui sait, je pourrais être un medium venu pour parler aux fantômes et c’est pour cela que je tiens à l’acheter, tes autres amies, sorcière, non ? Ça pourrait le faire ?
Un œil incrédule me fixa puis une lumière y dansa répondant à celle qui était dans mes yeux. Le rire nous prit par surprise. Vous savez, ce rire franc, heureux qui vous secoue de la tête au pied, magistral et renforcé par les regards sur nous.
Bien dix minutes plus tard, le calme revenu et difficilement maintenu, j’étais absolument convaincue d’être classée parmi les folles furieuses du coin.
– Si tu voulais passer pour quelqu’un de normal, c’est fichu…
– Tant mieux j’en avais marre d’être normal !
Je lui tirais la langue. Le pacte scellé la veille se renouvelait et mes doutes se turent, ça allait vite, mais je me sentais heureuse, finalement, je me fichais de ce que ces gens penseraient de moi, rappelez-vous, je ne suis pas venue me faire des amis. Une, c’était déjà bien plus que prévu. Elle passa la soirée à me montrer discrètement les personnes présentent, me faisant un petit topo sur leur vie, tout se savait ici. Le temps fila, je me sentais bien et mon « non » projet semblait prendre une tournure intéressante !
J’avais hâte et je me sentais prête à remuer des montagnes.
Chapitre 3
Refusant toujours de me laisser signer l’acte de vente, Ada m’avait fourni les papiers concernant la maison. Il y avait l’état des lieux, enfin surtout la liste des travaux à faire d’urgence et le devis des travaux. Mes économies n’y suffiraient pas si je devais faire appel à une entreprise. Une fois bien épluché la liste, j’en avais conclu, optimiste, qu’à part le toit, je devrais pouvoir tout faire de mes blanches mains. Je décidais par où commencer, la salle de bains me semblait être l’obligation d’urgence, puis je fis une magnifique liste de ce dont j’aurais besoin, longue de plusieurs kilomètres. Non, je n’exagérais pas. Elle commençait par trouver une voiture, ou un bus, ou un camion, enfin un n’importe quoi avec des roues et un coffre, un grand, au vu des travaux prévus et avec un budget serré, du neuf était impossible.
Impossible n’étant presque pas Ada, elle prit les choses en main et je me retrouvais devant une femme d’une cinquantaine d’années, grande, charpentée comme un bûcheron qui me fixait d’un drôle d’air. Mais, si vous savez, ce regard que les natifs d’un coin posent sur ceux qui débarquent et qui dit : toi tu ne vas pas faire de vieux os ici, charmant !
Sauf que sans trop savoir comment le regard se modifia au fur et à mesure qu’Ada me présentait et expliquait mes besoins. Je me retrouvais avec une jeep rouillée et une remorque qui l’était encore plus, en moins de dix minutes et la vente se conclut par :
– Tu peux payer en plusieurs fois si tu restes, sinon je reprends le tout quoique tu aies déjà payé.
Ok, c’était simple et précis.
– Merci madame.
– Pas madame, Suzanne, juste Suzanne.
– Merci Suzanne, fis-je en lui tendant la main.
Elle la saisit entre les deux siennes et après un instant dit doucement :
– Soit la bienvenue, la vie n’est pas facile ici, mais si tu t’accroches, tu devrais t’y plaire. Passes me voir si tu as besoin de quelque chose.
Elle nous fit un signe de tête avant de partir.
– La voiture, c’est fait. Viens, cette fois-ci, tu peux signer les papiers pour la maison ! Je t’ai obtenu un rabais. Ils sont pressés de vendre.
J’avais loupé quelque chose, non ? Les papiers comme ça, boum et en vitesse, je vous prie. J’avais vraiment loupé quelque chose. Rien compris moi. Bref, en moins d’une semaine, j’avais une maison presque en ruine, une voiture qui ne valait pas mieux, une remorque qui grinçait tellement que l’on devait m’entendre de plusieurs kilomètres, un compte dans le seul magasin de bricolage du coin, le tout mis en place au pas de course par une Ada survoltée qui ne me laissait pas le temps de souffler.
En ville, on commençait à me reconnaître, l’attraction de la nouveauté ne s’essoufflait pas aussi vite que je l’avais espéré et les regards qui s’attardaient sur moi me mettaient mal à l’aise, j’avais hâte de pouvoir filer loin de tous. Oui, même loin d’Ada dont je ne comprenais pas l’enthousiasme frénétique de ces derniers jours et qui m’épuisait.
Papiers signés devant l’œil attentif de Bogdan, le patron d’Ada. Mon compte en banque dépouillé de beaucoup moins que prévu. C’est l’esprit conquérant et toute seule, comme une grande que je me rendis « chez moi » avec l’espoir fou, j’en suis consciente, de pouvoir rapidement m’y installer. Lorsqu’au dernier contour, la maison se fit visible, je stoppais net.
Chez moi, fut la seule chose à laquelle je pensais, chez moi et loin de tout. Un vrai bonheur m’envahit, sauvage, puissant, chez moi, toute seule.
Je restais là à contempler un long moment cette maison qui m’avait fait tant envie et qui aujourd’hui était en passe de devenir mon foyer. Je profitais du calme. Je profitais de ce sentiment de confiance qui grandissait en moi. Je prenais le temps de paniquer, un peu, devant l’ampleur de la tâche puis me décidais à me bouger. Je fis le reste à pied, le coin était si calme que je n’avais pas envie de troubler ce silence avec un moteur. Je m’approchais et caressais la porte du bout des doigts en murmurant.
– Salut, toi, c’est moi, tu penses que l’on va s’entendre ? J’en ai bien envie, tu sais.
Je restais là, devant cette porte ne sachant trop ce que je voulais faire puis je me traitais d’andouille, ris un peu et ouvris cette fichue porte pour faire le tour de MA maison !
Rien de bien remarquable, il faut le reconnaître, une cuisine assez grande, séparée du salon-salle à manger envahi de matériel, dont il faudra bien que je fasse l’inventaire et une salle de bain où ne restait qu’un trône et un bout de miroir perdu au milieu de morceaux de carrelage. Un désastre qui me fit soupirer. Arriverais-je à m’en sortir ? En regardant de plus près je fus pris de doutes monstrueux qui m’accompagnèrent à l’étage, là, les trois chambres étaient vides, les murs repeint et habitable en l’état, une fois délogées les centaines d’araignées qui les avaient colonisés.
Une odeur de moisi envahissait le tout. J’ouvrais les fenêtres, débloquais comme je pus les volets qui restaient et laissais entrer le soleil et l’air pur. Le monstrueux doute qui me tenait compagnie ne résista pas à la vue sur les arbres et au silence qui régnait. Je voulais vivre ici et j’allais y arriver.
Laissant tout ouvert, j’attaquais l’inventaire de ce que contenait le salon, entre les fenêtres et les meubles rassemblés là, je trouvais un tableau noir où des dessins d’enfants à la craie étaient à moitié effacés. Je le posais contre un mur, le nettoyais avec ma manche et en riant, je notais : Bonjour à vous fantômes de la maison, je suis Sophie et je vais vivre ici, j’espère que nous serons amis dans un avenir proche.
Je rigolais et commençais à effacer ma demande d’amitié quand un klaxon m’interrompit. Ada arrivait. Elle bossait quand elle ? Donc je disais, Ada arrivait avec dans sa voiture, le matériel complet de la parfaite femme de ménage. Elle avait même caché ses cheveux sous un long foulard. Je pouffais en la voyant.
– Tu changes de métier ?
– J’y songe, hors saison ce boulot est d’un ennui, tu n’imagines pas.
– Et nettoyer la maison t’as semblé une bonne occupation ?
– Non, mais te regarder faire, oui !
Elle me passa devant en me jetant un foulard.
– Au boulot, cria-t-elle comme le général qu’elle semblait être devenue avec moi.
C’est râlant ouvertement que je la suivis à l’intérieur et toujours en râlant devant son air faussement outré que nous avons attaqué la chasse aux araignées de l’étage.
J’étais alors, bien décidée à ne sortir de là qu’une fois les nettoyages finis, mais alors que je ramassais les débris de catelle dans la salle de bain. Je fus arrêtée net par le bout tranchant de l’une d’elle. Les doigts ça saigne, les miens encore plus, ils saignent, vraiment, beaucoup. J’en mis partout, on pouvait me suivre à la trace, mince, et en plus un morceau était resté figé dans la coupure. Bien sûr, pas d’eau, pas de pansement, nous n’avions rien prévu.
Je râlais, pestais contre ma maladresse et les rire d’Ada ne m’aidèrent pas à me calmer. Je la fusillais du regard.
– Arre oi bin.. erci, finis-je par dire la bouche pleine de mon doigt, ce qui ne fit rien pour la calmer, bien au contraire.
Nettoyages terminés pour aujourd’hui, direction la ville et la pharmacie.
Une fois mon doigt déguisé en poupée, ma fierté écornée me poussa à abandonner ma soi-disant amie ricanante. J’étais trop fatiguée pour sortir et tout ce que je voulais, c’était un bon bain chaud et dormir. Mon doigt tapait encore et je me promis de commencer par m’équiper de gants dès le lendemain et en m’endormant, je songeais à tout ce que je devrais encore acheter.
Ada ne m’ayant pas laissé conduire, elle avait raison, j’aurais mis du sang partout, je devais me taper cinq kilomètres et des poussières à pied pour aller retrouver ma voiture.
En arrivant à la maison, je trouvais les fenêtres fermées. J’étais pourtant sûr de les avoir laissés ouvertes. Ada était probablement revenu les fermer, gentil à elle. J’effectuais un rapide tour et repartis en voiture cette fois-ci. L’achat de gants, achat hautement important, me ramenant en ville, je profitais pour étoffer un peu mon matériel. Une brouette, une pelle et une ramassoire en fer me vengeraient de ces fichues catelles. Le reste de la journée, je l’occupais à contrôler ma liste et à réfléchir mollement assise dans le petit parc à ce qu’il me faudrait commander en premier. Je me décidais pour de nouvelles toilettes, ça, c’était urgent ! Réellement urgent !
Il me fallut plus d’une semaine pour vider tout le fatras qui s’entassait dans le moindre coin du rez, j’avais acheté un de ses abris de jardin en kit qui me serviraient d’entrepôt, cassé la pelle, plié la ramassoire et découvert plusieurs muscles que j’ignorais posséder, eux aussi ignoraient qu’ils servaient à quelque chose et leur réveil fut des plus douloureux.
L’absence d’Ada se faisait sentir, après les premiers jours où elle m’avait servi de nounous, elle avait repris son travail à plein temps, la saison avait commencé. Je souriais en pensant à elle à chaque fois que je passais devant le tableau noir, le jour où elle était venue fermer les fenêtres, elle avait répondu à mon message par un “moi aussi” écrit avec soin à côté de ma note.
J’avançais dans les travaux, pas vite du tout, mais le temps était venu pour moi de quitter ma chambrette en ville. J’allais dormir sur un lit de camps, faire la cuisine sur un réchaud de camping, mais le plus important, j’avais des toilettes fonctionnelles. Le luxe !
Je n’avais pas revu Ada, je passais donc à son bureau pour lui annoncer mon emménagement. Elle n’y était pas. Son patron m’annonçant qu’elle était absente pour encore trois jours, je laissais un mot sur son bureau, un peu dépitée et je retournais pour la dernière fois à l’hôtel. Je vidais ma chambre et fis mes adieux à la ville avec soulagement. C’est euphorique que j’arrivais dans ma maison !
Euphorie qui une fois sur place ne dura que quarante-cinq minutes, maximum. Alors que je finissais mon installation de fortune, posant ma valise dans un coin du salon, trop flemmarde pour la monter dans une chambre et transportant mes affaires dans la salle de bain, mon front décida de faire une rencontre sonore avec la tablette du lavabo fantôme de la salle de bain. Ce fichu bout de porcelaine qui avait résisté à la destruction des anciens propriétaires, sûrement parce qu’il était plus que solidement fixé, c’est du moins l’impression qu’eut mon front. Je vis des étoiles, du sang couler devant mon œil, bobo, gros bobo et merde. J’enroulais ma tête dans une serviette après avoir désinfecté la plaie, avalais un cachet en râlant puis me couchais en espérant que ça passe. Pour une première journée, ce fut une journée mémorable, aïe !
Je me réveillais avec un atroce mal de tête et je ne bougeais pas. Je pris le temps de me souvenir de qui j’étais et où, d’être bien sûr que j’étais vivante que ma tête ne tournait pas trop. Ho, elle faisait mal, un mal de chien, mais je ne m’en tirais pas si mal. Un bon moment plus tard, je me levais en titubant en direction de la cuisine et de la petite pharmacie qui s’y trouvait. J’avalais deux cachets, hésitais à en prendre un troisième et retournais me coucher. Grosse journée en vue.
C’est le soleil qui me réveilla le lendemain, ma tête allait mieux et bien que je me sentai vaseuse, mon estomac, lui, était en forme. Un café et deux tartines plus tard, je me décidais à contrôler l’ampleur du désastre sur mon front. Une cicatrice légère au milieu d’une bosse, elle-même au milieu d’un bleu qui englobait mon œil et une partie de ma joue. Je ressemblais à un boxeur, le perdant bien sûr. Tablette de lavabo un, moi zéro !
Je ne sais pas pourquoi, je m’attendais à bien pire. Il me semblait avoir plus saigné, mais je ne trouvais pourtant que quelques traces et uniquement à la salle de bain. Il faut croire que le choc avait été rude, sacrément rude, mais sans gros dégâts.
Dire que j’ai eu du mal à me remettre à mes travaux, n’est rien à côté du courage que je n’avais pas. Au fil de la journée, je passais plus de temps à rêvasser qu’à travailler. Je finis par m’installer dehors pour avaler mon sandwich, les journées rallongeaient, le temps était plus doux et j’avais envie de profiter du soleil en ce début d’après-midi pour refaire le plein de volonté que je n’avais toujours pas et qui me faisait surtout tourner en rond. Lasse de mon manège et pour décider par où commencer, je finis par reprendre le tableau noir, le nettoyais et commençais à noter :
Cuisine, ouvrir ou non ?
Sol, carrelage ou lino ?
Four, gaz ou électrique ?
Micro-onde ?
Salle de bain, place pour baignoire ou non ?
Quelles couleurs ?
Douche ?
Salon, mettre un nouveau sol ?
Garder la cheminée ouverte ?
Et ainsi de suite. La liste des questions s’agrandissait, celle des réponses ne bougeait pas. Le temps passait en interrogation et je me couchais en pensant à tout ce qui me restait à décider. Dans un grand élan de lucidité, je décidais de ne pas décider pour le moment ! Cette bonne résolution prise, je m’endormais.
C’est le hurlement suraigu d’une alarme qui me réveilla au petit matin. La sirène d’alarme se nommant Ada, était debout devant moi, gesticulante. Je crus comprendre des mots comme, folle, porte non fermée, visage défiguré, risque de mort, têtue et en danger, dit d’une voix si forte et aiguë que tous les chiens dans un rayon de dix km devaient hurler pour y répondre. Mon mal de tête était de retour ou était-ce un nouveau provoqué par le flot de parole qui se déversait sur moi ? Dans le doute, je refermais les yeux.
Oui, j’avais mal à la tête, oui, Ada hurlait, oui, il fallait arrêter ça.
– Bonjour, ça fait plaisir de te voir. Glissais-je rapidement alors qu’elle reprenait sa respiration.
– Ben pas à moi, répondit-elle tu as vu dans quel état tu es, dix jours et je te retrouve à moitié morte.
Sa voix tremblait un peu, me prouvant qu’elle était réellement inquiète.
– C’est rien, je t’assure, je me suis cognée, la tablette de la salle de bain a gagné, mais c’est plus moche que grave.
– As-tu mal à la tête ? Des vertiges ?
– Oui, non, mais oui, parce que tu hurles là.
– Non, je ne hurle pas, dit-elle en hurlant.
– Si, un peu quand même.
– Non, juste ce qu’il faut ! Et il faut bien que tu te rendes compte de tes bêtises, non ?
– Hurler, ça me donne plutôt envie de faire le contraire, répondis-je en riant.
Elle soupira, une fois, deux fois, trois fois, ferma les yeux, puis avec un quatrième soupire, dit beaucoup plus calmement :
– Quand j’ai trouvé la porte ouverte, j’ai eu peur que tu sois partie ou pire morte.
– Je ne suis ni partie, ni morte. J’ai juste un œil au beurre noir, qui va rester quelques jours avant de se transformer en joli arc-en-ciel et disparaître, rien de grave. Allez calme-toi. J’ai besoin d’un café, tu en veux un ? Ou plutôt une tisane ? Calmante ! Dis-je en riant.
Elle me suivit dans la cuisine et mon petit réchaud de camping fit sans broncher son travail.
Une tasse de café à la main, Ada ayant catégoriquement refusé la tisane, nous nous installions dans le jardin. De vieux rondins vermoulus nous servirent de chaises et je profitais du soleil.
– Bon, sang, tu ne t’es pas ratée, il est immense ce bleu.
– Yep, je sais, un sacré match, mais mon adversaire à tricher. Je ne l’avais pas vu venir.
Elle sourit en tendant un doigt pour me toucher. Je reculais la tête en vitesse de peur d’avoir mal et glissais du rondin, me retrouvant pleine de café, les fesses par terre.
– Ok, fit-elle, tu es un vrai danger pour toi-même, il va falloir que je passe régulièrement pour contrôler que tu n’as pas cassé quelque chose ou coincé, ou coupé…
Elle parlait sérieusement, enfin essayait, le rire pointait dans ses yeux. Je me relevais, secouais mes vêtements et alors que je passais devant elle, hautaine et fière, son rire fusa d’un coup. Je me retournais et la vis tenter d’essuyer les larmes de rire qui perlaient.
– Tes fesses, souffla-t-elle entre deux hoquets.
Je passais ma main sur elles, mince le pantalon était déchiré. Ok, j’étais ridicule, un œil au beurre noir et les fesses à l’air. Elle se fichait de moi, qui pouvais-je ? Je ruminais une vengeance en me préparant une nouvelle tasse de café. Pourtant, je reconnaissais que la voir était un vrai plaisir, j’appris que nous étions lundi, son jour de congé et qu’elle avait décidé de me traîner en ville. J’avais selon elle besoin de vêtement mieux adapté à mon mode de vie. Les éclairs dans ses yeux sous-entendaient, mieux adapté à ma maladresse. Je ne répondis rien, me drapais dans ce qui me restait de dignité et allais me changer. Mon œil au beurre noir ne passerait pas inaperçu et allait susciter des commérages pour plusieurs jours, mais comme je ne connaissais personne, je ferais avec. Je soupirais en souriant et enfilais des vêtements entiers.
Néanmoins, je passais une merveilleuse journée et quand je rentrais, les bras chargés de sacs, j’étais épuisée. Je ne sais pas où Ada puisse son énergie, mais moi, je n’en ai jamais eu autant.
C’est en souriant que je me préparais à manger et je m’installais dans mon salon pour recommencer à réfléchir à ce que je voulais. En regardant le tableau, je fus étonnée de voir qu’Ada avait répondu à mes questions. Je pouvais lire à côté de ma liste des commentaires à cuisine, ouvrir ou non ? Un non-mur porteur était rajouté pour le reste le choix était entouré jusqu’à salle de bain ou douche et bain étaient entourés avec un si possible les deux, ajouté à côté.
Mais l’autre, quel culot ! Je rigolais en lisant ses choix. Arès tout pourquoi pas, un vrai petit général cette nana, mais qui n’avait pas tort, une douche et une baignoire, mmm, ce serait merveilleux. Je rangeais mes nouvelles affaires dont une salopette en jeans solide que j’avais tenu à acheter malgré les soupirs et les yeux au ciel à cause de mon mauvais goût, de mon amie. Demain, je m’attaquerai à la salle de bains et me vengerais de mon adversaire victorieux ! Na !
C’est plein d’entrain que j’attaquais bout par bout la maison. Le jardin avait pris des airs de camping sauvage, des abris en toiles s’amoncelaient, un par pièce et j’y entassais les choses que je voulais garder. J’avais même installé un véritable atelier. Je travaillais beaucoup et à force de me tromper, de casser, j’apprenais et j’étais fière de moi !
Le tableau noir en guide précieux se noircissait de petites notes et de réponses, je ne comprenais pas comment Ada arrivait à les écrire aussi souvent. Trop occupée et trop fatiguée, je laissais de côté les choses étranges.
La salle de bains, pas complètement finie, avait maintenant une douche. Les catelles anciennes faisaient un joli carré en son centre et la baignoire commandée n’arrivera que dans quelques semaines, ici tout prenait des semaines.
J’avais recopié au propre les suggestions du tableau noir et finalement, elles semblaient me convenir ou alors mon côté petite fille obéissante n’avait pas totalement disparu ce qui mériterait que je prenne un instant pour y songer. Je le ferai plus tard, ce n’était qu’une réponse de plus à trouver. J’en avais déjà plein.
Comme aucun accident ni fantôme n’étaient venus me compliquer la vie, j’avançais, vraiment pas vite, mais j’avançais. Les journées étaient longues. Heureusement mes muscles hurlant de contrariété au début s’y faisaient, moins de courbatures, plus de travail et moi qui avais toujours été un peu ronde, j’avais trouvé le meilleur des régimes, bouge-toi et bosse ! Je vous le recommande.
Je me couchais avec les poules, bien plus tôt que le soleil qui traînait trop longtemps pour moi depuis que l’été était arrivé et me levais avec le soleil. Un rythme soutenu, car je voulais avoir fini les gros travaux avant l’hiver. Je voulais avoir chaud et être bien installée pour affronter la neige.
Chaque jour était rempli de petits travaux qui n’avaient rien de compliqué sur le papier, mais prenait un temps fou. Un temps que je perdai régulièrement en soupir et raz le bol. Mon vocabulaire rageur partait du français et quand j’en avais fait le tour passait à l’anglais. Langue qui s’étoffait de jurons plus que d’autres mots, merci Ada.
Les jours passaient et se ressemblaient, interrompu par ses visites, qui ne servaient qu’à vérifier que je ne m’étais pas coupé un bras ou pire, car elle les passait à boire une bière assisse par terre et à me regarder faire, une aide précieuse…
Chapitre 4
J’avais pris l’habitude de faire mon programme sur le tableau noir. Liste que je prenais plaisir à tracer tous les soirs et qui me faisait soupirer par son peu d’avancement. J’avais bien compris que pour rester motivée, je devais me limiter à quelques lignes réalistes pour le lendemain. Ce soir-là, je notais finir la salle de bains, vider la cuisine, demander de l’aide pour sortir le vieux fourneau, voir s’il peut être réparé, enlever le sol et si encore temps démonter les placards. Quatre petites choses de rien du tout, mais de l’aide ne serait pas mal venue. Je soupirais. Pourquoi tout était-il aussi lourd ?
Bref, ça attendrait demain, le plus urgent était de filer me laver de toute la crasse accumulée dans la journée. Alors que je sortais de la douche, mon orteil fini dans un carton de catelle. Vous ai-je dit que la salle de bains n’était pas tout à fait finie ? Oui, elle est dans ma liste. Un carton de catelle, posé là par des lutins qui en avaient après moi, j’en étais persuadée, c’est beaucoup plus dur qu’un orteil. Je hurlais, les orteils, ça fait mal !
Sautillant en râlant, je partais à la recherche de ma trousse à pharmacie, glissais et finissais la tête contre la cheminée. Bobo. Mais, vraiment aïe, je vis mes copines les étoiles et merde, tout ça pour un orteil. Ma tête se mit à tourner et je ne vis plus rien.
Je me réveillais avec un mal de tête atroce, encore une fois. Le souvenir de mon œil encore bien présent dans la tête, je jugeais que là, c’était pire, vraiment pire. J’avais mal partout. Je pris un temps fou pour lentement m’asseoir et j’étirais muscles après muscles, jusqu’à ceux de ma nuque qui refusèrent de fonctionner, oh surprise !
Je devais me lever et me diriger vers la cuisine où se trouvait la trousse. Je ne serais capable de rien sans un cachet contre la douleur. J’étais mal, franchement et avant de me lever, je jetais un œil autour de moi, cherchant quelque chose pour m’aider à avancer. La trousse était là, pas à la cuisine, mais à un mètre de moi sur le sol, sauvée ! Je me levais doucement et tanguais dans sa direction. Me pencher fut une véritable prouesse tant ma tête cognait, mais j’y parvins en faisant très, mais alors très attention. J’avalais deux cachets, fit demi-tour en traînant la trousse et retournais me coucher en me promettant d’appeler Ada si des nausées apparaissaient.
Je ne le fis pas. Je dormis toute la journée et le lendemain, je me levais en mode zombie, la nuque raide pour trouver un mot mis sur la table de la cuisine. Quelqu’un y avait écrit : faites un peu plus attention ! J’ai sorti le fourneau pour vous avancer.
Je fixais la note bêtement, mon cerveau en panne refusait de comprendre. Qui avait sorti le fourneau qui pesait deux tonnes ? Ok, donc, heu, voilà, c’est quoi ce bordel ? Il y avait quelqu’un chez moi ? Mes pieds décidèrent de retourner au salon où mon corps, cerveau toujours absent, me fit tomber assise sur mon lit. Je restais là, bêtement, loin de la cuisine comme si d’un coup tout allait revenir à la normale. La douleur de ma tête me fit sentir vivante, ce fut du moins la seule chose qui me semblait normal.
Vous connaissez cette impression que votre cerveau gèle ? C’est au-delà de la panne simple et bête, rien, plus rien ne marchait dans ma fichue caboche. Un grand vide y régnait. Mon corps avait pris la relève, mais une fois réfugié au salon, il abandonna la direction des opérations. Plus rien, nada, néant total. Seuls mes yeux semblaient vouloir faire le boulot, enfin un peu, je voyais flou. À grand coup de respiration profonde, je tentais de reprendre mes esprits et de calmer la douleur. Non, je n’allais pas retourner voir la cuisine, enfin pas tout de suite. J’étais tentée de m’enfuir, mais sans l’aide de mes jambes ce n’était pas possible.
Deux pauvres neurones se remirent à fonctionner et tentaient à eux deux de réfléchir à la situation, pas bien, vraiment, rien de concret pour les aider. J’avalais un contre-douleur. L’un mes deux neurones eut l’idée idiote de me faire bouger les yeux. Ils se fixèrent sur le tableau noir où ma liste d’à faire s’étalait. Je la relisais : finir la salle de bain, vider la cuisine, demander de l’aide pour sortir le vieux fourneau, voir s’il peut être réparé, enlever le sol et si encore temps démonter les placards, rien à dire, sauf que, sauf qu’en dessous, juste en dessous « demandez quand vous avez besoin d’aide » était noté. C’était l’écriture d’Ada. Enfin me dit un de mes neurones, tu pensais que c’était l’écriture de… Ha, ha gros malin de te décider à analyser ça maintenant et l’autre neurone, celui qui n’était pas occupé à faire des conclusions désagréables, relu une bonne dizaine de fois le texte qui ne changeait pas. Il était donc possible qu’il soit bien là et que ce n’était pas une hallucination due au choc, comme celui de la cuisine. Et mince. Enfin peut-être, pour la cuisine, il faudrait que je retourne voir. Non, pas envie du tout et puis mes pieds ne voulaient pas.
Je restais là, un temps infini. Je fixais le tableau. Ma tête restait vide. J’étais en panne, panne totale.
Mon fichu estomac se moquant complètement de la situation se mit à gronder : du café dit-il ! Si, il l’a dit, j’en suis sûr. De toute façon au point où j’en étais un estomac qui parle, ce n’était que du normal. Je fermais les yeux, fort, jusqu’à voir des petites lumières se balader contre mes paupières. Je respirais profondément. J’ouvris les yeux, le texte était toujours là, je me levais, celui de la cuisine aussi. C’était réel, je me fis une tasse de café, la bus, puis une deuxième avant de retourner au salon.
Je relus le texte pour la millième fois, mieux réveillée cette fois-ci, pas en forme, pas à l’aise, mais mieux réveillée. Un troisième neurone, sûrement boosté par le café se fit entendre. Il voulait faire un conseil à trois ou plus. Le conseil se teint et conclu que d’un, ça ne pouvait pas être Ada, de deux, c’était écrit en français. En français, bordel t’a noté, en français ! À part Ada personne ne le parlait ici. De trois, c’était plutôt gentil de m’avoir aidé, flippant, mais gentil. De quatre que mes yeux étaient des imbéciles de n’avoir pas lu jusqu’au bout. En effet, en dessous de la signature que je peinais à lire, un P.S. était rajouté. Il disait : il serait souhaitable que nous nous rencontrions, ne pensez-vous pas ? Quel soir vous conviendrait ? Amicalement Louis.
Enfin je pense, la signature commençait par un L, c’était sûr, le reste beaucoup moins.
Mais, bordel, c’était qui ce type ? Il faisait quoi chez moi ? D’ailleurs vu son message le premier jour, il était là avant moi. Les fantômes écrivent ? Sérieux ? Ok, panique ! Là, maintenant, tout de suite, fou le camp, putain de pieds de merde ! Ils ne bougeaient pas. Je ne bougeais pas.
Il y avait quelque chose, je devais y réfléchir. Vraiment, je devais prendre le temps d’y penser. Mais penser à quoi ? Au café dit neurone numéro trois, plein de café rajouta numéro quatre qui sortait de je ne sais où en baillant, ok, encore plus de café, c’était un bon début. Début à quoi ? Je n’en savais rien, mais mon mal de tête atténué par le cachet et le café me laissait un peu plus de place pour réfléchir.
Café en main, assise par terre, je regardais le jardin. Quelques neurones supplémentaires se réveillèrent et se joignirent à la longue conversation qui se tenait dans ma tête.
Bon, disait numéro trois, oui, c’était lui, n’en doutez pas, récapitulons. Récapituler quoi ? Franchement, aucune idée et puis, numéro quatre dit, on reprend depuis le début, ok les gars ? Et, là, ils se mirent au boulot. Mon cerveau gavé de café dégela. Je pouvais à nouveau penser.
Depuis le début donc, voyons, déjà depuis quel début ? Mon arrivée ou ma maison ? Je me levais, allais au tableau noir et notais, arrivée à la maison et là, je bloquais. Que c’était-il passé que je n’avais pas retenu, mais qui au fond de mon esprit s’était imprimé suffisamment pour que cette impression d’avoir loupé un truc énorme soit si présente et pourquoi cette impression ne vient que maintenant ? Tu étais crevée dit numéro un. Bon, passons.
Donc le premier jour, je me suis coupé le doigt et les fenêtres ouvertes, j’en étais sûr, elles étaient ouvertes, mais retrouvées le lendemain fermé. J’avais pensé à Ada mais non, alors, le fantôme ? Je grimaçais. Et, quoi d’autre ? Le sang, j’en avais mis partout et le lendemain, presque plus rien. Les fantômes font le ménage ? Je ricanais. Puis mon choc à la tête dans la salle de bains, un sacré coup et peu de sang. Je secouais la tête, non impossible, je délirais. Les désires sur le tableau noir, ceux du fantôme ? Tous les petits mots trouvés ? Mais, quand même c’était, non rien, ce n’était pas possible et voilà, mais…
La tête entre les mains, je me sentais vide. Je cherchais encore et encore ce que j’avais pu ne pas voir, ne pas considérer comme important. Je me mis à douter, une plaisanterie ? Un vagabond vivant dans la maison ? Il n’avait rien fait de mal pour le moment. Il m’avait aidé, mais pourquoi ces mots maintenant ? Je n’avançais pas, ne trouvait rien, ne comprenait pas.
Dans le flou et la panique, une idée germa. Une seule qui me semblait pouvoir m’apporter une réponse. Il fallait que je retrouve mon calme, au moins un peu. J’effaçais le tableau noir, deux fois.
Quand les phrases dans ma tête se mirent dans un ordre que je jugeais correct, j’écrivis : Qui êtes-vous ? Que faites-vous là ? Pourquoi ne pas vous être montré avant ? Partez de chez moi !
C’était nul, mais n’ayant aucune autre idée, ça ferait l’affaire. J’attrapais vite fait mes clefs et fuyait ma maison.
Quand la ville fut en vue, je m’arrêtais, une partie de moi voulait fuir, une autre me disait que non, la fuite, j’avais déjà fait. L’envie de me battre pour ma nouvelle vie se disputait avec mon envie de me cacher. Arrêtée au bord de la route, je regardais la ville en tentant de décider quoi faire et puis zut ! C’était chez moi. L’autre-là n’avait rien à y faire. J’avais assez courbé l’échine, assez laissé les autres décider pour moi, n’est-ce pas, cette maison, je la voulais. D’accord, je reconnais qu’être seule n’est pas aussi facile que je ne le pensais, mais c’était ma maison.
Une petite voix au fond de moi susurrait doucement que je ne craignais rien. Elle avait du mal à se faire entendre entre panique et colère, mais elle était là, me rappelant que, oui, depuis le début je n’étais pas seule. Elle me soufflait que si problèmes il y avait, rien de grave ne s’était passé, que la panique était mauvaise conseillère. Elle se faisait entendre entre les deux grosses musclées qu’étaient panique et colère, prenant le pas sur leurs directives. Si tu as peur, va dormir dans une chambre et ferme-la, la nuit, continuait-elle, tu ne risques rien sinon le pire serait déjà arrivé et puis il veut se présenter. Tu peux lui laisser une chance.
Je ne sais pas d’où cette petite voix sortait, mais sa douceur était persuasive et faisait taire ma panique, laissant la colère qui me poussait dans la même direction. Rentre chez toi et bats-toi pour. Oui, je l’aimais cette baraque, j’y avais passé des heures à la retaper, j’y avais des projets et non, je ne voulais pas la laisser, à personne, pas sans me battre, pas cette fois-ci.
Bien plus tard, je soupirais en sortant de la voiture. Je soupirais toujours en transportant mes affaires dans la plus grande des chambres. Je m’y installais en frissonnant, inquiète. Je restais là, assise sur le lit de camps, regardant autour de moi, la porte fermée à clef, une chaise coincée sous la poignée. Je ne savais plus quoi faire d’autre. Je me sentais à nouveau incapable, nulle, perdue comme si ces dernières semaines ne m’avaient rien appris. Une petite chose incapable d’affronter le monde et qui, réfugiée dans sa chambre, laissait le moindre problème la submerger. La seule chose qui sortait de ce marasme était que je voulais garder ma maison. Quitte à la partager ? Je n’en étais pas sûr. Pouvais-je faire confiance à cette petite voix ? Il me fallut des heures pour calmer le tourbillon de mes pensées et m’endormir.
Quelque chose était arrivé, je dormais et n’ai rien entendu. Pourtant, au petit matin, j’avais bien la preuve que quelque chose était arrivé, un message remplaçait le mien. Je pris le temps de boire un grand café noir avant de le lire, enfin deux, même si j’avais dormi la nuit avait été courte et mes neurones toujours sous le coup de la panique pédalaient dans le vide.
Debout en face du tableau, ma deuxième tasse de café en main, je m’obligeais à me calmer avant de lire ou plutôt à respirer avant de lire puis doucement, je levais les yeux. « Bonjour, je ne vous veux pas de mal. J’apprécie de savoir que ma maison est aujourd’hui aussi votre maison. Vous ne risquez rien, je vous le promets. Je pensais que mes petits mots avaient suffi à vous faire comprendre que vous n’étiez pas seule. Je suis navré qu’ils n’aient pas suffi. Pensez-y tranquillement. Votre ami. Livius »
Bon, voilà et je faisais quoi moi maintenant ? Sa maison ? Non, ma maison ! Un de mes fichus neurones regardait la signature et me faisait signe que je m’étais gourée, pas Louis, Livius.
– Et alors connard, dis-je à haute voix, que veux-tu que ça change ?
Rien ça ne changeait rien. Je restais toujours là à ne pas savoir quoi faire. Pas avoir peur, il en avait de bonnes. Y penser, si seulement je pouvais juste penser. Fichue trouille, fichue colère, mais où était la petite voix tranquille quand on avait besoin d’elle ? Partie, elle aussi, je me sentais seule, je me sentais perdue, mon cerveau ramait de nouveau et je faillis mourir lorsque mon téléphone sonna. Mon téléphone sonnait. Put… mon téléphone, Ada ?
Ce n’était pas Ada, juste le magasin du coin qui m’annonçait l’arrivée de ma baignoire. Je raccrochais au nez du vendeur et appelais Ada qui ne répondit pas. Il fallait que je fasse quelque chose, n’importe quoi pour ne plus me sentir si stupide.
Je m’occupais les mains pendant une journée interminable, rien ne retenait vraiment mon attention et je sursautais au moindre bruit. J’avais même réussi à me faire peur toute seule en laissant tomber un crayon. La journée tirait en longueur, mon esprit bloquait. J’avais fini par me mettre au démontage des placards, transportant les portes dehors pour les poncer puis les repeindre. Je n’avais pas encore décidé de la couleur, mais je fis quelques tests, mes gestes étaient mécaniques, peu précis, trop occupé qu’était mon cerveau à analyser, décortiquer, comprendre, faire des conclusions et leurs contraires. Usée par ce méli-mélo de pensées, je finis par aller me coucher sans manger pour m’endormir à peine la tête posée sur l’oreiller, la fatigue nerveuse l’emportant. Notez que si la fatigue physique permet un bon sommeil, la fatigue nerveuse pas du tout !
À mon réveil, j’évitais le salon et filait à la cuisine. Le rituel du café réveil neurones effectué, je me posais en face du tableau, les yeux fermés, je respirais à fond et lu le nouveau mot qui était sur le tableau. « Merci d’être restée et de me faire confiance. Content de voir que vous vous êtes enfin installée dans une chambre. Bonne journée Sophie. P.S. Je préfère le bleu pour les portes des placards, mais faites comme vous le souhaitez. P.P.S. Vous buvez trop de café. »
Ho, ha, et ? T’es pas ma mère fut ma première pensée. Ok, ça ne volait pas haut, lui faire confiance ? Il rigolait là ? C’était juste dingue et j’étais dingue. J’avais des hallucinations à force de rester seule voilà. Néanmoins tout cela semblait bien réel.
Je n’avais toujours pas réussi à décider quoi faire alors voire où cette situation allait me mener pourquoi pas. Finalement toutes les solutions envisagées me semblaient dingues. Je notais une réponse dans ce sens et attaquais la peinture bleue des placards, c’était aussi ma préférée, nous avions au moins des goûts en commun, me figes-je en ricanant.
Mon humour refit son apparition dans la journée, finalement la maison était bel et bien hantée. D’un fantôme parlant français, s’il vous plaît. Ce qui expliquait pourquoi les anciens propriétaires avaient fuis. Que des emmerdes avec ces Européens ! Du coup, comme j’en étais une, nous devrions nous entendre.
C’est dans cet état d’esprit que j’attaquais les jours suivants. Mon fantôme communiquait. Tous les jours, je trouvais un mot, ça allait de la couleur d’un mur à la supplication de ne pas détruire telle chose ou telle autre, jusqu’à sa désapprobation maintes fois exprimé sur ma consommation de café. De quoi je me mêle avais-je fini par lui écrire qu’il laisse donc mon histoire d’amour avec le café en paix.
Je découvrais petit à petit les goûts très vieux jeu de mon colocataire fantôme. Il voulait tout conserver, je voulais moderniser. Il ne lâchait rien, allant jusqu’à récupérer ce que je jetais pour le remettre dans la maison. Je ne lâchais rien moi non plus, je n’allais pas me laisser faire comme ça. Je me découvrais têtue et ma confiance en moi augmentait de jour en jour face à cet adversaire invisible.
L’aide qu’il m’apporta durant cette période, me permit d’avancer plus vite que prévu. Le sol de la cuisine fut arraché puis la baignoire posée devant la maison par le livreur, fut magiquement mise en place pendant la nuit. Je l’avais découvert doué en menuiserie et le laissa refaire la table et réparer les chaises.
Cela fonctionnait bien, une relation de confiance se tissait et j’aimais de plus en plus l’idée de cette étrange colocation, néanmoins je refusais ses demandes de rencontre. Il ne s’en formalisait pas, attendait quelque jour puis relançait l’invitation que je refusais. Je ne me sentais pas prête à conforter l’idée que je me faisais de lui à travers nos échanges avec une réalité que je craignais moins agréable.
Non, je ne l’imaginais pas beau, craquant et super musclé, mais vieux, barbu, style ermite en perdition et cette idée de lui me le rendait sympathique, bien plus que la version musclée et beau. J’appréhendais tellement cette rencontre que lorsque je l’entendais travailler la nuit, je faisais semblant de dormir. Un jour, il me faudra accepter la rencontre, mais pour le moment cette relation dingue me convenait et calmait mes appréhensions.
L’été tirait à sa fin quand le grand projet du toit fut inscrit sur le tableau noir. Je ne pouvais pas le faire seul et l’entreprise contactée devait arriver dans trois jours. Je notais donc sur notre tableau, oui, c’était devenu le nôtre, notre moyen de communication, que le toit serait refait à partir de lundi et que si tout allait bien serait fini le vendredi.
J’étais contente que ce gros chantier soit fait avant l’hiver. L’entrepreneur, Francis, qui supporta mes appels presque six semaines avant de craquer, devait s’en occuper. Pour être honnête, je ne gagnais que suite à l’intervention de Suzanne, sa tante, qui une fois que je l’avais, sans savoir leur lien de parenté, mise au courant de la situation, fonça sortir son neveu de son bureau pour lui faire promettre de venir dès la semaine suivante.
Je profitais de passer la soirée avec Ada qui depuis le début de la saison n’avait plus de temps pour rien. Elle passa son temps à pester sur les touristes et regardait d’un œil noir ceux qu’elle croisait en ville. D’amicale et charmante durant son travail, elle se transformait en monstre dès qu’elle quittait son rôle de guide, pour mon plus grand plaisir.
Je passais une agréable soirée à l’écouter se plaindre des gens de la grande ville et de leur équipement hors de prix, mais totalement inutile ici. Elle en avait après les gens stupides qui confondaient randonnée en montagne et balade au bord de mer, les baskets, pas faites pour marcher, mais pour frimer, les ongles peints qui ne servent à rien, les bottes pas « cassées » avant la marche et qui faisait des ampoules à des citadins surpris d’apprendre que si, il fallait les porter avant, ainsi qu’à tout ce ou ceux qui n’étaient pas faits pour la montagne. Je l’écoutais en souriant ne l’interrompant que pour lui dire combien elle avait raison. Je n’avais pas envie, vu son humeur, qu’elle me râle aussi dessus puis je rentrais, bien contente de ne pas voir ces gens-là autour de chez moi et je m’écroulais au fond de mon lit pour un repos bien mérité. Elle était presque plus fatigante que les travaux.
Chapitre 5
– Sophie, Sophie, s’il te plaît, réveille-toi !
Une voix rauque me parvenait dans mes rêves, une voix qui parlait français avec un accent.
– Sophie, réveille-toi !
L’odeur du café me chatouilla le nez, mmm, je m’étirais en soupirant.
– Sophie, c’est important, réveille-toi !
Une main se posa sur mon épaule et me secoua doucement. Une main ? Je sursautais renversant la tasse que tenait une autre main devant mon visage. Assise d’un coup, je fixais deux yeux noirs qui me fixaient et je hurlais. L’homme recula d’un bond et me dit doucement :
– Sophie, calme-toi, c’est moi Livius.
Me calmer ? Me calmer ! Il était dans ma chambre ! Je pris le coussin et le lui jetais à la figure.
– Dehors ! Hurlais-je.
Il recula les mains en avant.
– Je vais à la cuisine vous refaire du café, il faut que l’on parle.
Et, il me planta là.
Mon cœur menaçait de sortir de ma poitrine par ma gorge, mes mains et mes jambes tremblaient. Il me fallut un bon moment avant de me souvenir d’où j’étais et de qui pouvait bien être ce type, Livius. Je mis ma tête entre mes genoux, ce qui ne servit à rien, pris de grandes inspirations pour me calmer, ce qui ne servit à rien non plus et me levait. Il allait m’entendre ! Je vous jure qu’il allait m’entendre l’autre là.
Il était sagement assis à la cuisine, une tasse de café posé loin devant lui et un petit sourire gêné sur les lèvres. Brun, la quarantaine, les yeux noir charbon, un visage taillé à la hache et une fossette sur la joue droite, il semblait bien plus grand que moi, fin, mais pas maigre. Il était bien loin de l’image du SDF poilus squattant mon sous-sol que je m’étais faite. Pas mignon, non, ça marchait pour les chatons, mais pas pour lui, beau ? Oui, mais d’une beauté sombre, il se dégageait de lui une force incroyable qui me mettait mal à l’aise.
J’attrapais la tasse de mauvaise grâce et le fixait méchamment presque déçue qu’il ne soit pas le gentil ermite que j’avais imaginé.
– Je ne voulais pas vous faire peur, mais vous avez le sommeil plutôt profond. Me dit-il doucement.
Les accents rauques de sa voix étaient étonnants, je le fixais sans rien dire. Il me fixait, lui aussi, mais pas en me détaillant, il fixait mes yeux y cherchant quelque chose. Puis, il dit dans un demi-sourire :
– Pas trop déçue ?
Toujours ses yeux au fond des miens, déçue, non mais plutôt mourir que de le dire puis j’eus très chaud, mon visage virait au rouge pivoine, le sale traître.
– Enfin, non, enfin, ça va, enfin…
Et voici, Sophie, la reine de la conversation dans son œuvre la plus connue, les enfin en cascades. Il allait me prendre pour une idiote à bafouiller en rougissant comme ça.
– Je ne voulais pas vous faire peur.
– Tu ! Le coupais-je.
– Te faire peur, corrigea-t-il.
Je bus mon café pour me donner contenance. Il était infect, vraiment imbuvable ! Ce qui eu l’avantage de refroidir mes joues et de remettre mon attention sur autre chose que ce demi-sourire.
– C’est important, il fallait que nous parlions.
– J’avais cru comprendre, marmonnais-je le nez dans la tasse. Et, de quoi ?
– Des ouvriers pour le toit.
Je relevais la tête, le ton plus que désagréable qu’il avait, n’annonçait rien de bon.
– Ben quoi les ouvriers ?
– Je n’en veux pas.
Net, simple et glacial, cinq petits mots qui semblaient dire, ils viennent, ils sont morts.
– Et vous compter refaire le toit tout seul ? Demandais-je. Il faut changer une partie de la charpente.
C’est bien le café dégueulasse, ça me garde sur ma réserve. Bon, soyons honnête, ce n’était pas du tout la première question que j’avais à lui poser et de loin. J’en avais plein, merde, j’aurais dû les noter.
– Pourquoi la charpente ?
Tiens ses sourcils se froncent et ses yeux semblent encore plus noirs.
– Pourri !
Puisqu’il économisait ses mots, j’allais en faire autant. Je me levais pour refaire du café, du bon cette fois, le laissant réfléchir et me disant qu’au lieu de parler de charpente, je devrais lui demander d’où il sortait et pourquoi il parlait français et zut à la fin.
– Vous buvez trop de café.
Ha, ben oui, ça aussi, c’était super important.
– Je sais vous me l’avez souvent écrit. Je suis fatiguée, j’aime le café et pour le moment, c’est comme cela.
– La charpente est vraiment abîmée ?
Retour brutal à la discussion super importante qui m’a sorti du lit.
– Oui, il y a des fuites, des tuiles se sont déplacées et à force la charpente a pourri. Il vaut mieux changer les poutres. Je ne sais pas faire.
Il soupira, moi aussi, plus fort, exprès.
– Moyen de raccourcir leur présence ?
– Enlever et remettre vous-même les tuiles.
– Toi.
– Quoi moi ? Ça va pas ?
– Si je te dis tu, toi aussi, pas toi enlèves les tuiles.
Il sourit, un vrai, pas le truc de travers à moitié. On avançait, super. Je lui souris en retour.
– Donc je disais, pour que ça aille plus vite il faut que TU enlèves les tuiles avant leur arrivée, lundi. Je ne monterais pas sur le toit.
– Je vais m’en occuper. Conclut-il
Il y eut un long silence, ben voyons il va s’en occuper et la marmotte… Puis j’éclatais me faire réveiller pour ça ?
– Et c’est tout, pourquoi c’est un problème ? Finalement, ils viennent de jour et tu as l’air de vivre la nuit, va savoir pourquoi. Je ne vois pas en quoi leur présence te dérange à ce point-là ? Franchement, tu te prends pour quoi, me réveiller en pleine nuit alors qu’un simple mot aurait suffi. Et puis d’où tu parles français et d’où tu sors et… et… et…
Je croisais un regard noir, des sourcils froncés, une bouche pincée.
– Mais, c’est vrai, quoi, mais enfin ? Chevrotais-je en me rasseyant le nez dans ma tasse de café.
Rougissants, bafouillant et maintenant chevrotante, le tiercé de la honte dans l’ordre. La petite voix douce se fit entendre dans ma tête. Tiens, la revoilà celle-là : calme-toi, regarde-le, il ne rit pas.
Non, il ne riait pas, n’avait même plus l’air en colère, il me fixait d’un air interrogatif.
– Tu as raison, nous avons à parler, mais je te propose de remettre ça à la fin des travaux.
Finit-il par lâcher du bout des lèvres.
– Ho, alors dans dix ans plus ou moins si je dois tout finir avant. Grinçais-je.
– Non, le week-end prochain, je répondrais à tes questions.
Il était super sérieux, presque raide, pas fâché, mais mal à l’aise et pas franchement ravi d’avance.
– Mouais, ça marche, plus de réveil au milieu de la nuit et plus jamais tu n’entres dans ma chambre. Marchandais-je en plus.
– Sauf si urgence.
Vu SES urgences, je doutais qu’il tienne parole. Le prochain réveille aurait certainement lieu pour un problème de plomberie ou parce que j’aurais envie d’inviter Ada à la maison. D’ailleurs en y pensant :
– Au fait…
Il me coupa.
– Retourne te coucher, si tu arrives à dormir avec tout ce café. Il faut que je m’y mette si je veux finir pour lundi.
Et il me planta là.
Je pris ma tasse, remontais dans ma chambre et je m’y enfermais. Je restais un long moment à écouter les bruits venant du toit et à réfléchir à cette drôle de rencontre. Le bruit au-dessus de ma tête continuait toujours, c’est alors que ma petite voix recommença : il est pas mal le fantôme ! Oui, un peu brute de décoffrage, mais à quoi fallait-il s’attendre d’un homme qui vit caché dans un sous-sol. Il avait dû faire un effort de tenu pour moi. C’est vrai que je m’attendais à un ours poilu et revêche. J’avais un ours pas poilu et franchement aussi revêche qu’imaginé, mais plus craquant. Je pouffais dans mon coussin, me traitait d’idiote et fermais les yeux, soulagée que mon fantôme n’en soit pas un.
Il n’y avait aucun mot sur le tableau le lendemain matin. Je sortis dans le jardin et vus des piles de tuiles posées en tas régulier contre la maison, je rentrais, me préparais un grand petit déjeuner que je dégustais tranquillement au soleil. Oui, je traînais, et alors ? Je m’offrais le droit de ne rien faire aujourd’hui, si monsieur le colocataire voulait se la péter en démontant tout seul le toit, qu’il le fasse. Aujourd’hui ce serait sans moi.
Je finis par appeler Ada pour lui proposer une pizza en ville et je partis sans trop attendre rejoindre mon amie. Sa pizza avalée, elle lorgnait sur la mienne. Je lui en tendis presque la moitié. Mais où mettait-elle tout ça ? Ada se remit à se plaindre des touristes. Je commençais à penser qu’elle le faisait exprès, au fond, elle devait adorer s’en moquer.
L’après-midi fila mais je n’avais pas envie de rentrer, pas aujourd’hui alors Ada, ravie, me traîna au cinéma où ce jouait un marathon Seigneur des Anneaux. Du pop-corn, du coca et plein de cochonneries, nous tiendraient compagnie. Si je devais apprécier une chose chez mon amie, c’était que nos goûts étaient pareils, en matière de cuisine, de livres et de cinéma.
Repus de plus de sucre que je n’en avais mangé depuis un an, avec une envie pipi à me fendre le crâne, c’est vers quatre heures du matin que je rentrais. Je me garais, filais à la salle de bain et à peine étais-je assise, qu’on y frappa.
– Tout va bien ? Fit une voix inquiète, tu…
C’est pas vrai, pas maintenant.
– Oui, un moment, j’arrive. Coupais-je.
Depuis mon arrivée il avait toujours été super discret et là… Mais c’est pas vrai, pouvais-je faire pipi en paix ? Et puis, il avait quoi à être inquiet. Je soupirais, encore, ça devenait une manie. Je sortais de là pour trouver mon colocataire assis à la table de la cuisine, il était inquiet cela se voyait.
– Tu vas bien ? Il est tard.
– Oui je vais bien, je suis sortie avec une amie. Nous sommes allées au cinéma et le temps de rentrer… Je haussais les épaules en faisant un geste de la main. J’avais envie de faire autre chose aujourd’hui.
Il hocha la tête.
– Je m’en suis douté quand j’ai vu que rien n’avait bougé. Il avait l’air penaud. J’ai contrôlé si tes affaires étaient toujours là et comme le temps passait, je me suis demandé si tu avais un problème ou un accident et puis il n’y avait pas de mot sur le tableau.
Le demi-sourire était de retour, ironique à souhait, contre lui cette fois-ci. Je le fixais interloquée.
– Je suis sortie, depuis quand dois-je te prévenir ?
Je retins de justesse le : tu n’es pas mon père qui arrivait dans ma bouche. Bien ma fille, tu progresses et une ânerie de non dite, une.
– Ce n’est pas habituel, se justifia-t-il, tu es plutôt du style à te coucher tôt.
– Je suis habituellement tellement fatiguée que même si je le voulais, je ne pourrais pas me coucher tard. Aujourd’hui j’ai fait une pause et pris du temps dehors. J’en avais besoin.
– À cause de moi ?
Là j’hésitais entre le oui, tu me rends dingue et le non, tu n’es pas le centre du monde ou alors un peu ? J’optais pour ce dernier.
– Un peu, je ne comprends pas tout, nous nous connaissons seulement par écrit et je n’étais pas vraiment prête à te rencontrer pour de vrai et un peu parce que Ada est ma seule amie ici et passer du temps avec elle me fait du bien.
– Je comprends.
Il en avait de la chance, moi, pas grand-chose.
– Bon, maintenant que tu es rassuré et que tu m’as vu vivante, la couche-tôt que je suis ayant largement dépassé son heure de coucher va aller dormir.
Je faillis aller l’embrasser pour lui dire bonne nuit, mais au secours, quelle gourde ! Je déviais vivement pour attraper une tasse que je remplis d’eau pour en faire quelque chose et je filais sans plus attendre dans les escaliers.
– Bonne nuit Sophie, fit-il juste derrière moi.
Je me retournais d’un coup et mon visage fini dans sa poitrine, ma tasse contre son ventre. Je reculais, renversais tout et bredouillais une bonne nuit gênée. Il souriait franchement, me fit un clin d’œil et me laissa en disant :
– Si tu le demandes, je veux bien te faire un bisou de bonne journée demain matin.
Il se moquait de moi, j’avais les joues en feu et merde. Il se moquait de moi et je ne trouvais rien à répondre. Je montais en écrasant chaque marche pour bien montrer mon énervement, ce qui le fit rire et me rendis encore plus énervée. Bref, il était plus que temps que je dorme, au moins au fond de mon lit, je n’allais pas faire ou dire de bêtises puis je me rendis compte, il s’était inquiété et sans comprendre pourquoi, j’en étais ravie.
Le lendemain, un mot sur le tableau me donna la rage nécessaire pour faire en une journée ce que j’avais prévu de faire en deux. C’est bien la rage, ça permet d’avancer. Pourquoi étais-je de cette humeur merveilleuse ? Le mot sur le tableau disait : je n’ai pas osé te réveiller d’un baiser, tu étais rentrée tard et au vu de tes ronflements, j’ai pensé qu’il valait mieux que tu te reposes encore. Bonne journée.
Ha, ha très drôle ! J’en avais mal aux côtes de rire. Du coup, c’est en imaginant la tête du comique nocturne que je lavais et frottais les meubles stockés dehors. En levant la tête, je pus voir que le clown avait presque fini de démonter le toit. Demain tout serait prêt pour le neveu de Suzanne. Youpi, comme ça mon colocataire à l’humour défaillant se calmerait. Allais-je, oui ou non lui répondre et que lui répondre. La fatigue avait eu raison de ma mauvaise humeur, mais je ne voulais pas le laisser gagner comme ça. Je pris le temps et notais : Seul un prince charmant aurait pu me réveiller d’un baiser pas un fantôme. Bonne nuit. Il comprendrait ou pas.
Le matin, je me levais courbaturée, tiens, ça faisait longtemps. Une bonne douche plus tard, ma deuxième tasse de café en main, je regardais sur le tableau sa réponse : Je ne suis pas UN fantôme, mais je veux bien être le tien ! Bonne journée, ma belle au bois dormant.
Ok, Il avait gagné, car c’est en souriant que j’ouvrais aux ouvriers qui se présentèrent devant la porte. Francis me dit :
– C’est sympa d’avoir avancé le travail, tante Suzanne m’a fait promettre de venir cette semaine. Cependant, j’ai un autre chantier en cours. Il faudra que tu m’expliques comment tu as fait, sans vouloir être impoli, tu ne ressembles pas vraiment à une force de la nature.
Je ne répondis rien, mais il me faudrait penser à remercier mon fantôme pas charmant parce que si Francis n’avait qu’une semaine, l’opération rénovation du toit aurait capoté. Ce que je n’avais pas prévu, c’est l’énorme engin qui arriva peu après et auquel il fallut faire de la place.
Malgré mes doutes, Francis et son équipe travaillaient vraiment bien. Mémo personnel, faire plus confiance aux dires de Suzanne. En fin de journée, son équipe partie, Francis traîna pour boire une bière et discuter un peu.
Il m’avait vu au cinéma avec Ada et me demanda très sérieusement si j’avais choisi d’y aller ou si Ada m’y avait traînée de force. J’allais lui répondre sèchement quand j’aperçus son regard pétiller.
Je fronçais les sourcils et demanda pourquoi ?
– Je la connais depuis son arrivée, me confie-t-il. Elle était en classe avec mon frère. Sa réputation de terreur est méritée crois-moi. Elle en a fait voir à tous à son arrivée, une vraie rebelle.
J’en ris et lui répondis que non, j’aimais ce genre de film et que je les avais déjà vus plusieurs fois et que la seule chose que je pouvais reprocher à mon amie, c’était cette extraordinaire énergie. Elle m’épuisait parfois.
Il était parfaitement d’accord, nous avons parlé de tout et de rien, soudain il me dit que sa tante m’attendait pour manger samedi soir. Il avait failli oublier, elle ne l’aurait pas pardonné. Il me fit un clin d’œil puis me souhaita bonne soirée et fila avant même que je puisse refuser l’invitation.
L’urgence pour le moment était de me couler dans un bon bain chaud, le reste attendrait.
Le reste attendit plus que prévu, je m’étais endormie. Je sortis de là alors que la nuit était déjà tombée. Mince, j’avais trempé sacrément longtemps et je mourrais de faim. Je me séchais rapidement puis entourais ma serviette autour de mes cheveux et filais à la cuisine mettre mon repas à réchauffer, l’estomac gargouillant d’anticipation. J’y pénétrais comme un courant d’air et me figeais net.
Il était là, devant le micro-onde, un bol fumant à la main et son regard, ho, mon Dieu son regard. De surpris, il se fit curieux puis ravi ? Je le fixais et je réalisais en voyant son sourire apparaître que j’étais nue, une serviette enroulée sur ma tête comme seul vêtement. Et merde, merde, merde…
Mes pieds firent un demi-tour tandis que mes mains attrapaient le linge et le déplaçaient de ma tête à mon corps. Les escaliers furent montés en 2 secondes, la porte de ma chambre claquée et c’est tremblante que je m’y appuyais pour reprendre mon souffle.
Non mais c’est pas vrai, il venait de me voire nue. J’étais passée par tous les rouges connus pour finir avec un qui en plus chauffait sur mes joues. Je glissais le long de la porte et me pris la tête entre les bras. Je ne suis pas pudique, mais pas franchement à l’aise quand je suis nue. Je restais assise contre la porte en me sermonnant. Il n’y avait pas de drame, ce n’était rien, enfin, c’était pas grand-chose et puis il n’avait rien dit, pensé, j’en étais sûre, mais rien dit, c’était déjà ça de pris. Je reprenais contenance petit à petit et le léger coup donner contre ma porte me sortit de ma tornade de pensées.
– Sophie ? Ça va ?
Mon nom était juste soufflé très bas, doucement, presque un murmure. Il voulait juste me faire savoir qu’il était là.
– Oui ! J’arrive, un instant, dis-je.
Bon, finalement, il m’avait vu nue et puis ? C’était un accident rien de plus. Reprends-toi, tu n’es pas une nonne ! Lui peut-être, n’était-il pas ermite ? Il n’a même pas fait un geste alors arrête de baliser. Puis l’image me frappa, je l’imaginais en nonne. Mais c’est pas vrai ! L’image de mon fantôme en nonne flotta un moment dans mon esprit et me permit de finir de me calmer. Le ridicule ne tue pas et l’imaginer ainsi me permettait de dédramatiser.
Arrivée à la cuisine, je vis que le bol était lavé, posé sur l’évier et lui était assis sagement à table. Je lui fis un petit signe de tête pour me donner contenance. Je fouillais dans mon frigo et en sorti un sandwich. Mon repas en main, j’allais m’asseoir en face de celui qui n’avait rien dit depuis mon arrivée.
– Bonsoir Sophie, dure journée ?
Il parlait tranquillement, d’accord, faisons comme si rien ne s’était passé.
– Oui, épuisante ! Il a fallu faire de la place pour la grue et je me suis endormie dans la baignoire.
Bien, ma grande, tu n’as même pas bafouillé, tu as parlé normalement. Je fixais mon assiette, seul moyen que j’avais trouvé de ne pas le regarder. Un doigt vint se loger sous mon menton pour le soulever et ses yeux noirs cherchèrent les miens.
– Ne te prends pas la tête. Tu n’es pas la première femme que je vois nue et je te promets que tu ne risques rien !
Il avait un regard si sérieux et un sourire doux. Il ne lâchait pas mes yeux y cherchant je ne sais quoi. Je devais le prendre comment le : tu ne risques rien ? Je suis moche, c’est ça ? Ou il est gay ?
– Merci, mais je n’ai pas aimé la surprise.
Il sourit malicieux.
– Moi, oui et j’ai apprécié !
Il appuya ses dires d’un clin d’œil et me voyant rougir, il redevint sérieux et dit :
– Parlons d’autre chose, donc la journée fut fatigante, mais les travaux ont bien avancé.
– Oui, soufflais-je, le toit est démonté, plus vite que je ne le pensais. Francis et son équipe ont bien travaillé.
Il fronça les sourcils.
– Francis ?
– Oui, le charpentier où je ne sais quoi, le neveu de Suzanne, son entreprise est en ville.
– Et donc, les travaux dureront encore combien de jours ?
Il y avait comme un agacement dans sa voix, lui et sa sacro-sainte tranquillité !
– Demain, ils attaquent le remplacement. Francis m’a promis que ça ira vite. Ils sont venus en nombre pour finir au plus vite. Il est resté un moment pour parler après sa journée, il m’a vu avec Ada au cinéma et m’a raconté les bêtises qu’elle avait faites plus jeune.
Je souriais à ce souvenir mais, quand je croisais son regard, mon sourire disparut. Il semblait furieux et je ne comprenais pas ce que j’avais bien pu dire pour le mettre de cette humeur. Trop crevée pour y réfléchir et surtout bien décidé à ne plus réfléchir en ce qui le concernait, sinon j’allais paniquer et probablement déménager ailleurs. Encore une fuite et celle-là, je ne voulais pas la faire donc tout était normal venant de lui. Je biaisais.
– Je n’ai plus faim, je vais aller me coucher, demain sera encore une journée compliquée. Bonne nuit Livius.
– Bonne nuit, Sophie.
Je sentis son regard me suivre jusqu’aux escaliers et une fois dans ma chambre, je pris un minuscule temps pour réfléchir à cet étrange moment. Son humeur était si changeante que j’avais du mal à suivre. Il devait avoir passé trop de temps seul, puis son image en nonne revint à mon esprit et je fus pris d’un véritable fou-rire qui me détendit et me permit de dormir sans rêves.
Chapitre 6
Francis était à l’heure et à la pause nous avons discuté de mon arrivée et des bruits qui courrait sur moi, alimentés par mon amitié avec Ada et des différences entre ici et l’Europe. Discussion lancée car se plaignait-il, mon café avait failli les tueuses et qu’Ada le buvait de la même manière. Je veux bien reconnaître qu’entre un expresso italien et le jus de chaussette servi dans le coin, la différence pouvait surprendre, mais j’insistais, le mien était meilleur, ils n’étaient que des mauviettes.
Je lui fis promettre de demander à Suzanne de ne pas en faire trop, précisant que je ne mangeais pas beaucoup et je ne buvais que peu d’alcool et lui rappelant que je devais encore rentrer. Il me promit de transmettre le message, mais précisa qu’avec sa tante, je n’aurais pas d’autre choix que de manger et boire. Au pire, il se ferait un plaisir de me ramener puisqu’il serait présent ainsi que la moitié de la famille ou je pourrais demander à Ada qui venait elle aussi.
Voyant ma tête, il se mit à rire et fuit avant que je ne puisse lui dire que non, je ne viendrais pas. Une fois assez loin de moi, il me dit en criant :
– Tu as dit oui, alors tu viens.
Il était mort de rire. Je m’étais fait avoir. Mais pourquoi avais-je accepté sans demander d’abord ce qui était prévu ?
Le soir arrivait et la seule chose que je souhaitais en ce moment était un bon repas suivit d’un dodo de compétition. Je traînais des pieds en entrant dans la cuisine, hésitais un instant et me fit des crêpes. Je sursautais en entendant un bonsoir, lancé depuis la porte. Mon colocataire était là, appuyé contre le mur et n’avait pas exactement la tête des bons jours.
– Ça sent bon, que prépares-tu ?
– Bonsoir, des crêpes, tu en veux ?
– Non merci, à plus tard, bon appétit.
Je répondis dans le vide un : merci bonne soirée. Il n’était déjà plus là, à croire que de me croiser le soir le dérangeait. Bon sang qu’est-ce qui m’avait pris d’accepter sa présence ? En étant honnête, je pense qu’une partie de moi était ravie de ne pas être seule, dur de changer du tout au tout en si peu de temps. La petite fille n’était jamais loin et faisait des retours pas toujours agréables pour celle que je souhaitais devenir.
Allez arrête, tu ne vas pas recommencer les prises de tête, à table, mademoiselle Sophie et au dodo !
Je ne l’ai pas revu. A vrai dire, je faisais attention de ne pas traîner plus tard que les journées d’été me le permettaient. Je filais dans ma chambre avant que la nuit n’arrive. Je laissais des petits mots, il y répondait et voilà, la situation me convenait.
Les tuiles retrouvaient le toit, le bruit du marteau ne m’avait pas vraiment dérangé, mon désagréable fantôme semblait attendre que je sois profondément endormie pour s’y mettre. Oui, bon d’accord, il n’était pas si désagréable que ça. Il faisait attention à moi, mais franchement il n’était pas facile à cerner.
Le vendredi matin, la note sur le tableau disait : le toit est presque fini, qu’as-tu prévu ? Sans signature, sans bonjour. Alors, j’avais bien le droit de le trouver désagréable, non ? J’y avais répondu : comme je sors samedi soir, je pense que nous pouvons nous offrir un week-end tranquille, lundi il faudra attaquer les fenêtres.
Soit, j’avais maintenant une cuisine remise à neuf, une salle de bain de luxe, hé oui, j’avais bossé pour, un toit qui ne fuyait plus, mais je n’avais toujours pas changé les fenêtres. Les nouvelles achetées par les anciens propriétaires attendaient dehors et la cheminée ne servirait à rien si les courants d’air persistaient. Mais ce soir je sortais et franchement, j’en avais envie même si je craignais un peu le nombre d’invités présent. Au matin j’avais trouvé une note : amusez-vous bien avec votre Francis. Mais que diable venait faire Francis là-dedans ? Je répondais à l’invitation de Suzanne.
La journée s’étira, vraiment, beaucoup, horriblement. Je me traînais d’un coin à l’autre réfléchissant un moment à ce que je devais encore faire, un autre à cette étrange colocation ou plutôt au caractère de mon fantôme, réussissant à ne rien faire de concret.
Je décidais de me préparer et de partir en ville. J’envoyais un message à Ada, priant pour qu’elle soit libre et abandonnais mon chantier, ma maison, mon fantôme et je l’espérais mes interrogations. Ada n’était pas libre, oh surprise. Je flânais donc en ville, le lèche-vitrine reste une occupation comme une autre.
À dix-neuf heures tapantes, une Ada survoltée, normale quoi, me sauta dessus pour m’emmener chez Suzanne, imposant de prendre sa voiture et d’y arriver ensemble sans me laisser le temps de répondre. Je suivis en soupirant, elle m’y traînait en rayonnant, c’est donc avec des sentiments complètement différents que nous sommes arrivées, bien qu’elle m’ait assuré durant le trajet que j’allais adorer.
Ada entra sans frapper, criant :
– Coucou, c’est nous.
Auquel une dizaine de voix répondirent. Mince, mais ils étaient combien ? Une Suzanne en tablier à petite fleur surgit devant moi, me prit dans ses bras, me cassant sûrement deux côtes, me claqua deux énormes et bruyantes bises sur les joues en me souhaitant la bienvenue. Relâchée d’un coup, de cette formidable étreinte, je faillis tomber à la renverse. Je fus retenue par Francis qui murmura à mon oreille.
– Suzanne est un peu démonstrative, tu vas t’en remettre ?
Le ton était moqueur à souhait alors qu’il m’attirait contre lui en me retournant pour me claquer, lui aussi, deux énormes bises sur les joues.
Je rencontrais d’un coup, le mari de Suzanne, leurs enfants, un frère de je ne sais plus qui, le cousin de truc et un ami de la famille ou un membre de la famille, une amie de cousin truc et quelques autres personnes dont je ne compris ni le lien avec les autres, ni d’où ils pouvaient bien sortir. Je ne reteins aucun nom, fus embrassée à chaque fois et finis par me retrouver assise sur un canapé avec une assiette de petits fours sur les genoux. Étourdie, épuisée et pas vraiment sûre de ce qui venait de se passer, je subissais les conversations plus que je n’y participais.
Le reste de la soirée fut semblable, un peu comme se retrouver à une fête de famille, mais pas la sienne, où les repères sont inexistants et les gens, trop heureux de vous y accueillir, vous noient sous une tonne d’anecdotes dont vous ne comprenez rien. Je serais ingrate de dire que je passais une mauvaise soirée, car ce ne fut pas le cas, juste que je me sentais un peu submergée par tant de paroles, de gens et de nourriture.
À vrai dire, surtout de nourriture, Suzanne remplissait mon assiette de tout, de beaucoup, tout le temps. Elle semblait trouver que je devais prendre dix kilos avant la fin de la soirée. Ada à ma droite vidait régulièrement mon assiette. Je la remerciais à chaque fois par une grimace de soulagement. Je dois avouer que j’attendais le café avec impatience bien que je craignais qu’il ne soit que le jus de chaussette, habituel ici. Quel ne fut pas ma surprise quand je vis arriver devant mon nez un café dont l’arôme ne pouvait tromper, un vrai café ! Je le fixais un moment puis en levant la tête, je vis Suzanne me faire un sourire.
– C’est ce que tu appelles du vrai café, non ?
– Oui, il semble parfait, merci
– Tu vois je t’avais dit, triple dose pour elle.
Je fixais Ada.
– Triple ? Mais, ils boivent de l’eau colorée ?
Mon air faussement effaré les fit rire aux larmes et Suzanne finit par répondre.
– Ada aussi, aime le café trop fort.
Elle leva les yeux aux ciels.
– Tu vois ce que j’ai dû endurer avant ton arrivée. Ils étaient tous persuadés que je faisais exprès de les contredire.
Alors que depuis que tu es là, ils savent que c’est juste une différence, notable cependant, entre eux et le reste du monde.
– Une vraie faute de goût d’ailleurs, ajoutais-je en rigolant.
Ada opina de la tête, Suzanne et Francis soupirèrent et le reste de la tablée se lança dans une discussion animée sur les différentes habitudes selon les régions. J’appris ainsi que Suzanne venait d’une famille anglaise, que le cousin truc avait de la famille en Australie et qu’en fait presque personne ici, n’était natif du coin.
Je me sentais un peu moins perdue dans cette assemblée, qui m’avait acceptée comme l’une des leurs. Ada me souriait. Suzanne s’inquiétait que j’aie assez mangé. Francis expliquait à son père ou au mari de Suzanne ou à l’oncle machin, je n’en savais rien, les travaux que j’avais déjà faits dans ma maison. Celui-ci me félicitait en me demandant ce que je devais encore faire et la soirée avançait.
Lancée dans une discussion animée avec Francis, un mouvement avait attiré mon attention, une ombre derrière la fenêtre, une ombre que j’avais l’impression de connaître. Je fronçais les sourcils pour comprendre. L’ombre avait déjà disparu. Francis interprétant de travers mon froncement de sourcil, me dit :
– Je sais que c’est beaucoup de travail, mais il faut le faire, ta sécurité compte.
Je le fixais complètement perdue, mais de quoi parlait-il ? Ha oui, la cheminée…
– Je sais bien, il faut que je le fasse correctement, mais je ne sais pas si j’arriverai à tout finir avant l’hiver.
Il se lança dans une longue explication sur l’importance du risque incendie, ouf, bien rattrapé. Je perdis le fil de la conversation, perdue dans mes pensées. Francis fini par décréter que j’étais trop fatiguée et que je devais rentrer. Il héla Ada pour qu’elle me reconduise et en quelques minutes j’étais assise dans une voiture ceinture bouclée et la tête remplie de faites attention, bonne nuit, à bientôt, repose-toi ! Les joues encore vibrantes de baisers plaqués avec force et les côtes douloureuses d’étreintes énergiques, sans trop bien comprendre comment j’étais arrivée là. Je trouvais Ada épuisante, elle était calme et zen comparée au reste des invités. J’étais épuisée.
Le retour se fit dans le calme habituel d’Ada, elle parla non-stop.
– Alors tu vois, ils sont sympas non ? Je sais que ça fait beaucoup en une fois, mais tu verras tu t’y feras. Suzanne t’attend samedi prochain. C’est cool, non ? Comme ça, tu vas rencontrer tout le monde. Enfin tous les amis de Suzanne et sa famille. Tu seras plus vite adoptée. Ils t’ont trouvé adorable. Tu fais déjà partie des habitants, tu sais, pour beaucoup le boulot que tu as fait…
Je n’écoutais qu’à moitié, en partie parce qu’affolée à l’idée de remettre ça dans une semaine, en partie parce que inquiète, sans trop savoir pourquoi de ce qui m’attendait à la maison.
Sortie du dernier contour, la vue de ma maison dont la cuisine était éclairée, m’affola d’un coup. Je criais presque à Ada de s’arrêter là, tout de suite. Elle planta sur les freins et regardant de tous les côtés, elle me demanda pourquoi.
– Il y avait un écureuil, fut la seule réponse que je trouvais. Enfin, j’ai cru. Je crois que j’ai dû m’endormir. Laisse-moi ici un peu d’air me fera du bien.
– Tu en es sûr ?
– On y est presque, je t’assure que ça me fera du bien.
Dix minutes plus tard, après avoir promis que, si, j’avais besoin d’un peu d’air et que non, je ne traînerai pas et que oui, j’avais probablement oublié d’éteindre les lumières. Dis trente fois merci et bonne soirée, assuré que je viendrais samedi prochain et que j’avais a-do-ré la soirée, je pus sortir de la voiture.
J’attendais en faisant au revoir de la main qu’elle fasse demi-tour avant d’avancer vers la lumière, mais quelle idiote j’étais de ne pas avoir pensé que mon colocataire pourrait être là. Il faudrait sortir de ce secret tôt ou tard et tôt serait mieux pour mes nerfs.
Alors que j’avançais dans le jardin, je le vis assis sur les marches devant la cuisine. Il me fixait sans rien dire. Arrivée à sa hauteur, je m’assis mal à l’aise et je me mis à fixer les objets que la lumière de la cuisine faisait apparaître sur le sol. Je sentais toujours son regard sur moi puis un murmure.
– Alors tu as passé une bonne soirée ?
– Oui, un rien étourdissante, mais la famille de Suzanne est vraiment adorable. Je suis invitée samedi prochain.
– Je vois.
– Tu vois quoi ?
Il ne répondit rien et son regard se perdit dans le vide.
– Tu vois quoi ? Insistais-je
– Tu t’adaptes plutôt bien.
– C’est gentil, mais là j’ai plutôt l’impression d’avoir survécu à un typhon.
Je me massais les côtes en souriant. Un typhon de bisous et de câlins qui m’avait laissée tout étourdie et pas complètement remise.
– Fait attention aux gens de la ville, ils ne sont pas tous comme Suzanne.
– Parce qu’il y en a d’autre comme Suzanne ou Ada ?
– Je disais juste que tout le monde ici, n’est pas aussi amical qu’elles.
– Je pense bien mais…
– Mais tu verras bien, fais juste attention !
– Côté gens incorrects, je pense avoir un peu de… enfin, j’en ai connu et je ne pense pas que, enfin… pas Suzanne en tout cas.
– Sois prudente, c’est tout.
Lâché dans un souffle comme à contre-cœur, une petite phrase de rien du tout qui me fit du bien. Bon sang, je m’étais attaché à lui au fil des jours et son absence due à sa froideur et sa colère des derniers temps m’avait plus blessée que je ne voulais l’admettre alors cette petite phrase me faisait du bien.
– Je tiens à toi aussi.
Je lui répondis en l’embrassant sur la joue. Je me levais, filais à la cuisine. Avant même d’y parvenir je sentis deux bras me saisir la taille, une tête se nicher dans mon cou et deux lèvres remuer contre ma peau. Un baiser doux, un soupir puis au creux de mon oreille un souffle rauque.
– Va te coucher il est tard, petit ange.
Il m’avait embrassée juste en dessous de l’oreille provoquant une pluie de frissons. Ses mains libérèrent mes hanches et alors que son corps s’éloignait du mien, j’eus froid. Je me retournais pour trouver la cuisine vide. Je restais là, ébranlée. C’était quoi ça ? Non, pas le baiser, pas son comportement, mais ma réaction. Je suis pas idiote, c’était clairement du désir, mais je ne voulais pas. Je ne voulais pas ressentir de désir pour mon fantôme, pas plus que pour aucuns autres hommes du coin. Désirer quelqu’un c’est le bordel, ça me met la tête à l’envers, m’empêche de réfléchir et je vire stupide et soupirante, incapable de voir les défauts, avalant les mensonges comme du petit lait et me laissant berner, j’y étais déjà passée. Stop, stop, stop, hors de question de. Bien décidée à ne pas me laisser aller, je filais sous la douche pour me calmer parce que oui, mon corps lui, était un imbécile de première. Et, merde, je ne suis pas une sainte ! Loin de là ! J’ai des besoins comme tout le monde, mais je ne voulais plus avoir envie de, enfin si, mais pas comme ça, pas maintenant, pas lui.
Je ne le revis plus, le tableau noir repris son usage premier. Je notais le programme, il indiquait ce qui était fait, je lui souhaitais bonne soirée, il me souhaitait bonne journée. Mes nuits restaient compliquées, mon esprit l’imaginant devant ma porte, elles n’étaient plus vraiment reposantes. Je m’épuisais pendant la journée pour tenter de dormir. Je m’épuisais pendant la nuit pour tenter de ne pas penser, mais je tins bon.
Le samedi arriva comme un sauveur. J’allais faire face à plusieurs ouragans amicaux, mais cela me semblait plus calme et reposant que la semaine qui venait de passer. Je ne fus pas déçue. Il y avait encore plus de monde, dont bien sûr, je ne retins aucun nom, trop à manger, merci Ada, beaucoup de bruits, de rires et une Suzanne inquiète de ma petite mine. Mes joues et mes côtes subirent les assauts affectueux de tout le monde à l’arrivée comme au départ.
Je rentrais pour trouver la lumière de la cuisine allumée, mais personne ne s’y trouvait. Un mot sur le tableau me souhaitait une bonne soirée et une bonne nuit, c’était la seule trace de mon fantôme.
Les semaines se suivirent sur le même modèle ou presque. Mon cerveau reprenait le dessus, mes nuits se firent plus calmes, sans ruminations interminables sur mon colocataire et je pus me reposer vraiment.
La cheminée fut inspectée, réparée et attestée sans danger par un ami de Francis, David qui m’invita à sortir à chacune de ses visites. Il reçut la même réponse que celle donnée à Francis au cours des derniers samedi : merci, mais non merci. J’allais finir par être taxée de pénible ou de vieille fille frigide. Ada fut d’une aide précieuse en précisant à tous les invités de Suzanne, le samedi suivant, alors que Francis se montrait insistant, que, vu mon passé, un homme n’était pas une urgence pour le moment. Ils en conclurent que j’avais eu une grave déception, ce qui n’était pas faux, ce qui amena Francis à s’excuser de son insistance et à clore une fois pour toute, le sujet.
Sauf que si je m’en étais remise et que j’aurais pu faire de la place à un nouvel amant, même si je ne désirais ni David, ni Francis. Parce que pour le moment la situation n’était pas aussi simple que si mon fantôme n’existait pas.
L’automne s’installa, les journées raccourcissant, il me devenait de plus en plus pénible de me
coucher avant le soleil. Il fallait trouver un autre accord au moins avant l’hiver. Le tableau noir se vit promu médiateur. Je le couvrais de : il faut que l’on parle, formulés de toutes les manières possibles et imaginables, auquel étaient répondu des : de quoi, sans autres commentaires.
Je tentais une autre approche en la jouant claire et nette : qu’allons-nous faire cet hiver, les jours raccourcissent et il serait bien que l’on trouve un moyen de cohabiter, à quoi me fut répondu un : ça ira, laconique.
Mon colocataire avait coupé suffisamment de bois pour chauffer la maison, au moins plusieurs hivers ou lors d’une mini glaciation, nettoyé le jardin de tout ce que j’y avais stocké et l’avait parfaitement rangé dans la cabane en bois qu’il avait construite. J’avais quant à moi, fini de changer les fenêtres et repeint le salon et une partie des chambres. Un canapé avait fait son apparition ainsi qu’une télévision et surtout d’un lecteur DVD. L’installation de ma super bibliothèque était en cours, car à force de me coucher avant le soleil, j’avais fini par dévaliser la petite librairie du coin, étonnant…
La maison perdait petit à petit son air de maison hantée et prenait doucement l’apparence du foyer que j’avais vu en elle.
Je laissais tomber les tentatives de discussions en septembre. Finalement, si nous devions nous croiser, arrivera ce qui devait arriver. Les jours devenant de plus en plus courts, je refusais de me ranger dans ma chambre de plus en plus tôt. Je l’annonçais sur le tableau, n’y trouvais aucune réponse le lendemain, excepté le “bonne journée” habituel.
Je m’intégrais beaucoup, grâce à Suzanne, un peu à contre-cœur à cause de mon fantôme. Je commençais à retenir les visages, quelques noms, pas beaucoup, je l’avoue. Je saluais gaiement les gens en ville, sortais de plus en plus le soir et me fis une nouvelle amie.
Elle travaillait dans une boutique qui vendait des articles artisanaux. Boutique ouverte en saison et qui pratiquait la vente à la tête du client. Je m’explique, un prix pour les touristes, un pour les habitants, un autre pour les habitués. Il valait mieux y arriver avec quelqu’un de connu du propriétaire ou de la vendeuse, ce que j’appris plus tard.
La première fois que j’y entrais, je craquais littéralement pour un tapis aux couleurs vivent, remplis de dessins stylisé d’animaux du coin. Quand je demandais le prix, je pâlis. Non, mais je devais vendre un rein pour l’avoir ? Je ne l’achetais pas, mais pris une petite lampe dont le prix me sembla plus correct. J’y retournais plusieurs fois et finis par engager la conversation avec la petite rousse derrière la caisse. Elle se nommait Théa et avait appris depuis peu que je n’étais pas une touriste. Elle était rouge de la tête aux pieds quand elle me présenta ses excuses pour le prix demandé lors de mes achats précédent. C’est ainsi, que j’appris qu’en ville les touristes, comment dire, on les saignait volontiers alors qu’on faisait attention à ne pas exagérer avec les gens du coin. Ce qui expliquait pourquoi Ada m’avait traînée partout en me présentant comme une amie.
Les prix baissèrent sérieusement après notre discussion et je repartis avec le tapis qui soudain était tout à fait dans mes moyens. J’eus même droit à une remise important en guise d’excuse. Tapis et lampes voyagèrent de la boutique à la maison suivit par un couvre-lit en patchwork livré, un mercredi, par une petite rousse survoltée comme tout le monde ou presque ici.
Elle resta manger puis revint le mercredi suivant puis Ada pris le temps de se joindre à nous puis le mercredi soir fut le repas copine de la semaine. Finalement, les habitudes se prenaient vite ici sauf une…
Chapitre 7
Je ne me faisais pas à l’idée de ne plus revoir mon fantôme qui comme au début se montrait discret, tellement que si des mots n’apparaissaient pas sur le tableau, j’aurais pu le croire parti. Alors que je m’étais fait tout un monde de sa présence, je n’avais plus envie de le voir disparaître. Je devais reconnaître que j’avais pris l’habitude et qu’il avait pris une place importante dans ma vie et si on excluait le passage du baiser dans le cou, il s’était comporté en grand frère. Bien que je n’aimais pas trop l’idée qu’il me voit comme une sœur. Il me manquait. Je me l’étais avoué un soir alors qu’enroulée dans une couverture devant la télévision, je me retrouvais à parler à voix haute. Stupide moi !
J’avais rencontré Théa, j’allais manger tous les dimanches chez Suzanne. Oh, j’avais oublié de vous dire, les repas du samedi soir ne permettant pas au plus jeune de profiter du cinéma ou de différentes sorties entre amis, le repas fut déplacé au dimanche midi enfin au dimanche une heure puis transformer en brunch. Je disais donc, le samedi, sorties, le dimanche, gavage chez Suzanne, le mercredi, repas filles, le reste de la semaine, nettoyages, peintures et aménagement. Je n’avais pas le temps de m’ennuyer et pourtant je m’ennuyais. Je m’ennuyais de mon fantôme qui portait beaucoup trop bien son surnom depuis quelques semaines.
Septembre passa, octobre pointant le bout de son nez Ada devint comme folle. Son amour des touristes ne se démentait pas et les repas du mercredi s’enrichirent de longues tirades sur la bêtise et les âneries de ses clients adorés, le tout saupoudré par les arnaques du boss de Théa. J’avais mal au ventre à force de rires. Le repas finissait toujours par la promesse de ne rien dire de ce qu’elles m’avaient confié, promesse que je renouvelais sans soucis, tellement j’aimais les entendre raconter leurs petites et grosses arnaques.
Octobre était aussi une période folle pour Suzanne et pour la moitié de la ville, la fête du saint patron de la ville ou du premier colon, selon les sources consultées, avait lieu le deuxième samedi du mois et monopolisait toute âme charitable à la ronde. Je fus engagée sans avoir pu dire non, ni bien compris comment d’ailleurs, pour tenir un stand de tartes fabriquées par toutes les femmes du coin. Juste pour la matinée m’avait promis Suzanne.
Je me retrouvais donc affublée du magnifique tablier à fleur de ladite Suzanne. C’est pas sérieux de vendre des tartes sans tablier avait-elle répliqué à ma protestation, placée derrière trois énormes tables croulantes sous des tartes à tout, des myrtilles à la viande en passant par les pommes ou le poulet. Je n’allais jamais savoir laquelle était à quoi. Je me voyais déjà vendre du poulet à la place des fraises et me faire hurler dessus par un touriste mécontent, mais je ne vis pas un seul touriste. Les tartes partirent comme des petits pains, achetées presque entières qui par le frère de la cuisinière qui par le mari. Je compris au fil de la matinée que les hommes du coin venaient acheter les tartes de leur cuisinière pour éviter que celles-ci, les tartes pas les cuisinières, ne restent invendues au soir et provoque le désespoir de celle-ci. Une jolie preuve d’amour vite démentie par un jeune homme qui me dit que si elle n’est pas vendue ce soir, ce serait à lui de la manger. Il me fit un clin d’œil et disparut avec la tarte. Voilà pourquoi avant même la fin de la matinée, j’avais tout vendu.
Suzanne apparue sur le coup dès onze heures m’expliqua que c’était parti plus vite que les autres années. Normal, je ne connaissais pas assez les gens d’ici pour savoir qui avait fait quelle tarte. Je la regardais consterner et elle se mit à rire.
– Ne t’en fais pas, c’est tous les ans pareil, me consola la voix d’Ada, Suzanne a juste profité que tu sois moins connue pour se débarrasser au plus vite de tout ça. De plus l’argent va servir pour rénover le parc alors c’est pour la bonne cause.
Mouais, je retirais le tablier à fleur en ignorant le : ho, non il te va si bien, de ma future ex-amie et le tendis à Suzanne.
– Allez les jeunes, filez profiter de la journée, il y a plein à faire.
Finalement, je me consolais en m’octroyant le titre de vendeuse la plus rapide de la ville. Titre validé par Théa quand je lui expliquais. Elle tenait un stand rempli de comment dire, de trucs étranges, sur tout était indiqué artisans de la région et pour être honnête, je ne suis pas fan des animaux empaillés, ni des fourrures où l’on voit la tête de l’animal. Si je comprenais bien l’avantage de la fourrure dans le coin où les hivers étaient froids, je n’étais pas pour. Mon côté citadin restait bloqué sur l’idée que pour avoir de quoi faire tout cela, il avait fallu tuer un animal et je n’arrivais même pas à tuer les araignées alors, c’était incompréhensible pour moi et voilà. Mes deux amies levèrent dans un bel ensemble, les yeux au ciel. Je leur tirais la langue, fis promettre à Théa de nous rejoindre plus tard et filais au stand suivant.
Remplie à ras bord de hot-dogs, de gaufres et d’un tas d’autres nourritures grasses et sucrées, trois nanas tentaient de digérer, affalées sur un banc. Même Ada avait déclaré forfait, c’est dire. Armées d’une tisane digestive, avait dit la vendeuse du stand, nous tentions de faire discret les burps que nos estomacs produisaient. Sexy les nanas. La soirée était déjà bien entamée et s’il n’y avait eu un feu d’artifice prévu dans un peu moins de trente minutes, je serais déjà rentrée chez moi, mourir dans mon canapé. Franchement, j’hésitais à me rouler jusqu’à ma voiture, mais je n’avais pas assez de courage pour bouger.
Après le feu d’artifice, Ada nous abandonna pour aller s’offrir un dernier verre et Théa baillait encore plus que moi, lorsque je donnais le signal du départ.
– Bon, c’est pas tout ça, mais faut rentrer.
Deux bises plus tard, je filais en direction de ma voiture, la longue agonie digestive avait au moins permis de dégager le parking, il ne restait que quelques voitures parsemées. En dépassant un quatre-quatre noir, je vis David qui ne marchait plus très droit. Il se dirigeait vers moi en me saluant de grand geste. Je le saluais en retour et continuais d’avancer vers ma voiture. Il me rattrapa, me saisit pas le bras et m’attira à lui et sans que je puisse rien faire m’embrassa. Son halène puait l’alcool. Je le repoussais de toutes mes forces, en tournant la tête de droite à gauche pour éviter sa bouche. Il me tenait fermement. Il ne me lâchait pas. Il marmonnait des : laisse-toi faire qui me glaçait le dos. Mince, il était bien plus fort que moi, complètement saoul aussi. Crier ? Vu le bruit de la musique, cela ne servirait à rien. Je tentais de le raisonner, peine perdue. Il était passé de laisse-toi faire à t’es une salope. J’avais envie de vomir. Je ne voyais pas comment me tirer de là.
