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Estelle Etcheverry âgée de 35 ans, vis à Brest. Suite à sa séparation avec Aflonso Roy, elle s’est laissé aller. Pour la première fois de sa vie, elle a décidé de franchir la porte d’une salle de sport. Elle y rencontre Nabil Nivet qui fait aussi du sport. Elle fait également connaissance avec le coach Valentin Vuillaume, le courant passe super bien entre eux. Il y a aussi la coach Kathy Castex, le contact est plus difficile. Elle a le coup de foudre pour Valentin.
Valentin Vuillaume âgé de 37 ans. À la suite de l’accident de voiture qui a tué Faustine Lambert, une joueuse professionnelle de football, il a déménagé à Brest pour essayer d’oublier sa peine. Il est coach sportif. Il connaît Kathy seulement depuis son arrivée en ville, sans le savoir, un lien les unit.
Nabil, âgé de 37 ans, entretient une amitié avec Kathy tout en cachant des sentiments amoureux pour elle. Il remarque l’intérêt qu’Estelle porte à Valentin. Afin de changer le regard de Kathy de l’amitié à une relation amoureuse, il consent à entraver la relation naissante entre Estelle et Valentin. Kathy porte en elle un secret qui la tourmente, la poussant à tout mettre en œuvre pour empêcher tout rapprochement entre Valentin et Estelle.
Est-ce qu’Estelle et Valentin réussiront à vivre leur histoire ?
Quel lien uni Valentin et Kathy ?
Une romance à suspense, touchante.
Chapitre n° 1
Je m’appelle Estelle, et je suis une Brestoise de naissance. Bien que je vive ici depuis toujours, je ne prétendrai jamais connaître par cœur cette ville. Chaque jour, je découvre de nouveaux endroits.
Avant ma séparation avec Alfonso Roy, j’étais heureuse et nous habitions chacun de notre côté. Lorsque le premier confinement a commencé, mes parents ont souhaité que je vienne chez eux. J’ai refusé, mais pour les rassurer, j’ai demandé à Alfonso de venir chez moi, ce qu’il a accepté immédiatement. Pendant ce premier isolement, tout s’est bien passé.
Les problèmes ont débuté lors du deuxième enfermement. Alfonso ne faisait rien dans l’appartement, me laissant tout le travail : nettoyage, courses et préparation des repas. Pendant ce temps-là, il passait ses journées devant l’ordinateur ou la télévision sans prêter attention à moi.
Quand nous avions fini avec les confinements, Alfonso m’a annoncé qu’il me quittait, il ne m’a pas donné de raison. Dès qu’il est parti de chez moi, je me suis mise à pleurer. Pour oublier ma peine, je me suis réfugiée dans la nourriture. Bien sûr, j’ai pris du poids. Je n’ai pas repris mes activités sportives, car j’avais trop honte de mon corps.
Durant l’été 2022, ma mère me l’a fait remarquer. Je me souviens comme si c’était hier notre conversation.
Quoi ? demandé-je.
Est-ce que ça te dit d’aller marcher au bord de la mer ?
Non, on a déjà été hier.
Estelle, tu as pris du poids depuis le confinement. Tu ne bouges plus assez.
Je n’ai pas envie d’aller me balader.
Ce jour-là, plutôt que d’accompagner mes parents pour leur promenade, j’ai passé l’après-midi à visionner les photos reçues d’Alfonso. Toutefois, j’ai pris conscience de la situation et ai pris une décision radicale : j’ai supprimé toutes les photographies ainsi que son numéro de téléphone.
Depuis cette journée, j’ai commencé à sortir chaque fois que mes parents me l’ont demandé. Cependant, j’ai vite compris que pour retrouver ma forme physique d’avant, il ne suffit pas de simplement sortir. Il est également essentiel de surveiller mon alimentation et de reprendre le sport que j’ai abandonné juste avant le confinement. Le souci est que j’ai décroché un poste d’agent d’entretien dans les écoles primaires et maternelles. J’ai commencé en avril dernier, mais pour l’instant, je ne suis qu’une remplaçante. La majorité de mes heures de travail sont en soirée, ce qui m’empêche de participer aux cours de yoga du vendredi soir et de renforcement musculaire prévu à 20 heures, le lundi.