Ma voiture n’était qu’à dix mètres si j’arrivais à me dégager, peut-être. Ses baisers se firent insistants. Sa bouche ne décollait pas la mienne. Sa main droite se glissa sous ma veste. Je tentais de lever mon genou, mais il était tellement collé à moi que j’arrivais à peine à bouger. Je sentais la nausée arriver. Je paniquais. Il était clair qu’il n’allait pas s’arrêter là. J’avais peur. Je pleurais. Je pouvais à peine respirer.
Je luttais pour rester debout, ne pas tomber pour ne pas me retrouver piégée sous lui. Je suppliais. Lui était parti dans un discours fait de tu vas aimer suis un bon coup et de tu fais envie et tu dis non alors il ne faut pas t’étonner. Merde. Le temps s’étirait. J’avais l’impression que ça ne servirait à rien de continuer à me débattre qu’il aurait de toute façon le dessus. Je ne voyais pas comment me tirer de là. Je le suppliais. Je me raccrochais à l’espoir que quelqu’un, n’importe qui passe par là. Il continuait à écraser ma bouche. Sa main avait fini par se glisser sous mon pull empoignant mon sein et le malmenant. Il pesait de tout son poids contre moi. Il me maintenait avec force contre lui. Il continuait son monologue.
Sous son poids, je basculais en arrière. Il me tomba dessus m’écrasant encore un peu plus contre lui. Je sentis sa main quitter mon dos pour s’accrocher à mon pantalon et tenter de l’ouvrir alors que son autre main ouvrait déjà le sien. Je hurlais de panique. Je hurlais, je me tortillais pour me sortir de dessous lui. Je le suppliais encore de me laisser. Il riait en m’assurant que j’allais aimer. Sa main avait ouvert mon pantalon et tentait de se glisser entre mes jambes. Il reprit ma bouche pour me faire taire. Il serra son corps contre le mien et je sentais parfaitement bien l’envie qu’il avait. Je pleurais de plus en plus fort. Je gémissais de peur. Il se moqua de moi et il disparut.
Il disparut ? Je me recroquevillais en pleurant, de soulagement et de peur. Je n’arrivais pas à calmer mes larmes. Je tremblais. J’avais envie de vomir. Deux bras me saisir doucement. Je paniquais lorsque je me retrouvais plaquée contre un torse dur. Je voulais hurler. Je me débattais. Une voix douce se fit entendre, juste un murmure.
– Je suis là, mon ange.
Je me figeais hébétée à ce mot et ce fut le trou noir.
Je me réveillais en fin d’après-midi dans mon lit. J’avais mal partout. Les souvenirs de la nuit remontaient et les larmes coulaient à chaque fois. Je pris une longue douche m’arrachant presque la peau pour enlever l’impression des doigts de David qui y restaient accrochés. Je tremblais toujours de peur. Je restais en robe de chambre incapable de me motiver à autre chose qu’à pleurer.
Dire que je commençais à me sentir chez moi, en sécurité auprès des habitants, que je m’étais faite des amis et… et… Les sanglots firent cesser toutes réflexions. Je n’étais que douleur et pleurs. Je me traînais jusqu’au canapé et allumais la télévision, j’avais besoin de bruit pour me sentir rassurée.
Mon téléphone sonna. Je ne regardais même pas qui appelait. Je ne voulais voir personne.
Vingt minutes plus tard, Ada défonçait la porte de la cuisine. Je ne bougeais même pas. Elle était avec Suzanne et Théa. Elles me regardèrent. Elles ne posèrent aucune question. Mes amies me prirent dans leurs bras. Suzanne se mit à préparer du café. Je pleurais. Puis Théa, tout doucement, en me caressant les cheveux posa la question qui devait les rendre folles.
– Est-ce que ce connard t’a, enfin, est-ce que ?
Je secouais la tête vivement. J’entendis trois soupirs. J’eus presque envie de rire.
– Non, il a voulu, mais enfin, mais on est venu à mon aide. Quelqu’un l’a, enfin je sais pas trop. Mais, d’un coup, il n’était plus là.
En fait, même si je savais qui ce quelqu’un était, je n’avais pas tout compris. Je ne mentais pas. Un moment, il était là, l’instant d’après il ne l’était plus. Je regardais Théa.
– Mais com…
Ada me coupa.
– On a retrouvé David ce matin, il était salement amoché. Il a fallu du temps pour qu’il explique ce qui s’était passé. Il a fini par expliquer sa soirée quand Francis a menacé de remuer toute la ville pour trouver le coupable et lui casser la gueule. Je pense qu’il a préféré donner sa version quand il a su qu’on avait retrouvé ta voiture sur le parking et qu’on pourrait relier son passage à tabac avec toi. Il a tenté de te faire passer pour une allumeuse qui avait changé d’avis et qui était partie avec un autre type après que le type en question s’en soit pris à lui parce qu’il n’avait pas voulu le laisser t’emmener. C’était du moins sa version avant que Judicaël n’arrive et ne l’oblige à donner la bonne. Il ne lui a pas laissé le temps de se trouver des excuses ni d’inventer autre chose, il a fini par le menacer pour avoir la vérité et je t’assure qu’il l’a encore moins bien pris que nous.
On aurait dit qu’elle vomissait, rien que d’y penser. Suzanne était assise raide au bord de sa chaise et Théa me serrait fort contre elle.
– Il a eu de la chance, continua-t-elle. Si moi ou Francis l’avions surpris, ce n’est pas qu’amoché qu’il aurait été. Oh mon Dieu Sophie, jamais je n’aurais dû te laisser rentrer seule. Je m’en veux tellement.
– On s’en veut, on aurait dû rester avec toi.
– Vous ne pouviez pas savoir, soufflé-je.
Je me serrais encore plus contre Théa et Ada. Suzanne renifla, pas de peur ni d’émotions, elle reniflait de fureur. Tout en elle était raide, furieux. Elles restèrent jusqu’au soir, s’assurant que j’allais mieux, me forçant à manger au moins un peu, me proposant de rester pour la nuit pour que je me sente en sécurité. Je finis par les mettre dehors en leur promettant de me coucher et de fermer tout à clefs, à double tour, même à triple et de coincer une chaise sous ma porte. Je promettais de prendre toutes les protections possibles et imaginables.
J’avais besoin de rester un peu seule, non, pas seule. J’avais besoin de voir et de remercier mon fantôme. Une fois mes amies parties, je fermais la porte à clef, éteignis toutes les lumières, me posais sur le canapé et attendis. Je finis par m’endormir. Une main posée sur ma joue me réveilla. Je sursautais, ouvris les yeux d’un coup et ne vit rien. Le noir était complet. Je paniquais et hurlais.
– Doucement mon ange, ce n’est que moi.
Soulagée et sans réfléchir, je me penchais en avant pour l’enlacer simplement pour le remercier, enfin j’enlaçais ses jambes, ma tête à hauteur de…, mince, il s’était redressé. Et re-mince ma position, n’était pas, enfin, j’étais tout contre, bref, je sentais, oh merde. Il s’était redressé de partout et j’appuyais ma joue sur, voilà, voilà. Je virais au rouge carmin, les joues en feu, brûlantes contre son… Je bafouillais. Je le lâchais et m’écrasais par terre.
Il ne dit rien pendant que je réunissais le peu de dignité qu’il me restait. Il me tendit la main pour m’aider à me relever, me tira avec douceur entre ses bras. Il m’embrassa sous l’oreille et me murmura :
– Ça va aller ?
J’opinais de la tête et je soufflais ces mercis que j’avais à cœur de lui dire.
– Sans toi, je…
Je ne finis pas ma phrase, un doigt posé sur mes lèvres, m’en empêcha. La main posée dans mon dos me resserra contre lui et sa voix rauque me répondit.
– Si j’étais arrivé juste quelques minutes plus tard, jamais je ne me le serai pardonné.
– Tu es arrivé à temps. Rien de grave ne s’est passé.
– Rien de grave ?
Il releva la tête si vite que je partis en arrière, son bras dans mon dos me reteint alors que je l’entendais grogner d’une voix encore plus grave.
– Ce salaud a osé te toucher et tu dis que ce n’est pas grave ?
Sa vois vibrait de rage, tout son être semblait animé d’une fureur. L’entendre ainsi me coupait littéralement le souffle. Tout en lui, dégageait une puissance écrasante et bien que la fureur que je sentais ne m’étant pas destinée. Je me sentais toute petite devant lui. Je touchais son bras du bout des doigts, remontant vers sa joue. Je voulais juste le calmer. Le pire avait été évité et même si je ne me sentais pas bien, le pire avait été évité. Je le lui redis
– Tu es arrivé à temps. Le pire n’est pas arrivé grâce à toi. Si j’ai bien compris, tu m’as en plus vengée. C’était vraiment une chance que tu sois là, sans toi, j’aurais passé un mauvais moment
voir bien pire.
Je frissonnais à l’idée de ce qui aurait pu se passer, mais j’étais en un morceau, chez moi et je voulais juste remercier l’homme qui m’avait tiré de là. Je ne voulais penser qu’à ça. J’étais en sécurité chez moi. Il me serra contre lui, son visage enfoui dans mon coup. Je le sentais trembler d’une rage contenue contre moi. Je n’en menais pas large non plus et la bosse qui s’imprimait dans mon bas ventre focalisait mon attention.
Bien sûr, idiote, tu as failli te faire violer et la seule chose d’intelligent que tu trouves à faire, c’est te coller à un autre homme. Bien ma fille, tu es d’une logique parfaite sur le coup là. Reviens sur terre et décolle-toi de lui !
Je reculais un peu alors que ma main restait posée sur son torse et glissait en direction de… Je la stoppais ne sachant plus trop comment réagir. Il se dégagea d’un coup. Il m’embrassa sur la tempe et m’envoya dormir, car il était tard et que j’avais besoin de repos.
Mais non. Je suis pas d’accord là, c’est quoi ce délire ? Mais non alors ! Je le suivis à la cuisine pour lui dire que non, je n’allais pas dormir, enfin pas de suite. Je lui rentrais dedans. Il avait stoppé net. Me massant le crâne, je pestais contre lui. Il se pencha vers moi et murmura à mon oreille.
– Ça suffit mademoiselle Baumgartner, il est temps pour vous d’aller vous coucher.
Puis, il me fit pivoter et me poussa vers l’escalier. Le, vous, m’avait glacé, j’avançais, encore une fois perdue. D’accord, j’avais eu peur et d’accord, il me faudrait un peu de temps. Je reconnais que j’avais surtout besoin de douceur et grand seigneur, il n’en profitait pas et il me repoussait, mais ça ne me convenait pas. Fichu corps qui perdait le nord, fichu cerveau qui analysait trop, fichu fantôme trop correct. Là, je les haïssais tous.
Cette histoire provoqua petit à petit, un changement, mon fantôme se socialisa. Il passait depuis peu, ses soirées avec moi. Le nez dans un bouquin, un de ces vieux livres reliés de cuir écrit dans une langue que je ne connaissais pas, en râlant contre les séries débiles que je regardais. Il en avait surtout après Buffy que j’avais plutôt été contente de dénicher lors d’un vide-grenier. Lui n’aimait pas et le faisait savoir, moi, j’aimais et je faisais semblant de ne pas l’entendre. Il était assis sur un fauteuil de cuir qu’il avait sorti de je ne sais où alors que moi, je m’étendais sur tout le canapé, enroulée dans une couverture. Il s’occupait de remettre du bois dans la cheminée et je somnolais.
Il ne mangeait pas avec moi, apparaissant une fois que je m’étais installée devant la télévision. Il se faisait chauffer un bol de je ne sais quoi et me rejoignait au salon. Nous parlions peu. Sa présence était, je voulais m’en convaincre, suffisante, mais surtout j’avais besoin de me sentir en sécurité et l’avoir avec moi le soir, m’y aidait.
La journée Ada et Théa se relayait pour ne jamais me laisser seule. J’avais durement gagné le droit de passer mes soirées et nuits seule. Suzanne me couvait du regard et se montrait agressive dès qu’un homme de sa famille ou pas, me parlait trop longtemps selon elle. Toute la ville savait ce qui était arrivé, toute la ville se sentait coupable. Je n’allais plus trop en ville.
Chapitre 8
Le temps semblait s’étirer sans fin et je m’occupais du mieux que je pouvais. Je me retrouvais démuni quand les chambres furent finies. Lits, rideaux et tapis installés, il ne me restait presque plus rien à faire. Tout se mettait en place et si la façade devait encore être refaite, la neige et le froid extérieur m’en empêcheraient encore quelques mois. Il ne restait plus que la cave que son occupant m’interdisait.
Donc je traînais ma désolation de pièces en pièces, donc je virais invivable d’ennui, même s’il me restait les mercredis et les dimanches midi pour me changer les idées.
Fin novembre même mes mercredis me furent arrachés. Trop de boulot pour l’une, touristes à materner pour l’autre, et hop, plus personne ne venait manger. Les dimanches restaient une bouffée d’air même si de moins en moins de personne y était, eux aussi avaient trop de travail. Je devais m’occuper et vite.
C’est ainsi que je me retrouvais à proposer à Suzanne de la décharger du repas du dimanche. Allez hop, tout le monde chez moi. L’avantage de cette situation était que je pouvais inviter Théa. Je prévins mon colocataire qui ne râla même pas à l’idée d’être envahi. La journée, c’était chez moi et puis je le lâchais un peu avec la cave. Nous y trouvions tous les deux notre compte.
Décembre pointa le bout de son nez, couvert de neige et bien froid et j’ai toujours aimé cette période pour les décorations de Noël, les lumières, les pères-Noël et le sapin. Je craquais littéralement pour une pluie d’étoiles à accrocher sous le toit ce qui fut la cause d’une première vraie dispute entre Livius et moi.
Je voulais fêter Noël, lui pas. Je voulais décorer, lui pas. Je voulais un sapin, lui pas. Je fulminais devant tant de non et fini par le menacer de tout faire en douce durant la journée. Il me répondit qu’il déferait toute la nuit. Je pestais, il restait calme. Je tapais du pied, il levait à peine les sourcils. Trois jours de tempête et rien n’avançait, le refus était toujours aussi net et mon envie toujours aussi forte. Je ne savais plus comment me faire entendre de cette tête de mule.
Ma maison était la seule à ne pas briller de décorations alors dépitées, je filais admirer celle de la ville. Une soirée à regarder les lumières des autres, à faire sauter de joie la petite fille en moi. Je traînais depuis des heures, pas pressée de rentrer quand je croisais Théa.
Nous nous sommes baladé, admirant les décorations, riant comme deux petites filles. Théa n’était pas plus croyante que moi, Noël était pour elle, un moment de joie dans l’hiver rien de plus. Pour moi, c’était surtout lié à mes souvenirs d’enfance. Mes parents sont très croyants.
La soirée s’avançant Théa me proposa de rester avec elle. Elle logeait en hiver à l’hôtel. La route menant à sa maison n’avait de route que le nom, gelée tout l’hiver, le chemin n’était pas sûr et son patron fatigué de la voir arriver en retard la moitié de l’année, avait trouvé comme solution de lui louer une chambre. Elle pestait un peu de ne vivre que six mois dans sa maison, mais était ravie de n’avoir plus la route à faire et elle se sentait comme chez elle chez Mona.
La soirée fut courte. Elle avait voulu me prêter un T-shirt qui resta coincé sur ma tête. Vous ai-je dit qu’elle est petite et toute fine ? La soirée pyjama fut faite sans pyjama ! Rien n’aurait pu m’aller et c’est enroulée dans une couverture que je m’installais dans le lit tout en continuant à papoter avec Théa.
Le lendemain matin, quand son réveil sonna, elle était en grande forme, moi en forme de zombie. Le manque de sommeil et moi ne sommes pas copain. Je me traînais jusqu’au café, jus de chaussette de l’hôtel puis, après un au revoir gai comme tout de sa part, à moitié baillé de la mienne, je filais chez moi prendre un vrai café ou deux.
Quand j’arrivais, rêvant de mon café, la lumière à la cuisine était allumée comme à chacune de mes absences. À peine avais-je éteint le moteur que Livius ouvrait ma portière. Il était furieux. Il me saisit par le bras, me tira dehors de ma voiture, grommelant je ne sais quoi. Il me poussa vers la cuisine, là je pouvais comprendre quelques mots : inconsciente, stupide et autre qualificatifs pas très sympathiques. Je fus auscultée, non mais vraiment, sous toutes les faces, retournée, palpée de partout. Non mais ça va pas ou quoi ? Je chassais les mains, poussais leur propriétaire et me plantais en face de lui.
– C’est quoi ton problème ? grondais-je.
– Tu as disparu toute la nuit, je ne t’ai pas retrouvée et…
– Et tu t’es dit que je m’étais de nouveau mise dans une sale position, soupirais-je en me passant la main sur le visage.
– Oui, soupira-t-il en écho
– J’étais avec Théa, j’ai dormi chez elle, enfin à l’hôtel. Il était tard et je ne voulais pas faire la route.
– Tu aurais pu prévenir !
Ben oui, voyons et comment ? Pas de téléphone dans la maison, je n’avais pas son numéro, s’il en avait un et je n’allais pas faire la route pour lui dire, au fait, je repars pour dormir en ville pour ne pas faire le trajet, mais bien sûr ! Je levais les yeux au ciel. J’allais répondre un oui papa, mais me mordis les lèvres.
– Reprenons. Je suis sortie hier après-midi pour aller en ville, j’avais envie de voir les lumières de Noël dans les jardins, j’ai traîné un peu, Théa m’a rejointe et voilà, rien de grave
– Tes satanées décorations !
Il vomit le dernier mot.
– C’est bon, j’ai bien compris que tu n’en voulais pas.
Je me dirigeais d’un pas lourd vers la machine à café si nous recommencions à nous prendre la tête j’en avais encore plus besoin. Comme aucune réponse ne me parvenait, je me retournais. Il me fixait, une sale habitude à mon avis.
– Ben quoi ?
– Mets tes fichues décorations si tu y tiens !
Il lâcha ces mots du bout des lèvres, fit demi-tour et disparut. Il me fallait vraiment un café. Café bu, suivit d’un autre puis le troisième en main, je sais, je suis accro, je me traînais jusqu’au salon où se trouvait l’emmerdeur de service.
– Ça veut dire quoi exactement ?
– Mets tes décorations puisque tu y tiens tellement, c’est assez clair, non ? Mais, je ne veux pas voir de crèche, rien de religieux !
– Ce n’est pas le côté religieux de Noël que j’aime, mes parents sont croyants, moi pas. C’est le côté lumière au cœur de l’hiver, c’est le côté réunion entre famille et amis que j’aime et les cadeaux, aussi, faut pas les oublier.
Un doigt en l’air pour souligner ce fait important, je souriais à moitié moqueuse.
– Ah, oui les cadeaux, pas très religieux ça.
– Mais important !
Il éclata de rire.
– Dois-je comprendre quelque chose ?
Il haussa un sourcil.
– Même pas, j’aime les faire, c’est un vrai plaisir pour moi. Par contre, les recevoir c’est plus compliqué.
Froncement de sourcil, je m’expliquais.
– Je n’ai jamais reçu de cadeaux qui me plaisent réellement, des utiles, des qui aurait pu me plaire mais… Je n’ai pas, enfin, ce n’est pas que je sois pénible non, mais c’est comme si…
– Ta famille ne savait pas qui tu es, finit-il à ma place.
– Je suis le mouton noir.
Je grimaçais en le disant, parce que oui, j’étais le truc bizarre dans une famille bien sous tout rapport, une famille croyante et pratiquante, pas moi et pourtant j’avais essayé de me couler dans le moule, rien à faire, je débordais du cadre. Il a dû voir quelque chose dans mes yeux, car j’étais dans ses bras et il me caressait le dos.
– Tu es parfaite comme tu es, mon ange, me souffla-t-il au creux de l’oreille.
Je soupirais en le repoussant.
– Ouais, on dira ça. Bon, je vais mettre les décorations avant que tu ne changes d’avis. Je te dis bonne nuit.
Je filais à l’étage où les achats décoratifs avaient échoué au cours des derniers jours. Mettant court à cette discussion qui me replongeait dans de mauvais souvenirs. J’étais en train de choisir par où commencer quand du pas de la porte, il intervint.
– Ne va pas te rompre le cou pour placer les lumières. Je m’en occuperai ce soir.
– Oh, hé, je ne suis pas aussi maladroite, protestais-je.
– D’accord alors ne va pas te casser une jambe…
Je me tournais, le fixais méchamment.
– Mais ça suffit, entre toi, Ada, Théa, Suzanne et Francis, on dirait que je suis en verre et que vous avez tous peur que je finisse par me casser. Je suis une grande fille, c’est clair ?
Aucune réponse autre qu’un demi-sourire moqueur et un ricanement, il ne me prenait pas au sérieux. Sans répondre, je pris un premier sac pour le descendre à la cuisine, lui passa devant en levant haut le menton, risquant de quelques millimètres de me casser la figure dans les escaliers, fis semblant de rien et restais digne jusque dans la cuisine où je rageais de l’entendre rire.
Je passais le reste de la journée à installer mes décorations. Un traîneau lumineux avec deux rennes magnifiques dont l’un avec un nez rouge, plein de petits animaux et une étoile. Je fis sauter trois fois les plombs. Je finis par crier Francis au secours dans mon téléphone et l’entendit me répondre qu’il passait à midi, ce qui m’amena à calmer le jeu et à lui préparer un bon repas de remerciement.
Francis resta un peu plus longtemps que prévu, lui aussi, insistait pour que je ne me tue pas en mettant les décorations le long du toit, mais franchement, je n’étais pas si maladroite que ça, je l’envoyais promener en grognant que j’avais déjà un grand frère qui lui me fichait la paix.
– Il est de l’autre côté de la planète, il peut, me railla Francis. Suzanne va me tuer s’il t’arrive quelque chose. Se plaignait-il
– Pfff, oust, vilain !
Je le poussais à sa voiture.
– T’as pas du boulot autre que de me materner ?
– Si, mais moins risqué !
Je le frappais sur l’épaule, en fronçant les sourcils.
– File, méchant ! dis-je en souriant. Je te rappelle que j’ai retapé la maison sans me tuer.
– Oui et on ne sait toujours pas comment tu as fait !
Bon, c’est vrai, pas toute seule, mais j’avais bien bossé, faut pas l’oublier. Il finit par partir en se moquant de moi et en me promettant la pire des vengeances si je me blessais, je restais debout à lui faire des au revoir de la main jusqu’à ce que congelée, je rentre me réchauffer.
En fin d’après-midi la maison avait pris des airs de fêtes, ne manquait qu’un sapin pour parfaire le décor et bien sûr, les lumières sous le toit. J’attaquais le pain d’épice, tradition familiale, dans le vain espoir de réussir à en faire une maison. L’odeur était suffisante pour que je me sente retomber en enfance.
Je réalisais d’un coup que pour la première fois j’allais passer les fêtes seule. Le cafard me submergea. Les larmes se mirent à couler le long de mes joues sans que je puisse les arrêter. Je pleurais toujours en découpant le pain d’épice. Je pleurais encore en construisant la maison. Je pleurais sans cesse quand Livius entra dans la cuisine. La maison était montée, remplie de cure-dent pour tenir, j’avais mangé toutes les chutes, je frôlais l’indigestion et je pleurais sans bruit.
Deux bras me soulevèrent et je me retrouvais serrée contre lui. Ses lèvres contre mon front, il ne disait rien. Il me serrait. Mes larmes coulaient toujours doucement et je murmurais.
– Je ne veux pas passer Noël seule.
– Penses-tu que Suzanne ou Ada le permettront ? Tu vas te retrouver entourée de plus de gens qu’il m’est possible de supporter.
Je sentis ses lèvres s’incurver dans un sourire.
– C’est pas pareil, ce n’est pas ma famille.
– C’est mieux, eux t’ont choisi.
Là, il marquait un point, plusieurs même. Je restais songeuse, être entourée de ma famille dans laquelle je m’étais toujours sentie étrangère ou être entouré d’étrangers avec qui je me sentais en famille. Finalement, je serais mieux ici, non ? L’idée de passer les fêtes loin de ma famille me faisait mal, mais les passer entourée d’amis, de vrais amis, me mettait du baume au cœur.
Je soupirais, coinçais ma tête contre l’épaule de Livius et laissais mes larmes se calmer. Il ne disait toujours rien. Un long moment plus tard, mes pieds touchèrent le sol et mon fantôme, levant les yeux au ciel me dit :
– On va les mettre ces fichues lumières ?
Sa tête déconfite, sa moue boudeuse et ses yeux désespérés me firent rire. J’en avais mal au ventre alors qu’il se dirigeait, droit comme un I en direction de la porte.
– Tu as deux minutes pour me les apporter.
Je filais au salon, attrapais le sac et le lui tendis en moins de vingt secondes. Un énorme sourire aux lèvres, fière de moi. Il prit le sac, grogna et sortit. Je chopais ma veste et le suivit. Il me repoussa dans la cuisine d’un air grognon, m’enfila mon bonnet qu’il descendit jusqu’à mes yeux puis pris une écharpe qu’il noua au niveau de mon nez. Il recula d’un pas, admirant son travail. Je voyais à peine et ne pouvais presque plus respirer, mais il avait l’air satisfait. Merci papa ! C’est dingue ce besoin de me materner qu’ils avaient tous, je n’arrivais pas à m’y faire.
Il nous fallut presque deux heures pour les mettre mes fichues lumières. Tout d’abord, parce que nous ne trouvions plus l’échelle, puis parce que nous n’étions pas d’accord de comment la mettre, enfin parce que je n’avais pas pensé à où la brancher. Il fallut tout démonter pour que la prise soit au bon endroit.
Seule possibilité pour la brancher, la prise de mon réveil, dans ma chambre. Je filais donc ouvrir ma fenêtre pour attraper le bout de câble qui pendouillait devant et le tirais pour le brancher. Je tirais si bien que le pied de Livius parti avec le câble qui s’y était enroulé, un gros merde, suivit d’un boum, me fit paniquer. Merde, merde, merde, je l’avais blessé, sûrement gravement, non tué, j’en étais sûr, c’était une sacrée chute. Je descendis l’escalier quatre à quatre, Oh mon Dieu, je l’avais tué.
Je retrouvais mon fantôme de chair et de sang, assis par terre à côté de l’échelle, le regard noir. Il était vivant. Ouf ! Mais sûrement blessé. Je courrais vers lui et me mit à le tâter de partout en demandant :
– Où as-tu mal, je suis… désolée, enfin, merde, je… Comment… je suis… oh lala…
J’étais parfaitement clair dans mes paroles et pas du tout complètement affolée. Pas du tout ! Il me posa la main sur la bouche, secoua la tête et se releva.
– Des bleus et des bosses ce n’est rien. Ta tentative d’assassinat n’a pas marché, je suis plus solide que ça. Par contre, ces horribles choses ne bougeront plus jamais de là, ne compte pas sur moi pour les enlever ou les remettre et je t’interdis de le faire toi-même. Suis-je bien clair ?
J’opinais de la tête vivement. Soulagée qu’il n’ait rien de grave, j’étais prête à lui promettre la lune pour me faire pardonner.
– Tu vas les allumer ou rester là à me regarder ?
Je filais dans ma chambre, tirais tout doucement sur le câble, ce qui me valut un commentaire moqueur.
– Vas-y tire, je suis déjà par terre.
Je branchais la prise, courus dehors pour voir et restais là, à admirer les étoiles qui tombaient en cascade le long de mon toit.
– Elles se reflètent dans tes yeux dit le cascadeur, en m’entourant de ses bras. Tu avais raison, le jardin est magique avec toutes ces lumières.
Je me laissais aller contre lui en souriant. Oui, il avait raison. C’était magique. Nous sommes restés là un long moment puis alors que je commençais à me transformer en petit glaçon, il se détacha de moi et me poussa vers la maison. J’étais transie de froid alors que lui, juste avec son pull ne semblait pas frigorifié. Ada était pareil, Théa était comme moi par contre, heureusement, qu’au moins une de mes connaissances ne supportait pas le froid.
Je me fis un chocolat chaud, éteignis toutes les lumières de la maison et debout derrière la fenêtre, je regardais mon jardin illuminé. Livius m’avait enroulée dans une couverture et me frottait les bras. Je me sentais bien, prête à attaquer les fêtes sereinement.
Ce ne fut pas si serein que ça, finalement. Ada rentra blessée de sa dernière randonnée, et donc d’une humeur frisant la perfection. J’en entendis de toutes les couleurs sur la bêtise crasse des touristes-citadins-abrutis qu’elle avait dus accompagner. Théa n’avait pas un moment de libre, trop occupée à arnaquer les susnommés touristes, quant à Francis, il avait disparu, occupé pour dix jours m’avait annoncé Suzanne, il serait de retour pour les fêtes.
Le compte à rebours avait commencé. Je me rendis compte que contrairement à ce que je m’étais imaginé, la plupart de mes amis voyaient les fêtes comme Théa, un bon moment à passer en famille.
J’avais profité des vacances forcées et de l’humeur radieuse de ma meilleure amie pour faire les deux heures de route qui séparait notre petite ville de la prochaine. Journée achat cadeaux, lui avais-je annoncé, ce qui me valut un fait chier, encourageant. Son enthousiasme fut tel, qu’en fin de matinée nous avions à peine fait cinq magasins. A ce rythme-là, il me faudrait la semaine pour tout faire et bien plus de patience que je n’en avais pour la supporter.
Elle me laissa tomber comme une vieille chaussette quand elle reconnut dans la foule un de ses voisins. Elle le supplia de la ramener, elle semblait prête à se mettre à genoux. Non, je ne fus même pas vexée, si, un peu, mais juste un peu, j’étais trop contente de pouvoir finir mes achats sans le doberman qui se traînait en râlant derrière moi.
Deux heures plus tard j’avais fini. La citadine en moi s’était réveillée et le bain de foule dans les magasins m’avait fait du bien. Je rentrais le coffre plein de cadeaux et l’humeur chantante. À vrai dire, je massacrais tous les chants de Noël qui passaient à la radio, c’était chouette.
Arrivée à la maison, j’eus la surprise d’y trouver un sapin dans le salon et un Livius y accrochant des pommes en guise de boules. Je lui sautais au cou, lui claquant un énorme baiser sur la joue. Le plantant là, je filais faire du pop-corn à la cuisine pour en faire des guirlandes. Me retournant je le vis planté sans avoir bougé, l’air ébahi. Je lui fis mon plus énorme sourire et lui dit :
– Suis trop contente, il est superbe !
– Merci, j’espérais bien qu’il te fasse plaisir, sinon il ne serait jamais arrivé là. Tu fais quoi ?
– Du pop-corn pour les guirlandes, bien sûr !
– Bien sûr…
Je passais la soirée à confectionner des kilomètres de guirlande et à expliquer à Livius où et comment les mettre. Il fut parfait, ne râlant que quelques centaines de fois sur mon exaspérante idée puis sur ma tendance à exagérer, même pas vraie.
Je montais en excitation de jour en jour. Mon premier Noël, oui bon, le premier loin de ma famille, mais mon premier à moi, à ma manière. Plus on s’en approchait plus je virais infernal, mais adorable, oui, même si seule Théa le trouvait. Les autres me supportaient de moins en moins. Ils allaient s’en remettre.
Chapitre 9
Deux jours avant la date fatidique la cuisinière de Suzanne tomba en panne. Je la vis débarquer en sueur, les bras charger d’un truc qui devait être la plus grosse dinde jamais vue. Elle me passa devant comme une folle en direction de ma vieille cuisinière et mis sa dinde dedans avant de dire.
– Ouf, chez toi elle passe.
Ha bon, bonne ou mauvaise nouvelle ? Du point de vue de Suzanne la nouvelle avait l’air parfaite, moi, je ne voyais pas encore les conséquences.
– Je vais prévenir tout le monde, nous passerons Noël ici. On ne va pas tout transporter deux fois.
Elle sortit la dinde du four, la fourra dans mon frigo en virant presque tout son contenu pour y arriver, m’embrassa sur les deux joues et sorti en téléphonant à je ne sais qui pour annoncer que le repas de Noël se ferait chez moi.
Heu… oui, mais non, là ça allait poser problème et me demander et mon fantôme alors ? Mon téléphone sonna, Ada me remerciait d’accepter de recevoir tout le monde parce que j’étais la seule à avoir un four assez grand. Bon la seule aussi à avoir assez de place, mais c’était semble-t-il secondaire, le four d’abord, les chaises après. Elle me raccrocha au nez avant que je ne lui réponde.
Le téléphone re-sonna et une Théa toute timide me demanda si, comme c’était chez moi, peut-être que, enfin si j’étais d’accord, elle pourrait venir, mais seulement si j’avais envie. Je lui répondis mais tu viens bien sûr et elle raccrocha. Puis j’eus Francis pour me dire qu’il amenait tout demain, puis Suzanne pour me dire de ne pas m’inquiéter elle s’occupait de tout. Je fixais bêtement mon téléphone, debout dans la cuisine, incapable d’intégrer les différents ouragans qui venaient de se déchaîner.
Mon colocataire me trouva ainsi. Surpris, il me demanda :
– Un problème ?
– Il semblerait que Suzanne ait décidé de faire son repas de Noël ici, je n’ai rien pu dire.
J’étais encore perdue, mes sourcils étaient froncés et je parlais en fixant mon téléphone.
– Il y a moyen de les mettre dehors ?
– Je pense pas, soufflais-je en lâchant enfin mon téléphone pour fixer mon fantôme.
– Ça devait arriver, commenta-t-il en haussant les épaules. Je me ferais discret pour la soirée.
– Mais non, grinçais-je, c’est pas à toi de…
Sa main se posa sur ma bouche pour me faire taire. Je détestais cette manie. Il me fit un clin d’œil puis dit :
– Je n’avais pas prévu de faire la fête, tu le sais bien, je passerai une soirée tranquille à lire et toi, tu vas être l’hôtesse la plus merveilleuse du monde.
Il m’embrassa le bout du nez et se prépara son bol me laissant là, digérant les événements. Je sursautais quand le téléphone sonna. Suzanne au bout du fil me demandait si j’avais un congélateur et un deuxième frigo, tout ne passerait pas dans le mien. J’eus à peine le temps de dire non qu’elle me raccrochait au nez pour me rappeler trois minutes plus tard et me dire que Francis me livrerait le tout demain avant de raccrocher. Je levais mes yeux pour voir le truc qui me servait de colocataire s’étrangler de rire le nez dans son bol, pffff.
– Elle est impossible, dis-je.
– Elle en a l’air, rigola-t-il.
Je regardais tout ce qu’elle avait viré du frigo pour y mettre le monstre, pardon la dinde. Je mis le tout dans un sac et le posais dehors, vu les températures, ça ne risquait rien.
– Mauvaise idée, fit Livius.
– Pourquoi ? Ça risque de geler c’est tout.
– Ça va attirer les animaux. Donne, on va leur trouver de la place !
On leur en a trouvé en jouant au Tétris. Le lendemain ma cuisine fut envahi, tôt le matin, par Francis qui me livrait un énorme frigo qui trouva une place dans la petite réserve, puis il arriva, je ne sais pas trop comment à y coincer le congélateur bahut. Mes boites de conserves virées de là, déménagèrent dans une des chambres à l’étage. Francis voulait les descendre à la cave, je l’en empêchais prétextant que l’escalier était mort et que je n’avais pas prévu de le réparer avant le printemps.
– Tu devrais faire venir quelqu’un pour le refaire, c’est dangereux les escaliers.
Et, les bêtes sauvages et les échelles et… et… et… tout était dangereux pour moi si je les écoutais. Moins de dix minutes plus tard, un type que je ne connaissais pas frappa à ma porte, déposa des caisses de légumes sur le palier, me salua et parti avant même que je puisse réagir. Suzanne surgit droit après, elle s’en empara et fila dans la cuisine.
Ouragan Suzanne sur place, accrochez-vous ! J’allais la rejoindre, reçus un tablier à petite fleur, pas le même qu’à la foire, mais elle en avait combien ? Et, je fus mise au travail. Lorsque le tas d’épluchure dépassa ma tête, Suzanne me permit d’arrêter. Elle n’avait pas cessé de parler de son mari, de son neveu, de la voisine, bref, le tour complet de la ville ou presque en cancans et petites histoires. J’avais mal aux mains. J’étais saoulée de paroles et épuisée par l’énergie qu’elle déployait. Les légumes furent coupés, émincés en moins de temps que j’avais mis à les éplucher. Elle m’expliquait sa recette au fur et à mesure et m’assurait que tout serait meilleur réchauffé sauf la purée et la dinde qu’elle préparerait demain.
Une fois ma cuisine dévastée, elle fila, plein à faire s’excusa-t-elle. Je rangeais mollement quand une voix derrière moi me fit sursauter.
– C’est un vrai chantier !
– Oui et c’est que le début, je ne sais même pas combien de personne vont débarquer demain.
– Tu ne le lui as pas demandé ?
Je me tournais vers lui, mon regard disait tout.
– D’accord, je n’ai rien dit. Un café ?
– Même dix ne suffiraient pas.
Il m’en prépara un, mis son bol à réchauffer et pendant que je buvais mon café en fixant le vide, il fit comme tous les soirs, bol avalé, lavé, rangé. Je soupirais, je me sentais si molle que de le voir bouger m’épuisait.
– Va prendre un bain se moqua-t-il. Je te réveillerai dans une heure.
– Même pas la force d’y aller.
Ma tête tomba sur la table pour bien signifier que là, je ne bougerai plus. Morte, j’étais. Il me souleva et me déposa dans la salle de bains. Il en sortit en claquant la porte.
– Dans une heure, je te réveille !
Je lui tirais la langue, il ne le vit pas. Une heure plus tard, il me réveillait en tambourinant contre la porte. Je coulais hors de la baignoire, m’enroulais dans ma robe de chambre et sortis en baillant. Il se marrait. Je le haïssais. Je fus soulevée et transportée devant ma chambre. Il n’y entra pas, mais m’ouvrit la porte.
– Bonne nuit, pauvre petit ange fatigué !
– b’nuit vous !
Je ne pris pas la peine d’enlever mon peignoir, je me glissais entre les draps et dormis. Suzanne débarqua à l’aube, oui bon d’accord, à huit heures, les bras chargés de nappes, couverts et services. Je comptais rapidement quarante assiettes, quarante ? Mon Dieu ! Quarante ! Ça ne passera jamais, on va se retrouver plus serré que des sardines dans mon salon. Il faudra un chausse-pied pour tous nous faire rentrer à moins qu’ils ne comptent asseoir la moitié sur les genoux de l’autre. Je commençais à regarder ma table, elle ne suffirait jamais et je n’avais pas la place pour en mettre d’autres, d’ailleurs comment je m’étais retrouvée là-dedans moi ? J’étais perdu dans mes pensées quand Ada surgit.
– Je mets où les tables.
– Regarde avec la petite comment elle veut faire. Il faudra pousser un peu le canapé, j’en ai peur.
Donc résumons. Quarante personnes allaient débarquer dans quelques heures, il me faudrait vider la moitié de la maison et je n’avais pas mon mot à dire. C’était limpide.
J’allais dans le salon et commençait à donner des ordres aux deux cousins, me semblait-il, de Suzanne qui attendaient là. La télévisons et son meuble disparurent à l’étage, suivit du canapé, du fauteuil et du tapis. Le vaisselier prit le même chemin. Il ne restait que ma table qui fut mise en long et d’autres apparurent par magie, bon d’accord, portées par les cousins et Ada pour former un U dans mon salon.
J’oubliais, le sapin déménagea de son angle pour se retrouver à côté de la porte de la cuisine. Ben oui, il gênait pour les chaises et j’avais refusé de le voir grimper dans une chambre. Franchement, le sapin quoi ! Vers dix heures, une petite voix se fit entendre.
– Je peux aider ?
Théa toute mal à l’aise était à la porte de la cuisine. Je lui sautais au cou en lui disant d’entrer. Il fallait mettre les nappes et tout et tout, elle ne serait pas de trop. Suzanne lui jeta un drôle de coup d’œil, mais me voyant lui prendre le bras pour la tirer au salon, ne dit pas un mot. Ada était déjà en train de se prendre la tête avec un cousin qui mettait les nappes à l’envers. Je virais les cousins, attrapais les nappes et dit à Ada.
– Bon, chef comment tu les veux, ces fichues nappes ? Nous sommes à tes ordres, mais n’oublie pas, tu es chez moi !
Théa pouffa, Ada râla. Les nappes furent mises ainsi que les couverts. Il était à peine midi que tout était en place, nous avions un peu d’avance. Ada disparut, un truc à faire et je me retrouvais avec Théa qui fixait mon sapin.
– J’aime beaucoup tes décorations, les pommes, c’est plus vivant que les boules en verre. Savais-tu qu’avant les sapins étaient décorés de pommes tous les hivers pour fêter le solstice ?
– Non, je ne savais pas.
Elle avait l’air rêveuse, perdue dans ses songes puis elle me prit la main avant de demander :
– Tu as prévu quelque chose pour décorer les tables ?
– Non, pas vraiment, tout c’est passé si vite, je n’avais même pas prévu de tout déménager.
– Viens, on va trouver quelque chose.
Je l’amenais à l’étage pour fouiller dans les décorations toutes neuves qui s’y trouvaient, elle fixa son choix sur des petits anges en verre et quelques boules bleues. Je la laissais décorer les tables et filais à la cuisine pour demander à Suzanne si elle avait besoin d’aide et je compris que non quand elle me vira de là. Bon, ben, voilà, plus qu’à attendre.
À quatre heures Ada réapparut suivie de Francis et de ses parents. Puis, par petit groupe, tout le monde arriva. Mes joues furent mises à l’épreuve, mes côtes protestèrent et Théa disparaissait derrière moi à chaque arrivée. Je finis par la prendre dans mes bras et à lui affirmer qu’elle avait plus que bien d’autre le droit d’être là. Elle était mon invitée et si cela dérangeait quelqu’un, il n’avait qu’à aller fêter Noël ailleurs, car ici, c’était chez moi et qu’en tant qu’amie, elle y était toujours la bienvenue. Je le dis assez fort pour que Suzanne qui avait toujours ce drôle d’air quand elle la regardait m’entende, en fait tous m’avaient entendu et Théa se détendit d’un coup. Elle redevint le petit lutin drôle que j’avais plaisir à voir. La soirée s’annonçait parfaite
On a trop bu, bien rit et ainsi respecté à la lettre la tradition. Vers deux heures du matin, les premiers invités partirent, leurs cadeaux encore emballés sous le bras. On les ouvre le vingt-cinq au matin ici, non mais, m’avait houspillée Suzanne alors que je tentais d’en déballer un en douce, je compris vite que la tradition était importante et mis de côté ma curiosité.
Suzanne voulu rester pour m’aider à ranger, je la poussais dehors lui promettant qu’entre Théa, Ada et moi, ça ne prendrait pas long. Je finis par virer Ada qui avait oublié de me dire qu’elle partait en rando dans moins de quatre heures et je proposais à Théa de rester dormir à la maison si elle voulait bien m’aider à ranger. Elle était de si bonne humeur que le rangement se transforma en jeu. La vaisselle était à moitié lavée, entassée dans la cuisine. Les nappes furent mises en tas sur une table et les restes rangés dans le grand frigo.
L’heure du dodo avait depuis longtemps été dépassée. On se traîna à l’étage, se souhaitant en baillant bonne nuit.
La nuit fut courte. Je tombais du lit à neuf heures. Des coups répétés se faisaient entendre. Francis et ses cousins étaient devant la porte, frais et fringuant, j’étais derrière la porte les cheveux en bataille et des cernes sous les yeux. Mais, que cette famille pouvait être épuisante de bonne santé ! Heureusement, le truc roux qui descendait les escaliers dans un de mes t-shirts qui lui faisait robe, en râlant, les cheveux en bataille et des cernes presque aussi noirs que les miennes, me rassura. J’ouvrais aux trois énervés, leur dit de se débrouiller et filais à la cuisine rejoindre ma rouquine préférée pour nous faire du café. Les tables, nappes et assiettes disparurent alors que nous faisions un concours d’apnée en café que j’étais bien décidée à gagner quand je signalais à Francis que le frigo et le congélateur étaient encore là, il me dit qu’ils resteraient là, cadeaux de Suzanne.
Théa me regarda, je regardais Théa en haussant les épaules. Les trois trucs montés sur ressort finirent de tout emporter. Francis avait insisté pour que je garde des restes. Je l’avais supplié de tout prendre, soutenue par Théa dont autant la mine que l’estomac était plus proche des miens que des leurs. Une bonne soupe serait plus que suffisante après une bonne sieste ou l’inverse. Francis voulu encore redescendre mes meubles. Comme j’étais fatiguée de le voir tourner comme une hélice, je lui certifiais que j’allais me débrouiller toute seule. Il n’insista pas, il avait à faire. Je lui fis au revoir de la main et après un long regard désabusé, Théa et moi remontions nous coucher.
Je me relevais à quatre heures, l’estomac toujours en mode digestion intensive, ma seule envie était de boire un café, assise sur mon canapé, canapé qui n’était plus à sa place. Théa, levée avant moi, avait descendu la télé et son meuble, une partie du matériel qui devrait se trouver dans le vaisselier et avait balayé et récuré le salon et la cuisine. Efficace la demoiselle ! Me voyant arriver, elle me fit un énorme sourire et fila chercher les coussins du canapé.
– Je vais les chercher comme ça on pourra au moins s’asseoir, avait-elle lancé en remontant comme une furie.
N’y avait-il que moi qui ne pouvais plus en avant ? Ils avaient quoi tous ? Plus l’habitude des excès que moi certainement. Théa revint les bras chargés, elle balança les coussins par terre et me poussa dessus.
– Reste là, je vais te faire ton café !
Excellente idée ! Elle avait même remis le sapin à sa place et à ses pieds les cadeaux reçut qui ne devaient pas être ouverts avant, ben, avant aujourd’hui. Curieuse, je tendais déjà la main pour attraper le premier quand un bol de truc noir et fumant arriva devant mon nez. Oh bonheur !
– Tu ouvres le mien en premier ?
Elle me tendit un tout petit paquet, emballé d’un papier bleu. Elle aimait vraiment le bleu. Je ne pris même pas la peine de boire mon café. J’attrapais le paquet et après l’avoir retourné dans tous les sens, l’ouvris super curieuse et déjà ravie du cadeau. Je restais sans voix devant le minuscule cœur en pierre qui s’y trouvait. Je l’observais longuement et la petite voix de Théa intervint.
– Je sais que c’est pas grand-chose. Je l’ai trouvé dans la rivière à côté de chez moi. Tu sais comme tu es ma première amie fille, je me suis dit que…
Elle parlait la tête baissée alors je la pris dans mes bras en disant :
– Il est magnifique. J’adore !
Parce que oui, il était magnifique, la pierre grise était striée de blanc et érodée par l’eau, elle était douce au toucher. Je lui claquais deux énormes bises sur les joues.
– Tu es génial, merci.
Ses yeux se remirent à pétiller et je lui tendis mon cadeau, j’avais trouvé un petit pendentif en forme de larme ou de goutte plutôt, en verre teinté de bleu, sa couleur préférée et je l’avais suspendu à un cordon de cuir blanc. Sans qu’elle ne le voie, je croisais les doigts dans mon dos, j’espérais tellement qu’il lui plaise.
– Tu sais, tu n’avais pas besoin de m’offrir quelque chose, commença-t-elle, pouvoir passer la soirée ici plutôt qu’à l’hôtel, était déjà beaucoup.
Elle faisait tourner le paquet dans ses mains sans l’ouvrir.
– Tu aurais passé la soirée seule ?
– Pas vraiment, mais avec les clients de l’hôtel et la famille de Mona. Ce n’est pas pareille.
Et, hop, la tête se rebaissait sur une petite moue dépitée.
– Oui, comme Ada quoi, finalement on fait un chouette trio. Pas de famille pour nous et si ma réputation dans le coin n’est pas trop mauvaise, tu devrais entendre ce que ma famille dit de moi.
Elle releva la tête d’un mouvement brusque et la surprise se lut dans ses magnifiques yeux.
– Mais toi, t’es adorable.
– Pas pour tout le monde. Je haussais les épaules. Je ne suis pas venue ici pour rien, je fuyais ma famille, mon ex et mes problèmes…
Elle ne répondit pas et ouvrit son cadeau. C’est avec des yeux remplis de larmes qu’elle sortit le petit pendentif de sa boite. Elle le retourna, l’inspecta et finit par le mettre à son cou puis fila à la salle de bain comme une furie. Je la suivis.
– Il te plaît ?
Elle admirait son reflet et caressait la petite larme. Elle se jeta dans mes bras.
– Il est parfait, vraiment !
Je crus entendre dans le soupir qui suivit, mon premier vrai cadeau. J’avais du mal entendre.
Théa n’avait sous le sapin qu’un autre paquet de la part d’Ada, une bouteille. Pour moi, notre amie avait déniché quatre livres en français, j’étais ravie.
Théa fila avant que je n’ouvre les autres, la route, la nuit, etc. j’avais plutôt l’impression qu’elle ne voulait pas que je me sente gênée d’ouvrir mes autres cadeaux, alors qu’elle n’en avait plus. Nous nous fîmes un énorme câlin sur le pas de la porte et j’y restais, agitant la main, jusqu’à ce que sa voiture disparaisse.
De retour sur mon coussin, je déballais mes cadeaux, un tablier à fleur de la part Suzanne, oh combien ironique, mais drôle, un bon d’achat de la librairie de Francis, de vieux DVD de la part de Joe, mais c’est qui lui ? Des boîtes de biscuits en nombre, le cadeau fourre tout quand on ne connaît pas. Des écharpes tricotées, ok, je suis frileuse, le bonnet le plus moche que je n’aie jamais vu, chaud, mais moche le truc et au fond une petite boîte sans papier.
J’avais le bonnet sur la tête, dix écharpes autour du cou, le tablier sur l’épaule, une montagne de boîte à biscuits à côté de moi et la petite boite en main quand un rire fusa à ma gauche.
– Tu as été gâtée, on dirait, il y avait un concours de l’écharpe la plus moche ?
C’était méchant, pas tout faux, soyons honnête, mais méchant.
– Ils ne me connaissent pas bien, alors, les biscuits et les écharpes, c’est plus simple.
J’avais toujours la boîte dans les mains et je devais avoir l’air stupide enroulée dans mes écharpes en plus j’avais trop chaud.
– Et original, vraiment !
Il s’approcha et pris la boîte de mes mains.
– Celui-là, il est de ma part.
Il tournait et retournait la petite boîte avant de me la rendre.
– Je croyais que tu ne fêtais pas Noël ?
– Je ne le fête pas, mais je peux faire des cadeaux comme tout le monde, enfin pas des horreurs pareilles.
Il venait de voir le tablier et le pointait du doigt. J’ignorais sa remarque, intriguée par la boîte, émue à l’idée qu’il avait pensé à moi. En l’ouvrant, je découvris un pendentif doré, un hibou minuscule sur une branche avec comme deux lunes de part et d’autre de la branche, enfin plutôt en dessous. C’était d’une finesse incroyable, car malgré sa taille, deux ou trois centimètres tous les détails étaient visibles. La branche était remplie de motifs et les plumes du hibou étaient grises. Une petite merveille !
– Si tu virais les horreurs que tu as autour du cou que je puisse te le mettre ?
Sa voix était rauque et je relevais la tête surprise
– Il est magnifique, c’est fou, tu n’aurais pas dû.
Il était en train de m’enlever les écharpes qu’il jetait au sol.
– N’en fais pas une maladie, c’est un vieux truc, je me suis dit qu’il te plairait. Savais-tu que le hibou est symbole de sagesse, je vais espérer qu’en porter un t’évite de te blesser.
Vieux sûrement, truc pas d’accord, il était trop beau pour être traité de truc. Qu’il me plaise, oh que oui, qu’il me rende sage, fallait pas rêver non plus. Sans plus attendre il saisit la boîte et me passa le collier autour du cou et je fis comme Théa, le plantant là pour filer à la salle de bain le regarder dans le miroir. Il était absolument magnifique et je le caressais du bout des doigts un long moment.
Lorsque je retournais au salon, Livius n’y était plus, il lavait son bol à la cuisine. Je l’y rejoins et me coulais entre ses bras.
– C’est une merveille, soufflais-je.
Il m’embrassa le bout du nez, pris le pendentif entre deux doigts puis reposa contre ma peau en disant.
– Je trouve qu’il te va bien.
Il ne me regardait pas, il ne regardait que le hibou au creux de mon cou. Je restais là, blottie contre mon fantôme en me disant qu’il avait eu raison, un Noël loin de ma famille pouvait être magique tant mes nouveaux amis étaient incroyables quand je me souvins que j’avais moi aussi un cadeau pour lui. Je m’échappais de ses bras, filait dans ma chambre et revint en courant presque tenant son paquet.
– Pour toi !
Fière de moi, les bras tendus, j’attendais qu’il le prenne, mais il l’ouvrit alors que je le tenais toujours. J’avais trouvé une édition de Sherlock Holmes reliée en cuir, un beau livre. Bon, j’ignorai s’il aimait les livres policiers, mais qui n’aime pas Sherlock ? J’eus droit à un baiser sur le nez, à un merci qui m’avait semblé sincère et à bonne nuit. Avais-je fait un bide ?
Alors que je me flagellais mentalement de n’avoir pas su trouver le bon cadeau, il s’occupa de descendre son fauteuil et une partie du vaisselier. Je pris une longue inspiration et allais le voir. Il était installé dans son fauteuil mon livre entre les mains et avait commencé sa lecture. Perdue dans mon autocritique, j’en conclus qu’il voulait juste être poli et vexée comme un pou, je lui souhaitais bonne nuit et filais d’un pas rageur dans ma chambre. J’avais l’impression qu’une écharpe ne lui aurait pas moins fait plaisir. Pfff
La remise en place du salon m’occupa le lendemain. Les petits mots de remerciement que je m’appliquais à écrire, deux jours de plus, je me promis de retenir les noms à partir de la tout de suite, je ne savais même pas à qui je disais merci, frustrant.
Chapitre 10
Nouvel an arriva, je le passais avec Théa à l’hôtel, il y avait des animations plein les rues et nous fîmes honneur au champagne offert par la maison, je crois bien que notre interprétation des chansons qui passaient à la radio restera dans les mémoires, oh pas dans les nôtres heureusement.
La routine revenait, les mercredis avec les filles me manquaient et même si les dimanches midi étaient de retour chez Suzanne, qui avait décrété qu’on m’avait bien assez dérangé, ils rythmaient bien mon manque d’activité.
J’avais tenté à plusieurs reprises de sous-entendre que la cave devait enfin, voilà, faudrait s’y mettre. Mon fantôme virait sourd à chaque fois, donc je laissais tomber.
L’ennui devenait pénible, le froid intense et les jours longs, très longs, non mais vraiment longs. Je traînais mon ennui partout. Je devais sentir l’ennui à des kilomètres alors que tous ceux que je connaissais en ville courraient partout. La saison d’hivers battait son plein et moi, je tournais en rond.
Il me fallait une occupation. Je m’essayais au tricot. Je fis de magnifiques serpillières qui auraient dû être des pulls, pas concluant du tout. Puis je testais la peinture, à part pour peindre les murs, j’étais nulle. Je me lançais dans la sculpture sur bois, trois doigts transformés en poupée plus tard Livius balança le tout à la poubelle, m’interdisant de continuer. Je devais faire quelque chose de ma vie.
C’est quand on touche le fond que les miracles se produisent, le mien arriva sous la forme d’un libraire dépassé. Alors que j’écumais plusieurs fois par semaine la librairie, fallait bien s’occuper et qu’à cause de mes nouvelles résolutions, je demandais pour la quatrième fois son nom au gentil monsieur dernière le comptoir pour ne pas dire une connerie, une voix sortit de l’arrière-boutique pour dire :
– Vous prenez pas la tête. Il ne restera pas longtemps. Il me lâche.
Je me dévissais la tête pour observer le vieux type qui me parlait. Rhaa, je le connaissais, c’était, haaa c’était, mais merde, d’où je l’avais vu lui ?
– James Andersen, ancien bibliothécaire, nous nous sommes croisés peu de temps après votre arrivée
– Ha, heu, oui, enchantée.
– Je vous disais donc, mademoiselle Sophie que mon vendeur quittait la ville pour tenter sa chance ailleurs, alors ne prenez pas la peine de retenir son nom !
Ok, donc il semblerait que mon incapacité à retenir le nom de gens était connu, il fallait vraiment que je fasse des efforts, parce que là j’avais compris, tiens prends ça dans les dents, moi je connais ton nom.
– Ce qui me dérange le plus, continua-t-il, c’est quand cette saison trouver un remplaçant va être difficile.
Je levais le doigt avant même que mon cerveau n’enregistre le tout.
– Moi, je suis libre, tout de suite si vous en avez besoin, je n’ai rien de prévu avant plusieurs mois.
Le doigt en l’air comme à l’école, j’avais parlé avant même d’y avoir vraiment réfléchi. Au fond pourquoi pas, mon anglais s’était amélioré au cours des dimanches et de mes mercredis entre fille et je connaissais presque par cœur les rayons de la librairie pour y avoir traîné mon ennui des jours durant.
Je vous passe le comment du pourquoi, mais le lundi suivant, je commençais à faire la poussière dans la librairie en attendant un potentiel client. Je voyais s’envoler mon ennui et mieux encore je me mettais à espérer que ce travail deviendrait mon travail. La routine reprit un rythme qui me convenait bien.
Deux mois plus tard j’étais toujours derrière le comptoir de la librairie et même si j’étais ma meilleure cliente, presque la seule d’ailleurs, les jours passaient gaiement. Je retrouvais mes mercredis midi filles, plus chez moi, mais à la pizzeria du coin, la seule de la ville tenue par Adisorn et Rasamee, deux Thaïlandais vraiment sympathiques. Non, ne vous moquez pas, leurs noms sont écrits sur toutes les cartes de menu, à force je les ai retenus. Mes bonnes résolutions, vous vous rappelez ?
Je disais donc, les repas filles du mercredi avaient recommencé même si Ada nous lâchait régulièrement. Mes dimanches étaient remplis de trop de nourriture avalée chez Suzanne et le reste de la semaine, je mangeais sur le pouce coincé entre les cartons dans la réserve. Mon colocataire s’était de nouveau transformé en fantôme. Je ne le croisais presque plus, Mes soirées à regarder des séries, sans râleur à côté, étaient devenues mon petit plaisir.
L’hiver s’étirait puis le printemps pointa son nez, je troquais mon bonnet moche et mes écharpes tricotées mains pour une écharpe fine. Le fond de l’air restait frais en soirée. Puis l’écharpe rejoignit la penderie avec les pulls et je sortis les chemisiers, enfin ! Le mois de mai était là et j’appréciais tous les jours un peu plus Théa qui, elle aussi, gardait une veste sur les épaules alors qu’Ada était déjà en tongs, nous nous faisions traiter de frileuses et nous l’assumions plutôt bien à deux contre une.
Je n’étais plus la seule cliente de la librairie, la curiosité de savoir que la nouvelle travaillait là, attirait du monde. Monde qui n’osait pas repartir sans rien acheter. Monsieur Andersen m’assura qu’il n’avait jamais eu un mois de mai aussi rentable. Je fus confirmé à ma place.
Ma nouvelle vie me plaisait, mes amis étaient incroyables et j’envisageais l’avenir avec un bonheur que je n’avais pas ressenti depuis longtemps. La pauvre petite chose arrivée ici il y a un an, avait disparu, laissant place à une nana bien dans sa peau.
Ada me sauta dessus un jeudi matin pour me dire que la boutique serait fermée l’après-midi, James était d’accord. Finalement, elle me fit fermer tout de suite et me traîna derrière elle.
– Faut que je te montre un truc, avance, plus vite !
Avancer ? Il me fallait presque courir pour me maintenir à sa hauteur. Elle me poussa dans l’hôtel puis me tira dans la grande salle, le tout au pas de course. J’étais essoufflée et quand je finis par la rejoindre, je me statufiais. Il y avait un « bon anniversaire » accroché contre le mur, plein de ballon partout et mes amis.
– Ça fait un an que tu es arrivée ! Me dit Ada. Fallait bien le fêter, non ? Tu te rends compte, qui aurait pensé que tu allais tenir ?
Pas moi, en fait, un an, un an que j’étais arrivée déjà ? J’avais la bouche ouverte, les yeux exorbités et je me mis à pleurer. Ce fut la panique en deux secondes, Suzanne me prit dans ses bras, Ada me serrait une main dans les siennes, Théa me frottait le dos et Francis se marrait.
Merci, Francis, le voir rire me permis de retrouver un peu de cervelle, pour murmurer entre deux sanglots :
– C’est trop, fallait pas.
Je fus traînée et assise à table entourée de ces gens formidables qui, je ne comprendrais jamais pourquoi, m’avaient adoptée aussi facilement.
Quoique, j’appris que le mari de Suzanne avait parié que je ne passerai pas l’hiver. Rhaa, Judicaël quel prénom impossible, donc Judicaël avait parié que je ne passerai pas l’hiver, les paris variaient entre fin octobre et mars, même Ada avait parié, la traîtresse !
Elle se justifia par mon passage d’ennui profond qui l’avait fait craindre un départ pour ailleurs. Elle se justifia d’une toute petite voix contrite encore plus quand il s’avéra que Théa avait parié que je resterais, elle ! Ce fut un chouette moment entre amis et je rentrais sur un petit nuage, un an ! Waouh, je n’en revenais pas.
Au milieu de la nuit, mon téléphone sonna, c’était ma mère. Vive le décalage horaire ! Elle me demanda de but en blanc quand je rentrais maintenant que mon année sabbatique était finie. Quand je lui dis que non, je ne rentrais pas, elle me fit bien comprendre en hurlant ce qu’elle pensait de ma crise d’adolescence tardive. J’étais une inconsciente qui allait finir sous les ponts ou pire à la charge de mes frères et sœurs qui, eux, avaient réussis etc, etc. je connaissais par cœur le discours.
C’est en mettant le téléphone sur haut-parleur et en buvant stoïquement un café que je répondais à intervalle régulier des oui mais, non mais, ça va aller ou je comprends mais…
Je n’essayais même pas de finir une phrase, j’attendais patiemment que ma mère en finisse. Je savais qu’une fois qu’elle aurait raccroché, j’aurais droit au même discours de ma sœur aînée qui rajouterait, mais tu sais on t’aime, c’est pour ça qu’on s’inquiète puis mon grand-frères le ferait aussi, en étant moins virulent et en précisant qu’il faut comprendre les parents, c’est pas moi, c’est eux qui s’inquiètent. Quand il aura raccroché ma petite sœur m’enverra un texto me remerciant de foutre le bordel pour faire mon intéressante. Une fois qu’ils m’auront bien tous prédit le pire, ils me lâcheront et je n’en entendrai plus parler, jusqu’à la prochaine fois.
Je regardais dans le vide, ma sœur parlait, parlait, parlait. Mon fantôme entra, écouta un moment, me fit une grimace qui faillit me faire rire. Pas bonne idée, mais alors pas du tout, ne pas rire quand grande sœur faisait la morale sinon j’en reprendrais pour le double. Je haussais simplement les épaules.
Il s’installa en face de moi et écouta très attentivement. Il se décomposa au fur et à mesures. Je lui fis signe de se taire et profitait que ma sœur raccroche pour lui dire.
– Ma mère vient de lui dire que je ne rentrerais pas. J’ai même pas réussi à dire que j’avais un travail ici. Ils pensaient tous qu’à la fin de mon année sabbatique, je rentrerai la queue entre les jambes.
Mon frère appela et les reproches reprirent.
– Un an ? Mima Livius.
Je fis oui de la tête et murmurait loin du téléphone.
– Un an, aujourd’hui !
Il fit bravo des deux mains sans un bruit puis alors que je désespérais que mon frère se taise, il dit à voix haute :
– Quand allez-vous finir de vous écouter parler, c’est le milieu de la nuit et votre sœur travaille demain.
Et, merde non, il n’avait pas osé, mais ce n’est pas vrai, il allait empirer la situation.
– Qui êtes-vous ? Questionna sèchement mon cher et adorable frère.
– Un de ses locataires, répondit courtoisement mon coloc
– Un de tes quoi ?
– Locataires, compléta tranquillement le fourbe qui me toisait alors que je me décomposais.
– Tu as des locataires ?
– Je viens de vous le dire. Un de ses locataires. Il se moquait de moi en continuant. Vous avez de la chance de n’avoir pas réveillé Mademoiselle Théa, elle est un peu revêche au réveil.
– Sophie qu’est-ce que ça veut dire ?
Je coupais le haut-parleur, fusillait du regard mon « locataire » et répondis à mon frère. Oui, j’avais une maison et oui, je louais des chambres. Je ne pouvais pas lui révéler que je partageais la maison avec un homme dont je ne savais presque rien et que ledit homme venait de s’amuser à ses dépens ou avait tenté de me défendre, à choix.
Étrangement, il raccrocha dès l’explication bancale donnée. Je savais qu’il allait téléphoner à ma mère qui elle-même téléphonera à ma sœur et que l’une d’entre elle finirait par me téléphoner pour à nouveau me faire la morale sur cette fois-ci le thème de tu ne nous dis rien.
Je ne soulignerai pas qu’on ne m’avait pas laissé parler et attendrais que ça se tasse. Depuis le temps, je ne me prenais plus la tête. Je fis un pâle sourire au pire locataire de l’année en lui précisant que c’était gentil, mais ne servirait à rien, j’allais avoir droit à un nouveau sermon alors que j’en voyais le bout.
– Retourne te coucher et éteint cet engin de malheur !
Mais combien de fois m’avait-il envoyé au lit ? Je crochais sur cette question en allant me coucher. Bonne fille qui obéit.
Les téléphones familiaux n’eurent plus lieu au milieu de la nuit, mais très tôt le matin. Je fus estomaquée quand je me rendis compte que ce que ma mère retenait était en un, que j’avais une maison assez grande pour y loger du monde, en deux, que je gagnais de l’argent et c’est tout. Je n’insistais pas. Les téléphones se calmèrent. Je repris ma petite vie.
Chapitre 11
C’est le mois suivant que tout bascula. Il faisait beau et chaud. Un soleil radieux m’accompagnait tout au long de la journée et arrivait même à percer au milieu des livres. Je mangeais à midi, sur un banc profitant du bienfait du soleil. Je troquais mes chemises contre des hauts à petites bretelles ou de petites robes. Je vivais en tong, comme la moitié des habitants, et étais capable de repérer un touriste à dix mètres. J’étais devenu du coin. Je me sentais du coin.
Ce mercredi-là, avec Théa nous avions décidé de manger sur l’herbe du parc. Tout se passait bien quand je retirais le châle que j’avais mis. Elle resta immobile à fixer mon pendentif. Elle blêmit en me demandant sèchement :
– Qui t’a offert ça ?
– Il était dans mes cadeaux de Noël.
– Tu te souviens de qui te l’a offert ?
– Non, pas vraiment il faudrait que je cherche.
Même si j’en avais assez de cacher ce gros pan de ma vie, je ne me sentais pas prête à l’avouer à mon amie, alors que je voyais bien que ces yeux revenaient sans cesse sur le collier.
– Et si on se faisait une soirée fille, je passe prendre des pizzas et on se retrouve chez toi pour se regarder ta série débile là.
– Laquelle ? Tu trouves toutes mes séries débiles.
– La fille blonde et le beau mec et son père
– Fringe ?
Elle fit oui de la tête, cool, ce serait sympa, je lui dis oui.
L’après-midi passé, la boutique fermée sans avoir vu personne, c’est toute contente que je filais en direction de ma maison. Théa était déjà devant la porte avec deux énormes cartons dans les mains.
Installée dans le canapé, les cartons de pizza vides sur la table basse, je digérais en écoutant la rousse expliquer sa journée. L’arnaque aux touristes fonctionnait à plein, j’étais heureuse que dans ma petite boutique ce sport ne se pratiquait pas, les prix des livres étaient fixes, tant mieux. Quatre épisodes de ma série débile plus tard, le quatrième ayant été exigé par Théa qui voulait absolument voir la suite, je finis par l’abandonner sans regrets. Je notais dans un coin de ma tête de lui offrir la série complète, débile pour elle peut-être, mais addictif, tout en montant me coucher.
C’est vers quatre heures du matin que des voix me réveillèrent, persuadée qu’elle s’était endormie devant la télévision allumée, je me motivais pour descendre l’éteindre, la télévision pas Théa.
À mi-chemin, je stoppais net, ce n’étaient pas les voix des acteurs que j’entendais, mais celles Théa et de Livius. Bon, une discussion s’imposait, flûte, m’approchant pour intervenir, je restais figée en entendant Livius.
– Qui de toi ou de moi représente le plus grand danger pour elle ? Si j’avais voulu la blesser, ce serait déjà fait, ne penses-tu pas ? J’ai eu plus d’un an pour. Mais, toi, contrôles-tu vraiment tes instincts ?
Un silence.
– Avec elle ce n’est pas pareil. C’est mon amie. Elle ne risque rien.
– Alors tu peux comprendre qu’elle ne risque rien avec moi.
Ok, ils parlaient de moi, mais c’était quoi ce bordel, qu’avais-je à craindre de Théa et comment se connaissaient-ils. Parce qu’ils se connaissaient, là j’en étais sûr. J’avançais pour me montrer, bien décidée à tirer au clair ces étranges paroles. C’est Théa qui me vit en premier. Elle se figea. Livius ne se tourna pas, il passa sa main sur son visage et dit :
– Bonsoir Sophie, désolé de t’avoir réveillé et si tu venais t’asseoir ?
Ben non, je voulais rester debout moi et surtout je voulais des réponses.
– De quoi parliez-vous ?
Mes yeux allaient de l’un à l’autre, Théa répondit.
– C’est à cause du collier, je l’ai reconnu, alors je voulais savoir pourquoi tu l’avais et surtout si tu savais qui te l’avait offert.
Elle fit un geste du menton en direction de mon colocataire. Il se tourna vers moi pour répondre.
– Je connais Théa depuis longtemps.
– Et comme tu ne m’avais pas dit que tu n’étais pas réellement seule ici, je voulais…
Elle s’arrêta net.
– Elle voulait être sûre que tu me connaissais bien.
Ben, non, je ne le connaissais pas bien du tout.
– Et ?
– Et comme dans le coin je ne suis pas très appréciée, tu as bien vu comment Suzanne me regarde, continua-t-elle.
– Oui et ?
– Je n’ai pas bonne réputation
– Moi, encore moins, dit-il.
– Ok, en quoi vos réputations risquent de me faire du mal ?
Parce que oui, si je me moquais complètement de ce qu’on disait d’eux, je ne me moquais pas de ce que je venais d’entendre, deux énormes soupirent me répondirent.
– C’est une façon de parler. Tu sais les gens parfois se comportent.
– Comme des cons et vous pensez que j’en suis aussi. C’est pas crédible là.
J’étais énervée de les voir noyer le poisson, sans vraiment me répondre. On évitait de me regarder dans les yeux, on admirait ses chaussures. Ils me prenaient pour une débile.
– Bon, il va falloir que vous arrêtiez de me mentir tous les deux. Quel est vraiment le problème ?
S’il me restait un doute sur le fait qu’ils me mentent, là je n’en avais plus aucun. Théa avait pâli et Livius regardait par-dessus ma tête. Certes mon mur était très joli, mais pas à ce point-là. Je tapais du pied.
– J’attends !
Le concerto pour soupires en do mineur se fit entendre. Théa tomba plus qu’elle ne s’assit sur le canapé et Livius me fit signe de m’asseoir. L’heure des révélations avait sonné et j’étais bien décidée à ne rien lâcher avant d’avoir eu la vérité.
– Bon par où veux-tu que l’on commence ? Dit Théa en me serrant la main
– Par le début ? Enfin, commençons par : vous vous connaissez depuis quand ?
– J’ai rencontré Livius à mon arrivée ici, il m’a aidé à trouver un coin qui me convenait.
D’accord, donc en gros une dizaine d’années, elle n’avait pas plus de 30- 35 ans.
– De gros problème avec ma famille m’avait poussé à m’éloigner. Je ne connaissais personne et j’étais en pleine révolte. Toi, tu es arrivée en douceur, tu voulais avoir la paix, moi, je suis arrivée furieuse et je cherchais, bref, je n’étais pas là pour me faire des amis.
– D’où ta mauvaise réputation…
– Entre autres, continuât-il. Elle a logé chez nous, le temps de trouver où aller. Carata l’aimait bien.
– Carata ?
Il ferma les yeux, ceux de Théa se remplirent de larmes.
– Ma compagne, elle est morte.
Ok, sujet sensible, très sensible à voir la tête de Théa.
– Je suis…
– Il y a longtemps maintenant, donc je disais, Théa est restée ici le temps de trouver où se loger.
– Tu ne m’as jamais dit que tu connaissais la maison, lui reprochais-je.
– C’est plus tout à fait la même et te dire que j’avais connu un des anciens propriétaires aurait servi à quoi ? Je pensais qu’il était parti.
– À éviter tout ce merdier ?
Ils grimacèrent tous les deux.
– Il faut la comprendre, à la mort de Carata, j’ai disparu, je ne voulais plus voir personne. Elle a pensé que j’étais parti, c’est normal.
Ça, je pouvais comprendre, même si je me sentais blessée de ne pas avoir été mise au courant. Voilà bien la preuve que je ne connaissais rien de lui. Rien d’eux. Je touchais mon pendentif, Théa fixait ma main.
– Tu as reconnu le collier parce que tu l’avais déjà vu. C’est pour ça que tu m’as demandé qui me l’avait offert. Ne me dites pas qu’il était à elle.
Je t’en supplie, pas le collier d’une morte à mon cou, s’il te plaît. Pas ça !
– Carata ne l’a jamais porté, ce collier est dans ma famille depuis longtemps.
Sec, net, précis, n’en demande pas plus disait sa voix. Bon, mais, du coup se posaient plein d’autres questions.
– Alors pourquoi me l’as-tu offert ?
– On en parle plus tard, tu as demandé depuis le début, non ?
Sans me laisser répondre il continua.
– Donc après son décès, je ne voulais plus voir personne. Je voulais qu’on me laisse en paix, tu peux comprendre ?
Oui, son grand amour est mort, il s’est retiré du monde pour la pleurer, jusque-là, ça allait. Si j’oubliais la tristesse infinie que je ressentais. Pour changer de sujet, je demandais :
– Et tu as joué sur la croyance que la maison était hantée pour faire fuir les nouveaux habitants.
– Oui, on peut dire ça, c’est ma maison.
Re coup de poignard au cœur, sa maison oui, pas la mienne, des larmes perlèrent à mes yeux. J’étais l’étrangère ici.
– Quand j’ai vu le collier, j’ai compris qu’il n’était pas parti et je me suis demandée pourquoi tu n’avais jamais parlé de lui et je me suis inquiétée parce qu’il n’est pas, enfin, il n’a pas l’air de… c’est un…
Elle se tue, cherchant visiblement ses mots.
– Un quoi ?
– Heu, tu ne sais pas ? Ho, je n’aurais pas dû.
Elle avait blêmi d’un coup, Livius se mit à genoux en face de moi, me prit les mains, plissa les lèvres et finit par dire sèchement :
– C’est bon, Théa, je pense que tu peux te taire.
Elle baissa la tête, mais continua.
– Il va bien falloir le lui dire.
– Je sais.
Deux mots murmurés les yeux fermés, sa bouche ne faisait qu’un trait, tout en lui était tendu et mon imagination partit en vrille. C’était un tueur en série, non un agent secret, non, c’était un pervers qui dormait avec le cadavre de sa femme et c’est pour cela qu’il m’interdisait la cave, non, il avait juré de vivre la nuit pour être avec le fantôme de sa femme, non, il était, stop, stop Sophie, tu te calmes et tu écoutes. J’étais complètement paniquée, car je m’attendais au pire quand il continua presque en chuchotant.
– Sophie, je vis la nuit, tu l’as bien remarqué ?
Je fis oui de la tête et d’ailleurs, c’était saoulant.
– J’ai pu déplacer la cuisinière seul, elle est plutôt lourde. Comment ai-je pu le faire ?
Oh qu’elle était bonne cette question-là. Il n’avait pas l’air super musclé, style haltérophile, c’est vrai.
– Je n’y ai même pas réfléchi, avouais-je
Les yeux de Théa doublèrent de volume et Livius secoua la tête.
– Tu es vraiment un ange, incroyable.
– Elle l’est. Confirma Théa.
Là je doutais que ce fut un compliment, idiote, naïve serait bien meilleure comme qualificatifs.
J’eus droit à un baiser sur le front.
– Donc résumons, je vis la nuit, j’ai beaucoup de force, je suis rapide et je peux tomber d’une échelle sans me faire mal. Je suis…
À son regard, il attendait une réponse. Mes neurones se mirent à faire des brasses, je nageais. Il avait bien remarqué que rien ne sortait de ma petite caboche. Il ferma les yeux, baissant la tête sur un sourire.
– Le soir, je bois toujours un bol de ?
Pas de café, sinon il ne l’aurait pas demandé comme ça, un bol de quoi ? Mince, mes neurones ne faisaient plus de brasses, ils coulaient. Je savais qu’un truc énorme m’échappait, la connexion ne se faisait pas. Je me sentais idiote, mes neurones ne coulaient plus, ils étaient portés disparus et les secours n’arriveraient jamais à temps.
Je le fixais. Il avait posé une main sur ma joue et de son pouce caressait ma tempe, il attendait et moi je pataugeais. Théa intervint.
– Imagine que l’on est dans une de tes séries. Je suis certaine que tu sais.
Dans mes séries ? Mon fantôme serait quoi ? Mes yeux se posèrent sur l’étagère et je passais en revue mes DVD. Je tombais sur Supernatural puis sur Buffy et je secouais la tête, faut pas exagérer non plus. Dans ces séries-là, il serait un vampire sauf que les vampires, ça n’existe pas ! Un tueur en série recherché ? Un alien tant qu’on y est ! Dans mes séries, il n’y avait que ça. Ha non, j’oubliais les zombies. Nan, pas possible.
– Montre-lui !
– Laisse-lui encore un peu de temps pour tout assembler.
Sauf que je n’assemblais rien du tout. Je me tournais vers Théa et l’interrogeais du regard.
– As-tu confiance en lui ? Me demanda-t-elle.
Je pris le temps de réfléchir. Depuis mon arrivée, il m’avait aidée avec la maison, sortie des griffes de David et m’avait toujours bien traitée. Jamais il ne m’avait rabaissée ou jugée ou blessée. Je n’avais pas peur de lui, même si son caractère n’était pas toujours facile, mais je ne connaissais pas grand-chose de sa vie, enfin, carrément rien. Avais-je confiance en lui ?
Ma petite voix qui sortait toujours dans les moments où mes neurones ne me servaient plus à rien, intervint. T’es con, disait-elle, je te rappelle que tu as accepté de vivre avec lui sans trop te poser de question et que tu ne l’as jamais regretté. Arrête de te pourrir la tête dit oui et assume la suite !
La suite était justement le problème, mais le pouce sur ma tempe, les yeux noirs attentifs et le soupir qu’il semblait retenir, finit par avoir raison de ma peur. Je me noyais dans ses yeux et dit :
– Oui, j’ai confiance en toi.
Le soupir retenu sortit et il souleva mon menton.
– Je ne te ferais jamais de mal, je te le promets à nouveau. Jamais. Quoi qu’il arrive !
Je fermais les yeux, il prit mon visage entre ses mains et tout doucement me releva la tête.
J’ouvris les yeux et les fixais sur les siens. Il fit un petit non de la tête en indiquant sa bouche. Je fronçais les sourcils. Merde, je rêvais ou j’hallucinais ou je devenais folle ?
Deux canines étaient en train de s’allonger devant mes yeux et pas qu’un peu. C’est quoi ce délire ?
Ok, c’était la merde. Comme j’étais une jeune femme équilibrée et bien dans ses baskets, mon cerveau se mit en grève et mes muscles tétanisèrent. Boum, je tombais en panne, plus rien ne fonctionnait, enfin, non, un truc fonctionnait, ma terriblement énervante petite voix qui était en train de bondir de tous les côtés en hurlant des c’est trop cool, youpi et autres joyeusetés. La conne ! Elle jouait à la balle élastique dans mon crâne. Je sentais venir la migraine.
Elle se calma un peu et devint toute douce en me faisant le résumé : bon, tu n’avais rien vu, normal quand on pense que les vampires n’existent pas, on ne cherche pas de preuve. Là, quand même, tu dois reconnaître que des preuves, il y en a. Oui, là je pouvais admettre que les preuves étaient solides, surtout les deux dents qui étaient toujours sorties et que je fixais sans pouvoir m’en détacher. Sauf que même si j’adorais les séries avec des vampires, des loups-garous et des zombies, là on n’était pas dans une série.
Mais bon sang, dans quoi m’étais-je fourrée. C’est ton ami, continua la petite voix. Ne l’oublie pas. Il te fait confiance, tu crois qu’il montre qui il est à tout le monde ? Franchement, tu en as de la chance et puis tu lui fais confiance souviens-toi ! Oui, c’est vrai, enfin j’avais confiance dans mon fantôme. Fantômes, vampires repris la voix, du pareil au même. Allez arrête de faire l’autruche et réagit. Mais oui, hurler me semblait une bonne idée ou m’évanouir ?
Une partie de moi réagissait, je sentais à nouveau la caresse de son pouce sur ma tempe et la main de Théa qui me frottait le dos. Je croisais son regard. Incroyable ce qu’il semblait inquiet. Je crois que c’est cette lueur de peur que j’y voyais qui me décida à revenir dans le monde des vivants. Un mot s’échappa de mes lèvres.
– Vampire ?
Les crocs disparurent, ses yeux se fermèrent et il fit juste oui de la tête.
– J’ai besoin d’un verre.
Ben oui quoi, je ne pouvais pas douter de ce que je voyais, pas besoin de me pincer. Sauf qu’il fallait l’avaler, pas le verre, la vérité. Sa tête lorsque je disais ça, faillit me faire rire. Théa revenait déjà avec un grand verre qu’elle me fourrait dans les mains. Je ne sais pas ce que c’était, mais je me mis à tousser, les larmes me piquèrent les yeux et l’émail de mes dents parti voir ailleurs s’il y était, à peine la première gorgée avalée. Ça me fit un bien fou.
– Ça va ? Comment te sens-tu ? Demanda mon fan… non mon vampire.
– Si je suis pas devenue folle enfin, ça devrait aller, enfin, c’est juste que, enfin les vampires, enfin ça n’existe pas, enfin je croyais, enfin.
Allais-je arrêter de dire enfin ? Merci mon cerveau pour me soumettre à cet instant précis la seule question qui n’avait aucun intérêt.
– Tu le savais, accusais-je Théa.
– Je savais que les vampires existent, mais ils sont supers discrets, m’informa Théa. Plus que les loups, eux, ils laissent des traces partout.
Ha, oh, les loups, ok, on va où là ? Et hop, une gorgée du truc trop fort pour faire passer cette nouvelle information.
– Mais tu sais, ce ne sont pas les pires, continuait la rousse.
Je levais la main pour l’arrêter, paniquée.
– Laisse-moi déjà digérer le fait que les vampires et je suppose par loup que tu veux dire loup-garou, existent, d’accord. Pour quelqu’un comme moi, c’est déjà trop.
– Tu prends plutôt bien la chose. Tu trouves pas Livius ?
Lui ne disait rien, mais observait attentivement. Ses mains reposaient sur mes genoux et il s’était légèrement reculé. Je ne sais pas ce qu’il cherchait à voir en moi. Je ne savais toujours pas si c’était réel ou non.
– Tu vas avoir besoin de temps pour digérer.
Il leva la main et la garda en l’air. Il était indécis et me scrutait. Le léger mouvement de recul que j’avais eu ne lui avait pas échappé. Sa main retomba et il se releva pour s’éloigner.
– Je vais vous laisser en discuter, le jour ne va pas tarder.
Il était lugubre et je me sentis mal d’avoir eu ce recul, mais il pouvait comprendre. J’avais de bonnes raisons là. J’avais un peu peur, beaucoup en fait. Il ne dit rien de plus, me fit un signe de tête et disparut au sous-sol Théa grimaçait un peu et voulu relancer la discussion.
– Non, s’il te plaît, là, j’ai besoin d’un moment, seule. Si tu pouvais rentrer chez toi, ce serait sympa. Je, j’ai vraiment besoin de réfléchir tranquillement.
– Tu es sûre, je pense qu’il faut qu’on en parle, tu as des questions à poser et je ne vais pas te laisser seule dans un moment pareil.
Il me fallut presque une heure pour la convaincre de partir. Car, non, je ne voulais pas en parler et non, je ne voulais rien savoir de plus. Là déjà, c’était trop. Elle finit par céder de guerre lasse.
– D’accord et ne t’inquiète pas, je préviendrais James que tu es malade, comme ça tu as la journée pour, enfin, tu pourras rester tranquille, puisque c’est ce que tu veux.
Je la remerciais, lui souhaitais une bonne journée et montais m’enfermer dans ma chambre. Je voulais être seule. Quand j’entendis la porte se refermer et la voiture de Théa démarrer, il y eut dans ma tête comme une tempête. J’étais assise sur mon lit, incapable de dormir ni de réellement penser. Je restais ainsi toute la matinée. Je n’avais ni faim, ni soif, mais je m’obligeais à avaler une soupe. J’avais l’impression de bouger dans du coton dense. Le moindre geste était compliqué et me demandait plus d’énergie que je n’en avais.
Chapitre 12
Dans l’après-midi, un vent de panique me tomba dessus, un truc énorme. Je tremblais de la tête aux pieds et si j’étais toujours incapable de réfléchir correctement, toutes les fibres de mon corps criaient à la panique alors j’y cédais.J’attrapais ma valise, y fourrais de tout en vrac, descendis quatre à quatre l’escalier et filais sans m’arrêter à ma voiture. Je ne pris même pas la peine d’ouvrir le coffre, je jetais la valise sur le siège passager et je fuis, encore. Fuyant ce que mon petit cerveau refusait de considérer comme réel. Juste fuir.
Je roulais droit devant, tentant de ne réfléchir à rien. Tellement à rien que j’oubliais que les routes ici, ne sont pas vraiment des boulevards et après des heures à lutter entre les trous, les bosses et les chemins de terre, j’étais épuisée et je m’étais perdu. La nuit avait fini par tomber, brouillant encore plus mes repères. Il valait mieux attendre le jour pour reprendre la route. Je me glissais à l’arrière, contrôlais que j’avais bien fermé les portes et les fenêtres, me recroquevillais sur le siège et fermais les yeux.
Les larmes arrivèrent à ce moment-là et je versais toute l’eau de mon corps. J’étais secouée de sanglots impossibles à arrêter. Je pleurais sur moi, sur mon idiotie de n’avoir rien vu, de ses amis qui m’avaient menti sur quoi d’autre encore ? Je m’apitoyais sur mon sort. Je m’épuisais de chagrin. Rien d’autre ne comptait plus que mes larmes qui semblaient ne pas vouloir se tarir.
J’avais physiquement mal au cœur. Je me sentais plus nulle qu’à mon arrivée. Je pleurais, c’était tout ce que je pouvais faire. J’étais au milieu de nulle part. J’étais seule. J’avais peur du noir cette nuit et ma lampe de poche montrait des signes de faiblesse et j’étais perdue dans tous les sens du terme. Tout ce que je pouvais faire, c’était pleurer.
La crise durait encore quand on frappa à la vitre. Je relevais la tête et croisais des yeux noirs. Je ne voulais pas lui parler. D’un coup, je me sentais en colère, tout ça c’était sa faute. Je secouais la tête et la plongeait entre mes bras en collant mon nez contre le siège. Mais, qu’il me fiche la paix, qu’ils me fichent tous la paix !
– Ouvre, sinon je casse la vitre !
– Non !
Il se prenait pour qui ?
– Sophie, ouvre ! Je n’hésiterai pas à casser la vitre.
Mais, bien sûr, continu à me menacer comme ça j’aurais confiance. Il était dingue ou quoi ? Je relevais la tête. Il avait le front appuyer contre la vitre et son inquiétude était visible.
– Sophie, mon ange, ouvre-moi s’il te plaît !
Je ne sais pas si c’est d’entendre ce doux surnom, la voix qu’il avait ou le s’il te plaît que je ne lui avais jamais entendu dire. Les yeux noirs étaient suppliants. Il restait là à me regarder. Je déverrouillais la porte sans plus réfléchir. Il entra, ne dit rien, me prit contre lui en soupirant.
– Tu m’as fait une peur bleue. J’ai cru, j’ai cru…
J’étais dans ses bras, il me serrait contre lui, m’embrassant les cheveux. Il ne disait plus rien, mais ne desserrait pas son étreinte. Mon corps me trahissait en se détendant contre lui. J’étais furieuse une seconde plus tôt et maintenant, je restais sans rien dire, blottie contre lui. Je suis d’une logique sans faille.
Au bout long d’un moment, il souffla à mon oreille.
– Tu veux bien rentrer à la maison, je sais que c’est difficile à accepter, tu sais, partir n’est pas la bonne solution. Théa est morte d’inquiétude.
Je ne l’écoutais qu’à moitié parce que ma petite voix faisait un vacarme de tous les diables dans ma tête, trop heureuse de retrouver son, mon vampire. Elle faisait des cabrioles l’idiote et hurlait, tu vois il tient à toi. Mais bien sûr… Elle refusait de se taire et c’est elle plutôt que moi qui répondis
– C’est juste que…
– C’est difficile à avaler, finit-il à ma place
– Mouais et pas qu’un peu.
Il me serra plus fort.
– La vérité n’est pas toujours le mieux.
– Mais elle est préférable.
– Pas toujours, crois-moi, pas toujours.
Il ne dit plus rien. Je tentais de donner un ordre dans tout ça. Je ne sais pas combien de temps passa avant qu’il ne demande :
– Tu préfères renter en voiture ou que je te ramène ?
Là, sa question était bizarre, je relevais la tête.
– Je vais te révéler un secret de plus, je ne sais pas conduire. Alors, soit tu laisses ta voiture ici et je te porte pour rentrer, soit si tu n’es pas trop fatiguée, tu conduis pour nous ramener.
Il me fit une grimace penaude et j’éclatais de rire. Ho, bon sang que ce rire me fit du bien.
– Je ne le dirai à personne. Promis ! Sauf que je ne sais pas du tout où nous sommes, je me suis perdue.
– À dix minutes de la maison à peine je te guiderais.
Ok, j’avais donc tourné en rond et je n’étais pas allée loin. J’avais raté ma fuite, bravo, bien joué ! Note à moi-même faire des plans avant de fuir.
Une fois devant la maison, je me retrouvais dans des bras qui me serraient fort, à croire qu’il avait peur de me voir encore fuir. Il me faut avouer qu’une partie de moi y avait songé. La porte s’ouvrit sur une Théa livide et en pleurs, mon cœur se serra encore plus si c’était possible.
– C’est bon, je l’ai retrouvée et en un morceau
Le soupire que poussa Théa me fit me sentir mal, elle s’était vraiment inquiété. Je ne pus pas y réfléchir, j’étais déjà dans ma chambre où avec une infinie douceur il me posa sur mon lit.
– Tu veux boire ou manger quelque chose ?
– Un grand verre d’alcool, fort !
Je reçus un baiser sur le nez.
– Sale gamine, je reviens, je vais te chercher un de tes affreux cafés et de l’eau. Promets-moi de ne pas bouger.
Gamine ? Au fait, il avait quel âge ? Gamine possible du coup, je fis oui de la tête. Je n’avais de toute manière plus aucune force. Ma petite voix était toute triste à l’idée qu’il ne voyait en nous qu’une gamine et je me sentais réellement comme une gamine prise en faute. Papa inquiet de sa fifille qui avait fuguée, mais soulagé de l’avoir retrouvée et la mettant au lit, voilà l’impression qu’il me donnait.
Le café bu, il remonta les draps presque sous mon nez et me caressa encore les cheveux. Voilà, papa met sa petite fille au lit. J’avais envie de pleurer tellement cette impression me faisait sentir mal. Il resta là, attendant que je m’endorme tout en me chuchotant que j’étais ici chez moi et qu’il ferait tout pour que je m’y sente bien et en sécurité. J’avais envie de hurler merci papounet, mais je ne dis rien. La caresse de ses doigts dans mes cheveux était si douce que je m’endormis, épuisée.
C’est Théa qui me réveilla en fin de journée, je me sentais toujours fatiguée. Elle déposa sur mes genoux un plateau contenant deux tartines et une cafetière remplie à raz bord d’un breuvage noir qui sentait divinement bon.
– Je n’ai jamais connu quelqu’un qui boive autant de café. Je me suis dit qu’une tasse ne serait pas assez. Les tartines sont à la confiture de mûres, je n’ai pas trouvé celle aux myrtilles.
– Je l’ai finie, mais mûres, c’est bien aussi.
Ma voix était éraillée, ma gorge me faisait mal et même si je me sentais mieux, je redoutais le moment où il faudrait parler. Alors, je mangeais le plus lentement possible. Elle attendait que je finisse. J’en étais à ma quatrième tasse de café quand elle saisit le plateau.
– Je te laisse ton café et le temps de te lever. Après il faudra que l’on discute de cette horrible tendance que tu as à fuir.
Avant que je ne puisse lui répondre la porte se refermait sur elle. Et voilà, c’était ma faute. Ben voyons ! Et, puis la fuite, c’est bien. Moi j’aime bien.
Étrangement après ma crise de panique, je me sentais bien, fatiguée, épuisée, mais bien. En arrivant à la cuisine, je trouvais mon vampire et Théa, ils me scrutaient et j’allais faire demi-tour quand elle me prit dans ses bras en pleurant. Là, je me sentais coupable. Ah, flûte, je ne devrais pas, mais les larmes de Théa…
Je répondis à son étreinte. Bon, à première vue, mon amie avait eu peur.
– Mes côtes ne t’ont rien fait, lâchais-je.
– Tu nous as fait une sacrée peur, renifla Théa, alors tes côtes peuvent payer pour.
– Et si tu la laissais respirer ?
Je fus poussée dans le salon, assise sur le canapé à la même place qu’hier, sauf que là, en face de moi ils avaient l’air encore plus mal à l’aise.
– Bon, heu je commence, dit Théa.
– Attends, en premier, Sophie, je comprends, tu as dû faire face à quelque chose que, comment dire. Tu as dû accepter une réalité un peu différente. Je comprends ta réaction, mais je tiens à te prévenir que si tu fuis à nouveau…
Il ne lui manquait qu’une paire de lunettes et le doigt en l’air pour ressembler à monsieur Carron mon prof de math alors qu’il nous sermonnait. Stop, je devais me concentrer pour ne pas laisser mon esprit dériver.
– Je ne fuirais pas, il me fallait un peu de recul pour digérer et ma foi, paniquer un peu.
Ils levèrent les yeux au ciel.
– Bon d’accord, beaucoup. Mais, pour ma défense, j’ai été élevée dans la foi catholique et je ne suis pas croyante. Alors croire en…, en…, en ça…, en toi
Je levais les mains en signe de paix.
– Je veux dire que, enfin, c’est pas, non enfin, c’est beaucoup, enfin ça fait un choc, enfin non, pas un choc enfin, si.
Le retour des enfin en cascade, mais fermes là, Sophie, fermes là ! Je repris ma respiration, en soufflant un bon coup.
– Je veux bien croire que c’est vrai. J’ai des millions de questions, mais pour le moment, c’est le gros bordel dans ma tête. Je ne sais pas quelles révélations m’attendent encore et à vos têtes, il y en a. Je n’ai pas envie de tout entendre. Là, c’est déjà assez, je me sens déjà stupide. Vous vous rendez compte que pour moi, tu n’étais qu’un type agoraphobe avec quelques manières étrange et que je ne me suis pas posé plus de question. Une vraie idiote. Vous avez du bien rire.
Théa ne souriait pas, mais alors pas du tout et c’est avec un air presque sévère qu’elle me dit.
– Non, tu n’as pas été idiote, juste trop confiante et ne le prend pas comme un défaut. Pour moi, cette confiance n’a pas de prix. Écoute, je comprends que tout te dire d’un coup n’est pas la meilleure façon de faire. Même si ne plus avoir à te mentir serait pour moi, pour nous, une vraie délivrance. Alors, je te propose que tu prennes le temps de parler à Livius et à digérer déjà ce côté-là. Quand tu te sentiras prête viens me voir. Il n’y a aucune urgence, je tiens juste à tout te dire. Plus de mensonges ! Si je ne t’ai pas parlé avant, c’est par peur de te perdre, car je tiens beaucoup à toi. Quand on ne t’a pas trouvé hier, j’ai craint le pire. J’ai bien compris qu’il te fallait du temps, donc téléphone-moi quand tu veux. Promis ?
Je promettais, soulagée de ne pas avoir à faire face à plus ce soir. Elle partit avec timide au revoir. Je me retrouvais seule face à mon… face à un vampire. Que lui dire ? Plein de questions avaient tourné dans ma tête et là, je n’en trouvais pas une seule. Tout ce qui me venait me semblaient si stupide. Je ne trouvais rien à dire, je cherchais quand je m’entendis demander.
– Quand j’ai acheté la maison ai-je aussi acheté le vampire ?
Merde, je l’ai dit à voix haute. Moi qui faisais de l’ironie dans ma tête, pourquoi cette question-là justement. Mais quelle idiote, pauvre conne, tu n’avais rien de mieux à demander, franchement. Bravo Sophie, on sent que tu as bien pris le temps de réfléchir à ce qui était important de savoir. Non, parce que logique, il fallait commencer par…
Son rire interrompit mon autoflagellation. Il riait, à gorge déployée. Bon, au moins un qui était détendu lorsqu’il reprit son sérieux, il s’installa dans son fauteuil et en regardant le vide, il me dit :
– Je me suis réveillé pour trouver un mot sur un tableau noir. Je l’ai relu plusieurs fois. Je me suis demandé quel genre de créature pouvait croire aux fantômes. Par amusement, j’y ai répondu. Quelque temps plus tard, alors que je voulais te mettre dehors, je t’ai trouvé allongée sur ton lit de camp. Quand tu t’es retournée dans ton sommeil, tu avais une énorme bosse sur le front et un bleu que je voyais grandir. Tu semblais si fragile. Je me suis persuadé qu’après ça tu laisserais tomber. Tu es bien plus têtue que tu en l’air. Au fil des jours, je voyais ton travail et la maison renaître comme tu ne semblais pas troublée par mes notes j’ai pensé que tu savais que j’étais là. Et il y a eu cette nuit où je t’ai entendu tomber quand je suis sorti de la cave, tu convulsais.
Il fit un geste pour me faire taire alors que j’allais protester.
– Tu convulsais à ce moment-là. Il haussa les épaules en secouant la tête. Je ne sais pas pourquoi je t’ai fait boire de mon sang, juste un peu. Ajouta-t-il en me voyant grimacer. Je ne vais pas t’apprendre que le sang de vampire guérit.
– Ah, parce que c’est vrai ? Et, le reste ? Demandais-je.
– Attends, je répondrais à tout après. Laisse-moi finir que tu comprennes. Ensuite, il y a eu cette ordure qui s’en est pris à toi. C’est là que j’ai réalisé que je tenais à toi. Incroyable, je tenais à une humaine, maladroite, mal dans sa peau et terriblement naïve. Le comble pour un des miens, une vraie gageure. Impossible, me suis-je dit, mais si je suis honnête, je dois le reconnaître, je tiens à toi.
Je me renfrognais. Bon, d’accord il n’avait pas tout tort, mais pas besoin de le dire comme ça !
– Ne te vexe pas ! Dit-il en pointant un doigt vers moi. Tu ne vas pas me dire que tu ne l’es pas. Malgré cela, tu as éveillé le même sentiment chez Théa. Nous tenons à toi, une humaine.
Bon, il allait vraiment finir par me vexer. Il prononçait le mot humain comme moi, je dirais limace, avec un dégoût non feint.
– C’est bon, j’ai compris. Une humaine, idiote, maladroite et naïve. Sympa merci.
Il me souriait moqueur.
– Oui et à laquelle je tiens. Le jour où tu t’es fait agresser par ce connard. J’ai fini par comprendre que tu étais plus importante que je ne voulais l’admettre. Je pensais juste que je tenais à toi, car tu ramenais de la vie dans la mienne. C’est ce qui s’est passé ce jour-là qui m’a poussé à t’offrir le collier.
Je touchais le petit hibou en fronçant les sourcils.
– Pourquoi ? Il a quoi ce collier ?
Il y avait un truc qui allait me déplaire, parce qu’il passait sa main nerveusement dans ses cheveux et avait fermé les yeux. Ho, comme je ne la sentais pas la nouvelle révélation. Il me répondit enfin
– Il, enfin le hibou est mon emblème, je ne suis pas tout jeune, tu t’en doutes. C’était une tradition qui s’est perdue. Peu de jeune vampire choisissent un symbole. C’est surtout que… Ne te fâche pas d’accord. C’est juste un moyen d’indiquer…
Oui, d’indiquer quoi ? Mais bon sang accouche !
– Ton symbole autour de mon cou, ça veut dire quoi ?
Il prit une grande inspiration et lâcha :
– Il indique que tu m’appartiens aux autres vampires.
Ok bon. Là non, j’allais me mettre à hurler quand il continua très vite.
– Et pas qu’à eux, mais ce n’est pas ce que tu crois.
– Ouais et je crois quoi ? Demandais-je entre mes dents serrées.
– Théa l’a reconnu, tu t’en doutes.
– Oui et ?
– Elle n’est pas la seule.
Oh, mais j’allais le découper en morceau s’il ne finissait pas très vite son explication. Je bouillais de rage.
– C’est le moyen que j’ai trouvé pour te protéger, c’est tout !
– Me protéger de quoi ? Les vampires sortent la nuit et la nuit, je suis ici ou avec du monde.
– Pas que des vampires. Sophie, Théa n’est pas humaine et vit le jour et elle n’est pas la seule ici.
Bon, de ce point de vue-là, je pouvais comprendre, pas en être contente, mais comprendre. Même si cette explication pas franche me faisait sentir encore plus idiote qu’avant. Théa n’était pas humaine et qui d’autre ? Et, puis si c’était son symbole alors…
– Pourquoi m’as-tu dit que Carata ne l’avait jamais porté si c’est une protection ?
– Elle n’en avait pas besoin, elle était vampire.
La réponse avait fusé et je me sentis stupide d’avoir posé cette question et encore plus de la pointe de jalousie que j’avais ressenti en apprenant qu’il avait une compagne. Reviens à la réalité, déjà qu’elle n’est plus vraiment ce que tu connaissais, concentre-toi sur l’important.
– Et moi, j’en ai besoin, car je ne suis qu’une petite humaine idiote.
– Non, toi, tu en as besoin parce que je tiens à toi, toute humaine que tu sois.
Je haussais les épaules, agacée.
– Je peux toujours l’enlever !
Il fronça le nez et ses dents sortirent. Oups…
– Non, tu ne peux pas.
Il le dit dans un grognement et de rage, je glissais mes mains dans ma nuque pour ouvrir le collier. Sauf que je ne trouvais pas le fermoir. Mes yeux s’arrondirent alors que je le fixais.
– Vieille magie, dit-il.
Là, il avait l’air de ce qu’il était, loin de mon fantôme agoraphobe, il se rapprochait bien plus du prédateur. Je tremblais, il s’en aperçut et soupira.
– Écoute, je te l’enlèverai dans quelque temps, si tu y tiens. Il ne t’oblige à rien !
Donc bonne nouvelle, on pouvait l’enlever.
– Mais tu penses que j’en ai besoin, soufflais-je
Il ne répondit pas.
– Garde-le, le temps de trouver toute la vérité.
Ce n’était pas un ordre plus une demande. Je triturais le hibou. La pauvre humaine que j’étais, avait-elle besoin de protection ? Il semblerait bien que oui. De la sienne ? Et, contre qui ? D’autres vampires, des loups et quoi d’autres ? Je sentais la panique revenir. Il me fallut de longues minutes pour la calmer et pouvoir répondre.
– D’accord, pour le moment je le garde.
Un soupir de soulagement me répondit. Je continuais.
– Vampires, loup et quoi d’autre ?
Tant qu’à faire autant me foutre la trouille du siècle d’un coup, me soufflait mon énervante petite voix. Tant qu’à faire…
– Un peu de tout.
Ok, on n’allait pas loin avec une telle révélation. Un peu de tout donc…
– Théa est mieux placée que moi pour te répondre. Je ne sors plus assez.
Vu comme ça, il n’avait pas tort. Je demandais sans grand espoir.
– Et Théa est ?
– Une ondine, elle t’expliquera ce qu’elle est mieux que moi.
Je relevais la tête d’un coup, j’étais certaine qu’il ne répondrait pas.
– Plus de mensonges ! J’ai promis !
Bon, plus de mensonge et des réponses, allez Sophie pose tes questions. Courage, par où commencer ?
– Parle-moi des tiens ? Des vampires.
– Pas grand-chose à dire, on se nourrit du sang, pas forcément humain.
Là, j’étais intriguée.
– Nous avons besoin de sang, mais du sang reste du sang. Le goût change et celui des humains est meilleur. Je ne vais pas te mentir, il apporte plus d’énergie et calme notre faim plus longtemps, mais nous pouvons boire du sang animal. Nous vivons la nuit et dormons le jour, ça reste vrai.
– Pourquoi reste ?
– Nous ne brûlons pas comme une torche au soleil. Disons que c’est plus comme des coups de soleil qui nous affaiblissent, mais les plus vieux résistent à cette brûlure et peuvent passer plusieurs heures au soleil, toutefois nous préférons la nuit.
– Vous vivez très vieux ?
– Sans accident oui. Il y a peu des nôtres qui vivent des milliers d’années entre les morts violentes et une sorte de dépression, d’ennui qui fait que beaucoup se laissent mourir au bout d’un moment. Notre nombre reste assez stable. Le temps passant, l’immortalité perd de son attrait.
Il disait ça d’un ton si désabusé que je compris qu’il avait dû ressentir cet ennui.
– Tu es vieux à ce point ?
– Je suis vieux.
– Et moi une gamine, marmonnais-je. Tu as dit qu’ils se laissaient mourir ? Comment ?
– Contrairement aux idées reçues nous ne sommes pas des cadavres ambulants, c’est plus comme une mutation. Voilà pourquoi nous avons besoin de sang, il nous apporte vitamines et nutriments sans avoir à digérer. Je ne connais pas tout le processus, mais certains des nôtres sont devenus des experts. La plupart n’y songent même pas.
– Donc pour vous laisser mourir, vous ne vous nourrissez plus ?
– Tu as compris. Nous arrêtons de nous nourrir, c’est souvent la mort que choisissent les plus vieux. Le seul problème, c’est le temps que prend ce mode de suicide. Rester au soleil ou se faire tuer est bien plus simple, en cessant de manger, nous nous momifions petit à petit, mais restons conscient et vivant pendant ce temps.
Ma petite voix et moi n’avions pas envie d’en entendre plus, on était un peu dégoûtées. Il dut le sentir, car il se leva pour prendre mon visage dans ses mains. Au moment où il commença sa phrase des coups violents se firent entendre. Je sursautais lorsque la porte claqua contre le mur et où Ada folle furieuse déboulait dans le salon en hurlant :
– Lâchez-la !
Il m’embrassa le bout du nez avant de se redresser en disant.
– Tu voulais que ça aille doucement que tu puisses digérer les révélations les unes après les autres, désolé, je crains que tout sorte ce soir.
Ada interloquée nous regardait tour à tour en demandant.
– Qu’est-ce que ça veut dire ?
– Que Livius, ici présent m’a avoué être un vampire que Théa est une ondine et…
Je faisais un geste vague de la main. Ada avait blêmi.
– Alors tu sais que je suis une louve !
Ha ben non, ça pas, mais bon, allez je n’étais plus à ça prêt. Et, hop, une vérité de plus.
– Théa n’avait rien dit. Lui répondit Livius.
Je me levais sans plus faire attention au vampire moqueur et à la louve blême. Je fonçais sur le bar, en sortis une bouteille et en avala de grandes gorgées directement au goulot. Finalement, une gueule de bois me semblait aller dans le sens de cette nuit.
Ada me l’arracha des mains, me prit dans ses bras et gémit.
– Je voulais te le dire, mais je n’ai jamais trouvé le bon moment et puis c’est pas facile comme aveu.
– Suis plus à ça prêt, lui répondis-je.
– Et puis la vérité, c’est bien.
Oui, bien sûr, faut juste l’avaler. Elle renifla contre mon épaule et me lâcha. Je repris la bouteille et me rassis. Voilà quoi faire d’autre ? Qu’est-ce qui allait encore me tomber sur la tête ?
– Il y a quelqu’un en ville de normal ? Enfin d’humain à part moi ?
Ada secoua la tête, non
– Pas beaucoup et la plupart savent ce qui se passe. Et, il y a James, il est sorcier, c’est presque comme un humain.
À la bonne heure, je bossais pour l’être qui se rapprochait le plus d’un humain. Youpi, non, je ne suis pas sarcastique ! D’accord, un peu et pendant qu’on y est…
– Et les touristes ?
– Moitié-moitié, dit Ada.
Prévisible, allez une gorgée pour Sophie et une grosse.
– Au fait, qu’est-ce que tu fais là ?
– Je viens de rentrer et j’ai appris que tu étais malade. Je venais voir comment tu allais.
– Moi pas encore malade, demain oui, mais pas encore, marmonnais-je le nez dans ma bouteille.
Ma bouteille disparut, pouf, envolée. Je croisais le regard sévère du vampire-colocataire-protecteur et papa à ses heures. Je tentais de la rattraper, mais purée qu’il était rapide. Je ne demandais même pas son retour, à la bouteille pas au vieux truc et je filais m’en prendre une autre. Na ! Je fus soulevée sans ménagement et jetée sur le canapé. C’est pas drôle un vampire.
– Tu as assez bu. Tu vas avoir une belle gueule de bois demain.
– Bah, c’est mieux que de réfléchir, je peux fuir si c’est ça.
Ça grognait, pas que le truc à dent longue, Ada aussi, pas drôle.
J’étais assise et je boudais. C’était mon droit ! Je boudais si je voulais. Honnêtement, j’avais trop bu et la fatigue me tombait dessus. Tout me tomba dessus et je me mis à pleurer. Papa-vampire me souleva et me mit au lit en me grondant. Ada me fit un gros bisou sur le front et le lit se mit à tanguer dangereusement. Alcool et mer déchaînée ne sont pas un bon mélange. Je ne les loupais ni l’un ni l’autre quand je vomis. Bon, tire ! Hurla ma petite voix dans ma tête. Après tout devint flou.
Dire que j’avais la gueule de bois était bien en dessous de ce que je ressentais. Je n’arrivais à me lever qu’au troisième essai. Il me fallait d’urgence un café et un cachet. Oh, surprise, je trouvais à la cuisine Ada et Théa assises sagement qui devaient attendre que ma majesté se lève. Enfin, majesté des poubelles serait plus juste, vu comment je me sentais.
Une tasse apparu son mon nez et une main charitable me tendit un cachet. Ouf, sauvée ! Je tombais plus que je m’asseyais. Deux bouchent grimaçaient un sourire en face de moi, elles ne dirent rien me laissant retrouver le peu de dignité qu’il me restait. Théa fut la première à se lâcher.
– Il semblerait que tu aies un moyen de défense efficace !
Ses yeux pétillaient et elle faisait de gros effort pour se retenir de rire. Ada avait l’air moins joyeuse.
– La petite humaine fait ce qu’elle peut.
– Et ça marche, fit-elle dans un éclat de rire, en tout cas ça a marqué !
Son rire raisonnait dans ma tête. Mince, j’allais passer une journée de merde. Je frottais mes yeux sous le regard goguenard d’Ada.
– Vas-y moque-toi !
– Même pas, tu es assez punie et c’est en partie notre faute, tu as beaucoup à digérer.
Elle était super sérieuse alors que l’autre était rayonnante.
– Et si on passait une fin de journée tranquille, sans rien de…
– Il va falloir parler, grimaça Ada.
– On parlera…
Mais, pas aujourd’hui, ni demain. J’allais tout faire pour.
Chapitre 13
Je pris encore deux jours de repos, refusant toutes discussions avec mes amies. J’en avais assez à digérer et toute information complémentaire n’était pas la bienvenue. Je voulais retrouver mon calme et ma petite vie.
Rappelez-vous je suis venue ici pour recommencer une vie tranquille loin des drames ! Pas pour ce bordel sans nom.
Mon retour à la librairie fut un vrai bonheur, retour à la normal me disais-je. Bon, pas tout à fait, je regardais les habitants différemment, ce que j’avais mis dans les différences entre l’Europe et les USA, se transformait en différence entre humain et, et quoi d’ailleurs ? Une partie de moi refusait de savoir, l’autre tentait de deviner.
J’étais mal dans ma peau et Théa me rendait folle. Son besoin de tout me révéler, alors qu’elle avait promis d’attendre, la rendait nerveuse, explosive même. Autant Ada était devenue calme et attentive à ne pas me mettre mal à l’aise, autant Théa ressemblait à une boule magique qui rebondissait partout. Quant à papa-vampire, lui restait sombre, discret et horriblement paternel.
Je me raccrochais à mes habitudes. Tout va bien dans le meilleur des mondes ! Viendrait le temps où je devrais ouvrir un peu plus la porte de cette nouvelle vie, pour le moment je m’accrochais comme je pouvais. Vous pouvez en penser ce que vous voulez, tout ce que je voulais, c’était rester dans l’ignorance, encore un peu.
C’est le dimanche que je compris qu’il n’y aurait pas de retour possible et que tout avait bel et bien changé. Lorsque j’arrivais chez Suzanne et qu’au lieu d’être accueillis par toute une troupe, je me retrouvais seule avec Ada. Suzanne me prit dans ses bras, me collant au passage ces habituelles énormes bises, puis me serrant toujours contre elle, elle me dit :
– Je suis tellement heureuse que tu sois restée. La plupart des humains fuient quand ils nous découvrent alors pour te laisser un peu respirer, Judicaël a décidé que tu n’avais pas besoin d’entendre plus et que nous reprendrions les repas une fois que tu te sentiras vraiment à l’aise.
À ce que je comprenais, on me chouchoutait encore plus. Je n’avais pas super bien réagi, alors on me laissait un peu d’air, mais j’étais toujours là et pour mes amis, ça faisait toute la différence. De l’air, j’allais en avoir besoin et de beaucoup…
Un jour monsieur Andersen décida qu’il était temps pour moi d’arrêter de faire l’autruche. Il posa devant mon nez un livre duquel dépassait des marques pages.
– J’ai indiqué les noms de tes connaissances et leurs clans. Je pense qu’il est temps pour toi, d’arrêter de te cacher.
Ben, non, je trouvais mon attitude plutôt agréable, ne pas se prendre la tête, ne rien vouloir savoir, rester zen et tranquille. Je ne vois rien, je ne sais rien, mon nouveau mantra ! Qui ne semblait ne convenir qu’à moi.
– Au moins fait le pour Théa ! Elle va devenir folle si elle doit encore se taire.
Là, il n’avait pas tort, elle virait sur les nerfs. Elle allait finir par exploser et me coincer pour tout me dire d’un coup. Je me massais les tempes en soupirant. Ils allaient tous me rendre dingue à force.
– Allez le plus dur est fait. Tu as accepté que le monde n’est pas tel que tu le pensais, le reste n’est que des détails, ne joue pas à la gamine.
Oulà, il m’avait vexée. Déjà que tout le monde me maternait, lui hors de question ! Je relevais la tête et il me fit un clin d’œil. Il savait qu’il avait tapé juste !
– Leur vie est bien plus longue que la nôtre, nous ne sommes que des enfants pour eux.
Vu l’âge de mon patron, je ne devais même pas être sortie du berceau. Je fis oui de la tête, mais plutôt que de découvrir dans un livre la vérité, j’envoyais un message à Théa pour l’inviter à la maison.
Elle n’était pas survoltée en arrivant, c’était bien pire. Nous avons parlé une bonne partie de la nuit. Elle est une ondine, ça je le savais, particularité de son clan dont, heureusement, elle est la seule représentante ici, noyer gaiement les jeunes filles. Si, si elle a dit gaiement !
Elle me précisa à plusieurs reprises que moi, elle n’avait pas envie de me noyer, une chance pour moi, un vrai coup de bol ! Ça expliquait ses nombreuses remarques sur le fait que j’étais sa première amie femme, souffla ma petite voix.
Au fil de la soirée, je me rendis compte que c’était surtout de me dire qu’elle ne me voulait pas de mal qui lui tenait à cœur, puisqu’elle ne répondait pas à la moitié de mes questions dont une qui me titillait : son âge.
– Je suis plus vieille que j’en ai l’air et pour te donner une idée, je suis presque aussi vieille que LUI Oui, parce que depuis la révélation de la nature de mon colocataire, elle en parlait en disant LUI.
Je ne savais pas trop quoi penser. Oh, j’étais heureuse de n’avoir provoqué aucune envie de meurtre chez mon amie, mais avoir une tueuse comme amie, est-ce bien raisonnable ?
Je compris l’importance de cette révélation quand, alors qu’elle me redisait combien elle était contente de ne pas avoir envie de me noyer, papa aux dents longues fit son apparition. Il avait entendu la fin de la conversation et fixait Théa les sourcils froncés.
– Pas envie ? Tu veux dire que tu te contrôles ?
– Mais non, explosa-t-elle, pas envie ! L’idée ne m’a même pas traversé la tête ! Au début, je me suis dit que je l’aimais bien et que l’envie me prendrait plus tard. C’est déjà arrivé et puis une humaine de plus ou de moins. Mais, non, rien n’est venu même pas quand nous nous sommes baignées ensemble !
J’appris une nouvelle chose : un vampire, ça peut blêmir
– Baignées ensemble ?
Il avait la voix aussi blanche que le teint.
– Oui, tu te rends compte. Même pas là !
– Sophie, on ne se baigne pas avec une ondine !
– Mais si elle peut avec moi, insista Théa. Et j’adore ça !
Elle était à nouveau montée sur ressort et sautillait de joie devant un Livius transformé en statue. Je fis une mini crise de panique quand j’assimilais qu’une ondine, une humaine et une baignade…
Ha, non, c’était pas une bonne idée. Puis ma petite voix se mit à se marrer, un peu tard pour s’en inquiéter. Mouais, elle n’avait pas tort. La statue blanchounette debout devant Théa due en conclure la même chose et se remit à parler.
– Et comment tu expliques ça ? Tu as perdu ton besoin de tuer ?
– Oh non, je dois éviter de trop traîner avec Ada, si Sophie n’est pas là, je suis tentée. Je dois vraiment faire attention parce que les loups, c’est pas comme les vampires, ça ne ressort pas de l’eau quand on les noie et je ne pense pas que Sophie me le pardonne, alors je gère.
Elle finit sa phrase en baissant la tête alors que lui levait les yeux au ciel. Pensez à prévenir Ada de ne pas traîner avec l’autre folle dingue. Quoi qu’elle dût être au courant ainsi que toute la ville ; ce qui expliquait les regards de travers de Suzanne…
La tueuse rousse se tourna vers moi.
– C’est ma nature, je lutte contre mais c’est ma nature et en ville, on me craint un peu, je me suis laissé emporter parfois. La ville borde le lac alors… Toi, tu ne risques rien, je te le promets ! Jamais je ne te ferais de mal !
Elle avait les yeux suppliants. Elle se tenait debout devant moi. Je crois qu’elle venait de se rendre compte de ce que je pouvais ressentir. Théa était une tueuse, mon colocataire probablement aussi. Mais, qu’est-ce que je foutais là au milieu ? Je lorgnais du côté du bar quand un non, sec fusa. Mince repérée, il ne m’avait pas vraiment pardonné de lui avoir vomi dessus. Ma petite voix se marrait au souvenir et Théa le regarda, étonnée.
– Ton amie ne supporte pas bien l’alcool. Dit-il. Demande à Ada !
Oui, bon une fois, juste une où j’ai un peu abusé faut pas non plus en faire un drame.
– J’avais de bonnes raisons. Fis-je en levant le menton.
Théa se marra, lui pas. Je souris. Sale gamine disait les yeux noirs, ceux de Théa passaient de l’un à l’autre, elle se retenait de commenter, c’était visible.
J’en rajoutais, j’en étais consciente, mais que pouvais-je faire d’autre ? Comme j’étais bien décidée à ne pas me rendre malade des révélations qui me tombaient dessus, énerver papa-vampire m’offrait une diversion. Je lui tirais donc la langue et proposait à Théa une fin de soirée plus tranquille devant la télévision.
Pour faire râler mon copropriétaire, je proposais Buffy. Théa ne connaissant pas, elle fut un amour d’amie en disant oui, malgré le commentaire désagréable qui tomba du fauteuil et elle fut encore plus une alliée quand elle trouva Angel super sexy et se mit à baver dessus au grand dam du vrai vampire du coin.
Et ce fut ma vie. Faire enrager le vieux vampire pas drôle, voir Théa rire de toutes ses dents, rayonnante et profiter du calme relatif d’Ada. Et oui, à côté de la bombe rousse, ma grande brune semblait calme, c’est dire. Je profitais de chaque instant où nous n’étions que tous les deux, Théa prenant de plus en plus de place. Ada comprenait et trouvait drôle de me voir suivie par une ombre rousse qui regardait presque tout le monde de travers, enfin tous ceux qui m’approchaient. Je le supportais sans peine, j’avais compris que l’amitié d’Ada et de Théa m’avait évité bien des ennuis. Depuis l’été, le collier visible à mon cou complétait mes gardes du corps.
À mon arrivée, on me regardait de travers, car j’étais nouvelle, aujourd’hui on me regardait de travers à cause de mes fréquentations. Rien ne changeait vraiment et ça me convenait parfaitement !
Je posais peu de question, le livre de monsieur Andersen trônait sur ma table de nuit, mais je ne l’avais pas ouvert, je ne me sentais pas prête à franchir une nouvelle étape.
Je finis par éviter mon vampire, me conduire comme une idiote pour le faire râler avait perdu de son charme. Je redoutais l’arrivée de l’hiver et de ses longues nuits où il serait plus difficile de ne faire que le croiser. Mon comportement avec lui posait problème à Ada mais faisait marrer Théa. Je n’y pouvais rien, me faire traiter de gamine ne me donnait que l’envie d’en être une.
L’été s’étira, rempli de sortie entre fille, de repas en petit comité et de rien de neuf en fait. J’arrivais presque, à occulter les révélations.
C’est l’arrivée de l’automne qui provoqua chez moi une réaction, mais pas celle que tout le monde attendait. Plus la date de la fête de la ville approchait, plus je montais sur les nerfs ne supportant plus rien. Je refusais toute sortie et passais mes soirées enfermées dans ma chambre. Je revivais mon agression presque chaque nuit, provoquant l’arrivée en mode ouragan d’un papa-vampire inquiet et consolant. Moi qui pensais avoir bien géré…
La date se rapprochant, Ada était venue m’assurer que rien ne m’arriverait, que je ne serais jamais seule, qu’elle ne me lâcherait pas de la journée, ni de la soirée et pour une fois Théa était silencieuse, elle devait toujours s’en vouloir.
Le jour dit, je ne fus effectivement pas une minute seule, Suzanne tint le stand de tarte avec moi, ce qui nous prit la journée. Ada passait régulièrement voir comment je me sentais et Théa avait installé son stand en face des tartes. J’étais sous haute surveillance. Néanmoins, je voyais David partout. Je me décidais à demander à Suzanne si elle savait où il était.
– Non, personne ne l’a vu partir de la ville. Vu ce qu’il t’a fait, personne n’a pris la peine d’aller le voir à la clinique.
Elle renifla méprisante et ne dit rien de plus. Plus tard dans la journée, je reposais la question à Ada.
– Il a été banni, je pensais que tu le savais, David avait passé outre les ordres de Judicaël, notre chef de clan. On ne pardonne pas la désobéissance.
– Les ordres ?
– Tu as la protection de Suzanne, elle t’adore et ce que Suzanne veut…
Et, hop, encore un garde du corps, mais combien en avais-je ? Je soupirais, le savoir banni et hors de la ville ne calma pas vraiment mon angoisse. La ville accueillait plein de touristes en cette période, il pouvait se glisser parmi eux. Mais au moins, il ne se montrerait pas devant Ada. Plus l’heure du feu d’artifice approchait, plus je paniquais.
Théa avait tenu à s’installer sur le même banc, pour exorciser, avait-elle dit. Ça ne marchait pas. Franchement, je n’arrivais ni à me détendre, ni à profiter des feux. Je me dandinais sans cesse sur le banc, c’est là qu’elle murmura à mon oreille.
– Je t’assure qu’il ne reviendra plus.
Sa voix était sèche et assurée. D’un coup deux fils dans mon cerveau se connectèrent et je la fixais.
– Quoi ? Il s’en était pris à toi et je n’avais tué personne depuis un moment alors lui…
Elle haussa les épaules et se remit à manger sa glace. Ben oui quoi, semblait-elle dire, je suis ce que je suis et lui ne méritait rien de mieux, que du normal. Je ne sais pas comment expliquer ce que j’ai ressenti. C’était un mélange de soulagement et d’ahurissement, un peu de peur aussi de la voir si calme. Elle avait tué un méchant qui selon elle le méritait amplement et puis ça lui avait fait du bien de se lâcher un peu. On allait pas en faire une maladie. Si un peu quand même, un peu beaucoup même. Non ?
– Tu l’as eu avant nous, s’étonna Ada. Tu as été rapide !
Ha ben non, Stop une minute hein ? Quoi ?
– Je ne voulais pas vous le laisser, s’excusa Théa.
Ben voyons, tout est normal !
– Je te comprends, répondit Ada.
Ben pas moi, je les écoutais l’air complètement effaré et j’assimilais que mes amies ne collaient pas vraiment avec l’image que j’avais eu d’elles. Normal, tout est normal… Mouais non, rien n’est normal. Je me pinçais l’arête du nez.
– Allez, ne prend pas les choses comme ça. Au moins tu es tranquille, il ne reviendra pas.
– Et personne n’osera plus t’approcher, ricana Ada.
– Comment ça plus personne n’osera m’approcher ? Couinais-je.
Ada désigna la petite rousse qui regardait sa glace comme si elle était l’objet le plus important au monde.
– Disons que notre amie a sa petite réputation, mais elle ne s’était jamais prise à un loup, on est plutôt coriace.
– Et ? Demandais-je effarée.
– Et quand sa réaction, on dira ça comme ça, sera su même les loups éviteront de se la mettre à dos.
Je fixais incrédule la petite rousse qui se la jouait timide sauf que dans ses yeux luisait une lueur de fierté non dissimulée. Rappelle-toi Sophie, tout est normal.
– Elle ne risque pas d’ennui ?
– Notre justice est un peu plus expéditive que la vôtre, expliqua Ada en haussant les épaules.
– Oui, juste un peu plus.
– Ce que tu dois comprendre, reprit Ada, c’est que nous ne sommes pas de gentils nounours. Nos règles sont strictes et la mort fait partie de notre nature.
– Si nous vivons plus ou moins en paix, c’est parce que nous ne laissons rien passer. Continua Théa, nos guerres ne sont pas si lointaines.
– Donc si je résume, David a désobéi à un ordre de son chef de clan et méritait la mort pour ça ?
– Oh non, fit Théa. Il méritait la mort parce qu’il s’en était pris à toi et que j’avais été clair, tu es mon amie.
Je fermais les yeux un instant. Elle disait ça si calmement.
– Il avait été banni pour avoir désobéi ce qui a permis à Théa de te faire justice sans crainte de représailles des loups.
Ben voyons, soyons clair, on ne tue pas n’importe comment ! Au secours !
– Et s’il n’avait pas été banni ?
– Je ne risquais rien, je sais faire disparaître les preuves.
Elle disait ça avec un mouvement négligeant de la main et un haussement d’épaule.
– Les règles des autres clans, je m’en fiche.
Et, c’était clairement ce qu’elle pensait, pas le moindre remords, pas la moindre émotion. Il le méritait et que les autres soient ou pas d’accord, elle s’en moquait totalement. Ma petite voix me souffla que finalement, il valait mieux avoir une psychopathe comme amie et protectrice que de figurer à son tableau de chasse. Mouais, vu comme ça, en effet.
On ne parla plus jamais de David. Je pus constater que la nouvelle du jugement de Théa était connue par le discret, mais réel vide qui s’était fait autour de moi.
Nous évitions de parler de meurtre commis par l’une ou l’autre de mes amies. Parce que oui, je les considérais toujours comme mes amies et je ne me sentais pas mal à l’aise en leur présence, ce qui restait incroyable pour une partie de moi, enfin, tant qu’elles évitaient de parler de chasse, noyade ou autres habitudes de leurs clans. Là, j’avoue que mon côté petite humaine fragile ressortait. Elles se taisaient net dès que je me mettais à grimacer. Elles étaient adorables avec moi.
J’avoue que je supportais bien mieux leur protection que celle du truc à dent longue à la maison. Lui me rendait folle, si à chaque cauchemar il débarquait dans ma chambre pour me rassurer, il se montrait si distant le reste du temps que je n’arrivais plus trop à le cerner.
J’avais fini par demander à Théa ce qu’elle en pensait, elle tapota mon collier et me dit :
– Il tient beaucoup plus à toi qu’il ne veut l’admettre et tu es si jeune. Là-dessus, on se ressemble, lui et moi. L’idée de te survivre n’est pas des plus agréables. C’est pour cela qu’il se protège, moi, au contraire, j’ai décidé d’en profiter à fond.
Et elle me claqua deux bisous sur la joue. Franchement, je fus surprise qu’elle ne les pince pas. J’allais finir par me promener avec un biberon avec ces deux-là.
Noël me prouva qu’elle avait raison. J’avais refusé de me rendre chez Suzanne pour le passer tranquillement à la maison avec Théa. Ada et son oncle avaient choisi de se joindre à nous et avaient embarqué monsieur Andersen. Après le repas, Théa alla déterrer Livius qui finit la soirée avec nous, gros effort de sa part, pour me faire plaisir avait-il grommelé. Mon petit monde se limitait à moins de dix personnes. C’était amplement suffisant ! Surtout quand on connaît les personnes.
Pour nouvel an par contre, je fus traînée par deux furies dans la ville voisine. Une nouvelle boîte avait ouvert et elles voulaient y passer la soirée. C’est en traînant les pieds que j’y allais, poussée par les deux folles. Alors que mes amies se déhanchaient, j’incrustais la forme de mes fesses sur un siège du bar.
La soirée allait être longue cependant elles ne me lâchaient pas des yeux et venaient régulièrement s’assurer que j’allais bien et n’avais besoin de rien. Partir n’étant pas une option, je noyais cette envie sans grande conviction dans les cocktails. À chaque fois qu’on m’approchait, hommes ou femmes, je voyais rappliquer en vitesse non pas une mais mes deux gardes du corps. Du coup je discutais avec le barman qui, intrigué par le comportement des deux dingues, m’avait posé des questions. Il compatissait, mais trouvait la situation hilarante, pas moi. La soirée n’en finissait pas. Je sais qu’elles n’avaient que de bonnes intentions, mais, franchement, si je n’avais pas autant bu, j’aurais piqué la voiture pour rentrer.
Aux douze coups de minuit mes joues furent mal menées par les deux cinglées et alors que mon voisin de bar se tournait vers moi pour m’embrasser comme tout le monde. le barman tendit la main pour l’en empêcher sans que je comprenne pourquoi. Son geste n’avait pas été assez rapide et l’homme qui m’avait à peine touché le bras, hurla et regarda sa main d’un air étonné. Elle était recouverte de cloques. Je restais figée en la regardant et j’hallucinais, les cloques guérissaient rapidement puis je levais les yeux vers l’homme qui semblait aussi perdu que moi et je constatais que ses canines étaient sorties. Mon voisin de bar était un vampire. Je ne pus pas réfléchir plus longtemps.
– Voilà qui est intéressant, dit une voix derrière moi. Il y a longtemps que je n’en avais pas vu.
Je me retournais surprise. En face de moi, se trouvait un homme d’une cinquantaine d’années, grand, mince, les cheveux aussi noirs que ceux de Livius et des yeux d’un bleu profond.
– Vous permettez que je regarde de plus près ?
Il montrait mon pendentif du doigt avant que je puisse répondre mes deux gardes du corps réapparaissaient. Il leva les mains et sans se démonter dit :
– Allons, on se calme ! Geraldo Conti, se présenta-t-il, je suis le propriétaire, je suis bien intrigué par la présence d’une humaine accompagnée d’une louve et d’une ondine dans mon repaire. Si nous allions au calme ? Je suis dévoré de curiosité.
Il leur fit un clin d’œil et me fit signe de la main de le suivre. Là, j’avoue, je n’ai pas tout compris quand Ada siffla d’admiration et que Théa se mit à glousser. C’est qui lui ? Et entendre glousser Théa était, comment dire, tellement incongru que j’en restais sans voix. Je me levais un peu mal à l’aise et alors que mes deux amies me poussaient, je traînais des pieds en suivant le curieux qui nous mena dans une alcôve un peu à l’écart, commanda du champagne et resta un long moment à fixer mon collier.
– Alors comment une humaine a-t-elle pu finir dans un bar ouvert pour les autres espèces ?
J’indiquais du doigt les deux nanas qui m’accompagnait.
– Je vois et avec de telles accompagnatrices, vous ne risquiez pas grand-chose, encore plus avec ceci.
Il pointait un doigt vers le pendentif.
– Je suis heureux de savoir que Livius est sorti de sa quarantaine. Comment va ce vieil emmerdeur ?
Ses yeux avaient quitté le hibou pour se planter dans les miens et milles questions semblaient y tourner.
– Égal à lui-même, répondit à ma place Théa. Rigide, têtu et associable.
Il se tourna vers elle, mais pointa un doigt sur moi.
– Et comment expliques-tu ceci ?
Elle haussa les épaules.
– Disons qu’avec Sophie les choses ne s’expliquent pas vraiment.
– C’est peu dire, compléta Ada.
Un long moment passa, lui réfléchissait à ce qui venait d’être dit. Ada et Théa sirotaient tranquillement leur champagne et moi, comme d’habitude, je nageais. Rien de neuf, je le reconnais. Un jour, j’arriverai peut-être à ne pas me sentir complètement larguée. Bha non, je n’y croyais même pas.
– Ce qui m’étonne le plus après le collier, c’est votre comportement à toutes les deux. Mon barman m’a signalé que vous étiez arrivées toutes trois ensembles et que vous deux, ne lâchiez pas des yeux cette demoiselle.
– C’est une amie, firent-elles en cœur.
Là, je dois dire que sa tête faillit me faire éclater de rire. Pour une fois, je n’étais pas la seule complètement larguée.
– Comme je te l’ai déjà dit, avec Sophie les choses ne s’expliquent pas vraiment.
Le sourire de Théa était moqueur et se tournant vers moi elle compléta.
– Mais on aime ça, c’est différent.
Mouais était-ce moi qui étais différente ou elles ? La question se posait non ? En tout cas pour moi, elles l’étaient. Ils étaient tous étranges et différents et les deux rayons laser qui sortaient des yeux de notre hôte et qui me passaient au crible pour comprendre, me le prouvait.
Je voyais bien qu’il n’arrivait pas à comprendre ce que j’avais de spécial, comme moi non plus, je ne voyais pas, je me contentais de siroter doucement, très doucement mon verre. Ces longues pauses silencieuses ne semblaient pas déranger mes amies, pour moi, c’était un supplice tant j’étais fixée.
Il fit claquer sa langue et finit par rompre ce silence.
– D’accord, je ne comprends pas, mais d’accord, elle ne peut être qu’unique pour avoir de tels protecteurs. Il faut m’en dire plus Théa, j’y tiens.
Théa fit un oui de la tête et en haussant les épaules lui répondit :
– Si je comprends, je t’expliquerais. Pour le moment fait comme tout le monde, prends les choses comme elles viennent.
Ok, je n’étais pas la seule à ne rien comprendre et si elle venait de le dire calmement, lui semblait avoir pris la foudre sur la tête. Je levais mon verre et dit :
– Bienvenue au club de ceux qui ne comprennent rien, contente de ne pas être la seule.
Là, j’eus trois regards sur moi, je haussais les épaules.
– Ben quoi ? Ça fait un moment que je ne cherche plus à comprendre. Moi, je nage depuis mon arrivée ici.
Ada me sourit.
– C’est vrai, mais pour nous, c’est une première alors que…
Elle se tut net.
– Alors que pour la petite humaine que je suis, c’est normal d’être larguée. Complétais-je amer.
Et hop, re long silence, c’est cool, on avançait bien, c’était constructif. Non, je ne suis pas sarcastique ! Ma petite voix, elle, oui. Elle se bidonnait de voir à quel point j’intriguais et se réjouissait que je mette un peu de bordel. Une sale bête cette petite voix.
Je fus prise d’un bâillement phénoménal, trop calme pour moi cette fin de soirée, et j’avais encore trop bu. Je pensais que la discussion à peine entamée allait reprendre, mais le type là, le Geraldo me sourit en me tendant une carte.
– Vous êtes fatiguée, il est temps de rentrer. Donnez ça à Livius et dites-lui que je passerais le voir. Où puis-je le joindre ?
Alors là, bonne question, je grimaçais mon ignorance, regarda mes amies qui semblaient aussi ignorantes que moi et finit par lui dire d’attendre l’appel de l’asocial. Ada se levait déjà comme si elle n’avait attendu que le droit de me ramener. Théa faisait de même quand il me dit.
– Dites-lui bien que je suis heureux pour lui.
Mouais, heureux, pourquoi ? Allez encore une question dont je n’aurais pas de réponse. Je tentais d’en obtenir durant le trajet de retour, mais la seule réponse que je reçus de Théa fut de le lui demander directement.
Mes gardes du corps me posèrent à 10 cm de ma porte et attendirent que je sois dedans avant de repartir. La raison ? Il n’y avait pas de lumière à notre arrivée mon papa-vampire devait être absent. Ne voulant pas oublier de lui transmettre ce message énigmatique, je collais la carte sur le tableau noir et laissais un mot. Contente de moi, j’allais cuver mes cocktails au fond de mon lit. Hum, bonheur !
Chapitre 14
Bonheur qui ne dura qu’un instant quand un orage entra dans ma chambre. Je m’envolais du lit, tirée de là, d’une main ferme par un vampire en rogne qui me criait dessus. Oulà, ma pauvre tête, j’ouvris les yeux très doucement, regardais le pénible d’un regard flou et secouant la tête pour en chasser la brume, je demandais :
– quèquia ?
Il arrêta de hurler, bon point ! Il soupira et me traîna à la cuisine où il me fit un café. Oh, la bonne idée. Il restait debout, raide en face de moi et dardait ses yeux sur moi. Le café bu, je redemandais :
– Qu’est-ce qu’il y a ?
– Qu’est-ce que ça veut dire ?
Il me tendait la carte de l’autre là.
– J’ai pas noté ?
– Oui, mais je veux une explication.
– Je suis sortie avec Ada et Théa pour aller fêter nouvel an en boîte, un type s’est brûlé en me touchant et ce type est venu pour me parler.
J’avais débité le tout d’une voix monotone, pas vraiment certaine de ce qu’il voulait savoir.
– Que voulait le type qui s’est brûlé ?
– Me faire une bise pour nouvel an.
Ne pas faire de longue phrase, être précise pour pouvoir retourner mourir au fond de mon lit le plus vite possible.
– Et lui ? Demanda-t-il en me montrant la carte.
– Prendre de tes nouvelles et comprendre ce que je faisais avec elles.
– Avec qui ?
– Ben, avec qui ? Ada et Théa qui d’autre ?
Pour sortir avec quelqu’un d’autre, il faudrait déjà que ces deux-là me lâchent un peu ou soient mortes, personne n’oserait m’inviter tant qu’elles étaient aussi présentes.
– Qu’as-tu répondu ?
– Rien, c’est Théa et Ada qui ont parlé. Au fait, pourquoi l’autre type s’est brûlé ? Je n’ai pas eu de réponse.
– Il n’avait pas à te toucher. Elles ont dit quoi exactement ?
– Que j’étais bizarre.
En résumé, c’est bien ce qu’elles avaient dit, non ?
– Elles ont dit quoi ?
Il était furieux, enfin ce n’était plus la même colère. Il me fixait outré alors que celle qui aurait dû se vexer, c’était moi.
– Elles ont dit qu’avec moi les choses ne s’expliquaient pas. C’est comme ça qu’elles l’ont formulé.
Il s’assit en face de moi. Il était plus calme et opinait de la tête.
– C’est une bonne manière de le dire, c’est juste.
– Je sais que mon amitié avec une ondine est particulière, mais je ne vois pas en quoi les autres sont concernés, pas par mon amitié, mais en quoi je suis différente pour les autres. Soupirais-je.
Il se mit à me caresser la joue, sans rien répondre, encore. Il posa la carte sur la table.
– Et lui, il a dit quoi ?
– Il m’a dit de te dire qu’il passerait te voir et qu’il était heureux pour toi, mais il n’a pas dit pourquoi.
– Pourrais-tu l’appeler pour moi ?
– Pour lui dire quoi ?
– Pour me le passer au téléphone, je n’en ai pas, je te rappelle.
Voilà encore une bataille qu’il me faudrait mener, voiture, téléphone, ordinateur étaient pour lui des objets dont il ne voulait pas et que surtout il ne comprenait pas. De mon point de vue, le pratique de tout ça était bien plus important que son refus. Il allait apprendre à s’en servir, parole de Sophie.
– Maintenant ?
– C’est un des miens, il ne dort pas encore.
Oh surprise, je ne l’aurai jamais deviné. Prends-moi pour plus cruche que je ne le suis et tu verras combien tu vas me le payer. Je plissais les yeux, piquée au vif.
– Ne fais pas cette tête, je ne me moquais pas, appelle-le !
– Oui, chef, à vos ordres chef !
Il grogna, une sale gamine entre ses dents alors que je composais le numéro. Je n’attendis pas que l’autre réponde, je lui filais l’appareil en mode haut-parleur dans les mains et lui dit :
– Je vous laisse entre adulte et la sale gamine va se coucher.
Je le plantais là pour retourner tout oublier au fond de mon lit pendant environ dix minutes. Il avait appuyé sur il ne savait pas quoi et avait coupé le micro. Vingt minutes plus tard, il coupa l’appelle sans le vouloir et ne savait pas comment rappeler. Au troisième réveil, je le haïssais et j’avais la preuve qu’il était urgent de lui acheter un téléphone. Je dormais le nez à moitié dans une tasse de café quand, enfin, la conversation se termina. Pour ma défense, il était six heures du matin, j’avais une nuit blanche derrière moi, je n’avais rien compris de ce qu’ils disaient et aucun café au monde aurait pu lutter contre ma fatigue.
C’est une main toute douce qui se posant sur ma joue me réveilla. Je râlais un laisse-moi dormir, puis je fus transportée dans mon lit où un baiser sur le front plus tard, je me retrouvais seule et où je ne dormis plus, normal. Ma petite voix passait en revue la soirée et la nuit, elle voulait absolument me montrer qu’il s’était passé quelque chose d’important. Heureusement, la dose de cocktail et de champagne avalé eu raison d’elle. Je pouvais enfin dormir et ne penser à rien, puisque de toute manière, je n’aurais aucune réponse à mes questionnements.
Les fêtes disparurent dans le lointain et au cours du mois de février, les repas entre filles reprirent,. Francis et monsieur Andersen s’étaient tout naturellement invités, nous avions déplacés nos repas, du mercredi midi au mardi soir ce qui nous permettait de profiter de plus de temps. Livius faisait des apparitions, mais ne comprenait pas ce rituel.
Au cours du printemps, Suzanne et Judicaël vinrent par moments grossirent les rangs. Mona, vous vous souvenez ? Mais, si, la patronne de l’hôtel, invitée par Théa fini par s’incruster. Non, c’est pas gentil, elle est adorable, elle avait trouvé l’ambiance tellement sympa qu’elle nous rejoint avec plaisir. Les soirées du mardi soir, choisi je l’avoue pour mon amour d’Agatha Christie, cherchez, vous comprendrez, étaient pleines de rires. Je savais que j’étais de loin la plus jeune et que mes invités étaient tous, différents, dirons-nous, mais l’ambiance générale était à la plaisanterie. Nous riions beaucoup, mangions trop et sous le contrôle de tout le monde, je buvais peu, sans commentaire.
Alors que j’écoutais Francis se plaindre de sa tante, on frappa à la porte et j’y découvris Monsieur Geraldo Conti, Conti pour les amis, m’avait-il, précisé. Invité par Livius à passer, mais pas prévenu de l’assemblée disparate qui traînait par là le mardi. Je l’entendis murmurer alors qu’il saluait mes invités.
– Ondine, loups, sorcier, fée et humaine, rassemblés au même endroit et passant la soirée ensemble.
– Et vampire, faut pas l’oublier, un ici, fis-je en le désignant, un là-bas, fis-je en montrant Livius qui pointait son nez.
– Et vampire opina-t-il, un sacré mélange que vous avez là.
– Mes amis, lui affirmais-je.
– Encore plus surprenant. M’avoua-t-il. Il faut vraiment que vous trouviez le temps de m’expliquer comment tout cela est arrivé.
Oui, alors on allait vite être à court de mots puisque je n’en savais fichtrement rien. Sauvée de cet étrange intérêt par l’autre vampire, je poussais tout le monde au salon pour boire le café, jus de chaussette pour les six petites natures, vrai café pour deux d’entre nous et verre de sang pour les deux derniers. Je finissais doucement par m’y faire, du moins je n’avais plus de haut le cœur en le voyant boire et depuis que j’avais vu arriver des poches de sang étiquetées dans le deuxième frigo, je n’imaginais plus qu’il avait égorgé un pauvre écureuil ou avait prélevé sur un humain inconscient sa dose quotidienne, mais je préférais et de loin quand il le buvait dans un bol et que je ne voyais pas la couleur qui ne pouvait pas passer pour du vin rouge.
Judicaël mit la main sur un digestif, en proposa à tout le monde, sauf à moi, bien sûr, me prouvant que non, le comique à répétition n’est pas drôle, mais alors pas du tout, vous pouvez me croire. La soirée s’étirait et je voyais bien le regard de Conti passer des uns aux autres sans cesse, intrigué. C’est quand il ne restai plus que Théa qu’il posa la question qui lui brûlait les lèvres.
– Mais comment est-il possible que tous ces clans se supportent ?
– L’effet Sophie ! Annonça en riant Théa, je l’avais dit, c’est inexplicable, mais c’est comme ça.
– C’est quoi le problème des clans ? Lançais-je.
– J’ai rarement autant de clans représentés au même endroit pour juste passer du bon temps. La dernière fois que j’avais vu une fée tolérer un sorcier remonte loin.
– Mona est présente chaque fois, elle adore nos soirées. Et j’aime beaucoup Mona
– Durant les guerres, les sorciers ont tué plus de fées que tout autre clan, une idiote rumeur qui faisait du sang de fées un puissant ingrédient pour les contres-sorts
Ok, stop on rembobine, il faut reconnaître qu’avec tout ce que j’avais à vous dire j’avais omis de vous parler de ce que pensent mes amis des représentations humaines de leurs espèces. Alors comment dire, je ne vais pas m’étaler sur ce que Théa pense de Paracelse pour elle, il avait de sérieux problèmes avec les femmes, probablement impuissant ou avec une ex dont il n’avait pas que de bons souvenirs et dont il s’était vengé, puisqu’il avait représenté son espèce en blonde fadasse passant le temps à se coiffer et les fées en petites choses toutes fragiles, les sirènes belles mais avec une queue de poisson et enfin vous voyez ce que je veux dire. Je ne dirais pas non plus tous les adjectifs qu’elle utilisa pour décrire sa pensée, mais vous en avez une idée.
Pour les autres, les descriptions n’étaient pas non plus très juste, mais au moins un peu moins éloigné de la réalité. Quant aux loups, ils se fichaient de la représentation qu’on pouvait faire d’eux, un loup reste un loup dans toutes les descriptions, des brutes épaisses soumis à la loi de la meute, pas totalement vrai, mais pas faux.
Revenons à ce qui m’intriguait à ce moment-là, il avait bien parlé de guerres ? Conti vu mon étonnement.
– Chère mademoiselle, je crois qu’il vous reste beaucoup à découvrir.
Puis se tournant vers Livius.
– Quant à toi mon ami, tu as bien plus à me raconter que tu ne me l’avais laissé croire, je suis mort de curiosité !
Que dire, j’étais ravie d’entendre quelqu’un d’autre que moi poser des questions et cerise sur le gâteau, Conti ne lâchera rien, j’en étais sûre. Je m’installais confortablement dans le canapé à côté de Théa et fixais papounet-vampire en attente de réponses, déjà prête à me délecter de la discussion à venir. Théa répondit avant Livius.
– On te l’a déjà dit, l’effet Sophie…
Mouais, Ok, ça ne voulait rien dire ça. Il se tourna vers elle.
– Développe !
– Je ne sais pas comment expliquer ni ce qui se passe réellement, mais juste que je n’ai pas envie de la tuer, que les loups ressentent le besoin de la protéger et que Mona l’a évité à son arrivée pour ne pas avoir à la charmer. Tu sais, les fées, elles nous protègent, mais Mona ne voulait pas que Sophie soit prise dans le charme, remarque même Andersen a refusé.
– Quoi ?
La question fusa au même instant de ma bouche et de celle des deux vampires.
– Oui, quand tu es arrivée, tu as logé à l’hôtel. Normalement, Mona aurait dû te charmer pour que tu ne restes pas ici. Tu voulais t’installer et c’est la procédure habituelle. Les nouveaux logent un temps à l’hôtel, Mona les charme et ceux qui sont humains ressentent le besoin de repartir et ne restent pas, mais le lendemain tu voulais toujours rester, donc Ada a pensé que tu devais être une sorcière, alors que non. Mona lui a avoué qu’elle n’avait pas pu se résoudre à te charmer, quelque chose l’en empêchait. L’effet Sophie !
Elle haussa les épaules comme si tout était dit.
– C’est pas normal, pas normal du tout, souffla papounet.
– Ça n’est jamais arrivé, compléta Conti.
– Et Andersen, demandais-je ?
– Oh lui, rien à voir, pouffa-t-elle, il a simplement dit qu’un peu de nouveauté était la bienvenue, mais je suis persuadée que c’était pour agacer les huit.
– Les huit ?
– Les chefs de clans, répondit Conti. Nous n’en avons pas parlé lors de nos dernières réunions !
Bon, donc ce type-là, était chef de clan, je notais. Je notais aussi qu’il y en avait sept autres.
– Normal, Mona n’avait pas envie de le dire et Andersen est son propre chef de clan, rigola Théa.
Conti grimaça et me fixa.
– J’aimerais vraiment savoir ce que vous êtes.
– Comment ça, ce que je suis ? Je suis une humaine tout ce qu’il y a de plus normal…
– Non, je ne pense pas que vous soyez si normal que ça, pas de sorcière dans votre lignée ? Des mages ? Ou d’autres non-humains ?
– Des curés et des nonnes, ça compte ? raillais-je.
Là, je dois dire que leurs têtes à tous les trois étaient fabuleuses.
– Famille catholique à fond, je l’ai déjà dit non ?
– Oui, souffla Livius, beaucoup de prêtres ?
– Pas mal, oui, et à chaque génération au moins une nonne. Ma tante Annette l’est et puis il y a un cousin de ma mère qui est moine, pourquoi ?
Ils grimacèrent les trois.
– On n’est pas vraiment copain, murmura Théa
J’éclatais de rire.
– Je ne suis pas croyante, tu te souviens, pour moi tout ça, ce sont des.
Je m’arrêtais net. Ok, j’allais dire des croyances imbéciles, mais si eux, vampires, ondines et tous les autres existaient alors se pouvait-il que ? Je secouais fermement la tête, non cette question-là, j’y avais répondu il y a des années, au grand dam de ma famille, d’ailleurs.
– Je ne suis pas croyante, reprenais-je. J’ai grandi entourée de la foi des membres de ma famille, mais petit à petit je me suis détachée de tout ça. Je trouvais étrange qu’un être que l’on dit parfait, enfin bref, j’ai cessé de croire petit à petit et je m’en porte bien.
– Amusant, donc vous n’êtes pas une des nôtres. Reste que le comportement de vos amis est un peu étrange.
Je haussais les épaules.
– Pour moi, depuis mon arrivée tout est étrange, contente de voir que je ne suis pas la seule.
Il me bombarda de questions et râlait de mes non-réponses. Pour lui il y avait quelque chose chez moi qu’il se devait de découvrir. Je laissais faire en répondant au mieux. Théa et Livius se marraient en douce en l’écoutant s’énerver de ma si grande normalité. Humaine, j’étais, humaine, je restais. Au bout d’un moment, ne trouvant plus rien à me demander, il fixa Livius et dit :
– Je suis sûr que ton humaine cache quelque chose. Il n’y a rien qui puisse expliquer que tous la respectent et qu’elle soit si calme devant nous, regarde-la. Les humains sentent instinctivement que nous sommes des prédateurs et elle, elle fonce dans le tas sans problème.
– Elle n’a pas vraiment le sens de l’auto-préservation, fit Livius avec un clin d’œil dans ma direction. Elle a plutôt tendance à se mettre dans la situation inverse.
– J’avais cru comprendre, venir dans la région, déjà, c’est risqué, mais dans cette ville et dans cette maison. Vouloir absolument y venir sans rien sentir même au bout de plusieurs mois, c’est évident que son radar à danger n’est pas des meilleurs.
– Quant à se baigner avec une ondine…
Les yeux de Livius se levèrent au plafond alors qu’il disait ça, ceux de Conti lui sortirent de la tête puis se fixèrent sur moi.
– C’est peut-être ça finalement, murmura Conti, sa confiance.
Il se frottait le menton et nous regardait tour à tour.
– Tu penses que c’est la confiance qu’elle a pour nous qui fait qu’elle ne risque rien ? Peut-être pour les autres, mais ça ne marche pas pour les miens. Nous jouons avec la confiance des humains, ça ne changerait rien.
Théa fronçait les sourcils si fort en disant ça qu’on ne voyait presque plus ses yeux et avait l’air perdue dans ses souvenirs.
– Alors, je ne vois pas, conclus Conti.
Livius lui mit une énorme tape dans le dos en riant.
– Fais avec, comme nous ! Mesdemoiselles, il est temps d’aller dormir pour vous et de discuter pour nous.
Théa releva la tête surprise et marmonna un mais bien sûr vieux chnoque en le fixant d’un air mauvais. Je me reteins de rire alors qu’elle se levait et filait en direction des chambres en lançant :
– Tout est une question d’état d’esprit vieux débris. Viens Sophie, laissons donc les vieux discuter ensemble, nous avons mieux à faire qu’écouter les souvenirs poussiéreux de ces deux vieillards décrépits.
Je la suivis en rigolant devant l’air outré de Conti. Oui, nous avions mieux à faire, j’avais un million de questions sur ce type à poser à Théa. Une fois enfermées dans ma chambre, je regardais Théa qui me fit un oui de la tête et commença à me raconter.
En résumé, Conti, vampire de son état, cadet de Livius, avait pris la tête du clan à la disparition de celui-ci. Il aimait le luxe, les femmes, bref, c’était un condensé de clichés à lui tout seul. Ils étaient amis de longue date, mais concurrant de presque aussi longtemps. Il avait été l’amant de Théa, une folie passagère, m’assura-t-elle, ce qui expliquait les gloussements de nouvel an. Il était l’un des derniers vampires d’origine européenne, ce qui le plaçait d’office dans les plus vieux, jeune continent oblige, de Mésopotamie, il aimait à le préciser. Vieux, très vieux et fier de l’être. Mais, quel âge avait donc mon papounet-vampire ?
Conti était un tel ramassis de clichés qu’à force d’entendre les histoires que Théa avait sur lui, j’étais morte de rire. Il aurait pu sans souci prendre la place de Dracula dans un film. Je fis la remarque et fus prise d’une crise de fous-rires infernal quand Théa, levant un sourcil me souffla d’un air machiavélique :
– Et pourquoi penses-tu qu’il a choisi Conti comme nom de famille ? le Conti-Dracula…
J’en pleurais de rire et les mimiques de mon amie n’arrangeaient rien alors que je tentais de toutes mes forces de me calmer. Elle s’était drapée dans mon couvre-lit, avait sorti ses dents et battait de l’air comme une chauve-souris. Elle murmurait d’un ton lugubre.
– Ton sang, je veux ton sang, au moment où la porte s’ouvrit sur deux vampires incrédules et fâchés. Ou vexés ?
Ce fut trop pour moi, la crise de fou-rire me reprit, incontrôlable, j’en avais mal au ventre, aux joues, partout, mes larmes coulaient et j’étais pliée en deux. Impossible de me calmer, dès que je levais les yeux, je voyais les deux vieux tirer une tête de dix pieds de long et si je ne les regardais pas, je voyais l’air faussement navré de Théa.
Livius finit par secouer la tête et faire signe à Conti-Dracula de nous laisser. Théa vint alors me prendre dans ses bras en me frottant le dos puis une fois sûr qu’ils étaient repartis, elle me souffla :
– En plus, cette espèce a une haute opinion d’elle-même et pas le moindre humour. Tous de vieux cons.
Elle me fit un clin d’œil et me laissa seule pour reprendre mes esprits. C’est un bon moment plus tard que je me couchais, le sourire toujours aux lèvres. Je ne dormais toujours pas quand j’entendis ma porte s’ouvrit doucement. Livius était là et dans un murmure, me demandait si je dormais. Je fis non de la tête et il vint doucement s’asseoir sur le lit. Il me fixait avec un petit sourire et finit par me dire :
– Vous êtes deux pestes.
Je fis oui de la tête.
– Je ne sais pas ce qu’elle a pu te dire avant cette interprétation hasardeuse, mais je tenais à te prévenir que je n’ai pas pu refuser de reprendre la tête de mon clan. La hiérarchie chez les vampires est assez strict. Cependant, ça ne changera pas grand-chose, Conti va continuer de s’occuper des affaires courantes et sa maison restera notre lieu de réunion, tu ne seras pas envahie. Propose à Théa et Adeline de s’installer ici, pour quelque temps du moins, je me sentirais plus tranquille ! La nouvelle de mon retour risque de provoquer des remous et te savoir seule la nuit, n’est pas pour me plaire.
– Théa vit déjà à moitié ici et Ada a du boulot. Fis-je en haussant les épaules.
– Oui, mais faire savoir que les loups ont un pied-à-terre ici, ainsi que la présence de ta Théa éviteront bien des soucis. La réputation de Théa fait déjà bien son travail, mais le nombres de loups est un excellent argument pour calmer les plus téméraires. Se faire chasser par une personne ou plusieurs centaines change la donne.
Là, j’étais inquiète.
– Je risque quelques choses ?
Il prit ma joue dans sa main et du pouce me caressa la tempe.
– Si fragile, murmura-t-il, et pourtant…
Ouais, bon, il me passait de la pommade pour me faire avaler son histoire de clan. Solide moi ? À d’autres, je soupirais.
– C’est la merde à ce point-là ?
– Pas vraiment, c’est juste que je ne fais pas confiance à certains membres de mon clan, j’ai appris à me méfier et mon retour n’arrange pas tout le monde. Je préfère être prudent.
– Je demanderai à Ada, je ne vois pas pourquoi elle dirait non.
Le silence se fit, il promenait toujours son pouce sur ma tempe, mais son regard était figé sur le hibou qui pendait autour de mon cou. Il finit par le prendre dans ses doigts et joua avec un moment.
– Si tu ne me l’avais pas offert, personne ne saurait que tu es revenu, soufflais-je
Il eut un sourire triste.
– Si je ne te l’avais pas offert, j’aurais déjà dû tuer la moitié des vampires de la ville.
J’ouvris les yeux comme des soucoupes.
– Hein ?
Il se pencha vers moi, posa un bref instant ses lèvres sur mon cou puis se relevant il dit :
– Les vampires aiment le sang neuf, tu es nouvelle et ton sang a une odeur particulièrement agréable, comme une étiquette qui dit “produit fermier, bio, élevage de qualité”. Les jeunes vampires arrivent à peine à résister à ce genre de publicité. A vrai dire, même moi parfois.
Il eut un petit rire et disparut.
Ben voyons, me voilà reléguée à poulet fermier, sympa, merci ! Sauf que l’idée d’être tentante ne me convenait pas, mais alors pas du tout, impossible de dormir après une telle révélation, en soupirant, je me glissais vers la chambre de Théa, frappais un petit coup et entrouvris la porte.
– Théa, je peux dormir avec toi ?
– Qu’est-ce qui t’arrive ?
Je lui expliquais en deux mots, elle se bidonna en me lançant :
– Pas trop tôt, tu ne te rends pas compte le nombre de fois où on est intervenu avec Ada.
Elle tapota son lit pour m’y inviter. Je m’y glissais en lui disant merci, merci pour m’avoir protégée, merci de me laisser être l’andouille que je suis et merci pour m’avoir fait un peu de place dans son lit.
– Allez ne te prends pas la tête, avec nous, tu ne risques rien et puis un vampire, c’est facile à éliminer et l’avantage, c’est qu’il n’y a pas de cadavre à dissimuler.
– Tu en as déjà tué à cause de moi ?
Là, je me sentais mal.
– J’aurais bien aimé, mais Ada a préféré leur faire comprendre ce qu’ils risquaient en te tournant autour. Il paraît que prévenir c’est courant, mais je trouve que ça prend trop de temps. En tuer quelques-uns pour l’exemple, c’est plus ma manière de faire, tu vois. Après quelques morts, plus besoin de signaler qu’il est dangereux de t’approcher.
C’était plus clair, mais pas vraiment à mon goût.
– Et puis continua-t-elle, après David, ils ont été nettement moins nombreux à te penser fragile et sans défense.
– Franchement, plus j’en apprends, plus je me sens fragile et sans défense. Vous avez dû me prendre pour une sacrée idiote. J’ai rien vu, rien compris. Et, sans toi et Ada…
Je frissonnais à l’idée de tout ce qui aurait pu m’arriver. Elle rigolait franchement à côté de moi, un rire clair et contagieux. Je me mis à rire aussi, un peu de ma stupidité, un peu de soulagement, beaucoup de reconnaissance envers mes amies.
– Tu n’as jamais été sans défense, Ada y a veillé. Elle ne te l’a jamais dit ? S’étonna-t-elle en voyant ma tête. Pourquoi penses-tu qu’elle t’ait présenté à Suzanne ? C’est la femme de son chef de clan, si elle t’aimait bien, Ada était convaincue qu’elle obligerait son mari à te protéger. Tu es sous la protection des loups presque depuis ton arrivée. Il en rôde toutes les nuits autour de ta maison.
Où comment se sentir encore plus conne !
– Tu as quoi d’autre à m’avouer ?
– Je n’avoue rien, j’explique ! Donc Suzanne ayant apprécié ta nature, continua-t-elle en se fichant clairement de moi, les loups t’ont protégé de loin et Livius a rencontré Judicaël pour lui signaler que tu étais aussi sous sa protection. Judicaël n’a rien dit à Ada, mais il lui a interdit de tourner toutes les nuits autour de la maison. Tu la connais, elle aurait préféré ne plus travailler que de te laisser seule.
– Livius est passé voir Judicaël ?
– Oui, quelques jours après les travaux du toit. Je pense qu’il devait se dire que son odeur avait été repérée et qu’on se douterait qu’il y avait vampire sous roche. C’est à cause de cette protection que je ne te connaissais pas, grinça-t-elle d’un coup, énervée. On a tous pensé que tu étais la compagne humaine d’un loup, venue ici pour se cacher. La plupart des clans n’aiment pas la mixité alors personne n’a vraiment cherché à te connaître. Heureusement que tu es passée à la boutique, on aurait loupé plein de choses.
– Tu m’as arnaquée alors que tu savais que j’habitais ici ?
– Pour moi, tu étais avec les loups. Elle haussa les épaules. Et, ils ne m’aiment pas trop.
– J’avais remarqué, dis-je en riant. La tête de Suzanne quand elle t’a vu, se passait de mots.
– Finalement je t’ai trouvée sympa et en me renseignant, j’ai appris que tu n’appartenais pas aux loups. J’ai été curieuse de comprendre pourquoi ils te protégeaient alors je suis venue te livrer. La suite, tu la connais.
Oui, la suite, je la connaissais, une improbable amitié avec une tueuse, un peu psychopathe et la protection absolue de sa part pour le reste de ma vie.
– C’est pas un peu vieux jeu, cette histoire d’appartenance ?
– Oui, mais quand on sait l’âge de certains d’entre nous, on comprend que l’évolution a eu de la peine à à passer par eux. Les anciennes traditions sont bien implantées. Ils restent bien ancrés dans leurs habitudes.
Ses yeux pétillaient de rires et en repensant aux deux vampires du coin, le fou-rire me reprit.
– Avec ces deux là, on a dû s’arrêter à l’âge des cavernes !
Et, l’un des deux n’avait-il pas sous-entendu qu’il avait parfois envie de me mordre, à vrai dire, lui aussi ? Mon rire cessa net et je chassais ce souvenir de ma tête, Théa ne le laisserait pas faire, j’en étais persuadée.
L’avantage de dormir auprès d’une tueuse qui vous protégera quoi qu’il arrive et contre tout, était que les cauchemars restaient à distance. Je mis un moment à me souvenir d’où j’étais et de pourquoi puis l’odeur de café frais me tira hors de la chambre de Théa.
Ada était à la cuisine, tentant d’expliquer comment faire de vraies crêpes à une Théa pas convaincue. Le spectacle était incroyable, si on prenait en compte la montagne de valises échouées près de la porte, montagne qui semblait dire, je m’installe pour des semaines et pas moins.
– C’est quoi tout ça ?
– Mes affaires pour quelques jours, on m’a prévenue que tu aurais besoin de ma présence pour un moment.
– Tu comptes vivre ici six mois ? Et, qui t’as prévenue ?
– Livius et non pas six mois, c’est juste de quoi tenir une semaine ou deux.
– Les loups abîment beaucoup leur vêtements, tu verras pourquoi un jour. Livius craignait que tu ne demandes pas à Ada de venir.
Voilà que pouvais-je répondre, merci de me traiter en gamine stupide et incapable, ce que j’étais à leurs yeux me semblait-il et je dois l’avouer un peu aux miens depuis quelques jours.
– Il est prêt le café ? Fut tout ce que je demandais.
Chapitre 15
La vie suivit son cours. La seule exception, pour laquelle je m’étais battue, a ma surveillance rapprochée, était de pouvoir prendre ma voiture toute seule. Il y avait une raison à ça, Ada avait toujours des déplacements et Théa était un vrai danger au volant. Non, je n’exagère pas ! Elle roulait comme elle vivait, à toute vitesse.
Les semaines passèrent sans que rien, du moins rien de mon point de vue, ne se passe. Nos soirées marathon de série passèrent de Fringe à Code Quantum, prêté par un ami de Francis, puis de Z Nation à Sanctuary.
Théa craquait invariablement pour le gentil de l’histoire, Ada pour le musclé et moi pour le torturé. Nos différences de goût nous entraînaient dans de longues discussions philosophiques, le tien est moche, le mien est mieux, très profonde comme réflexion, de vraies gamines. Puis vinrent les Sherlock ! Si Ada ne jurait que par l’interprétation de Robert Downey Jr., mon cœur craquait pour Benedict Cumberbatch et Théa, enfin le côté ultra féministe de Théa, avait trouvé en Jonny Lee Miller un Sherlock passable, mais en Lucy Liu, une Watson incroyable. Notre amitié faillit ne pas s’en remettre alors qu’avec Ada nous avions osé dire qu’un Watson devait avoir une moustache. Remarque à peine faite que la guerre éclata dans mon salon !
Les coussins volaient bas et les cris de sioux de Théa nous perçaient les tympans pendant qu’Ada et moi sautions de tous les côtés pour éviter les coussins. Trois furies en training se coursant en riant à travers la moitié de la maison furent stoppées net par l’intrusion d’un inconnu.
Il nous fixait d’un air ébahi, debout à l’entrée de la cuisine. En deux secondes, ma belle brune disparut remplacée par un loup brun qui dépassait ma taille, les babines retroussées et le grognement qu’elle émettait vibraient jusque dans mon ventre. Quant à Théa, elle flottait à plusieurs centimètres du sol comme si un vent ne soufflait que pour elle et ses yeux émettaient une lueur de danger. Elle chantonnait, c’était un son bas et franchement désagréable. Je restais un long moment bloquée à les regarder. Je ne les avais jamais vues ainsi et la puissance qui émanait d’elles était palpable et me coupait presque le souffle. Elles étaient incroyables et je voyais en cet instant ce que je n’avais fait qu’entre apercevoir dans leurs paroles. Elles étaient dangereuses. Elles étaient puissantes et même si je n’avais pas vraiment de point de comparaison et que je ne me fiais qu’à ce que j’avais entendu, je les voyais presque invincibles et totalement flippantes.
L’intrus, un jeune homme blond, recula en mettant les mains devant lui et bredouilla qu’il venait voir son tribun.
– Votre quoi ?
Il ne m’entendit pas entre les grognements et cette horrible et flippante chanson.
– Ça suffit les filles, dit Livius d’une voix sèche.
Ada plantée devant moi, continuait à fixer l’inconnu toujours sous sa forme de loup. Théa remit pied à terre et me dit d’une voix plus grave que d’ordinaire :
– Tribun est le titre des chefs vampires, des vieux vampires.
– Merci.
Livius vient vers moi, passant à côté de la louve en lui disant de se calmer. Il me prit dans ses bras, posa un léger baiser sur mes lèvres et en se reculant dit :
– Je reviens vite ma chère, je vous laisse sous bonne garde. Et, se tournant vers l’homme qui était de plus en plus ébahi. Je vous avais dit de m’attendre dehors. Vous avez de la chance qu’elles soient de bonne humeur. La prochaine fois, elles n’attendront pas pour attaquer.
Ils nous plantèrent là. Je regardais Théa qui se gondolait en face de moi alors qu’Ada redevenait une belle brune à poil sans poils. Elle aussi trouvait la situation marrante, moi moins.
– Il s’est passé quoi là ?
– De la stratégie, gloussa Théa. Un coup de maître.
Bon, Ok, d’accord, on se foutait de moi et je ne comprenais rien au jeu de stratégie qui venait de me tomber dessus.
– Explique !
– Tu n’as vraiment pas compris ? En t’embrassant, il te désigne comme sa compagne à l’autre abruti qui va faire sa commère comme tout bon vampire et le dire à tout le monde. En l’ayant fait venir ici, il a fait en sorte que son pion nous voie en position d’attaque pour te défendre, et ainsi faire comprendre à tout le monde que tu n’es pas seule lorsqu’il est absent et qu’il faudrait être dingue pour s’attaquer à toi puisque tes gardes du corps sont assez connues pour être dissuasives. Il faudrait être fou pour s’attaquer à moi. Au fait Ada, je ne savais pas que tu étais une louve rouge, je pensais que ton espèce avait disparu.
– Il ne reste que mon oncle et moi, fit-elle les lèvres pincées.
– Au moins c’est encore plus dissuasif que les gris ou les noirs, s’il avait pu, il aurait fait dans son pantalon le pauvre pion.
Bon, petit récapitulatif m’a fait ma petite voix, papounet-vampire, inquiet de la nouvelle situation avait fait déménager Ada et Théa pour que tu ne sois jamais seule, De plus, il fait en sorte que son clan te prenne pour quelqu’un d’important à ses yeux et avec une protection rapprochée, Je voulais bien comprendre. Il avait paré à toutes les éventualités. Je n’aimais ni l’idée ni la façon. Le seul point agréable était la présence des deux cinglées. Au fait, elle avait dit quoi sur Ada ? Une louve rouge ?
– Ada, je sais que tu n’aimes pas trop qu’on se mêle de tes affaires, mais, une louve rouge est si différente des autres ?
Son regard se voila, elle soupira et alors que j’étais certaine qu’elle ne me répondrait pas, elle dit :
– Il existe quatre races de loup, les noirs sont les plus courants ici, ils sont originaires de ce continent. Les gris sont les plus nombreux, Asie, Russie, Europe, leurs territoires sont très variés. Les blancs restent concentrés dans les pays nordiques. Les roux ou rouges sont eux originaire d’Afrique du Nord, mais ont été assimilé au gris. Il n’existe plus de lignée pure. Mon oncle et moi sommes déjà des métisses, mais nous avons gardé les caractéristiques des roux, les autres les ont perdus. Lors de la dernière guerre, nos clans ont refusé de prendre part au conflit. Nous avons été massacrés en représailles.
Et, elle se tut.
– Elle date de quand cette dernière guerre ?
– De quand date la dernière des humains ?
Surprise, je répondis :
– Il y en a toujours une en cours.
Elle ferma les yeux, se frotta la nuque. J’attendais sans rien dire, mais elle ne semblait pas décidée à me répondre.
– Les loups aiment la guerre, enfin la grande majorité. Il y a sûrement des loups dans vos conflits en cours et certains ont dû les favoriser. Notre dernière guerre de clan date de votre dernière guerre mondiale. Des accords ont été signés peu après, trop de perte, vos armes ont évolué plus vite que nous. Elles ont fait suffisamment de mort pour que nos clans décident de ne plus prendre parti dans les conflits humains.
Théa avait répondu d’un ton monocorde en regardant par terre. Ada regardait au-dehors et moi, je me sentais mal à l’aise, s’ensuivit une longue, longue discussion sur les faits de guerre, les clans, les amis perdus et les raisons d’une telle boucherie. Je n’écoutais pas, je les regardais tour à tour et je m’étonnais de les voir parler sans passion d’événements aussi terribles. En fait, pas sans passion, mais avec du recul et un respect tangible. C’est lorsque Ada dit qu’avoir été bannie était moins terrible que ce à quoi elle s’attendait, que je tiquais.
– Bannie ?
Le mot sorti comme un cri. Elles me regardèrent, soupirèrent et dire en chœur
– Oui, tu pensais qu’on était là pourquoi ?
Parce que le coin était sympa, la ville jolie, le calme de la nature apaisant, il y avait, de mon point de vue, une dizaine de bonnes raisons. Elles ont dû voir que je ne percutais pas, normal. Théa se mit à rire.
– Tu crois que tu es où ?
Dans le trou du cul du monde, faillis-je répondre, mais à leurs têtes, il y avait encore quelque chose que j’avais loupé. Je soupirais.
– Je n’en sais rien à première vue.
– La ville des bannis, joli petit coin dans les montagnes placé sous la surveillance de José, géant de son état, où ont été casé les indésirables de chaque clan.
– Les indésirables ?
– Les meilleurs soldats si tu préfères. Ceux que les autres clans ne voulaient pas voir circuler librement, ceux dont on préférait ne pas se souvenir, ceux qui dans l’histoire ont tout perdu parce qu’ils ont fait ce qu’on attendait d’eux. Ceux qui furent sacrifiés dans les jeux politiques pour, soi-disant, promettre la paix. On s’est débarrassé de nous. On nous a écarté du reste du monde. On nous a volé nos vies. On nous a parqué dans cette région, zou, fini plus de problème.
La colère contenue dans ses paroles me fit l’effet d’un coup à l’estomac. Je les fixais, incrédule. Oh, je savais bien qu’elles n’étaient pas de gentilles petites dames, je l’avais bien compris, mais je n’avais jamais pensé aux raisons de leur présence ici. Avant même que je puisse en demander plus, Ada changea complètement de discussion.
– Je maintiens toujours que Robert Downey Jr. est le meilleur Sherlock Holmes !
– Peut-être, mais au moins Lucy Liu est badasse en Watson, faut prendre en compte les caractères secondaire et pas que le grand détective !
J’intervenais pour calmer la longue discussion qui pointait son nez.
– Je suis d’accord que mettre plus de femme dans l’histoire est sympa, mais si on se tient aux livres alors Elementary s’en éloigne beaucoup.
– Faut les mettre aux goûts du jour, c’est tout, s’obstina Théa.
– Alors dans ce cas-là, l’adaptation avec Benedict Cumberbatch est la meilleure. D’ailleurs la série garde le nom de Sherlock Holmes.
– Et les femmes dedans sont des cruches aussi ?
La féministe de la première heure en Théa fulminait. Une seule solution s’imposait.
– Ada file enfiler quelque chose, on va avoir une longue nuit devant nous.
Elles me regardèrent intriguer. Je filais à ma bibliothèque et en sorti un DVD de la première saison d’Elementary, un du Sherlock de la BBC et un avec Robert Downey Jr et leur montra.
– Reste plus qu’à tout regarder pour savoir si les femmes sont cruches et les Sherlock et Watson trop machos. Qui me suit ?
Elles ont filé comme le vent, Ada en direction de sa chambre enfiler une tenue décente, Théa en direction de la cuisine en hurlant qu’elle s’occupait du pop-corn, pendant que je remettais les coussins du canapé en place. Parce que oui, il est beaucoup plus important de décider quelle version est la meilleure que de parler du passé trouble de mes amies, pas vrai ?
Au retour de Livius nous dormions toutes trois affalées sur le canapé, gavée de pop-corn et toujours pas d’accord sur le meilleur Sherlock. Je ne le vis pas rentrer, je ne le vis pas secouer la tête en souriant, pas plus que je ne vis la personne qui le suivait et qui disparut dans la cave avec lui. Non, je ne vis rien, mais Ada, oui. Elle nous secoua doucement puis le doigt posé sur ses lèvres, elle nous fit signe de la suivre à l’étage. Là, sans un mot elle prit un papier et nota ce et qui elle avait vu. Théa blêmit puis rougit de rage et avant que nous ne comprenions ses intentions, elle fila à la cave. Elle en claqua la porte si fort que le bruit résonna. Ada me prit par le bras pour m’empêcher de la suivre. Elle me poussa doucement sur le lit, s’y assit et me dit
– C’est une histoire à régler entre elles, il n’aurait pas dû amener Katherina ici alors que Théa était présente. Du moins pas sans la prévenir d’abord. Ne nous en mêlons pas, ça risque de faire des étincelles. Il faut espérer qu’il avait de bonnes raisons de la faire venir.
– Qui est Katherina ?
– Une Baba Yaga, une sorcière russe, précisa-t-elle devant mon regard vide. Elle vit encore plus loin de la ville que mon oncle. Ce sont des solitaires. Elle est arrivée avec le clan de Judicaël. Elle n’est pas méchante, mais Théa et elle, se sont battues pour la possession d’une source et Katherina n’a pas vraiment été correct. Une vieille histoire, ne t’inquiète pas même si Théa est un peu rancunière, ça devrait aller.
Mais au bout de trente minutes, j’étais convaincue que ça n’irait pas. Les bruits qui nous provenaient du sous-sol, donnaient l’impression que la maison allait s’écrouler. Je tenais encore cinq minutes et contre l’avis d’Ada, je filais en direction de la cave. Ma sadique petite voix me murmurait, cool comme ça tu vas pouvoir, enfin, refaire cette fichue cave, mais mon amitié pour Théa me disait de foncer m’assurer qu’elle allait bien.
Livius se tenait sur le canapé, calme, tranquille, l’air pas inquiet du tout. Ada me suivait de près et finit par me stopper avant que je ne puisse descendre.
– Laisse-les faire, me dit-elle, ne t’en mêle pas, viens, on va attendre avec lui !
Elle me tenait fermement et me fit tomber dans le canapé. Je fulminais. Mais pourquoi aucun d’eux ne réagissait aux hurlements et autres bruits sourds qu’on entendait. Je tentais de me relever, Livius me bloqua.
– Laisse-les s’expliquer, elles font toujours pareil. Elles vont se calmer. J’aurais dû le prévoir, mais je ne pensais pas vous trouver encore au salon.
– Si tu m’avais prévenue, j’aurais fait en sorte que nous n’y soyons plus avant que tu ne rentres, c’était jouer avec le feu de les mettre sous le même toit.
Il soupira en grimaçant.
– Je pensais que depuis le temps…
– Es-tu certain de bien connaître Théa ?
Ils éclatèrent de rire. Tout était normal. Tout allait bien. Rien de grave ne pourrait arriver. Je remontais mes genoux contre mon torse et y enfuis ma tête. Ils allaient tous me rendre dingue. Ada me passa la main dans le dos pour me réconforter. Elle me souffla.
– Théa n’est pas une petite chose fragile et Katherina n’est pas assez idiote pour la provoquer plus que nécessaire. Elles vont finir par se calmer. Ne t’inquiète pas.
En effet, les cris se firent moins perçants. Les murs cessèrent de trembler puis ce fut le silence.
Théa sortit de la cave, le menton relevé et les yeux encore étincelants. Elle était fière. Une femme qui semblait terriblement âgée complètement détrempée et encore plus contrariée, la suivait.
– Tu vois, me dit Ada, elles en ont fini.
Oui, j’avais remarqué le niveau sonore était revenu à la normale sauf que Théa ressemblait à un chat qui vient d’avaler un bol de crème et que l’autre ressemblait à la crémière qui se l’était fait piquer et le soupir qui émanait du seul mâle de la pièce m’intriguait. Je me tournais vers lui, mais il ne me regardait pas, il avait les yeux fermés et la bouche pincée, l’air vraiment contrarié. Théa se jeta sur le canapé entre lui et moi, le poussant sans ménagement.
– Alors j’attends, dit-elle.
Je me tournais vers elle en fronçant les sourcils.
– Tu attends quoi ?
– Que le vieux chnoque ici présent s’excuse et que l’autre là, se comporte en être civilisé enfin autant que possible, il ne faut pas rêver.
– Je n’ai pas à m’excuser d’inviter qui je veux chez moi.
– C’est pas chez toi ! C’est chez Sophie et elle tolère de te laisser le sous-sol. Mais franchement, si elle décide de te virer, je serais ravie de l’aider. Sait-on jamais, tu pourrais avoir un souci durant la journée, les accidents, ça arrive.
Elle l’avait coupé net et fait sa tirade d’une voix forte. Ok, bon, voilà qui m’étonnait, je pensais que ces deux-là s’aimaient bien. Je me tournais pour regarder la cause de tout ce bordel qui ne regardait personne, mais fixait le mur comme si sa vie en dépendait. Je me tournais vers Théa et Livius, lui les lèvres pincées, la fixait droit dans les yeux et elle me tournait le dos pour le regarder bien en face. Je me tournais vers Ada qui me fit un clin d’œil en haussant les épaules. Le silence s’éternisait et je faillis mourir d’une crise cardiaque quand la voix de la vieille femme s’éleva.
– Bonsoir mademoiselle, fit-elle, je suis Katherina, monsieur Conti m’a demandé de venir parler avec votre a…, votre, avec Livius. Je crains que Conti ait omis de préciser plusieurs choses comme la présence de. Elle tendit la main en direction de Théa. Il semble qu’il n’avait pas trouvé important de prévenir Livius non plus.
Elle était toujours raide comme un piquet, ne me regardait pas un instant et fixait tellement le mur que j’étais tentée de me retourner pour voir s’il était taché ou je ne sais quoi.
– Elle est venue à la demande de Conti pour s’assurer que nous n’étions pas sous la coupe d’une sorcière assez puissante pour cacher sa nature, soupira le vampire à côté de moi.
– Quoi ?
Fut tout ce que je pus dire. Moi ? Une sorcière ? Je devais avoir l’air complètement abruti, car il ricana.
– Conti est du genre prudent et voir réunis au même endroit plusieurs clans lui a semblé tellement anormal qu’il a cherché toutes les explications possibles.
Je me tournais vers Katherina qui fixait toujours obstinément le mur. Je tentais d’attirer son attention pour entendre sa version, mais elle m’ignorait.
– Elle a peur que tu la charmes si elle te regarde, grinça Théa, ça se dit puissant, mais c’est mort de peur devant la première humaine qui ne rentre pas dans le cadre. Elle a cherché partout des pentacles ou des marques de magie et comme elle n’a rien trouvé, elle s’est convaincue que tu agissais par l’esprit.
Je regardais Théa les yeux ronds et la bouche grande ouverte sur un oh qui ne voulait pas sortir.
Elle me rendit mon regard en haussant sourcils et épaules avec un sourire narquois. Je retrouvais ma voix.
– C’était ça votre dispute ?
– En partie, nous avions un vieux litige à régler d’abord puis, franchement, je n’allais pas la louper. Si Conti croit être le premier à s’être posé des questions sur toi, il se trompe. Je pense que la moitié des habitants ont fait des recherches pour comprendre. Tu penses que James t’a engagé sans contrôler ?
Non, je pensais qu’il avait juste besoin d’une vendeuse et que je faisais l’affaire à défaut de mieux. Je tombais de haut.
Vous dire mes sentiments à cet instant serait totalement impossible. J’oscillais entre fureur, déception, honte et peur. Je me sentais mal en résumé et un peu conne, beaucoup conne. Et, vous savez quoi ? Un petit coup s’imposait. Je me levais, me dirigeais vers le bar, prenais une bouteille et, grosse amélioration, un verre. Je filais vers la cuisine pour ne plus voir les quatre personnes qui étaient chez moi. Je posais le verre et la bouteille sur la table, me rendis dans la réserve en sortis de la glace vanille et je me préparais un petit frappé Bayles-vanille. Ben quoi ? Pas de honte à se remonter le moral d’une manière ou d’une autre.
Mon verre en main, une paille dedans, je retournais au salon où personne n’avait bougé ni parlé. Je me posais entre mes amies, balançais mes pieds sur la table basse et allumais la télévision tout en sirotant mon frappé.
TOUT EST NORMAL !
Je tombais après un zapping féroce sur le retour des tomates tueuses, parfait ! Je m’employais à ignorer totalement les autres personnes présentes dans la pièce. Non, je ne boudais pas. Non, je ne délirais pas. J’en avais juste marre.
Il fallait être clair, il y avait quatre statues dans mon salon dont trois qui me fixaient d’un air ahuri, bon l’autre regardait toujours le mur, rien à y redire. Moi, je regardais mon film et je les ignorais. Je sentais bien qu’ils réfléchissaient à mon comportement et n’y comprenaient rien. M’en fiche, à eux de nager un peu.
C’est Ada qui rompit le silence.
– C’est qui l’acteur ? Sa tête me dit quelque chose.
– George Clooney.
– Il est vachement jeune là, siffla Théa.
Le silence revient, je restais concentrée sur le film.
– Et c’est tout ? Vous ne réagissez pas plus ?
C’était une voix grave qui venait de s’élever dans le salon, je sursautais et me tournais vers la vieille femme qui avait arrêté d’admirer le mur pour poser les yeux sur moi. Je la regardais distraitement sans m’attarder puis sans rien dire, je retournais mon attention sur le film.
Ils étaient quatre à me fixer, je sentais leurs regards sur moi. Non, je ne dirais rien, je ne bougerai pas, je ne réagirai à rien. J’en avais marre. C’était tout simple, je voulais qu’on me fiche la paix. Pas envie d’être un pion dans le jeu politique de l’un ou un objet à surveiller pour d’autres, pas plus envie d’être une petite chose à protéger pour mes amies. J’étais en train de me poser, réellement, la question d’un retour en Europe, un retour à la normale et l’envie en ce moment était très forte. Je fixais l’écran en mâchouillant ma paille. Pour dire vrai, je cogitais comme une malade sur les événements et les révélations de ces derniers mois, me demandant combien il y en aura encore. Je pris une décision, enfin, ma petite voix m’en a soufflé une. Le livre d’Andersen, et si je le lisais enfin, lui qui dormait sur ma table de nuit. Je me levais, posais mon verre à la cuisine et sans regarder personne, je filais dans ma chambre saisir l’objet et quelques affaires de rechange. J’avais besoin d’un autre environnement et je trouvais la petite chambre à l’hôtel de plus en plus intéressante. Je redescendais presque en courant les escaliers et je chopais mon sac et mes clefs de voiture avant de lancer aux quatre ahuris dans mon salon.
– Amusez-vous bien, j’ai besoin de calme !
Et je les plantais là.
Chapitre 16
Je n’arrivais pas à l’hôtel. À peine sorti, je tombais sur une voiture qui venait de s’arrêter. Le conducteur ne m’était pas inconnu, monsieur Andersen me fixait intensément puis sembla comprendre la situation et ouvrit la portière côté passager.
– Monte ! J’ai l’impression que tu as besoin de calme et de réflexion et j’ai une chambre d’ami qui devrait faire l’affaire pour un moment de solitude. Si ça te dit. Je pensais arriver à temps pour éviter à Théa et Katherina de s’entre-tuer, mais la maison est toujours debout et je n’entends pas de cris, donc ça doit aller.
Je ne pris même pas la peine de réfléchir et je m’installais dans la voiture. Une fois arrivés chez lui, il m’amena dans une petite chambre mansardée au dernier étage de sa maison, au-dessus de la librairie et me demanda si j’avais besoin de quelque chose. Je lui fis non de la tête tout en regardant cette chambre dépouillée, un lit, une table, une chaise et rien, enfin si, une petite salle d’eau sur le côté. Il me fit un petit sourire, hocha de la tête et il me laissa seule.
Je restais là comme une conne puis m’allongeais sur le lit pour réfléchir, mais je m’endormis. Lorsque je me réveillais, le soleil était déjà haut dans le ciel, ne sachant pas trop quoi faire, je restais assise les yeux dans le vague et si un coup n’avait pas retentit contre la porte, je pense que je serais restée là, à regarder le vide pour le restant de ma vie.
Monsieur Andersen se tenait devant la porte un plateau dans les mains. Il me fit un petit sourire et dit :
– Tu peux rester ici le temps nécessaire, je pense que personne n’a besoin de savoir où tu es.
Je l’interrompai.
– Je n’ai pas besoin d’un protecteur de plus, là j’en ai mon compte.
Il partit d’un éclat de rire franc et joyeux.
– Non, non, tu m’as mal compris. Je ne vais pas me transformer en protecteur ou te garder enfermée. Dis-toi que je comprends mieux que tu ne le penses ta position. Ils sont parfois invivables avec leurs manières et ils oublient trop vite que leurs connaissances et leur âge, ne sont pas les nôtres.
– Pourtant, monsieur Andersen, vous n’êtes pas humain alors…
– Alors, je suis un mage et mon espérance de vie, bien que plus longue que celle d’un humain ne dépassera pas les deux cents ans, pas des millénaires comme Théa ou Livius, me sourit-il. Rien à voir !
Il me tendit le plateau rempli de mon petit déjeuner.
– Je sais que c’est beaucoup à avaler entre les mensonges, les non-dits et les oublis de tes amis. C’est dans leur nature et je trouve que tu prends les choses plutôt bien, tu restes étonnement calme. Un trait de caractère qui n’arrête pas de m’étonner. Profite de rester tranquille et de lire un peu ! Laisse-les s’inquiéter et se prendre la tête, c’est leur tour. Je pense que ça leur fera du bien d’être incapable de tout surveiller. Ils ont un peu trop pris l’habitude de te couver, ici ils ne te trouveront pas. Et, je m’appelle James.
Il me planta là sans un autre commentaire. Interloquée, je posais le plateau sur la petite table et me servit un café-jus de chaussette infecte, tout en repensant à ce qu’il venait de me dire en ne sachant pas trop quoi en faire. Je regardais un instant les œufs brouillés qui ne me disais rien et me recouchait pour me rendormir presque aussitôt.
Il me réveilla en rentrant, étonné de me trouver encore endormie. Je ne sais pas pourquoi, mais son air inquiet et attentif, l’expression de compréhension que je lisais dans ses yeux provoqua chez moi une réaction inattendue. Je me jetais dans ses bras et pleurais toutes les larmes de mon corps, il ne dit rien se contentant de me frotter le dos, tient ça devient une habitude pour les gens du coin. Après un temps infini, je me calmais, reniflais et levais les yeux vers l’individu qui ressemblait, de mon point de vue, le plus à un humain et lui soufflais.
– J’en ai marre de tout ça. Je veux rentrer chez moi.
– Allez, calme-toi, tu tiens bien le choc, mieux que tous ceux qui sont passés là avant toi. Tu prends les choses comme elles viennent sans tenter de caser cela dans une logique qui n’a rien à y faire et tu restes toi-même. C’est surprenant, mais c’est une bonne manière de faire. Cependant, je reconnais que tu as besoin d’une pause loin de tout ça et de calme pour réfléchir.
Il me fit me lever et du doigt m’indiqua le livre qui traînait sur le sol
– Tu devrais vraiment le lire. La maison est à toi, je dois m’absenter quelques jours. Prends le temps nécessaire ! Ma maison est protégée, la magie te cachera aux yeux de tous. Ils en ont besoin, perdre le contrôle n’est pas ce que tes amis apprécient le plus, fit-il en m’offrant en sourire démoniaque. Ils vont devenir fous et ce sera plus facile pour toi de prendre du recul sans être tout le temps en leur compagnie. Réfléchis, calme-toi, prends tout le temps dont tu as besoin ! Tu es ici chez toi.
Je devais avoir l’air d’une grosse andouille, les yeux et le nez rouges, les joues encore trempées de larmes et le regard vide. Cool, je me sentais vraiment bien. Si, si vraiment.
J’attrapais le livre et me jetais sur le lit. Je le regardais comme si c’était un crapaud visqueux ou un truc qui allait me sauter à la figure, à peine ouvert. Je le retournais dans tous les sens sans réussir à me décider.
En soupirant, je regardais les petits marques pages qui en dépassaient, portant le nom de toutes les personnes que je connaissais en ville. Toutes ! Elles y étaient toutes. Pas un humain n’était dans mes connaissances. Je tripotais le livre toujours hésitante et finit par l’ouvrir au marque-page qui portait le nom de Théa. Je pris une grande inspiration, soufflais fort et me mit à lire.
Ce que je trouvais le plus étonnant, n’était pas les détails sur les ondines qui finalement ne représentaient que deux chapitres et je savais par Théa que son clan était un des seuls vraiment dangereux. Mais ces pages donnaient les détails de la vie de Théa et que de la vie de Théa. Certes, pas tous les détails si son nom complet, La Théadora était bien écrit en majuscule, je ne trouvais pas son âge, ni les lieux de son enfance. Son histoire semblait ne commencer qu’avec la submersion de l’île de Santorin en moins mille-six-cent quelque chose, ce qui, si je calculais bien, lui donnait presque quatre mille ans.
Waw, je pouvais me sentir comme une gamine encore longtemps. Ce qui sous-entendait que Livius était encore plus vieux. Voilà, gamine j’étais, gamine je resterai, cool le petit aperçu de leur âge me faisait me sentir encore plus mal, minable aussi.
Je regardais la page indiquée comme celle d’Ada, même topo, le premier chapitre donnait les caractéristiques de la race et me permit d’apprendre que les métamorphes, loups et autres, vieillissaient vraiment moins vite que moi, puis uniquement celle d’Ada. De sa naissance, en 1980, donc, elle aussi, ne faisait pas son âge, au meurtre de sa famille et à sa vengeance total jusqu’à sa vie de ses dernières semaines alors que le livre était dans ma chambre.
Passant sur le comment, passant sur le pourquoi, je lus attentivement tous les détails sur mes amis soudain affamés d’en apprendre plus sur ce monde que dorénavant je côtoyais et dont les membres avaient oublié de préciser suffisamment de détails pour que je considère qu’ils m’avaient tous menti.
Au fur et à mesure de ma lecture, je me sentais de plus en plus fragile, jeune et je me sentais totalement idiote. Je ne comprenais toujours pas pourquoi, ils s’étaient liés à moi, mais pourquoi ils me protégeaient, devenait à chaque page plus compréhensible. Leur comportement avec moi s’expliquait et je leur en étais à chaque ligne plus reconnaissante.
Je restais cachée trois jours qui me firent le plus grand bien. J’avais étudié à fond les différentes personnes que j’avais rencontrées depuis mon arrivée ici. J’avais tenté de me donner toutes les chances de ne plus me mettre en danger ou à défaut de ne plus obliger mes amis à me défendre.
J’avais aussi, pris la décision de rester et de prendre une part active dans ma vie et ne plus laisser tout le monde décider pour moi. Si, j’y arriverai, je m’en étais auto-persuadée. On ne se moque pas ! C’est remplie de confiance en moi que je décidais de rentrer dans Ma maison, dans ma nouvelle vie, j’avais le menton haut et je me sentais prête à conquérir cette vie.
Enfin que j’avais décidé d’y rentrer parce qu’à peine trois minutes après avoir fermé la porte de chez monsieur Andersen, de chez James, qu’Ada flanquée de Suzanne, furieuses, échevelées et franchement remontées après moi, me tombèrent dessus en hurlant.
Pour faire clair, les seuls mots que je pus comprendre tournaient tous autour de t’es folle, inquiets, plus jamais et idiote. J’en ai fait un résumé, mais vous avez compris la teneur de la majestueuse engueulade que je me pris. Pendant qu’Ada s’époumonait en cœur avec Suzanne, une fusée rousse me sauta dessus en me serrant si fort que j’en eus le souffle coupé et trois côtes sûrement fêlées puis me relâcha pour unir sa voix à celle des deux autres.
Je laissais faire, franchement qu’auriez-vous fait à ma place ? Je laissais la tempête se calmer sans tenter de me justifier ni de réagir, une vieille habitude que j’avais prise lors des discours de ma mère. J’étais devenue maître dans le mouvement de tête qui ne voulait rien dire, mais qui pouvait faire croire que j’écoutais. Une fois le pire, pas passé, mais calmé, je pris ma petite voix et leur dis :
– J’avais besoin de calme et je n’étais pas perdue, mais juste chez monsieur Andersen, chez James et si j’ai bien compris dans le seul endroit en ville où vous ne pouviez pas me retrouver. Franchement, je ne suis pas stupide au point de me mettre en danger. J’ai bien compris qu’ici ce n’était pas le coin le plus sûr pour moi. J’en ai marre que vous me preniez pour une idiote finie, mais je peux comprendre que vous vous soyez inquiétées.
Silence, soupirs, yeux au ciel, les miens, la conversation avançait bien. Je lançai sûre de moi.
– Et puis c’était que trois jours et mon patron était au courant de mon absence puisque je squattais chez lui, rien de si terrible. Si vous ne vous calmez pas, je repars en vacances, loin de vous.
Franchement, je voulais bien reconnaître qu’elles avaient dû s’inquiéter, mais dans le coin que pouvait-il se passer en trois jours ?
– On était tous inquiets, ne pas te retrouver…On a imaginé le pire, dit Théa en fermant les yeux.
– J’ai quand même le droit de vivre sans être tout le temps collée à vous !
– Oui, bien sûr, grinça Ada. Mais pas sans, pas si, pas comme ça, au moins donne des nouvelles.
Je haussais les épaules.
– Je suis venue dans cette ville chercher le calme, on ne peut pas dire que c’est ce que j’ai trouvé. Alors un peu de temps pour souffler ne me semble pas être trop demandé.
Là, elles avaient toutes trois l’air gênées.
– Je sais ma petite, finit par dire Suzanne, je sais, ce n’est pas vraiment ce que tu pensais, mais ne crois-tu pas que c’est ce que tu recherchais ?
Mais, elle me prend pour qui elle ? Désolée, mais non, du calme, c’était trop demandé ? Je soupirais, une fois, deux fois et en prenant toujours de grandes inspirations, je les regardais tour à tour.
– Je vous aime toutes les trois. Vous êtes des amies géniales. Je n’en ai jamais eu comme vous. Mais arrêtez de me surprotéger. Qu’à mon arrivée, comme je ne savais rien, vous vous êtes occupées de me rendre la vie facile, je vous en suis reconnaissante que je puisse vivre sans avoir à m’inquiéter des dangers qui pourraient me tomber dessus, avec de la population du coin, c’est fabuleux. Je sais bien que ce n’est qu’à vous que je le dois. Néanmoins, je pense que depuis quelques semaines, vous exagérez et franchement je me sens étouffer. Je n’ai plus dix ans et puis je voulais prendre le temps de…
Je sortis le livre de James de mon sac et le leur montrais, Suzanne pâlit, elle connaissait donc l’existence du livre et son contenu.
– Tu l’as lu ?
– Oui.
– Oh !
Elle ne dit plus rien, vraiment plus rien. Elle regardait par terre, mal à l’aise, mais Théa réagit différemment, un peu comme je l’avais imaginé en fait.
– Cool, alors tu sais, je me demandais quand tu te déciderais, depuis le temps que tu l’as et qu’as-tu pensé de mon histoire ?
Elle était sérieusement curieuse, pas inquiète pour deux sous. Ses yeux verts plantés dans les miens.
– T’en as bavé.
Voilà tout ce que je trouvais à dire à mon tour. Oui, mon amie aussi étrange que dangereuse, en avait bavé. Elle était la seule de son espèce à avoir été bannie, toutes les autres ondines avaient plus ou moins reçu le pardon et continuaient leur vie d’avant, pas elle. Elle avait payé pour les autres. Enfin, elle n’avait pas rien fait, loin de là, elle était si j’en croyais les écrits, la tueuse la plus prolifique de son espèce. Cependant, lors du traité de paix, elle seule fut sacrifiée en signe de bonne volonté de son clan et se retrouver ici, loin des siens, comme une pestiférée, n’avait pas amélioré son caractère. A son arrivée en ville plusieurs disparitions lui étaient imputées et quelques bagarres plutôt sanglantes, mais elle semblait s’être calmée au fil des années et se tenir presque à carreau depuis mon arrivée.
Les autres clans avaient banni plusieurs des leurs comme Suzanne et Judicaël et les cinquante membres de leur meute qui ont été rejoints par quelque centaine d’autres loups au fil des négociations. Donc, personne ici n’est tout blanc ni tout doux. Je m’étais interrogée sur la paix qui régnait malgré tout en ville et je ne voyais pas comment de tels soldats avaient pu se ranger sans souci. Finalement ce n’était pas mon problème. Non, mon problème était plutôt de leur tendance ultra protectrice avec moi. Attention ! Je ne niais absolument pas que j’avais toujours besoin de protection. J’avais déjà bien compris qu’ici je n’étais rien, mais depuis nouvel-an, c’était l’escalade. C’était parti de la petite humaine innocente et soyons honnête, stupide à la petite humaine qui savait, mais que l’on devait couver et je n’appréciais pas.
– Pas tant que ça. La voix de Théa coupa mes réflexions. Plus de la solitude que du coin.
Sa voix était douce sans colère, juste des regrets puis elle redevint le feu follet dont j’avais l’habitude
– Maintenant qu’on t’a retrouvée, il va falloir discuter d’un léger problème dont je peux me charger si tu veux. Mais elles, elle fit un signe de tête vers les louves, ne sont pas vraiment d’accords
– Un problème ?
– Bien des choses se sont passées en trois jours ! Râla Ada.
– Et un nombre impressionnant de messages sont arrivés sur ton téléphone. Un certain Jacques a tenté de te joindre au moins une centaine de fois.
Ok, donc mon ex avait tenté de me joindre, mais était-ce le problème ?
– C’est lui le problème, pourquoi ?
– Il arrive en fin de semaine.
Je grimaçais et je posais la question la plus sensée qui me venait en tête.
– Et ça change quoi ? Il va loger à l’hôtel, donc Mona pourra…
– Le faire repartir, mais pas l’empêcher de te voir, finit Ada.
– Hé bien je le verrais, ça change quoi ? Je m’attendais à voir débarquer mes parents un jour. Vous ne les connaissez pas, mais ça va finir par arriver. Alors que ça commence par lui ou par eux, ce n’est pas la catastrophe. Vous pensiez me cacher ? Pourquoi ? C’est un humain, donc je peux parfaitement gérer. Ce n’est que mon ex pas un dragon qui débarque, autant y faire face et le faire repartir vite fait.
Je trouvais cela même mieux. Je ne ressentais plus rien pour lui depuis longtemps. Non, ce n’est pas vrai, je lui en veux toujours pour la gifle, mais pas au point de laisser Théa régler le problème. L’idée faillit me faire marrer.
– Et non, Théa, dis-je en la fixant, ce n’est pas parce que c’est mon ex que tu dois te croire obligée de le tuer. C’est un connard. Il a eu un geste qu’il n’aurait jamais dû avoir, mais qui ne mérite pas la peine de mort. Et puis vous devriez le remercier, je ne serais jamais arrivée ici sans ça.
Je ne le leur dis pas, mais j’en étais persuadée qu’il venait à la demande de mes parents pour me convaincre d’en finir avec ma crise d’adolescence tardive et revenir à la maison comme la bonne fifille que je devrais être selon eux. Il allait être déçu. J’imaginais sans peine les réactions des deux folles qui me servaient d’amie-garde du corps et tueuses à temps partiel, s’il se montrait trop têtu ou qu’il tentait de m’intimider. Voilà, une chose qui avait changé, il ne me faisait plus peur.
– De toute façon, dit celle-ci, Suzanne et Ada ont réfléchi ensemble à une solution et elles pensent que ça te conviendra.
– Une solution à quoi ?
– Pour le faire partir rapidement, dit Suzanne, qu’il comprenne bien qu’il n’est pas le bienvenu, mais nous en parlerons une fois rentrées. Livius vire dingue.
Je fus poussée jusqu’à la voiture d’Ada et je ne reçus aucune réponse à mes questions sur l’humeur de Livius. Je me calais dans mon siège en fronçant les sourcils. Qu’allait-il encore m’arriver ? Que me réserverait ma mini-fugue avec le vampire-colocataire ? Qu’avaient-elles encore inventé ? Pourrais-je, un jour, retrouver le calme que je désirais ?
Le trajet du retour se fit en silence, moi derrière, le front appuyé contre la vitre, Suzanne raide comme la justice sur le siège passager avant, Ada lèvres serrées au volant, Théa nous suivant dans sa voiture. On aurait juré que nous nous rendions à l’enterrement d’un ami proche, mais non, nous rentrions chez moi dans la joie et la bonne humeur.
Mes bonnes résolutions semblaient disparaître avec la distance qui se réduisait entre la ville et mon chez-moi. J’avais la trouille qui remontait, le nœud dans mon estomac en était la preuve. J’avais occulté ce besoin maladif que Livius avait de me protéger et ce que j’avais lu sur lui me le présentait sous un jour plutôt particulier. Je comprenais le pourquoi de ce comportement de papa inquiet. Pourtant, j’avais du mal à associer les deux visions que j’avais de lui, celle du livre et celle du papa-vampire qui vivait avec moi.
Vieux, à ce point-là, je ne me l’étais jamais imaginer. Il était plus vieux que les pyramides et avait dû voir leurs constructions. Conti et lui étaient mésopotamiens. J’avais noté dans un coin de ma tête de contrôler dates et lieux, mais je n’avais pas pris le temps de le faire durant ma retraite. Ce qui m’avait frappé, c’est qu’il avait choisi de vivre ici. Il n’était pas parmi les bannis de son peuple. Pourtant, il avait préféré suivre sa compagne et son ami Conti et ce qui me mettait dans tous mes états et m’inquiétait, étaient les événements qui ont suivi, l’amenant à disparaître.
Sa compagne Carata, assassinée par un clan de vampire rivale, lors de son absence pour un conseil où sa présence, en tant que représentant des vampires du coin était obligatoire. À son retour, il avait retrouvé sa maison en feu et la tête décapitée de sa femme mis bien en vue sur le porche. Sa réaction fut, à mes yeux, terriblement violente. Non seulement, il tua les responsables, mais fit disparaître toutes les lignées ascendantes et descendantes des responsables, soit presque trois cents vampires tués dans cette course à la vengeance. Vengeance comprise et admise par les siens, mais qui avait fait de lui, l’un de vampire les plus meurtriers et l’avait fait entrer dans la légende.
Puis, il avait disparu.
Plus aucun écrit jusqu’à mon arrivée. Le livre n’avait donné aucune explication sur ce retour en « vie ». Juste que ça correspondait, plus ou moins, à mon installation dans la maison et ça me foutait la trouille, parce que le livre n’avait pas levé le voile sur grand-chose pouvant expliquer cette relation étrange qu’il y avait entre nous.
Je me traitais d’idiote, il ne fallait pas que je me laisse aller à paniquer. Je devais me tenir à mes décisions et ne plus subir sans réagir et d’être une idiote d’humaine, certes, mais pas une marionnette, même si pour mes amis les raisons de me protéger semblaient plus que valable et pour moi aussi, si je me montrais honnête.
C’était d’un pas décidé que je poussais la porte et entrais avant de me figer et de faire demi-tour. Voilà, j’étais une grande fille et je décidais de ne plus me laisser marcher dessus et je ne paniquais pas. Non, du tout, mais alors pas du tout, je ne paniquais pas ! Mais, que foutait tout ce monde chez moi ? C’est donc, avec convictions et fierté que je faisais demi-tour. Ada me chopa par un bras, Théa me poussa sur le ventre pour me faire reculer et Suzanne voyant que je résistais, m’attrapa par l’autre bras pour me faire rentrer. Voilà, c’était donc à moitié soulevée par les deux louves et maintenue par Théa que je rentrais chez moi, en marche arrière, sous le regard étonné des gens qui squattaient mon salon.
Je sentais bien combien on me respectait et combien on respectait mon libre arbitre. Bref, tout est normal. Je n’avais pas déjà dit ça ? Donc je redisais encore une fois tout est normal !
Posée presque de force sur le canapé, la mine boudeuse, je regardais les intrus qui squattaient ma maison, en face de moi se tenait Mona, Livius, Conti, Judicaël, Katherina et Bogdan, le boss d’Ada, et tous me regardaient de travers. Mes bonnes résolutions fondaient comme neige au soleil. Je me ratatinais dans le canapé, oui, je faisais à cet instant vraiment grande fille sûr d’elle et décidée à se faire respecter. On ne se moque pas de moi ! Je voudrais vous y voir. Ada s’assit à côté de moi avec le sourire de travers et Théa se jeta de l’autre côté en rebondissant et me faisant sursauter. Elles se marraient.
Bon, voilà, voilà…
– Elle était où ? demanda Mona.
– Chez moi, dit James en passant la porte avec un sourire allant d’une oreille à l’autre.
Tiens manquait plus que lui. Ils se retournèrent tous et le fixèrent. Il leva les mains en signe de paix devant les regards assassins qui le fixaient.
– Elle avait besoin de s’éloigner un peu de vous, de nous. Vous la traitez comme une enfant. Elle l’est pour vous, mais pour une humaine, elle est adulte, plus une enfant depuis longtemps et elle est capable de prendre ses propres décisions si vous lui donniez toutes les données et pas seulement des bouts arrachés de-ci de-là. Vous avez de la chance qu’elle ait ce caractère. Accepter notre existence, accepter nos secrets, accepter ce besoin de la surprotéger, nous accepter tel que nous sommes, sans demander plus. Il était normal de la laisser un peu souffler loin de nous, franchement vous auriez dû le faire avant et je lui ai fourni les informations nécessaires que vous n’avez pas eus envie de donner.
– Il lui a refilé son bouquin traqueur, se marrait Théa.
Là je dois dire que les têtes en face de moi se tendirent sérieusement, il y eut des grognements et des soupirs.
– Bien, reprit James, on ne va pas en faire une maladie, elle n’est plus une enfant, martela-t-il. Le savoir permet de mieux éviter les problèmes, au lieu de juste les gérer pour elle et de tout lui cacher.
Il avait l’air si calme et tranquille que je regardais plus attentivement autour de moi. Tous les autres semblaient contrariés et tendus. Ce que j’avais appris sur eux me permettait aujourd’hui de voir dans leurs expressions ce qu’ils étaient derrière le masque. Surtout, ça me permettait de me rendre compte que seule Théa assumait totalement et pourtant si quelqu’un avait à se reprocher quelque chose, c’était bien elle. Là, je dois admettre que l’avoir pour amie était une chance, le contraire aurait été une fin rapide pour moi. J’en frissonnais, mais la rouquine me fit un clin d’œil et souriait.
– Ils ont tous l’air super coincé, tu ne trouves pas ?
Je repensais à son imitation de Conti-dracula, me mordis les lèvres pour ne pas rire alors que tous ceux présents tiraient la tronche puis elle rajoutait.
– Et puis sont tous super vieux et super vieux jeu.
Je pouffais devant ses yeux qui pétillaient et craquait définitivement alors qu’elle concluait.
– Je suis plus vieille qu’eux, plus dangereuse et nettement plus dans le coup, moi.
Je me mis à rire franchement. Car oui, elle était plus jeune dans sa tête que moi et plus dangereuse que tous ceux présents. Je l’avais bien compris, mais surtout elle ne se prenait pas au sérieux dès que j’étais dans les parages comme pour me prouver qu’elle ne me voyait pas comme une enfant et que son amitié était des plus vraie. J’aimais ça. Calmée nette, par le regard tueur et furieux de papounet-vampire, je demandais entre mes dents :
– Il est vraiment furieux après moi ?
– Il s’est inquiété, tu vas te faire engueuler, mais ne l’écoute pas, c’est qu’un vieux ronchon.
Bonne description sauf qu’après ce que j’avais appris, je comprenais mieux son inquiétude et je me sentais mal à l’aise. Il ne me restait plus qu’à subir sans rien dire l’engueulade que j’allais me prendre.
– Ils font quoi tous là ?
Continuais-je sans oser regarder qui que ce soit.
– Nous nous sommes invitées à une réunion des huit. Je n’ai jamais réussi à m’y incruster.
– Tu n’y es pas ?
– Je suis sous l’autorité de Mona. Du moins, ils le croient.
Elle me grimaça un sourire et fit semblant d’être super attentive à ce qui se passait autour de nous.
– Je pense que la réunion devrait être reportée puisqu’il n’y a rien à débattre d’important et que la présence de plus que les huit, nuit à la réunion. Fît la voix grave de Katherina
Elle était raide comme une planche et avait repris son inspection du mur derrière moi. James le remarqua et lui fit la remarque. Elle lui répondit d’un ton encore plus sec
– Elle n’est ni sorcière, ni elfe, ni fée, ni quoi que ce soit de connu. Je sais pourtant qu’elle n’est pas qu’humaine. Mais comme ce n’est pas le but de ce conseil, je ne vois pas pourquoi je devrais la supporter donc je vais m’en aller, si certains souhaitent rester qu’ils le fassent.
Elle fit une mimique qui disait qu’elle ne le voulait pas, c’était parfaitement clair. Elle se leva, fit un geste de tête en direction des autres et sortit suivie par Bogdan et Mona. Et hop, trois de moins en restait cinq, loup, sorcier, ondine et vampires, tiens au fait, ils faisaient quoi les deux sangsues debout en pleine journée ?
– Vous ne dormez pas ?
– Les avantages de l’âge, me répondit Conti dans un sourire.
Je le lui rendis, mais la mine sévère de Livius me fit me coller à Théa qui me souffla dans l’oreille.
– Pas de panique. Ada et moi on lui fait sa fête s’il t’attaque.
Ada assura doucement.
– Demande et on se le fait sans souci. J’ai besoin de calmer mon stress, c’est une bonne solution plutôt que de t’égorger.
Théa éclata de rire. Moi, je me sentais super mal à l’aise et cherchais dans le regard de la brunette si oui ou non, elle le pensait. Son regard glacial me fit mal au cœur, puis je vis un éclair qu’elle n’arrivait pas à retenir, un éclair de moquerie planqué tout au fond, mais bien réel. Impulsivement, je l’embrassais sur la joue en lui demandant pardon de l’avoir inquiété. Elle me prit dans les bras et nous fûmes rejointes par Théa.
Là, si j’étais franche, je me sentais à la maison, en sécurité et heureuse de l’accolade de mes amies. J’étais simplement bien. J’étais à ma place. Ne me demandez par comment ces deux pestes avaient pris tant de place dans mon cœur. Pourtant, je me sentais plus proche d’elles que de mes sœurs et à ce moment précis, je comprenais que jamais je ne partirais d’ici parce que ici, c’est chez moi.
Chapitre 17
Nous étions toujours toutes les trois enlacées quand une main se posa sur ma joue. Je levais la tête et croisais des yeux noirs qui me disaient à quel point leur propriétaire s’était inquiété, mais qui me disaient aussi que j’allais le payer.
– Si vous pouviez stopper les effusions, nous devons parler de ce Jacques.
Suzanne s’en mêlait. Je me tournais vers elle d’un coup en lâchant mes amies. La main qui était sur ma joue se retrouva sur ma nuque et la pression que je sentais n’indiquait rien de bon.
– C’est quoi votre problème avec lui, il vient, il me voit, me dit ce qu’il a à me dire et il s’en va.
Ok, Jacques venait me voir et ? Franchement, j’étais étonnée qu’il ne soit pas déjà venu et que ma famille et lui m’avaient laissé aussi longtemps tranquille. Ça devait finir par arriver. Les premiers moins, je pensais les voir débarquer tous les jours. Avec le temps, je m’étais dit qu’ils s’étaient fait une raison et comme ma mère avait cessé de me parler de Jacques, je m’étais imaginée qu’il avait trouvé une autre gentille petite femme. Ce n’était pas le cas, il venait pour me récupérer. C’était dans son caractère, mais je ne céderais pas. Je ne l’aimais plus et je n’avais aucune raison de retourner en Europe. Sa visite méritait un tel branle-bas de combat ? Nope, pas de mon point de vue.
– Tu es certaine que ce sera aussi simple ? Me demandait Suzanne, l’air préoccupée.
– Ben oui.
– Tu ne penses pas qu’il va s’incruster ou…
Je compris alors une partie du problème.
– Je ne partirai pas. Je n’en ai aucune envie et de plus, je ne ressens plus rien pour lui.
Voilà, c’était clairement annoncé.
– Mais s’il fait le voyage pour te voir.
C’était au tour d’Ada d’avoir l’air mal à l’aise.
– Et quand bien même, la coupais-je. Il restera chez Mona, ici, c’est complet. Après m’avoir vu, il repartira.
– On s’était dit que si tu n’étais plus célibataire ça aiderait, continua Ada.
Je prenais le temps d’y réfléchir. Oui, ça aiderait à le faire partir plus vite et ça calmerait aussi mes parents qui n’auraient plus de raison de me demander pourquoi je me plaisais plus ici que chez eux. Je ne pouvais pas leur répondre que je me sentais plus aimée par ces étrangers qui m’entouraient que par ma propre famille donc je ne répondais jamais. Je ne pensais que cela serait bien pris.
Je les regardais ces étrangers, je les regardais vraiment. Suzanne qui se comportait comme une mère pour moi. Judicaël, bourru, mais toujours présent. James qui m’avait offert un travail. Conti qui, Conti qui rien en fait, Livius à la fois papa, protecteur et ami aux sentiments si complexes, Ada et Théa, mes inséparables amies, sœurs de cœur qui comptaient aujourd’hui plus que personne d’autre n’avait jamais compté. J’avais déjà compris que je ne partirai jamais d’ici, mais à cet instant, mon cœur fut rempli d’amour et me fit presque mal, tellement je les aimais ces étrangers bizarres et dangereux.
– Ça aidera, mais de toute façon, je ne partirai pas. Je suis heureuse ici.
J’avais failli dire avec ma nouvelle famille, car c’est ce qu’ils devenaient, ma famille.
Quelque chose se passa, je pus voir dans les regards qu’ils avaient sentis ou compris ce que je venais de comprendre. Suzanne se mit à pleurer doucement sans bruit. Judicaël lui passait la main dans le dos en se grattant la gorge. James souriait en me regardant. Théa pleurait comme une fontaine sur mon épaule, imitée par Ada dans mon dos. Conti fronçait les sourcils sans bien comprendre quant à Livius, lui c’était figé les yeux brillants sans rien dire ni laisser plus transparaître. Je craquais et me mit à pleurer aussi, de bonheur.
– Il se passe quoi ici ? Demanda un Conti complètement ébahi.
– Rien, grogna Judicaël, juste une petite mise au point qui était nécessaire pour certaines.
Il se racla la gorge et repris.
– Nous nous étions dit qu’avoir un petit ami ici permettrait à ce type de ne pas traîner. Francis, c’est proposé, mais nous ne nous sommes pas encore mis d’accord et finalement, c’est à toi de décider.
– C’est urgent ? reniflais-je. Il arrive quand ?
– Il arrive demain et Ada est censé aller le récupérer à l’aéroport.
– Pourquoi Ada ?
Je me tournais vers elle.
– Comme pour toi, service de l’agence de voyage pour ceux qui débarquent en ville. Comme tu ne répondais pas à ses appels, je lui ai dit que tu étais partie en rando avec mon boss et que le téléphone ne passait pas en forêt.
Je hochais de la tête et j’allais assurer que Francis m’allait bien quand Théa l’ouvrit.
– Je ne suis pas pour Francis. Il y a déjà un homme qui vit ici et si l’on part du principe qu’il y a trois chambres dont deux sont occupées par Ada et moi, que Livius dorme dans celle de Sophie au lieu de dormir à la cave, donnerait plus l’impression qu’ils sont en couple que Francis qui a un chez-lui en ville. De plus, ses affaires traînent déjà dans tous les coins.
D’un geste elle indiquait les livres, le fauteuil et la pipe qui traînaient toujours au salon puis de son autre main elle montrait le manteau et les chaussures qui étaient rangés dans l’entrée.
– Rien à changer, juste le dodo.
Avant même que je puisse répondre un mais non, ça va pas la tête ? Parce que oui, ma relation avec ce truc plein de dents n’était pas claire, mais alors pas clair du tout. De plus presque deux ans de célibat ne me permettait pas d’éviter à le trouver totalement comestible et craquant. Oui, bon là d’accord, c’était petit, mais ce n’était qu’une vengeance mentale au poulet fermier. Je ne tenais pas à dormir avec quelqu’un qui m’avait bien précisé qu’il avait envie de me goûter et je n’étais franchement pas attirée par l’idée. Je ne pus rien dire du tout, car ça causait de tous les côtés sur le bien-fondé de la réflexion de Théa seul Conti n’y participait pas. Lui regardait alternativement Livius et moi, et lâcha surpris :
– Vous n’avez pas encore couché ensemble ?
Sa remarque fit un effet bœuf, plus personne ne parlait et tous nous regardaient. Youpi, c’était ma fête.
– Nous sommes amis, dis-je de la pire voix de fausset que j’avais en répertoire. Lorsque je m’entendis je complétais vite fait. Il me traite comme sa fille !
Voilà, je n’avais rien de plus à dire. Je me retournais vers Livius pour qu’il confirme. Il ne le fit pas.
– Je déménagerais quelques jours dans ta chambre. Quelles excuses pour mes absences en journée ?
– Ton travail, tu bosses, tu rentres tard et tu profites de ta chérie et de ses dingues d’amies, très humain comme comportement.
Théa avait lancé ça comme si tout était normal et tout le monde en conclu que c’était la meilleure solution. Mais non, je suis pas d’accord moi. Je peux dire que je ne suis pas d’accord ? Mon regard tomba sur Conti et je me mordis les joues pour ne rien dire. Quelque chose dans le regard qu’il posait sur Livius me retint de me plaindre. Bon, me voilà en couple avec, avec… lui !
Qu’avais-je dit sur le fait de m’imposer et de ne plus me laisser traiter en petite fille ? Je suis nulle.
Comme ma situation de couple avait été réglée au mieux d’après les personnes présentes, il m’avait fallu expliquer mes trois jours de retraite, puis leur promettre que rien de ce que j’avais lu ne m’avait décidé à les haïr ou à en avoir trop peur pour les considérer comme mes amis. Il me fallut ensuite écouter sans broncher pour la millième fois leurs reproches. Si Conti nous quitta à la nuit tombante, les trois autres insistèrent pour rester et préparer encore l’arrivée de mon ex.
Après un repas copieux cuisiné par Suzanne et avalé en partie par Ada, une bonne dose de reproche et de commentaires sur mon caractère, les comploteurs se décidèrent à rentrer chez eux, me laissant avec Ada, Théa et Livius.
Alors que je m’attendais à finir la soirée en blablas, reproches et cancans, Ada et Théa dans un duo parfait se mirent à bailler et annoncèrent qu’elles allaient se coucher. Mouais, ça ressemblait plutôt à une fuite en règle ou à un piège, plutôt un piège d’ailleurs. Voilà, je me retrouvais seule avec celui qui jouerait au petit ami dès demain soir, mais qui pour le moment ne disait rien, le nez dans un bouquin.
Je le regardais attentivement me demandant comment nous pourrions avoir l’air d’un couple heureux puis mes pensées dérivèrent et je pâlis. Non, je ne pensais pas à lui, enfin pas en tant qu’amant, mais plutôt à ce qui arriverait si, un jour, je ramènerai un ami dans mon lit. Je me voyais lui dire : ne fait pas de bruit papounet est réveillé, il ne faut pas qu’il te voie. Je m’imaginais dire : allons plutôt chez toi, même si ce chez toi était une chambre humide au fond d’une cave. Je pouffais puis me figeais en réalisant qu’entre mes trois colocataires, il n’y aurait jamais de place pour un homme dans mon lit. Comment en trouver un qui convienne ? Comment leur dire : celui-là je me le fais alors laisser le tranquille. Déjà comment leur dire : au fait les amis, j’ai des envies et j’ai décidé de draguer truc ou machin. Aucun homme, loup ou quoi que ce soit de masculin vivant ou non ne ferait l’affaire pire qu’avec mes parents. J’étais atterrée. Je réalisais que protégée comme je l’étais, trouver un volontaire pour me courtiser tirait sur l’impossible. Personne n’oserait me draguer ouvertement avec ces trois-là. Et leur espérance de vie dépassant de beaucoup la mienne, ils seront toujours là à surveiller qui m’approchait. Je me sentis complètement fichue.
Ça me tombait dessus d’un coup, j’allais finir vieille fille, pas le choix. Mais non, je ne suis pas accro au sexe, mais quand même j’aime bien et même beaucoup. Faudrait-il que je fasse collection de jouets ? Je réalisais que parti comme c’était, j’allais respecter la tradition familiale et finir bonne sœur comme tante Annette.
Boum, je me figeais quand la réalité me frappa, j’allais finir nonne.
Livius du sentir quelque chose, car il tourna la tête vers moi, il me regardait attentivement, très attentivement. Je virais au rouge cramoisi après un long moment, il se leva et me dit :
– Je m’occuperai de mettre certaines de mes affaires dans ta chambre, comment souhaites-tu que je me comporte avec toi durant la visite de cet humain ?
Mince, je m’attendais à me faire sermonner au minimum. Non je m’attendais à me faire engueuler comme un poisson pourri pour ma fugue et l’inquiétude que je leur avais fait ressentir. En revanche, je ne m’attendais pas à cette froideur et à ce détachement poli. Oups, il devait être nettement plus furieux contre moi que tout ce que j’avais pu imaginer. Gloups, j’allais prendre cher une fois le cas Jacques réglé.
Reprends-toi, Sophie et pense à respirer ce serait bien. Remets en action les neurones qui ne sont pas partis se planquer dans tes talons. Oui, oui, les trois courageux qui restent vaille que vaille. D’accord ils ne sont pas les plus doués, mais les plus courageux, donc fait les bosser. Comportement avec moi, oui donc, je voulais quoi ?
– Jacques était dominateur avec moi, il décidait de tout et finalement, je me sentais comme une jolie plante verte. Un rire m’échappa. Un peu comme vous le faites tous ici, même si les raisons sont plus, enfin moins égoïst.
– Donc l’opposé ?
– Non, je l’interrompais net, un homme possessif et jaloux qui montre que je lui appartiens et qu’il ne me lâchera pas. C’est ce qu’il est capable de comprendre et se retrouver en face de quelqu’un qui parle son langage devrait le convaincre que c’est vrai et pas de la comédie. Je ne pense pas qu’il puisse prendre au sérieux une relation d’égal à égal. Je haussais les épaules, désabusée. Donc ne change rien à ta manière d’être, rajoute juste des contacts physiques.
J’en frissonnais, ben oui, je ne suis pas nonne, enfin pas encore et le vampire qui partage ma vie, depuis presque deux ans est sexy, rien à jeter. Même si notre relation n’est pas claire, oscillant entre protecteur, ami et, et quoi d’autre en fait ? Il me désire, j’en ai eu la preuve, enfin il a envie de planter ses dents dans ma gorge, il me l’a dit. Son comportement avec moi n’est pas sain, j’en ai conscience, mais là, l’imaginer en chéri collant et amoureux me file des frissons de peur. Comment vais-je réagir ? Comment vais-je réussir à ne pas montrer à quel point il me met mal à l’aise. Mais, merde dans quoi me suis-je encore fourrée. Je fermais les yeux me frottant l’arrête du nez d’un geste nerveux.
– Bien, je serais donc possessif et jaloux.
Et, il disparut dans sa cave sans rien ajouter. Je montais me coucher avec la peur au ventre, en pensant aux jours à venir. Demain, je ferai face à mon ex avec à mes côtés mes amies et mon chéri, à mourir de rire. Or, je dormis comme un bébé, à croire que plus rien n’arrivait à me stresser au point de ne pas dormir. Je sentais que la journée à venir serait rude, elle était passée où la grande fille qui prend ses décisions toute seule ? Pouf ! Disparue !
Chapitre 18
C’est Ada qui me réveilla en sautant sur mon lit avec des cris stridents. J’ouvrais un œil puis le deuxième. Inutile de râler ou de tenter de rester au fond du lit, pas avec l’autre dingue qui voulait me lever. Je m’étirais, la regardais de travers, soupirais et me levais et je me rappelais que mon ex allait débarquer aujourd’hui.
– Bonjour Ada, pourquoi ce réveil en douceur ? demandais-je, ironique.
– Ton humain arrive dans deux heures.
Moi, qui pensais qu’il n’arriverait que ce soir… Donc elle avait raison, il fallait que je me bouge et vite. Sauf que je buguais.
Dans ma chambre se trouvait désormais un valet en bois recouvert de vêtement d’homme, sur la deuxième table de nuit, un livre posé ouvert à l’envers. Il avait poussé le détail jusqu’à mettre une robe de chambre sur le côté du lit comme abandonnée là, à la hâte et je n’avais rien entendu. J’ouvrais mon armoire pour y trouver mes vêtements poussés sur un côté et les siens de l’autre. Je saisissais rapidement un pantalon et une chemise sans même regarder ce que je prenais puis, je me tournais vers la commode et me figeais un instant. Il n’avait pas osé ? Je tendis une main tremblante et ouvris le premier tiroir, celui où se trouvaient mes sous-vêtements. Mes culottes côtoyaient désormais des boxers noirs, le tout rangés avec soin. Il avait osé. Je fermais les paupières mes joues virèrent au rouge soutenu. Il avait osé ! C’est Ada qui me sortit de ma torpeur.
– Waw, il a poussé le détail, c’est cool, personne ne pourrait douter que vous viviez bien ensemble.
– Nous vivons ensemble depuis mon arrivée et je ne pense pas qu’il fallait pousser le détail aussi loin. Je n’ai pas prévu d’ouvrir ma porte à Jacques. Je dois le voir à l’hôtel. Je ne comprends pas pourquoi vous tenez tant à faire autant de mis en scène, dis-je dans un souffle.
– Oui, mais là, elle fit le tour de la chambre d’un geste, franchement vous êtes amants. On ne sait pas ce qui va arriver alors c’est une bonne chose que tout soit prévu, tu ne penses pas ?
– Je sais, oui, c’est bien.
– Je file, Théa ne va pas tarder et je dois aller chercher ton Jacques.
Je saisis ce qu’il me fallait dans le tiroir et filait à la salle de bain, sans lui répondre, noyer mes pensées sous la douche.
Bien plus tard, dans la voiture de Théa, je balisais comme une malade et pour une fois pas de la conduite de mon amie, alors que mon chauffeur volubile parlait pour me changer les idées. Pourtant, rien n’y faisait, je paniquais quand le téléphone de Théa interrompit son flot de paroles.
Vous ai-je dit que si je me trimbalais dans un quatre-quatre d’une bonne centaine d’années, Théa avait comme voiture, une petite citadine flambant neuve et remplie de gadgets, de la caméra de recul au parcage assisté en passant par tout ce qui pouvait être connecté ? C’était donc un haut-parleur qui parlait avec la voix d’une Ada stressée.
– Théa prévient tout le monde le pilote à envoyer un message à Bogdan, l’ex de Sophie ne semble pas être humain.
Théa me fixait d’un air aussi étonné que le mien.
– Je vais le récupérer et je te tiens au courant dès que je me suis fait une idée sur ce qu’il est.
Théa ne répondit rien, pas plus que moi et le bip de fin de conversation emplissait l’air autour de nous. Puis un autre bip bien plus fort et agaçant se fit entendre et nous n’avons dû qu’aux réflexes de Théa de ne pas nous retrouver encastrées dans un arbre.
Elle stoppa la voiture, souffla un bon coup et me regarda en coin. Elle abordait un air si sérieux que je me troublais encore plus qu’à la révélation sur mon ex. Ce n’était pas habituel, puis des éclairs traversèrent ses yeux verts et ses lèvres fremissèrent avant qu’elle ne me balança un :
– Normal quoi, avec Sophie, il ne pouvait pas en être autrement. Tu t’es tapé quoi ? Un troll ? Et, elle s’écroula de rire.
– T’es pas drôle.
Je râlais.
– Excuse-moi, il ne peut pas être un troll trop moche et tu as bon goût. Remarque on a l’embarras du choix. En Europe, il y a presque toutes les races qui sont représentées. Reste plus qu’à espérer que ton ex n’est pas un dragon, c’est pas évident de les noyer.
Elle remit en marche la voiture, en me laissant sur le cul. Oui, je ne voyais pas comment expliquer ce que je ressentais autrement que j’étais sur le cul. Ko, soufflée et super angoissée, assise à côté d’une andouille qui se marrait et qui m’amenait en ville pour jouer l’ex en couple avec Livius et heureuse de vivre sa nouvelle vie.Si ma nouvelle vie me rendait effectivement heureuse, le rôle de petite amie du vampire pas cool qui vivait chez moi, moyennement.
De plus, ma cervelle tournait comme une hélice pour tenter de trouver ce que Jacques pouvait bien être. Un dragon ? Nope enfin, le seul que je connaissais était plutôt zen et tranquille, mais le sont-ils tous ? Un loup ? Il était possessif et dominant comme la plupart de ceux que j’avais rencontré. Ce serait possible sauf que ceux d’ici étaient très proche les uns des autres alors que mon ex ne voyait sa famille qu’à chaque tremblement de terre. Un sorcier ? Non, il aurait utilisé ses dons pour m’empêcher de partir. Un Elfe ? Mmm, non même les noirs, qui étaient ici, étaient proches de la nature ce qui n’était pas le cas de mon ex.
Ma cervelle tournait et retournait tout ce que j’avais appris depuis mon arrivée et n’arrivais pas à trouver assez de point commun entre les races que je connaissais et le comportement de Jacques, si ce n’est qu’il était proche du vampire bipolaire qui partageait ma vie.
Le trajet passa trop, beaucoup trop vite et l’attente dans le grand salon de l’hôtel vira à la panique. Attendre sans savoir, me rendait petit à petit dingue et le calme de Théa avait tout pour m’inquiéter. Mona me fit boire une tonne de tisane de sa conception, censées me clamer qui n’eurent comme seul effet que de me faire courir aux toilettes une centaine de fois, une manière comme une autre de patienter.
Lorsque la voiture d’Ada stoppa devant l’hôtel, Mona me prit par le bras pour me tirer dans la cuisine avec Théa. Elles avaient décidé, durant une de mes absences toilette, de ne pas me montrer avant de savoir ce qu’était l’homme dont j’avais partagé la vie pendant des années.
Elle nous y laissa et se précipita vers la réception. Est-ce parce qu’aujourd’hui je savais ce qu’elle était ou que je faisais plus attention à ce qui se passait, mais je jure avoir senti comme un courant d’air chaud m’envelopper. Je restais figée à côté de Théa qui me tenait la main. Je balisais. Rien ne se passait, pas un bruit ne nous parvenait et je faillis mourir d’une crise cardiaque quand la porte de la cuisine s’ouvrit d’un coup sur une Ada stressée.
– Un Bersek, furent les seuls mots qu’elle prononça.
À la mine de Théa, la nouvelle n’était pas bonne, elle grimaça.
– Mince, un guerrier ours, pas facile à tuer, mais c’est possible. Tu veux vraiment lui parler, ils ne sont pas franchement tendres et compréhensifs.
Voilà, c’était ma Théa, ne pas s’embarrasser de détails et aller droit au but, parce que franchement quelle perte de temps que de parler et réfléchir, j’en souris. Je la pris dans les bras et attrapais Ada d’une main pour l’attirer avec nous. Entre mes deux amies rien ne pouvait m’arriver. Mona nous rejoint en grommelant que l’autre abruti était dans sa chambre et qu’elle lui avait dit que j’allais arriver pour le voir puis elle roula des yeux en soupirant.
– Un crétin de Bersek.
– Je vous rappelle à toutes les trois que je ne connaissais rien à rien avant d’arriver ici. Puis je fixais Ada. Je dois savoir quoi sur cette race ? Je n’en connais aucun ici.
Théa commença.
– Tu parles normal, ce sont de guerriers ours. La seule concession qu’ils ont faite lors des traités de paix, c’est de rester dans le nord de l’Europe en dehors des autres races et des humains. Ton Jacques n’a pas respecté le traité en se liant à une humaine. Il ne va pas être facile à convaincre, crois-moi. C’est une des races les plus têtues que je connaisse.
Ada lui fit signe de se taire et me répondit tout en consultant Mona du regard.
– Les Berseks ou guerrier ours sont originaires du nord de l’Europe. Les légendes disent qu’ils sont capables de prendre l’apparence et la force d’un ours lors du combat et que c’est eux qui ont mené les vikings à travers leurs invasions. Ils ont un caractère difficile et sont prêts à combattre pour tout et n’importe quoi. Durant la guerre, ils se sont contentés de tuer toutes les autres espèces présentent sur leurs territoires sans distinction. Comme a dit Théa, il était plus simple de les laisser en place puisque la seule chose qui les intéressait était de garder leurs terres. Il ne va pas accepter de te laisser sans se battre, parce que pour lui, tu lui appartiens. C’est une chance que tu laisses Livius se faire passer pour ton compagnon. Francis n’aurait eu aucune chance de gagner s’ils avaient décidé de se battre pour ta possession. Ce qui n’aurait pas manqué avec un loup, mais Livius devrait pouvoir éviter ça.
Je blêmis.
– Comment ça pour ma possession, c’est quoi ces âneries ?
– Je te l’ai déjà dit. Ils sont vieux jeu, bloqués dans le passé et complètement dépassés. Le mâle possède la femelle et voilou. Tu crois que je préfère imaginer comment le tuer plutôt que de réfléchir à comment le convaincre de te laisser, pourquoi ? Il n’acceptera pas de te laisser. Je pense qu’il s’est amusé en ton absence et que son amusement du moment ne lui suffit plus, surtout s’il ressent pour toi ce que nous avons senti. Il t’a laissé du temps, probablement pour donner l’apparence de remords envers ta famille et il vient reprendre ce qui lui appartient.
Voilà Théa haussant les épaules et à son regard, elle réfléchissait réellement à comment tuer mon ex et moi, j’appréhendais enfin la réalité de la situation
– Il est aussi dangereux que ça ? Tu penses vraiment qu’il pourrait tuer un loup ?
– Oui, ils sont dangereux, mais pour abattre Livius, il en faudrait plus.
Théa acquiesça et Ada termina par :
– Au pire, elle s’en chargera.
– Oui, avec plaisir.
Elle sourit de toutes ses dents la petite rouquine et à cet instant, elle avait l’air de ce que j’avais appris sur elle, dangereuse et mortelle. Du coup, je ne savais plus pour quelle raison je frissonnais, Jacques ou Livius ou Théa, ils me faisaient tous peur finalement.
Je pris le temps de me préparer mentalement à ma rencontre avec Jacques. Théa resterait avec moi. Ada avait réveillé Livius et ils avaient décidé qu’il devait se pointer à l’hôtel lui aussi, chouette, réunion de famille. Une fois que je ne tremblais plus, même si j’avais toujours peur, ma volonté reprenant le dessus, je m’accrochais à Théa et d’un pas hésitant, j’avançais en direction du salon enfonçant mes ongles dans le bras de Théa qui ne me lâchait pas.
Je le vis. Il était debout dans le salon et regardait le lac par la fenêtre. Superbe comme dans mon souvenir, il était blond, grand et d’une musculature qui m’avait toujours impressionnée. Vous savez les tablettes de chocolat dont on rêve un peu toutes, lui, il les avait. J’avais un pincement au cœur en songeant qu’il m’avait menti sur ce qu’il était tout ce temps, moi qui pensais qu’il avait juste mauvais caractère. Il tourna la tête vers moi et je vis, oh un minuscule instant, ce qu’il était, un guerrier venu pour vaincre. Il s’avança vers moi, les bras grands ouverts, un sourire éblouissant sur les lèvres. Théa s’interposa d’un coup et c’est elle qui lança la discussion.
– Recule, Bersek !
Il s’arrêta, baissa les bras et la regarda attentivement avant de cracher dédaigneusement.
– Une ondine.
– Pas une, je suis LA Théodora.
Dit comme ça avec cette voix emplie de pouvoir et de confiance ce simple prénom sonnait comme un avertissement, ce qu’il était. La Théadora, une ondine puissante et incroyablement sauvage, enfin, c’était avant Théa. Il le prit pour ce que c’était puisqu’il recula d’un pas en plissant les yeux.
– Je vois que tu as un garde du corps, me siffla-t-il.
– Non, j’ai une amie.
Ma voix n’avait pas tremblé et Théa, sous mon commentaire, était encore plus fière que la seconde d’avant. Jacques avait le regard troublé et pas franchement convaincu. L’air était glacial et je me disais que la conversation que je souhaitais, n’aurait jamais lieu alors que la confrontation que voulait Théa, semblait bien partie pour avoir lieu, elle.
– Je vois que tu es bien entourée. Je ne me doutais pas qu’en t’installant ici avec tous ces renégats, tu apprendrais la vérité, je les pensais plus intelligents et prudents. Ça ne change rien, je suis venu te récupérer.
Voilà, il ne faisait même plus semblant d’être poli ou vaguement humain. Il me faisait penser à David et mon estomac se serra. Ma petite voix, tiens qui revoilà, me soufflait de lever la tête et de ne rien montrer de ma peur. Oui, super facile à faire alors que tout ce que je voulais, c’était disparaître dans le plus petit trou de souris, si possible de l’autre côté du monde. Je n’avais pas trop le choix, je devais faire face. Après un instant de réflexion, je calquais mon comportement sur celui de Théa, en bien moins impressionnant.
– Je ne t’appartiens pas. Je ne t’ai jamais appartenu et si je devais appartenir à quelqu’un, ce ne serait pas à toi, mais à celui que j’ai choisi.
Ma voix tremblait un peu, mais restait ferme, ouf. Je me concentrais pour ne pas laisser mes mains trembler et surtout pour ne pas faire demi-tour pour m’enfuir. Ce que tout mon corps rêvait de faire. Je le regardais, ses yeux bleus n’avaient plus rien de ceux que j’avais tant vu et admiré alors que nous étions en couple, plus de douceur en eux, mais de la dureté et de la fureur. Il était le même homme, mais je voyais des différences subtiles comme pour les habitants du coin. Savoir leur vraie nature me permettait de la distinguer en dessous des traits humains. Je n’étais pas sûre que ce soit un avantage à ce moment.
Il me détaillait de la tête au pied. Il me jaugeait et je voyais parfaitement bien dans sa manière de me regarder que pour lui l’affaire était déjà réglée. Il ne me laisserait pas ici et pour lui, j’étais déjà dans l’avion du retour à ses côtés.
Non, je ne paniquais pas, c’était bien pire. C’est alors que ma petite voix me souffla que je devais mettre mon collier en avant. Il me fallut un moment pour me souvenir que le petit hibou qui vivait sur ma peau était l’emblème de Livius et montrait aux autres vampires que je lui appartenais, enverrait-il le même message à Jacques ? La seule manière de faire qui me vint en tête, fut de jouer avec. Ça marcha au-delà de mes espérances. Les yeux de Jacques s’y accrochèrent, ses sourcils se froncèrent et il grogna, toujours furieux.
– Vampire, qui ?
Puis, il me regarda bien en face avec un rictus en ajoutant.
– Aucun mâle ne pourra t’éloigner de moi. Pas plus que la mort liquide dont tu te prétends l’amie.
Les mots froids tombaient entre nous. Je m’attendais presque à entendre un boum ou deux lorsqu’ils toucheraient le sol mais, non, rien ne se produisit. Je campais sur ma position, le menton levé. Du coin de l’œil, je remarquais que Théa flottait à quelques centimètres du sol. Si mes souvenirs étaient bons, c’était le signe qu’elle se préparait à se battre. Je maintenais le regard de cet homme que j’avais profondément aimé et qui devant moi n’était plus qu’un étranger. Je refusais de me montrer plus faible que je ne l’étais. Aujourd’hui, ni lui, ni moi n’étions les mêmes, je savais et lui se montrait sous son vrai jour.
– Je ne prétends pas qu’elle est mon amie, elle l’est tout simplement. Pour être bien précise, elle vit avec moi ainsi que mon autre amie Ada qui t’as conduit jusqu’ici. Comme tu t’en doutes, c’est une louve rouge. Tu vois, ma vie ici me convient. Je ne partirai pas, jamais, et encore moins avec toi.
Pas mal du tout, ma Sophie, clair et net et sans trembler, t’es une championne ma grande, mais pense à respirer ce serait mieux, me susurra la petite voix. Plus qu’à porter le dernier coup. vas-y ma grande ne le loupe pas.
– Tu as perdu tout droit sur moi en me giflant et aujourd’hui je ne suis plus cette gamine qui t’adorait. Maintenant je te laisse le choix, tu t’en vas sans faire d’histoire ou mon mâle comme tu dis et mes amies t’y aideront.
Respire idiote ! Je soufflais, fière de moi.
Il s’avança alors avec une vitesse incroyable et voulu me saisir le poignet, mais j’avais reculé d’un pas et Théa était déjà placée entre nous.
– Tu vas arrêter tes conneries. Tes parents sont d’accord. Tu vas renter avec moi et faire ce qui était prévu, m’épouser. Je ne te laisse pas le choix. Tu n’as pas ton mot à dire. Tes parents et moi avons déjà tout prévu, cesse de faire la gamine.
Sa voix grondait de rage et je savais que l’argument de mes parents était vrai. Ils devaient m’avoir déjà marié avec lui et prévu une flopée de petits-enfants, mais je n’étais plus celle d’avant. Je voyais dans ses yeux ce qu’il pensait vraiment et je savais qu’il allait me tuer si je persistais à lui tenir tête. Bon ben, je persistais.
– Non.
J’avoue, ce simple mot lancé au visage furieux de mon ex, me demanda bien plus de courage que traverser le monde pour finir ici m’en avais demandé. Je serrais les poings pour me rassurer, je me labourais la paume avec mes ongles sans m’en rendre compte mais, au moins, j’arrivais à dévier mon esprit de la monumentale trouille qui envahissait toutes mes cellules et qui n’allait pas tarder à me paralyser. Il le savait, il le sentait, j’en étais sûr.
Chapitre 19
Je me sentais de plus en plus tendue et je ne voyais pas comment je pourrais raisonner Jacques.
– Bonjour, lança la voix faussement joyeuse d’Ada.
Je sursautais, mon cœur manqua plusieurs battements, elle faillit me faire mourir de peur, mais je n’osais pas lâcher Jacques des yeux, car lui aussi me fixait sans ciller.
Ce n’est pas avant de sentir une main se poser sur ma taille et des lèvres effleurer mon cou que je me rappelais qu’elle avait été le chercher, sa main se posa à plat sur mon ventre pour me faire reculer, juste assez pour que je sente son corps se coller au mien. Les lèvres dans mon cou laissèrent passer ses dents et il érafla ma peau. Je le sentais sourire et je vis un changement dans le regard de mon ex. Livius me tenait encore plus serré contre lui. Son autre main remontait doucement le long de mon bras et son souffle sur ma nuque me faisait frisonner. Tout mon corps se détendit et je penchais la tête en arrière contre son épaule. J’étais sauvée. Je laissais échapper un soupir de soulagement et lorsque sa main quitta mon bras pour venir saisir ma gorge, je le laissais faire en fermant les yeux.
– Si tu pouvais gémir, ce serait encore plus convaincant, me souffla Livius au creux de l’oreille.
Je gémissais alors qu’il glissait sa langue le long de ma gorge. Pas parce qu’il me l’avait demandé, mais bien parce que la sensation de son corps contre le mien et celle de sa langue sur ma peau me faisait réagir. Je n’avais pas encore signé pour devenir nonne, je vous signale, pas encore et ce que mon corps me renvoyait en sensations, me prouvait clairement que je ne signerai jamais. Du coup mon gémissement n’avait rien de forcé ni de faux, mais plutôt tout de celui de plaisir que seul un amant devrait entendre. On accusera l’adrénaline…
J’entendis gronder de deux manières différentes, une, était de désir, l’autre de colère. Je ne voulais pas ouvrir les yeux. Je n’avais nulle envie de voir qui d’autre était dans la pièce. Je voulais rester seule dans ma bulle avec Livius mais le grognement de colère se transforma en fureur et m’obligea à revenir sur terre.
– Vous avez un problème ? Demanda Livius d’une voix calme.
Et amusée ? Oui, il trouvait cela drôle, il me lâcha, me retourna et m’embrassa. Il m’embrassait et merde! Il embrassait terriblement bien et je le laissais faire, pire, je participais. J’étais fichue. Comment retrouver une relation normale, enfin normal pour nous, après ça ? Quoique le seul et unique neurone qui restait en état de réfléchir avait décidé que finalement, on s’en fou de l’après. Il m’engageait à profiter, à fond, du moment présent. J’en profitais donc passant mes doigts dans ses cheveux et en collant le moindre centimètre de mon corps au sien. Le gémissement qui s’échappa alors de mes lèvres n’exprimait rien de moins que l’envie que j’avais ignoré depuis plus d’un an. J’oubliais où j’étais, j’oubliais qui était présent, je goûtais avec gourmandise tout ce que Livius m’offrait. C’est lorsque l’une de mes jambes se leva pour s’accrocher à lui qu’il me relâcha, bien trop vite à mon goût et m’ordonna, oui, ordonna !
– Reste à côté d’Ada ! Je dois discuter avec cette chose.
Il me repoussa. Mon esprit se cracha par terre et mon corps obéit automatiquement. Je rejoins Ada qui regardait attentivement le plafond en souriant. J’étais tellement à côté de la plaque que je lançais un regard au plafond pour comprendre ce qu’elle regardait, avant que ma petite voix se fiche royalement de ma gueule et que je tilte sur le pourquoi du comment. En deux secondes, mes joues se transformèrent en phares rouges et brûlants et je me liquéfiais de honte. La meilleure preuve qu’elle était mon amie, fut qu’elle ne fit aucun commentaire sur ce qui venait de se passer, rien de rien.
Le combat de coq qui se passait au fond de la pièce, me rendit mes esprits. Livius se tenait en face de Jacques et se présentait tranquillement, sans élever la voix et sans avoir l’air impressionné ou mal à l’aise, bien au contraire. Il ne tendit pas sa main, mais se plaça à quelque centimètre de Jacques qui ne bougeait plus et ce qui m’étonnait le plus c’était que son regard avait passé d’arrogant à mal à l’aise, je voyais presque de la peur. Ada retrouvant la parole me disait :
– Il était impossible que ton ex ne connaisse pas Livius de réputation même s’il n’a pas reconnu le symbole à ton cou et n’a pas vu tout de suite qui t’embrassait. Il ne peut plus ignorer qui lui fait face. Théa sera déçue de ne pas pouvoir le tuer, mais je ne pense pas que ce mec s’en sorte sans problème. Livius tient trop à toi.
Je regardais Théa du coin de l’œil, elle avait vu mon regard et venait vers nous. Elle avait une mine boudeuse, sa proie venait de lui échapper. Elle tapait des pieds, les mains enfoncées dans les poches, elle semblait si déçue que je me mis à rire. Hé oui, la tension, la peur, le stress ressenti depuis le matin avait décidé de sortir sous forme de rire devant la mine de ma copine trop déçue de ne pas pouvoir tuer gaiement mon ex alors que les deux trucs débordant d’arrogance se jaugeaient au fond du salon.
Livius fut près de moi en moins de temps qu’il ne fallait pour le dire.Il me prit dans ses bras et me fit tournoyer avant de m’embrasser fougueusement. Il me chuchota un t’es folle, mais génial puis me reposait et se tournait vers Jacques.
– Tu vois elle est tellement sûre qu’elle est mienne qu’elle rit à l’idée que tu puisses penser qu’elle t’aime encore. N’est-elle pas adorable ?
Puis, d’un ton bien plus sombre, en se rapprochant de Jacques, il précisa :
– Elle m’appartient.
Il avait à peine fini ses mots que Jacques s’élançait vers moi et s’écrasait à mes pieds. Pas tout compris moi, alors qu’il se relevait, je vis que son nez était en sang et qu’une balafre ornait sa joue. Rapide, ce fut. Jacques essuyait le sang qui coulait sur son visage, mais au lieu de reculer, il se jetait sur Livius et fini à terre avec une nouvelle coupure, au bras cette fois-ci. Il reculait, furieux et moins sûr de lui qu’à son arrivée, mais pas encore décidé à laisser tomber.
Alors, je sentis l’air autour de moi s’épaissir, devenir irrespirable, sans que je comprenne pourquoi. Ada disparut de mon champ de vision, enfin, elle ne disparut pas vraiment puisqu’un loup aux babines retroussées l’avait remplacée. Puis j’entendis la chanson qui sortait des lèvres de Théa alors qu’elle s’élevait comme prise d’un ouragan qui ne touchait qu’elle. Cette chanson me donnait envie de vomir, quant à Livius, il restait immobile. Il n’aurait pas eu l’air plus calme s’il avait été dans son fauteuil à la maison. Il m’énervait de calme.
Devant moi, l’homme que j’avais aimé au point de vouloir l’épouser avait une fourrure épaisse et blanche qui le recouvrait et son corps semblait devenir flou, mal défini. Il ne se transformait pas aussi rapidement que ma louve, mais petit à petit, la forme d’un ours devenait tangible. Un ours immense debout sur ses pattes arrière qui répondait au grognement de la louve par un encore plus fort. Mince, il était terrifiant.
Ma petite voix se fit entendre, elle me fit remarquer que là je devais me calmer un peu. Tu n’as pas eu peur d’Ada en loup. Tu n’as rien dit quand Théa, c’est mis à voleter alors ta gueule, un ours pfff. Tu ne vas pas faire l’enfant. Ce n’est qu’un ours.
Mouais, mais un ours de plus de deux mètres qui n’avait pas l’air ravi et prêt à tailler en pièce mes amis et c’était de les perdre qui me faisait le plus peur. L’idée qu’ils se battent et soit blessé à cause de moi, me terrifiait encore plus que l’ours qui se dressait devant moi. Je hurlais.
– Jacques, ça suffit, arrête tes conneries !
Stop, pause, c’est moi qui ai hurlé ? Mais heu, il me prend quoi ? Non, parce que là-dedans j’étais quand même la seule qui risquait sa peau. Les quatre autres seraient peut-être blessés, mais moi… Mais bordel qu’est-ce qui m’avait pris ? Au secours ! J’avais envie de me frapper la tête contre un mur pour me remettre les idées en place et faire taire ma petite voix qui hurlait de joie dans ma tête en disant : vas-y mets en leur plein la vue. T’es la meilleure !
Bien sûr, ta gueule la voix, non mais te jure !
A première vue, il n’y avait pas que moi qui en étais surprise parce que plus un bruit ne se faisait entendre et que quatre paires d’yeux étaient braqués sur moi. Ils avaient l’air franchement estomaqués. Ben quoi, une petite humaine qui remet au pas quatre dangereux tueurs, à peine de quoi se prendre la grosse tête, non ?
Franchement non, je n’en menais pas large. Je ne me prenais pas pour ce que je n’étais pas. Non, je suis incapable de me battre contre eux, pas la moindre chance de m’en sortir vivante si le cas se présentait. J’avais juste eu un coup de gueule et je le regrettais déjà.
L’ours en face de moi devenait trouble et la louve sur mon côté avait perdu tous ses poils, en quelques instants les deux métamorphes étaient redevenus humains et me fixaient.
– Qu’est-ce que tu es ?
La question maintes fois posée venait cette fois de la bouche de mon ex. J’allais finir par croire que je n’étais pas humaine. Par contre, de là à penser que ma petite personne avait des pouvoirs extraordinaires, c’était risible comme si je pouvais faire plier les dingues qui peuplaient ma vie simplement en hurlant. Ridicule et même plus, ce n’était que par surprise que je les avais eus, rien d’autre. La petite chose que j’étais avait osé crier et c’était tellement inhabituel que ça les avait stoppés. Enfin pas tous, Théa était toujours au centre de sa tornade personnel. C’était risible, mais ça avait fonctionné. Le retour de visages humains autour de moi me fit du bien, sincèrement, je me sentais moins petite, moins démunie, pas sauvée, mais mieux.
– Ça ne te regarde pas.
La réponse prononcée calmement venait de Livius, Ada me soufflait à l’oreille.
– Ne dis rien. Ne dis rien, laisse-le parler.
Mais franchement, ce sous-entendu sur ma soi-disant face cachée et non humaine ne me plaisait pas. Il y eut un duel de regard, le doute enflait dans celui de Jacques. Un truc lui échappait, il le sentait bien, mais ne voyait pas quoi.
– Je te croyais humaine souffla-t-il, je n’ai jamais senti que tu ne l’étais pas.
– On n’a jamais dit que les Bersek étaient les plus douées pour décrypter les énergies. Vous êtes de bon combattants, mais rien de plus.
Ada l’avait dit d’une voix dédaigneuse. Je ne l’avais jamais entendu parler ainsi. Elle n’était pas en colère, dangereuse, oui, mais pas en mode attaque. On aurait dit qu’elle parlait à une limace dégoûtante. Mais, bon sang, il y avait combien de limaces dans cette histoire ? Note à moi-même trouver une autre analogie. On en revenait à cette idée stupide que je n’étais pas humaine, ça me fatiguait, mais à un point que vous ne pouvez pas imaginer.
Jacques reculait encore, son regard passait de Théa qui continuait à flotter à Ada qui se moquait clairement de lui, puis il se tournait vers Livius qui avait enfilé son masque de “je suis le meilleur et j’emmerde tout le monde parce que moi je sais”. Bref, il avait le visage du grand con de vieux vampire qu’il pouvait être parfois.
– La dernière louve rouge, la mort liquide et le tribun, tous prêts à se battre pour une femelle, c’est plus qu’une énergie quelconque qui m’échappe. Qu’est-elle réellement ?
Il me regardait de la tête au pied. Il me scannait les sourcils froncés. Il était clair qu’il ne comprenait pas ce que j’avais de spécial, lui non plus. Bienvenus au club ! Chers amis, vous qui tenez à comprendre, veuillez prendre un ticket et attendre votre tour pour tenter de percer le mystère et débrouillez-vous sans moi parce que moi, je n’en savais rien.
– Elle est Sophie, ma compagne et amie des deux femelles qui se trouve ici.
Ce fut la seule réponse qu’il reçut et même si j’avais envie de râler sur le pronom possessif et le terme femelle qui me faisait frémir. Je restais tranquille. Ce n’était pas le pire entendu depuis quelques heures. J’attendais que quelque chose se passe, n’importe quoi et si possible vite, ça m’arrangerait. Je me sentais de plus en plus mal à l’aise.
– Je pense qu’il est temps pour nous de rentrer, me dit le fier compagnon que la situation m’avait offerte.
Il passa un bras autour de ma taille, me poussait doucement en direction de la sortie quand Jacques lança :
– Elle reste mienne.
Il tournait en rond avec ses à moi, à moi, à moi. On n’avançait pas là et j’avais envie de dire à Théa : vas-y fait ce que tu veux. Je fermais les yeux, serrant mes paupières le plus fort possible. J’avais l’impression que rien ne permettrait d’avance, il considérait que je lui appartenais, je considérais que non. Livius, je ne savais pas ce qu’il pensait et là, tout de suite, je m’en moquais. Je voulais rentrer chez moi, retrouver ce semblant de normalité qui était ma vie aujourd’hui.
Je me retournais pour faire face, tout en moi se tendit de rage et de ras le bol. Je regardais Théa, bien en face et je m’entendis dire :
– Fais ce que tu veux, là, j’en ai marre.
À part Théa qui me lança un sourire radieux, les trois autres présents eurent l’air surpris enfin plutôt ahuri ou plutôt, oui je dirais qu’ils me regardaient comme si j’étais devenue folle.
Le monde devint flou. Une brume épaisse se mit à remplir la pièce, une brume humide et froide. L’ouragan personnel de Théa semblait l’absorber. Elle était petit à petit entourée d’une brume dont les gouttelettes se regroupaient en filet d’eau de plus en plus épais et nombreux. En quelques instants, un torrent tournoyait autour d’elle. Un torrent qui grondait, mais qui n’empêchait pas la chanson basse qui sortait des lèvres de la rouquine de se faire entendre. Le son prenait de l’ampleur et l’eau prenait vie en un bras qui avançait vers Jacques. Plus la chanson devenait forte, plus le torrent d’eau grossissait, plus le bras d’eau s’épaississait.
Le Bersek se retrouva enveloppé d’une bulle d’eau qui semblait le coller quels que soient les gestes qu’il faisait. Il étouffait. Il se noyait. Il s’écroula à genoux, ses yeux me suppliant de tout arrêter. La chanson de l’ondine faisait vibrer toutes les cellules de mon corps. Elle semblait répondre à ma rage, à ma peur. Je ne voulais pas que ça cesse. Je voulais le voir mort. Rien d’autre ne comptait plus.
Je ne me reconnaissais pas. Je voulais la paix et si cela devait passer par sa mort, je m’en moquais. Une partie de moi enfuie bien profond se réveillait et avait pris les rênes de mes pensées. Une part sombre que j’ignorais posséder, mais bien réelle en cet instant. Je voulais le voir mort.
Et, Livius m’embrassa.
Un baiser doux, tendre qui me prit par surprise avalant ma colère. S’il avait été exigeant ou passionné, il n’aurait pas atteint cette partie de moi qui voulais juste la paix et le calme. Un baiser fougueux aurait probablement poussé mon côté sombre, mais pas cette douceur, cette tendresse que je sentais sur mes lèvres. Elle me donnait envie de plus de douceur, mais une partie de moi refusait de se calmer. Une partie de moi voulait qu’enfin Jacques me lâche et si pour cela il devait mourir, pas mon problème. Une autre partie me suppliait de refuser de passer ce cap, de rester Sophie, la petite humaine toute simple, de renoncer à laisser mon amie tuer encore une fois à cause de moi.
Je crois que c’est plutôt cette idée, lancée par la petite voix qui ne faisait pourtant que murmurer dans les tumultes de mes émotions qui me fit hésiter. Je ne pouvais pas demander ça à mon amie. J’avais déjà été la cause de la mort de David, peut être méritée pour mes amis, mais la punition était démesurée de mon point de vue. Je ne voulais pas que Théa tue encore à cause de moi alors qu’il y avait d’autres solutions.
Je repoussais sèchement Livius et me concentrait sur Théa décidée à l’arrêter. Le flot qui l’entourait semblait impénétrable. Je devais réussir à attirer son attention. Je l’appelais du plus fort que je pouvais. Pourtant, elle n’entendait rien entre sa chanson et le bruit de l’eau. Rien ne pouvait pénétrer son ouragan. Je décidais sans trop réfléchir de m’approcher. Je m’attendais à devoir contrer le courant de l’eau qui tourbillonnait. Je m’attendais à devoir lutter pour réussir à passer ce barrage tournoyant. Ce fut plutôt comme entrer dans une rivière, oui il y avait du courant, oui je tenais à peine debout, mais j’avançais doucement sans rencontrer la résistance impénétrable crainte. Je ne voyais plus que Théa qui ne voyait plus rien d’autre que sa proie. Je m’approchais en tendant les bras, un pas après l’autre, doucement pour ne pas me faire emporter. Une fois passé la barrière liquide, le calme me surprit. L’œil de l’ouragan, là où mon amie dirigeait le courant, était empli de vent, un vent léger et agréablement chaud. Elle ne me voyait pas. Elle ne m’entendait pas. Alors je fis la seule chose que je pouvais faire, je la touchais. Je l’attrapais pour la ramener contre moi et je la serrais fort dans mes bras en lui disant doucement avec toute la tendresse que j’avais pour elle :
– Arrête il a compris. Je ne veux pas que tu le tues, pas toi, pas comme ça. Je t’aime trop pour te laisser faire, s’il te plaît, arrête ! Je suis tellement désolée de te l’avoir demandé. Tu mérites mieux comme amie.
L’eau retomba d’un coup en me détrempant et je me pris la plus grosse et la plus longue engueulée de ma vie de la part de ma rouquine furieuse.
Elle était furieuse après moi, pas parce que je lui avais demandé de tuer Jacques, pas non plus de lui avoir demandé d’arrêter, mais totalement hors d’elle que je puisse penser un seul instant que j’étais une mauvaise amie. L’ordre des priorités de Théa n’était vraiment pas le même que le mien. Je la laissais hurler, pester, râler, me maudire jusqu’à ce que le calme fit son retour. Elle était rouge de colère, mais n’avait plus de voix. J’avais les oreilles qui sifflaient et les trois autres avaient des yeux ronds et des bouches béantes.
– Waou, fit Ada.
– Eh bien, fit Livius.
– Merci ! Souffla Jacques.
Du grand n’importe quoi ! Et moi ? Moi, je sautais sur Théa pour l’étouffer dans mes bras en lui assurant que plus jamais, jamais de toute ma vie, je ne lui demanderais quelque chose de semblable. Je tenais trop à elle. Je dis le tout en pleurant à chaudes larmes.
Jacques restait étendu par terre à reprendre son souffle, Ada se tenait à côté de Livius et tous les deux me regardaient d’un drôle d’air. Je relâchais Théa et me tournais vers Jacques.
– Tu repars demain et tu ne reviens plus. Dis à mes parents que tout va bien pour moi que je suis heureuse. Que j’ai des amies et un ami que je leur présenterai si les choses deviennent sérieuses. Que ce sont des gens bien et que tu les as trouvés sympathiques. Si j’apprends que tu as fait la moindre remarque désagréable sur l’un d’eux. Je ferais en sorte que plus jamais tu ne puisses le faire. Suis-je assez clair ?
Il se releva et me fixait, toujours aussi furieux.
– Tu… commença-t-il.
Et je me mis à hurler.
– Non, je ne t’appartiens pas. Non, plus jamais je ne serais tienne. Je suis ici et j’y reste, je te déteste, comprends-tu bien, tu es un monstre, un salaud.
– Monstre, me coupa-t-il, et elle ?
Sa main montrait Théa. Je hurlais encore plus fort, poussée par ma petite voix qui jouait au coach dans ma tête, je m’étonnais moi-même, mais on ne touchait pas à mes amis.
– Elle est mon amie, j’ai confiance en elle et je t’emmerde. Tu n’es rien de plus qu’un abruti qui pense que la force permet tout. Je me fous du nombre de morts qu’ils ont fait. Je me fous de leur passé. Je me fous de ce qu’ils sont. Aucun d’eux ne m’a frappé. Aucun d’eux ne m’a donné d’ordres.
Bon d’accord ce n’était pas tout à fait vrai, on n’allait pas se prendre la tête pour des détails, je continuais alors que ma voix montait dans les aigus.
– Ils m’ont accepté tel que j’étais sans me dire que je n’étais rien ou pas assez ou trop. Eux, ils m’aiment réellement. Eux ont pris soin de moi. Eux m’ont protégé. Eux, je les aime, pas toi.
Je crachais les derniers mots en reprenant ma respiration pour continuer, mais je n’en eus pas le temps. Je le vis avancer, je vis ma mort dans ses yeux. Je n’avais pas le temps de bouger pour l’éviter. Je paniquais.
Je vis du sang qui coulait de sa bouche. Ses yeux remplis de fureur se voilèrent, ses genoux se plièrent. Il était à genoux devant moi sans que je comprenne comment. Avec lenteur, il s’écroula sur le côté, mort. Ça n’avait duré qu’un instant, un battement de paupière, je n’avais rien vu, rien compris, mais Jacques était mort. Le silence était solide autour de moi. J’avais l’impression que l’air était devenu si épais que j’arrivais à peine à respirer.
Je relevais les yeux du corps à mes pieds en remontant le long des jambes qui se tenaient derrière. Je m’arrêtais un instant sur un long couteau couvert de sang, puis sur la main qui le tenait, puis sur le visage de Livius droit devant moi. La rage déformait son visage, aucune autre émotion n’était visible. Il était juste fou de rage. Le silence s’éternisait. Rien ne bougeait, puis Ada parla.
– Mince, je n’ai même pas eu le temps d’intervenir.
– Fais chier, il est trop rapide, propre et sans bavure, beau boulot, approuva Théa.
Elles avaient toutes les deux la voix bougonne. Je me tournais pour les regarder. Elles s’étaient rapprochées pour regarder de plus près, sans gêne. Je soupirais, je recommençais à respirer.
– Il aurait pourtant mérité de souffrir un peu plus, grinça Ada.
Voilà, rien de plus à dire, juste flûte trop rapide et trop bien fait, je te jure, je ne m’y ferais jamais.
– Préviens Albert ! Ordonna Livius.
Ada s’empara de son téléphone et discuta tranquillement avec le dénommé Albert. Elle parlerait de sa liste de course qu’elle ne serait pas plus émue. Il fallait vraiment que je m’enfonce dans le crâne qu’aucun de mes amis n’était tout doux, sinon ce genre de réactions allaient continuer à me mettre dans tous mes états. Et puis franchement, c’était la première fois que je voyais un homme, enfin non, enfin si, bref, c’est la première fois que je voyais un mort et je ne le prenais pas aussi bien que mes amis. Ben ouais, je m’effondrais, je m’évanouissais, Black out total. Vous pensiez quoi ? Que je prendrais tout ça tranquillement ? Ben non, je n’avais rien de la tueuse à sang-froid. Je n’étais qu’une petite humaine stupide.
Je ne touchais pas terre, des bras me saisir et m’allongèrent sur le canapé. J’ouvris les yeux pour voire trois paires d’yeux qui m’observaient avec appréhension. Je bougonnais, agitais la main pour les faire reculer et me redressais lentement. Une fois assise, c’est un quatrième regard qui me troubla.
Un grand type au crâne rasé était debout quelques mètres plus loin, sa peau sombre s’ornait de tatouages et mes neurones pédalaient pour trouver d’où ils l’avaient déjà vu. Ils pédalaient dans le vide, je le reconnais, ils avaient eu leur compte. L’homme regardait la scène qui se passait devant lui, ses sourcils se levaient de plus en plus, preuve que le spectacle était assez surprenant, mais surtout ses yeux passaient sans s’arrêter sur l’équipe qui m’entourait. Remarquant que je louchais par-dessus leurs épaules, ils se retournèrent.
– Pas trop tôt, il ne fallait surtout pas te presser.
C’est Ada qui houspillait le nouveau venu.
– C’est qui ? murmurais-je.
– Alfred, le propriétaire de la station-service. Tu l’as déjà vu !
Oui, je l’avais déjà aperçu, enfin surtout ses pieds qui dépassaient parfois des voitures qu’il réparait, mais sans plus. Il ne figurait même pas dans un chapitre de mon livre, alors ma question suivante était, de mon point de vue, logique, pas aux leurs, vu les haussements d’yeux qui me firent face.
– Et pourquoi il est là ?
– Le clan Bersek est sous la responsabilité des miens quand ils quittent leur territoire.
Sa voix était grave et tranquille comme toute son apparence d’ailleurs, si on exceptait ses sourcils levés. Il nous laissa pour se planter au-dessus de Jacques et le souleva par la veste, le jeta sur ses épaules et sortit. Voilà, comme si de rien n’était et sans plus de commentaires. C’est Ada qui me fournit les explications
– Il va s’occuper de tout, prévenir la famille et leur expliquer ce qui s’est passé, décider avec eux ce qu’il faut faire du corps, prévenir le clan et faire les démarches pour que la disparition de ton ex soit expliquée. Je pense que ce coup-ci un accident d’avion serait une bonne façon d’éviter toutes les questions. Il a l’habitude de gérer, ne t’inquiète pas ton nom ne sera même pas prononcer.
– Heu, si quand même tout le monde savait qu’il venait me voir.
– Tu joueras l’émotion au pire, désolée pour lui, pour ses parents, mais rien de plus.
Mais bien sûr, tout simplement, sans me prendre la tête, elle rêvait. D’un mouvement de main, elle écarta mes protestations à venir.
– Nous ne sommes pas humains, tu te souviens ?
Oui, bon d’accord, ça finira bien par me rentrer dans le crâne, un peu, un jour.
– Allez on rentre, je passe prévenir Mona.
Voilà, on range Sophie et les grandes personnes gèrent le reste, mais comment allais-je pouvoir avaler ce qui s’est passé ?
Je traversais dans une sorte de brouillard les premiers jours puis au fils du temps ma nouvelle normalité repris ses droits. Avoir Ada et Théa comme amie aidait bien, Livius, lui disparaissait des semaines durant, revenait quelques jours avant de repartir.
Il m’a fallu des semaines pour digérer la mort de Jacques. Comme Ada l’avait envisager, la version officielle fut l’accident d’avion. Mes parents me téléphonèrent pour me dire combien ils étaient désolés pour moi que ce drame arrive au moment où, enfin, nous allions nous réconcilier. Du moins c’était ce qu’il avait prétendu et me redire une centaine de fois qu’ils comprenaient que je préfère rester ici, loin des souvenirs. Je jouais sans trop de mal la fiancée choquée par la mort de Jacques, choquée je l’étais réellement, mais pas pour ce que s’imaginait ma famille. Tout avait été réglé et géré par Alfred d’une main de maître.
Une nouvelle routine s’installait, j’avais repris le travail et James me faisait faire l’inventaire entre deux clients, ce surcroît de travail me sortait de mes pensées négatives. Les repas du mardi avaient repris et le chouchoutage intensif prodigué par mes amis finissait doucement de me ramener à la vie. Je me sentais mieux, mais je m’en voulais toujours alors que pour tout le monde rien de grave ne s’était passé, différence énorme de manière de voir ce qui venait d’arriver, mais j’allais de l’avant.
Chapitre 20
À part une certaine ouverture d’esprit, acquise un peu de force, auprès des deux folles qui me servaient d’amies, la plus grande différence dans ma vie, était que le comportement des habitants avait bien changé. Je n’étais plus l’étrangère, je n’étais plus une petite chose sans défense. J’en eus la preuve quand le mois d’octobre pointa son nez et que Suzanne me remit d’office derrière le stand de tarte, encore. Cette fois-ci, ce n’était plus parce qu’on ne me connaissait pas que les clients venaient acheter en grande quantité et rapidement mes tartes, mais au contraire pour éviter de me contrarier, et donc de contrarier mes amis, du moins c’est ce que prétendit Suzanne.
Je dois avouer que de voir Suzanne et Ada mourir de rire en me le disant fut un tantinet désagréable, entendre Théa assurer qu’ils avaient bien raison de se méfier avant d’imiter son fameux Conti-Dracula susurrant à tous les passants “je vais te manger”, fut des plus hilarant. Nous pleurions toutes les trois de rire alors qu’elle restait sérieuse en s’enroulant dans la nappe qui lui servait de cape et qu’elle s’en retournait à son stand de trucs bizarroïdes.
Les tartes vendues, Suzanne ravie me laissa pour aller s’occuper de son mari qui avait disparu depuis un moment, plus attiré par la bière que par les tartes. Ada étant occupée avec ses chers touristes adorés, non, elle n’en avait dévoré aucun, enfin à ma connaissance. J’allais soutenir Théa à son stand ou l’emmerder selon elle.
Je plaide coupable, mais l’entendre doubler les prix, sans broncher le moins du monde, me faisait grincer des dents. Je lui faisais perdre des ventes selon elle. Elle me poussa loin en m’ordonnant d’aller pourrir la vie de quelqu’un d’autre et qu’elle me retrouverait plus tard, le tout dans un grand éclat de rire.
Ce que je fis me baladant pour la première fois sans garde du corps et sans avoir l’impression de risquer quelque chose. Le souvenir de David ne me revint qu’au moment du feu d’artifice, vite remplacé par les rires de mes amies.
Ma seule contrariété venait des absences de Livius. Bon d’accord notre relation n’était pas clair, pas simple, mais il avait toujours été là et sa présence me manquait, je n’y pouvais rien. D’un autre côté, Conti avait pris en douceur une place lors de nos petites bouffes du mardi soir et se montrait beaucoup moins vieux-jeu que prévu. Il supportait de mieux en mieux les remarques ironiques de Théa que je soupçonnais d’avoir toujours pour lui un petit faible, ce qu’elle niait absolument. Le seul problème de Conti était qu’il ne pouvait pas participer au repas et se sentait parfois comme le vieil oncle édenté qui attend sa purée, enfin, c’est Théa qui le qualifiait ainsi. C’est au cours de l’hiver qu’avec Ada nous avons joué aux petits chimistes pour aromatiser la nourriture liquide du pauvre oncle Conti. Ce ne fut pas à chaque fois une réussite, j’en conviens. Ils jouaient le jeu et les fous rires que ces grimaces de dégoûts produisaient resteront dans les annales.
Nous avions fini par trouver de quoi lui faire plaisir et il nous suivait entre entrée et dessert avec de petites quantités de sang goût fraise, chocolat ou café, ses préférés. Lorsque Livius était présent, une fois sur deux environ, il refusait avec obstination de tester nos créations et regardait Conti avaler avec plaisir ce qu’il qualifiait de sacrilège avec une mine dégoutté. Mine que Théa appelait sa tête de phobique de la nouveauté avant de préciser que certains vins tournent au vinaigre en vieillissant, heureusement d’autre devenaient des grands crus, ce qui faisait sourire Conti de toutes ses dents.
À Noël l’invasion fut totale, quarante-deux loups, ma famille d’adoption, ma sœur ondine, un patron sorcier, deux papa-vampires et moi. Si le nombre continuait à augmenter il faudrait pousser les murs. Là, les meubles étaient entassés dans une des chambres de l’étage. Les tables serrées au maximum et les sardines, pardon les invités, avaient juste la place de respirer.
Au cours de la soirée, j’avais tenté à plusieurs reprises d’ouvrir mes cadeaux arguant que nous étions le lendemain et que la tradition serait respectée, mais rien n’y fit.
Oui, je sais, je veux que l’on me respecte comme l’adulte que je suis, pourtant, Noël me faisait redevenir petite fille, c’est comme ça. Et puis j’avais reconnu les fameuses boîtes à biscuits que finalement j’adorais. Biscuits et écharpes avec bonnets seraient cette année encore mes cadeaux, trois ans et hop, voilà une tradition qui se crée toute seule.
La soirée se finit à l’aube. Personne ne marchait plus très droit. Ha, bonne nouvelle, on avait enfin cessé de surveiller ma consommation d’alcool. Ce qui pour moi, était une vraie avancée.
Théa avait emménagé pour l’hiver ou pour toujours, je n’en étais pas bien sûr. J’en étais ravie, mais elle éparpillait ses affaires comme le petit Poucet ses cailloux et passait des heures sous la douche. Ça me rendait folle ! J’appréciais la vie qu’elle mettait dans la maison avec ses fous rires et je ramassais presque sans râler ce qu’elle s’obstinait à semer.
Ada avait réintégré son chez-elle chéri, mais passait régulièrement pour nos marathons séries. Je m’étais inquiétée. J’avais peur qu’elle pense que Théa prenait toute la place. Ada m’avait rassurée, elle aimait son indépendance. Certes les loups vivent en meute, entre le clan des loups très présent en ville et son oncle, elle se sentait déjà assez entourée pour ne pas avoir envie de vivre en colocation surtout avec la pagaille que semait Théa avait-elle précisé puis elle s’était moquée de mes envies de calme pas vraiment respectées, elle n’avait pas tort.
Voilà trois ans que j’étais arrivée ici, voilà trois ans que ma vie avait pris un étrange tournant, riche d’amitié, sombre par le passé et le caractère de mes amis, cependant, rempli d’amour et de tendresse. J’avais fini par intégrer que le monde n’était pas tel que je l’avais pensé pendant plus de 26 ans. Il était bien plus riche. James m’avait fait comprendre que je n’avais fait que soulever le voile, mais soyons sérieux, je trouvais que ce qui avait été dévoilé me suffisait pleinement et je ne souhaitais pas en savoir plus.
Il faut toujours se méfier de ses souhaits.
Les choses sont devenues plus compliquées pour moi en mars. Pas ma faute, je tiens à le préciser, mais par le besoin protectionniste de Livius qui avait atteint des sommets et le rendait invivable, même pour Théa et qui nous avait toutes mises sur les nerfs. Il m’avait réveillé en pleine nuit pour discuter de ce que je devais faire ou pas plusieurs fois par semaine. Il avait fini de me rendre dingue en me secouant encore une fois au milieu de la nuit pour de mon point de vue me pourrir mes nuits, du sien pour me prévenir qu’Ada allait revenir à sa demande et qu’il serait absent deux semaines, colloque vampirique en cause. Il avait mis la moitié de la nuit pour m’expliquer ce qu’il comptait organiser pour ma sécurité.
Je vous explique, sa résurrection avait créé un mini séisme. Il n’était pas le plus vieux vampire en vie, cependant il faisait partie des dix plus vieux, ça Théa avait suffisamment insisté dessus pour que je comprenne.
Un conseil des dix régissait la totalité des clans vampires, un peu comme celui des huit qui régissait la ville sauf qu’eux croyaient en la démocratie, les trucs à dents longues beaucoup moins. Sa résurrection avait donc chamboulé l’ordre du conseil, crée un mini drame politique et secoué le cocotier en pierre du flegme vampirique. Après de longues discussions et remises en question, il fut décidé de lui rendre son rang enfin pour être précis, il reçut l’ordre de réintégrer son rang. Réintégration qui se ferait en grande pompe la semaine prochaine. Une semaine nécessaire pour respecter un protocole vieux et rigide et pompeux.
Il serait donc absent et dans sa tête d’anxieux papounet-vampire-protecteur, rôle qu’il s’était attribué tout seul, il lui fallait donc renforcer la sécurité ce qui me saoulait et pas que moi. Théa fomatait son meurtre dix fois par jour et disait à voix haute combien sa disparition ne saurait tarder. Ada tentait de rester neutre, par contre, elle avait trouvé un moyen de faire connaître avec humour ce qu’elle ressentait. Elle portait une veste avec Team Sophie peint dans le dos, sans dire un mot plus haut que l’autre. Il ne nous trouvait pas drôles. On le trouvait lourd. Conti avait même fini par lui proposer de dormir au pied de mon lit pour qu’il se calme. Va comprendre, il s’est pris une droite de Livius. Ada avait ajouté le symbole peace and love sur l’avant de sa veste et Théa avait proposé que je dorme dans la cave pour le rassurer. Elle était prête à m’enchaîner pour calmer le vampire. Bref, on était tendu.
Le week-end précédent le colloque des sangsues aux dents longues frisa le grand n’importe quoi. Alors que j’étais gavée de conseils sur la sécurité : ferme les portes à clefs, même celle de ta chambre, contrôle que les fenêtres soient toutes fermées correctement, etc. Théa lui fonça dessus, l’attrapa par le col et le tirait en pestant dans la cave. Ada et moi en avions conclu qu’une discussion animée allait avoir lieu et Ada alla chercher du pop-corn pour, à défaut de voir, profiter du son. Nous n’avons pas réagi aux cris, mais le bruit de cascade qui nous parvint nous inquiéta. Lorsque avec Ada nous avions ouvert la porte une Théa furieuse en jaillit en râlant. La cave était ravagée enfin, inondée serait plus juste.
– C’est chiant à noyer un vampire !
Nous n’en sûmes pas plus. Ada avait haussé les épaules et retournait au salon regarder la télévision. Elle méritait la médaille d’or du stoïcisme. Je filais à la cave inspecter les dégâts et finis morte de rire en voyant Livius furieux et détrempé au milieu d’un lac souterrain. Deux conclusions s’imposaient : les travaux de la cave commenceraient au printemps et Livius ne pourrait rien en dire et il ne faut vraiment pas énerver Théa.
James débarqua trente minutes plus tard. Ada lui avait envoyé un message. Elle n’avait pas eu besoin de voir l’état de la cave avant de demander de l’aide à qui de droit. Il regarda le désastre et s’occupa d’évacuer l’eau, Théa ayant refusé. Parfois, c’est pratique d’avoir un sorcier dans ses amis.
Il s’occupa aussi de calmer Livius et pour en finir une fois pour toutes avec cette dispute, lui promis de s’occuper personnellement de protéger la maison.
On n’allait jamais en finir.
Le soir Livius stressait. Théa boudait. James dessinait sur les murs et Ada était allé se promener en annonçant une patrouille autour de la maison et moi ? Moi, je voulais juste dormir. Drôle d’idée…
Je me lançais dans un marathon dvd et juste pour la vie infernale qu’il m’avait fait endurer toute la semaine, je regardais Twilight, Je vous fais grâce de ses commentaires. Théa finit par me rejoindre sur le canapé. James intrigué se mit à regarder debout derrière nous, avant de finir mort de rire et Ada réapparut avec un bol de chips. Elle aimait les films comiques, m’avait-elle, confié un jour. Nous étions quatre contre un. Livius disparut dans sa cave. Enfin, le calme était revenu.
Livius parti dimanche en fin de soirée. Il avait commencé par redonner toutes les instructions de sécurité possibles et imaginables, mais avait dû éviter de justesse un flot d’eau qui sortait de nulle part selon Théa et enfin, enfin, il nous laissa. Pff !
Je pensais que Théa était la plus épuisée par tant de conseil, mais c’est Ada qui claqua la porte derrière lui et nous annonça que s’il n’était pas parti elle aurait fini par l’égorger. Ma reine de la zénitude ne l’était pas ! C’est soulagée et riante que nous nous jetâmes sur le canapé et toujours riantes que nous choisissions le programme de la soirée, pizza, chips et Sherlock. Ben quoi ? Nous n’étions toujours pas d’accord sur le meilleur des trois.
J’envisageais les semaines à venir comme un camp de vacances un peu dingue. Ada serait avec moi,même à la librairie. Une concession faite au frappa-dingue de la sécurité. Théa nous retrouverait pour les repas de midi. Une semaine fille pleine de rire, le programme rêvé après les jours de faites attention à ça ou à ci que nous avions traversés.
Le jeudi pointait son nez, nous étions toujours en total désaccord pour Sherlock. Rien à faire nous campions toutes sur nos positions. De guerre lasse, j’avais écumé le net à la recherche d’une nouvelle série qui pourrait nous mettre d’accord, Ada trancha avec Supernatural et la guerre du : c’est qui le plus mignon commença.
C’est installée confortablement sur le canapé entouré de mes amies que la semaine gueguerre de filles, connu un arrêt net. Alors qu’Ada rigolait de la manière dont mourait un vampire. Non elle n’avait rien contre, enfin si, mais contre un en particulier. Je commençais à me sentir mal. Une impression d’étouffement, un mal au cœur douloureux. Je respirais par à-coups, je me mis à gémir. Panique générale ! Moi, parce que j’avais l’impression de faire une crise cardiaque, mes amies parce qu’elles n’y comprenaient rien. Je tombais à genoux tenant les mains sur ma poitrine, ça brûlait, ça faisait si mal que j’ai bien cru m’évanouir. Je pleurais, je hurlais. Puis je ne pouvais plus que gémir, recroquevillée sur le tapis tout mon corps me brûlait et chacune de mes cellules hurlaient. J’avais l’impression de mourir et que l’on m’arrachait le cœur.
D’un coup la douleur cessa. Je pouvais à nouveau respirer. Je me sentais vide, tous mes muscles râlaient, mais je pouvais à nouveau respirer. Je reprenais mon souffle doucement et mon collier se détacha. Mon collier se détacha et tomba sur le tapis. Je le regardais sans comprendre. J’étais étourdie. J’étais mal à l’aise. J’avais l’impression d’avoir perdu quelque chose de précieux. Je restais là fixant le collier, incapable de réagir. Je fixais le collier qui s’était détaché.
C’est Théa qui réagit en premier. Elle se mit à pleurer. Théa pleurait. Je ramassais le petit hibou du bout des doigts, pour l’observer de plus près. Je ne comprenais pas et Théa pleurait. Dans mon brouillard j’entendais Ada parler, mais je ne comprenais rien. Ada parler, mais parler à qui ?
– Il faut que tu viennes immédiatement. Il y a un problème avec Livius. Non, je ne plaisante pas rapplique tout de suite !
Je relevais la tête, la voix d’Ada m’avait semblé étrange, mais je ne comprenais rien. Ada pleurait aussi. Moi, j’en étais incapable. Quelque chose était brisé. Théa vint me prendre dans ses bras et me serra fort, elle pleurait toujours. J’avais froid. Ada nous rejoint dans ce câlin qui m’étouffait à moitié. Elles pleuraient toutes les deux. J’étais perdue.
Doucement, elles me relevèrent. Ada me tenait si serrée contre elle que je pouvais à peine respirer. Je m’en foutais. Je ne voulais plus respirer. Je ne voulais pas sortir de la stupeur qui m’entourait. Elles pleuraient. Je ne pleurais pas.
Conti apparut sur le seuil, il s’était arrêté surpris. Ada lui fit un signe de tête et il suivit le mouvement des yeux. Il vit le hibou qui brillait dans ma main. Il regarda en blêmissant le collier. Il ne dit rien. Il disparut aussi brusquement qu’il était arrivé.
C’est à cet instant que je m’effondrais. Je ne savais rien de ce qui arrivait. Je ne comprenais pas. Je ne voulais pas comprendre. Ada et Théa s’occupèrent de moi. Elles m’avaient installée sur le canapé et Ada me caressait les cheveux. Son regard était embrumé, mais elle ne pleurait plus. Elle finit par me dire presque en chuchotant.
– Ma chérie, tu sais ce que ça veut dire, n’est-ce pas ?
Je secouais la tête.
– Le collier ne peut être ouvert que par son propriétaire, tu le savais.
J’opinai et je commençais à admettre ce qu’elle allait dire.
– Il ne s’ouvre pas par accident et tu savais aussi qu’il créait un lien entre vous.
Je l’avais compris et je l’avais maudit de m’avoir mis dans cette situation inconfortable.
– Donc, il est tombé.
Parlait-elle du collier ou de… Je ne voulais pas entendre la suite.
– Et si le collier tombe.
Je fermais les yeux.
– C’est que Livius est mort, a dit Théa. Arrête de la traiter comme une enfant. Si le collier se rompt le vampire est mort, c’est tout simple.
Elle avait, elle aussi, encore les larmes aux yeux. Elle avait dit ça d’une voix tremblante, mais dénuée de sentiments et elle serait les points. Ada baissa la tête sur un soupir et moi, je me mis enfin à pleurer en silence.
Et, je lui en voulais.
Et, je m’en voulais.
Dans ma tête tournait des j’aurais dû, il aurait fallu, des et si, et si pas. Je me sentais vide, sonnée. Je lui en voulais vraiment. S’il n’avait pas eu l’idée stupide de m’offrir ce collier et s’il avait fait plus confiance aux loups, jamais personne n’aurait su qu’il n’était pas mort et nous n’en serions pas là. De plus s’il ne m’avait pas mis ce collier le lien entre nous aurait été plus simple, plus clair, plus je n’en savais rien. Mais j’étais sûr que nous n’aurions pas navigué entre tendresse, attirance et méfiance. Notre relation aurait été plus claire, plus saine et je pleurais autant sur lui que sur ce qui n’avait pas été.
Ada me souleva délicatement du canapé et me porta dans ma chambre, me murmurant des mots de consolation sans suite. La musique que faisait sa voix me berçait. Elle me mit au lit, m’embrassa le front et m’assura qu’elle viendrait me tenir au courant de tout. Pour l’instant, je devais me reposer. Elle n’avait pas tort, la douleur que j’avais ressentie m’avait laissée épuisée, mais ma tête ne voulait pas. Je la retenais secouais la tête, je ne voulais pas rester seule. Elle s’assit sur le lit et me frotta la main, restant sans un mot près de moi.
J’ai dû m’endormir parce que, quand j’ai ouvert les yeux, elle n’était plus là. Je ne me sentais pas reposée plutôt épuisée. Mes yeux se remplir à nouveau de larmes, je cachais mon visage dans mon coussin pour étouffer mes pleurs, pas de peine mais de rage. Allez comprendre. Je pleurais et plus mes larmes détrempaient mon coussin plus je me persuadais que c’était impossible. Je m’interdisais de réfléchir plus loin. Je refusais même le droit à ma petite voix d’intervenir, pas cette nuit, pas sur ce sujet.
Le lendemain matin, j’allais mieux. Une nouvelle journée s’annonçait et étrangement j’allais mieux. Le sentiment de perte, c’était calmé et je restais comme en attente de quelque chose. Je pensais que mon esprit avait besoin d’une confirmation et qu’en attendant, nier était une bonne manière d’éviter de devenir dingue. Je retrouvais mes amies à la cuisine. Personne ne parla. Personne n’en avait envie.
Ada en reine de l’organisation, avait prévenu James que je n’irais pas travailler. Si d’un côté j’en étais heureuse de l’autre sortir d’ici où tout me faisait penser à lui m’aurait fait du bien. Je me traînais. Je tournais en rond. J’attendais, je ne sais quoi. Théa avait disparu dans la matinée et Ada se tenait dehors à l’orée de la forêt et je tournais en rond. Doucement, je me faisais à l’idée de ne plus revoir Livius. Je regrettais de ne pas l’avoir plus questionné sur lui ou simplement d’avoir plus profité de sa présence. Je m’en voulais de ne pas avoir été sympa avec lui le soir de son départ. La mort donne toujours des qualités à ceux qu’elle prend et des regrets à ceux qui restent. J’étais emplie de regrets.
Théa réapparut en fin de journée, elle aussi regrettait ce dernier soir. Nous savions toutes les deux que rien ne nous donnerait bonne conscience. Son amitié avec Livius remontait à bien plus longtemps que la mienne et nous nous étions quittés énervés, rien ne pourrait changer ça.
Les soirées DVD n’étaient plus qu’une excuse pour ne pas aller se coucher trop tôt et se prendre la tête. Honnêtement, j’attendais le lundi avec impatience, le retour au travail m’obligerait à me sortir de cette apathie dans laquelle je traînais. J’en avais terriblement besoin. Mais, nous n’étions que samedi soir et le lundi ne me semblait devoir jamais arriver. J’attendais. J’attendais que quelque chose arrive, n’importe quoi.
Tout est normal !
Tout est normal ?
Prologue
Il y a des histoires qui commencent avec des il était une fois, d’autres par un meurtre qui lance une enquête. La mienne commence par une gifle. Une gifle lancée par mon compagnon et arrivée sur ma joue. Cette gifle provoqua une réaction en chaîne quelque peu imprévisible.
Laissez-moi me présenter, je suis Sophie Baumgartner. J’ai vingt-six ans, brune aux yeux noisette, pas grande, mais pas petite ! Je plafonne à un mètre soixante. Je suis la troisième d’une famille de quatre enfants.
Ma famille est une famille parfaite. Des parents mariés depuis quarante ans, trois filles et un fils. Les deux aînés mariés, avec enfant, maison et chien. Moi, fiancée et bientôt mariée, mais sans travail, puisque pour mon homme, fidèle aux mêmes croyances que ma famille, la place de la femme est à la maison. J’étais heureuse dans mon petit monde de certitudes, coincée entre une mère qui me trouvait pas assez ou trop selon l’occasion et un futur mari qui m’avait persuadée que sans lui, je n’étais plus rien.
Vous voyez où je veux en venir ? Bien sûr…
L’homme merveilleux, aimé de mes parents, avait décidé de partir travailler à l’étranger, emportant avec lui sa femme. Elle, pas réellement ravie, s’était occupée de vendre meubles, bibelots et autres choses en prévision du grand départ et de la nouvelle vie qu’il voulait mener. Trois jours avant le grand départ, elle avait peur, peur de quitter son nid douillet, peur de quitter ceux qu’elle aimait, peur de se retrouver seule loin de tout ce qu’elle connaissait, alors elle refusa de partir comme ça après plusieurs mois de préparation. Je vous fais grâce de la conversation qui en suivit, elle s’étira lamentable entre des : tu ne peux pas me faire ça et des : tu n’es qu’une idiote et se finit par LA gifle.
L’avantage quand on a prévu de partir, c’est que pour quitter son ex, il n’y a plus grand-chose à emballer, à peine une valise. Fuyant chez mes parents, déjà au courant par un coup de téléphone, je fus reçue avec un « t’es contente de tout foutre en l’air à cause d’un petit mouvement d’humeur, enfin tu as, dieu merci, le temps de réfléchir à ta connerie ! » Merci maman !
Deux jours plus tard, je savais deux choses : que jamais je ne retournerai avec mon ex et qu’il fallait que je parte d’ici et vite. Mes options ? Pas de boulot, pas d’amis prêts à m’héberger, ben oui, ce sont les mêmes que les siens, mais un billet d’avion déjà payé et l’argent de mes études pas faites sur mon compte.
Ce vol, nous devions le prendre ensemble et à chaque nouvel arrivant, je tressaillais de peur. À vingt minutes de l’embarquement, il n’était toujours pas là et je recommençais à respirer. J’allais partir seule et loin et ne jamais revenir, bref, j’allais faire exactement ce qui m’avait fait si peur. La vie de rêve dans ce pays, prévue avec mon ex servirait à quelque chose après tout : à ma renaissance. Bien décidée à mettre le plus de distance entre cette vie et la suivante, je me sentais forte, enfin, j’avais la trouille, mais une formidable envie de me prouver que non, je n’étais ni stupide, ni moche, ni incapable et que le nouveau monde m’appartenait.
Sauf que, arrivée à New-York, assise sur ma valise au milieu de la foule, je n’en menais pas large. Quoi faire, maintenant ? Où aller ?
Avisant une agence de voyage, je décidais de laisser le hasard décider, je fermais les yeux, attrapais un prospectus, voilà où j’irais. Contente de moi, je rentrais dans l’agence en tendant le prospectus à la jolie blonde qui s’y trouvait. Le hasard se planta grave. La demoiselle derrière son ordinateur me dit avec un grand sourire :
– Ah, Paris au printemps, c’est magnifique.
Mais non, non, pas Paris, pas l’Europe, quel con ce hasard ! Je me décomposais, à ma tête, elle avait compris que quelque chose n’allait pas, alors elle me demanda ce que j’avais, je fondis en larme et en bégayant. Je lui narrais mon histoire, en finissant par un : je veux du calme. Elle était parfaite, elle m’écouta sans rien dire en me fournissant en mouchoir. Puis elle me dit :
– Du calme, de la nature et loin de lui. C’est ça ?
Je fis oui de la tête.
– Hé, Mandy, tu avais été où en vacances l’année passée, tu sais ce bled perdu ?
Sa collègue approcha.
– C’est perdu, mais joli, il y a un lac, un endroit rêvé pour se reposer.
– Vendu ! Répondis-je avec un grand sourire entre mes larmes.
Il faut vraiment que j’apprenne à réfléchir avant de parler, vol avec deux escales, puis changement d’appareil, puis à nouveau une escale, un trajet presque aussi long que Paris-New-York, Youpi ! Perdue, j’allais l’être et mon enthousiasme disparaissait à mesure que mes heures de vols augmentaient. J’étais en fuite, avouons-le. J’allais, je ne savais pas où. Je n’avais rien à y faire.
Je devais trouver une idée ! Il me fallait un plan !
Le formidable pourquoi pas tu peux le faire c’était transformé en mais pourquoi l’as tu fait, puis en t’es qu’une idiote dès que j’ai posé un pied dans le minuscule avion douze places qui devait m’emmener dans un bled dont je ne suis pas capable de retenir le nom, coincée entre des marchandises diverses et variées ou, à l’odeur, pas loin d’être avariées. Ben oui, agir avant de penser, ça pose parfois des petits soucis surtout lorsqu’on ne l’a jamais fait.
Le fameux plan que je n’avais pas trouvé depuis, c’est le passager à côté de moi qui m’en donna l’idée. Il m’avait assommé de questions sur qui, où, quoi, comment, etc. Devant mes réponses pas claires, il en avait conclu que je cherchais une maison à acheter pour les vacances et pourquoi pas ?
Je cogitais dur, point un, acheter une maison, ce qui m’éviterait de faire demi-tour aux premières difficultés, du moins je voyais ça comme ça. Point deux, trouver du travail, dans une région touristique, je devrais m’en sortir. Point trois… Je n’avais pas de point trois, mon plan n’allait pas loin. Il avait juste l’avantage d’exister. Un peu… Voilà, un début, un presque rien, mais un peu.
Je profitais de la dernière escale, hé oui, encore une, pour faire ma recherche. Je tombais sur une annonce : Une maison à vendre avec travaux, cuisine, salon-salle à manger et une grande salle de bain au rez, trois chambres à l’étage, pas chère, loin d’être neuve et, d’après les photos, abandonnée depuis des années. Cette petite maison me semblait parfaite si j’évitais de penser à la somme incroyable de travaux qu’il faudrait pour juste la rendre habitable et je ne parle pas de confortable…
Bref, dans un élan de fol optimisme, j’avais appelé l’agence qui la vendait, baragouiné comme je pouvais mon intérêt et fixé un rendez-vous de visite. C’est emplie de fierté que je remontais dans le coucou volant qui allait m’amener vers mon coup de cœur.
J’étais épuisée, je sentais aussi mauvais que le carton qui restait à livrer et avec mes cernes sous les yeux, je devais ressembler à un panda sous calmant.
Voilà comment j’arrivais dans ma première nouvelle vie. Vous m’y suivez ?
Chapitre 1
En descendant de l’avion, j’étais super fière de moi ! Là, sur le banc devant la piste du mini aéroport, je doutais et plus j’attendais la voiture que j’avais cru comprendre que l’on m’envoyait, plus je paniquais. Pas une petite panique commune à tous, non, une vraie, immense, intense, explosive, dévastatrice, panique me laissant là, incapable de réfléchir et faisait tourner en boucle dans ma tête des scénarios catastrophes des plus terrifiantes.
J’ai une grande imagination. ce qui n’est dans ces moments-là, pas une qualité, croyez-moi, entre on m’a oublié et je vais me faire attaquer par un tueur en série ou un ours affamé, un loup peut-être ? D’ailleurs ce corbeau me regardait d’une drôle de manière, non ? Mon esprit s’amusait à me voir mourir de mille manières plus gores les unes que les autres. Ça a duré des heures soit 10 min que l’on se fie à mon esprit ou à mon téléphone qui ne sont pas du tout d’accord entre eux.
Au moment où une jolie brune souriante s’avança enfin vers moi en me tendant la main, un immense sourire aux lèvres, mon cerveau quitta mes talons où il se planquait et se remit à fonctionner, ouf !
– Bonjour. me dit-elle, en français !
Je la fixais hébétée, mais ravie, j’étais sauvée de l’ours, du loup, du corbeau et du tueur psychopathe qui m’avaient tous menacée !
– Je suis Ada, continua-t-elle, votre accent m’a soufflé que vous étiez de langue française.
– Bonjour, euh oui, enfin, je suis pas française enfin, mais oui, je parle enfin, c’est sympa que vous, enfin, c’est étonnant, mais je, Sophie, enfin ravie, je suis.
Et au milieu de ce cafouillis verbal empli d’enfin, je lui tendis ma main en souriant.
– Sophie ? C’est ça ? Bienvenue ! Je ne vous ai pas trop fait attendre ?
Elle était plus grande que moi d’au moins une tête, pas difficile, je vous rappelle que je culmine à 1,60 m, non je ne suis pas petite, fine avec des yeux bruns pétillants qui illuminaient un visage un peu trop allongé, encadré d’une cascade brune tombant dans son dos et vêtue d’un petit tailleur pantalon bleu. Elle avait tout de la femme d’affaires et elle me détaillait curieuse, à côté d’elle, je devais ressembler à une sans-abri, avec mes poches sous les yeux, mon pantalon noir et mon t-shirt froissé.
– Désolée, bonjour Ada, je suis Sophie, je parle français et je suis vraiment ravie de vous rencontrer ! Vous ne pouvez pas savoir à quel point !
J’avais réussi à faire des phrases sans bafouiller et sans trop me sentir idiote. Je lui souriais à présent et me sentais sauvée.
– Je m’en doutais, pouffa-t-elle. Mais, ici, on dit, tu ! Viens, nous avons encore un bout de route avant la ville et je veux tout savoir de ce qui t’amène ici. Nous discuterons dans ma voiture.
Elle attrapa ma valise d’une main, la balança dans la voiture et fit le tour pour se mettre au volant, avant de s’inquiéter.
– Tu n’as rien d’autre ? Tes bagages arrivent plus tard ?
– Rien d’autre ! Juste moi !
Elle me fixa un instant, troublée et dit :
– Nouveau départ ?
– Oui !
Je la fixais fièrement, oui, nouveau départ et rien de mon passé ne devait avoir de place ici. J’étais fermement décidée à tirer un trait sur la gentille, timide et effacée Sophie.
– Alors tu as choisi le bon coin ! Tu verras, la ville est sympa, un peu perdu hors saison, mais on s’y sent bien.
– Pas grave, là tout ce que je veux, c’est du calme et du temps pour moi.
Elle rit de bon cœur et me fit un clin d’œil.
– Ce n’est pas avec les animations du coin que tu vas être débordée ! Je comprends mieux ton choix cette maison est en dehors de la ville, cinq kilomètres, ce n’est pas le meilleur moyen pour s’intégrer, mais si tu cherches le calme, tu vas le trouver. Bien que je pense que pour le début, tu devrais t’installer plus près du centre.
– Comment ça la maison, tu n’es pas envoyée par l’agence de tourisme ?
– Oui, mais je m’occupe aussi d’immobilier et d’autre chose. Je t’y conduirai demain et j’ai d’autres maisons à te montrer, tu sais. Pour le moment, je vais te déposer à l’hôtel, en ville, tu as réservé pour une semaine. Il faut bien ça pour s’habituer. Tu verras que c’est calme en cette saison.
Calée dans mon siège, je me laissais bercer par les paroles d’Ada qui me décrivait la petite ville, les coins à voir et que connaître pour m’y sentir chez moi. Elle insistait sur la froideur relative des habitants, peu enclin à faire confiance au premier regard, beaucoup arrivaient ici, pour ne pas rester, mais si je tenais bon, au moins une année, je verrais le changement dans leur comportement. Je lui parlais des raisons qui m’avaient amenée ici que du très banal finis-je par dire. Elle fit non de la tête et se lança dans un discours sur le courage de changer. Elle était d’une curiosité incroyable et d’une gentillesse intrigante pour la nouvelle arrivée que j’étais.
Je me sentais bien là, dans ce pick-up défoncé à écouter une parfaite inconnue me parler comme si nous étions de vieilles amies, démentant en même temps ces dires sur la froideur des gens du coin.
Puis elle me parla de la maison longtemps, sérieusement comme si elle tentait de me faire changer d’avis, trop loin, perdu dans les bois, difficile pour quelqu’un comme moi, elle insistait sur les histoires de fantômes qui s’y rattachaient, de la difficulté des travaux, tellement que je finis par lui demander si elle souhaitait la vendre ou pas.
Elle me fixa et me dit :
– Ce n’est pas ça, mais il y a déjà eu quatre propriétaires et ils ne sont pas restés et j’ai envie que tu restes, au moins un peu, ce n’est pas souvent que je peux parler français et cela me manque, c’est ma langue maternelle et puis, la maison est vraiment loin de tout et en mauvais état, il faut bien le reconnaître, plein de travaux commencés et jamais finis. J’en ai d’autres à te montrer, tu sais, plus proche de la ville, mais quand même un peu perdu. Ce serait peut-être mieux ? J’ai bien compris que tu étais arrivée ici un peu par hasard et pour changer de vie, ce n’est pas toujours facile, alors pourquoi commencer par une maison si loin ? Tu pourrais t’installer en ville et voire comment tu t’y sens avant de t’isoler autant. Il n’y a pas d’urgence à acheter quelque chose, ce n’est pas ici que tu risques de perdre une maison si tu ne l’achètes pas tout de suite, grimaça-t-elle. C’est tellement calme que la vente n’est qu’un passe-temps, je suis guide en montagne le reste du temps et les locations se font par l’office de tourisme. Alors je peux te promettre que même dans un an, la maison sera toujours là, si tu y tiens.
Que dire ? Que m’isoler était justement ce que je voulais, disparaître et prendre le temps de savoir qui j’étais puis m’intégrer, mais pas dans l’immédiat. J’aimais l’idée de vivre loin de tout, sans personne, sauf mon café ! Oui, parce qu’entre mon café et moi l’histoire d’amour était totale et éternelle. Voilà, une vie simple sans personne pour me prendre la tête, me juger, me blesser, me gouverner. Devenir moi était le but de cette aventure, pas devenir membre émérite de la communauté.
– C’est ce que je souhaite, la ville, tu sais, je n’aime pas, trop de monde et de bruit pour moi. Je cherche le calme. J’en ai besoin là.
Elle rit franchement, un bon moment puis me montra la ville en question qui apparaissait entre les sapins. Ok, elle ressemblait plus à un gros village perdu dans la montagne qu’à une métropole, pas un seul bâtiment de plus de trois étages, une grande rue longeant le lac et des parcs, partout, beaucoup comme si la nature avait bien voulu céder quelques morceaux de terre de-ci de-là pour une maison, mais n’avait pas voulu abandonner le lieu.
Je me mis à rire aussi.
– Ce n’est pas tout à fait la ville que j’attendais, je le reconnais. Alors, je verrai ces maisons que tu as en réserve, mais pas au centre, on est bien d’accord ?
– Promis, tu verras, il y a le choix. Pour ces prochains jours, tu devras t’y faire, l’hôtel est sur la grande rue. Mais, je t’assure que ce sera calme, nous ne sommes pas en saison.
– Saison de quoi ?
– Ski et randonnée, deux des activités possibles ici, il y a aussi un peu de chasse.
Elle haussa les épaules et grimaça en le disant.
– Mais c’est plus loin, les chasseurs ne font qu’une halte ici. Tu sais skier ?
Là, j’éclatais de rire.
– Non, pourtant je viens d’une région de montagne pleine de station, mais je n’ai jamais appris. Par contre, le ski de fond ou les raquettes, oui.
Elle me fixa et se mit à rire.
– Alors tu pourras en faire sans aller plus loin, en hiver ce n’est pas la neige qui manque ici.
C’est de joyeuse humeur que je débarquais devant la façade fatiguée de l’hôtel : le royal ! Qui devait avoir été royal quelques siècles plus tôt. L’hôtel comme la ville semblait figé dans le passé, loin de nos temps modernes et j’en étais ravie.
La porte de la voiture juste claquée, une femme, la soixantaine, à l’allure de grand-mère, attrapa ma valise, faisant signe de la main à Ada qui me criait à demain en agitant la main.
– Bonjour, petite, contente de voir une amie de notre Ada, viens, je t’ai préparé notre meilleure chambre, je vais te monter un plateau, comme ça tu pourras te reposer tranquillement, le voyage à dû être long. Ah, la France, Ada s’en ennuie parfois, mais c’est bien si ses amies se décident à venir la voir, depuis le temps. Elle nous a dit que tu pensais à venir vivre ici, toi aussi, ce serait bien pour elle, les Européens ne réagissent pas toujours comme nous, mais tu t’y feras, elle va t’aider ce sera plus simple pour toi, voilà nous y sommes, ne t’inquiète de rien, repose-toi, le petit déjeuner est servi à sept heures. Je reviens tout de suite avec de quoi manger. J’espère que tu aimes les patates douces, ma petite.
Noyée, j’étais noyée par un flot ininterrompu de paroles, lancés avec gentillesse, mais sans pause par une dame qui avait dû comprendre de travers les paroles d’Ada ou alors c’est que mon anglais était encore pire que je le pensais.
Dans le doute, je ne disais rien, souriante et hochant de la tête dès qu’elle reprenait sa respiration, j’espérai qu’elle ne verra là qu’une nana fatiguée et pas une idiote incapable de parler.
Elle m’abandonna dans une jolie chambre avec grand lit en plein centre, une table coincée sous la fenêtre et deux chaises. Une petite salle de bain sur le côté me faisait de l’œil et je cédais à son appel, ravie d’y découvrir une baignoire.
Alors que l’eau coulait, la porte s’ouvrit sans que personne frappe et la dame dont j’ignorais toujours le nom, les bras chargés d’un plateau, pointa son nez. Elle le posa sur la table près de la fenêtre, mit ses mains sur ses hanches, me fixa, sourit et disparu.
Voilà, je restais bête un instant, des gens froids ? Il devait y avoir erreur. J’avais l’impression d’être tombée dans la maison d’une lointaine cousine qui était ravie d’avoir de la compagnie et je craignais qu’un interrogatoire en ordre arrive avec le petit déjeuner, voire que faire la vaisselle soit comprise dans le lot, comme chez tata.
Pour le moment, mon estomac remit mon cerveau en marche et c’est décidé que je transportais le plateau dans la salle de bains où je m’installais dans la baignoire, le calant entre elle et le lavabo. Une heure plus tard, je me traînais mollement de la baignoire au lit et ne vis plus rien du reste de cette étrange journée.
L’interrogatoire redouté n’a pas eu lieu, je n’avais croisé personne, strictement personne. Une table était prête, oui parce qu’il n’y avait que ma table de mise, un couvert et un petit déjeuner gardé au chaud, voilà, c’est tout. Moi, les tables, les chaises et le mur, et rien d’autre. Je mangeais, remontais dans ma chambre et quant à huit heures Ada y frappa, j’étais à deux doigts de l’embrasser, tellement je ne savais pas quoi faire.
Toujours en tailleur bleu, mais celui-ci bleu foncé, les cheveux attachés dans une queue de cheval serrée, il n’y avait que ces yeux pétillants de malice qui venaient contredire le sérieux qu’elle affichait.
À peine un bonjour lancé, elle m’attrapait le bras et me poussait vers la sortie.
– On a beaucoup de choses à voir, j’ai plusieurs maisons à te montrer. Tu vas voir, elles sont parfaites comme tu voulais des travaux tu as vraiment le choix, ce n’est pas la demande la plus courante.
Une ville à cyclone, voilà où j’étais tombée. Hop, elles apparaissent, emportaient mon cerveau et boum, le vent retombait et je ne comprenais plus rien ni où j’étais.
– Euh, bonjour, oui, chouette. Si tu veux.
Elle pilla net devant la porte de l’hôtel et me regarda.
– Oh, pardon, je suis parfois trop enthousiaste. Je m’emballe d’un coup et j’oublie que me suivre n’est pas facile. On me le reproche tout le temps. Je pense trop vite et j’oublie de parler du coup, on ne sait pas où je vais, mon oncle s’en plaint tout le temps.
Elle avait l’air si désolée que je ris franchement.
– Me voilà prévenue, nous allons donc voire ces fameuses maisons avec travaux et ensuite celle dans les bois ?
– Oui, celle dans les bois, uniquement si tu n’as pas trouvé ton bonheur avant, tu sais garde l’esprit ouvert et puis tu n’es pas pressée, l’hôtel est vide en cette saison, donc tu peux garder ta chambre un moment. Mona te fera un prix, j’en suis sûr.
– Mona ?
– Oui, la patronne. Elle t’a accueilli hier.
Je fis une grimace en y repensant.
– Elle m’a attrapé, poussé dans l’escalier jusqu’à ma chambre en me sous-entendant que tes amies t’avaient laissée tomber et m’a planté là. Oh, elle m’a aussi amené à manger, mais a dû oublier les présentations, tu n’es pas la seule tornade du coin.
Ada, rougit, mais vraiment, elle devient écarlate, je sentais la chaleur qui se dégageait de ses joues. Elle baissa les yeux en marmonnant :
– J’ai trouvé plus simple de dire que je te connaissais. On est hors saison et Mona t’aurait fait crouler sous ses questions et c’est aussi plus simple pour acheter, les prix seront plus bas pour une amie que pour un touriste, alors je me suis permise…
Je comprenais, une amie, on l’accueille, une étrangère non, ce serait plus simple pour moi de me faire accepter en ville. Ce qui était gentil de sa part, mais je ne comprenais pas pourquoi cette fille tenait tant à ce que je reste.
– Pourquoi fais-tu ça pour moi ? On ne se connaît pas. Pourquoi tiens-tu tant à ce que je reste ?
– Tu sais, souffle-t-elle en regardant au loin. Je suis arrivée il y a seize ans, j’avais quatorze ans et la mentalité entre l’Europe et ici, je t’assure, c’est vraiment différent, j’ai eu du mal à m’y faire et puis parler français me manque réellement, j’ai l’impression de le perdre chaque année un peu plus et avec lui, ce sont des souvenirs qui partent.
Elle baissa la tête et regarda ses pieds.
– À ce point-là différent ? En quoi ? Et, si tu n’aimes pas la vie ici pourquoi es-tu restée ?
– Je n’ai pas dit que ça ne me plaisait pas, j’aime la vie ici. Juste que je ne me suis pas fait de vraies amies. Lorsque j’ai perdu mes parents, je suis venue vivre chez mon oncle, ma seule famille. Il n’était pas prêt à s’occuper d’une ado de la ville. Elle rit doucement. Pauvre tonton, je lui en ai fait voir. Mon oncle n’est pas très sociable, il vivait loin de la ville et y a déménagé à mon arrivée. Les choses n’ont pas été simples. Je n’ai rien fait pour les rendre faciles. J’en suis consciente.
Il a vieilli et c’est vraiment ma seule famille. Je n’ai pas envie de partir loin de lui, même si depuis quelques années, il est retourné à sa cabane et moi, je suis restée en ville. Je me sens chez moi ici, mais avoir une amie avec qui partager me manque. J’aurais pu m’en faire, mais mes premières années, tu sais, je n’ai pas été sympa et même pire. J’avais du mal à accepter d’avoir dû tout quitter et je l’ai fait payer à tous ceux qui m’approchaient.
Elle leva les yeux au ciel, ils s’étaient assombris alors qu’elle parlait.
– Bref, je ne me suis pas faite d’amies, alors, je me suis dit…
– Pourquoi pas la débile qui débarque dont ne sait où et sans savoir où elle met les pieds ?
– Non, tu n’es pas…
je l’interrompis en riant.
– Je rigole, mais je te comprends. Je pensais avoir des amis et ils m’ont laissé tomber, ce n’était pas réellement des amis. Alors, je peux comprendre. En plus, tu parles français, c’est un atout majeur pour moi, une vraie chance en fait.
Je lui souris, elle me sourit en retour en me tendant la main elle dit :
– Salut, je suis Adeline Chérine, mes amis m’appellent Ada.
Je lui serrais la main.
– Salut, je suis Sophie Baumgartner et je t’interdis de m’appeler Soso…
Une poigne de main franche cella notre pacte. J’avais une amie apparue comme par magie alors que je pensais impossible de m’en refaire une dans cette nouvelle vie. Une petite voix me souffla qu’il y avait certainement une arnaque là-dessous, j’y penserai plus tard pour le moment j’appréciais de connaître quelqu’un dans ma nouvelle vie.
Chapitre 2
Elle tint parole et me fit visiter, six maisons, toutes charmantes du même modèle que celle qui m’avait amené ici. Pas très grandes, deux étages, chauffage au bois et des travaux, beaucoup de travaux, pour toutes.
Mais je ne craquais pas, il me manquait à chaque fois un quelque chose, un je ne sais quoi, rien n’y faisait, pas de coup de cœur pour elles. Dépitée, ma nouvelle amie finit par m’amener à ma maison.
Oui, ma maison, sans aucun doute possible, j’en étais tombée amoureuse sur la photo de l’annonce et ce sentiment devint une évidence quand je la vis et l’avoir à moi devint urgent.
Perdue, elle l’était, en mauvais état moyennement, les anciens propriétaires avaient commencé les travaux, mais rien n’était fini. Le toit perdait ses tuiles, les volets qui restaient pendaient et servaient de perchoirs aux corbeaux, la peinture n’avait de blanc que le souvenir.
Pour ouvrir la porte, il fallut à Ada un grand coup d’épaule et le grincement qui suivit me fit rire. Le salon était rempli de matériel et il était impossible d’en voir la taille, la cuisine datait de l’époque des fourneaux à bois et les chambres, seules pièces à peu près finies, étaient remplies de toiles d’araignée, seules habitantes du coin depuis longtemps. La maison était sur une petite butte dégagée, entourée d’arbres, cachée de la ville, probablement hantée insistait Ada.
Ok, une vieille maison de bois dans les bois, hantée, me faisait de l’œil et je craquais. Je la voulais ! Et, je la voulais maintenant, pas dans une année. Elle, pas une autre.
C’est une Ada soupirante qui me ramena en ville. Elle bouda jusqu’à ce que je lui dise :
– Boude pas, là au moins, tu as une excuse pour rester dormir, trop loin pour rentrer de nuit pour les jeunes filles sages que nous sommes.
Elle sourit, hocha la tête et rajouta :
– Et personne pour savoir à quelle heure et dans quel état on s’est couché…
J’éclatais de rire. Fin de la bouderie, début d’un concours de bêtises sur la curiosité des gens des petites villes et de comment éviter de se faire pincer quand on est un jeune du coin. C’est riant comme des petites filles que nous arrivions en ville, elle me traîna à son bureau où son chef, un gros type en tenu de chasse, me salua à peine d’un yo avant de replonger son nez dans son ordinateur. Elle me fit m’asseoir dans un joli canapé qui semblait s’être égaré dans un coin de la pièce et prit les documents de vente sur le second bureau. Elle les avait préparés au cas où, me dit-elle.
– Tu es vraiment sûr ? Tu ne veux pas y réfléchir encore ? Me redemanda-t-elle.
– Oui, je suis sûre, arrête maintenant sinon je t’engage pour les travaux !
La voix de son patron sonna dans la pièce.
– Parlez pas français ici, je veux pas qu’on vienne me dire que je suis un escroc qui profite des touristes.
– C’est pas une touriste, boss, répondit Ada, C’est une de mes amies qui vient s’installer ici. Elle loue pas, elle achète.
La tête du boss sorti de derrière l’écran.
– Elle achète ?
– Oui, et cash !
– Oh, mais le contrat est en anglais, pas dans sa langue.
– Je sais, mais elle parle aussi anglais, elle manque juste de pratique, pour ses débuts, c’est plus simple si je traduis.
– Ok, mais elle achète quoi ?
Elle me fixa et me demanda en anglais cette fois :
– Tu es sûr, vraiment ?
– Oui, dis-je, ou plutôt yes…
Le regard de son boss allait d’elle à moi, ses sourcils froncés, tentant de comprendre l’hésitation d’Ada.
– Elle veut laquelle ? Redemanda-t-il.
– La maison hantée, grimaça Ada.
– Ah, celle-là, tu lui as raconté ?
– Oui, enfin elle n’y croit pas, j’ai pourtant essayé.
– C’est ton amie, ton problème. Faites un tour à la bibliothèque avant la vente, ça pourrait lui faire changer d’avis.
Elle fit oui de la tête et même si j’insistais pour signer tout de suite, elle me proposa de prendre un peu de temps avant.
– Tu sais, il te faut une voiture et chiffrer les travaux et leur durée. Tu pourrais louer quelque chose en attendant et puis il faut tout commander, ici il n’y a pas beaucoup de magasins alors, tu vois…
Ce que je voyais surtout, c’est le manque d’entrain qui ressortait, le sien et celui de son boss, sans que je puisse voir en quoi cette maison était un monstre. Pour moi, ce n’était que croyances et médisances. La maison isolée pouvait sans aucun doute prêter à ce genre de légendes urbaines. Si fantômes il y avait, j’étais prête à leur tenir tête et à les virer de là parce que cette maison, je la voulais. Mais, je pouvais attendre encore un peu, je n’étais pas à un jour près et il me fallait reconnaître que oui, j’avais besoin d’une voiture, de quelqu’un qui me montre où tout acheter, du clou au lit. Donc en attendant, je pouvais prendre le temps de visiter la bibliothèque et les magasins du coin.
– Bon, d’accord, finis-je par dire en me levant du canapé. Tu as gagné. Allons voir cette bibliothèque.
– Super !
Fut la seule réponse que j’eus et elle me poussa dehors en lançant un à demain à son boss. L’avantage des petites villes, c’est que tout est proche. Trois immeubles plus loin se trouvait l’école qui cachait une bibliothèque incroyable, une merveille, vraiment. La bibliothécaire d’une quarantaine d’années, était blonde plus petites que moi avec des yeux verts à tomber. Une véritable poupée qui ne correspondait pas réellement à l’idée que l’on se fait de la bibliothécaire vieille fille et coincée. La petite dame discutait avec un homme grand, pâle et presque chauve. Ada me précisa que Flo tenait depuis peu la bibliothèque et que James, le vieil homme, était l’ancien bibliothécaire et lui correspondait à l’idée que l’on se fait d’un bibliothécaire, vieux, sérieux et peu souriant.
Ils discutaient en chuchotant, penchés sur un livre. Ils levèrent la tête en même temps et Ada se transforma d’un coup en petite fille gênée, au seul regard du vieux monsieur, ça me fit sourire. Flo vint vers nous et me fixa étonnée.
– Bonjour, dis-je.
– Bonjour, répondit-elle et elle ne dit plus rien d’autre.
Ada demanda timidement si je pouvais consulter les archives des journaux de la région à quoi un pourquoi et un haussement de sourcils lui répondirent.
– Je m’intéresse à la maison hantée !
Deux yeux glaciaux me fixèrent.
– Vous croyez à ses bêtises ?
Le ton était sec, agacé et elle ne me regardait plus, mais fixait Ada.
– Non, mais on m’a conseillé de me renseigner avant de l’acheter.
– Bien, les yeux verts pivotèrent vers moi, je comprends, vous savez les gens d’ici ont leurs légendes.
– Je n’en doute pas, fis-je avec un petit sourire. Pourtant, j’avoue que connaître le passé de la maison serait un plus, si je trouvais des plans…
– Impossible, me coupa-t-elle, dans les coins les plans…
Son regard était interrogateur, bon sang, on pouvait lire dans ses yeux la moindre de ses émotions.
C’était troublant. Elle me fit signe de la suivre. La salle des archives, comme toute bonne salle d’archive, était au fond, tout au fond, remplie d’armoires en métal avec une table au centre, le tout sentait la poussière, normal.
– Nous n’avons rien sur informatique, dit-elle, du moins rien de récent. James n’était pas…
La phrase laissée en suspens comme si personne ne pouvait comprendre à quel point ce James était hors du temps.
– Ce n’est pas grave, je préfère de loin le papier.
Elle me sourit d’un coup.
– Les jeunes et leurs ordinateurs ne comprennent plus rien aux livres, dit-elle en haussant les épaules.
– Et pourtant, le toucher, l’odeur, le plaisir de tourner les pages, dis-je pour compléter sa phrase.
Et hop, les yeux verts me scrutèrent plus intensément encore cette fois-ci, ils étaient tellement expressifs, mais leur propriétaire ne dit rien de plus que :
– Je vous laisse, Ada sait où chercher, n’est-ce pas ?
Sa voix se fit mielleuse lorsqu’elle lui parla et me fit froid dans le dos. Oui, Ada savait exactement où chercher et quels articles me faire lire. Le premier, le plus ancien, parlait de la découverte de la femme du premier propriétaire retrouvée assassinée dans la cuisine, le mari étant porté disparut, mais suspect. Le second du troisième ou quatrième propriétaire retrouvé pendu dans sa chambre puis une série impressionnante d’article annonçant les nombreux accidents arrivés aux différents ouvriers engagés pour y faire des travaux puis quatre propriétaires différents avaient eu des pépins plus ou moins importants, allant de la perte d’un doigt, resté coincé dans une porte, à une commotion due à une chute dans l’escalier.
Bon, je devais bien admettre que la maison n’aimait pas trop les étrangers. Si fantômes il y a, la femme du premier couple à y avoir vécu semblait être toute désignée, elle ou son mari, jamais retrouvé, mais rien n’y faisait, je la voulais. Allez comprendre…
Je promis à Ada que si perte d’un doigt il y avait, je déménagerais tout de suite même si j’en avais neuf de plus. J’étais sérieuse, vraiment ! Mais, elle soupira, secoua la tête et me dit :
– Viens, j’ai faim !
Elle ne dit plus un mot jusqu’à ce que nous soyons assisse à la table d’un des deux restaurants de la ville. Le Grill, un simple nom justifié par les plats servi, tout était grillé de la viande aux légumes jusqu’aux nappes. Elle ne me dit pas un mot avant que nos plats arrivent. J’en avais profité pour regarder les autres clients. Le restaurant était plein, pas une table de vide et les regards me passait dessus, s’arrêtant sur Ada, avant de nous ignorer totalement.
– Tu m’en veux parce que je tiens toujours à acheter la maison ?
– Non, souffla-t-elle, je t’avoue que j’aurais préféré te voir rester en ville, c’est plus sûr, tu ne connais rien à la vie ici, mais j’aurais au moins tenté de te faire changer d’avis.
Elle pointa son menton vers la salle.
– Une réputation est vite faite ici, déjà te voir avec moi ne va pas t’aider alors si, en plus, tu achètes la maison maudite…
Du coup, je doutais de ne jamais m’adapter à cette ville. Elle ne semblait pas y être parvenue et bien que je comprenne son envie de se trouver une amie qui ne soit pas d’ici, je redoutais cette amitié, un peu trop rapide. Et, puis zut !
– He bien, au contraire, tu devrais être contente, d’un, personne ne saura jamais ce que j’y fais donc ce que tu y feras non plus. De deux, tu n’as pas besoin, avec moi, d’être ce que tu ne veux pas, je me fiche de ton passé, le mien n’est pas glorieux et franchement, je ne suis pas là pour me faire des amis. De trois, tu pourras les menacer de faire venir toutes tes folles d’amies de France pour les faire taire. Qui sait, je pourrais être un medium venu pour parler aux fantômes et c’est pour cela que je tiens à l’acheter, tes autres amies, sorcière, non ? Ça pourrait le faire ?
Un œil incrédule me fixa puis une lumière y dansa répondant à celle qui était dans mes yeux. Le rire nous prit par surprise. Vous savez, ce rire franc, heureux qui vous secoue de la tête au pied, magistral et renforcé par les regards sur nous.
Bien dix minutes plus tard, le calme revenu et difficilement maintenu, j’étais absolument convaincue d’être classée parmi les folles furieuses du coin.
– Si tu voulais passer pour quelqu’un de normal, c’est fichu…
– Tant mieux j’en avais marre d’être normal !
Je lui tirais la langue. Le pacte scellé la veille se renouvelait et mes doutes se turent, ça allait vite, mais je me sentais heureuse, finalement, je me fichais de ce que ces gens penseraient de moi, rappelez-vous, je ne suis pas venue me faire des amis. Une, c’était déjà bien plus que prévu. Elle passa la soirée à me montrer discrètement les personnes présentent, me faisant un petit topo sur leur vie, tout se savait ici. Le temps fila, je me sentais bien et mon « non » projet semblait prendre une tournure intéressante !
J’avais hâte et je me sentais prête à remuer des montagnes.
Chapitre 3
Refusant toujours de me laisser signer l’acte de vente, Ada m’avait fourni les papiers concernant la maison. Il y avait l’état des lieux, enfin surtout la liste des travaux à faire d’urgence et le devis des travaux. Mes économies n’y suffiraient pas si je devais faire appel à une entreprise. Une fois bien épluché la liste, j’en avais conclu, optimiste, qu’à part le toit, je devrais pouvoir tout faire de mes blanches mains. Je décidais par où commencer, la salle de bains me semblait être l’obligation d’urgence, puis je fis une magnifique liste de ce dont j’aurais besoin, longue de plusieurs kilomètres. Non, je n’exagérais pas. Elle commençait par trouver une voiture, ou un bus, ou un camion, enfin un n’importe quoi avec des roues et un coffre, un grand, au vu des travaux prévus et avec un budget serré, du neuf était impossible.
Impossible n’étant presque pas Ada, elle prit les choses en main et je me retrouvais devant une femme d’une cinquantaine d’années, grande, charpentée comme un bûcheron qui me fixait d’un drôle d’air. Mais, si vous savez, ce regard que les natifs d’un coin posent sur ceux qui débarquent et qui dit : toi tu ne vas pas faire de vieux os ici, charmant !
Sauf que sans trop savoir comment le regard se modifia au fur et à mesure qu’Ada me présentait et expliquait mes besoins. Je me retrouvais avec une jeep rouillée et une remorque qui l’était encore plus, en moins de dix minutes et la vente se conclut par :
– Tu peux payer en plusieurs fois si tu restes, sinon je reprends le tout quoique tu aies déjà payé.
Ok, c’était simple et précis.
– Merci madame.
– Pas madame, Suzanne, juste Suzanne.
– Merci Suzanne, fis-je en lui tendant la main.
Elle la saisit entre les deux siennes et après un instant dit doucement :
– Soit la bienvenue, la vie n’est pas facile ici, mais si tu t’accroches, tu devrais t’y plaire. Passes me voir si tu as besoin de quelque chose.
Elle nous fit un signe de tête avant de partir.
– La voiture, c’est fait. Viens, cette fois-ci, tu peux signer les papiers pour la maison ! Je t’ai obtenu un rabais. Ils sont pressés de vendre.
J’avais loupé quelque chose, non ? Les papiers comme ça, boum et en vitesse, je vous prie. J’avais vraiment loupé quelque chose. Rien compris moi. Bref, en moins d’une semaine, j’avais une maison presque en ruine, une voiture qui ne valait pas mieux, une remorque qui grinçait tellement que l’on devait m’entendre de plusieurs kilomètres, un compte dans le seul magasin de bricolage du coin, le tout mis en place au pas de course par une Ada survoltée qui ne me laissait pas le temps de souffler.
En ville, on commençait à me reconnaître, l’attraction de la nouveauté ne s’essoufflait pas aussi vite que je l’avais espéré et les regards qui s’attardaient sur moi me mettaient mal à l’aise, j’avais hâte de pouvoir filer loin de tous. Oui, même loin d’Ada dont je ne comprenais pas l’enthousiasme frénétique de ces derniers jours et qui m’épuisait.
Papiers signés devant l’œil attentif de Bogdan, le patron d’Ada. Mon compte en banque dépouillé de beaucoup moins que prévu. C’est l’esprit conquérant et toute seule, comme une grande que je me rendis « chez moi » avec l’espoir fou, j’en suis consciente, de pouvoir rapidement m’y installer. Lorsqu’au dernier contour, la maison se fit visible, je stoppais net.
Chez moi, fut la seule chose à laquelle je pensais, chez moi et loin de tout. Un vrai bonheur m’envahit, sauvage, puissant, chez moi, toute seule.
Je restais là à contempler un long moment cette maison qui m’avait fait tant envie et qui aujourd’hui était en passe de devenir mon foyer. Je profitais du calme. Je profitais de ce sentiment de confiance qui grandissait en moi. Je prenais le temps de paniquer, un peu, devant l’ampleur de la tâche puis me décidais à me bouger. Je fis le reste à pied, le coin était si calme que je n’avais pas envie de troubler ce silence avec un moteur. Je m’approchais et caressais la porte du bout des doigts en murmurant.
– Salut, toi, c’est moi, tu penses que l’on va s’entendre ? J’en ai bien envie, tu sais.
Je restais là, devant cette porte ne sachant trop ce que je voulais faire puis je me traitais d’andouille, ris un peu et ouvris cette fichue porte pour faire le tour de MA maison !
Rien de bien remarquable, il faut le reconnaître, une cuisine assez grande, séparée du salon-salle à manger envahi de matériel, dont il faudra bien que je fasse l’inventaire et une salle de bain où ne restait qu’un trône et un bout de miroir perdu au milieu de morceaux de carrelage. Un désastre qui me fit soupirer. Arriverais-je à m’en sortir ? En regardant de plus près je fus pris de doutes monstrueux qui m’accompagnèrent à l’étage, là, les trois chambres étaient vides, les murs repeint et habitable en l’état, une fois délogées les centaines d’araignées qui les avaient colonisés.
Une odeur de moisi envahissait le tout. J’ouvrais les fenêtres, débloquais comme je pus les volets qui restaient et laissais entrer le soleil et l’air pur. Le monstrueux doute qui me tenait compagnie ne résista pas à la vue sur les arbres et au silence qui régnait. Je voulais vivre ici et j’allais y arriver.
Laissant tout ouvert, j’attaquais l’inventaire de ce que contenait le salon, entre les fenêtres et les meubles rassemblés là, je trouvais un tableau noir où des dessins d’enfants à la craie étaient à moitié effacés. Je le posais contre un mur, le nettoyais avec ma manche et en riant, je notais : Bonjour à vous fantômes de la maison, je suis Sophie et je vais vivre ici, j’espère que nous serons amis dans un avenir proche.
Je rigolais et commençais à effacer ma demande d’amitié quand un klaxon m’interrompit. Ada arrivait. Elle bossait quand elle ? Donc je disais, Ada arrivait avec dans sa voiture, le matériel complet de la parfaite femme de ménage. Elle avait même caché ses cheveux sous un long foulard. Je pouffais en la voyant.
– Tu changes de métier ?
– J’y songe, hors saison ce boulot est d’un ennui, tu n’imagines pas.
– Et nettoyer la maison t’as semblé une bonne occupation ?
– Non, mais te regarder faire, oui !
Elle me passa devant en me jetant un foulard.
– Au boulot, cria-t-elle comme le général qu’elle semblait être devenue avec moi.
C’est râlant ouvertement que je la suivis à l’intérieur et toujours en râlant devant son air faussement outré que nous avons attaqué la chasse aux araignées de l’étage.
J’étais alors, bien décidée à ne sortir de là qu’une fois les nettoyages finis, mais alors que je ramassais les débris de catelle dans la salle de bain. Je fus arrêtée net par le bout tranchant de l’une d’elle. Les doigts ça saigne, les miens encore plus, ils saignent, vraiment, beaucoup. J’en mis partout, on pouvait me suivre à la trace, mince, et en plus un morceau était resté figé dans la coupure. Bien sûr, pas d’eau, pas de pansement, nous n’avions rien prévu.
Je râlais, pestais contre ma maladresse et les rire d’Ada ne m’aidèrent pas à me calmer. Je la fusillais du regard.
– Arre oi bin.. erci, finis-je par dire la bouche pleine de mon doigt, ce qui ne fit rien pour la calmer, bien au contraire.
Nettoyages terminés pour aujourd’hui, direction la ville et la pharmacie.
Une fois mon doigt déguisé en poupée, ma fierté écornée me poussa à abandonner ma soi-disant amie ricanante. J’étais trop fatiguée pour sortir et tout ce que je voulais, c’était un bon bain chaud et dormir. Mon doigt tapait encore et je me promis de commencer par m’équiper de gants dès le lendemain et en m’endormant, je songeais à tout ce que je devrais encore acheter.
Ada ne m’ayant pas laissé conduire, elle avait raison, j’aurais mis du sang partout, je devais me taper cinq kilomètres et des poussières à pied pour aller retrouver ma voiture.
En arrivant à la maison, je trouvais les fenêtres fermées. J’étais pourtant sûr de les avoir laissés ouvertes. Ada était probablement revenu les fermer, gentil à elle. J’effectuais un rapide tour et repartis en voiture cette fois-ci. L’achat de gants, achat hautement important, me ramenant en ville, je profitais pour étoffer un peu mon matériel. Une brouette, une pelle et une ramassoire en fer me vengeraient de ces fichues catelles. Le reste de la journée, je l’occupais à contrôler ma liste et à réfléchir mollement assise dans le petit parc à ce qu’il me faudrait commander en premier. Je me décidais pour de nouvelles toilettes, ça, c’était urgent ! Réellement urgent !
Il me fallut plus d’une semaine pour vider tout le fatras qui s’entassait dans le moindre coin du rez, j’avais acheté un de ses abris de jardin en kit qui me serviraient d’entrepôt, cassé la pelle, plié la ramassoire et découvert plusieurs muscles que j’ignorais posséder, eux aussi ignoraient qu’ils servaient à quelque chose et leur réveil fut des plus douloureux.
L’absence d’Ada se faisait sentir, après les premiers jours où elle m’avait servi de nounous, elle avait repris son travail à plein temps, la saison avait commencé. Je souriais en pensant à elle à chaque fois que je passais devant le tableau noir, le jour où elle était venue fermer les fenêtres, elle avait répondu à mon message par un “moi aussi” écrit avec soin à côté de ma note.
J’avançais dans les travaux, pas vite du tout, mais le temps était venu pour moi de quitter ma chambrette en ville. J’allais dormir sur un lit de camps, faire la cuisine sur un réchaud de camping, mais le plus important, j’avais des toilettes fonctionnelles. Le luxe !
Je n’avais pas revu Ada, je passais donc à son bureau pour lui annoncer mon emménagement. Elle n’y était pas. Son patron m’annonçant qu’elle était absente pour encore trois jours, je laissais un mot sur son bureau, un peu dépitée et je retournais pour la dernière fois à l’hôtel. Je vidais ma chambre et fis mes adieux à la ville avec soulagement. C’est euphorique que j’arrivais dans ma maison !
Euphorie qui une fois sur place ne dura que quarante-cinq minutes, maximum. Alors que je finissais mon installation de fortune, posant ma valise dans un coin du salon, trop flemmarde pour la monter dans une chambre et transportant mes affaires dans la salle de bain, mon front décida de faire une rencontre sonore avec la tablette du lavabo fantôme de la salle de bain. Ce fichu bout de porcelaine qui avait résisté à la destruction des anciens propriétaires, sûrement parce qu’il était plus que solidement fixé, c’est du moins l’impression qu’eut mon front. Je vis des étoiles, du sang couler devant mon œil, bobo, gros bobo et merde. J’enroulais ma tête dans une serviette après avoir désinfecté la plaie, avalais un cachet en râlant puis me couchais en espérant que ça passe. Pour une première journée, ce fut une journée mémorable, aïe !
Je me réveillais avec un atroce mal de tête et je ne bougeais pas. Je pris le temps de me souvenir de qui j’étais et où, d’être bien sûr que j’étais vivante que ma tête ne tournait pas trop. Ho, elle faisait mal, un mal de chien, mais je ne m’en tirais pas si mal. Un bon moment plus tard, je me levais en titubant en direction de la cuisine et de la petite pharmacie qui s’y trouvait. J’avalais deux cachets, hésitais à en prendre un troisième et retournais me coucher. Grosse journée en vue.
C’est le soleil qui me réveilla le lendemain, ma tête allait mieux et bien que je me sentai vaseuse, mon estomac, lui, était en forme. Un café et deux tartines plus tard, je me décidais à contrôler l’ampleur du désastre sur mon front. Une cicatrice légère au milieu d’une bosse, elle-même au milieu d’un bleu qui englobait mon œil et une partie de ma joue. Je ressemblais à un boxeur, le perdant bien sûr. Tablette de lavabo un, moi zéro !
Je ne sais pas pourquoi, je m’attendais à bien pire. Il me semblait avoir plus saigné, mais je ne trouvais pourtant que quelques traces et uniquement à la salle de bain. Il faut croire que le choc avait été rude, sacrément rude, mais sans gros dégâts.
Dire que j’ai eu du mal à me remettre à mes travaux, n’est rien à côté du courage que je n’avais pas. Au fil de la journée, je passais plus de temps à rêvasser qu’à travailler. Je finis par m’installer dehors pour avaler mon sandwich, les journées rallongeaient, le temps était plus doux et j’avais envie de profiter du soleil en ce début d’après-midi pour refaire le plein de volonté que je n’avais toujours pas et qui me faisait surtout tourner en rond. Lasse de mon manège et pour décider par où commencer, je finis par reprendre le tableau noir, le nettoyais et commençais à noter :
Cuisine, ouvrir ou non ?
Sol, carrelage ou lino ?
Four, gaz ou électrique ?
Micro-onde ?
Salle de bain, place pour baignoire ou non ?
Quelles couleurs ?
Douche ?
Salon, mettre un nouveau sol ?
Garder la cheminée ouverte ?
Et ainsi de suite. La liste des questions s’agrandissait, celle des réponses ne bougeait pas. Le temps passait en interrogation et je me couchais en pensant à tout ce qui me restait à décider. Dans un grand élan de lucidité, je décidais de ne pas décider pour le moment ! Cette bonne résolution prise, je m’endormais.
C’est le hurlement suraigu d’une alarme qui me réveilla au petit matin. La sirène d’alarme se nommant Ada, était debout devant moi, gesticulante. Je crus comprendre des mots comme, folle, porte non fermée, visage défiguré, risque de mort, têtue et en danger, dit d’une voix si forte et aiguë que tous les chiens dans un rayon de dix km devaient hurler pour y répondre. Mon mal de tête était de retour ou était-ce un nouveau provoqué par le flot de parole qui se déversait sur moi ? Dans le doute, je refermais les yeux.
Oui, j’avais mal à la tête, oui, Ada hurlait, oui, il fallait arrêter ça.
– Bonjour, ça fait plaisir de te voir. Glissais-je rapidement alors qu’elle reprenait sa respiration.
– Ben pas à moi, répondit-elle tu as vu dans quel état tu es, dix jours et je te retrouve à moitié morte.
Sa voix tremblait un peu, me prouvant qu’elle était réellement inquiète.
– C’est rien, je t’assure, je me suis cognée, la tablette de la salle de bain a gagné, mais c’est plus moche que grave.
– As-tu mal à la tête ? Des vertiges ?
– Oui, non, mais oui, parce que tu hurles là.
– Non, je ne hurle pas, dit-elle en hurlant.
– Si, un peu quand même.
– Non, juste ce qu’il faut ! Et il faut bien que tu te rendes compte de tes bêtises, non ?
– Hurler, ça me donne plutôt envie de faire le contraire, répondis-je en riant.
Elle soupira, une fois, deux fois, trois fois, ferma les yeux, puis avec un quatrième soupire, dit beaucoup plus calmement :
– Quand j’ai trouvé la porte ouverte, j’ai eu peur que tu sois partie ou pire morte.
– Je ne suis ni partie, ni morte. J’ai juste un œil au beurre noir, qui va rester quelques jours avant de se transformer en joli arc-en-ciel et disparaître, rien de grave. Allez calme-toi. J’ai besoin d’un café, tu en veux un ? Ou plutôt une tisane ? Calmante ! Dis-je en riant.
Elle me suivit dans la cuisine et mon petit réchaud de camping fit sans broncher son travail.
Une tasse de café à la main, Ada ayant catégoriquement refusé la tisane, nous nous installions dans le jardin. De vieux rondins vermoulus nous servirent de chaises et je profitais du soleil.
– Bon, sang, tu ne t’es pas ratée, il est immense ce bleu.
– Yep, je sais, un sacré match, mais mon adversaire à tricher. Je ne l’avais pas vu venir.
Elle sourit en tendant un doigt pour me toucher. Je reculais la tête en vitesse de peur d’avoir mal et glissais du rondin, me retrouvant pleine de café, les fesses par terre.
– Ok, fit-elle, tu es un vrai danger pour toi-même, il va falloir que je passe régulièrement pour contrôler que tu n’as pas cassé quelque chose ou coincé, ou coupé…
Elle parlait sérieusement, enfin essayait, le rire pointait dans ses yeux. Je me relevais, secouais mes vêtements et alors que je passais devant elle, hautaine et fière, son rire fusa d’un coup. Je me retournais et la vis tenter d’essuyer les larmes de rire qui perlaient.
– Tes fesses, souffla-t-elle entre deux hoquets.
Je passais ma main sur elles, mince le pantalon était déchiré. Ok, j’étais ridicule, un œil au beurre noir et les fesses à l’air. Elle se fichait de moi, qui pouvais-je ? Je ruminais une vengeance en me préparant une nouvelle tasse de café. Pourtant, je reconnaissais que la voir était un vrai plaisir, j’appris que nous étions lundi, son jour de congé et qu’elle avait décidé de me traîner en ville. J’avais selon elle besoin de vêtement mieux adapté à mon mode de vie. Les éclairs dans ses yeux sous-entendaient, mieux adapté à ma maladresse. Je ne répondis rien, me drapais dans ce qui me restait de dignité et allais me changer. Mon œil au beurre noir ne passerait pas inaperçu et allait susciter des commérages pour plusieurs jours, mais comme je ne connaissais personne, je ferais avec. Je soupirais en souriant et enfilais des vêtements entiers.
Néanmoins, je passais une merveilleuse journée et quand je rentrais, les bras chargés de sacs, j’étais épuisée. Je ne sais pas où Ada puisse son énergie, mais moi, je n’en ai jamais eu autant.
C’est en souriant que je me préparais à manger et je m’installais dans mon salon pour recommencer à réfléchir à ce que je voulais. En regardant le tableau, je fus étonnée de voir qu’Ada avait répondu à mes questions. Je pouvais lire à côté de ma liste des commentaires à cuisine, ouvrir ou non ? Un non-mur porteur était rajouté pour le reste le choix était entouré jusqu’à salle de bain ou douche et bain étaient entourés avec un si possible les deux, ajouté à côté.
Mais l’autre, quel culot ! Je rigolais en lisant ses choix. Arès tout pourquoi pas, un vrai petit général cette nana, mais qui n’avait pas tort, une douche et une baignoire, mmm, ce serait merveilleux. Je rangeais mes nouvelles affaires dont une salopette en jeans solide que j’avais tenu à acheter malgré les soupirs et les yeux au ciel à cause de mon mauvais goût, de mon amie. Demain, je m’attaquerai à la salle de bains et me vengerais de mon adversaire victorieux ! Na !
C’est plein d’entrain que j’attaquais bout par bout la maison. Le jardin avait pris des airs de camping sauvage, des abris en toiles s’amoncelaient, un par pièce et j’y entassais les choses que je voulais garder. J’avais même installé un véritable atelier. Je travaillais beaucoup et à force de me tromper, de casser, j’apprenais et j’étais fière de moi !
Le tableau noir en guide précieux se noircissait de petites notes et de réponses, je ne comprenais pas comment Ada arrivait à les écrire aussi souvent. Trop occupée et trop fatiguée, je laissais de côté les choses étranges.
La salle de bains, pas complètement finie, avait maintenant une douche. Les catelles anciennes faisaient un joli carré en son centre et la baignoire commandée n’arrivera que dans quelques semaines, ici tout prenait des semaines.
J’avais recopié au propre les suggestions du tableau noir et finalement, elles semblaient me convenir ou alors mon côté petite fille obéissante n’avait pas totalement disparu ce qui mériterait que je prenne un instant pour y songer. Je le ferai plus tard, ce n’était qu’une réponse de plus à trouver. J’en avais déjà plein.
Comme aucun accident ni fantôme n’étaient venus me compliquer la vie, j’avançais, vraiment pas vite, mais j’avançais. Les journées étaient longues. Heureusement mes muscles hurlant de contrariété au début s’y faisaient, moins de courbatures, plus de travail et moi qui avais toujours été un peu ronde, j’avais trouvé le meilleur des régimes, bouge-toi et bosse ! Je vous le recommande.
Je me couchais avec les poules, bien plus tôt que le soleil qui traînait trop longtemps pour moi depuis que l’été était arrivé et me levais avec le soleil. Un rythme soutenu, car je voulais avoir fini les gros travaux avant l’hiver. Je voulais avoir chaud et être bien installée pour affronter la neige.
Chaque jour était rempli de petits travaux qui n’avaient rien de compliqué sur le papier, mais prenait un temps fou. Un temps que je perdai régulièrement en soupir et raz le bol. Mon vocabulaire rageur partait du français et quand j’en avais fait le tour passait à l’anglais. Langue qui s’étoffait de jurons plus que d’autres mots, merci Ada.
Les jours passaient et se ressemblaient, interrompu par ses visites, qui ne servaient qu’à vérifier que je ne m’étais pas coupé un bras ou pire, car elle les passait à boire une bière assisse par terre et à me regarder faire, une aide précieuse…
Chapitre 4
J’avais pris l’habitude de faire mon programme sur le tableau noir. Liste que je prenais plaisir à tracer tous les soirs et qui me faisait soupirer par son peu d’avancement. J’avais bien compris que pour rester motivée, je devais me limiter à quelques lignes réalistes pour le lendemain. Ce soir-là, je notais finir la salle de bains, vider la cuisine, demander de l’aide pour sortir le vieux fourneau, voir s’il peut être réparé, enlever le sol et si encore temps démonter les placards. Quatre petites choses de rien du tout, mais de l’aide ne serait pas mal venue. Je soupirais. Pourquoi tout était-il aussi lourd ?
Bref, ça attendrait demain, le plus urgent était de filer me laver de toute la crasse accumulée dans la journée. Alors que je sortais de la douche, mon orteil fini dans un carton de catelle. Vous ai-je dit que la salle de bains n’était pas tout à fait finie ? Oui, elle est dans ma liste. Un carton de catelle, posé là par des lutins qui en avaient après moi, j’en étais persuadée, c’est beaucoup plus dur qu’un orteil. Je hurlais, les orteils, ça fait mal !
Sautillant en râlant, je partais à la recherche de ma trousse à pharmacie, glissais et finissais la tête contre la cheminée. Bobo. Mais, vraiment aïe, je vis mes copines les étoiles et merde, tout ça pour un orteil. Ma tête se mit à tourner et je ne vis plus rien.
Je me réveillais avec un mal de tête atroce, encore une fois. Le souvenir de mon œil encore bien présent dans la tête, je jugeais que là, c’était pire, vraiment pire. J’avais mal partout. Je pris un temps fou pour lentement m’asseoir et j’étirais muscles après muscles, jusqu’à ceux de ma nuque qui refusèrent de fonctionner, oh surprise !
Je devais me lever et me diriger vers la cuisine où se trouvait la trousse. Je ne serais capable de rien sans un cachet contre la douleur. J’étais mal, franchement et avant de me lever, je jetais un œil autour de moi, cherchant quelque chose pour m’aider à avancer. La trousse était là, pas à la cuisine, mais à un mètre de moi sur le sol, sauvée ! Je me levais doucement et tanguais dans sa direction. Me pencher fut une véritable prouesse tant ma tête cognait, mais j’y parvins en faisant très, mais alors très attention. J’avalais deux cachets, fit demi-tour en traînant la trousse et retournais me coucher en me promettant d’appeler Ada si des nausées apparaissaient.
Je ne le fis pas. Je dormis toute la journée et le lendemain, je me levais en mode zombie, la nuque raide pour trouver un mot mis sur la table de la cuisine. Quelqu’un y avait écrit : faites un peu plus attention ! J’ai sorti le fourneau pour vous avancer.
Je fixais la note bêtement, mon cerveau en panne refusait de comprendre. Qui avait sorti le fourneau qui pesait deux tonnes ? Ok, donc, heu, voilà, c’est quoi ce bordel ? Il y avait quelqu’un chez moi ? Mes pieds décidèrent de retourner au salon où mon corps, cerveau toujours absent, me fit tomber assise sur mon lit. Je restais là, bêtement, loin de la cuisine comme si d’un coup tout allait revenir à la normale. La douleur de ma tête me fit sentir vivante, ce fut du moins la seule chose qui me semblait normal.
Vous connaissez cette impression que votre cerveau gèle ? C’est au-delà de la panne simple et bête, rien, plus rien ne marchait dans ma fichue caboche. Un grand vide y régnait. Mon corps avait pris la relève, mais une fois réfugié au salon, il abandonna la direction des opérations. Plus rien, nada, néant total. Seuls mes yeux semblaient vouloir faire le boulot, enfin un peu, je voyais flou. À grand coup de respiration profonde, je tentais de reprendre mes esprits et de calmer la douleur. Non, je n’allais pas retourner voir la cuisine, enfin pas tout de suite. J’étais tentée de m’enfuir, mais sans l’aide de mes jambes ce n’était pas possible.
Deux pauvres neurones se remirent à fonctionner et tentaient à eux deux de réfléchir à la situation, pas bien, vraiment, rien de concret pour les aider. J’avalais un contre-douleur. L’un mes deux neurones eut l’idée idiote de me faire bouger les yeux. Ils se fixèrent sur le tableau noir où ma liste d’à faire s’étalait. Je la relisais : finir la salle de bain, vider la cuisine, demander de l’aide pour sortir le vieux fourneau, voir s’il peut être réparé, enlever le sol et si encore temps démonter les placards, rien à dire, sauf que, sauf qu’en dessous, juste en dessous « demandez quand vous avez besoin d’aide » était noté. C’était l’écriture d’Ada. Enfin me dit un de mes neurones, tu pensais que c’était l’écriture de… Ha, ha gros malin de te décider à analyser ça maintenant et l’autre neurone, celui qui n’était pas occupé à faire des conclusions désagréables, relu une bonne dizaine de fois le texte qui ne changeait pas. Il était donc possible qu’il soit bien là et que ce n’était pas une hallucination due au choc, comme celui de la cuisine. Et mince. Enfin peut-être, pour la cuisine, il faudrait que je retourne voir. Non, pas envie du tout et puis mes pieds ne voulaient pas.
Je restais là, un temps infini. Je fixais le tableau. Ma tête restait vide. J’étais en panne, panne totale.
Mon fichu estomac se moquant complètement de la situation se mit à gronder : du café dit-il ! Si, il l’a dit, j’en suis sûr. De toute façon au point où j’en étais un estomac qui parle, ce n’était que du normal. Je fermais les yeux, fort, jusqu’à voir des petites lumières se balader contre mes paupières. Je respirais profondément. J’ouvris les yeux, le texte était toujours là, je me levais, celui de la cuisine aussi. C’était réel, je me fis une tasse de café, la bus, puis une deuxième avant de retourner au salon.
Je relus le texte pour la millième fois, mieux réveillée cette fois-ci, pas en forme, pas à l’aise, mais mieux réveillée. Un troisième neurone, sûrement boosté par le café se fit entendre. Il voulait faire un conseil à trois ou plus. Le conseil se teint et conclu que d’un, ça ne pouvait pas être Ada, de deux, c’était écrit en français. En français, bordel t’a noté, en français ! À part Ada personne ne le parlait ici. De trois, c’était plutôt gentil de m’avoir aidé, flippant, mais gentil. De quatre que mes yeux étaient des imbéciles de n’avoir pas lu jusqu’au bout. En effet, en dessous de la signature que je peinais à lire, un P.S. était rajouté. Il disait : il serait souhaitable que nous nous rencontrions, ne pensez-vous pas ? Quel soir vous conviendrait ? Amicalement Louis.
Enfin je pense, la signature commençait par un L, c’était sûr, le reste beaucoup moins.
Mais, bordel, c’était qui ce type ? Il faisait quoi chez moi ? D’ailleurs vu son message le premier jour, il était là avant moi. Les fantômes écrivent ? Sérieux ? Ok, panique ! Là, maintenant, tout de suite, fou le camp, putain de pieds de merde ! Ils ne bougeaient pas. Je ne bougeais pas.
Il y avait quelque chose, je devais y réfléchir. Vraiment, je devais prendre le temps d’y penser. Mais penser à quoi ? Au café dit neurone numéro trois, plein de café rajouta numéro quatre qui sortait de je ne sais où en baillant, ok, encore plus de café, c’était un bon début. Début à quoi ? Je n’en savais rien, mais mon mal de tête atténué par le cachet et le café me laissait un peu plus de place pour réfléchir.
Café en main, assise par terre, je regardais le jardin. Quelques neurones supplémentaires se réveillèrent et se joignirent à la longue conversation qui se tenait dans ma tête.
Bon, disait numéro trois, oui, c’était lui, n’en doutez pas, récapitulons. Récapituler quoi ? Franchement, aucune idée et puis, numéro quatre dit, on reprend depuis le début, ok les gars ? Et, là, ils se mirent au boulot. Mon cerveau gavé de café dégela. Je pouvais à nouveau penser.
Depuis le début donc, voyons, déjà depuis quel début ? Mon arrivée ou ma maison ? Je me levais, allais au tableau noir et notais, arrivée à la maison et là, je bloquais. Que c’était-il passé que je n’avais pas retenu, mais qui au fond de mon esprit s’était imprimé suffisamment pour que cette impression d’avoir loupé un truc énorme soit si présente et pourquoi cette impression ne vient que maintenant ? Tu étais crevée dit numéro un. Bon, passons.
Donc le premier jour, je me suis coupé le doigt et les fenêtres ouvertes, j’en étais sûr, elles étaient ouvertes, mais retrouvées le lendemain fermé. J’avais pensé à Ada mais non, alors, le fantôme ? Je grimaçais. Et, quoi d’autre ? Le sang, j’en avais mis partout et le lendemain, presque plus rien. Les fantômes font le ménage ? Je ricanais. Puis mon choc à la tête dans la salle de bains, un sacré coup et peu de sang. Je secouais la tête, non impossible, je délirais. Les désires sur le tableau noir, ceux du fantôme ? Tous les petits mots trouvés ? Mais, quand même c’était, non rien, ce n’était pas possible et voilà, mais…
La tête entre les mains, je me sentais vide. Je cherchais encore et encore ce que j’avais pu ne pas voir, ne pas considérer comme important. Je me mis à douter, une plaisanterie ? Un vagabond vivant dans la maison ? Il n’avait rien fait de mal pour le moment. Il m’avait aidé, mais pourquoi ces mots maintenant ? Je n’avançais pas, ne trouvait rien, ne comprenait pas.
Dans le flou et la panique, une idée germa. Une seule qui me semblait pouvoir m’apporter une réponse. Il fallait que je retrouve mon calme, au moins un peu. J’effaçais le tableau noir, deux fois.
Quand les phrases dans ma tête se mirent dans un ordre que je jugeais correct, j’écrivis : Qui êtes-vous ? Que faites-vous là ? Pourquoi ne pas vous être montré avant ? Partez de chez moi !
C’était nul, mais n’ayant aucune autre idée, ça ferait l’affaire. J’attrapais vite fait mes clefs et fuyait ma maison.
Quand la ville fut en vue, je m’arrêtais, une partie de moi voulait fuir, une autre me disait que non, la fuite, j’avais déjà fait. L’envie de me battre pour ma nouvelle vie se disputait avec mon envie de me cacher. Arrêtée au bord de la route, je regardais la ville en tentant de décider quoi faire et puis zut ! C’était chez moi. L’autre-là n’avait rien à y faire. J’avais assez courbé l’échine, assez laissé les autres décider pour moi, n’est-ce pas, cette maison, je la voulais. D’accord, je reconnais qu’être seule n’est pas aussi facile que je ne le pensais, mais c’était ma maison.
Une petite voix au fond de moi susurrait doucement que je ne craignais rien. Elle avait du mal à se faire entendre entre panique et colère, mais elle était là, me rappelant que, oui, depuis le début je n’étais pas seule. Elle me soufflait que si problèmes il y avait, rien de grave ne s’était passé, que la panique était mauvaise conseillère. Elle se faisait entendre entre les deux grosses musclées qu’étaient panique et colère, prenant le pas sur leurs directives. Si tu as peur, va dormir dans une chambre et ferme-la, la nuit, continuait-elle, tu ne risques rien sinon le pire serait déjà arrivé et puis il veut se présenter. Tu peux lui laisser une chance.
Je ne sais pas d’où cette petite voix sortait, mais sa douceur était persuasive et faisait taire ma panique, laissant la colère qui me poussait dans la même direction. Rentre chez toi et bats-toi pour. Oui, je l’aimais cette baraque, j’y avais passé des heures à la retaper, j’y avais des projets et non, je ne voulais pas la laisser, à personne, pas sans me battre, pas cette fois-ci.
Bien plus tard, je soupirais en sortant de la voiture. Je soupirais toujours en transportant mes affaires dans la plus grande des chambres. Je m’y installais en frissonnant, inquiète. Je restais là, assise sur le lit de camps, regardant autour de moi, la porte fermée à clef, une chaise coincée sous la poignée. Je ne savais plus quoi faire d’autre. Je me sentais à nouveau incapable, nulle, perdue comme si ces dernières semaines ne m’avaient rien appris. Une petite chose incapable d’affronter le monde et qui, réfugiée dans sa chambre, laissait le moindre problème la submerger. La seule chose qui sortait de ce marasme était que je voulais garder ma maison. Quitte à la partager ? Je n’en étais pas sûr. Pouvais-je faire confiance à cette petite voix ? Il me fallut des heures pour calmer le tourbillon de mes pensées et m’endormir.
Quelque chose était arrivé, je dormais et n’ai rien entendu. Pourtant, au petit matin, j’avais bien la preuve que quelque chose était arrivé, un message remplaçait le mien. Je pris le temps de boire un grand café noir avant de le lire, enfin deux, même si j’avais dormi la nuit avait été courte et mes neurones toujours sous le coup de la panique pédalaient dans le vide.
Debout en face du tableau, ma deuxième tasse de café en main, je m’obligeais à me calmer avant de lire ou plutôt à respirer avant de lire puis doucement, je levais les yeux. « Bonjour, je ne vous veux pas de mal. J’apprécie de savoir que ma maison est aujourd’hui aussi votre maison. Vous ne risquez rien, je vous le promets. Je pensais que mes petits mots avaient suffi à vous faire comprendre que vous n’étiez pas seule. Je suis navré qu’ils n’aient pas suffi. Pensez-y tranquillement. Votre ami. Livius »
Bon, voilà et je faisais quoi moi maintenant ? Sa maison ? Non, ma maison ! Un de mes fichus neurones regardait la signature et me faisait signe que je m’étais gourée, pas Louis, Livius.
– Et alors connard, dis-je à haute voix, que veux-tu que ça change ?
Rien ça ne changeait rien. Je restais toujours là à ne pas savoir quoi faire. Pas avoir peur, il en avait de bonnes. Y penser, si seulement je pouvais juste penser. Fichue trouille, fichue colère, mais où était la petite voix tranquille quand on avait besoin d’elle ? Partie, elle aussi, je me sentais seule, je me sentais perdue, mon cerveau ramait de nouveau et je faillis mourir lorsque mon téléphone sonna. Mon téléphone sonnait. Put… mon téléphone, Ada ?
Ce n’était pas Ada, juste le magasin du coin qui m’annonçait l’arrivée de ma baignoire. Je raccrochais au nez du vendeur et appelais Ada qui ne répondit pas. Il fallait que je fasse quelque chose, n’importe quoi pour ne plus me sentir si stupide.
Je m’occupais les mains pendant une journée interminable, rien ne retenait vraiment mon attention et je sursautais au moindre bruit. J’avais même réussi à me faire peur toute seule en laissant tomber un crayon. La journée tirait en longueur, mon esprit bloquait. J’avais fini par me mettre au démontage des placards, transportant les portes dehors pour les poncer puis les repeindre. Je n’avais pas encore décidé de la couleur, mais je fis quelques tests, mes gestes étaient mécaniques, peu précis, trop occupé qu’était mon cerveau à analyser, décortiquer, comprendre, faire des conclusions et leurs contraires. Usée par ce méli-mélo de pensées, je finis par aller me coucher sans manger pour m’endormir à peine la tête posée sur l’oreiller, la fatigue nerveuse l’emportant. Notez que si la fatigue physique permet un bon sommeil, la fatigue nerveuse pas du tout !
À mon réveil, j’évitais le salon et filait à la cuisine. Le rituel du café réveil neurones effectué, je me posais en face du tableau, les yeux fermés, je respirais à fond et lu le nouveau mot qui était sur le tableau. « Merci d’être restée et de me faire confiance. Content de voir que vous vous êtes enfin installée dans une chambre. Bonne journée Sophie. P.S. Je préfère le bleu pour les portes des placards, mais faites comme vous le souhaitez. P.P.S. Vous buvez trop de café. »
Ho, ha, et ? T’es pas ma mère fut ma première pensée. Ok, ça ne volait pas haut, lui faire confiance ? Il rigolait là ? C’était juste dingue et j’étais dingue. J’avais des hallucinations à force de rester seule voilà. Néanmoins tout cela semblait bien réel.
Je n’avais toujours pas réussi à décider quoi faire alors voire où cette situation allait me mener pourquoi pas. Finalement toutes les solutions envisagées me semblaient dingues. Je notais une réponse dans ce sens et attaquais la peinture bleue des placards, c’était aussi ma préférée, nous avions au moins des goûts en commun, me figes-je en ricanant.
Mon humour refit son apparition dans la journée, finalement la maison était bel et bien hantée. D’un fantôme parlant français, s’il vous plaît. Ce qui expliquait pourquoi les anciens propriétaires avaient fuis. Que des emmerdes avec ces Européens ! Du coup, comme j’en étais une, nous devrions nous entendre.
C’est dans cet état d’esprit que j’attaquais les jours suivants. Mon fantôme communiquait. Tous les jours, je trouvais un mot, ça allait de la couleur d’un mur à la supplication de ne pas détruire telle chose ou telle autre, jusqu’à sa désapprobation maintes fois exprimé sur ma consommation de café. De quoi je me mêle avais-je fini par lui écrire qu’il laisse donc mon histoire d’amour avec le café en paix.
Je découvrais petit à petit les goûts très vieux jeu de mon colocataire fantôme. Il voulait tout conserver, je voulais moderniser. Il ne lâchait rien, allant jusqu’à récupérer ce que je jetais pour le remettre dans la maison. Je ne lâchais rien moi non plus, je n’allais pas me laisser faire comme ça. Je me découvrais têtue et ma confiance en moi augmentait de jour en jour face à cet adversaire invisible.
L’aide qu’il m’apporta durant cette période, me permit d’avancer plus vite que prévu. Le sol de la cuisine fut arraché puis la baignoire posée devant la maison par le livreur, fut magiquement mise en place pendant la nuit. Je l’avais découvert doué en menuiserie et le laissa refaire la table et réparer les chaises.
Cela fonctionnait bien, une relation de confiance se tissait et j’aimais de plus en plus l’idée de cette étrange colocation, néanmoins je refusais ses demandes de rencontre. Il ne s’en formalisait pas, attendait quelque jour puis relançait l’invitation que je refusais. Je ne me sentais pas prête à conforter l’idée que je me faisais de lui à travers nos échanges avec une réalité que je craignais moins agréable.
Non, je ne l’imaginais pas beau, craquant et super musclé, mais vieux, barbu, style ermite en perdition et cette idée de lui me le rendait sympathique, bien plus que la version musclée et beau. J’appréhendais tellement cette rencontre que lorsque je l’entendais travailler la nuit, je faisais semblant de dormir. Un jour, il me faudra accepter la rencontre, mais pour le moment cette relation dingue me convenait et calmait mes appréhensions.
L’été tirait à sa fin quand le grand projet du toit fut inscrit sur le tableau noir. Je ne pouvais pas le faire seul et l’entreprise contactée devait arriver dans trois jours. Je notais donc sur notre tableau, oui, c’était devenu le nôtre, notre moyen de communication, que le toit serait refait à partir de lundi et que si tout allait bien serait fini le vendredi.
J’étais contente que ce gros chantier soit fait avant l’hiver. L’entrepreneur, Francis, qui supporta mes appels presque six semaines avant de craquer, devait s’en occuper. Pour être honnête, je ne gagnais que suite à l’intervention de Suzanne, sa tante, qui une fois que je l’avais, sans savoir leur lien de parenté, mise au courant de la situation, fonça sortir son neveu de son bureau pour lui faire promettre de venir dès la semaine suivante.
Je profitais de passer la soirée avec Ada qui depuis le début de la saison n’avait plus de temps pour rien. Elle passa son temps à pester sur les touristes et regardait d’un œil noir ceux qu’elle croisait en ville. D’amicale et charmante durant son travail, elle se transformait en monstre dès qu’elle quittait son rôle de guide, pour mon plus grand plaisir.
Je passais une agréable soirée à l’écouter se plaindre des gens de la grande ville et de leur équipement hors de prix, mais totalement inutile ici. Elle en avait après les gens stupides qui confondaient randonnée en montagne et balade au bord de mer, les baskets, pas faites pour marcher, mais pour frimer, les ongles peints qui ne servent à rien, les bottes pas « cassées » avant la marche et qui faisait des ampoules à des citadins surpris d’apprendre que si, il fallait les porter avant, ainsi qu’à tout ce ou ceux qui n’étaient pas faits pour la montagne. Je l’écoutais en souriant ne l’interrompant que pour lui dire combien elle avait raison. Je n’avais pas envie, vu son humeur, qu’elle me râle aussi dessus puis je rentrais, bien contente de ne pas voir ces gens-là autour de chez moi et je m’écroulais au fond de mon lit pour un repos bien mérité. Elle était presque plus fatigante que les travaux.
Chapitre 5
– Sophie, Sophie, s’il te plaît, réveille-toi !
Une voix rauque me parvenait dans mes rêves, une voix qui parlait français avec un accent.
– Sophie, réveille-toi !
L’odeur du café me chatouilla le nez, mmm, je m’étirais en soupirant.
– Sophie, c’est important, réveille-toi !
Une main se posa sur mon épaule et me secoua doucement. Une main ? Je sursautais renversant la tasse que tenait une autre main devant mon visage. Assise d’un coup, je fixais deux yeux noirs qui me fixaient et je hurlais. L’homme recula d’un bond et me dit doucement :
– Sophie, calme-toi, c’est moi Livius.
Me calmer ? Me calmer ! Il était dans ma chambre ! Je pris le coussin et le lui jetais à la figure.
– Dehors ! Hurlais-je.
Il recula les mains en avant.
– Je vais à la cuisine vous refaire du café, il faut que l’on parle.
Et, il me planta là.
Mon cœur menaçait de sortir de ma poitrine par ma gorge, mes mains et mes jambes tremblaient. Il me fallut un bon moment avant de me souvenir d’où j’étais et de qui pouvait bien être ce type, Livius. Je mis ma tête entre mes genoux, ce qui ne servit à rien, pris de grandes inspirations pour me calmer, ce qui ne servit à rien non plus et me levait. Il allait m’entendre ! Je vous jure qu’il allait m’entendre l’autre là.
Il était sagement assis à la cuisine, une tasse de café posé loin devant lui et un petit sourire gêné sur les lèvres. Brun, la quarantaine, les yeux noir charbon, un visage taillé à la hache et une fossette sur la joue droite, il semblait bien plus grand que moi, fin, mais pas maigre. Il était bien loin de l’image du SDF poilus squattant mon sous-sol que je m’étais faite. Pas mignon, non, ça marchait pour les chatons, mais pas pour lui, beau ? Oui, mais d’une beauté sombre, il se dégageait de lui une force incroyable qui me mettait mal à l’aise.
J’attrapais la tasse de mauvaise grâce et le fixait méchamment presque déçue qu’il ne soit pas le gentil ermite que j’avais imaginé.
– Je ne voulais pas vous faire peur, mais vous avez le sommeil plutôt profond. Me dit-il doucement.
Les accents rauques de sa voix étaient étonnants, je le fixais sans rien dire. Il me fixait, lui aussi, mais pas en me détaillant, il fixait mes yeux y cherchant quelque chose. Puis, il dit dans un demi-sourire :
– Pas trop déçue ?
Toujours ses yeux au fond des miens, déçue, non mais plutôt mourir que de le dire puis j’eus très chaud, mon visage virait au rouge pivoine, le sale traître.
– Enfin, non, enfin, ça va, enfin…
Et voici, Sophie, la reine de la conversation dans son œuvre la plus connue, les enfin en cascades. Il allait me prendre pour une idiote à bafouiller en rougissant comme ça.
– Je ne voulais pas vous faire peur.
– Tu ! Le coupais-je.
– Te faire peur, corrigea-t-il.
Je bus mon café pour me donner contenance. Il était infect, vraiment imbuvable ! Ce qui eu l’avantage de refroidir mes joues et de remettre mon attention sur autre chose que ce demi-sourire.
– C’est important, il fallait que nous parlions.
– J’avais cru comprendre, marmonnais-je le nez dans la tasse. Et, de quoi ?
– Des ouvriers pour le toit.
Je relevais la tête, le ton plus que désagréable qu’il avait, n’annonçait rien de bon.
– Ben quoi les ouvriers ?
– Je n’en veux pas.
Net, simple et glacial, cinq petits mots qui semblaient dire, ils viennent, ils sont morts.
– Et vous compter refaire le toit tout seul ? Demandais-je. Il faut changer une partie de la charpente.
C’est bien le café dégueulasse, ça me garde sur ma réserve. Bon, soyons honnête, ce n’était pas du tout la première question que j’avais à lui poser et de loin. J’en avais plein, merde, j’aurais dû les noter.
– Pourquoi la charpente ?
Tiens ses sourcils se froncent et ses yeux semblent encore plus noirs.
– Pourri !
Puisqu’il économisait ses mots, j’allais en faire autant. Je me levais pour refaire du café, du bon cette fois, le laissant réfléchir et me disant qu’au lieu de parler de charpente, je devrais lui demander d’où il sortait et pourquoi il parlait français et zut à la fin.
– Vous buvez trop de café.
Ha, ben oui, ça aussi, c’était super important.
– Je sais vous me l’avez souvent écrit. Je suis fatiguée, j’aime le café et pour le moment, c’est comme cela.
– La charpente est vraiment abîmée ?
Retour brutal à la discussion super importante qui m’a sorti du lit.
– Oui, il y a des fuites, des tuiles se sont déplacées et à force la charpente a pourri. Il vaut mieux changer les poutres. Je ne sais pas faire.
Il soupira, moi aussi, plus fort, exprès.
– Moyen de raccourcir leur présence ?
– Enlever et remettre vous-même les tuiles.
– Toi.
– Quoi moi ? Ça va pas ?
– Si je te dis tu, toi aussi, pas toi enlèves les tuiles.
Il sourit, un vrai, pas le truc de travers à moitié. On avançait, super. Je lui souris en retour.
– Donc je disais, pour que ça aille plus vite il faut que TU enlèves les tuiles avant leur arrivée, lundi. Je ne monterais pas sur le toit.
– Je vais m’en occuper. Conclut-il
Il y eut un long silence, ben voyons il va s’en occuper et la marmotte… Puis j’éclatais me faire réveiller pour ça ?
– Et c’est tout, pourquoi c’est un problème ? Finalement, ils viennent de jour et tu as l’air de vivre la nuit, va savoir pourquoi. Je ne vois pas en quoi leur présence te dérange à ce point-là ? Franchement, tu te prends pour quoi, me réveiller en pleine nuit alors qu’un simple mot aurait suffi. Et puis d’où tu parles français et d’où tu sors et… et… et…
Je croisais un regard noir, des sourcils froncés, une bouche pincée.
– Mais, c’est vrai, quoi, mais enfin ? Chevrotais-je en me rasseyant le nez dans ma tasse de café.
Rougissants, bafouillant et maintenant chevrotante, le tiercé de la honte dans l’ordre. La petite voix douce se fit entendre dans ma tête. Tiens, la revoilà celle-là : calme-toi, regarde-le, il ne rit pas.
Non, il ne riait pas, n’avait même plus l’air en colère, il me fixait d’un air interrogatif.
– Tu as raison, nous avons à parler, mais je te propose de remettre ça à la fin des travaux.
Finit-il par lâcher du bout des lèvres.
– Ho, alors dans dix ans plus ou moins si je dois tout finir avant. Grinçais-je.
– Non, le week-end prochain, je répondrais à tes questions.
Il était super sérieux, presque raide, pas fâché, mais mal à l’aise et pas franchement ravi d’avance.
– Mouais, ça marche, plus de réveil au milieu de la nuit et plus jamais tu n’entres dans ma chambre. Marchandais-je en plus.
– Sauf si urgence.
Vu SES urgences, je doutais qu’il tienne parole. Le prochain réveille aurait certainement lieu pour un problème de plomberie ou parce que j’aurais envie d’inviter Ada à la maison. D’ailleurs en y pensant :
– Au fait…
Il me coupa.
– Retourne te coucher, si tu arrives à dormir avec tout ce café. Il faut que je m’y mette si je veux finir pour lundi.
Et il me planta là.
Je pris ma tasse, remontais dans ma chambre et je m’y enfermais. Je restais un long moment à écouter les bruits venant du toit et à réfléchir à cette drôle de rencontre. Le bruit au-dessus de ma tête continuait toujours, c’est alors que ma petite voix recommença : il est pas mal le fantôme ! Oui, un peu brute de décoffrage, mais à quoi fallait-il s’attendre d’un homme qui vit caché dans un sous-sol. Il avait dû faire un effort de tenu pour moi. C’est vrai que je m’attendais à un ours poilu et revêche. J’avais un ours pas poilu et franchement aussi revêche qu’imaginé, mais plus craquant. Je pouffais dans mon coussin, me traitait d’idiote et fermais les yeux, soulagée que mon fantôme n’en soit pas un.
Il n’y avait aucun mot sur le tableau le lendemain matin. Je sortis dans le jardin et vus des piles de tuiles posées en tas régulier contre la maison, je rentrais, me préparais un grand petit déjeuner que je dégustais tranquillement au soleil. Oui, je traînais, et alors ? Je m’offrais le droit de ne rien faire aujourd’hui, si monsieur le colocataire voulait se la péter en démontant tout seul le toit, qu’il le fasse. Aujourd’hui ce serait sans moi.
Je finis par appeler Ada pour lui proposer une pizza en ville et je partis sans trop attendre rejoindre mon amie. Sa pizza avalée, elle lorgnait sur la mienne. Je lui en tendis presque la moitié. Mais où mettait-elle tout ça ? Ada se remit à se plaindre des touristes. Je commençais à penser qu’elle le faisait exprès, au fond, elle devait adorer s’en moquer.
L’après-midi fila mais je n’avais pas envie de rentrer, pas aujourd’hui alors Ada, ravie, me traîna au cinéma où ce jouait un marathon Seigneur des Anneaux. Du pop-corn, du coca et plein de cochonneries, nous tiendraient compagnie. Si je devais apprécier une chose chez mon amie, c’était que nos goûts étaient pareils, en matière de cuisine, de livres et de cinéma.
Repus de plus de sucre que je n’en avais mangé depuis un an, avec une envie pipi à me fendre le crâne, c’est vers quatre heures du matin que je rentrais. Je me garais, filais à la salle de bain et à peine étais-je assise, qu’on y frappa.
– Tout va bien ? Fit une voix inquiète, tu…
C’est pas vrai, pas maintenant.
– Oui, un moment, j’arrive. Coupais-je.
Depuis mon arrivée il avait toujours été super discret et là… Mais c’est pas vrai, pouvais-je faire pipi en paix ? Et puis, il avait quoi à être inquiet. Je soupirais, encore, ça devenait une manie. Je sortais de là pour trouver mon colocataire assis à la table de la cuisine, il était inquiet cela se voyait.
– Tu vas bien ? Il est tard.
– Oui je vais bien, je suis sortie avec une amie. Nous sommes allées au cinéma et le temps de rentrer… Je haussais les épaules en faisant un geste de la main. J’avais envie de faire autre chose aujourd’hui.
Il hocha la tête.
– Je m’en suis douté quand j’ai vu que rien n’avait bougé. Il avait l’air penaud. J’ai contrôlé si tes affaires étaient toujours là et comme le temps passait, je me suis demandé si tu avais un problème ou un accident et puis il n’y avait pas de mot sur le tableau.
Le demi-sourire était de retour, ironique à souhait, contre lui cette fois-ci. Je le fixais interloquée.
– Je suis sortie, depuis quand dois-je te prévenir ?
Je retins de justesse le : tu n’es pas mon père qui arrivait dans ma bouche. Bien ma fille, tu progresses et une ânerie de non dite, une.
– Ce n’est pas habituel, se justifia-t-il, tu es plutôt du style à te coucher tôt.
– Je suis habituellement tellement fatiguée que même si je le voulais, je ne pourrais pas me coucher tard. Aujourd’hui j’ai fait une pause et pris du temps dehors. J’en avais besoin.
– À cause de moi ?
Là j’hésitais entre le oui, tu me rends dingue et le non, tu n’es pas le centre du monde ou alors un peu ? J’optais pour ce dernier.
– Un peu, je ne comprends pas tout, nous nous connaissons seulement par écrit et je n’étais pas vraiment prête à te rencontrer pour de vrai et un peu parce que Ada est ma seule amie ici et passer du temps avec elle me fait du bien.
– Je comprends.
Il en avait de la chance, moi, pas grand-chose.
– Bon, maintenant que tu es rassuré et que tu m’as vu vivante, la couche-tôt que je suis ayant largement dépassé son heure de coucher va aller dormir.
Je faillis aller l’embrasser pour lui dire bonne nuit, mais au secours, quelle gourde ! Je déviais vivement pour attraper une tasse que je remplis d’eau pour en faire quelque chose et je filais sans plus attendre dans les escaliers.
– Bonne nuit Sophie, fit-il juste derrière moi.
Je me retournais d’un coup et mon visage fini dans sa poitrine, ma tasse contre son ventre. Je reculais, renversais tout et bredouillais une bonne nuit gênée. Il souriait franchement, me fit un clin d’œil et me laissa en disant :
– Si tu le demandes, je veux bien te faire un bisou de bonne journée demain matin.
Il se moquait de moi, j’avais les joues en feu et merde. Il se moquait de moi et je ne trouvais rien à répondre. Je montais en écrasant chaque marche pour bien montrer mon énervement, ce qui le fit rire et me rendis encore plus énervée. Bref, il était plus que temps que je dorme, au moins au fond de mon lit, je n’allais pas faire ou dire de bêtises puis je me rendis compte, il s’était inquiété et sans comprendre pourquoi, j’en étais ravie.
Le lendemain, un mot sur le tableau me donna la rage nécessaire pour faire en une journée ce que j’avais prévu de faire en deux. C’est bien la rage, ça permet d’avancer. Pourquoi étais-je de cette humeur merveilleuse ? Le mot sur le tableau disait : je n’ai pas osé te réveiller d’un baiser, tu étais rentrée tard et au vu de tes ronflements, j’ai pensé qu’il valait mieux que tu te reposes encore. Bonne journée.
Ha, ha très drôle ! J’en avais mal aux côtes de rire. Du coup, c’est en imaginant la tête du comique nocturne que je lavais et frottais les meubles stockés dehors. En levant la tête, je pus voir que le clown avait presque fini de démonter le toit. Demain tout serait prêt pour le neveu de Suzanne. Youpi, comme ça mon colocataire à l’humour défaillant se calmerait. Allais-je, oui ou non lui répondre et que lui répondre. La fatigue avait eu raison de ma mauvaise humeur, mais je ne voulais pas le laisser gagner comme ça. Je pris le temps et notais : Seul un prince charmant aurait pu me réveiller d’un baiser pas un fantôme. Bonne nuit. Il comprendrait ou pas.
Le matin, je me levais courbaturée, tiens, ça faisait longtemps. Une bonne douche plus tard, ma deuxième tasse de café en main, je regardais sur le tableau sa réponse : Je ne suis pas UN fantôme, mais je veux bien être le tien ! Bonne journée, ma belle au bois dormant.
Ok, Il avait gagné, car c’est en souriant que j’ouvrais aux ouvriers qui se présentèrent devant la porte. Francis me dit :
– C’est sympa d’avoir avancé le travail, tante Suzanne m’a fait promettre de venir cette semaine. Cependant, j’ai un autre chantier en cours. Il faudra que tu m’expliques comment tu as fait, sans vouloir être impoli, tu ne ressembles pas vraiment à une force de la nature.
Je ne répondis rien, mais il me faudrait penser à remercier mon fantôme pas charmant parce que si Francis n’avait qu’une semaine, l’opération rénovation du toit aurait capoté. Ce que je n’avais pas prévu, c’est l’énorme engin qui arriva peu après et auquel il fallut faire de la place.
Malgré mes doutes, Francis et son équipe travaillaient vraiment bien. Mémo personnel, faire plus confiance aux dires de Suzanne. En fin de journée, son équipe partie, Francis traîna pour boire une bière et discuter un peu.
Il m’avait vu au cinéma avec Ada et me demanda très sérieusement si j’avais choisi d’y aller ou si Ada m’y avait traînée de force. J’allais lui répondre sèchement quand j’aperçus son regard pétiller.
Je fronçais les sourcils et demanda pourquoi ?
– Je la connais depuis son arrivée, me confie-t-il. Elle était en classe avec mon frère. Sa réputation de terreur est méritée crois-moi. Elle en a fait voir à tous à son arrivée, une vraie rebelle.
J’en ris et lui répondis que non, j’aimais ce genre de film et que je les avais déjà vus plusieurs fois et que la seule chose que je pouvais reprocher à mon amie, c’était cette extraordinaire énergie. Elle m’épuisait parfois.
Il était parfaitement d’accord, nous avons parlé de tout et de rien, soudain il me dit que sa tante m’attendait pour manger samedi soir. Il avait failli oublier, elle ne l’aurait pas pardonné. Il me fit un clin d’œil puis me souhaita bonne soirée et fila avant même que je puisse refuser l’invitation.
L’urgence pour le moment était de me couler dans un bon bain chaud, le reste attendrait.
Le reste attendit plus que prévu, je m’étais endormie. Je sortis de là alors que la nuit était déjà tombée. Mince, j’avais trempé sacrément longtemps et je mourrais de faim. Je me séchais rapidement puis entourais ma serviette autour de mes cheveux et filais à la cuisine mettre mon repas à réchauffer, l’estomac gargouillant d’anticipation. J’y pénétrais comme un courant d’air et me figeais net.
Il était là, devant le micro-onde, un bol fumant à la main et son regard, ho, mon Dieu son regard. De surpris, il se fit curieux puis ravi ? Je le fixais et je réalisais en voyant son sourire apparaître que j’étais nue, une serviette enroulée sur ma tête comme seul vêtement. Et merde, merde, merde…
Mes pieds firent un demi-tour tandis que mes mains attrapaient le linge et le déplaçaient de ma tête à mon corps. Les escaliers furent montés en 2 secondes, la porte de ma chambre claquée et c’est tremblante que je m’y appuyais pour reprendre mon souffle.
Non mais c’est pas vrai, il venait de me voire nue. J’étais passée par tous les rouges connus pour finir avec un qui en plus chauffait sur mes joues. Je glissais le long de la porte et me pris la tête entre les bras. Je ne suis pas pudique, mais pas franchement à l’aise quand je suis nue. Je restais assise contre la porte en me sermonnant. Il n’y avait pas de drame, ce n’était rien, enfin, c’était pas grand-chose et puis il n’avait rien dit, pensé, j’en étais sûre, mais rien dit, c’était déjà ça de pris. Je reprenais contenance petit à petit et le léger coup donner contre ma porte me sortit de ma tornade de pensées.
– Sophie ? Ça va ?
Mon nom était juste soufflé très bas, doucement, presque un murmure. Il voulait juste me faire savoir qu’il était là.
– Oui ! J’arrive, un instant, dis-je.
Bon, finalement, il m’avait vu nue et puis ? C’était un accident rien de plus. Reprends-toi, tu n’es pas une nonne ! Lui peut-être, n’était-il pas ermite ? Il n’a même pas fait un geste alors arrête de baliser. Puis l’image me frappa, je l’imaginais en nonne. Mais c’est pas vrai ! L’image de mon fantôme en nonne flotta un moment dans mon esprit et me permit de finir de me calmer. Le ridicule ne tue pas et l’imaginer ainsi me permettait de dédramatiser.
Arrivée à la cuisine, je vis que le bol était lavé, posé sur l’évier et lui était assis sagement à table. Je lui fis un petit signe de tête pour me donner contenance. Je fouillais dans mon frigo et en sorti un sandwich. Mon repas en main, j’allais m’asseoir en face de celui qui n’avait rien dit depuis mon arrivée.
– Bonsoir Sophie, dure journée ?
Il parlait tranquillement, d’accord, faisons comme si rien ne s’était passé.
– Oui, épuisante ! Il a fallu faire de la place pour la grue et je me suis endormie dans la baignoire.
Bien, ma grande, tu n’as même pas bafouillé, tu as parlé normalement. Je fixais mon assiette, seul moyen que j’avais trouvé de ne pas le regarder. Un doigt vint se loger sous mon menton pour le soulever et ses yeux noirs cherchèrent les miens.
– Ne te prends pas la tête. Tu n’es pas la première femme que je vois nue et je te promets que tu ne risques rien !
Il avait un regard si sérieux et un sourire doux. Il ne lâchait pas mes yeux y cherchant je ne sais quoi. Je devais le prendre comment le : tu ne risques rien ? Je suis moche, c’est ça ? Ou il est gay ?
– Merci, mais je n’ai pas aimé la surprise.
Il sourit malicieux.
– Moi, oui et j’ai apprécié !
Il appuya ses dires d’un clin d’œil et me voyant rougir, il redevint sérieux et dit :
– Parlons d’autre chose, donc la journée fut fatigante, mais les travaux ont bien avancé.
– Oui, soufflais-je, le toit est démonté, plus vite que je ne le pensais. Francis et son équipe ont bien travaillé.
Il fronça les sourcils.
– Francis ?
– Oui, le charpentier où je ne sais quoi, le neveu de Suzanne, son entreprise est en ville.
– Et donc, les travaux dureront encore combien de jours ?
Il y avait comme un agacement dans sa voix, lui et sa sacro-sainte tranquillité !
– Demain, ils attaquent le remplacement. Francis m’a promis que ça ira vite. Ils sont venus en nombre pour finir au plus vite. Il est resté un moment pour parler après sa journée, il m’a vu avec Ada au cinéma et m’a raconté les bêtises qu’elle avait faites plus jeune.
Je souriais à ce souvenir mais, quand je croisais son regard, mon sourire disparut. Il semblait furieux et je ne comprenais pas ce que j’avais bien pu dire pour le mettre de cette humeur. Trop crevée pour y réfléchir et surtout bien décidé à ne plus réfléchir en ce qui le concernait, sinon j’allais paniquer et probablement déménager ailleurs. Encore une fuite et celle-là, je ne voulais pas la faire donc tout était normal venant de lui. Je biaisais.
– Je n’ai plus faim, je vais aller me coucher, demain sera encore une journée compliquée. Bonne nuit Livius.
– Bonne nuit, Sophie.
Je sentis son regard me suivre jusqu’aux escaliers et une fois dans ma chambre, je pris un minuscule temps pour réfléchir à cet étrange moment. Son humeur était si changeante que j’avais du mal à suivre. Il devait avoir passé trop de temps seul, puis son image en nonne revint à mon esprit et je fus pris d’un véritable fou-rire qui me détendit et me permit de dormir sans rêves.
Chapitre 6
Francis était à l’heure et à la pause nous avons discuté de mon arrivée et des bruits qui courrait sur moi, alimentés par mon amitié avec Ada et des différences entre ici et l’Europe. Discussion lancée car se plaignait-il, mon café avait failli les tueuses et qu’Ada le buvait de la même manière. Je veux bien reconnaître qu’entre un expresso italien et le jus de chaussette servi dans le coin, la différence pouvait surprendre, mais j’insistais, le mien était meilleur, ils n’étaient que des mauviettes.
Je lui fis promettre de demander à Suzanne de ne pas en faire trop, précisant que je ne mangeais pas beaucoup et je ne buvais que peu d’alcool et lui rappelant que je devais encore rentrer. Il me promit de transmettre le message, mais précisa qu’avec sa tante, je n’aurais pas d’autre choix que de manger et boire. Au pire, il se ferait un plaisir de me ramener puisqu’il serait présent ainsi que la moitié de la famille ou je pourrais demander à Ada qui venait elle aussi.
Voyant ma tête, il se mit à rire et fuit avant que je ne puisse lui dire que non, je ne viendrais pas. Une fois assez loin de moi, il me dit en criant :
– Tu as dit oui, alors tu viens.
Il était mort de rire. Je m’étais fait avoir. Mais pourquoi avais-je accepté sans demander d’abord ce qui était prévu ?
Le soir arrivait et la seule chose que je souhaitais en ce moment était un bon repas suivit d’un dodo de compétition. Je traînais des pieds en entrant dans la cuisine, hésitais un instant et me fit des crêpes. Je sursautais en entendant un bonsoir, lancé depuis la porte. Mon colocataire était là, appuyé contre le mur et n’avait pas exactement la tête des bons jours.
– Ça sent bon, que prépares-tu ?
– Bonsoir, des crêpes, tu en veux ?
– Non merci, à plus tard, bon appétit.
Je répondis dans le vide un : merci bonne soirée. Il n’était déjà plus là, à croire que de me croiser le soir le dérangeait. Bon sang qu’est-ce qui m’avait pris d’accepter sa présence ? En étant honnête, je pense qu’une partie de moi était ravie de ne pas être seule, dur de changer du tout au tout en si peu de temps. La petite fille n’était jamais loin et faisait des retours pas toujours agréables pour celle que je souhaitais devenir.
Allez arrête, tu ne vas pas recommencer les prises de tête, à table, mademoiselle Sophie et au dodo !
Je ne l’ai pas revu. A vrai dire, je faisais attention de ne pas traîner plus tard que les journées d’été me le permettaient. Je filais dans ma chambre avant que la nuit n’arrive. Je laissais des petits mots, il y répondait et voilà, la situation me convenait.
Les tuiles retrouvaient le toit, le bruit du marteau ne m’avait pas vraiment dérangé, mon désagréable fantôme semblait attendre que je sois profondément endormie pour s’y mettre. Oui, bon d’accord, il n’était pas si désagréable que ça. Il faisait attention à moi, mais franchement il n’était pas facile à cerner.
Le vendredi matin, la note sur le tableau disait : le toit est presque fini, qu’as-tu prévu ? Sans signature, sans bonjour. Alors, j’avais bien le droit de le trouver désagréable, non ? J’y avais répondu : comme je sors samedi soir, je pense que nous pouvons nous offrir un week-end tranquille, lundi il faudra attaquer les fenêtres.
Soit, j’avais maintenant une cuisine remise à neuf, une salle de bain de luxe, hé oui, j’avais bossé pour, un toit qui ne fuyait plus, mais je n’avais toujours pas changé les fenêtres. Les nouvelles achetées par les anciens propriétaires attendaient dehors et la cheminée ne servirait à rien si les courants d’air persistaient. Mais ce soir je sortais et franchement, j’en avais envie même si je craignais un peu le nombre d’invités présent. Au matin j’avais trouvé une note : amusez-vous bien avec votre Francis. Mais que diable venait faire Francis là-dedans ? Je répondais à l’invitation de Suzanne.
La journée s’étira, vraiment, beaucoup, horriblement. Je me traînais d’un coin à l’autre réfléchissant un moment à ce que je devais encore faire, un autre à cette étrange colocation ou plutôt au caractère de mon fantôme, réussissant à ne rien faire de concret.
Je décidais de me préparer et de partir en ville. J’envoyais un message à Ada, priant pour qu’elle soit libre et abandonnais mon chantier, ma maison, mon fantôme et je l’espérais mes interrogations. Ada n’était pas libre, oh surprise. Je flânais donc en ville, le lèche-vitrine reste une occupation comme une autre.
À dix-neuf heures tapantes, une Ada survoltée, normale quoi, me sauta dessus pour m’emmener chez Suzanne, imposant de prendre sa voiture et d’y arriver ensemble sans me laisser le temps de répondre. Je suivis en soupirant, elle m’y traînait en rayonnant, c’est donc avec des sentiments complètement différents que nous sommes arrivées, bien qu’elle m’ait assuré durant le trajet que j’allais adorer.
Ada entra sans frapper, criant :
– Coucou, c’est nous.
Auquel une dizaine de voix répondirent. Mince, mais ils étaient combien ? Une Suzanne en tablier à petite fleur surgit devant moi, me prit dans ses bras, me cassant sûrement deux côtes, me claqua deux énormes et bruyantes bises sur les joues en me souhaitant la bienvenue. Relâchée d’un coup, de cette formidable étreinte, je faillis tomber à la renverse. Je fus retenue par Francis qui murmura à mon oreille.
– Suzanne est un peu démonstrative, tu vas t’en remettre ?
Le ton était moqueur à souhait alors qu’il m’attirait contre lui en me retournant pour me claquer, lui aussi, deux énormes bises sur les joues.
Je rencontrais d’un coup, le mari de Suzanne, leurs enfants, un frère de je ne sais plus qui, le cousin de truc et un ami de la famille ou un membre de la famille, une amie de cousin truc et quelques autres personnes dont je ne compris ni le lien avec les autres, ni d’où ils pouvaient bien sortir. Je ne reteins aucun nom, fus embrassée à chaque fois et finis par me retrouver assise sur un canapé avec une assiette de petits fours sur les genoux. Étourdie, épuisée et pas vraiment sûre de ce qui venait de se passer, je subissais les conversations plus que je n’y participais.
Le reste de la soirée fut semblable, un peu comme se retrouver à une fête de famille, mais pas la sienne, où les repères sont inexistants et les gens, trop heureux de vous y accueillir, vous noient sous une tonne d’anecdotes dont vous ne comprenez rien. Je serais ingrate de dire que je passais une mauvaise soirée, car ce ne fut pas le cas, juste que je me sentais un peu submergée par tant de paroles, de gens et de nourriture.
À vrai dire, surtout de nourriture, Suzanne remplissait mon assiette de tout, de beaucoup, tout le temps. Elle semblait trouver que je devais prendre dix kilos avant la fin de la soirée. Ada à ma droite vidait régulièrement mon assiette. Je la remerciais à chaque fois par une grimace de soulagement. Je dois avouer que j’attendais le café avec impatience bien que je craignais qu’il ne soit que le jus de chaussette, habituel ici. Quel ne fut pas ma surprise quand je vis arriver devant mon nez un café dont l’arôme ne pouvait tromper, un vrai café ! Je le fixais un moment puis en levant la tête, je vis Suzanne me faire un sourire.
– C’est ce que tu appelles du vrai café, non ?
– Oui, il semble parfait, merci
– Tu vois je t’avais dit, triple dose pour elle.
Je fixais Ada.
– Triple ? Mais, ils boivent de l’eau colorée ?
Mon air faussement effaré les fit rire aux larmes et Suzanne finit par répondre.
– Ada aussi, aime le café trop fort.
Elle leva les yeux aux ciels.
– Tu vois ce que j’ai dû endurer avant ton arrivée. Ils étaient tous persuadés que je faisais exprès de les contredire.
Alors que depuis que tu es là, ils savent que c’est juste une différence, notable cependant, entre eux et le reste du monde.
– Une vraie faute de goût d’ailleurs, ajoutais-je en rigolant.
Ada opina de la tête, Suzanne et Francis soupirèrent et le reste de la tablée se lança dans une discussion animée sur les différentes habitudes selon les régions. J’appris ainsi que Suzanne venait d’une famille anglaise, que le cousin truc avait de la famille en Australie et qu’en fait presque personne ici, n’était natif du coin.
Je me sentais un peu moins perdue dans cette assemblée, qui m’avait acceptée comme l’une des leurs. Ada me souriait. Suzanne s’inquiétait que j’aie assez mangé. Francis expliquait à son père ou au mari de Suzanne ou à l’oncle machin, je n’en savais rien, les travaux que j’avais déjà faits dans ma maison. Celui-ci me félicitait en me demandant ce que je devais encore faire et la soirée avançait.
Lancée dans une discussion animée avec Francis, un mouvement avait attiré mon attention, une ombre derrière la fenêtre, une ombre que j’avais l’impression de connaître. Je fronçais les sourcils pour comprendre. L’ombre avait déjà disparu. Francis interprétant de travers mon froncement de sourcil, me dit :
– Je sais que c’est beaucoup de travail, mais il faut le faire, ta sécurité compte.
Je le fixais complètement perdue, mais de quoi parlait-il ? Ha oui, la cheminée…
– Je sais bien, il faut que je le fasse correctement, mais je ne sais pas si j’arriverai à tout finir avant l’hiver.
Il se lança dans une longue explication sur l’importance du risque incendie, ouf, bien rattrapé. Je perdis le fil de la conversation, perdue dans mes pensées. Francis fini par décréter que j’étais trop fatiguée et que je devais rentrer. Il héla Ada pour qu’elle me reconduise et en quelques minutes j’étais assise dans une voiture ceinture bouclée et la tête remplie de faites attention, bonne nuit, à bientôt, repose-toi ! Les joues encore vibrantes de baisers plaqués avec force et les côtes douloureuses d’étreintes énergiques, sans trop bien comprendre comment j’étais arrivée là. Je trouvais Ada épuisante, elle était calme et zen comparée au reste des invités. J’étais épuisée.
Le retour se fit dans le calme habituel d’Ada, elle parla non-stop.
– Alors tu vois, ils sont sympas non ? Je sais que ça fait beaucoup en une fois, mais tu verras tu t’y feras. Suzanne t’attend samedi prochain. C’est cool, non ? Comme ça, tu vas rencontrer tout le monde. Enfin tous les amis de Suzanne et sa famille. Tu seras plus vite adoptée. Ils t’ont trouvé adorable. Tu fais déjà partie des habitants, tu sais, pour beaucoup le boulot que tu as fait…
Je n’écoutais qu’à moitié, en partie parce qu’affolée à l’idée de remettre ça dans une semaine, en partie parce que inquiète, sans trop savoir pourquoi de ce qui m’attendait à la maison.
Sortie du dernier contour, la vue de ma maison dont la cuisine était éclairée, m’affola d’un coup. Je criais presque à Ada de s’arrêter là, tout de suite. Elle planta sur les freins et regardant de tous les côtés, elle me demanda pourquoi.
– Il y avait un écureuil, fut la seule réponse que je trouvais. Enfin, j’ai cru. Je crois que j’ai dû m’endormir. Laisse-moi ici un peu d’air me fera du bien.
– Tu en es sûr ?
– On y est presque, je t’assure que ça me fera du bien.
Dix minutes plus tard, après avoir promis que, si, j’avais besoin d’un peu d’air et que non, je ne traînerai pas et que oui, j’avais probablement oublié d’éteindre les lumières. Dis trente fois merci et bonne soirée, assuré que je viendrais samedi prochain et que j’avais a-do-ré la soirée, je pus sortir de la voiture.
J’attendais en faisant au revoir de la main qu’elle fasse demi-tour avant d’avancer vers la lumière, mais quelle idiote j’étais de ne pas avoir pensé que mon colocataire pourrait être là. Il faudrait sortir de ce secret tôt ou tard et tôt serait mieux pour mes nerfs.
Alors que j’avançais dans le jardin, je le vis assis sur les marches devant la cuisine. Il me fixait sans rien dire. Arrivée à sa hauteur, je m’assis mal à l’aise et je me mis à fixer les objets que la lumière de la cuisine faisait apparaître sur le sol. Je sentais toujours son regard sur moi puis un murmure.
– Alors tu as passé une bonne soirée ?
– Oui, un rien étourdissante, mais la famille de Suzanne est vraiment adorable. Je suis invitée samedi prochain.
– Je vois.
– Tu vois quoi ?
Il ne répondit rien et son regard se perdit dans le vide.
– Tu vois quoi ? Insistais-je
– Tu t’adaptes plutôt bien.
– C’est gentil, mais là j’ai plutôt l’impression d’avoir survécu à un typhon.
Je me massais les côtes en souriant. Un typhon de bisous et de câlins qui m’avait laissée tout étourdie et pas complètement remise.
– Fait attention aux gens de la ville, ils ne sont pas tous comme Suzanne.
– Parce qu’il y en a d’autre comme Suzanne ou Ada ?
– Je disais juste que tout le monde ici, n’est pas aussi amical qu’elles.
– Je pense bien mais…
– Mais tu verras bien, fais juste attention !
– Côté gens incorrects, je pense avoir un peu de… enfin, j’en ai connu et je ne pense pas que, enfin… pas Suzanne en tout cas.
– Sois prudente, c’est tout.
Lâché dans un souffle comme à contre-cœur, une petite phrase de rien du tout qui me fit du bien. Bon sang, je m’étais attaché à lui au fil des jours et son absence due à sa froideur et sa colère des derniers temps m’avait plus blessée que je ne voulais l’admettre alors cette petite phrase me faisait du bien.
– Je tiens à toi aussi.
Je lui répondis en l’embrassant sur la joue. Je me levais, filais à la cuisine. Avant même d’y parvenir je sentis deux bras me saisir la taille, une tête se nicher dans mon cou et deux lèvres remuer contre ma peau. Un baiser doux, un soupir puis au creux de mon oreille un souffle rauque.
– Va te coucher il est tard, petit ange.
Il m’avait embrassée juste en dessous de l’oreille provoquant une pluie de frissons. Ses mains libérèrent mes hanches et alors que son corps s’éloignait du mien, j’eus froid. Je me retournais pour trouver la cuisine vide. Je restais là, ébranlée. C’était quoi ça ? Non, pas le baiser, pas son comportement, mais ma réaction. Je suis pas idiote, c’était clairement du désir, mais je ne voulais pas. Je ne voulais pas ressentir de désir pour mon fantôme, pas plus que pour aucuns autres hommes du coin. Désirer quelqu’un c’est le bordel, ça me met la tête à l’envers, m’empêche de réfléchir et je vire stupide et soupirante, incapable de voir les défauts, avalant les mensonges comme du petit lait et me laissant berner, j’y étais déjà passée. Stop, stop, stop, hors de question de. Bien décidée à ne pas me laisser aller, je filais sous la douche pour me calmer parce que oui, mon corps lui, était un imbécile de première. Et, merde, je ne suis pas une sainte ! Loin de là ! J’ai des besoins comme tout le monde, mais je ne voulais plus avoir envie de, enfin si, mais pas comme ça, pas maintenant, pas lui.
Je ne le revis plus, le tableau noir repris son usage premier. Je notais le programme, il indiquait ce qui était fait, je lui souhaitais bonne soirée, il me souhaitait bonne journée. Mes nuits restaient compliquées, mon esprit l’imaginant devant ma porte, elles n’étaient plus vraiment reposantes. Je m’épuisais pendant la journée pour tenter de dormir. Je m’épuisais pendant la nuit pour tenter de ne pas penser, mais je tins bon.
Le samedi arriva comme un sauveur. J’allais faire face à plusieurs ouragans amicaux, mais cela me semblait plus calme et reposant que la semaine qui venait de passer. Je ne fus pas déçue. Il y avait encore plus de monde, dont bien sûr, je ne retins aucun nom, trop à manger, merci Ada, beaucoup de bruits, de rires et une Suzanne inquiète de ma petite mine. Mes joues et mes côtes subirent les assauts affectueux de tout le monde à l’arrivée comme au départ.
Je rentrais pour trouver la lumière de la cuisine allumée, mais personne ne s’y trouvait. Un mot sur le tableau me souhaitait une bonne soirée et une bonne nuit, c’était la seule trace de mon fantôme.
Les semaines se suivirent sur le même modèle ou presque. Mon cerveau reprenait le dessus, mes nuits se firent plus calmes, sans ruminations interminables sur mon colocataire et je pus me reposer vraiment.
La cheminée fut inspectée, réparée et attestée sans danger par un ami de Francis, David qui m’invita à sortir à chacune de ses visites. Il reçut la même réponse que celle donnée à Francis au cours des derniers samedi : merci, mais non merci. J’allais finir par être taxée de pénible ou de vieille fille frigide. Ada fut d’une aide précieuse en précisant à tous les invités de Suzanne, le samedi suivant, alors que Francis se montrait insistant, que, vu mon passé, un homme n’était pas une urgence pour le moment. Ils en conclurent que j’avais eu une grave déception, ce qui n’était pas faux, ce qui amena Francis à s’excuser de son insistance et à clore une fois pour toute, le sujet.
Sauf que si je m’en étais remise et que j’aurais pu faire de la place à un nouvel amant, même si je ne désirais ni David, ni Francis. Parce que pour le moment la situation n’était pas aussi simple que si mon fantôme n’existait pas.
L’automne s’installa, les journées raccourcissant, il me devenait de plus en plus pénible de me
coucher avant le soleil. Il fallait trouver un autre accord au moins avant l’hiver. Le tableau noir se vit promu médiateur. Je le couvrais de : il faut que l’on parle, formulés de toutes les manières possibles et imaginables, auquel étaient répondu des : de quoi, sans autres commentaires.
Je tentais une autre approche en la jouant claire et nette : qu’allons-nous faire cet hiver, les jours raccourcissent et il serait bien que l’on trouve un moyen de cohabiter, à quoi me fut répondu un : ça ira, laconique.
Mon colocataire avait coupé suffisamment de bois pour chauffer la maison, au moins plusieurs hivers ou lors d’une mini glaciation, nettoyé le jardin de tout ce que j’y avais stocké et l’avait parfaitement rangé dans la cabane en bois qu’il avait construite. J’avais quant à moi, fini de changer les fenêtres et repeint le salon et une partie des chambres. Un canapé avait fait son apparition ainsi qu’une télévision et surtout d’un lecteur DVD. L’installation de ma super bibliothèque était en cours, car à force de me coucher avant le soleil, j’avais fini par dévaliser la petite librairie du coin, étonnant…
La maison perdait petit à petit son air de maison hantée et prenait doucement l’apparence du foyer que j’avais vu en elle.
Je laissais tomber les tentatives de discussions en septembre. Finalement, si nous devions nous croiser, arrivera ce qui devait arriver. Les jours devenant de plus en plus courts, je refusais de me ranger dans ma chambre de plus en plus tôt. Je l’annonçais sur le tableau, n’y trouvais aucune réponse le lendemain, excepté le “bonne journée” habituel.
Je m’intégrais beaucoup, grâce à Suzanne, un peu à contre-cœur à cause de mon fantôme. Je commençais à retenir les visages, quelques noms, pas beaucoup, je l’avoue. Je saluais gaiement les gens en ville, sortais de plus en plus le soir et me fis une nouvelle amie.
Elle travaillait dans une boutique qui vendait des articles artisanaux. Boutique ouverte en saison et qui pratiquait la vente à la tête du client. Je m’explique, un prix pour les touristes, un pour les habitants, un autre pour les habitués. Il valait mieux y arriver avec quelqu’un de connu du propriétaire ou de la vendeuse, ce que j’appris plus tard.
La première fois que j’y entrais, je craquais littéralement pour un tapis aux couleurs vivent, remplis de dessins stylisé d’animaux du coin. Quand je demandais le prix, je pâlis. Non, mais je devais vendre un rein pour l’avoir ? Je ne l’achetais pas, mais pris une petite lampe dont le prix me sembla plus correct. J’y retournais plusieurs fois et finis par engager la conversation avec la petite rousse derrière la caisse. Elle se nommait Théa et avait appris depuis peu que je n’étais pas une touriste. Elle était rouge de la tête aux pieds quand elle me présenta ses excuses pour le prix demandé lors de mes achats précédent. C’est ainsi, que j’appris qu’en ville les touristes, comment dire, on les saignait volontiers alors qu’on faisait attention à ne pas exagérer avec les gens du coin. Ce qui expliquait pourquoi Ada m’avait traînée partout en me présentant comme une amie.
Les prix baissèrent sérieusement après notre discussion et je repartis avec le tapis qui soudain était tout à fait dans mes moyens. J’eus même droit à une remise important en guise d’excuse. Tapis et lampes voyagèrent de la boutique à la maison suivit par un couvre-lit en patchwork livré, un mercredi, par une petite rousse survoltée comme tout le monde ou presque ici.
Elle resta manger puis revint le mercredi suivant puis Ada pris le temps de se joindre à nous puis le mercredi soir fut le repas copine de la semaine. Finalement, les habitudes se prenaient vite ici sauf une…
Chapitre 7
Je ne me faisais pas à l’idée de ne plus revoir mon fantôme qui comme au début se montrait discret, tellement que si des mots n’apparaissaient pas sur le tableau, j’aurais pu le croire parti. Alors que je m’étais fait tout un monde de sa présence, je n’avais plus envie de le voir disparaître. Je devais reconnaître que j’avais pris l’habitude et qu’il avait pris une place importante dans ma vie et si on excluait le passage du baiser dans le cou, il s’était comporté en grand frère. Bien que je n’aimais pas trop l’idée qu’il me voit comme une sœur. Il me manquait. Je me l’étais avoué un soir alors qu’enroulée dans une couverture devant la télévision, je me retrouvais à parler à voix haute. Stupide moi !
J’avais rencontré Théa, j’allais manger tous les dimanches chez Suzanne. Oh, j’avais oublié de vous dire, les repas du samedi soir ne permettant pas au plus jeune de profiter du cinéma ou de différentes sorties entre amis, le repas fut déplacé au dimanche midi enfin au dimanche une heure puis transformer en brunch. Je disais donc, le samedi, sorties, le dimanche, gavage chez Suzanne, le mercredi, repas filles, le reste de la semaine, nettoyages, peintures et aménagement. Je n’avais pas le temps de m’ennuyer et pourtant je m’ennuyais. Je m’ennuyais de mon fantôme qui portait beaucoup trop bien son surnom depuis quelques semaines.
Septembre passa, octobre pointant le bout de son nez Ada devint comme folle. Son amour des touristes ne se démentait pas et les repas du mercredi s’enrichirent de longues tirades sur la bêtise et les âneries de ses clients adorés, le tout saupoudré par les arnaques du boss de Théa. J’avais mal au ventre à force de rires. Le repas finissait toujours par la promesse de ne rien dire de ce qu’elles m’avaient confié, promesse que je renouvelais sans soucis, tellement j’aimais les entendre raconter leurs petites et grosses arnaques.
Octobre était aussi une période folle pour Suzanne et pour la moitié de la ville, la fête du saint patron de la ville ou du premier colon, selon les sources consultées, avait lieu le deuxième samedi du mois et monopolisait toute âme charitable à la ronde. Je fus engagée sans avoir pu dire non, ni bien compris comment d’ailleurs, pour tenir un stand de tartes fabriquées par toutes les femmes du coin. Juste pour la matinée m’avait promis Suzanne.
Je me retrouvais donc affublée du magnifique tablier à fleur de ladite Suzanne. C’est pas sérieux de vendre des tartes sans tablier avait-elle répliqué à ma protestation, placée derrière trois énormes tables croulantes sous des tartes à tout, des myrtilles à la viande en passant par les pommes ou le poulet. Je n’allais jamais savoir laquelle était à quoi. Je me voyais déjà vendre du poulet à la place des fraises et me faire hurler dessus par un touriste mécontent, mais je ne vis pas un seul touriste. Les tartes partirent comme des petits pains, achetées presque entières qui par le frère de la cuisinière qui par le mari. Je compris au fil de la matinée que les hommes du coin venaient acheter les tartes de leur cuisinière pour éviter que celles-ci, les tartes pas les cuisinières, ne restent invendues au soir et provoque le désespoir de celle-ci. Une jolie preuve d’amour vite démentie par un jeune homme qui me dit que si elle n’est pas vendue ce soir, ce serait à lui de la manger. Il me fit un clin d’œil et disparut avec la tarte. Voilà pourquoi avant même la fin de la matinée, j’avais tout vendu.
Suzanne apparue sur le coup dès onze heures m’expliqua que c’était parti plus vite que les autres années. Normal, je ne connaissais pas assez les gens d’ici pour savoir qui avait fait quelle tarte. Je la regardais consterner et elle se mit à rire.
– Ne t’en fais pas, c’est tous les ans pareil, me consola la voix d’Ada, Suzanne a juste profité que tu sois moins connue pour se débarrasser au plus vite de tout ça. De plus l’argent va servir pour rénover le parc alors c’est pour la bonne cause.
Mouais, je retirais le tablier à fleur en ignorant le : ho, non il te va si bien, de ma future ex-amie et le tendis à Suzanne.
– Allez les jeunes, filez profiter de la journée, il y a plein à faire.
Finalement, je me consolais en m’octroyant le titre de vendeuse la plus rapide de la ville. Titre validé par Théa quand je lui expliquais. Elle tenait un stand rempli de comment dire, de trucs étranges, sur tout était indiqué artisans de la région et pour être honnête, je ne suis pas fan des animaux empaillés, ni des fourrures où l’on voit la tête de l’animal. Si je comprenais bien l’avantage de la fourrure dans le coin où les hivers étaient froids, je n’étais pas pour. Mon côté citadin restait bloqué sur l’idée que pour avoir de quoi faire tout cela, il avait fallu tuer un animal et je n’arrivais même pas à tuer les araignées alors, c’était incompréhensible pour moi et voilà. Mes deux amies levèrent dans un bel ensemble, les yeux au ciel. Je leur tirais la langue, fis promettre à Théa de nous rejoindre plus tard et filais au stand suivant.
Remplie à ras bord de hot-dogs, de gaufres et d’un tas d’autres nourritures grasses et sucrées, trois nanas tentaient de digérer, affalées sur un banc. Même Ada avait déclaré forfait, c’est dire. Armées d’une tisane digestive, avait dit la vendeuse du stand, nous tentions de faire discret les burps que nos estomacs produisaient. Sexy les nanas. La soirée était déjà bien entamée et s’il n’y avait eu un feu d’artifice prévu dans un peu moins de trente minutes, je serais déjà rentrée chez moi, mourir dans mon canapé. Franchement, j’hésitais à me rouler jusqu’à ma voiture, mais je n’avais pas assez de courage pour bouger.
Après le feu d’artifice, Ada nous abandonna pour aller s’offrir un dernier verre et Théa baillait encore plus que moi, lorsque je donnais le signal du départ.
– Bon, c’est pas tout ça, mais faut rentrer.
Deux bises plus tard, je filais en direction de ma voiture, la longue agonie digestive avait au moins permis de dégager le parking, il ne restait que quelques voitures parsemées. En dépassant un quatre-quatre noir, je vis David qui ne marchait plus très droit. Il se dirigeait vers moi en me saluant de grand geste. Je le saluais en retour et continuais d’avancer vers ma voiture. Il me rattrapa, me saisit pas le bras et m’attira à lui et sans que je puisse rien faire m’embrassa. Son halène puait l’alcool. Je le repoussais de toutes mes forces, en tournant la tête de droite à gauche pour éviter sa bouche. Il me tenait fermement. Il ne me lâchait pas. Il marmonnait des : laisse-toi faire qui me glaçait le dos. Mince, il était bien plus fort que moi, complètement saoul aussi. Crier ? Vu le bruit de la musique, cela ne servirait à rien. Je tentais de le raisonner, peine perdue. Il était passé de laisse-toi faire à t’es une salope. J’avais envie de vomir. Je ne voyais pas comment me tirer de là.
Ma voiture n’était qu’à dix mètres si j’arrivais à me dégager, peut-être. Ses baisers se firent insistants. Sa bouche ne décollait pas la mienne. Sa main droite se glissa sous ma veste. Je tentais de lever mon genou, mais il était tellement collé à moi que j’arrivais à peine à bouger. Je sentais la nausée arriver. Je paniquais. Il était clair qu’il n’allait pas s’arrêter là. J’avais peur. Je pleurais. Je pouvais à peine respirer.
Je luttais pour rester debout, ne pas tomber pour ne pas me retrouver piégée sous lui. Je suppliais. Lui était parti dans un discours fait de tu vas aimer suis un bon coup et de tu fais envie et tu dis non alors il ne faut pas t’étonner. Merde. Le temps s’étirait. J’avais l’impression que ça ne servirait à rien de continuer à me débattre qu’il aurait de toute façon le dessus. Je ne voyais pas comment me tirer de là. Je le suppliais. Je me raccrochais à l’espoir que quelqu’un, n’importe qui passe par là. Il continuait à écraser ma bouche. Sa main avait fini par se glisser sous mon pull empoignant mon sein et le malmenant. Il pesait de tout son poids contre moi. Il me maintenait avec force contre lui. Il continuait son monologue.
Sous son poids, je basculais en arrière. Il me tomba dessus m’écrasant encore un peu plus contre lui. Je sentis sa main quitter mon dos pour s’accrocher à mon pantalon et tenter de l’ouvrir alors que son autre main ouvrait déjà le sien. Je hurlais de panique. Je hurlais, je me tortillais pour me sortir de dessous lui. Je le suppliais encore de me laisser. Il riait en m’assurant que j’allais aimer. Sa main avait ouvert mon pantalon et tentait de se glisser entre mes jambes. Il reprit ma bouche pour me faire taire. Il serra son corps contre le mien et je sentais parfaitement bien l’envie qu’il avait. Je pleurais de plus en plus fort. Je gémissais de peur. Il se moqua de moi et il disparut.
Il disparut ? Je me recroquevillais en pleurant, de soulagement et de peur. Je n’arrivais pas à calmer mes larmes. Je tremblais. J’avais envie de vomir. Deux bras me saisir doucement. Je paniquais lorsque je me retrouvais plaquée contre un torse dur. Je voulais hurler. Je me débattais. Une voix douce se fit entendre, juste un murmure.
– Je suis là, mon ange.
Je me figeais hébétée à ce mot et ce fut le trou noir.
Je me réveillais en fin d’après-midi dans mon lit. J’avais mal partout. Les souvenirs de la nuit remontaient et les larmes coulaient à chaque fois. Je pris une longue douche m’arrachant presque la peau pour enlever l’impression des doigts de David qui y restaient accrochés. Je tremblais toujours de peur. Je restais en robe de chambre incapable de me motiver à autre chose qu’à pleurer.
Dire que je commençais à me sentir chez moi, en sécurité auprès des habitants, que je m’étais faite des amis et… et… Les sanglots firent cesser toutes réflexions. Je n’étais que douleur et pleurs. Je me traînais jusqu’au canapé et allumais la télévision, j’avais besoin de bruit pour me sentir rassurée.
Mon téléphone sonna. Je ne regardais même pas qui appelait. Je ne voulais voir personne.
Vingt minutes plus tard, Ada défonçait la porte de la cuisine. Je ne bougeais même pas. Elle était avec Suzanne et Théa. Elles me regardèrent. Elles ne posèrent aucune question. Mes amies me prirent dans leurs bras. Suzanne se mit à préparer du café. Je pleurais. Puis Théa, tout doucement, en me caressant les cheveux posa la question qui devait les rendre folles.
– Est-ce que ce connard t’a, enfin, est-ce que ?
Je secouais la tête vivement. J’entendis trois soupirs. J’eus presque envie de rire.
– Non, il a voulu, mais enfin, mais on est venu à mon aide. Quelqu’un l’a, enfin je sais pas trop. Mais, d’un coup, il n’était plus là.
En fait, même si je savais qui ce quelqu’un était, je n’avais pas tout compris. Je ne mentais pas. Un moment, il était là, l’instant d’après il ne l’était plus. Je regardais Théa.
– Mais com…
Ada me coupa.
– On a retrouvé David ce matin, il était salement amoché. Il a fallu du temps pour qu’il explique ce qui s’était passé. Il a fini par expliquer sa soirée quand Francis a menacé de remuer toute la ville pour trouver le coupable et lui casser la gueule. Je pense qu’il a préféré donner sa version quand il a su qu’on avait retrouvé ta voiture sur le parking et qu’on pourrait relier son passage à tabac avec toi. Il a tenté de te faire passer pour une allumeuse qui avait changé d’avis et qui était partie avec un autre type après que le type en question s’en soit pris à lui parce qu’il n’avait pas voulu le laisser t’emmener. C’était du moins sa version avant que Judicaël n’arrive et ne l’oblige à donner la bonne. Il ne lui a pas laissé le temps de se trouver des excuses ni d’inventer autre chose, il a fini par le menacer pour avoir la vérité et je t’assure qu’il l’a encore moins bien pris que nous.
On aurait dit qu’elle vomissait, rien que d’y penser. Suzanne était assise raide au bord de sa chaise et Théa me serrait fort contre elle.
– Il a eu de la chance, continua-t-elle. Si moi ou Francis l’avions surpris, ce n’est pas qu’amoché qu’il aurait été. Oh mon Dieu Sophie, jamais je n’aurais dû te laisser rentrer seule. Je m’en veux tellement.
– On s’en veut, on aurait dû rester avec toi.
– Vous ne pouviez pas savoir, soufflé-je.
Je me serrais encore plus contre Théa et Ada. Suzanne renifla, pas de peur ni d’émotions, elle reniflait de fureur. Tout en elle était raide, furieux. Elles restèrent jusqu’au soir, s’assurant que j’allais mieux, me forçant à manger au moins un peu, me proposant de rester pour la nuit pour que je me sente en sécurité. Je finis par les mettre dehors en leur promettant de me coucher et de fermer tout à clefs, à double tour, même à triple et de coincer une chaise sous ma porte. Je promettais de prendre toutes les protections possibles et imaginables.
J’avais besoin de rester un peu seule, non, pas seule. J’avais besoin de voir et de remercier mon fantôme. Une fois mes amies parties, je fermais la porte à clef, éteignis toutes les lumières, me posais sur le canapé et attendis. Je finis par m’endormir. Une main posée sur ma joue me réveilla. Je sursautais, ouvris les yeux d’un coup et ne vit rien. Le noir était complet. Je paniquais et hurlais.
– Doucement mon ange, ce n’est que moi.
Soulagée et sans réfléchir, je me penchais en avant pour l’enlacer simplement pour le remercier, enfin j’enlaçais ses jambes, ma tête à hauteur de…, mince, il s’était redressé. Et re-mince ma position, n’était pas, enfin, j’étais tout contre, bref, je sentais, oh merde. Il s’était redressé de partout et j’appuyais ma joue sur, voilà, voilà. Je virais au rouge carmin, les joues en feu, brûlantes contre son… Je bafouillais. Je le lâchais et m’écrasais par terre.
Il ne dit rien pendant que je réunissais le peu de dignité qu’il me restait. Il me tendit la main pour m’aider à me relever, me tira avec douceur entre ses bras. Il m’embrassa sous l’oreille et me murmura :
– Ça va aller ?
J’opinais de la tête et je soufflais ces mercis que j’avais à cœur de lui dire.
– Sans toi, je…
Je ne finis pas ma phrase, un doigt posé sur mes lèvres, m’en empêcha. La main posée dans mon dos me resserra contre lui et sa voix rauque me répondit.
– Si j’étais arrivé juste quelques minutes plus tard, jamais je ne me le serai pardonné.
– Tu es arrivé à temps. Rien de grave ne s’est passé.
– Rien de grave ?
Il releva la tête si vite que je partis en arrière, son bras dans mon dos me reteint alors que je l’entendais grogner d’une voix encore plus grave.
– Ce salaud a osé te toucher et tu dis que ce n’est pas grave ?
Sa vois vibrait de rage, tout son être semblait animé d’une fureur. L’entendre ainsi me coupait littéralement le souffle. Tout en lui, dégageait une puissance écrasante et bien que la fureur que je sentais ne m’étant pas destinée. Je me sentais toute petite devant lui. Je touchais son bras du bout des doigts, remontant vers sa joue. Je voulais juste le calmer. Le pire avait été évité et même si je ne me sentais pas bien, le pire avait été évité. Je le lui redis
– Tu es arrivé à temps. Le pire n’est pas arrivé grâce à toi. Si j’ai bien compris, tu m’as en plus vengée. C’était vraiment une chance que tu sois là, sans toi, j’aurais passé un mauvais moment
voir bien pire.
Je frissonnais à l’idée de ce qui aurait pu se passer, mais j’étais en un morceau, chez moi et je voulais juste remercier l’homme qui m’avait tiré de là. Je ne voulais penser qu’à ça. J’étais en sécurité chez moi. Il me serra contre lui, son visage enfoui dans mon coup. Je le sentais trembler d’une rage contenue contre moi. Je n’en menais pas large non plus et la bosse qui s’imprimait dans mon bas ventre focalisait mon attention.
Bien sûr, idiote, tu as failli te faire violer et la seule chose d’intelligent que tu trouves à faire, c’est te coller à un autre homme. Bien ma fille, tu es d’une logique parfaite sur le coup là. Reviens sur terre et décolle-toi de lui !
Je reculais un peu alors que ma main restait posée sur son torse et glissait en direction de… Je la stoppais ne sachant plus trop comment réagir. Il se dégagea d’un coup. Il m’embrassa sur la tempe et m’envoya dormir, car il était tard et que j’avais besoin de repos.
Mais non. Je suis pas d’accord là, c’est quoi ce délire ? Mais non alors ! Je le suivis à la cuisine pour lui dire que non, je n’allais pas dormir, enfin pas de suite. Je lui rentrais dedans. Il avait stoppé net. Me massant le crâne, je pestais contre lui. Il se pencha vers moi et murmura à mon oreille.
– Ça suffit mademoiselle Baumgartner, il est temps pour vous d’aller vous coucher.
Puis, il me fit pivoter et me poussa vers l’escalier. Le, vous, m’avait glacé, j’avançais, encore une fois perdue. D’accord, j’avais eu peur et d’accord, il me faudrait un peu de temps. Je reconnais que j’avais surtout besoin de douceur et grand seigneur, il n’en profitait pas et il me repoussait, mais ça ne me convenait pas. Fichu corps qui perdait le nord, fichu cerveau qui analysait trop, fichu fantôme trop correct. Là, je les haïssais tous.
Cette histoire provoqua petit à petit, un changement, mon fantôme se socialisa. Il passait depuis peu, ses soirées avec moi. Le nez dans un bouquin, un de ces vieux livres reliés de cuir écrit dans une langue que je ne connaissais pas, en râlant contre les séries débiles que je regardais. Il en avait surtout après Buffy que j’avais plutôt été contente de dénicher lors d’un vide-grenier. Lui n’aimait pas et le faisait savoir, moi, j’aimais et je faisais semblant de ne pas l’entendre. Il était assis sur un fauteuil de cuir qu’il avait sorti de je ne sais où alors que moi, je m’étendais sur tout le canapé, enroulée dans une couverture. Il s’occupait de remettre du bois dans la cheminée et je somnolais.
Il ne mangeait pas avec moi, apparaissant une fois que je m’étais installée devant la télévision. Il se faisait chauffer un bol de je ne sais quoi et me rejoignait au salon. Nous parlions peu. Sa présence était, je voulais m’en convaincre, suffisante, mais surtout j’avais besoin de me sentir en sécurité et l’avoir avec moi le soir, m’y aidait.
La journée Ada et Théa se relayait pour ne jamais me laisser seule. J’avais durement gagné le droit de passer mes soirées et nuits seule. Suzanne me couvait du regard et se montrait agressive dès qu’un homme de sa famille ou pas, me parlait trop longtemps selon elle. Toute la ville savait ce qui était arrivé, toute la ville se sentait coupable. Je n’allais plus trop en ville.
Chapitre 8
Le temps semblait s’étirer sans fin et je m’occupais du mieux que je pouvais. Je me retrouvais démuni quand les chambres furent finies. Lits, rideaux et tapis installés, il ne me restait presque plus rien à faire. Tout se mettait en place et si la façade devait encore être refaite, la neige et le froid extérieur m’en empêcheraient encore quelques mois. Il ne restait plus que la cave que son occupant m’interdisait.
Donc je traînais ma désolation de pièces en pièces, donc je virais invivable d’ennui, même s’il me restait les mercredis et les dimanches midi pour me changer les idées.
Fin novembre même mes mercredis me furent arrachés. Trop de boulot pour l’une, touristes à materner pour l’autre, et hop, plus personne ne venait manger. Les dimanches restaient une bouffée d’air même si de moins en moins de personne y était, eux aussi avaient trop de travail. Je devais m’occuper et vite.
C’est ainsi que je me retrouvais à proposer à Suzanne de la décharger du repas du dimanche. Allez hop, tout le monde chez moi. L’avantage de cette situation était que je pouvais inviter Théa. Je prévins mon colocataire qui ne râla même pas à l’idée d’être envahi. La journée, c’était chez moi et puis je le lâchais un peu avec la cave. Nous y trouvions tous les deux notre compte.
Décembre pointa le bout de son nez, couvert de neige et bien froid et j’ai toujours aimé cette période pour les décorations de Noël, les lumières, les pères-Noël et le sapin. Je craquais littéralement pour une pluie d’étoiles à accrocher sous le toit ce qui fut la cause d’une première vraie dispute entre Livius et moi.
Je voulais fêter Noël, lui pas. Je voulais décorer, lui pas. Je voulais un sapin, lui pas. Je fulminais devant tant de non et fini par le menacer de tout faire en douce durant la journée. Il me répondit qu’il déferait toute la nuit. Je pestais, il restait calme. Je tapais du pied, il levait à peine les sourcils. Trois jours de tempête et rien n’avançait, le refus était toujours aussi net et mon envie toujours aussi forte. Je ne savais plus comment me faire entendre de cette tête de mule.
Ma maison était la seule à ne pas briller de décorations alors dépitées, je filais admirer celle de la ville. Une soirée à regarder les lumières des autres, à faire sauter de joie la petite fille en moi. Je traînais depuis des heures, pas pressée de rentrer quand je croisais Théa.
Nous nous sommes baladé, admirant les décorations, riant comme deux petites filles. Théa n’était pas plus croyante que moi, Noël était pour elle, un moment de joie dans l’hiver rien de plus. Pour moi, c’était surtout lié à mes souvenirs d’enfance. Mes parents sont très croyants.
La soirée s’avançant Théa me proposa de rester avec elle. Elle logeait en hiver à l’hôtel. La route menant à sa maison n’avait de route que le nom, gelée tout l’hiver, le chemin n’était pas sûr et son patron fatigué de la voir arriver en retard la moitié de l’année, avait trouvé comme solution de lui louer une chambre. Elle pestait un peu de ne vivre que six mois dans sa maison, mais était ravie de n’avoir plus la route à faire et elle se sentait comme chez elle chez Mona.
La soirée fut courte. Elle avait voulu me prêter un T-shirt qui resta coincé sur ma tête. Vous ai-je dit qu’elle est petite et toute fine ? La soirée pyjama fut faite sans pyjama ! Rien n’aurait pu m’aller et c’est enroulée dans une couverture que je m’installais dans le lit tout en continuant à papoter avec Théa.
Le lendemain matin, quand son réveil sonna, elle était en grande forme, moi en forme de zombie. Le manque de sommeil et moi ne sommes pas copain. Je me traînais jusqu’au café, jus de chaussette de l’hôtel puis, après un au revoir gai comme tout de sa part, à moitié baillé de la mienne, je filais chez moi prendre un vrai café ou deux.
Quand j’arrivais, rêvant de mon café, la lumière à la cuisine était allumée comme à chacune de mes absences. À peine avais-je éteint le moteur que Livius ouvrait ma portière. Il était furieux. Il me saisit par le bras, me tira dehors de ma voiture, grommelant je ne sais quoi. Il me poussa vers la cuisine, là je pouvais comprendre quelques mots : inconsciente, stupide et autre qualificatifs pas très sympathiques. Je fus auscultée, non mais vraiment, sous toutes les faces, retournée, palpée de partout. Non mais ça va pas ou quoi ? Je chassais les mains, poussais leur propriétaire et me plantais en face de lui.
– C’est quoi ton problème ? grondais-je.
– Tu as disparu toute la nuit, je ne t’ai pas retrouvée et…
– Et tu t’es dit que je m’étais de nouveau mise dans une sale position, soupirais-je en me passant la main sur le visage.
– Oui, soupira-t-il en écho
– J’étais avec Théa, j’ai dormi chez elle, enfin à l’hôtel. Il était tard et je ne voulais pas faire la route.
– Tu aurais pu prévenir !
Ben oui, voyons et comment ? Pas de téléphone dans la maison, je n’avais pas son numéro, s’il en avait un et je n’allais pas faire la route pour lui dire, au fait, je repars pour dormir en ville pour ne pas faire le trajet, mais bien sûr ! Je levais les yeux au ciel. J’allais répondre un oui papa, mais me mordis les lèvres.
– Reprenons. Je suis sortie hier après-midi pour aller en ville, j’avais envie de voir les lumières de Noël dans les jardins, j’ai traîné un peu, Théa m’a rejointe et voilà, rien de grave
– Tes satanées décorations !
Il vomit le dernier mot.
– C’est bon, j’ai bien compris que tu n’en voulais pas.
Je me dirigeais d’un pas lourd vers la machine à café si nous recommencions à nous prendre la tête j’en avais encore plus besoin. Comme aucune réponse ne me parvenait, je me retournais. Il me fixait, une sale habitude à mon avis.
– Ben quoi ?
– Mets tes fichues décorations si tu y tiens !
Il lâcha ces mots du bout des lèvres, fit demi-tour et disparut. Il me fallait vraiment un café. Café bu, suivit d’un autre puis le troisième en main, je sais, je suis accro, je me traînais jusqu’au salon où se trouvait l’emmerdeur de service.
– Ça veut dire quoi exactement ?
– Mets tes décorations puisque tu y tiens tellement, c’est assez clair, non ? Mais, je ne veux pas voir de crèche, rien de religieux !
– Ce n’est pas le côté religieux de Noël que j’aime, mes parents sont croyants, moi pas. C’est le côté lumière au cœur de l’hiver, c’est le côté réunion entre famille et amis que j’aime et les cadeaux, aussi, faut pas les oublier.
Un doigt en l’air pour souligner ce fait important, je souriais à moitié moqueuse.
– Ah, oui les cadeaux, pas très religieux ça.
– Mais important !
Il éclata de rire.
– Dois-je comprendre quelque chose ?
Il haussa un sourcil.
– Même pas, j’aime les faire, c’est un vrai plaisir pour moi. Par contre, les recevoir c’est plus compliqué.
Froncement de sourcil, je m’expliquais.
– Je n’ai jamais reçu de cadeaux qui me plaisent réellement, des utiles, des qui aurait pu me plaire mais… Je n’ai pas, enfin, ce n’est pas que je sois pénible non, mais c’est comme si…
– Ta famille ne savait pas qui tu es, finit-il à ma place.
– Je suis le mouton noir.
Je grimaçais en le disant, parce que oui, j’étais le truc bizarre dans une famille bien sous tout rapport, une famille croyante et pratiquante, pas moi et pourtant j’avais essayé de me couler dans le moule, rien à faire, je débordais du cadre. Il a dû voir quelque chose dans mes yeux, car j’étais dans ses bras et il me caressait le dos.
– Tu es parfaite comme tu es, mon ange, me souffla-t-il au creux de l’oreille.
Je soupirais en le repoussant.
– Ouais, on dira ça. Bon, je vais mettre les décorations avant que tu ne changes d’avis. Je te dis bonne nuit.
Je filais à l’étage où les achats décoratifs avaient échoué au cours des derniers jours. Mettant court à cette discussion qui me replongeait dans de mauvais souvenirs. J’étais en train de choisir par où commencer quand du pas de la porte, il intervint.
– Ne va pas te rompre le cou pour placer les lumières. Je m’en occuperai ce soir.
– Oh, hé, je ne suis pas aussi maladroite, protestais-je.
– D’accord alors ne va pas te casser une jambe…
Je me tournais, le fixais méchamment.
– Mais ça suffit, entre toi, Ada, Théa, Suzanne et Francis, on dirait que je suis en verre et que vous avez tous peur que je finisse par me casser. Je suis une grande fille, c’est clair ?
Aucune réponse autre qu’un demi-sourire moqueur et un ricanement, il ne me prenait pas au sérieux. Sans répondre, je pris un premier sac pour le descendre à la cuisine, lui passa devant en levant haut le menton, risquant de quelques millimètres de me casser la figure dans les escaliers, fis semblant de rien et restais digne jusque dans la cuisine où je rageais de l’entendre rire.
Je passais le reste de la journée à installer mes décorations. Un traîneau lumineux avec deux rennes magnifiques dont l’un avec un nez rouge, plein de petits animaux et une étoile. Je fis sauter trois fois les plombs. Je finis par crier Francis au secours dans mon téléphone et l’entendit me répondre qu’il passait à midi, ce qui m’amena à calmer le jeu et à lui préparer un bon repas de remerciement.
Francis resta un peu plus longtemps que prévu, lui aussi, insistait pour que je ne me tue pas en mettant les décorations le long du toit, mais franchement, je n’étais pas si maladroite que ça, je l’envoyais promener en grognant que j’avais déjà un grand frère qui lui me fichait la paix.
– Il est de l’autre côté de la planète, il peut, me railla Francis. Suzanne va me tuer s’il t’arrive quelque chose. Se plaignait-il
– Pfff, oust, vilain !
Je le poussais à sa voiture.
– T’as pas du boulot autre que de me materner ?
– Si, mais moins risqué !
Je le frappais sur l’épaule, en fronçant les sourcils.
– File, méchant ! dis-je en souriant. Je te rappelle que j’ai retapé la maison sans me tuer.
– Oui et on ne sait toujours pas comment tu as fait !
Bon, c’est vrai, pas toute seule, mais j’avais bien bossé, faut pas l’oublier. Il finit par partir en se moquant de moi et en me promettant la pire des vengeances si je me blessais, je restais debout à lui faire des au revoir de la main jusqu’à ce que congelée, je rentre me réchauffer.
En fin d’après-midi la maison avait pris des airs de fêtes, ne manquait qu’un sapin pour parfaire le décor et bien sûr, les lumières sous le toit. J’attaquais le pain d’épice, tradition familiale, dans le vain espoir de réussir à en faire une maison. L’odeur était suffisante pour que je me sente retomber en enfance.
Je réalisais d’un coup que pour la première fois j’allais passer les fêtes seule. Le cafard me submergea. Les larmes se mirent à couler le long de mes joues sans que je puisse les arrêter. Je pleurais toujours en découpant le pain d’épice. Je pleurais encore en construisant la maison. Je pleurais sans cesse quand Livius entra dans la cuisine. La maison était montée, remplie de cure-dent pour tenir, j’avais mangé toutes les chutes, je frôlais l’indigestion et je pleurais sans bruit.
Deux bras me soulevèrent et je me retrouvais serrée contre lui. Ses lèvres contre mon front, il ne disait rien. Il me serrait. Mes larmes coulaient toujours doucement et je murmurais.
– Je ne veux pas passer Noël seule.
– Penses-tu que Suzanne ou Ada le permettront ? Tu vas te retrouver entourée de plus de gens qu’il m’est possible de supporter.
Je sentis ses lèvres s’incurver dans un sourire.
– C’est pas pareil, ce n’est pas ma famille.
– C’est mieux, eux t’ont choisi.
Là, il marquait un point, plusieurs même. Je restais songeuse, être entourée de ma famille dans laquelle je m’étais toujours sentie étrangère ou être entouré d’étrangers avec qui je me sentais en famille. Finalement, je serais mieux ici, non ? L’idée de passer les fêtes loin de ma famille me faisait mal, mais les passer entourée d’amis, de vrais amis, me mettait du baume au cœur.
Je soupirais, coinçais ma tête contre l’épaule de Livius et laissais mes larmes se calmer. Il ne disait toujours rien. Un long moment plus tard, mes pieds touchèrent le sol et mon fantôme, levant les yeux au ciel me dit :
– On va les mettre ces fichues lumières ?
Sa tête déconfite, sa moue boudeuse et ses yeux désespérés me firent rire. J’en avais mal au ventre alors qu’il se dirigeait, droit comme un I en direction de la porte.
– Tu as deux minutes pour me les apporter.
Je filais au salon, attrapais le sac et le lui tendis en moins de vingt secondes. Un énorme sourire aux lèvres, fière de moi. Il prit le sac, grogna et sortit. Je chopais ma veste et le suivit. Il me repoussa dans la cuisine d’un air grognon, m’enfila mon bonnet qu’il descendit jusqu’à mes yeux puis pris une écharpe qu’il noua au niveau de mon nez. Il recula d’un pas, admirant son travail. Je voyais à peine et ne pouvais presque plus respirer, mais il avait l’air satisfait. Merci papa ! C’est dingue ce besoin de me materner qu’ils avaient tous, je n’arrivais pas à m’y faire.
Il nous fallut presque deux heures pour les mettre mes fichues lumières. Tout d’abord, parce que nous ne trouvions plus l’échelle, puis parce que nous n’étions pas d’accord de comment la mettre, enfin parce que je n’avais pas pensé à où la brancher. Il fallut tout démonter pour que la prise soit au bon endroit.
Seule possibilité pour la brancher, la prise de mon réveil, dans ma chambre. Je filais donc ouvrir ma fenêtre pour attraper le bout de câble qui pendouillait devant et le tirais pour le brancher. Je tirais si bien que le pied de Livius parti avec le câble qui s’y était enroulé, un gros merde, suivit d’un boum, me fit paniquer. Merde, merde, merde, je l’avais blessé, sûrement gravement, non tué, j’en étais sûr, c’était une sacrée chute. Je descendis l’escalier quatre à quatre, Oh mon Dieu, je l’avais tué.
Je retrouvais mon fantôme de chair et de sang, assis par terre à côté de l’échelle, le regard noir. Il était vivant. Ouf ! Mais sûrement blessé. Je courrais vers lui et me mit à le tâter de partout en demandant :
– Où as-tu mal, je suis… désolée, enfin, merde, je… Comment… je suis… oh lala…
J’étais parfaitement clair dans mes paroles et pas du tout complètement affolée. Pas du tout ! Il me posa la main sur la bouche, secoua la tête et se releva.
– Des bleus et des bosses ce n’est rien. Ta tentative d’assassinat n’a pas marché, je suis plus solide que ça. Par contre, ces horribles choses ne bougeront plus jamais de là, ne compte pas sur moi pour les enlever ou les remettre et je t’interdis de le faire toi-même. Suis-je bien clair ?
J’opinais de la tête vivement. Soulagée qu’il n’ait rien de grave, j’étais prête à lui promettre la lune pour me faire pardonner.
– Tu vas les allumer ou rester là à me regarder ?
Je filais dans ma chambre, tirais tout doucement sur le câble, ce qui me valut un commentaire moqueur.
– Vas-y tire, je suis déjà par terre.
Je branchais la prise, courus dehors pour voir et restais là, à admirer les étoiles qui tombaient en cascade le long de mon toit.
– Elles se reflètent dans tes yeux dit le cascadeur, en m’entourant de ses bras. Tu avais raison, le jardin est magique avec toutes ces lumières.
Je me laissais aller contre lui en souriant. Oui, il avait raison. C’était magique. Nous sommes restés là un long moment puis alors que je commençais à me transformer en petit glaçon, il se détacha de moi et me poussa vers la maison. J’étais transie de froid alors que lui, juste avec son pull ne semblait pas frigorifié. Ada était pareil, Théa était comme moi par contre, heureusement, qu’au moins une de mes connaissances ne supportait pas le froid.
Je me fis un chocolat chaud, éteignis toutes les lumières de la maison et debout derrière la fenêtre, je regardais mon jardin illuminé. Livius m’avait enroulée dans une couverture et me frottait les bras. Je me sentais bien, prête à attaquer les fêtes sereinement.
Ce ne fut pas si serein que ça, finalement. Ada rentra blessée de sa dernière randonnée, et donc d’une humeur frisant la perfection. J’en entendis de toutes les couleurs sur la bêtise crasse des touristes-citadins-abrutis qu’elle avait dus accompagner. Théa n’avait pas un moment de libre, trop occupée à arnaquer les susnommés touristes, quant à Francis, il avait disparu, occupé pour dix jours m’avait annoncé Suzanne, il serait de retour pour les fêtes.
Le compte à rebours avait commencé. Je me rendis compte que contrairement à ce que je m’étais imaginé, la plupart de mes amis voyaient les fêtes comme Théa, un bon moment à passer en famille.
J’avais profité des vacances forcées et de l’humeur radieuse de ma meilleure amie pour faire les deux heures de route qui séparait notre petite ville de la prochaine. Journée achat cadeaux, lui avais-je annoncé, ce qui me valut un fait chier, encourageant. Son enthousiasme fut tel, qu’en fin de matinée nous avions à peine fait cinq magasins. A ce rythme-là, il me faudrait la semaine pour tout faire et bien plus de patience que je n’en avais pour la supporter.
Elle me laissa tomber comme une vieille chaussette quand elle reconnut dans la foule un de ses voisins. Elle le supplia de la ramener, elle semblait prête à se mettre à genoux. Non, je ne fus même pas vexée, si, un peu, mais juste un peu, j’étais trop contente de pouvoir finir mes achats sans le doberman qui se traînait en râlant derrière moi.
Deux heures plus tard j’avais fini. La citadine en moi s’était réveillée et le bain de foule dans les magasins m’avait fait du bien. Je rentrais le coffre plein de cadeaux et l’humeur chantante. À vrai dire, je massacrais tous les chants de Noël qui passaient à la radio, c’était chouette.
Arrivée à la maison, j’eus la surprise d’y trouver un sapin dans le salon et un Livius y accrochant des pommes en guise de boules. Je lui sautais au cou, lui claquant un énorme baiser sur la joue. Le plantant là, je filais faire du pop-corn à la cuisine pour en faire des guirlandes. Me retournant je le vis planté sans avoir bougé, l’air ébahi. Je lui fis mon plus énorme sourire et lui dit :
– Suis trop contente, il est superbe !
– Merci, j’espérais bien qu’il te fasse plaisir, sinon il ne serait jamais arrivé là. Tu fais quoi ?
– Du pop-corn pour les guirlandes, bien sûr !
– Bien sûr…
Je passais la soirée à confectionner des kilomètres de guirlande et à expliquer à Livius où et comment les mettre. Il fut parfait, ne râlant que quelques centaines de fois sur mon exaspérante idée puis sur ma tendance à exagérer, même pas vraie.
Je montais en excitation de jour en jour. Mon premier Noël, oui bon, le premier loin de ma famille, mais mon premier à moi, à ma manière. Plus on s’en approchait plus je virais infernal, mais adorable, oui, même si seule Théa le trouvait. Les autres me supportaient de moins en moins. Ils allaient s’en remettre.
Chapitre 9
Deux jours avant la date fatidique la cuisinière de Suzanne tomba en panne. Je la vis débarquer en sueur, les bras charger d’un truc qui devait être la plus grosse dinde jamais vue. Elle me passa devant comme une folle en direction de ma vieille cuisinière et mis sa dinde dedans avant de dire.
– Ouf, chez toi elle passe.
Ha bon, bonne ou mauvaise nouvelle ? Du point de vue de Suzanne la nouvelle avait l’air parfaite, moi, je ne voyais pas encore les conséquences.
– Je vais prévenir tout le monde, nous passerons Noël ici. On ne va pas tout transporter deux fois.
Elle sortit la dinde du four, la fourra dans mon frigo en virant presque tout son contenu pour y arriver, m’embrassa sur les deux joues et sorti en téléphonant à je ne sais qui pour annoncer que le repas de Noël se ferait chez moi.
Heu… oui, mais non, là ça allait poser problème et me demander et mon fantôme alors ? Mon téléphone sonna, Ada me remerciait d’accepter de recevoir tout le monde parce que j’étais la seule à avoir un four assez grand. Bon la seule aussi à avoir assez de place, mais c’était semble-t-il secondaire, le four d’abord, les chaises après. Elle me raccrocha au nez avant que je ne lui réponde.
Le téléphone re-sonna et une Théa toute timide me demanda si, comme c’était chez moi, peut-être que, enfin si j’étais d’accord, elle pourrait venir, mais seulement si j’avais envie. Je lui répondis mais tu viens bien sûr et elle raccrocha. Puis j’eus Francis pour me dire qu’il amenait tout demain, puis Suzanne pour me dire de ne pas m’inquiéter elle s’occupait de tout. Je fixais bêtement mon téléphone, debout dans la cuisine, incapable d’intégrer les différents ouragans qui venaient de se déchaîner.
Mon colocataire me trouva ainsi. Surpris, il me demanda :
– Un problème ?
– Il semblerait que Suzanne ait décidé de faire son repas de Noël ici, je n’ai rien pu dire.
J’étais encore perdue, mes sourcils étaient froncés et je parlais en fixant mon téléphone.
– Il y a moyen de les mettre dehors ?
– Je pense pas, soufflais-je en lâchant enfin mon téléphone pour fixer mon fantôme.
– Ça devait arriver, commenta-t-il en haussant les épaules. Je me ferais discret pour la soirée.
– Mais non, grinçais-je, c’est pas à toi de…
Sa main se posa sur ma bouche pour me faire taire. Je détestais cette manie. Il me fit un clin d’œil puis dit :
– Je n’avais pas prévu de faire la fête, tu le sais bien, je passerai une soirée tranquille à lire et toi, tu vas être l’hôtesse la plus merveilleuse du monde.
Il m’embrassa le bout du nez et se prépara son bol me laissant là, digérant les événements. Je sursautais quand le téléphone sonna. Suzanne au bout du fil me demandait si j’avais un congélateur et un deuxième frigo, tout ne passerait pas dans le mien. J’eus à peine le temps de dire non qu’elle me raccrochait au nez pour me rappeler trois minutes plus tard et me dire que Francis me livrerait le tout demain avant de raccrocher. Je levais mes yeux pour voir le truc qui me servait de colocataire s’étrangler de rire le nez dans son bol, pffff.
– Elle est impossible, dis-je.
– Elle en a l’air, rigola-t-il.
Je regardais tout ce qu’elle avait viré du frigo pour y mettre le monstre, pardon la dinde. Je mis le tout dans un sac et le posais dehors, vu les températures, ça ne risquait rien.
– Mauvaise idée, fit Livius.
– Pourquoi ? Ça risque de geler c’est tout.
– Ça va attirer les animaux. Donne, on va leur trouver de la place !
On leur en a trouvé en jouant au Tétris. Le lendemain ma cuisine fut envahi, tôt le matin, par Francis qui me livrait un énorme frigo qui trouva une place dans la petite réserve, puis il arriva, je ne sais pas trop comment à y coincer le congélateur bahut. Mes boites de conserves virées de là, déménagèrent dans une des chambres à l’étage. Francis voulait les descendre à la cave, je l’en empêchais prétextant que l’escalier était mort et que je n’avais pas prévu de le réparer avant le printemps.
– Tu devrais faire venir quelqu’un pour le refaire, c’est dangereux les escaliers.
Et, les bêtes sauvages et les échelles et… et… et… tout était dangereux pour moi si je les écoutais. Moins de dix minutes plus tard, un type que je ne connaissais pas frappa à ma porte, déposa des caisses de légumes sur le palier, me salua et parti avant même que je puisse réagir. Suzanne surgit droit après, elle s’en empara et fila dans la cuisine.
Ouragan Suzanne sur place, accrochez-vous ! J’allais la rejoindre, reçus un tablier à petite fleur, pas le même qu’à la foire, mais elle en avait combien ? Et, je fus mise au travail. Lorsque le tas d’épluchure dépassa ma tête, Suzanne me permit d’arrêter. Elle n’avait pas cessé de parler de son mari, de son neveu, de la voisine, bref, le tour complet de la ville ou presque en cancans et petites histoires. J’avais mal aux mains. J’étais saoulée de paroles et épuisée par l’énergie qu’elle déployait. Les légumes furent coupés, émincés en moins de temps que j’avais mis à les éplucher. Elle m’expliquait sa recette au fur et à mesure et m’assurait que tout serait meilleur réchauffé sauf la purée et la dinde qu’elle préparerait demain.
Une fois ma cuisine dévastée, elle fila, plein à faire s’excusa-t-elle. Je rangeais mollement quand une voix derrière moi me fit sursauter.
– C’est un vrai chantier !
– Oui et c’est que le début, je ne sais même pas combien de personne vont débarquer demain.
– Tu ne le lui as pas demandé ?
Je me tournais vers lui, mon regard disait tout.
– D’accord, je n’ai rien dit. Un café ?
– Même dix ne suffiraient pas.
Il m’en prépara un, mis son bol à réchauffer et pendant que je buvais mon café en fixant le vide, il fit comme tous les soirs, bol avalé, lavé, rangé. Je soupirais, je me sentais si molle que de le voir bouger m’épuisait.
– Va prendre un bain se moqua-t-il. Je te réveillerai dans une heure.
– Même pas la force d’y aller.
Ma tête tomba sur la table pour bien signifier que là, je ne bougerai plus. Morte, j’étais. Il me souleva et me déposa dans la salle de bains. Il en sortit en claquant la porte.
– Dans une heure, je te réveille !
Je lui tirais la langue, il ne le vit pas. Une heure plus tard, il me réveillait en tambourinant contre la porte. Je coulais hors de la baignoire, m’enroulais dans ma robe de chambre et sortis en baillant. Il se marrait. Je le haïssais. Je fus soulevée et transportée devant ma chambre. Il n’y entra pas, mais m’ouvrit la porte.
– Bonne nuit, pauvre petit ange fatigué !
– b’nuit vous !
Je ne pris pas la peine d’enlever mon peignoir, je me glissais entre les draps et dormis. Suzanne débarqua à l’aube, oui bon d’accord, à huit heures, les bras chargés de nappes, couverts et services. Je comptais rapidement quarante assiettes, quarante ? Mon Dieu ! Quarante ! Ça ne passera jamais, on va se retrouver plus serré que des sardines dans mon salon. Il faudra un chausse-pied pour tous nous faire rentrer à moins qu’ils ne comptent asseoir la moitié sur les genoux de l’autre. Je commençais à regarder ma table, elle ne suffirait jamais et je n’avais pas la place pour en mettre d’autres, d’ailleurs comment je m’étais retrouvée là-dedans moi ? J’étais perdu dans mes pensées quand Ada surgit.
– Je mets où les tables.
– Regarde avec la petite comment elle veut faire. Il faudra pousser un peu le canapé, j’en ai peur.
Donc résumons. Quarante personnes allaient débarquer dans quelques heures, il me faudrait vider la moitié de la maison et je n’avais pas mon mot à dire. C’était limpide.
J’allais dans le salon et commençait à donner des ordres aux deux cousins, me semblait-il, de Suzanne qui attendaient là. La télévisons et son meuble disparurent à l’étage, suivit du canapé, du fauteuil et du tapis. Le vaisselier prit le même chemin. Il ne restait que ma table qui fut mise en long et d’autres apparurent par magie, bon d’accord, portées par les cousins et Ada pour former un U dans mon salon.
J’oubliais, le sapin déménagea de son angle pour se retrouver à côté de la porte de la cuisine. Ben oui, il gênait pour les chaises et j’avais refusé de le voir grimper dans une chambre. Franchement, le sapin quoi ! Vers dix heures, une petite voix se fit entendre.
– Je peux aider ?
Théa toute mal à l’aise était à la porte de la cuisine. Je lui sautais au cou en lui disant d’entrer. Il fallait mettre les nappes et tout et tout, elle ne serait pas de trop. Suzanne lui jeta un drôle de coup d’œil, mais me voyant lui prendre le bras pour la tirer au salon, ne dit pas un mot. Ada était déjà en train de se prendre la tête avec un cousin qui mettait les nappes à l’envers. Je virais les cousins, attrapais les nappes et dit à Ada.
– Bon, chef comment tu les veux, ces fichues nappes ? Nous sommes à tes ordres, mais n’oublie pas, tu es chez moi !
Théa pouffa, Ada râla. Les nappes furent mises ainsi que les couverts. Il était à peine midi que tout était en place, nous avions un peu d’avance. Ada disparut, un truc à faire et je me retrouvais avec Théa qui fixait mon sapin.
– J’aime beaucoup tes décorations, les pommes, c’est plus vivant que les boules en verre. Savais-tu qu’avant les sapins étaient décorés de pommes tous les hivers pour fêter le solstice ?
– Non, je ne savais pas.
Elle avait l’air rêveuse, perdue dans ses songes puis elle me prit la main avant de demander :
– Tu as prévu quelque chose pour décorer les tables ?
– Non, pas vraiment, tout c’est passé si vite, je n’avais même pas prévu de tout déménager.
– Viens, on va trouver quelque chose.
Je l’amenais à l’étage pour fouiller dans les décorations toutes neuves qui s’y trouvaient, elle fixa son choix sur des petits anges en verre et quelques boules bleues. Je la laissais décorer les tables et filais à la cuisine pour demander à Suzanne si elle avait besoin d’aide et je compris que non quand elle me vira de là. Bon, ben, voilà, plus qu’à attendre.
À quatre heures Ada réapparut suivie de Francis et de ses parents. Puis, par petit groupe, tout le monde arriva. Mes joues furent mises à l’épreuve, mes côtes protestèrent et Théa disparaissait derrière moi à chaque arrivée. Je finis par la prendre dans mes bras et à lui affirmer qu’elle avait plus que bien d’autre le droit d’être là. Elle était mon invitée et si cela dérangeait quelqu’un, il n’avait qu’à aller fêter Noël ailleurs, car ici, c’était chez moi et qu’en tant qu’amie, elle y était toujours la bienvenue. Je le dis assez fort pour que Suzanne qui avait toujours ce drôle d’air quand elle la regardait m’entende, en fait tous m’avaient entendu et Théa se détendit d’un coup. Elle redevint le petit lutin drôle que j’avais plaisir à voir. La soirée s’annonçait parfaite
On a trop bu, bien rit et ainsi respecté à la lettre la tradition. Vers deux heures du matin, les premiers invités partirent, leurs cadeaux encore emballés sous le bras. On les ouvre le vingt-cinq au matin ici, non mais, m’avait houspillée Suzanne alors que je tentais d’en déballer un en douce, je compris vite que la tradition était importante et mis de côté ma curiosité.
Suzanne voulu rester pour m’aider à ranger, je la poussais dehors lui promettant qu’entre Théa, Ada et moi, ça ne prendrait pas long. Je finis par virer Ada qui avait oublié de me dire qu’elle partait en rando dans moins de quatre heures et je proposais à Théa de rester dormir à la maison si elle voulait bien m’aider à ranger. Elle était de si bonne humeur que le rangement se transforma en jeu. La vaisselle était à moitié lavée, entassée dans la cuisine. Les nappes furent mises en tas sur une table et les restes rangés dans le grand frigo.
L’heure du dodo avait depuis longtemps été dépassée. On se traîna à l’étage, se souhaitant en baillant bonne nuit.
La nuit fut courte. Je tombais du lit à neuf heures. Des coups répétés se faisaient entendre. Francis et ses cousins étaient devant la porte, frais et fringuant, j’étais derrière la porte les cheveux en bataille et des cernes sous les yeux. Mais, que cette famille pouvait être épuisante de bonne santé ! Heureusement, le truc roux qui descendait les escaliers dans un de mes t-shirts qui lui faisait robe, en râlant, les cheveux en bataille et des cernes presque aussi noirs que les miennes, me rassura. J’ouvrais aux trois énervés, leur dit de se débrouiller et filais à la cuisine rejoindre ma rouquine préférée pour nous faire du café. Les tables, nappes et assiettes disparurent alors que nous faisions un concours d’apnée en café que j’étais bien décidée à gagner quand je signalais à Francis que le frigo et le congélateur étaient encore là, il me dit qu’ils resteraient là, cadeaux de Suzanne.
Théa me regarda, je regardais Théa en haussant les épaules. Les trois trucs montés sur ressort finirent de tout emporter. Francis avait insisté pour que je garde des restes. Je l’avais supplié de tout prendre, soutenue par Théa dont autant la mine que l’estomac était plus proche des miens que des leurs. Une bonne soupe serait plus que suffisante après une bonne sieste ou l’inverse. Francis voulu encore redescendre mes meubles. Comme j’étais fatiguée de le voir tourner comme une hélice, je lui certifiais que j’allais me débrouiller toute seule. Il n’insista pas, il avait à faire. Je lui fis au revoir de la main et après un long regard désabusé, Théa et moi remontions nous coucher.
Je me relevais à quatre heures, l’estomac toujours en mode digestion intensive, ma seule envie était de boire un café, assise sur mon canapé, canapé qui n’était plus à sa place. Théa, levée avant moi, avait descendu la télé et son meuble, une partie du matériel qui devrait se trouver dans le vaisselier et avait balayé et récuré le salon et la cuisine. Efficace la demoiselle ! Me voyant arriver, elle me fit un énorme sourire et fila chercher les coussins du canapé.
– Je vais les chercher comme ça on pourra au moins s’asseoir, avait-elle lancé en remontant comme une furie.
N’y avait-il que moi qui ne pouvais plus en avant ? Ils avaient quoi tous ? Plus l’habitude des excès que moi certainement. Théa revint les bras chargés, elle balança les coussins par terre et me poussa dessus.
– Reste là, je vais te faire ton café !
Excellente idée ! Elle avait même remis le sapin à sa place et à ses pieds les cadeaux reçut qui ne devaient pas être ouverts avant, ben, avant aujourd’hui. Curieuse, je tendais déjà la main pour attraper le premier quand un bol de truc noir et fumant arriva devant mon nez. Oh bonheur !
– Tu ouvres le mien en premier ?
Elle me tendit un tout petit paquet, emballé d’un papier bleu. Elle aimait vraiment le bleu. Je ne pris même pas la peine de boire mon café. J’attrapais le paquet et après l’avoir retourné dans tous les sens, l’ouvris super curieuse et déjà ravie du cadeau. Je restais sans voix devant le minuscule cœur en pierre qui s’y trouvait. Je l’observais longuement et la petite voix de Théa intervint.
– Je sais que c’est pas grand-chose. Je l’ai trouvé dans la rivière à côté de chez moi. Tu sais comme tu es ma première amie fille, je me suis dit que…
Elle parlait la tête baissée alors je la pris dans mes bras en disant :
– Il est magnifique. J’adore !
Parce que oui, il était magnifique, la pierre grise était striée de blanc et érodée par l’eau, elle était douce au toucher. Je lui claquais deux énormes bises sur les joues.
– Tu es génial, merci.
Ses yeux se remirent à pétiller et je lui tendis mon cadeau, j’avais trouvé un petit pendentif en forme de larme ou de goutte plutôt, en verre teinté de bleu, sa couleur préférée et je l’avais suspendu à un cordon de cuir blanc. Sans qu’elle ne le voie, je croisais les doigts dans mon dos, j’espérais tellement qu’il lui plaise.
– Tu sais, tu n’avais pas besoin de m’offrir quelque chose, commença-t-elle, pouvoir passer la soirée ici plutôt qu’à l’hôtel, était déjà beaucoup.
Elle faisait tourner le paquet dans ses mains sans l’ouvrir.
– Tu aurais passé la soirée seule ?
– Pas vraiment, mais avec les clients de l’hôtel et la famille de Mona. Ce n’est pas pareille.
Et, hop, la tête se rebaissait sur une petite moue dépitée.
– Oui, comme Ada quoi, finalement on fait un chouette trio. Pas de famille pour nous et si ma réputation dans le coin n’est pas trop mauvaise, tu devrais entendre ce que ma famille dit de moi.
Elle releva la tête d’un mouvement brusque et la surprise se lut dans ses magnifiques yeux.
– Mais toi, t’es adorable.
– Pas pour tout le monde. Je haussais les épaules. Je ne suis pas venue ici pour rien, je fuyais ma famille, mon ex et mes problèmes…
Elle ne répondit pas et ouvrit son cadeau. C’est avec des yeux remplis de larmes qu’elle sortit le petit pendentif de sa boite. Elle le retourna, l’inspecta et finit par le mettre à son cou puis fila à la salle de bain comme une furie. Je la suivis.
– Il te plaît ?
Elle admirait son reflet et caressait la petite larme. Elle se jeta dans mes bras.
– Il est parfait, vraiment !
Je crus entendre dans le soupir qui suivit, mon premier vrai cadeau. J’avais du mal entendre.
Théa n’avait sous le sapin qu’un autre paquet de la part d’Ada, une bouteille. Pour moi, notre amie avait déniché quatre livres en français, j’étais ravie.
Théa fila avant que je n’ouvre les autres, la route, la nuit, etc. j’avais plutôt l’impression qu’elle ne voulait pas que je me sente gênée d’ouvrir mes autres cadeaux, alors qu’elle n’en avait plus. Nous nous fîmes un énorme câlin sur le pas de la porte et j’y restais, agitant la main, jusqu’à ce que sa voiture disparaisse.
De retour sur mon coussin, je déballais mes cadeaux, un tablier à fleur de la part Suzanne, oh combien ironique, mais drôle, un bon d’achat de la librairie de Francis, de vieux DVD de la part de Joe, mais c’est qui lui ? Des boîtes de biscuits en nombre, le cadeau fourre tout quand on ne connaît pas. Des écharpes tricotées, ok, je suis frileuse, le bonnet le plus moche que je n’aie jamais vu, chaud, mais moche le truc et au fond une petite boîte sans papier.
J’avais le bonnet sur la tête, dix écharpes autour du cou, le tablier sur l’épaule, une montagne de boîte à biscuits à côté de moi et la petite boite en main quand un rire fusa à ma gauche.
– Tu as été gâtée, on dirait, il y avait un concours de l’écharpe la plus moche ?
C’était méchant, pas tout faux, soyons honnête, mais méchant.
– Ils ne me connaissent pas bien, alors, les biscuits et les écharpes, c’est plus simple.
J’avais toujours la boîte dans les mains et je devais avoir l’air stupide enroulée dans mes écharpes en plus j’avais trop chaud.
– Et original, vraiment !
Il s’approcha et pris la boîte de mes mains.
– Celui-là, il est de ma part.
Il tournait et retournait la petite boîte avant de me la rendre.
– Je croyais que tu ne fêtais pas Noël ?
– Je ne le fête pas, mais je peux faire des cadeaux comme tout le monde, enfin pas des horreurs pareilles.
Il venait de voir le tablier et le pointait du doigt. J’ignorais sa remarque, intriguée par la boîte, émue à l’idée qu’il avait pensé à moi. En l’ouvrant, je découvris un pendentif doré, un hibou minuscule sur une branche avec comme deux lunes de part et d’autre de la branche, enfin plutôt en dessous. C’était d’une finesse incroyable, car malgré sa taille, deux ou trois centimètres tous les détails étaient visibles. La branche était remplie de motifs et les plumes du hibou étaient grises. Une petite merveille !
– Si tu virais les horreurs que tu as autour du cou que je puisse te le mettre ?
Sa voix était rauque et je relevais la tête surprise
– Il est magnifique, c’est fou, tu n’aurais pas dû.
Il était en train de m’enlever les écharpes qu’il jetait au sol.
– N’en fais pas une maladie, c’est un vieux truc, je me suis dit qu’il te plairait. Savais-tu que le hibou est symbole de sagesse, je vais espérer qu’en porter un t’évite de te blesser.
Vieux sûrement, truc pas d’accord, il était trop beau pour être traité de truc. Qu’il me plaise, oh que oui, qu’il me rende sage, fallait pas rêver non plus. Sans plus attendre il saisit la boîte et me passa le collier autour du cou et je fis comme Théa, le plantant là pour filer à la salle de bain le regarder dans le miroir. Il était absolument magnifique et je le caressais du bout des doigts un long moment.
Lorsque je retournais au salon, Livius n’y était plus, il lavait son bol à la cuisine. Je l’y rejoins et me coulais entre ses bras.
– C’est une merveille, soufflais-je.
Il m’embrassa le bout du nez, pris le pendentif entre deux doigts puis reposa contre ma peau en disant.
– Je trouve qu’il te va bien.
Il ne me regardait pas, il ne regardait que le hibou au creux de mon cou. Je restais là, blottie contre mon fantôme en me disant qu’il avait eu raison, un Noël loin de ma famille pouvait être magique tant mes nouveaux amis étaient incroyables quand je me souvins que j’avais moi aussi un cadeau pour lui. Je m’échappais de ses bras, filait dans ma chambre et revint en courant presque tenant son paquet.
– Pour toi !
Fière de moi, les bras tendus, j’attendais qu’il le prenne, mais il l’ouvrit alors que je le tenais toujours. J’avais trouvé une édition de Sherlock Holmes reliée en cuir, un beau livre. Bon, j’ignorai s’il aimait les livres policiers, mais qui n’aime pas Sherlock ? J’eus droit à un baiser sur le nez, à un merci qui m’avait semblé sincère et à bonne nuit. Avais-je fait un bide ?
Alors que je me flagellais mentalement de n’avoir pas su trouver le bon cadeau, il s’occupa de descendre son fauteuil et une partie du vaisselier. Je pris une longue inspiration et allais le voir. Il était installé dans son fauteuil mon livre entre les mains et avait commencé sa lecture. Perdue dans mon autocritique, j’en conclus qu’il voulait juste être poli et vexée comme un pou, je lui souhaitais bonne nuit et filais d’un pas rageur dans ma chambre. J’avais l’impression qu’une écharpe ne lui aurait pas moins fait plaisir. Pfff
La remise en place du salon m’occupa le lendemain. Les petits mots de remerciement que je m’appliquais à écrire, deux jours de plus, je me promis de retenir les noms à partir de la tout de suite, je ne savais même pas à qui je disais merci, frustrant.
Chapitre 10
Nouvel an arriva, je le passais avec Théa à l’hôtel, il y avait des animations plein les rues et nous fîmes honneur au champagne offert par la maison, je crois bien que notre interprétation des chansons qui passaient à la radio restera dans les mémoires, oh pas dans les nôtres heureusement.
La routine revenait, les mercredis avec les filles me manquaient et même si les dimanches midi étaient de retour chez Suzanne, qui avait décrété qu’on m’avait bien assez dérangé, ils rythmaient bien mon manque d’activité.
J’avais tenté à plusieurs reprises de sous-entendre que la cave devait enfin, voilà, faudrait s’y mettre. Mon fantôme virait sourd à chaque fois, donc je laissais tomber.
L’ennui devenait pénible, le froid intense et les jours longs, très longs, non mais vraiment longs. Je traînais mon ennui partout. Je devais sentir l’ennui à des kilomètres alors que tous ceux que je connaissais en ville courraient partout. La saison d’hivers battait son plein et moi, je tournais en rond.
Il me fallait une occupation. Je m’essayais au tricot. Je fis de magnifiques serpillières qui auraient dû être des pulls, pas concluant du tout. Puis je testais la peinture, à part pour peindre les murs, j’étais nulle. Je me lançais dans la sculpture sur bois, trois doigts transformés en poupée plus tard Livius balança le tout à la poubelle, m’interdisant de continuer. Je devais faire quelque chose de ma vie.
C’est quand on touche le fond que les miracles se produisent, le mien arriva sous la forme d’un libraire dépassé. Alors que j’écumais plusieurs fois par semaine la librairie, fallait bien s’occuper et qu’à cause de mes nouvelles résolutions, je demandais pour la quatrième fois son nom au gentil monsieur dernière le comptoir pour ne pas dire une connerie, une voix sortit de l’arrière-boutique pour dire :
– Vous prenez pas la tête. Il ne restera pas longtemps. Il me lâche.
Je me dévissais la tête pour observer le vieux type qui me parlait. Rhaa, je le connaissais, c’était, haaa c’était, mais merde, d’où je l’avais vu lui ?
– James Andersen, ancien bibliothécaire, nous nous sommes croisés peu de temps après votre arrivée
– Ha, heu, oui, enchantée.
– Je vous disais donc, mademoiselle Sophie que mon vendeur quittait la ville pour tenter sa chance ailleurs, alors ne prenez pas la peine de retenir son nom !
Ok, donc il semblerait que mon incapacité à retenir le nom de gens était connu, il fallait vraiment que je fasse des efforts, parce que là j’avais compris, tiens prends ça dans les dents, moi je connais ton nom.
– Ce qui me dérange le plus, continua-t-il, c’est quand cette saison trouver un remplaçant va être difficile.
Je levais le doigt avant même que mon cerveau n’enregistre le tout.
– Moi, je suis libre, tout de suite si vous en avez besoin, je n’ai rien de prévu avant plusieurs mois.
Le doigt en l’air comme à l’école, j’avais parlé avant même d’y avoir vraiment réfléchi. Au fond pourquoi pas, mon anglais s’était amélioré au cours des dimanches et de mes mercredis entre fille et je connaissais presque par cœur les rayons de la librairie pour y avoir traîné mon ennui des jours durant.
Je vous passe le comment du pourquoi, mais le lundi suivant, je commençais à faire la poussière dans la librairie en attendant un potentiel client. Je voyais s’envoler mon ennui et mieux encore je me mettais à espérer que ce travail deviendrait mon travail. La routine reprit un rythme qui me convenait bien.
Deux mois plus tard j’étais toujours derrière le comptoir de la librairie et même si j’étais ma meilleure cliente, presque la seule d’ailleurs, les jours passaient gaiement. Je retrouvais mes mercredis midi filles, plus chez moi, mais à la pizzeria du coin, la seule de la ville tenue par Adisorn et Rasamee, deux Thaïlandais vraiment sympathiques. Non, ne vous moquez pas, leurs noms sont écrits sur toutes les cartes de menu, à force je les ai retenus. Mes bonnes résolutions, vous vous rappelez ?
Je disais donc, les repas filles du mercredi avaient recommencé même si Ada nous lâchait régulièrement. Mes dimanches étaient remplis de trop de nourriture avalée chez Suzanne et le reste de la semaine, je mangeais sur le pouce coincé entre les cartons dans la réserve. Mon colocataire s’était de nouveau transformé en fantôme. Je ne le croisais presque plus, Mes soirées à regarder des séries, sans râleur à côté, étaient devenues mon petit plaisir.
L’hiver s’étirait puis le printemps pointa son nez, je troquais mon bonnet moche et mes écharpes tricotées mains pour une écharpe fine. Le fond de l’air restait frais en soirée. Puis l’écharpe rejoignit la penderie avec les pulls et je sortis les chemisiers, enfin ! Le mois de mai était là et j’appréciais tous les jours un peu plus Théa qui, elle aussi, gardait une veste sur les épaules alors qu’Ada était déjà en tongs, nous nous faisions traiter de frileuses et nous l’assumions plutôt bien à deux contre une.
Je n’étais plus la seule cliente de la librairie, la curiosité de savoir que la nouvelle travaillait là, attirait du monde. Monde qui n’osait pas repartir sans rien acheter. Monsieur Andersen m’assura qu’il n’avait jamais eu un mois de mai aussi rentable. Je fus confirmé à ma place.
Ma nouvelle vie me plaisait, mes amis étaient incroyables et j’envisageais l’avenir avec un bonheur que je n’avais pas ressenti depuis longtemps. La pauvre petite chose arrivée ici il y a un an, avait disparu, laissant place à une nana bien dans sa peau.
Ada me sauta dessus un jeudi matin pour me dire que la boutique serait fermée l’après-midi, James était d’accord. Finalement, elle me fit fermer tout de suite et me traîna derrière elle.
– Faut que je te montre un truc, avance, plus vite !
Avancer ? Il me fallait presque courir pour me maintenir à sa hauteur. Elle me poussa dans l’hôtel puis me tira dans la grande salle, le tout au pas de course. J’étais essoufflée et quand je finis par la rejoindre, je me statufiais. Il y avait un « bon anniversaire » accroché contre le mur, plein de ballon partout et mes amis.
– Ça fait un an que tu es arrivée ! Me dit Ada. Fallait bien le fêter, non ? Tu te rends compte, qui aurait pensé que tu allais tenir ?
Pas moi, en fait, un an, un an que j’étais arrivée déjà ? J’avais la bouche ouverte, les yeux exorbités et je me mis à pleurer. Ce fut la panique en deux secondes, Suzanne me prit dans ses bras, Ada me serrait une main dans les siennes, Théa me frottait le dos et Francis se marrait.
Merci, Francis, le voir rire me permis de retrouver un peu de cervelle, pour murmurer entre deux sanglots :
– C’est trop, fallait pas.
Je fus traînée et assise à table entourée de ces gens formidables qui, je ne comprendrais jamais pourquoi, m’avaient adoptée aussi facilement.
Quoique, j’appris que le mari de Suzanne avait parié que je ne passerai pas l’hiver. Rhaa, Judicaël quel prénom impossible, donc Judicaël avait parié que je ne passerai pas l’hiver, les paris variaient entre fin octobre et mars, même Ada avait parié, la traîtresse !
Elle se justifia par mon passage d’ennui profond qui l’avait fait craindre un départ pour ailleurs. Elle se justifia d’une toute petite voix contrite encore plus quand il s’avéra que Théa avait parié que je resterais, elle ! Ce fut un chouette moment entre amis et je rentrais sur un petit nuage, un an ! Waouh, je n’en revenais pas.
Au milieu de la nuit, mon téléphone sonna, c’était ma mère. Vive le décalage horaire ! Elle me demanda de but en blanc quand je rentrais maintenant que mon année sabbatique était finie. Quand je lui dis que non, je ne rentrais pas, elle me fit bien comprendre en hurlant ce qu’elle pensait de ma crise d’adolescence tardive. J’étais une inconsciente qui allait finir sous les ponts ou pire à la charge de mes frères et sœurs qui, eux, avaient réussis etc, etc. je connaissais par cœur le discours.
C’est en mettant le téléphone sur haut-parleur et en buvant stoïquement un café que je répondais à intervalle régulier des oui mais, non mais, ça va aller ou je comprends mais…
Je n’essayais même pas de finir une phrase, j’attendais patiemment que ma mère en finisse. Je savais qu’une fois qu’elle aurait raccroché, j’aurais droit au même discours de ma sœur aînée qui rajouterait, mais tu sais on t’aime, c’est pour ça qu’on s’inquiète puis mon grand-frères le ferait aussi, en étant moins virulent et en précisant qu’il faut comprendre les parents, c’est pas moi, c’est eux qui s’inquiètent. Quand il aura raccroché ma petite sœur m’enverra un texto me remerciant de foutre le bordel pour faire mon intéressante. Une fois qu’ils m’auront bien tous prédit le pire, ils me lâcheront et je n’en entendrai plus parler, jusqu’à la prochaine fois.
Je regardais dans le vide, ma sœur parlait, parlait, parlait. Mon fantôme entra, écouta un moment, me fit une grimace qui faillit me faire rire. Pas bonne idée, mais alors pas du tout, ne pas rire quand grande sœur faisait la morale sinon j’en reprendrais pour le double. Je haussais simplement les épaules.
Il s’installa en face de moi et écouta très attentivement. Il se décomposa au fur et à mesures. Je lui fis signe de se taire et profitait que ma sœur raccroche pour lui dire.
– Ma mère vient de lui dire que je ne rentrerais pas. J’ai même pas réussi à dire que j’avais un travail ici. Ils pensaient tous qu’à la fin de mon année sabbatique, je rentrerai la queue entre les jambes.
Mon frère appela et les reproches reprirent.
– Un an ? Mima Livius.
Je fis oui de la tête et murmurait loin du téléphone.
– Un an, aujourd’hui !
Il fit bravo des deux mains sans un bruit puis alors que je désespérais que mon frère se taise, il dit à voix haute :
– Quand allez-vous finir de vous écouter parler, c’est le milieu de la nuit et votre sœur travaille demain.
Et, merde non, il n’avait pas osé, mais ce n’est pas vrai, il allait empirer la situation.
– Qui êtes-vous ? Questionna sèchement mon cher et adorable frère.
– Un de ses locataires, répondit courtoisement mon coloc
– Un de tes quoi ?
– Locataires, compléta tranquillement le fourbe qui me toisait alors que je me décomposais.
– Tu as des locataires ?
– Je viens de vous le dire. Un de ses locataires. Il se moquait de moi en continuant. Vous avez de la chance de n’avoir pas réveillé Mademoiselle Théa, elle est un peu revêche au réveil.
– Sophie qu’est-ce que ça veut dire ?
Je coupais le haut-parleur, fusillait du regard mon « locataire » et répondis à mon frère. Oui, j’avais une maison et oui, je louais des chambres. Je ne pouvais pas lui révéler que je partageais la maison avec un homme dont je ne savais presque rien et que ledit homme venait de s’amuser à ses dépens ou avait tenté de me défendre, à choix.
Étrangement, il raccrocha dès l’explication bancale donnée. Je savais qu’il allait téléphoner à ma mère qui elle-même téléphonera à ma sœur et que l’une d’entre elle finirait par me téléphoner pour à nouveau me faire la morale sur cette fois-ci le thème de tu ne nous dis rien.
Je ne soulignerai pas qu’on ne m’avait pas laissé parler et attendrais que ça se tasse. Depuis le temps, je ne me prenais plus la tête. Je fis un pâle sourire au pire locataire de l’année en lui précisant que c’était gentil, mais ne servirait à rien, j’allais avoir droit à un nouveau sermon alors que j’en voyais le bout.
– Retourne te coucher et éteint cet engin de malheur !
Mais combien de fois m’avait-il envoyé au lit ? Je crochais sur cette question en allant me coucher. Bonne fille qui obéit.
Les téléphones familiaux n’eurent plus lieu au milieu de la nuit, mais très tôt le matin. Je fus estomaquée quand je me rendis compte que ce que ma mère retenait était en un, que j’avais une maison assez grande pour y loger du monde, en deux, que je gagnais de l’argent et c’est tout. Je n’insistais pas. Les téléphones se calmèrent. Je repris ma petite vie.
Chapitre 11
C’est le mois suivant que tout bascula. Il faisait beau et chaud. Un soleil radieux m’accompagnait tout au long de la journée et arrivait même à percer au milieu des livres. Je mangeais à midi, sur un banc profitant du bienfait du soleil. Je troquais mes chemises contre des hauts à petites bretelles ou de petites robes. Je vivais en tong, comme la moitié des habitants, et étais capable de repérer un touriste à dix mètres. J’étais devenu du coin. Je me sentais du coin.
Ce mercredi-là, avec Théa nous avions décidé de manger sur l’herbe du parc. Tout se passait bien quand je retirais le châle que j’avais mis. Elle resta immobile à fixer mon pendentif. Elle blêmit en me demandant sèchement :
– Qui t’a offert ça ?
– Il était dans mes cadeaux de Noël.
– Tu te souviens de qui te l’a offert ?
– Non, pas vraiment il faudrait que je cherche.
Même si j’en avais assez de cacher ce gros pan de ma vie, je ne me sentais pas prête à l’avouer à mon amie, alors que je voyais bien que ces yeux revenaient sans cesse sur le collier.
– Et si on se faisait une soirée fille, je passe prendre des pizzas et on se retrouve chez toi pour se regarder ta série débile là.
– Laquelle ? Tu trouves toutes mes séries débiles.
– La fille blonde et le beau mec et son père
– Fringe ?
Elle fit oui de la tête, cool, ce serait sympa, je lui dis oui.
L’après-midi passé, la boutique fermée sans avoir vu personne, c’est toute contente que je filais en direction de ma maison. Théa était déjà devant la porte avec deux énormes cartons dans les mains.
Installée dans le canapé, les cartons de pizza vides sur la table basse, je digérais en écoutant la rousse expliquer sa journée. L’arnaque aux touristes fonctionnait à plein, j’étais heureuse que dans ma petite boutique ce sport ne se pratiquait pas, les prix des livres étaient fixes, tant mieux. Quatre épisodes de ma série débile plus tard, le quatrième ayant été exigé par Théa qui voulait absolument voir la suite, je finis par l’abandonner sans regrets. Je notais dans un coin de ma tête de lui offrir la série complète, débile pour elle peut-être, mais addictif, tout en montant me coucher.
C’est vers quatre heures du matin que des voix me réveillèrent, persuadée qu’elle s’était endormie devant la télévision allumée, je me motivais pour descendre l’éteindre, la télévision pas Théa.
À mi-chemin, je stoppais net, ce n’étaient pas les voix des acteurs que j’entendais, mais celles Théa et de Livius. Bon, une discussion s’imposait, flûte, m’approchant pour intervenir, je restais figée en entendant Livius.
– Qui de toi ou de moi représente le plus grand danger pour elle ? Si j’avais voulu la blesser, ce serait déjà fait, ne penses-tu pas ? J’ai eu plus d’un an pour. Mais, toi, contrôles-tu vraiment tes instincts ?
Un silence.
– Avec elle ce n’est pas pareil. C’est mon amie. Elle ne risque rien.
– Alors tu peux comprendre qu’elle ne risque rien avec moi.
Ok, ils parlaient de moi, mais c’était quoi ce bordel, qu’avais-je à craindre de Théa et comment se connaissaient-ils. Parce qu’ils se connaissaient, là j’en étais sûr. J’avançais pour me montrer, bien décidée à tirer au clair ces étranges paroles. C’est Théa qui me vit en premier. Elle se figea. Livius ne se tourna pas, il passa sa main sur son visage et dit :
– Bonsoir Sophie, désolé de t’avoir réveillé et si tu venais t’asseoir ?
Ben non, je voulais rester debout moi et surtout je voulais des réponses.
– De quoi parliez-vous ?
Mes yeux allaient de l’un à l’autre, Théa répondit.
– C’est à cause du collier, je l’ai reconnu, alors je voulais savoir pourquoi tu l’avais et surtout si tu savais qui te l’avait offert.
Elle fit un geste du menton en direction de mon colocataire. Il se tourna vers moi pour répondre.
– Je connais Théa depuis longtemps.
– Et comme tu ne m’avais pas dit que tu n’étais pas réellement seule ici, je voulais…
Elle s’arrêta net.
– Elle voulait être sûre que tu me connaissais bien.
Ben, non, je ne le connaissais pas bien du tout.
– Et ?
– Et comme dans le coin je ne suis pas très appréciée, tu as bien vu comment Suzanne me regarde, continua-t-elle.
– Oui et ?
– Je n’ai pas bonne réputation
– Moi, encore moins, dit-il.
– Ok, en quoi vos réputations risquent de me faire du mal ?
Parce que oui, si je me moquais complètement de ce qu’on disait d’eux, je ne me moquais pas de ce que je venais d’entendre, deux énormes soupirent me répondirent.
– C’est une façon de parler. Tu sais les gens parfois se comportent.
– Comme des cons et vous pensez que j’en suis aussi. C’est pas crédible là.
J’étais énervée de les voir noyer le poisson, sans vraiment me répondre. On évitait de me regarder dans les yeux, on admirait ses chaussures. Ils me prenaient pour une débile.
– Bon, il va falloir que vous arrêtiez de me mentir tous les deux. Quel est vraiment le problème ?
S’il me restait un doute sur le fait qu’ils me mentent, là je n’en avais plus aucun. Théa avait pâli et Livius regardait par-dessus ma tête. Certes mon mur était très joli, mais pas à ce point-là. Je tapais du pied.
– J’attends !
Le concerto pour soupires en do mineur se fit entendre. Théa tomba plus qu’elle ne s’assit sur le canapé et Livius me fit signe de m’asseoir. L’heure des révélations avait sonné et j’étais bien décidée à ne rien lâcher avant d’avoir eu la vérité.
– Bon par où veux-tu que l’on commence ? Dit Théa en me serrant la main
– Par le début ? Enfin, commençons par : vous vous connaissez depuis quand ?
– J’ai rencontré Livius à mon arrivée ici, il m’a aidé à trouver un coin qui me convenait.
D’accord, donc en gros une dizaine d’années, elle n’avait pas plus de 30- 35 ans.
– De gros problème avec ma famille m’avait poussé à m’éloigner. Je ne connaissais personne et j’étais en pleine révolte. Toi, tu es arrivée en douceur, tu voulais avoir la paix, moi, je suis arrivée furieuse et je cherchais, bref, je n’étais pas là pour me faire des amis.
– D’où ta mauvaise réputation…
– Entre autres, continuât-il. Elle a logé chez nous, le temps de trouver où aller. Carata l’aimait bien.
– Carata ?
Il ferma les yeux, ceux de Théa se remplirent de larmes.
– Ma compagne, elle est morte.
Ok, sujet sensible, très sensible à voir la tête de Théa.
– Je suis…
– Il y a longtemps maintenant, donc je disais, Théa est restée ici le temps de trouver où se loger.
– Tu ne m’as jamais dit que tu connaissais la maison, lui reprochais-je.
– C’est plus tout à fait la même et te dire que j’avais connu un des anciens propriétaires aurait servi à quoi ? Je pensais qu’il était parti.
– À éviter tout ce merdier ?
Ils grimacèrent tous les deux.
– Il faut la comprendre, à la mort de Carata, j’ai disparu, je ne voulais plus voir personne. Elle a pensé que j’étais parti, c’est normal.
Ça, je pouvais comprendre, même si je me sentais blessée de ne pas avoir été mise au courant. Voilà bien la preuve que je ne connaissais rien de lui. Rien d’eux. Je touchais mon pendentif, Théa fixait ma main.
– Tu as reconnu le collier parce que tu l’avais déjà vu. C’est pour ça que tu m’as demandé qui me l’avait offert. Ne me dites pas qu’il était à elle.
Je t’en supplie, pas le collier d’une morte à mon cou, s’il te plaît. Pas ça !
– Carata ne l’a jamais porté, ce collier est dans ma famille depuis longtemps.
Sec, net, précis, n’en demande pas plus disait sa voix. Bon, mais, du coup se posaient plein d’autres questions.
– Alors pourquoi me l’as-tu offert ?
– On en parle plus tard, tu as demandé depuis le début, non ?
Sans me laisser répondre il continua.
– Donc après son décès, je ne voulais plus voir personne. Je voulais qu’on me laisse en paix, tu peux comprendre ?
Oui, son grand amour est mort, il s’est retiré du monde pour la pleurer, jusque-là, ça allait. Si j’oubliais la tristesse infinie que je ressentais. Pour changer de sujet, je demandais :
– Et tu as joué sur la croyance que la maison était hantée pour faire fuir les nouveaux habitants.
– Oui, on peut dire ça, c’est ma maison.
Re coup de poignard au cœur, sa maison oui, pas la mienne, des larmes perlèrent à mes yeux. J’étais l’étrangère ici.
– Quand j’ai vu le collier, j’ai compris qu’il n’était pas parti et je me suis demandée pourquoi tu n’avais jamais parlé de lui et je me suis inquiétée parce qu’il n’est pas, enfin, il n’a pas l’air de… c’est un…
Elle se tue, cherchant visiblement ses mots.
– Un quoi ?
– Heu, tu ne sais pas ? Ho, je n’aurais pas dû.
Elle avait blêmi d’un coup, Livius se mit à genoux en face de moi, me prit les mains, plissa les lèvres et finit par dire sèchement :
– C’est bon, Théa, je pense que tu peux te taire.
Elle baissa la tête, mais continua.
– Il va bien falloir le lui dire.
– Je sais.
Deux mots murmurés les yeux fermés, sa bouche ne faisait qu’un trait, tout en lui était tendu et mon imagination partit en vrille. C’était un tueur en série, non un agent secret, non, c’était un pervers qui dormait avec le cadavre de sa femme et c’est pour cela qu’il m’interdisait la cave, non, il avait juré de vivre la nuit pour être avec le fantôme de sa femme, non, il était, stop, stop Sophie, tu te calmes et tu écoutes. J’étais complètement paniquée, car je m’attendais au pire quand il continua presque en chuchotant.
– Sophie, je vis la nuit, tu l’as bien remarqué ?
Je fis oui de la tête et d’ailleurs, c’était saoulant.
– J’ai pu déplacer la cuisinière seul, elle est plutôt lourde. Comment ai-je pu le faire ?
Oh qu’elle était bonne cette question-là. Il n’avait pas l’air super musclé, style haltérophile, c’est vrai.
– Je n’y ai même pas réfléchi, avouais-je
Les yeux de Théa doublèrent de volume et Livius secoua la tête.
– Tu es vraiment un ange, incroyable.
– Elle l’est. Confirma Théa.
Là je doutais que ce fut un compliment, idiote, naïve serait bien meilleure comme qualificatifs.
J’eus droit à un baiser sur le front.
– Donc résumons, je vis la nuit, j’ai beaucoup de force, je suis rapide et je peux tomber d’une échelle sans me faire mal. Je suis…
À son regard, il attendait une réponse. Mes neurones se mirent à faire des brasses, je nageais. Il avait bien remarqué que rien ne sortait de ma petite caboche. Il ferma les yeux, baissant la tête sur un sourire.
– Le soir, je bois toujours un bol de ?
Pas de café, sinon il ne l’aurait pas demandé comme ça, un bol de quoi ? Mince, mes neurones ne faisaient plus de brasses, ils coulaient. Je savais qu’un truc énorme m’échappait, la connexion ne se faisait pas. Je me sentais idiote, mes neurones ne coulaient plus, ils étaient portés disparus et les secours n’arriveraient jamais à temps.
Je le fixais. Il avait posé une main sur ma joue et de son pouce caressait ma tempe, il attendait et moi je pataugeais. Théa intervint.
– Imagine que l’on est dans une de tes séries. Je suis certaine que tu sais.
Dans mes séries ? Mon fantôme serait quoi ? Mes yeux se posèrent sur l’étagère et je passais en revue mes DVD. Je tombais sur Supernatural puis sur Buffy et je secouais la tête, faut pas exagérer non plus. Dans ces séries-là, il serait un vampire sauf que les vampires, ça n’existe pas ! Un tueur en série recherché ? Un alien tant qu’on y est ! Dans mes séries, il n’y avait que ça. Ha non, j’oubliais les zombies. Nan, pas possible.
– Montre-lui !
– Laisse-lui encore un peu de temps pour tout assembler.
Sauf que je n’assemblais rien du tout. Je me tournais vers Théa et l’interrogeais du regard.
– As-tu confiance en lui ? Me demanda-t-elle.
Je pris le temps de réfléchir. Depuis mon arrivée, il m’avait aidée avec la maison, sortie des griffes de David et m’avait toujours bien traitée. Jamais il ne m’avait rabaissée ou jugée ou blessée. Je n’avais pas peur de lui, même si son caractère n’était pas toujours facile, mais je ne connaissais pas grand-chose de sa vie, enfin, carrément rien. Avais-je confiance en lui ?
Ma petite voix qui sortait toujours dans les moments où mes neurones ne me servaient plus à rien, intervint. T’es con, disait-elle, je te rappelle que tu as accepté de vivre avec lui sans trop te poser de question et que tu ne l’as jamais regretté. Arrête de te pourrir la tête dit oui et assume la suite !
La suite était justement le problème, mais le pouce sur ma tempe, les yeux noirs attentifs et le soupir qu’il semblait retenir, finit par avoir raison de ma peur. Je me noyais dans ses yeux et dit :
– Oui, j’ai confiance en toi.
Le soupir retenu sortit et il souleva mon menton.
– Je ne te ferais jamais de mal, je te le promets à nouveau. Jamais. Quoi qu’il arrive !
Je fermais les yeux, il prit mon visage entre ses mains et tout doucement me releva la tête.
J’ouvris les yeux et les fixais sur les siens. Il fit un petit non de la tête en indiquant sa bouche. Je fronçais les sourcils. Merde, je rêvais ou j’hallucinais ou je devenais folle ?
Deux canines étaient en train de s’allonger devant mes yeux et pas qu’un peu. C’est quoi ce délire ?
Ok, c’était la merde. Comme j’étais une jeune femme équilibrée et bien dans ses baskets, mon cerveau se mit en grève et mes muscles tétanisèrent. Boum, je tombais en panne, plus rien ne fonctionnait, enfin, non, un truc fonctionnait, ma terriblement énervante petite voix qui était en train de bondir de tous les côtés en hurlant des c’est trop cool, youpi et autres joyeusetés. La conne ! Elle jouait à la balle élastique dans mon crâne. Je sentais venir la migraine.
Elle se calma un peu et devint toute douce en me faisant le résumé : bon, tu n’avais rien vu, normal quand on pense que les vampires n’existent pas, on ne cherche pas de preuve. Là, quand même, tu dois reconnaître que des preuves, il y en a. Oui, là je pouvais admettre que les preuves étaient solides, surtout les deux dents qui étaient toujours sorties et que je fixais sans pouvoir m’en détacher. Sauf que même si j’adorais les séries avec des vampires, des loups-garous et des zombies, là on n’était pas dans une série.
Mais bon sang, dans quoi m’étais-je fourrée. C’est ton ami, continua la petite voix. Ne l’oublie pas. Il te fait confiance, tu crois qu’il montre qui il est à tout le monde ? Franchement, tu en as de la chance et puis tu lui fais confiance souviens-toi ! Oui, c’est vrai, enfin j’avais confiance dans mon fantôme. Fantômes, vampires repris la voix, du pareil au même. Allez arrête de faire l’autruche et réagit. Mais oui, hurler me semblait une bonne idée ou m’évanouir ?
Une partie de moi réagissait, je sentais à nouveau la caresse de son pouce sur ma tempe et la main de Théa qui me frottait le dos. Je croisais son regard. Incroyable ce qu’il semblait inquiet. Je crois que c’est cette lueur de peur que j’y voyais qui me décida à revenir dans le monde des vivants. Un mot s’échappa de mes lèvres.
– Vampire ?
Les crocs disparurent, ses yeux se fermèrent et il fit juste oui de la tête.
– J’ai besoin d’un verre.
Ben oui quoi, je ne pouvais pas douter de ce que je voyais, pas besoin de me pincer. Sauf qu’il fallait l’avaler, pas le verre, la vérité. Sa tête lorsque je disais ça, faillit me faire rire. Théa revenait déjà avec un grand verre qu’elle me fourrait dans les mains. Je ne sais pas ce que c’était, mais je me mis à tousser, les larmes me piquèrent les yeux et l’émail de mes dents parti voir ailleurs s’il y était, à peine la première gorgée avalée. Ça me fit un bien fou.
– Ça va ? Comment te sens-tu ? Demanda mon fan… non mon vampire.
– Si je suis pas devenue folle enfin, ça devrait aller, enfin, c’est juste que, enfin les vampires, enfin ça n’existe pas, enfin je croyais, enfin.
Allais-je arrêter de dire enfin ? Merci mon cerveau pour me soumettre à cet instant précis la seule question qui n’avait aucun intérêt.
– Tu le savais, accusais-je Théa.
– Je savais que les vampires existent, mais ils sont supers discrets, m’informa Théa. Plus que les loups, eux, ils laissent des traces partout.
Ha, oh, les loups, ok, on va où là ? Et hop, une gorgée du truc trop fort pour faire passer cette nouvelle information.
– Mais tu sais, ce ne sont pas les pires, continuait la rousse.
Je levais la main pour l’arrêter, paniquée.
– Laisse-moi déjà digérer le fait que les vampires et je suppose par loup que tu veux dire loup-garou, existent, d’accord. Pour quelqu’un comme moi, c’est déjà trop.
– Tu prends plutôt bien la chose. Tu trouves pas Livius ?
Lui ne disait rien, mais observait attentivement. Ses mains reposaient sur mes genoux et il s’était légèrement reculé. Je ne sais pas ce qu’il cherchait à voir en moi. Je ne savais toujours pas si c’était réel ou non.
– Tu vas avoir besoin de temps pour digérer.
Il leva la main et la garda en l’air. Il était indécis et me scrutait. Le léger mouvement de recul que j’avais eu ne lui avait pas échappé. Sa main retomba et il se releva pour s’éloigner.
– Je vais vous laisser en discuter, le jour ne va pas tarder.
Il était lugubre et je me sentis mal d’avoir eu ce recul, mais il pouvait comprendre. J’avais de bonnes raisons là. J’avais un peu peur, beaucoup en fait. Il ne dit rien de plus, me fit un signe de tête et disparut au sous-sol Théa grimaçait un peu et voulu relancer la discussion.
– Non, s’il te plaît, là, j’ai besoin d’un moment, seule. Si tu pouvais rentrer chez toi, ce serait sympa. Je, j’ai vraiment besoin de réfléchir tranquillement.
– Tu es sûre, je pense qu’il faut qu’on en parle, tu as des questions à poser et je ne vais pas te laisser seule dans un moment pareil.
Il me fallut presque une heure pour la convaincre de partir. Car, non, je ne voulais pas en parler et non, je ne voulais rien savoir de plus. Là déjà, c’était trop. Elle finit par céder de guerre lasse.
– D’accord et ne t’inquiète pas, je préviendrais James que tu es malade, comme ça tu as la journée pour, enfin, tu pourras rester tranquille, puisque c’est ce que tu veux.
Je la remerciais, lui souhaitais une bonne journée et montais m’enfermer dans ma chambre. Je voulais être seule. Quand j’entendis la porte se refermer et la voiture de Théa démarrer, il y eut dans ma tête comme une tempête. J’étais assise sur mon lit, incapable de dormir ni de réellement penser. Je restais ainsi toute la matinée. Je n’avais ni faim, ni soif, mais je m’obligeais à avaler une soupe. J’avais l’impression de bouger dans du coton dense. Le moindre geste était compliqué et me demandait plus d’énergie que je n’en avais.
Chapitre 12
Dans l’après-midi, un vent de panique me tomba dessus, un truc énorme. Je tremblais de la tête aux pieds et si j’étais toujours incapable de réfléchir correctement, toutes les fibres de mon corps criaient à la panique alors j’y cédais.J’attrapais ma valise, y fourrais de tout en vrac, descendis quatre à quatre l’escalier et filais sans m’arrêter à ma voiture. Je ne pris même pas la peine d’ouvrir le coffre, je jetais la valise sur le siège passager et je fuis, encore. Fuyant ce que mon petit cerveau refusait de considérer comme réel. Juste fuir.
Je roulais droit devant, tentant de ne réfléchir à rien. Tellement à rien que j’oubliais que les routes ici, ne sont pas vraiment des boulevards et après des heures à lutter entre les trous, les bosses et les chemins de terre, j’étais épuisée et je m’étais perdu. La nuit avait fini par tomber, brouillant encore plus mes repères. Il valait mieux attendre le jour pour reprendre la route. Je me glissais à l’arrière, contrôlais que j’avais bien fermé les portes et les fenêtres, me recroquevillais sur le siège et fermais les yeux.
Les larmes arrivèrent à ce moment-là et je versais toute l’eau de mon corps. J’étais secouée de sanglots impossibles à arrêter. Je pleurais sur moi, sur mon idiotie de n’avoir rien vu, de ses amis qui m’avaient menti sur quoi d’autre encore ? Je m’apitoyais sur mon sort. Je m’épuisais de chagrin. Rien d’autre ne comptait plus que mes larmes qui semblaient ne pas vouloir se tarir.
J’avais physiquement mal au cœur. Je me sentais plus nulle qu’à mon arrivée. Je pleurais, c’était tout ce que je pouvais faire. J’étais au milieu de nulle part. J’étais seule. J’avais peur du noir cette nuit et ma lampe de poche montrait des signes de faiblesse et j’étais perdue dans tous les sens du terme. Tout ce que je pouvais faire, c’était pleurer.
La crise durait encore quand on frappa à la vitre. Je relevais la tête et croisais des yeux noirs. Je ne voulais pas lui parler. D’un coup, je me sentais en colère, tout ça c’était sa faute. Je secouais la tête et la plongeait entre mes bras en collant mon nez contre le siège. Mais, qu’il me fiche la paix, qu’ils me fichent tous la paix !
– Ouvre, sinon je casse la vitre !
– Non !
Il se prenait pour qui ?
– Sophie, ouvre ! Je n’hésiterai pas à casser la vitre.
Mais, bien sûr, continu à me menacer comme ça j’aurais confiance. Il était dingue ou quoi ? Je relevais la tête. Il avait le front appuyer contre la vitre et son inquiétude était visible.
– Sophie, mon ange, ouvre-moi s’il te plaît !
Je ne sais pas si c’est d’entendre ce doux surnom, la voix qu’il avait ou le s’il te plaît que je ne lui avais jamais entendu dire. Les yeux noirs étaient suppliants. Il restait là à me regarder. Je déverrouillais la porte sans plus réfléchir. Il entra, ne dit rien, me prit contre lui en soupirant.
– Tu m’as fait une peur bleue. J’ai cru, j’ai cru…
J’étais dans ses bras, il me serrait contre lui, m’embrassant les cheveux. Il ne disait plus rien, mais ne desserrait pas son étreinte. Mon corps me trahissait en se détendant contre lui. J’étais furieuse une seconde plus tôt et maintenant, je restais sans rien dire, blottie contre lui. Je suis d’une logique sans faille.
Au bout long d’un moment, il souffla à mon oreille.
– Tu veux bien rentrer à la maison, je sais que c’est difficile à accepter, tu sais, partir n’est pas la bonne solution. Théa est morte d’inquiétude.
Je ne l’écoutais qu’à moitié parce que ma petite voix faisait un vacarme de tous les diables dans ma tête, trop heureuse de retrouver son, mon vampire. Elle faisait des cabrioles l’idiote et hurlait, tu vois il tient à toi. Mais bien sûr… Elle refusait de se taire et c’est elle plutôt que moi qui répondis
– C’est juste que…
– C’est difficile à avaler, finit-il à ma place
– Mouais et pas qu’un peu.
Il me serra plus fort.
– La vérité n’est pas toujours le mieux.
– Mais elle est préférable.
– Pas toujours, crois-moi, pas toujours.
Il ne dit plus rien. Je tentais de donner un ordre dans tout ça. Je ne sais pas combien de temps passa avant qu’il ne demande :
– Tu préfères renter en voiture ou que je te ramène ?
Là, sa question était bizarre, je relevais la tête.
– Je vais te révéler un secret de plus, je ne sais pas conduire. Alors, soit tu laisses ta voiture ici et je te porte pour rentrer, soit si tu n’es pas trop fatiguée, tu conduis pour nous ramener.
Il me fit une grimace penaude et j’éclatais de rire. Ho, bon sang que ce rire me fit du bien.
– Je ne le dirai à personne. Promis ! Sauf que je ne sais pas du tout où nous sommes, je me suis perdue.
– À dix minutes de la maison à peine je te guiderais.
Ok, j’avais donc tourné en rond et je n’étais pas allée loin. J’avais raté ma fuite, bravo, bien joué ! Note à moi-même faire des plans avant de fuir.
Une fois devant la maison, je me retrouvais dans des bras qui me serraient fort, à croire qu’il avait peur de me voir encore fuir. Il me faut avouer qu’une partie de moi y avait songé. La porte s’ouvrit sur une Théa livide et en pleurs, mon cœur se serra encore plus si c’était possible.
– C’est bon, je l’ai retrouvée et en un morceau
Le soupire que poussa Théa me fit me sentir mal, elle s’était vraiment inquiété. Je ne pus pas y réfléchir, j’étais déjà dans ma chambre où avec une infinie douceur il me posa sur mon lit.
– Tu veux boire ou manger quelque chose ?
– Un grand verre d’alcool, fort !
Je reçus un baiser sur le nez.
– Sale gamine, je reviens, je vais te chercher un de tes affreux cafés et de l’eau. Promets-moi de ne pas bouger.
Gamine ? Au fait, il avait quel âge ? Gamine possible du coup, je fis oui de la tête. Je n’avais de toute manière plus aucune force. Ma petite voix était toute triste à l’idée qu’il ne voyait en nous qu’une gamine et je me sentais réellement comme une gamine prise en faute. Papa inquiet de sa fifille qui avait fuguée, mais soulagé de l’avoir retrouvée et la mettant au lit, voilà l’impression qu’il me donnait.
Le café bu, il remonta les draps presque sous mon nez et me caressa encore les cheveux. Voilà, papa met sa petite fille au lit. J’avais envie de pleurer tellement cette impression me faisait sentir mal. Il resta là, attendant que je m’endorme tout en me chuchotant que j’étais ici chez moi et qu’il ferait tout pour que je m’y sente bien et en sécurité. J’avais envie de hurler merci papounet, mais je ne dis rien. La caresse de ses doigts dans mes cheveux était si douce que je m’endormis, épuisée.
C’est Théa qui me réveilla en fin de journée, je me sentais toujours fatiguée. Elle déposa sur mes genoux un plateau contenant deux tartines et une cafetière remplie à raz bord d’un breuvage noir qui sentait divinement bon.
– Je n’ai jamais connu quelqu’un qui boive autant de café. Je me suis dit qu’une tasse ne serait pas assez. Les tartines sont à la confiture de mûres, je n’ai pas trouvé celle aux myrtilles.
– Je l’ai finie, mais mûres, c’est bien aussi.
Ma voix était éraillée, ma gorge me faisait mal et même si je me sentais mieux, je redoutais le moment où il faudrait parler. Alors, je mangeais le plus lentement possible. Elle attendait que je finisse. J’en étais à ma quatrième tasse de café quand elle saisit le plateau.
– Je te laisse ton café et le temps de te lever. Après il faudra que l’on discute de cette horrible tendance que tu as à fuir.
Avant que je ne puisse lui répondre la porte se refermait sur elle. Et voilà, c’était ma faute. Ben voyons ! Et, puis la fuite, c’est bien. Moi j’aime bien.
Étrangement après ma crise de panique, je me sentais bien, fatiguée, épuisée, mais bien. En arrivant à la cuisine, je trouvais mon vampire et Théa, ils me scrutaient et j’allais faire demi-tour quand elle me prit dans ses bras en pleurant. Là, je me sentais coupable. Ah, flûte, je ne devrais pas, mais les larmes de Théa…
Je répondis à son étreinte. Bon, à première vue, mon amie avait eu peur.
– Mes côtes ne t’ont rien fait, lâchais-je.
– Tu nous as fait une sacrée peur, renifla Théa, alors tes côtes peuvent payer pour.
– Et si tu la laissais respirer ?
Je fus poussée dans le salon, assise sur le canapé à la même place qu’hier, sauf que là, en face de moi ils avaient l’air encore plus mal à l’aise.
– Bon, heu je commence, dit Théa.
– Attends, en premier, Sophie, je comprends, tu as dû faire face à quelque chose que, comment dire. Tu as dû accepter une réalité un peu différente. Je comprends ta réaction, mais je tiens à te prévenir que si tu fuis à nouveau…
Il ne lui manquait qu’une paire de lunettes et le doigt en l’air pour ressembler à monsieur Carron mon prof de math alors qu’il nous sermonnait. Stop, je devais me concentrer pour ne pas laisser mon esprit dériver.
– Je ne fuirais pas, il me fallait un peu de recul pour digérer et ma foi, paniquer un peu.
Ils levèrent les yeux au ciel.
– Bon d’accord, beaucoup. Mais, pour ma défense, j’ai été élevée dans la foi catholique et je ne suis pas croyante. Alors croire en…, en…, en ça…, en toi
Je levais les mains en signe de paix.
– Je veux dire que, enfin, c’est pas, non enfin, c’est beaucoup, enfin ça fait un choc, enfin non, pas un choc enfin, si.
Le retour des enfin en cascade, mais fermes là, Sophie, fermes là ! Je repris ma respiration, en soufflant un bon coup.
– Je veux bien croire que c’est vrai. J’ai des millions de questions, mais pour le moment, c’est le gros bordel dans ma tête. Je ne sais pas quelles révélations m’attendent encore et à vos têtes, il y en a. Je n’ai pas envie de tout entendre. Là, c’est déjà assez, je me sens déjà stupide. Vous vous rendez compte que pour moi, tu n’étais qu’un type agoraphobe avec quelques manières étrange et que je ne me suis pas posé plus de question. Une vraie idiote. Vous avez du bien rire.
Théa ne souriait pas, mais alors pas du tout et c’est avec un air presque sévère qu’elle me dit.
– Non, tu n’as pas été idiote, juste trop confiante et ne le prend pas comme un défaut. Pour moi, cette confiance n’a pas de prix. Écoute, je comprends que tout te dire d’un coup n’est pas la meilleure façon de faire. Même si ne plus avoir à te mentir serait pour moi, pour nous, une vraie délivrance. Alors, je te propose que tu prennes le temps de parler à Livius et à digérer déjà ce côté-là. Quand tu te sentiras prête viens me voir. Il n’y a aucune urgence, je tiens juste à tout te dire. Plus de mensonges ! Si je ne t’ai pas parlé avant, c’est par peur de te perdre, car je tiens beaucoup à toi. Quand on ne t’a pas trouvé hier, j’ai craint le pire. J’ai bien compris qu’il te fallait du temps, donc téléphone-moi quand tu veux. Promis ?
Je promettais, soulagée de ne pas avoir à faire face à plus ce soir. Elle partit avec timide au revoir. Je me retrouvais seule face à mon… face à un vampire. Que lui dire ? Plein de questions avaient tourné dans ma tête et là, je n’en trouvais pas une seule. Tout ce qui me venait me semblaient si stupide. Je ne trouvais rien à dire, je cherchais quand je m’entendis demander.
– Quand j’ai acheté la maison ai-je aussi acheté le vampire ?
Merde, je l’ai dit à voix haute. Moi qui faisais de l’ironie dans ma tête, pourquoi cette question-là justement. Mais quelle idiote, pauvre conne, tu n’avais rien de mieux à demander, franchement. Bravo Sophie, on sent que tu as bien pris le temps de réfléchir à ce qui était important de savoir. Non, parce que logique, il fallait commencer par…
Son rire interrompit mon autoflagellation. Il riait, à gorge déployée. Bon, au moins un qui était détendu lorsqu’il reprit son sérieux, il s’installa dans son fauteuil et en regardant le vide, il me dit :
– Je me suis réveillé pour trouver un mot sur un tableau noir. Je l’ai relu plusieurs fois. Je me suis demandé quel genre de créature pouvait croire aux fantômes. Par amusement, j’y ai répondu. Quelque temps plus tard, alors que je voulais te mettre dehors, je t’ai trouvé allongée sur ton lit de camp. Quand tu t’es retournée dans ton sommeil, tu avais une énorme bosse sur le front et un bleu que je voyais grandir. Tu semblais si fragile. Je me suis persuadé qu’après ça tu laisserais tomber. Tu es bien plus têtue que tu en l’air. Au fil des jours, je voyais ton travail et la maison renaître comme tu ne semblais pas troublée par mes notes j’ai pensé que tu savais que j’étais là. Et il y a eu cette nuit où je t’ai entendu tomber quand je suis sorti de la cave, tu convulsais.
Il fit un geste pour me faire taire alors que j’allais protester.
– Tu convulsais à ce moment-là. Il haussa les épaules en secouant la tête. Je ne sais pas pourquoi je t’ai fait boire de mon sang, juste un peu. Ajouta-t-il en me voyant grimacer. Je ne vais pas t’apprendre que le sang de vampire guérit.
– Ah, parce que c’est vrai ? Et, le reste ? Demandais-je.
– Attends, je répondrais à tout après. Laisse-moi finir que tu comprennes. Ensuite, il y a eu cette ordure qui s’en est pris à toi. C’est là que j’ai réalisé que je tenais à toi. Incroyable, je tenais à une humaine, maladroite, mal dans sa peau et terriblement naïve. Le comble pour un des miens, une vraie gageure. Impossible, me suis-je dit, mais si je suis honnête, je dois le reconnaître, je tiens à toi.
Je me renfrognais. Bon, d’accord il n’avait pas tout tort, mais pas besoin de le dire comme ça !
– Ne te vexe pas ! Dit-il en pointant un doigt vers moi. Tu ne vas pas me dire que tu ne l’es pas. Malgré cela, tu as éveillé le même sentiment chez Théa. Nous tenons à toi, une humaine.
Bon, il allait vraiment finir par me vexer. Il prononçait le mot humain comme moi, je dirais limace, avec un dégoût non feint.
– C’est bon, j’ai compris. Une humaine, idiote, maladroite et naïve. Sympa merci.
Il me souriait moqueur.
– Oui et à laquelle je tiens. Le jour où tu t’es fait agresser par ce connard. J’ai fini par comprendre que tu étais plus importante que je ne voulais l’admettre. Je pensais juste que je tenais à toi, car tu ramenais de la vie dans la mienne. C’est ce qui s’est passé ce jour-là qui m’a poussé à t’offrir le collier.
Je touchais le petit hibou en fronçant les sourcils.
– Pourquoi ? Il a quoi ce collier ?
Il y avait un truc qui allait me déplaire, parce qu’il passait sa main nerveusement dans ses cheveux et avait fermé les yeux. Ho, comme je ne la sentais pas la nouvelle révélation. Il me répondit enfin
– Il, enfin le hibou est mon emblème, je ne suis pas tout jeune, tu t’en doutes. C’était une tradition qui s’est perdue. Peu de jeune vampire choisissent un symbole. C’est surtout que… Ne te fâche pas d’accord. C’est juste un moyen d’indiquer…
Oui, d’indiquer quoi ? Mais bon sang accouche !
– Ton symbole autour de mon cou, ça veut dire quoi ?
Il prit une grande inspiration et lâcha :
– Il indique que tu m’appartiens aux autres vampires.
Ok bon. Là non, j’allais me mettre à hurler quand il continua très vite.
– Et pas qu’à eux, mais ce n’est pas ce que tu crois.
– Ouais et je crois quoi ? Demandais-je entre mes dents serrées.
– Théa l’a reconnu, tu t’en doutes.
– Oui et ?
– Elle n’est pas la seule.
Oh, mais j’allais le découper en morceau s’il ne finissait pas très vite son explication. Je bouillais de rage.
– C’est le moyen que j’ai trouvé pour te protéger, c’est tout !
– Me protéger de quoi ? Les vampires sortent la nuit et la nuit, je suis ici ou avec du monde.
– Pas que des vampires. Sophie, Théa n’est pas humaine et vit le jour et elle n’est pas la seule ici.
Bon, de ce point de vue-là, je pouvais comprendre, pas en être contente, mais comprendre. Même si cette explication pas franche me faisait sentir encore plus idiote qu’avant. Théa n’était pas humaine et qui d’autre ? Et, puis si c’était son symbole alors…
– Pourquoi m’as-tu dit que Carata ne l’avait jamais porté si c’est une protection ?
– Elle n’en avait pas besoin, elle était vampire.
La réponse avait fusé et je me sentis stupide d’avoir posé cette question et encore plus de la pointe de jalousie que j’avais ressenti en apprenant qu’il avait une compagne. Reviens à la réalité, déjà qu’elle n’est plus vraiment ce que tu connaissais, concentre-toi sur l’important.
– Et moi, j’en ai besoin, car je ne suis qu’une petite humaine idiote.
– Non, toi, tu en as besoin parce que je tiens à toi, toute humaine que tu sois.
Je haussais les épaules, agacée.
– Je peux toujours l’enlever !
Il fronça le nez et ses dents sortirent. Oups…
– Non, tu ne peux pas.
Il le dit dans un grognement et de rage, je glissais mes mains dans ma nuque pour ouvrir le collier. Sauf que je ne trouvais pas le fermoir. Mes yeux s’arrondirent alors que je le fixais.
– Vieille magie, dit-il.
Là, il avait l’air de ce qu’il était, loin de mon fantôme agoraphobe, il se rapprochait bien plus du prédateur. Je tremblais, il s’en aperçut et soupira.
– Écoute, je te l’enlèverai dans quelque temps, si tu y tiens. Il ne t’oblige à rien !
Donc bonne nouvelle, on pouvait l’enlever.
– Mais tu penses que j’en ai besoin, soufflais-je
Il ne répondit pas.
– Garde-le, le temps de trouver toute la vérité.
Ce n’était pas un ordre plus une demande. Je triturais le hibou. La pauvre humaine que j’étais, avait-elle besoin de protection ? Il semblerait bien que oui. De la sienne ? Et, contre qui ? D’autres vampires, des loups et quoi d’autres ? Je sentais la panique revenir. Il me fallut de longues minutes pour la calmer et pouvoir répondre.
– D’accord, pour le moment je le garde.
Un soupir de soulagement me répondit. Je continuais.
– Vampires, loup et quoi d’autre ?
Tant qu’à faire autant me foutre la trouille du siècle d’un coup, me soufflait mon énervante petite voix. Tant qu’à faire…
– Un peu de tout.
Ok, on n’allait pas loin avec une telle révélation. Un peu de tout donc…
– Théa est mieux placée que moi pour te répondre. Je ne sors plus assez.
Vu comme ça, il n’avait pas tort. Je demandais sans grand espoir.
– Et Théa est ?
– Une ondine, elle t’expliquera ce qu’elle est mieux que moi.
Je relevais la tête d’un coup, j’étais certaine qu’il ne répondrait pas.
– Plus de mensonges ! J’ai promis !
Bon, plus de mensonge et des réponses, allez Sophie pose tes questions. Courage, par où commencer ?
– Parle-moi des tiens ? Des vampires.
– Pas grand-chose à dire, on se nourrit du sang, pas forcément humain.
Là, j’étais intriguée.
– Nous avons besoin de sang, mais du sang reste du sang. Le goût change et celui des humains est meilleur. Je ne vais pas te mentir, il apporte plus d’énergie et calme notre faim plus longtemps, mais nous pouvons boire du sang animal. Nous vivons la nuit et dormons le jour, ça reste vrai.
– Pourquoi reste ?
– Nous ne brûlons pas comme une torche au soleil. Disons que c’est plus comme des coups de soleil qui nous affaiblissent, mais les plus vieux résistent à cette brûlure et peuvent passer plusieurs heures au soleil, toutefois nous préférons la nuit.
– Vous vivez très vieux ?
– Sans accident oui. Il y a peu des nôtres qui vivent des milliers d’années entre les morts violentes et une sorte de dépression, d’ennui qui fait que beaucoup se laissent mourir au bout d’un moment. Notre nombre reste assez stable. Le temps passant, l’immortalité perd de son attrait.
Il disait ça d’un ton si désabusé que je compris qu’il avait dû ressentir cet ennui.
– Tu es vieux à ce point ?
– Je suis vieux.
– Et moi une gamine, marmonnais-je. Tu as dit qu’ils se laissaient mourir ? Comment ?
– Contrairement aux idées reçues nous ne sommes pas des cadavres ambulants, c’est plus comme une mutation. Voilà pourquoi nous avons besoin de sang, il nous apporte vitamines et nutriments sans avoir à digérer. Je ne connais pas tout le processus, mais certains des nôtres sont devenus des experts. La plupart n’y songent même pas.
– Donc pour vous laisser mourir, vous ne vous nourrissez plus ?
– Tu as compris. Nous arrêtons de nous nourrir, c’est souvent la mort que choisissent les plus vieux. Le seul problème, c’est le temps que prend ce mode de suicide. Rester au soleil ou se faire tuer est bien plus simple, en cessant de manger, nous nous momifions petit à petit, mais restons conscient et vivant pendant ce temps.
Ma petite voix et moi n’avions pas envie d’en entendre plus, on était un peu dégoûtées. Il dut le sentir, car il se leva pour prendre mon visage dans ses mains. Au moment où il commença sa phrase des coups violents se firent entendre. Je sursautais lorsque la porte claqua contre le mur et où Ada folle furieuse déboulait dans le salon en hurlant :
– Lâchez-la !
Il m’embrassa le bout du nez avant de se redresser en disant.
– Tu voulais que ça aille doucement que tu puisses digérer les révélations les unes après les autres, désolé, je crains que tout sorte ce soir.
Ada interloquée nous regardait tour à tour en demandant.
– Qu’est-ce que ça veut dire ?
– Que Livius, ici présent m’a avoué être un vampire que Théa est une ondine et…
Je faisais un geste vague de la main. Ada avait blêmi.
– Alors tu sais que je suis une louve !
Ha ben non, ça pas, mais bon, allez je n’étais plus à ça prêt. Et, hop, une vérité de plus.
– Théa n’avait rien dit. Lui répondit Livius.
Je me levais sans plus faire attention au vampire moqueur et à la louve blême. Je fonçais sur le bar, en sortis une bouteille et en avala de grandes gorgées directement au goulot. Finalement, une gueule de bois me semblait aller dans le sens de cette nuit.
Ada me l’arracha des mains, me prit dans ses bras et gémit.
– Je voulais te le dire, mais je n’ai jamais trouvé le bon moment et puis c’est pas facile comme aveu.
– Suis plus à ça prêt, lui répondis-je.
– Et puis la vérité, c’est bien.
Oui, bien sûr, faut juste l’avaler. Elle renifla contre mon épaule et me lâcha. Je repris la bouteille et me rassis. Voilà quoi faire d’autre ? Qu’est-ce qui allait encore me tomber sur la tête ?
– Il y a quelqu’un en ville de normal ? Enfin d’humain à part moi ?
Ada secoua la tête, non
– Pas beaucoup et la plupart savent ce qui se passe. Et, il y a James, il est sorcier, c’est presque comme un humain.
À la bonne heure, je bossais pour l’être qui se rapprochait le plus d’un humain. Youpi, non, je ne suis pas sarcastique ! D’accord, un peu et pendant qu’on y est…
– Et les touristes ?
– Moitié-moitié, dit Ada.
Prévisible, allez une gorgée pour Sophie et une grosse.
– Au fait, qu’est-ce que tu fais là ?
– Je viens de rentrer et j’ai appris que tu étais malade. Je venais voir comment tu allais.
– Moi pas encore malade, demain oui, mais pas encore, marmonnais-je le nez dans ma bouteille.
Ma bouteille disparut, pouf, envolée. Je croisais le regard sévère du vampire-colocataire-protecteur et papa à ses heures. Je tentais de la rattraper, mais purée qu’il était rapide. Je ne demandais même pas son retour, à la bouteille pas au vieux truc et je filais m’en prendre une autre. Na ! Je fus soulevée sans ménagement et jetée sur le canapé. C’est pas drôle un vampire.
– Tu as assez bu. Tu vas avoir une belle gueule de bois demain.
– Bah, c’est mieux que de réfléchir, je peux fuir si c’est ça.
Ça grognait, pas que le truc à dent longue, Ada aussi, pas drôle.
J’étais assise et je boudais. C’était mon droit ! Je boudais si je voulais. Honnêtement, j’avais trop bu et la fatigue me tombait dessus. Tout me tomba dessus et je me mis à pleurer. Papa-vampire me souleva et me mit au lit en me grondant. Ada me fit un gros bisou sur le front et le lit se mit à tanguer dangereusement. Alcool et mer déchaînée ne sont pas un bon mélange. Je ne les loupais ni l’un ni l’autre quand je vomis. Bon, tire ! Hurla ma petite voix dans ma tête. Après tout devint flou.
Dire que j’avais la gueule de bois était bien en dessous de ce que je ressentais. Je n’arrivais à me lever qu’au troisième essai. Il me fallait d’urgence un café et un cachet. Oh, surprise, je trouvais à la cuisine Ada et Théa assises sagement qui devaient attendre que ma majesté se lève. Enfin, majesté des poubelles serait plus juste, vu comment je me sentais.
Une tasse apparu son mon nez et une main charitable me tendit un cachet. Ouf, sauvée ! Je tombais plus que je m’asseyais. Deux bouchent grimaçaient un sourire en face de moi, elles ne dirent rien me laissant retrouver le peu de dignité qu’il me restait. Théa fut la première à se lâcher.
– Il semblerait que tu aies un moyen de défense efficace !
Ses yeux pétillaient et elle faisait de gros effort pour se retenir de rire. Ada avait l’air moins joyeuse.
– La petite humaine fait ce qu’elle peut.
– Et ça marche, fit-elle dans un éclat de rire, en tout cas ça a marqué !
Son rire raisonnait dans ma tête. Mince, j’allais passer une journée de merde. Je frottais mes yeux sous le regard goguenard d’Ada.
– Vas-y moque-toi !
– Même pas, tu es assez punie et c’est en partie notre faute, tu as beaucoup à digérer.
Elle était super sérieuse alors que l’autre était rayonnante.
– Et si on passait une fin de journée tranquille, sans rien de…
– Il va falloir parler, grimaça Ada.
– On parlera…
Mais, pas aujourd’hui, ni demain. J’allais tout faire pour.
Chapitre 13
Je pris encore deux jours de repos, refusant toutes discussions avec mes amies. J’en avais assez à digérer et toute information complémentaire n’était pas la bienvenue. Je voulais retrouver mon calme et ma petite vie.
Rappelez-vous je suis venue ici pour recommencer une vie tranquille loin des drames ! Pas pour ce bordel sans nom.
Mon retour à la librairie fut un vrai bonheur, retour à la normal me disais-je. Bon, pas tout à fait, je regardais les habitants différemment, ce que j’avais mis dans les différences entre l’Europe et les USA, se transformait en différence entre humain et, et quoi d’ailleurs ? Une partie de moi refusait de savoir, l’autre tentait de deviner.
J’étais mal dans ma peau et Théa me rendait folle. Son besoin de tout me révéler, alors qu’elle avait promis d’attendre, la rendait nerveuse, explosive même. Autant Ada était devenue calme et attentive à ne pas me mettre mal à l’aise, autant Théa ressemblait à une boule magique qui rebondissait partout. Quant à papa-vampire, lui restait sombre, discret et horriblement paternel.
Je me raccrochais à mes habitudes. Tout va bien dans le meilleur des mondes ! Viendrait le temps où je devrais ouvrir un peu plus la porte de cette nouvelle vie, pour le moment je m’accrochais comme je pouvais. Vous pouvez en penser ce que vous voulez, tout ce que je voulais, c’était rester dans l’ignorance, encore un peu.
C’est le dimanche que je compris qu’il n’y aurait pas de retour possible et que tout avait bel et bien changé. Lorsque j’arrivais chez Suzanne et qu’au lieu d’être accueillis par toute une troupe, je me retrouvais seule avec Ada. Suzanne me prit dans ses bras, me collant au passage ces habituelles énormes bises, puis me serrant toujours contre elle, elle me dit :
– Je suis tellement heureuse que tu sois restée. La plupart des humains fuient quand ils nous découvrent alors pour te laisser un peu respirer, Judicaël a décidé que tu n’avais pas besoin d’entendre plus et que nous reprendrions les repas une fois que tu te sentiras vraiment à l’aise.
À ce que je comprenais, on me chouchoutait encore plus. Je n’avais pas super bien réagi, alors on me laissait un peu d’air, mais j’étais toujours là et pour mes amis, ça faisait toute la différence. De l’air, j’allais en avoir besoin et de beaucoup…
Un jour monsieur Andersen décida qu’il était temps pour moi d’arrêter de faire l’autruche. Il posa devant mon nez un livre duquel dépassait des marques pages.
– J’ai indiqué les noms de tes connaissances et leurs clans. Je pense qu’il est temps pour toi, d’arrêter de te cacher.
Ben, non, je trouvais mon attitude plutôt agréable, ne pas se prendre la tête, ne rien vouloir savoir, rester zen et tranquille. Je ne vois rien, je ne sais rien, mon nouveau mantra ! Qui ne semblait ne convenir qu’à moi.
– Au moins fait le pour Théa ! Elle va devenir folle si elle doit encore se taire.
Là, il n’avait pas tort, elle virait sur les nerfs. Elle allait finir par exploser et me coincer pour tout me dire d’un coup. Je me massais les tempes en soupirant. Ils allaient tous me rendre dingue à force.
– Allez le plus dur est fait. Tu as accepté que le monde n’est pas tel que tu le pensais, le reste n’est que des détails, ne joue pas à la gamine.
Oulà, il m’avait vexée. Déjà que tout le monde me maternait, lui hors de question ! Je relevais la tête et il me fit un clin d’œil. Il savait qu’il avait tapé juste !
– Leur vie est bien plus longue que la nôtre, nous ne sommes que des enfants pour eux.
Vu l’âge de mon patron, je ne devais même pas être sortie du berceau. Je fis oui de la tête, mais plutôt que de découvrir dans un livre la vérité, j’envoyais un message à Théa pour l’inviter à la maison.
Elle n’était pas survoltée en arrivant, c’était bien pire. Nous avons parlé une bonne partie de la nuit. Elle est une ondine, ça je le savais, particularité de son clan dont, heureusement, elle est la seule représentante ici, noyer gaiement les jeunes filles. Si, si elle a dit gaiement !
Elle me précisa à plusieurs reprises que moi, elle n’avait pas envie de me noyer, une chance pour moi, un vrai coup de bol ! Ça expliquait ses nombreuses remarques sur le fait que j’étais sa première amie femme, souffla ma petite voix.
Au fil de la soirée, je me rendis compte que c’était surtout de me dire qu’elle ne me voulait pas de mal qui lui tenait à cœur, puisqu’elle ne répondait pas à la moitié de mes questions dont une qui me titillait : son âge.
– Je suis plus vieille que j’en ai l’air et pour te donner une idée, je suis presque aussi vieille que LUI Oui, parce que depuis la révélation de la nature de mon colocataire, elle en parlait en disant LUI.
Je ne savais pas trop quoi penser. Oh, j’étais heureuse de n’avoir provoqué aucune envie de meurtre chez mon amie, mais avoir une tueuse comme amie, est-ce bien raisonnable ?
Je compris l’importance de cette révélation quand, alors qu’elle me redisait combien elle était contente de ne pas avoir envie de me noyer, papa aux dents longues fit son apparition. Il avait entendu la fin de la conversation et fixait Théa les sourcils froncés.
– Pas envie ? Tu veux dire que tu te contrôles ?
– Mais non, explosa-t-elle, pas envie ! L’idée ne m’a même pas traversé la tête ! Au début, je me suis dit que je l’aimais bien et que l’envie me prendrait plus tard. C’est déjà arrivé et puis une humaine de plus ou de moins. Mais, non, rien n’est venu même pas quand nous nous sommes baignées ensemble !
J’appris une nouvelle chose : un vampire, ça peut blêmir
– Baignées ensemble ?
Il avait la voix aussi blanche que le teint.
– Oui, tu te rends compte. Même pas là !
– Sophie, on ne se baigne pas avec une ondine !
– Mais si elle peut avec moi, insista Théa. Et j’adore ça !
Elle était à nouveau montée sur ressort et sautillait de joie devant un Livius transformé en statue. Je fis une mini crise de panique quand j’assimilais qu’une ondine, une humaine et une baignade…
Ha, non, c’était pas une bonne idée. Puis ma petite voix se mit à se marrer, un peu tard pour s’en inquiéter. Mouais, elle n’avait pas tort. La statue blanchounette debout devant Théa due en conclure la même chose et se remit à parler.
– Et comment tu expliques ça ? Tu as perdu ton besoin de tuer ?
– Oh non, je dois éviter de trop traîner avec Ada, si Sophie n’est pas là, je suis tentée. Je dois vraiment faire attention parce que les loups, c’est pas comme les vampires, ça ne ressort pas de l’eau quand on les noie et je ne pense pas que Sophie me le pardonne, alors je gère.
Elle finit sa phrase en baissant la tête alors que lui levait les yeux au ciel. Pensez à prévenir Ada de ne pas traîner avec l’autre folle dingue. Quoi qu’elle dût être au courant ainsi que toute la ville ; ce qui expliquait les regards de travers de Suzanne…
La tueuse rousse se tourna vers moi.
– C’est ma nature, je lutte contre mais c’est ma nature et en ville, on me craint un peu, je me suis laissé emporter parfois. La ville borde le lac alors… Toi, tu ne risques rien, je te le promets ! Jamais je ne te ferais de mal !
Elle avait les yeux suppliants. Elle se tenait debout devant moi. Je crois qu’elle venait de se rendre compte de ce que je pouvais ressentir. Théa était une tueuse, mon colocataire probablement aussi. Mais, qu’est-ce que je foutais là au milieu ? Je lorgnais du côté du bar quand un non, sec fusa. Mince repérée, il ne m’avait pas vraiment pardonné de lui avoir vomi dessus. Ma petite voix se marrait au souvenir et Théa le regarda, étonnée.
– Ton amie ne supporte pas bien l’alcool. Dit-il. Demande à Ada !
Oui, bon une fois, juste une où j’ai un peu abusé faut pas non plus en faire un drame.
– J’avais de bonnes raisons. Fis-je en levant le menton.
Théa se marra, lui pas. Je souris. Sale gamine disait les yeux noirs, ceux de Théa passaient de l’un à l’autre, elle se retenait de commenter, c’était visible.
J’en rajoutais, j’en étais consciente, mais que pouvais-je faire d’autre ? Comme j’étais bien décidée à ne pas me rendre malade des révélations qui me tombaient dessus, énerver papa-vampire m’offrait une diversion. Je lui tirais donc la langue et proposait à Théa une fin de soirée plus tranquille devant la télévision.
Pour faire râler mon copropriétaire, je proposais Buffy. Théa ne connaissant pas, elle fut un amour d’amie en disant oui, malgré le commentaire désagréable qui tomba du fauteuil et elle fut encore plus une alliée quand elle trouva Angel super sexy et se mit à baver dessus au grand dam du vrai vampire du coin.
Et ce fut ma vie. Faire enrager le vieux vampire pas drôle, voir Théa rire de toutes ses dents, rayonnante et profiter du calme relatif d’Ada. Et oui, à côté de la bombe rousse, ma grande brune semblait calme, c’est dire. Je profitais de chaque instant où nous n’étions que tous les deux, Théa prenant de plus en plus de place. Ada comprenait et trouvait drôle de me voir suivie par une ombre rousse qui regardait presque tout le monde de travers, enfin tous ceux qui m’approchaient. Je le supportais sans peine, j’avais compris que l’amitié d’Ada et de Théa m’avait évité bien des ennuis. Depuis l’été, le collier visible à mon cou complétait mes gardes du corps.
À mon arrivée, on me regardait de travers, car j’étais nouvelle, aujourd’hui on me regardait de travers à cause de mes fréquentations. Rien ne changeait vraiment et ça me convenait parfaitement !
Je posais peu de question, le livre de monsieur Andersen trônait sur ma table de nuit, mais je ne l’avais pas ouvert, je ne me sentais pas prête à franchir une nouvelle étape.
Je finis par éviter mon vampire, me conduire comme une idiote pour le faire râler avait perdu de son charme. Je redoutais l’arrivée de l’hiver et de ses longues nuits où il serait plus difficile de ne faire que le croiser. Mon comportement avec lui posait problème à Ada mais faisait marrer Théa. Je n’y pouvais rien, me faire traiter de gamine ne me donnait que l’envie d’en être une.
L’été s’étira, rempli de sortie entre fille, de repas en petit comité et de rien de neuf en fait. J’arrivais presque, à occulter les révélations.
C’est l’arrivée de l’automne qui provoqua chez moi une réaction, mais pas celle que tout le monde attendait. Plus la date de la fête de la ville approchait, plus je montais sur les nerfs ne supportant plus rien. Je refusais toute sortie et passais mes soirées enfermées dans ma chambre. Je revivais mon agression presque chaque nuit, provoquant l’arrivée en mode ouragan d’un papa-vampire inquiet et consolant. Moi qui pensais avoir bien géré…
La date se rapprochant, Ada était venue m’assurer que rien ne m’arriverait, que je ne serais jamais seule, qu’elle ne me lâcherait pas de la journée, ni de la soirée et pour une fois Théa était silencieuse, elle devait toujours s’en vouloir.
Le jour dit, je ne fus effectivement pas une minute seule, Suzanne tint le stand de tarte avec moi, ce qui nous prit la journée. Ada passait régulièrement voir comment je me sentais et Théa avait installé son stand en face des tartes. J’étais sous haute surveillance. Néanmoins, je voyais David partout. Je me décidais à demander à Suzanne si elle savait où il était.
– Non, personne ne l’a vu partir de la ville. Vu ce qu’il t’a fait, personne n’a pris la peine d’aller le voir à la clinique.
Elle renifla méprisante et ne dit rien de plus. Plus tard dans la journée, je reposais la question à Ada.
– Il a été banni, je pensais que tu le savais, David avait passé outre les ordres de Judicaël, notre chef de clan. On ne pardonne pas la désobéissance.
– Les ordres ?
– Tu as la protection de Suzanne, elle t’adore et ce que Suzanne veut…
Et, hop, encore un garde du corps, mais combien en avais-je ? Je soupirais, le savoir banni et hors de la ville ne calma pas vraiment mon angoisse. La ville accueillait plein de touristes en cette période, il pouvait se glisser parmi eux. Mais au moins, il ne se montrerait pas devant Ada. Plus l’heure du feu d’artifice approchait, plus je paniquais.
Théa avait tenu à s’installer sur le même banc, pour exorciser, avait-elle dit. Ça ne marchait pas. Franchement, je n’arrivais ni à me détendre, ni à profiter des feux. Je me dandinais sans cesse sur le banc, c’est là qu’elle murmura à mon oreille.
– Je t’assure qu’il ne reviendra plus.
Sa voix était sèche et assurée. D’un coup deux fils dans mon cerveau se connectèrent et je la fixais.
– Quoi ? Il s’en était pris à toi et je n’avais tué personne depuis un moment alors lui…
Elle haussa les épaules et se remit à manger sa glace. Ben oui quoi, semblait-elle dire, je suis ce que je suis et lui ne méritait rien de mieux, que du normal. Je ne sais pas comment expliquer ce que j’ai ressenti. C’était un mélange de soulagement et d’ahurissement, un peu de peur aussi de la voir si calme. Elle avait tué un méchant qui selon elle le méritait amplement et puis ça lui avait fait du bien de se lâcher un peu. On allait pas en faire une maladie. Si un peu quand même, un peu beaucoup même. Non ?
– Tu l’as eu avant nous, s’étonna Ada. Tu as été rapide !
Ha ben non, Stop une minute hein ? Quoi ?
– Je ne voulais pas vous le laisser, s’excusa Théa.
Ben voyons, tout est normal !
– Je te comprends, répondit Ada.
Ben pas moi, je les écoutais l’air complètement effaré et j’assimilais que mes amies ne collaient pas vraiment avec l’image que j’avais eu d’elles. Normal, tout est normal… Mouais non, rien n’est normal. Je me pinçais l’arête du nez.
– Allez, ne prend pas les choses comme ça. Au moins tu es tranquille, il ne reviendra pas.
– Et personne n’osera plus t’approcher, ricana Ada.
– Comment ça plus personne n’osera m’approcher ? Couinais-je.
Ada désigna la petite rousse qui regardait sa glace comme si elle était l’objet le plus important au monde.
– Disons que notre amie a sa petite réputation, mais elle ne s’était jamais prise à un loup, on est plutôt coriace.
– Et ? Demandais-je effarée.
– Et quand sa réaction, on dira ça comme ça, sera su même les loups éviteront de se la mettre à dos.
Je fixais incrédule la petite rousse qui se la jouait timide sauf que dans ses yeux luisait une lueur de fierté non dissimulée. Rappelle-toi Sophie, tout est normal.
– Elle ne risque pas d’ennui ?
– Notre justice est un peu plus expéditive que la vôtre, expliqua Ada en haussant les épaules.
– Oui, juste un peu plus.
– Ce que tu dois comprendre, reprit Ada, c’est que nous ne sommes pas de gentils nounours. Nos règles sont strictes et la mort fait partie de notre nature.
– Si nous vivons plus ou moins en paix, c’est parce que nous ne laissons rien passer. Continua Théa, nos guerres ne sont pas si lointaines.
– Donc si je résume, David a désobéi à un ordre de son chef de clan et méritait la mort pour ça ?
– Oh non, fit Théa. Il méritait la mort parce qu’il s’en était pris à toi et que j’avais été clair, tu es mon amie.
Je fermais les yeux un instant. Elle disait ça si calmement.
– Il avait été banni pour avoir désobéi ce qui a permis à Théa de te faire justice sans crainte de représailles des loups.
Ben voyons, soyons clair, on ne tue pas n’importe comment ! Au secours !
– Et s’il n’avait pas été banni ?
– Je ne risquais rien, je sais faire disparaître les preuves.
Elle disait ça avec un mouvement négligeant de la main et un haussement d’épaule.
– Les règles des autres clans, je m’en fiche.
Et, c’était clairement ce qu’elle pensait, pas le moindre remords, pas la moindre émotion. Il le méritait et que les autres soient ou pas d’accord, elle s’en moquait totalement. Ma petite voix me souffla que finalement, il valait mieux avoir une psychopathe comme amie et protectrice que de figurer à son tableau de chasse. Mouais, vu comme ça, en effet.
On ne parla plus jamais de David. Je pus constater que la nouvelle du jugement de Théa était connue par le discret, mais réel vide qui s’était fait autour de moi.
Nous évitions de parler de meurtre commis par l’une ou l’autre de mes amies. Parce que oui, je les considérais toujours comme mes amies et je ne me sentais pas mal à l’aise en leur présence, ce qui restait incroyable pour une partie de moi, enfin, tant qu’elles évitaient de parler de chasse, noyade ou autres habitudes de leurs clans. Là, j’avoue que mon côté petite humaine fragile ressortait. Elles se taisaient net dès que je me mettais à grimacer. Elles étaient adorables avec moi.
J’avoue que je supportais bien mieux leur protection que celle du truc à dent longue à la maison. Lui me rendait folle, si à chaque cauchemar il débarquait dans ma chambre pour me rassurer, il se montrait si distant le reste du temps que je n’arrivais plus trop à le cerner.
J’avais fini par demander à Théa ce qu’elle en pensait, elle tapota mon collier et me dit :
– Il tient beaucoup plus à toi qu’il ne veut l’admettre et tu es si jeune. Là-dessus, on se ressemble, lui et moi. L’idée de te survivre n’est pas des plus agréables. C’est pour cela qu’il se protège, moi, au contraire, j’ai décidé d’en profiter à fond.
Et elle me claqua deux bisous sur la joue. Franchement, je fus surprise qu’elle ne les pince pas. J’allais finir par me promener avec un biberon avec ces deux-là.
Noël me prouva qu’elle avait raison. J’avais refusé de me rendre chez Suzanne pour le passer tranquillement à la maison avec Théa. Ada et son oncle avaient choisi de se joindre à nous et avaient embarqué monsieur Andersen. Après le repas, Théa alla déterrer Livius qui finit la soirée avec nous, gros effort de sa part, pour me faire plaisir avait-il grommelé. Mon petit monde se limitait à moins de dix personnes. C’était amplement suffisant ! Surtout quand on connaît les personnes.
Pour nouvel an par contre, je fus traînée par deux furies dans la ville voisine. Une nouvelle boîte avait ouvert et elles voulaient y passer la soirée. C’est en traînant les pieds que j’y allais, poussée par les deux folles. Alors que mes amies se déhanchaient, j’incrustais la forme de mes fesses sur un siège du bar.
La soirée allait être longue cependant elles ne me lâchaient pas des yeux et venaient régulièrement s’assurer que j’allais bien et n’avais besoin de rien. Partir n’étant pas une option, je noyais cette envie sans grande conviction dans les cocktails. À chaque fois qu’on m’approchait, hommes ou femmes, je voyais rappliquer en vitesse non pas une mais mes deux gardes du corps. Du coup je discutais avec le barman qui, intrigué par le comportement des deux dingues, m’avait posé des questions. Il compatissait, mais trouvait la situation hilarante, pas moi. La soirée n’en finissait pas. Je sais qu’elles n’avaient que de bonnes intentions, mais, franchement, si je n’avais pas autant bu, j’aurais piqué la voiture pour rentrer.
Aux douze coups de minuit mes joues furent mal menées par les deux cinglées et alors que mon voisin de bar se tournait vers moi pour m’embrasser comme tout le monde. le barman tendit la main pour l’en empêcher sans que je comprenne pourquoi. Son geste n’avait pas été assez rapide et l’homme qui m’avait à peine touché le bras, hurla et regarda sa main d’un air étonné. Elle était recouverte de cloques. Je restais figée en la regardant et j’hallucinais, les cloques guérissaient rapidement puis je levais les yeux vers l’homme qui semblait aussi perdu que moi et je constatais que ses canines étaient sorties. Mon voisin de bar était un vampire. Je ne pus pas réfléchir plus longtemps.
– Voilà qui est intéressant, dit une voix derrière moi. Il y a longtemps que je n’en avais pas vu.
Je me retournais surprise. En face de moi, se trouvait un homme d’une cinquantaine d’années, grand, mince, les cheveux aussi noirs que ceux de Livius et des yeux d’un bleu profond.
– Vous permettez que je regarde de plus près ?
Il montrait mon pendentif du doigt avant que je puisse répondre mes deux gardes du corps réapparaissaient. Il leva les mains et sans se démonter dit :
– Allons, on se calme ! Geraldo Conti, se présenta-t-il, je suis le propriétaire, je suis bien intrigué par la présence d’une humaine accompagnée d’une louve et d’une ondine dans mon repaire. Si nous allions au calme ? Je suis dévoré de curiosité.
Il leur fit un clin d’œil et me fit signe de la main de le suivre. Là, j’avoue, je n’ai pas tout compris quand Ada siffla d’admiration et que Théa se mit à glousser. C’est qui lui ? Et entendre glousser Théa était, comment dire, tellement incongru que j’en restais sans voix. Je me levais un peu mal à l’aise et alors que mes deux amies me poussaient, je traînais des pieds en suivant le curieux qui nous mena dans une alcôve un peu à l’écart, commanda du champagne et resta un long moment à fixer mon collier.
– Alors comment une humaine a-t-elle pu finir dans un bar ouvert pour les autres espèces ?
J’indiquais du doigt les deux nanas qui m’accompagnait.
– Je vois et avec de telles accompagnatrices, vous ne risquiez pas grand-chose, encore plus avec ceci.
Il pointait un doigt vers le pendentif.
– Je suis heureux de savoir que Livius est sorti de sa quarantaine. Comment va ce vieil emmerdeur ?
Ses yeux avaient quitté le hibou pour se planter dans les miens et milles questions semblaient y tourner.
– Égal à lui-même, répondit à ma place Théa. Rigide, têtu et associable.
Il se tourna vers elle, mais pointa un doigt sur moi.
– Et comment expliques-tu ceci ?
Elle haussa les épaules.
– Disons qu’avec Sophie les choses ne s’expliquent pas vraiment.
– C’est peu dire, compléta Ada.
Un long moment passa, lui réfléchissait à ce qui venait d’être dit. Ada et Théa sirotaient tranquillement leur champagne et moi, comme d’habitude, je nageais. Rien de neuf, je le reconnais. Un jour, j’arriverai peut-être à ne pas me sentir complètement larguée. Bha non, je n’y croyais même pas.
– Ce qui m’étonne le plus après le collier, c’est votre comportement à toutes les deux. Mon barman m’a signalé que vous étiez arrivées toutes trois ensembles et que vous deux, ne lâchiez pas des yeux cette demoiselle.
– C’est une amie, firent-elles en cœur.
Là, je dois dire que sa tête faillit me faire éclater de rire. Pour une fois, je n’étais pas la seule complètement larguée.
– Comme je te l’ai déjà dit, avec Sophie les choses ne s’expliquent pas vraiment.
Le sourire de Théa était moqueur et se tournant vers moi elle compléta.
– Mais on aime ça, c’est différent.
Mouais était-ce moi qui étais différente ou elles ? La question se posait non ? En tout cas pour moi, elles l’étaient. Ils étaient tous étranges et différents et les deux rayons laser qui sortaient des yeux de notre hôte et qui me passaient au crible pour comprendre, me le prouvait.
Je voyais bien qu’il n’arrivait pas à comprendre ce que j’avais de spécial, comme moi non plus, je ne voyais pas, je me contentais de siroter doucement, très doucement mon verre. Ces longues pauses silencieuses ne semblaient pas déranger mes amies, pour moi, c’était un supplice tant j’étais fixée.
Il fit claquer sa langue et finit par rompre ce silence.
– D’accord, je ne comprends pas, mais d’accord, elle ne peut être qu’unique pour avoir de tels protecteurs. Il faut m’en dire plus Théa, j’y tiens.
Théa fit un oui de la tête et en haussant les épaules lui répondit :
– Si je comprends, je t’expliquerais. Pour le moment fait comme tout le monde, prends les choses comme elles viennent.
Ok, je n’étais pas la seule à ne rien comprendre et si elle venait de le dire calmement, lui semblait avoir pris la foudre sur la tête. Je levais mon verre et dit :
– Bienvenue au club de ceux qui ne comprennent rien, contente de ne pas être la seule.
Là, j’eus trois regards sur moi, je haussais les épaules.
– Ben quoi ? Ça fait un moment que je ne cherche plus à comprendre. Moi, je nage depuis mon arrivée ici.
Ada me sourit.
– C’est vrai, mais pour nous, c’est une première alors que…
Elle se tut net.
– Alors que pour la petite humaine que je suis, c’est normal d’être larguée. Complétais-je amer.
Et hop, re long silence, c’est cool, on avançait bien, c’était constructif. Non, je ne suis pas sarcastique ! Ma petite voix, elle, oui. Elle se bidonnait de voir à quel point j’intriguais et se réjouissait que je mette un peu de bordel. Une sale bête cette petite voix.
Je fus prise d’un bâillement phénoménal, trop calme pour moi cette fin de soirée, et j’avais encore trop bu. Je pensais que la discussion à peine entamée allait reprendre, mais le type là, le Geraldo me sourit en me tendant une carte.
– Vous êtes fatiguée, il est temps de rentrer. Donnez ça à Livius et dites-lui que je passerais le voir. Où puis-je le joindre ?
Alors là, bonne question, je grimaçais mon ignorance, regarda mes amies qui semblaient aussi ignorantes que moi et finit par lui dire d’attendre l’appel de l’asocial. Ada se levait déjà comme si elle n’avait attendu que le droit de me ramener. Théa faisait de même quand il me dit.
– Dites-lui bien que je suis heureux pour lui.
Mouais, heureux, pourquoi ? Allez encore une question dont je n’aurais pas de réponse. Je tentais d’en obtenir durant le trajet de retour, mais la seule réponse que je reçus de Théa fut de le lui demander directement.
Mes gardes du corps me posèrent à 10 cm de ma porte et attendirent que je sois dedans avant de repartir. La raison ? Il n’y avait pas de lumière à notre arrivée mon papa-vampire devait être absent. Ne voulant pas oublier de lui transmettre ce message énigmatique, je collais la carte sur le tableau noir et laissais un mot. Contente de moi, j’allais cuver mes cocktails au fond de mon lit. Hum, bonheur !
Chapitre 14
Bonheur qui ne dura qu’un instant quand un orage entra dans ma chambre. Je m’envolais du lit, tirée de là, d’une main ferme par un vampire en rogne qui me criait dessus. Oulà, ma pauvre tête, j’ouvris les yeux très doucement, regardais le pénible d’un regard flou et secouant la tête pour en chasser la brume, je demandais :
– quèquia ?
Il arrêta de hurler, bon point ! Il soupira et me traîna à la cuisine où il me fit un café. Oh, la bonne idée. Il restait debout, raide en face de moi et dardait ses yeux sur moi. Le café bu, je redemandais :
– Qu’est-ce qu’il y a ?
– Qu’est-ce que ça veut dire ?
Il me tendait la carte de l’autre là.
– J’ai pas noté ?
– Oui, mais je veux une explication.
– Je suis sortie avec Ada et Théa pour aller fêter nouvel an en boîte, un type s’est brûlé en me touchant et ce type est venu pour me parler.
J’avais débité le tout d’une voix monotone, pas vraiment certaine de ce qu’il voulait savoir.
– Que voulait le type qui s’est brûlé ?
– Me faire une bise pour nouvel an.
Ne pas faire de longue phrase, être précise pour pouvoir retourner mourir au fond de mon lit le plus vite possible.
– Et lui ? Demanda-t-il en me montrant la carte.
– Prendre de tes nouvelles et comprendre ce que je faisais avec elles.
– Avec qui ?
– Ben, avec qui ? Ada et Théa qui d’autre ?
Pour sortir avec quelqu’un d’autre, il faudrait déjà que ces deux-là me lâchent un peu ou soient mortes, personne n’oserait m’inviter tant qu’elles étaient aussi présentes.
– Qu’as-tu répondu ?
– Rien, c’est Théa et Ada qui ont parlé. Au fait, pourquoi l’autre type s’est brûlé ? Je n’ai pas eu de réponse.
– Il n’avait pas à te toucher. Elles ont dit quoi exactement ?
– Que j’étais bizarre.
En résumé, c’est bien ce qu’elles avaient dit, non ?
– Elles ont dit quoi ?
Il était furieux, enfin ce n’était plus la même colère. Il me fixait outré alors que celle qui aurait dû se vexer, c’était moi.
– Elles ont dit qu’avec moi les choses ne s’expliquaient pas. C’est comme ça qu’elles l’ont formulé.
Il s’assit en face de moi. Il était plus calme et opinait de la tête.
– C’est une bonne manière de le dire, c’est juste.
– Je sais que mon amitié avec une ondine est particulière, mais je ne vois pas en quoi les autres sont concernés, pas par mon amitié, mais en quoi je suis différente pour les autres. Soupirais-je.
Il se mit à me caresser la joue, sans rien répondre, encore. Il posa la carte sur la table.
– Et lui, il a dit quoi ?
– Il m’a dit de te dire qu’il passerait te voir et qu’il était heureux pour toi, mais il n’a pas dit pourquoi.
– Pourrais-tu l’appeler pour moi ?
– Pour lui dire quoi ?
– Pour me le passer au téléphone, je n’en ai pas, je te rappelle.
Voilà encore une bataille qu’il me faudrait mener, voiture, téléphone, ordinateur étaient pour lui des objets dont il ne voulait pas et que surtout il ne comprenait pas. De mon point de vue, le pratique de tout ça était bien plus important que son refus. Il allait apprendre à s’en servir, parole de Sophie.
– Maintenant ?
– C’est un des miens, il ne dort pas encore.
Oh surprise, je ne l’aurai jamais deviné. Prends-moi pour plus cruche que je ne le suis et tu verras combien tu vas me le payer. Je plissais les yeux, piquée au vif.
– Ne fais pas cette tête, je ne me moquais pas, appelle-le !
– Oui, chef, à vos ordres chef !
Il grogna, une sale gamine entre ses dents alors que je composais le numéro. Je n’attendis pas que l’autre réponde, je lui filais l’appareil en mode haut-parleur dans les mains et lui dit :
– Je vous laisse entre adulte et la sale gamine va se coucher.
Je le plantais là pour retourner tout oublier au fond de mon lit pendant environ dix minutes. Il avait appuyé sur il ne savait pas quoi et avait coupé le micro. Vingt minutes plus tard, il coupa l’appelle sans le vouloir et ne savait pas comment rappeler. Au troisième réveil, je le haïssais et j’avais la preuve qu’il était urgent de lui acheter un téléphone. Je dormais le nez à moitié dans une tasse de café quand, enfin, la conversation se termina. Pour ma défense, il était six heures du matin, j’avais une nuit blanche derrière moi, je n’avais rien compris de ce qu’ils disaient et aucun café au monde aurait pu lutter contre ma fatigue.
C’est une main toute douce qui se posant sur ma joue me réveilla. Je râlais un laisse-moi dormir, puis je fus transportée dans mon lit où un baiser sur le front plus tard, je me retrouvais seule et où je ne dormis plus, normal. Ma petite voix passait en revue la soirée et la nuit, elle voulait absolument me montrer qu’il s’était passé quelque chose d’important. Heureusement, la dose de cocktail et de champagne avalé eu raison d’elle. Je pouvais enfin dormir et ne penser à rien, puisque de toute manière, je n’aurais aucune réponse à mes questionnements.
Les fêtes disparurent dans le lointain et au cours du mois de février, les repas entre filles reprirent,. Francis et monsieur Andersen s’étaient tout naturellement invités, nous avions déplacés nos repas, du mercredi midi au mardi soir ce qui nous permettait de profiter de plus de temps. Livius faisait des apparitions, mais ne comprenait pas ce rituel.
Au cours du printemps, Suzanne et Judicaël vinrent par moments grossirent les rangs. Mona, vous vous souvenez ? Mais, si, la patronne de l’hôtel, invitée par Théa fini par s’incruster. Non, c’est pas gentil, elle est adorable, elle avait trouvé l’ambiance tellement sympa qu’elle nous rejoint avec plaisir. Les soirées du mardi soir, choisi je l’avoue pour mon amour d’Agatha Christie, cherchez, vous comprendrez, étaient pleines de rires. Je savais que j’étais de loin la plus jeune et que mes invités étaient tous, différents, dirons-nous, mais l’ambiance générale était à la plaisanterie. Nous riions beaucoup, mangions trop et sous le contrôle de tout le monde, je buvais peu, sans commentaire.
Alors que j’écoutais Francis se plaindre de sa tante, on frappa à la porte et j’y découvris Monsieur Geraldo Conti, Conti pour les amis, m’avait-il, précisé. Invité par Livius à passer, mais pas prévenu de l’assemblée disparate qui traînait par là le mardi. Je l’entendis murmurer alors qu’il saluait mes invités.
– Ondine, loups, sorcier, fée et humaine, rassemblés au même endroit et passant la soirée ensemble.
– Et vampire, faut pas l’oublier, un ici, fis-je en le désignant, un là-bas, fis-je en montrant Livius qui pointait son nez.
– Et vampire opina-t-il, un sacré mélange que vous avez là.
– Mes amis, lui affirmais-je.
– Encore plus surprenant. M’avoua-t-il. Il faut vraiment que vous trouviez le temps de m’expliquer comment tout cela est arrivé.
Oui, alors on allait vite être à court de mots puisque je n’en savais fichtrement rien. Sauvée de cet étrange intérêt par l’autre vampire, je poussais tout le monde au salon pour boire le café, jus de chaussette pour les six petites natures, vrai café pour deux d’entre nous et verre de sang pour les deux derniers. Je finissais doucement par m’y faire, du moins je n’avais plus de haut le cœur en le voyant boire et depuis que j’avais vu arriver des poches de sang étiquetées dans le deuxième frigo, je n’imaginais plus qu’il avait égorgé un pauvre écureuil ou avait prélevé sur un humain inconscient sa dose quotidienne, mais je préférais et de loin quand il le buvait dans un bol et que je ne voyais pas la couleur qui ne pouvait pas passer pour du vin rouge.
Judicaël mit la main sur un digestif, en proposa à tout le monde, sauf à moi, bien sûr, me prouvant que non, le comique à répétition n’est pas drôle, mais alors pas du tout, vous pouvez me croire. La soirée s’étirait et je voyais bien le regard de Conti passer des uns aux autres sans cesse, intrigué. C’est quand il ne restai plus que Théa qu’il posa la question qui lui brûlait les lèvres.
– Mais comment est-il possible que tous ces clans se supportent ?
– L’effet Sophie ! Annonça en riant Théa, je l’avais dit, c’est inexplicable, mais c’est comme ça.
– C’est quoi le problème des clans ? Lançais-je.
– J’ai rarement autant de clans représentés au même endroit pour juste passer du bon temps. La dernière fois que j’avais vu une fée tolérer un sorcier remonte loin.
– Mona est présente chaque fois, elle adore nos soirées. Et j’aime beaucoup Mona
– Durant les guerres, les sorciers ont tué plus de fées que tout autre clan, une idiote rumeur qui faisait du sang de fées un puissant ingrédient pour les contres-sorts
Ok, stop on rembobine, il faut reconnaître qu’avec tout ce que j’avais à vous dire j’avais omis de vous parler de ce que pensent mes amis des représentations humaines de leurs espèces. Alors comment dire, je ne vais pas m’étaler sur ce que Théa pense de Paracelse pour elle, il avait de sérieux problèmes avec les femmes, probablement impuissant ou avec une ex dont il n’avait pas que de bons souvenirs et dont il s’était vengé, puisqu’il avait représenté son espèce en blonde fadasse passant le temps à se coiffer et les fées en petites choses toutes fragiles, les sirènes belles mais avec une queue de poisson et enfin vous voyez ce que je veux dire. Je ne dirais pas non plus tous les adjectifs qu’elle utilisa pour décrire sa pensée, mais vous en avez une idée.
Pour les autres, les descriptions n’étaient pas non plus très juste, mais au moins un peu moins éloigné de la réalité. Quant aux loups, ils se fichaient de la représentation qu’on pouvait faire d’eux, un loup reste un loup dans toutes les descriptions, des brutes épaisses soumis à la loi de la meute, pas totalement vrai, mais pas faux.
Revenons à ce qui m’intriguait à ce moment-là, il avait bien parlé de guerres ? Conti vu mon étonnement.
– Chère mademoiselle, je crois qu’il vous reste beaucoup à découvrir.
Puis se tournant vers Livius.
– Quant à toi mon ami, tu as bien plus à me raconter que tu ne me l’avais laissé croire, je suis mort de curiosité !
Que dire, j’étais ravie d’entendre quelqu’un d’autre que moi poser des questions et cerise sur le gâteau, Conti ne lâchera rien, j’en étais sûre. Je m’installais confortablement dans le canapé à côté de Théa et fixais papounet-vampire en attente de réponses, déjà prête à me délecter de la discussion à venir. Théa répondit avant Livius.
– On te l’a déjà dit, l’effet Sophie…
Mouais, Ok, ça ne voulait rien dire ça. Il se tourna vers elle.
– Développe !
– Je ne sais pas comment expliquer ni ce qui se passe réellement, mais juste que je n’ai pas envie de la tuer, que les loups ressentent le besoin de la protéger et que Mona l’a évité à son arrivée pour ne pas avoir à la charmer. Tu sais, les fées, elles nous protègent, mais Mona ne voulait pas que Sophie soit prise dans le charme, remarque même Andersen a refusé.
– Quoi ?
La question fusa au même instant de ma bouche et de celle des deux vampires.
– Oui, quand tu es arrivée, tu as logé à l’hôtel. Normalement, Mona aurait dû te charmer pour que tu ne restes pas ici. Tu voulais t’installer et c’est la procédure habituelle. Les nouveaux logent un temps à l’hôtel, Mona les charme et ceux qui sont humains ressentent le besoin de repartir et ne restent pas, mais le lendemain tu voulais toujours rester, donc Ada a pensé que tu devais être une sorcière, alors que non. Mona lui a avoué qu’elle n’avait pas pu se résoudre à te charmer, quelque chose l’en empêchait. L’effet Sophie !
Elle haussa les épaules comme si tout était dit.
– C’est pas normal, pas normal du tout, souffla papounet.
– Ça n’est jamais arrivé, compléta Conti.
– Et Andersen, demandais-je ?
– Oh lui, rien à voir, pouffa-t-elle, il a simplement dit qu’un peu de nouveauté était la bienvenue, mais je suis persuadée que c’était pour agacer les huit.
– Les huit ?
– Les chefs de clans, répondit Conti. Nous n’en avons pas parlé lors de nos dernières réunions !
Bon, donc ce type-là, était chef de clan, je notais. Je notais aussi qu’il y en avait sept autres.
– Normal, Mona n’avait pas envie de le dire et Andersen est son propre chef de clan, rigola Théa.
Conti grimaça et me fixa.
– J’aimerais vraiment savoir ce que vous êtes.
– Comment ça, ce que je suis ? Je suis une humaine tout ce qu’il y a de plus normal…
– Non, je ne pense pas que vous soyez si normal que ça, pas de sorcière dans votre lignée ? Des mages ? Ou d’autres non-humains ?
– Des curés et des nonnes, ça compte ? raillais-je.
Là, je dois dire que leurs têtes à tous les trois étaient fabuleuses.
– Famille catholique à fond, je l’ai déjà dit non ?
– Oui, souffla Livius, beaucoup de prêtres ?
– Pas mal, oui, et à chaque génération au moins une nonne. Ma tante Annette l’est et puis il y a un cousin de ma mère qui est moine, pourquoi ?
Ils grimacèrent les trois.
– On n’est pas vraiment copain, murmura Théa
J’éclatais de rire.
– Je ne suis pas croyante, tu te souviens, pour moi tout ça, ce sont des.
Je m’arrêtais net. Ok, j’allais dire des croyances imbéciles, mais si eux, vampires, ondines et tous les autres existaient alors se pouvait-il que ? Je secouais fermement la tête, non cette question-là, j’y avais répondu il y a des années, au grand dam de ma famille, d’ailleurs.
– Je ne suis pas croyante, reprenais-je. J’ai grandi entourée de la foi des membres de ma famille, mais petit à petit je me suis détachée de tout ça. Je trouvais étrange qu’un être que l’on dit parfait, enfin bref, j’ai cessé de croire petit à petit et je m’en porte bien.
– Amusant, donc vous n’êtes pas une des nôtres. Reste que le comportement de vos amis est un peu étrange.
Je haussais les épaules.
– Pour moi, depuis mon arrivée tout est étrange, contente de voir que je ne suis pas la seule.
Il me bombarda de questions et râlait de mes non-réponses. Pour lui il y avait quelque chose chez moi qu’il se devait de découvrir. Je laissais faire en répondant au mieux. Théa et Livius se marraient en douce en l’écoutant s’énerver de ma si grande normalité. Humaine, j’étais, humaine, je restais. Au bout d’un moment, ne trouvant plus rien à me demander, il fixa Livius et dit :
– Je suis sûr que ton humaine cache quelque chose. Il n’y a rien qui puisse expliquer que tous la respectent et qu’elle soit si calme devant nous, regarde-la. Les humains sentent instinctivement que nous sommes des prédateurs et elle, elle fonce dans le tas sans problème.
– Elle n’a pas vraiment le sens de l’auto-préservation, fit Livius avec un clin d’œil dans ma direction. Elle a plutôt tendance à se mettre dans la situation inverse.
– J’avais cru comprendre, venir dans la région, déjà, c’est risqué, mais dans cette ville et dans cette maison. Vouloir absolument y venir sans rien sentir même au bout de plusieurs mois, c’est évident que son radar à danger n’est pas des meilleurs.
– Quant à se baigner avec une ondine…
Les yeux de Livius se levèrent au plafond alors qu’il disait ça, ceux de Conti lui sortirent de la tête puis se fixèrent sur moi.
– C’est peut-être ça finalement, murmura Conti, sa confiance.
Il se frottait le menton et nous regardait tour à tour.
– Tu penses que c’est la confiance qu’elle a pour nous qui fait qu’elle ne risque rien ? Peut-être pour les autres, mais ça ne marche pas pour les miens. Nous jouons avec la confiance des humains, ça ne changerait rien.
Théa fronçait les sourcils si fort en disant ça qu’on ne voyait presque plus ses yeux et avait l’air perdue dans ses souvenirs.
– Alors, je ne vois pas, conclus Conti.
Livius lui mit une énorme tape dans le dos en riant.
– Fais avec, comme nous ! Mesdemoiselles, il est temps d’aller dormir pour vous et de discuter pour nous.
Théa releva la tête surprise et marmonna un mais bien sûr vieux chnoque en le fixant d’un air mauvais. Je me reteins de rire alors qu’elle se levait et filait en direction des chambres en lançant :
– Tout est une question d’état d’esprit vieux débris. Viens Sophie, laissons donc les vieux discuter ensemble, nous avons mieux à faire qu’écouter les souvenirs poussiéreux de ces deux vieillards décrépits.
Je la suivis en rigolant devant l’air outré de Conti. Oui, nous avions mieux à faire, j’avais un million de questions sur ce type à poser à Théa. Une fois enfermées dans ma chambre, je regardais Théa qui me fit un oui de la tête et commença à me raconter.
En résumé, Conti, vampire de son état, cadet de Livius, avait pris la tête du clan à la disparition de celui-ci. Il aimait le luxe, les femmes, bref, c’était un condensé de clichés à lui tout seul. Ils étaient amis de longue date, mais concurrant de presque aussi longtemps. Il avait été l’amant de Théa, une folie passagère, m’assura-t-elle, ce qui expliquait les gloussements de nouvel an. Il était l’un des derniers vampires d’origine européenne, ce qui le plaçait d’office dans les plus vieux, jeune continent oblige, de Mésopotamie, il aimait à le préciser. Vieux, très vieux et fier de l’être. Mais, quel âge avait donc mon papounet-vampire ?
Conti était un tel ramassis de clichés qu’à force d’entendre les histoires que Théa avait sur lui, j’étais morte de rire. Il aurait pu sans souci prendre la place de Dracula dans un film. Je fis la remarque et fus prise d’une crise de fous-rires infernal quand Théa, levant un sourcil me souffla d’un air machiavélique :
– Et pourquoi penses-tu qu’il a choisi Conti comme nom de famille ? le Conti-Dracula…
J’en pleurais de rire et les mimiques de mon amie n’arrangeaient rien alors que je tentais de toutes mes forces de me calmer. Elle s’était drapée dans mon couvre-lit, avait sorti ses dents et battait de l’air comme une chauve-souris. Elle murmurait d’un ton lugubre.
– Ton sang, je veux ton sang, au moment où la porte s’ouvrit sur deux vampires incrédules et fâchés. Ou vexés ?
Ce fut trop pour moi, la crise de fou-rire me reprit, incontrôlable, j’en avais mal au ventre, aux joues, partout, mes larmes coulaient et j’étais pliée en deux. Impossible de me calmer, dès que je levais les yeux, je voyais les deux vieux tirer une tête de dix pieds de long et si je ne les regardais pas, je voyais l’air faussement navré de Théa.
Livius finit par secouer la tête et faire signe à Conti-Dracula de nous laisser. Théa vint alors me prendre dans ses bras en me frottant le dos puis une fois sûr qu’ils étaient repartis, elle me souffla :
– En plus, cette espèce a une haute opinion d’elle-même et pas le moindre humour. Tous de vieux cons.
Elle me fit un clin d’œil et me laissa seule pour reprendre mes esprits. C’est un bon moment plus tard que je me couchais, le sourire toujours aux lèvres. Je ne dormais toujours pas quand j’entendis ma porte s’ouvrit doucement. Livius était là et dans un murmure, me demandait si je dormais. Je fis non de la tête et il vint doucement s’asseoir sur le lit. Il me fixait avec un petit sourire et finit par me dire :
– Vous êtes deux pestes.
Je fis oui de la tête.
– Je ne sais pas ce qu’elle a pu te dire avant cette interprétation hasardeuse, mais je tenais à te prévenir que je n’ai pas pu refuser de reprendre la tête de mon clan. La hiérarchie chez les vampires est assez strict. Cependant, ça ne changera pas grand-chose, Conti va continuer de s’occuper des affaires courantes et sa maison restera notre lieu de réunion, tu ne seras pas envahie. Propose à Théa et Adeline de s’installer ici, pour quelque temps du moins, je me sentirais plus tranquille ! La nouvelle de mon retour risque de provoquer des remous et te savoir seule la nuit, n’est pas pour me plaire.
– Théa vit déjà à moitié ici et Ada a du boulot. Fis-je en haussant les épaules.
– Oui, mais faire savoir que les loups ont un pied-à-terre ici, ainsi que la présence de ta Théa éviteront bien des soucis. La réputation de Théa fait déjà bien son travail, mais le nombres de loups est un excellent argument pour calmer les plus téméraires. Se faire chasser par une personne ou plusieurs centaines change la donne.
Là, j’étais inquiète.
– Je risque quelques choses ?
Il prit ma joue dans sa main et du pouce me caressa la tempe.
– Si fragile, murmura-t-il, et pourtant…
Ouais, bon, il me passait de la pommade pour me faire avaler son histoire de clan. Solide moi ? À d’autres, je soupirais.
– C’est la merde à ce point-là ?
– Pas vraiment, c’est juste que je ne fais pas confiance à certains membres de mon clan, j’ai appris à me méfier et mon retour n’arrange pas tout le monde. Je préfère être prudent.
– Je demanderai à Ada, je ne vois pas pourquoi elle dirait non.
Le silence se fit, il promenait toujours son pouce sur ma tempe, mais son regard était figé sur le hibou qui pendait autour de mon cou. Il finit par le prendre dans ses doigts et joua avec un moment.
– Si tu ne me l’avais pas offert, personne ne saurait que tu es revenu, soufflais-je
Il eut un sourire triste.
– Si je ne te l’avais pas offert, j’aurais déjà dû tuer la moitié des vampires de la ville.
J’ouvris les yeux comme des soucoupes.
– Hein ?
Il se pencha vers moi, posa un bref instant ses lèvres sur mon cou puis se relevant il dit :
– Les vampires aiment le sang neuf, tu es nouvelle et ton sang a une odeur particulièrement agréable, comme une étiquette qui dit “produit fermier, bio, élevage de qualité”. Les jeunes vampires arrivent à peine à résister à ce genre de publicité. A vrai dire, même moi parfois.
Il eut un petit rire et disparut.
Ben voyons, me voilà reléguée à poulet fermier, sympa, merci ! Sauf que l’idée d’être tentante ne me convenait pas, mais alors pas du tout, impossible de dormir après une telle révélation, en soupirant, je me glissais vers la chambre de Théa, frappais un petit coup et entrouvris la porte.
– Théa, je peux dormir avec toi ?
– Qu’est-ce qui t’arrive ?
Je lui expliquais en deux mots, elle se bidonna en me lançant :
– Pas trop tôt, tu ne te rends pas compte le nombre de fois où on est intervenu avec Ada.
Elle tapota son lit pour m’y inviter. Je m’y glissais en lui disant merci, merci pour m’avoir protégée, merci de me laisser être l’andouille que je suis et merci pour m’avoir fait un peu de place dans son lit.
– Allez ne te prends pas la tête, avec nous, tu ne risques rien et puis un vampire, c’est facile à éliminer et l’avantage, c’est qu’il n’y a pas de cadavre à dissimuler.
– Tu en as déjà tué à cause de moi ?
Là, je me sentais mal.
– J’aurais bien aimé, mais Ada a préféré leur faire comprendre ce qu’ils risquaient en te tournant autour. Il paraît que prévenir c’est courant, mais je trouve que ça prend trop de temps. En tuer quelques-uns pour l’exemple, c’est plus ma manière de faire, tu vois. Après quelques morts, plus besoin de signaler qu’il est dangereux de t’approcher.
C’était plus clair, mais pas vraiment à mon goût.
– Et puis continua-t-elle, après David, ils ont été nettement moins nombreux à te penser fragile et sans défense.
– Franchement, plus j’en apprends, plus je me sens fragile et sans défense. Vous avez dû me prendre pour une sacrée idiote. J’ai rien vu, rien compris. Et, sans toi et Ada…
Je frissonnais à l’idée de tout ce qui aurait pu m’arriver. Elle rigolait franchement à côté de moi, un rire clair et contagieux. Je me mis à rire aussi, un peu de ma stupidité, un peu de soulagement, beaucoup de reconnaissance envers mes amies.
– Tu n’as jamais été sans défense, Ada y a veillé. Elle ne te l’a jamais dit ? S’étonna-t-elle en voyant ma tête. Pourquoi penses-tu qu’elle t’ait présenté à Suzanne ? C’est la femme de son chef de clan, si elle t’aimait bien, Ada était convaincue qu’elle obligerait son mari à te protéger. Tu es sous la protection des loups presque depuis ton arrivée. Il en rôde toutes les nuits autour de ta maison.
Où comment se sentir encore plus conne !
– Tu as quoi d’autre à m’avouer ?
– Je n’avoue rien, j’explique ! Donc Suzanne ayant apprécié ta nature, continua-t-elle en se fichant clairement de moi, les loups t’ont protégé de loin et Livius a rencontré Judicaël pour lui signaler que tu étais aussi sous sa protection. Judicaël n’a rien dit à Ada, mais il lui a interdit de tourner toutes les nuits autour de la maison. Tu la connais, elle aurait préféré ne plus travailler que de te laisser seule.
– Livius est passé voir Judicaël ?
– Oui, quelques jours après les travaux du toit. Je pense qu’il devait se dire que son odeur avait été repérée et qu’on se douterait qu’il y avait vampire sous roche. C’est à cause de cette protection que je ne te connaissais pas, grinça-t-elle d’un coup, énervée. On a tous pensé que tu étais la compagne humaine d’un loup, venue ici pour se cacher. La plupart des clans n’aiment pas la mixité alors personne n’a vraiment cherché à te connaître. Heureusement que tu es passée à la boutique, on aurait loupé plein de choses.
– Tu m’as arnaquée alors que tu savais que j’habitais ici ?
– Pour moi, tu étais avec les loups. Elle haussa les épaules. Et, ils ne m’aiment pas trop.
– J’avais remarqué, dis-je en riant. La tête de Suzanne quand elle t’a vu, se passait de mots.
– Finalement je t’ai trouvée sympa et en me renseignant, j’ai appris que tu n’appartenais pas aux loups. J’ai été curieuse de comprendre pourquoi ils te protégeaient alors je suis venue te livrer. La suite, tu la connais.
Oui, la suite, je la connaissais, une improbable amitié avec une tueuse, un peu psychopathe et la protection absolue de sa part pour le reste de ma vie.
– C’est pas un peu vieux jeu, cette histoire d’appartenance ?
– Oui, mais quand on sait l’âge de certains d’entre nous, on comprend que l’évolution a eu de la peine à à passer par eux. Les anciennes traditions sont bien implantées. Ils restent bien ancrés dans leurs habitudes.
Ses yeux pétillaient de rires et en repensant aux deux vampires du coin, le fou-rire me reprit.
– Avec ces deux là, on a dû s’arrêter à l’âge des cavernes !
Et, l’un des deux n’avait-il pas sous-entendu qu’il avait parfois envie de me mordre, à vrai dire, lui aussi ? Mon rire cessa net et je chassais ce souvenir de ma tête, Théa ne le laisserait pas faire, j’en étais persuadée.
L’avantage de dormir auprès d’une tueuse qui vous protégera quoi qu’il arrive et contre tout, était que les cauchemars restaient à distance. Je mis un moment à me souvenir d’où j’étais et de pourquoi puis l’odeur de café frais me tira hors de la chambre de Théa.
Ada était à la cuisine, tentant d’expliquer comment faire de vraies crêpes à une Théa pas convaincue. Le spectacle était incroyable, si on prenait en compte la montagne de valises échouées près de la porte, montagne qui semblait dire, je m’installe pour des semaines et pas moins.
– C’est quoi tout ça ?
– Mes affaires pour quelques jours, on m’a prévenue que tu aurais besoin de ma présence pour un moment.
– Tu comptes vivre ici six mois ? Et, qui t’as prévenue ?
– Livius et non pas six mois, c’est juste de quoi tenir une semaine ou deux.
– Les loups abîment beaucoup leur vêtements, tu verras pourquoi un jour. Livius craignait que tu ne demandes pas à Ada de venir.
Voilà que pouvais-je répondre, merci de me traiter en gamine stupide et incapable, ce que j’étais à leurs yeux me semblait-il et je dois l’avouer un peu aux miens depuis quelques jours.
– Il est prêt le café ? Fut tout ce que je demandais.
Chapitre 15
La vie suivit son cours. La seule exception, pour laquelle je m’étais battue, a ma surveillance rapprochée, était de pouvoir prendre ma voiture toute seule. Il y avait une raison à ça, Ada avait toujours des déplacements et Théa était un vrai danger au volant. Non, je n’exagère pas ! Elle roulait comme elle vivait, à toute vitesse.
Les semaines passèrent sans que rien, du moins rien de mon point de vue, ne se passe. Nos soirées marathon de série passèrent de Fringe à Code Quantum, prêté par un ami de Francis, puis de Z Nation à Sanctuary.
Théa craquait invariablement pour le gentil de l’histoire, Ada pour le musclé et moi pour le torturé. Nos différences de goût nous entraînaient dans de longues discussions philosophiques, le tien est moche, le mien est mieux, très profonde comme réflexion, de vraies gamines. Puis vinrent les Sherlock ! Si Ada ne jurait que par l’interprétation de Robert Downey Jr., mon cœur craquait pour Benedict Cumberbatch et Théa, enfin le côté ultra féministe de Théa, avait trouvé en Jonny Lee Miller un Sherlock passable, mais en Lucy Liu, une Watson incroyable. Notre amitié faillit ne pas s’en remettre alors qu’avec Ada nous avions osé dire qu’un Watson devait avoir une moustache. Remarque à peine faite que la guerre éclata dans mon salon !
Les coussins volaient bas et les cris de sioux de Théa nous perçaient les tympans pendant qu’Ada et moi sautions de tous les côtés pour éviter les coussins. Trois furies en training se coursant en riant à travers la moitié de la maison furent stoppées net par l’intrusion d’un inconnu.
Il nous fixait d’un air ébahi, debout à l’entrée de la cuisine. En deux secondes, ma belle brune disparut remplacée par un loup brun qui dépassait ma taille, les babines retroussées et le grognement qu’elle émettait vibraient jusque dans mon ventre. Quant à Théa, elle flottait à plusieurs centimètres du sol comme si un vent ne soufflait que pour elle et ses yeux émettaient une lueur de danger. Elle chantonnait, c’était un son bas et franchement désagréable. Je restais un long moment bloquée à les regarder. Je ne les avais jamais vues ainsi et la puissance qui émanait d’elles était palpable et me coupait presque le souffle. Elles étaient incroyables et je voyais en cet instant ce que je n’avais fait qu’entre apercevoir dans leurs paroles. Elles étaient dangereuses. Elles étaient puissantes et même si je n’avais pas vraiment de point de comparaison et que je ne me fiais qu’à ce que j’avais entendu, je les voyais presque invincibles et totalement flippantes.
L’intrus, un jeune homme blond, recula en mettant les mains devant lui et bredouilla qu’il venait voir son tribun.
– Votre quoi ?
Il ne m’entendit pas entre les grognements et cette horrible et flippante chanson.
– Ça suffit les filles, dit Livius d’une voix sèche.
Ada plantée devant moi, continuait à fixer l’inconnu toujours sous sa forme de loup. Théa remit pied à terre et me dit d’une voix plus grave que d’ordinaire :
– Tribun est le titre des chefs vampires, des vieux vampires.
– Merci.
Livius vient vers moi, passant à côté de la louve en lui disant de se calmer. Il me prit dans ses bras, posa un léger baiser sur mes lèvres et en se reculant dit :
– Je reviens vite ma chère, je vous laisse sous bonne garde. Et, se tournant vers l’homme qui était de plus en plus ébahi. Je vous avais dit de m’attendre dehors. Vous avez de la chance qu’elles soient de bonne humeur. La prochaine fois, elles n’attendront pas pour attaquer.
Ils nous plantèrent là. Je regardais Théa qui se gondolait en face de moi alors qu’Ada redevenait une belle brune à poil sans poils. Elle aussi trouvait la situation marrante, moi moins.
– Il s’est passé quoi là ?
– De la stratégie, gloussa Théa. Un coup de maître.
Bon, Ok, d’accord, on se foutait de moi et je ne comprenais rien au jeu de stratégie qui venait de me tomber dessus.
– Explique !
– Tu n’as vraiment pas compris ? En t’embrassant, il te désigne comme sa compagne à l’autre abruti qui va faire sa commère comme tout bon vampire et le dire à tout le monde. En l’ayant fait venir ici, il a fait en sorte que son pion nous voie en position d’attaque pour te défendre, et ainsi faire comprendre à tout le monde que tu n’es pas seule lorsqu’il est absent et qu’il faudrait être dingue pour s’attaquer à toi puisque tes gardes du corps sont assez connues pour être dissuasives. Il faudrait être fou pour s’attaquer à moi. Au fait Ada, je ne savais pas que tu étais une louve rouge, je pensais que ton espèce avait disparu.
– Il ne reste que mon oncle et moi, fit-elle les lèvres pincées.
– Au moins c’est encore plus dissuasif que les gris ou les noirs, s’il avait pu, il aurait fait dans son pantalon le pauvre pion.
Bon, petit récapitulatif m’a fait ma petite voix, papounet-vampire, inquiet de la nouvelle situation avait fait déménager Ada et Théa pour que tu ne sois jamais seule, De plus, il fait en sorte que son clan te prenne pour quelqu’un d’important à ses yeux et avec une protection rapprochée, Je voulais bien comprendre. Il avait paré à toutes les éventualités. Je n’aimais ni l’idée ni la façon. Le seul point agréable était la présence des deux cinglées. Au fait, elle avait dit quoi sur Ada ? Une louve rouge ?
– Ada, je sais que tu n’aimes pas trop qu’on se mêle de tes affaires, mais, une louve rouge est si différente des autres ?
Son regard se voila, elle soupira et alors que j’étais certaine qu’elle ne me répondrait pas, elle dit :
– Il existe quatre races de loup, les noirs sont les plus courants ici, ils sont originaires de ce continent. Les gris sont les plus nombreux, Asie, Russie, Europe, leurs territoires sont très variés. Les blancs restent concentrés dans les pays nordiques. Les roux ou rouges sont eux originaire d’Afrique du Nord, mais ont été assimilé au gris. Il n’existe plus de lignée pure. Mon oncle et moi sommes déjà des métisses, mais nous avons gardé les caractéristiques des roux, les autres les ont perdus. Lors de la dernière guerre, nos clans ont refusé de prendre part au conflit. Nous avons été massacrés en représailles.
Et, elle se tut.
– Elle date de quand cette dernière guerre ?
– De quand date la dernière des humains ?
Surprise, je répondis :
– Il y en a toujours une en cours.
Elle ferma les yeux, se frotta la nuque. J’attendais sans rien dire, mais elle ne semblait pas décidée à me répondre.
– Les loups aiment la guerre, enfin la grande majorité. Il y a sûrement des loups dans vos conflits en cours et certains ont dû les favoriser. Notre dernière guerre de clan date de votre dernière guerre mondiale. Des accords ont été signés peu après, trop de perte, vos armes ont évolué plus vite que nous. Elles ont fait suffisamment de mort pour que nos clans décident de ne plus prendre parti dans les conflits humains.
Théa avait répondu d’un ton monocorde en regardant par terre. Ada regardait au-dehors et moi, je me sentais mal à l’aise, s’ensuivit une longue, longue discussion sur les faits de guerre, les clans, les amis perdus et les raisons d’une telle boucherie. Je n’écoutais pas, je les regardais tour à tour et je m’étonnais de les voir parler sans passion d’événements aussi terribles. En fait, pas sans passion, mais avec du recul et un respect tangible. C’est lorsque Ada dit qu’avoir été bannie était moins terrible que ce à quoi elle s’attendait, que je tiquais.
– Bannie ?
Le mot sorti comme un cri. Elles me regardèrent, soupirèrent et dire en chœur
– Oui, tu pensais qu’on était là pourquoi ?
Parce que le coin était sympa, la ville jolie, le calme de la nature apaisant, il y avait, de mon point de vue, une dizaine de bonnes raisons. Elles ont dû voir que je ne percutais pas, normal. Théa se mit à rire.
– Tu crois que tu es où ?
Dans le trou du cul du monde, faillis-je répondre, mais à leurs têtes, il y avait encore quelque chose que j’avais loupé. Je soupirais.
– Je n’en sais rien à première vue.
– La ville des bannis, joli petit coin dans les montagnes placé sous la surveillance de José, géant de son état, où ont été casé les indésirables de chaque clan.
– Les indésirables ?
– Les meilleurs soldats si tu préfères. Ceux que les autres clans ne voulaient pas voir circuler librement, ceux dont on préférait ne pas se souvenir, ceux qui dans l’histoire ont tout perdu parce qu’ils ont fait ce qu’on attendait d’eux. Ceux qui furent sacrifiés dans les jeux politiques pour, soi-disant, promettre la paix. On s’est débarrassé de nous. On nous a écarté du reste du monde. On nous a volé nos vies. On nous a parqué dans cette région, zou, fini plus de problème.
La colère contenue dans ses paroles me fit l’effet d’un coup à l’estomac. Je les fixais, incrédule. Oh, je savais bien qu’elles n’étaient pas de gentilles petites dames, je l’avais bien compris, mais je n’avais jamais pensé aux raisons de leur présence ici. Avant même que je puisse en demander plus, Ada changea complètement de discussion.
– Je maintiens toujours que Robert Downey Jr. est le meilleur Sherlock Holmes !
– Peut-être, mais au moins Lucy Liu est badasse en Watson, faut prendre en compte les caractères secondaire et pas que le grand détective !
J’intervenais pour calmer la longue discussion qui pointait son nez.
– Je suis d’accord que mettre plus de femme dans l’histoire est sympa, mais si on se tient aux livres alors Elementary s’en éloigne beaucoup.
– Faut les mettre aux goûts du jour, c’est tout, s’obstina Théa.
– Alors dans ce cas-là, l’adaptation avec Benedict Cumberbatch est la meilleure. D’ailleurs la série garde le nom de Sherlock Holmes.
– Et les femmes dedans sont des cruches aussi ?
La féministe de la première heure en Théa fulminait. Une seule solution s’imposait.
– Ada file enfiler quelque chose, on va avoir une longue nuit devant nous.
Elles me regardèrent intriguer. Je filais à ma bibliothèque et en sorti un DVD de la première saison d’Elementary, un du Sherlock de la BBC et un avec Robert Downey Jr et leur montra.
– Reste plus qu’à tout regarder pour savoir si les femmes sont cruches et les Sherlock et Watson trop machos. Qui me suit ?
Elles ont filé comme le vent, Ada en direction de sa chambre enfiler une tenue décente, Théa en direction de la cuisine en hurlant qu’elle s’occupait du pop-corn, pendant que je remettais les coussins du canapé en place. Parce que oui, il est beaucoup plus important de décider quelle version est la meilleure que de parler du passé trouble de mes amies, pas vrai ?
Au retour de Livius nous dormions toutes trois affalées sur le canapé, gavée de pop-corn et toujours pas d’accord sur le meilleur Sherlock. Je ne le vis pas rentrer, je ne le vis pas secouer la tête en souriant, pas plus que je ne vis la personne qui le suivait et qui disparut dans la cave avec lui. Non, je ne vis rien, mais Ada, oui. Elle nous secoua doucement puis le doigt posé sur ses lèvres, elle nous fit signe de la suivre à l’étage. Là, sans un mot elle prit un papier et nota ce et qui elle avait vu. Théa blêmit puis rougit de rage et avant que nous ne comprenions ses intentions, elle fila à la cave. Elle en claqua la porte si fort que le bruit résonna. Ada me prit par le bras pour m’empêcher de la suivre. Elle me poussa doucement sur le lit, s’y assit et me dit
– C’est une histoire à régler entre elles, il n’aurait pas dû amener Katherina ici alors que Théa était présente. Du moins pas sans la prévenir d’abord. Ne nous en mêlons pas, ça risque de faire des étincelles. Il faut espérer qu’il avait de bonnes raisons de la faire venir.
– Qui est Katherina ?
– Une Baba Yaga, une sorcière russe, précisa-t-elle devant mon regard vide. Elle vit encore plus loin de la ville que mon oncle. Ce sont des solitaires. Elle est arrivée avec le clan de Judicaël. Elle n’est pas méchante, mais Théa et elle, se sont battues pour la possession d’une source et Katherina n’a pas vraiment été correct. Une vieille histoire, ne t’inquiète pas même si Théa est un peu rancunière, ça devrait aller.
Mais au bout de trente minutes, j’étais convaincue que ça n’irait pas. Les bruits qui nous provenaient du sous-sol, donnaient l’impression que la maison allait s’écrouler. Je tenais encore cinq minutes et contre l’avis d’Ada, je filais en direction de la cave. Ma sadique petite voix me murmurait, cool comme ça tu vas pouvoir, enfin, refaire cette fichue cave, mais mon amitié pour Théa me disait de foncer m’assurer qu’elle allait bien.
Livius se tenait sur le canapé, calme, tranquille, l’air pas inquiet du tout. Ada me suivait de près et finit par me stopper avant que je ne puisse descendre.
– Laisse-les faire, me dit-elle, ne t’en mêle pas, viens, on va attendre avec lui !
Elle me tenait fermement et me fit tomber dans le canapé. Je fulminais. Mais pourquoi aucun d’eux ne réagissait aux hurlements et autres bruits sourds qu’on entendait. Je tentais de me relever, Livius me bloqua.
– Laisse-les s’expliquer, elles font toujours pareil. Elles vont se calmer. J’aurais dû le prévoir, mais je ne pensais pas vous trouver encore au salon.
– Si tu m’avais prévenue, j’aurais fait en sorte que nous n’y soyons plus avant que tu ne rentres, c’était jouer avec le feu de les mettre sous le même toit.
Il soupira en grimaçant.
– Je pensais que depuis le temps…
– Es-tu certain de bien connaître Théa ?
Ils éclatèrent de rire. Tout était normal. Tout allait bien. Rien de grave ne pourrait arriver. Je remontais mes genoux contre mon torse et y enfuis ma tête. Ils allaient tous me rendre dingue. Ada me passa la main dans le dos pour me réconforter. Elle me souffla.
– Théa n’est pas une petite chose fragile et Katherina n’est pas assez idiote pour la provoquer plus que nécessaire. Elles vont finir par se calmer. Ne t’inquiète pas.
En effet, les cris se firent moins perçants. Les murs cessèrent de trembler puis ce fut le silence.
Théa sortit de la cave, le menton relevé et les yeux encore étincelants. Elle était fière. Une femme qui semblait terriblement âgée complètement détrempée et encore plus contrariée, la suivait.
– Tu vois, me dit Ada, elles en ont fini.
Oui, j’avais remarqué le niveau sonore était revenu à la normale sauf que Théa ressemblait à un chat qui vient d’avaler un bol de crème et que l’autre ressemblait à la crémière qui se l’était fait piquer et le soupir qui émanait du seul mâle de la pièce m’intriguait. Je me tournais vers lui, mais il ne me regardait pas, il avait les yeux fermés et la bouche pincée, l’air vraiment contrarié. Théa se jeta sur le canapé entre lui et moi, le poussant sans ménagement.
– Alors j’attends, dit-elle.
Je me tournais vers elle en fronçant les sourcils.
– Tu attends quoi ?
– Que le vieux chnoque ici présent s’excuse et que l’autre là, se comporte en être civilisé enfin autant que possible, il ne faut pas rêver.
– Je n’ai pas à m’excuser d’inviter qui je veux chez moi.
– C’est pas chez toi ! C’est chez Sophie et elle tolère de te laisser le sous-sol. Mais franchement, si elle décide de te virer, je serais ravie de l’aider. Sait-on jamais, tu pourrais avoir un souci durant la journée, les accidents, ça arrive.
Elle l’avait coupé net et fait sa tirade d’une voix forte. Ok, bon, voilà qui m’étonnait, je pensais que ces deux-là s’aimaient bien. Je me tournais pour regarder la cause de tout ce bordel qui ne regardait personne, mais fixait le mur comme si sa vie en dépendait. Je me tournais vers Théa et Livius, lui les lèvres pincées, la fixait droit dans les yeux et elle me tournait le dos pour le regarder bien en face. Je me tournais vers Ada qui me fit un clin d’œil en haussant les épaules. Le silence s’éternisait et je faillis mourir d’une crise cardiaque quand la voix de la vieille femme s’éleva.
– Bonsoir mademoiselle, fit-elle, je suis Katherina, monsieur Conti m’a demandé de venir parler avec votre a…, votre, avec Livius. Je crains que Conti ait omis de préciser plusieurs choses comme la présence de. Elle tendit la main en direction de Théa. Il semble qu’il n’avait pas trouvé important de prévenir Livius non plus.
Elle était toujours raide comme un piquet, ne me regardait pas un instant et fixait tellement le mur que j’étais tentée de me retourner pour voir s’il était taché ou je ne sais quoi.
– Elle est venue à la demande de Conti pour s’assurer que nous n’étions pas sous la coupe d’une sorcière assez puissante pour cacher sa nature, soupira le vampire à côté de moi.
– Quoi ?
Fut tout ce que je pus dire. Moi ? Une sorcière ? Je devais avoir l’air complètement abruti, car il ricana.
– Conti est du genre prudent et voir réunis au même endroit plusieurs clans lui a semblé tellement anormal qu’il a cherché toutes les explications possibles.
Je me tournais vers Katherina qui fixait toujours obstinément le mur. Je tentais d’attirer son attention pour entendre sa version, mais elle m’ignorait.
– Elle a peur que tu la charmes si elle te regarde, grinça Théa, ça se dit puissant, mais c’est mort de peur devant la première humaine qui ne rentre pas dans le cadre. Elle a cherché partout des pentacles ou des marques de magie et comme elle n’a rien trouvé, elle s’est convaincue que tu agissais par l’esprit.
Je regardais Théa les yeux ronds et la bouche grande ouverte sur un oh qui ne voulait pas sortir.
Elle me rendit mon regard en haussant sourcils et épaules avec un sourire narquois. Je retrouvais ma voix.
– C’était ça votre dispute ?
– En partie, nous avions un vieux litige à régler d’abord puis, franchement, je n’allais pas la louper. Si Conti croit être le premier à s’être posé des questions sur toi, il se trompe. Je pense que la moitié des habitants ont fait des recherches pour comprendre. Tu penses que James t’a engagé sans contrôler ?
Non, je pensais qu’il avait juste besoin d’une vendeuse et que je faisais l’affaire à défaut de mieux. Je tombais de haut.
Vous dire mes sentiments à cet instant serait totalement impossible. J’oscillais entre fureur, déception, honte et peur. Je me sentais mal en résumé et un peu conne, beaucoup conne. Et, vous savez quoi ? Un petit coup s’imposait. Je me levais, me dirigeais vers le bar, prenais une bouteille et, grosse amélioration, un verre. Je filais vers la cuisine pour ne plus voir les quatre personnes qui étaient chez moi. Je posais le verre et la bouteille sur la table, me rendis dans la réserve en sortis de la glace vanille et je me préparais un petit frappé Bayles-vanille. Ben quoi ? Pas de honte à se remonter le moral d’une manière ou d’une autre.
Mon verre en main, une paille dedans, je retournais au salon où personne n’avait bougé ni parlé. Je me posais entre mes amies, balançais mes pieds sur la table basse et allumais la télévision tout en sirotant mon frappé.
TOUT EST NORMAL !
Je tombais après un zapping féroce sur le retour des tomates tueuses, parfait ! Je m’employais à ignorer totalement les autres personnes présentes dans la pièce. Non, je ne boudais pas. Non, je ne délirais pas. J’en avais juste marre.
Il fallait être clair, il y avait quatre statues dans mon salon dont trois qui me fixaient d’un air ahuri, bon l’autre regardait toujours le mur, rien à y redire. Moi, je regardais mon film et je les ignorais. Je sentais bien qu’ils réfléchissaient à mon comportement et n’y comprenaient rien. M’en fiche, à eux de nager un peu.
C’est Ada qui rompit le silence.
– C’est qui l’acteur ? Sa tête me dit quelque chose.
– George Clooney.
– Il est vachement jeune là, siffla Théa.
Le silence revient, je restais concentrée sur le film.
– Et c’est tout ? Vous ne réagissez pas plus ?
C’était une voix grave qui venait de s’élever dans le salon, je sursautais et me tournais vers la vieille femme qui avait arrêté d’admirer le mur pour poser les yeux sur moi. Je la regardais distraitement sans m’attarder puis sans rien dire, je retournais mon attention sur le film.
Ils étaient quatre à me fixer, je sentais leurs regards sur moi. Non, je ne dirais rien, je ne bougerai pas, je ne réagirai à rien. J’en avais marre. C’était tout simple, je voulais qu’on me fiche la paix. Pas envie d’être un pion dans le jeu politique de l’un ou un objet à surveiller pour d’autres, pas plus envie d’être une petite chose à protéger pour mes amies. J’étais en train de me poser, réellement, la question d’un retour en Europe, un retour à la normale et l’envie en ce moment était très forte. Je fixais l’écran en mâchouillant ma paille. Pour dire vrai, je cogitais comme une malade sur les événements et les révélations de ces derniers mois, me demandant combien il y en aura encore. Je pris une décision, enfin, ma petite voix m’en a soufflé une. Le livre d’Andersen, et si je le lisais enfin, lui qui dormait sur ma table de nuit. Je me levais, posais mon verre à la cuisine et sans regarder personne, je filais dans ma chambre saisir l’objet et quelques affaires de rechange. J’avais besoin d’un autre environnement et je trouvais la petite chambre à l’hôtel de plus en plus intéressante. Je redescendais presque en courant les escaliers et je chopais mon sac et mes clefs de voiture avant de lancer aux quatre ahuris dans mon salon.
– Amusez-vous bien, j’ai besoin de calme !
Et je les plantais là.
Chapitre 16
Je n’arrivais pas à l’hôtel. À peine sorti, je tombais sur une voiture qui venait de s’arrêter. Le conducteur ne m’était pas inconnu, monsieur Andersen me fixait intensément puis sembla comprendre la situation et ouvrit la portière côté passager.
– Monte ! J’ai l’impression que tu as besoin de calme et de réflexion et j’ai une chambre d’ami qui devrait faire l’affaire pour un moment de solitude. Si ça te dit. Je pensais arriver à temps pour éviter à Théa et Katherina de s’entre-tuer, mais la maison est toujours debout et je n’entends pas de cris, donc ça doit aller.
Je ne pris même pas la peine de réfléchir et je m’installais dans la voiture. Une fois arrivés chez lui, il m’amena dans une petite chambre mansardée au dernier étage de sa maison, au-dessus de la librairie et me demanda si j’avais besoin de quelque chose. Je lui fis non de la tête tout en regardant cette chambre dépouillée, un lit, une table, une chaise et rien, enfin si, une petite salle d’eau sur le côté. Il me fit un petit sourire, hocha de la tête et il me laissa seule.
Je restais là comme une conne puis m’allongeais sur le lit pour réfléchir, mais je m’endormis. Lorsque je me réveillais, le soleil était déjà haut dans le ciel, ne sachant pas trop quoi faire, je restais assise les yeux dans le vague et si un coup n’avait pas retentit contre la porte, je pense que je serais restée là, à regarder le vide pour le restant de ma vie.
Monsieur Andersen se tenait devant la porte un plateau dans les mains. Il me fit un petit sourire et dit :
– Tu peux rester ici le temps nécessaire, je pense que personne n’a besoin de savoir où tu es.
Je l’interrompai.
– Je n’ai pas besoin d’un protecteur de plus, là j’en ai mon compte.
Il partit d’un éclat de rire franc et joyeux.
– Non, non, tu m’as mal compris. Je ne vais pas me transformer en protecteur ou te garder enfermée. Dis-toi que je comprends mieux que tu ne le penses ta position. Ils sont parfois invivables avec leurs manières et ils oublient trop vite que leurs connaissances et leur âge, ne sont pas les nôtres.
– Pourtant, monsieur Andersen, vous n’êtes pas humain alors…
– Alors, je suis un mage et mon espérance de vie, bien que plus longue que celle d’un humain ne dépassera pas les deux cents ans, pas des millénaires comme Théa ou Livius, me sourit-il. Rien à voir !
Il me tendit le plateau rempli de mon petit déjeuner.
– Je sais que c’est beaucoup à avaler entre les mensonges, les non-dits et les oublis de tes amis. C’est dans leur nature et je trouve que tu prends les choses plutôt bien, tu restes étonnement calme. Un trait de caractère qui n’arrête pas de m’étonner. Profite de rester tranquille et de lire un peu ! Laisse-les s’inquiéter et se prendre la tête, c’est leur tour. Je pense que ça leur fera du bien d’être incapable de tout surveiller. Ils ont un peu trop pris l’habitude de te couver, ici ils ne te trouveront pas. Et, je m’appelle James.
Il me planta là sans un autre commentaire. Interloquée, je posais le plateau sur la petite table et me servit un café-jus de chaussette infecte, tout en repensant à ce qu’il venait de me dire en ne sachant pas trop quoi en faire. Je regardais un instant les œufs brouillés qui ne me disais rien et me recouchait pour me rendormir presque aussitôt.
Il me réveilla en rentrant, étonné de me trouver encore endormie. Je ne sais pas pourquoi, mais son air inquiet et attentif, l’expression de compréhension que je lisais dans ses yeux provoqua chez moi une réaction inattendue. Je me jetais dans ses bras et pleurais toutes les larmes de mon corps, il ne dit rien se contentant de me frotter le dos, tient ça devient une habitude pour les gens du coin. Après un temps infini, je me calmais, reniflais et levais les yeux vers l’individu qui ressemblait, de mon point de vue, le plus à un humain et lui soufflais.
– J’en ai marre de tout ça. Je veux rentrer chez moi.
– Allez, calme-toi, tu tiens bien le choc, mieux que tous ceux qui sont passés là avant toi. Tu prends les choses comme elles viennent sans tenter de caser cela dans une logique qui n’a rien à y faire et tu restes toi-même. C’est surprenant, mais c’est une bonne manière de faire. Cependant, je reconnais que tu as besoin d’une pause loin de tout ça et de calme pour réfléchir.
Il me fit me lever et du doigt m’indiqua le livre qui traînait sur le sol
– Tu devrais vraiment le lire. La maison est à toi, je dois m’absenter quelques jours. Prends le temps nécessaire ! Ma maison est protégée, la magie te cachera aux yeux de tous. Ils en ont besoin, perdre le contrôle n’est pas ce que tes amis apprécient le plus, fit-il en m’offrant en sourire démoniaque. Ils vont devenir fous et ce sera plus facile pour toi de prendre du recul sans être tout le temps en leur compagnie. Réfléchis, calme-toi, prends tout le temps dont tu as besoin ! Tu es ici chez toi.
Je devais avoir l’air d’une grosse andouille, les yeux et le nez rouges, les joues encore trempées de larmes et le regard vide. Cool, je me sentais vraiment bien. Si, si vraiment.
J’attrapais le livre et me jetais sur le lit. Je le regardais comme si c’était un crapaud visqueux ou un truc qui allait me sauter à la figure, à peine ouvert. Je le retournais dans tous les sens sans réussir à me décider.
En soupirant, je regardais les petits marques pages qui en dépassaient, portant le nom de toutes les personnes que je connaissais en ville. Toutes ! Elles y étaient toutes. Pas un humain n’était dans mes connaissances. Je tripotais le livre toujours hésitante et finit par l’ouvrir au marque-page qui portait le nom de Théa. Je pris une grande inspiration, soufflais fort et me mit à lire.
Ce que je trouvais le plus étonnant, n’était pas les détails sur les ondines qui finalement ne représentaient que deux chapitres et je savais par Théa que son clan était un des seuls vraiment dangereux. Mais ces pages donnaient les détails de la vie de Théa et que de la vie de Théa. Certes, pas tous les détails si son nom complet, La Théadora était bien écrit en majuscule, je ne trouvais pas son âge, ni les lieux de son enfance. Son histoire semblait ne commencer qu’avec la submersion de l’île de Santorin en moins mille-six-cent quelque chose, ce qui, si je calculais bien, lui donnait presque quatre mille ans.
Waw, je pouvais me sentir comme une gamine encore longtemps. Ce qui sous-entendait que Livius était encore plus vieux. Voilà, gamine j’étais, gamine je resterai, cool le petit aperçu de leur âge me faisait me sentir encore plus mal, minable aussi.
Je regardais la page indiquée comme celle d’Ada, même topo, le premier chapitre donnait les caractéristiques de la race et me permit d’apprendre que les métamorphes, loups et autres, vieillissaient vraiment moins vite que moi, puis uniquement celle d’Ada. De sa naissance, en 1980, donc, elle aussi, ne faisait pas son âge, au meurtre de sa famille et à sa vengeance total jusqu’à sa vie de ses dernières semaines alors que le livre était dans ma chambre.
Passant sur le comment, passant sur le pourquoi, je lus attentivement tous les détails sur mes amis soudain affamés d’en apprendre plus sur ce monde que dorénavant je côtoyais et dont les membres avaient oublié de préciser suffisamment de détails pour que je considère qu’ils m’avaient tous menti.
Au fur et à mesure de ma lecture, je me sentais de plus en plus fragile, jeune et je me sentais totalement idiote. Je ne comprenais toujours pas pourquoi, ils s’étaient liés à moi, mais pourquoi ils me protégeaient, devenait à chaque page plus compréhensible. Leur comportement avec moi s’expliquait et je leur en étais à chaque ligne plus reconnaissante.
Je restais cachée trois jours qui me firent le plus grand bien. J’avais étudié à fond les différentes personnes que j’avais rencontrées depuis mon arrivée ici. J’avais tenté de me donner toutes les chances de ne plus me mettre en danger ou à défaut de ne plus obliger mes amis à me défendre.
J’avais aussi, pris la décision de rester et de prendre une part active dans ma vie et ne plus laisser tout le monde décider pour moi. Si, j’y arriverai, je m’en étais auto-persuadée. On ne se moque pas ! C’est remplie de confiance en moi que je décidais de rentrer dans Ma maison, dans ma nouvelle vie, j’avais le menton haut et je me sentais prête à conquérir cette vie.
Enfin que j’avais décidé d’y rentrer parce qu’à peine trois minutes après avoir fermé la porte de chez monsieur Andersen, de chez James, qu’Ada flanquée de Suzanne, furieuses, échevelées et franchement remontées après moi, me tombèrent dessus en hurlant.
Pour faire clair, les seuls mots que je pus comprendre tournaient tous autour de t’es folle, inquiets, plus jamais et idiote. J’en ai fait un résumé, mais vous avez compris la teneur de la majestueuse engueulade que je me pris. Pendant qu’Ada s’époumonait en cœur avec Suzanne, une fusée rousse me sauta dessus en me serrant si fort que j’en eus le souffle coupé et trois côtes sûrement fêlées puis me relâcha pour unir sa voix à celle des deux autres.
Je laissais faire, franchement qu’auriez-vous fait à ma place ? Je laissais la tempête se calmer sans tenter de me justifier ni de réagir, une vieille habitude que j’avais prise lors des discours de ma mère. J’étais devenue maître dans le mouvement de tête qui ne voulait rien dire, mais qui pouvait faire croire que j’écoutais. Une fois le pire, pas passé, mais calmé, je pris ma petite voix et leur dis :
– J’avais besoin de calme et je n’étais pas perdue, mais juste chez monsieur Andersen, chez James et si j’ai bien compris dans le seul endroit en ville où vous ne pouviez pas me retrouver. Franchement, je ne suis pas stupide au point de me mettre en danger. J’ai bien compris qu’ici ce n’était pas le coin le plus sûr pour moi. J’en ai marre que vous me preniez pour une idiote finie, mais je peux comprendre que vous vous soyez inquiétées.
Silence, soupirs, yeux au ciel, les miens, la conversation avançait bien. Je lançai sûre de moi.
– Et puis c’était que trois jours et mon patron était au courant de mon absence puisque je squattais chez lui, rien de si terrible. Si vous ne vous calmez pas, je repars en vacances, loin de vous.
Franchement, je voulais bien reconnaître qu’elles avaient dû s’inquiéter, mais dans le coin que pouvait-il se passer en trois jours ?
– On était tous inquiets, ne pas te retrouver…On a imaginé le pire, dit Théa en fermant les yeux.
– J’ai quand même le droit de vivre sans être tout le temps collée à vous !
– Oui, bien sûr, grinça Ada. Mais pas sans, pas si, pas comme ça, au moins donne des nouvelles.
Je haussais les épaules.
– Je suis venue dans cette ville chercher le calme, on ne peut pas dire que c’est ce que j’ai trouvé. Alors un peu de temps pour souffler ne me semble pas être trop demandé.
Là, elles avaient toutes trois l’air gênées.
– Je sais ma petite, finit par dire Suzanne, je sais, ce n’est pas vraiment ce que tu pensais, mais ne crois-tu pas que c’est ce que tu recherchais ?
Mais, elle me prend pour qui elle ? Désolée, mais non, du calme, c’était trop demandé ? Je soupirais, une fois, deux fois et en prenant toujours de grandes inspirations, je les regardais tour à tour.
– Je vous aime toutes les trois. Vous êtes des amies géniales. Je n’en ai jamais eu comme vous. Mais arrêtez de me surprotéger. Qu’à mon arrivée, comme je ne savais rien, vous vous êtes occupées de me rendre la vie facile, je vous en suis reconnaissante que je puisse vivre sans avoir à m’inquiéter des dangers qui pourraient me tomber dessus, avec de la population du coin, c’est fabuleux. Je sais bien que ce n’est qu’à vous que je le dois. Néanmoins, je pense que depuis quelques semaines, vous exagérez et franchement je me sens étouffer. Je n’ai plus dix ans et puis je voulais prendre le temps de…
Je sortis le livre de James de mon sac et le leur montrais, Suzanne pâlit, elle connaissait donc l’existence du livre et son contenu.
– Tu l’as lu ?
– Oui.
– Oh !
Elle ne dit plus rien, vraiment plus rien. Elle regardait par terre, mal à l’aise, mais Théa réagit différemment, un peu comme je l’avais imaginé en fait.
– Cool, alors tu sais, je me demandais quand tu te déciderais, depuis le temps que tu l’as et qu’as-tu pensé de mon histoire ?
Elle était sérieusement curieuse, pas inquiète pour deux sous. Ses yeux verts plantés dans les miens.
– T’en as bavé.
Voilà tout ce que je trouvais à dire à mon tour. Oui, mon amie aussi étrange que dangereuse, en avait bavé. Elle était la seule de son espèce à avoir été bannie, toutes les autres ondines avaient plus ou moins reçu le pardon et continuaient leur vie d’avant, pas elle. Elle avait payé pour les autres. Enfin, elle n’avait pas rien fait, loin de là, elle était si j’en croyais les écrits, la tueuse la plus prolifique de son espèce. Cependant, lors du traité de paix, elle seule fut sacrifiée en signe de bonne volonté de son clan et se retrouver ici, loin des siens, comme une pestiférée, n’avait pas amélioré son caractère. A son arrivée en ville plusieurs disparitions lui étaient imputées et quelques bagarres plutôt sanglantes, mais elle semblait s’être calmée au fil des années et se tenir presque à carreau depuis mon arrivée.
Les autres clans avaient banni plusieurs des leurs comme Suzanne et Judicaël et les cinquante membres de leur meute qui ont été rejoints par quelque centaine d’autres loups au fil des négociations. Donc, personne ici n’est tout blanc ni tout doux. Je m’étais interrogée sur la paix qui régnait malgré tout en ville et je ne voyais pas comment de tels soldats avaient pu se ranger sans souci. Finalement ce n’était pas mon problème. Non, mon problème était plutôt de leur tendance ultra protectrice avec moi. Attention ! Je ne niais absolument pas que j’avais toujours besoin de protection. J’avais déjà bien compris qu’ici je n’étais rien, mais depuis nouvel-an, c’était l’escalade. C’était parti de la petite humaine innocente et soyons honnête, stupide à la petite humaine qui savait, mais que l’on devait couver et je n’appréciais pas.
– Pas tant que ça. La voix de Théa coupa mes réflexions. Plus de la solitude que du coin.
Sa voix était douce sans colère, juste des regrets puis elle redevint le feu follet dont j’avais l’habitude
– Maintenant qu’on t’a retrouvée, il va falloir discuter d’un léger problème dont je peux me charger si tu veux. Mais elles, elle fit un signe de tête vers les louves, ne sont pas vraiment d’accords
– Un problème ?
– Bien des choses se sont passées en trois jours ! Râla Ada.
– Et un nombre impressionnant de messages sont arrivés sur ton téléphone. Un certain Jacques a tenté de te joindre au moins une centaine de fois.
Ok, donc mon ex avait tenté de me joindre, mais était-ce le problème ?
– C’est lui le problème, pourquoi ?
– Il arrive en fin de semaine.
Je grimaçais et je posais la question la plus sensée qui me venait en tête.
– Et ça change quoi ? Il va loger à l’hôtel, donc Mona pourra…
– Le faire repartir, mais pas l’empêcher de te voir, finit Ada.
– Hé bien je le verrais, ça change quoi ? Je m’attendais à voir débarquer mes parents un jour. Vous ne les connaissez pas, mais ça va finir par arriver. Alors que ça commence par lui ou par eux, ce n’est pas la catastrophe. Vous pensiez me cacher ? Pourquoi ? C’est un humain, donc je peux parfaitement gérer. Ce n’est que mon ex pas un dragon qui débarque, autant y faire face et le faire repartir vite fait.
Je trouvais cela même mieux. Je ne ressentais plus rien pour lui depuis longtemps. Non, ce n’est pas vrai, je lui en veux toujours pour la gifle, mais pas au point de laisser Théa régler le problème. L’idée faillit me faire marrer.
– Et non, Théa, dis-je en la fixant, ce n’est pas parce que c’est mon ex que tu dois te croire obligée de le tuer. C’est un connard. Il a eu un geste qu’il n’aurait jamais dû avoir, mais qui ne mérite pas la peine de mort. Et puis vous devriez le remercier, je ne serais jamais arrivée ici sans ça.
Je ne le leur dis pas, mais j’en étais persuadée qu’il venait à la demande de mes parents pour me convaincre d’en finir avec ma crise d’adolescence tardive et revenir à la maison comme la bonne fifille que je devrais être selon eux. Il allait être déçu. J’imaginais sans peine les réactions des deux folles qui me servaient d’amie-garde du corps et tueuses à temps partiel, s’il se montrait trop têtu ou qu’il tentait de m’intimider. Voilà, une chose qui avait changé, il ne me faisait plus peur.
– De toute façon, dit celle-ci, Suzanne et Ada ont réfléchi ensemble à une solution et elles pensent que ça te conviendra.
– Une solution à quoi ?
– Pour le faire partir rapidement, dit Suzanne, qu’il comprenne bien qu’il n’est pas le bienvenu, mais nous en parlerons une fois rentrées. Livius vire dingue.
Je fus poussée jusqu’à la voiture d’Ada et je ne reçus aucune réponse à mes questions sur l’humeur de Livius. Je me calais dans mon siège en fronçant les sourcils. Qu’allait-il encore m’arriver ? Que me réserverait ma mini-fugue avec le vampire-colocataire ? Qu’avaient-elles encore inventé ? Pourrais-je, un jour, retrouver le calme que je désirais ?
Le trajet du retour se fit en silence, moi derrière, le front appuyé contre la vitre, Suzanne raide comme la justice sur le siège passager avant, Ada lèvres serrées au volant, Théa nous suivant dans sa voiture. On aurait juré que nous nous rendions à l’enterrement d’un ami proche, mais non, nous rentrions chez moi dans la joie et la bonne humeur.
Mes bonnes résolutions semblaient disparaître avec la distance qui se réduisait entre la ville et mon chez-moi. J’avais la trouille qui remontait, le nœud dans mon estomac en était la preuve. J’avais occulté ce besoin maladif que Livius avait de me protéger et ce que j’avais lu sur lui me le présentait sous un jour plutôt particulier. Je comprenais le pourquoi de ce comportement de papa inquiet. Pourtant, j’avais du mal à associer les deux visions que j’avais de lui, celle du livre et celle du papa-vampire qui vivait avec moi.
Vieux, à ce point-là, je ne me l’étais jamais imaginer. Il était plus vieux que les pyramides et avait dû voir leurs constructions. Conti et lui étaient mésopotamiens. J’avais noté dans un coin de ma tête de contrôler dates et lieux, mais je n’avais pas pris le temps de le faire durant ma retraite. Ce qui m’avait frappé, c’est qu’il avait choisi de vivre ici. Il n’était pas parmi les bannis de son peuple. Pourtant, il avait préféré suivre sa compagne et son ami Conti et ce qui me mettait dans tous mes états et m’inquiétait, étaient les événements qui ont suivi, l’amenant à disparaître.
Sa compagne Carata, assassinée par un clan de vampire rivale, lors de son absence pour un conseil où sa présence, en tant que représentant des vampires du coin était obligatoire. À son retour, il avait retrouvé sa maison en feu et la tête décapitée de sa femme mis bien en vue sur le porche. Sa réaction fut, à mes yeux, terriblement violente. Non seulement, il tua les responsables, mais fit disparaître toutes les lignées ascendantes et descendantes des responsables, soit presque trois cents vampires tués dans cette course à la vengeance. Vengeance comprise et admise par les siens, mais qui avait fait de lui, l’un de vampire les plus meurtriers et l’avait fait entrer dans la légende.
Puis, il avait disparu.
Plus aucun écrit jusqu’à mon arrivée. Le livre n’avait donné aucune explication sur ce retour en « vie ». Juste que ça correspondait, plus ou moins, à mon installation dans la maison et ça me foutait la trouille, parce que le livre n’avait pas levé le voile sur grand-chose pouvant expliquer cette relation étrange qu’il y avait entre nous.
Je me traitais d’idiote, il ne fallait pas que je me laisse aller à paniquer. Je devais me tenir à mes décisions et ne plus subir sans réagir et d’être une idiote d’humaine, certes, mais pas une marionnette, même si pour mes amis les raisons de me protéger semblaient plus que valable et pour moi aussi, si je me montrais honnête.
C’était d’un pas décidé que je poussais la porte et entrais avant de me figer et de faire demi-tour. Voilà, j’étais une grande fille et je décidais de ne plus me laisser marcher dessus et je ne paniquais pas. Non, du tout, mais alors pas du tout, je ne paniquais pas ! Mais, que foutait tout ce monde chez moi ? C’est donc, avec convictions et fierté que je faisais demi-tour. Ada me chopa par un bras, Théa me poussa sur le ventre pour me faire reculer et Suzanne voyant que je résistais, m’attrapa par l’autre bras pour me faire rentrer. Voilà, c’était donc à moitié soulevée par les deux louves et maintenue par Théa que je rentrais chez moi, en marche arrière, sous le regard étonné des gens qui squattaient mon salon.
Je sentais bien combien on me respectait et combien on respectait mon libre arbitre. Bref, tout est normal. Je n’avais pas déjà dit ça ? Donc je redisais encore une fois tout est normal !
Posée presque de force sur le canapé, la mine boudeuse, je regardais les intrus qui squattaient ma maison, en face de moi se tenait Mona, Livius, Conti, Judicaël, Katherina et Bogdan, le boss d’Ada, et tous me regardaient de travers. Mes bonnes résolutions fondaient comme neige au soleil. Je me ratatinais dans le canapé, oui, je faisais à cet instant vraiment grande fille sûr d’elle et décidée à se faire respecter. On ne se moque pas de moi ! Je voudrais vous y voir. Ada s’assit à côté de moi avec le sourire de travers et Théa se jeta de l’autre côté en rebondissant et me faisant sursauter. Elles se marraient.
Bon, voilà, voilà…
– Elle était où ? demanda Mona.
– Chez moi, dit James en passant la porte avec un sourire allant d’une oreille à l’autre.
Tiens manquait plus que lui. Ils se retournèrent tous et le fixèrent. Il leva les mains en signe de paix devant les regards assassins qui le fixaient.
– Elle avait besoin de s’éloigner un peu de vous, de nous. Vous la traitez comme une enfant. Elle l’est pour vous, mais pour une humaine, elle est adulte, plus une enfant depuis longtemps et elle est capable de prendre ses propres décisions si vous lui donniez toutes les données et pas seulement des bouts arrachés de-ci de-là. Vous avez de la chance qu’elle ait ce caractère. Accepter notre existence, accepter nos secrets, accepter ce besoin de la surprotéger, nous accepter tel que nous sommes, sans demander plus. Il était normal de la laisser un peu souffler loin de nous, franchement vous auriez dû le faire avant et je lui ai fourni les informations nécessaires que vous n’avez pas eus envie de donner.
– Il lui a refilé son bouquin traqueur, se marrait Théa.
Là je dois dire que les têtes en face de moi se tendirent sérieusement, il y eut des grognements et des soupirs.
– Bien, reprit James, on ne va pas en faire une maladie, elle n’est plus une enfant, martela-t-il. Le savoir permet de mieux éviter les problèmes, au lieu de juste les gérer pour elle et de tout lui cacher.
Il avait l’air si calme et tranquille que je regardais plus attentivement autour de moi. Tous les autres semblaient contrariés et tendus. Ce que j’avais appris sur eux me permettait aujourd’hui de voir dans leurs expressions ce qu’ils étaient derrière le masque. Surtout, ça me permettait de me rendre compte que seule Théa assumait totalement et pourtant si quelqu’un avait à se reprocher quelque chose, c’était bien elle. Là, je dois admettre que l’avoir pour amie était une chance, le contraire aurait été une fin rapide pour moi. J’en frissonnais, mais la rouquine me fit un clin d’œil et souriait.
– Ils ont tous l’air super coincé, tu ne trouves pas ?
Je repensais à son imitation de Conti-dracula, me mordis les lèvres pour ne pas rire alors que tous ceux présents tiraient la tronche puis elle rajoutait.
– Et puis sont tous super vieux et super vieux jeu.
Je pouffais devant ses yeux qui pétillaient et craquait définitivement alors qu’elle concluait.
– Je suis plus vieille qu’eux, plus dangereuse et nettement plus dans le coup, moi.
Je me mis à rire franchement. Car oui, elle était plus jeune dans sa tête que moi et plus dangereuse que tous ceux présents. Je l’avais bien compris, mais surtout elle ne se prenait pas au sérieux dès que j’étais dans les parages comme pour me prouver qu’elle ne me voyait pas comme une enfant et que son amitié était des plus vraie. J’aimais ça. Calmée nette, par le regard tueur et furieux de papounet-vampire, je demandais entre mes dents :
– Il est vraiment furieux après moi ?
– Il s’est inquiété, tu vas te faire engueuler, mais ne l’écoute pas, c’est qu’un vieux ronchon.
Bonne description sauf qu’après ce que j’avais appris, je comprenais mieux son inquiétude et je me sentais mal à l’aise. Il ne me restait plus qu’à subir sans rien dire l’engueulade que j’allais me prendre.
– Ils font quoi tous là ?
Continuais-je sans oser regarder qui que ce soit.
– Nous nous sommes invitées à une réunion des huit. Je n’ai jamais réussi à m’y incruster.
– Tu n’y es pas ?
– Je suis sous l’autorité de Mona. Du moins, ils le croient.
Elle me grimaça un sourire et fit semblant d’être super attentive à ce qui se passait autour de nous.
– Je pense que la réunion devrait être reportée puisqu’il n’y a rien à débattre d’important et que la présence de plus que les huit, nuit à la réunion. Fît la voix grave de Katherina
Elle était raide comme une planche et avait repris son inspection du mur derrière moi. James le remarqua et lui fit la remarque. Elle lui répondit d’un ton encore plus sec
– Elle n’est ni sorcière, ni elfe, ni fée, ni quoi que ce soit de connu. Je sais pourtant qu’elle n’est pas qu’humaine. Mais comme ce n’est pas le but de ce conseil, je ne vois pas pourquoi je devrais la supporter donc je vais m’en aller, si certains souhaitent rester qu’ils le fassent.
Elle fit une mimique qui disait qu’elle ne le voulait pas, c’était parfaitement clair. Elle se leva, fit un geste de tête en direction des autres et sortit suivie par Bogdan et Mona. Et hop, trois de moins en restait cinq, loup, sorcier, ondine et vampires, tiens au fait, ils faisaient quoi les deux sangsues debout en pleine journée ?
– Vous ne dormez pas ?
– Les avantages de l’âge, me répondit Conti dans un sourire.
Je le lui rendis, mais la mine sévère de Livius me fit me coller à Théa qui me souffla dans l’oreille.
– Pas de panique. Ada et moi on lui fait sa fête s’il t’attaque.
Ada assura doucement.
– Demande et on se le fait sans souci. J’ai besoin de calmer mon stress, c’est une bonne solution plutôt que de t’égorger.
Théa éclata de rire. Moi, je me sentais super mal à l’aise et cherchais dans le regard de la brunette si oui ou non, elle le pensait. Son regard glacial me fit mal au cœur, puis je vis un éclair qu’elle n’arrivait pas à retenir, un éclair de moquerie planqué tout au fond, mais bien réel. Impulsivement, je l’embrassais sur la joue en lui demandant pardon de l’avoir inquiété. Elle me prit dans les bras et nous fûmes rejointes par Théa.
Là, si j’étais franche, je me sentais à la maison, en sécurité et heureuse de l’accolade de mes amies. J’étais simplement bien. J’étais à ma place. Ne me demandez par comment ces deux pestes avaient pris tant de place dans mon cœur. Pourtant, je me sentais plus proche d’elles que de mes sœurs et à ce moment précis, je comprenais que jamais je ne partirais d’ici parce que ici, c’est chez moi.
Bonsoir,
Si vous le souhaitez, je peux vous le faire parvenir sous forme de pdf.
Ce serait plus facile à lire qu'ici.
Michel Marchais
17 février 2024
Bonjour,
Je viens de commencer votre œuvre et votre style dynamique m'a donné envie de poursuivre.
Malheureusement cela va prendre du temps car le format de lecture de type colonne me convient pas du tout et je ne peux pas lire longtemps.
Gand Laetitia
15 février 2024
Dès que je peux je lirai votre oeuvre mais pour l'instant, j'essaie de comprendre le site et j'ai commencé aussi à poster un peu, juste pour donner un avant goût de ce que je fais. Ce n'est par contre qu'un début.
Gaby Schmid
15 février 2024
Je comprends, le titre est une première accroche qui plait ou non.
Il aura eu le mérite de retenir votre attention.
Gand Laetitia
15 février 2024
Oui en effet j'avais vu par mail mais parait-il c'est seulement au premier commentaire.
Effectivement je ne vous ai pas encore lu en entier mais j'étais curieuse pour le titre. Par contre, même si je vois que pour vous cela a un sens, je trouve que le doublon ne fait pas joli pour un titre mais ce n'est que mon avis.
Gaby Schmid
15 février 2024
Je me suis aperçue que je vous avais répondu, par mail, comme si vous aviez lu le lire en entier, ce qui n'est pas la cas.
Donc la raison du ! : c'est un des fils rouge de la série
Et celle du ? : parce que même si l'histoire commence comme un morceau de vie très banal, la suite ne l'est pas.
Gand Laetitia
13 février 2024
Bonjour,
Petite question : pourquoi un titre en doublon avec une fois un ! et l'autre ?
Ce n’est pas mon nom. C'est pourtant la bonne adresse. Je viens d'arriver ici et je sais que la maison n'est plus habitée depuis des années. Le papier est neuf,...
Contenu complet
Ce n’est pas mon nom. C’est pourtant la bonne adresse. Je viens d’arriver ici et je sais que la maison n’est plus habitée depuis des années. Le papier est neuf, ce n’est pas un courrier oublié.
Une carte de Noël.
Je n’en avais jamais reçue, même quand j’étais petite. Et puis cela fait des années et des années qu’elles sont virtuelles, ces cartes.
J’aime bien, elle est fermée avec un sticker en forme de sceau à l’ancienne, non, c’est vraiment de la cire, une fine couche de cire rouge… Pour l’ouvrir il faut… Je viens de comprendre cette expression… Briser le sceau.
Ce sera définitif, en brisant la cire, j’endosserai solennellement l’identité de la destinataire. Je souris en réalisant qu’en cet instant, je suis la seule personne au monde à faire ce geste.
Je deviens Annabella Fox.
« Très chère amie,
lorsque vous êtes partie au collège, ce fut un jour triste.
Lorsque vous êtes partie à l’école d’infirmière, ce fut un jour triste.
Lorsque vous êtes partie à Hawaï, ce fut un jour triste.
Lorsque la bombe qui visait l’USS Pennsylvania vous a emportée avec l’infirmerie et les vingt-sept autres blessés, ce fut un jour triste.
Mais aujourd’hui, vous êtes de retour, très chère amie, c’est un beau jour.
J'aime bien dans l'ensemble ce court texte malgré quelques petites répétitions (je ne parle pas de la répétition de la tournure "ce fut un jour triste" qui est bien amenée )
J'aurais développé un peu le début de la nouvelle (description de la maison pour mieux montrer aux lecteurs qu'elle n'a pas été habitée depuis longtemps)
J'aurais développé également la fin pour mieux montrer le côté fantastique de la nouvelle (en fait si j'ai bien compris la narratrice serait la réincarnation de l'infirmière)
J'aurais bien aimé mettre 2.5 étoiles mais c'est pas possible !
Philippe A
13 février 2024
Le Service Postal US vous informe que le détournement de courrier expose à des amendes selon les directives spécifiques pour le transfert du courrier, notamment des exigences en matière d'adressage et d'emballage appropriés.
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