Le professeur est sympathique, mais au début, nous étions nombreux à assister à ses leçons. Cependant, au fil du temps, de moins en moins de personnes viennent. Je ne comprends pas pourquoi. Ils ont payé pour suivre l’activité, mais abandonnent dès que l’hiver arrive. Je trouve cela impoli envers l’enseignante. Il est fréquent que seulement deux ou trois élèves participent à ses cours, et parfois même, je suis la seule présente. Bien que cela puisse être décourageant, je m’efforce de rester motivée et de continuer à assister aux cours chaque lundi. À la fin de chaque session, je ressens une grande satisfaction et une fierté personnelle.
En rentrant chez moi le soir après le travail, je n’ai pas l’énergie nécessaire pour aller directement faire du sport. En septembre, la mairie m’a appelé pour me proposer une mission de remplacement à l’école des Quatre Moulins, située à environ 15 minutes de marche de chez moi.
À mon retour de vacances, je remarque que les maisons pour tous organisent des journées portes ouvertes. Je prévois d’assister à celle de la maison pour tous de Saint-Pierre. En parcourant le Web, j’ai découvert qu’il y avait des cours de yoga l’après-midi et le soir. J’ai choisi de m’inscrire pour la leçon du lundi après-midi de 14 heures à 15 heures 30. Cette option me permettra de retourner à mon appartement pour me changer avant d’aller travailler. Cependant, aucun horaire ne me convient pour mes séances de renforcement musculaire. Par conséquent, j’ai décidé de visiter les salles de sport.
Depuis ma conversation avec ma mère, j’y réfléchis. J’ai déjà fait le tour de deux salles, mais aucune d’entre elles ne m’a vraiment convaincu. Toutefois, il me reste une dernière option : Basic Fil. Je suis débutante dans ce domaine et j’aimerais engager un coach pour m’assister dans mes activités sportives. Cependant, il semble que les frais d’entraîneur s’ajoutent au coût de la souscription. J’espère que cette salle de sport inclut ces frais dans le prix de l’abonnement. La salle de sport se trouve à proximité du centre commercial Carrefour, à environ une trentaine de minutes de marche de mon domicile. Heureusement, j’apprécie la marche. Pour parvenir à la salle, il faut monter quelques marches. En ouvrant la porte, j’aperçois immédiatement de nombreuses machines inconnues à mes yeux. Le lieu dispose de deux portiques, mais sans la carte d’accès, il m’est impossible de pénétrer dans la salle. Heureusement, une sonnette est mise à disposition, je l’utilise pour informer de ma présence.
Après quelques secondes, un jeune homme vient m’ouvrir la porte. Il est très séduisant. Cependant, je ne suis pas là pour flirter. En réalité, je suis très méfiante envers les hommes.
Bonjour, que puis-je pour vous ?
Je voudrais connaître les offres que vous offrez.
Il y a trois propositions. La première offre confort est à 24,99 euros, toutes les quatre semaines. Les quatre premières semaines sont à 40,99 euros, avec cette offre, vous avez un accès illimité. En revanche, les frais d’inscription sont à 19,99 euros. La durée du contrat est d’un an. La seconde offre premium est à 29,99 euros par semaine. Il n’y a pas de frais d’admissions. La dernière est à 49,99 euros tout compris. Vous pouvez payer en plus 9,99 euros qui vous permettent de mettre fin à votre abonnement toutes les quatre semaines.
Est-ce que les frais de coach sont compris, dans les offres ?
Non, vous pouvez faire appel à un coach qui travaille dans la salle. Ils sont indépendants de la salle. Leurs prix n’ont rien à voir avec nous.
Est-ce que c’est possible de faire un essai avant de s’engager ?
Comme je vous l’ai dit, en plus de l’abonnement que vous choisirez, vous pouvez prendre l’opinion Flex qui est que 9,99 euros, toutes les quatre semaines. Vous pouvez aussi demander à un coach de vous montrer le fonctionnement des machines. En revanche, c’est 25 euros en plus.
Merci de m’avoir répondu.
C’est normal, je suis là pour ça. Si vous voulez, vous inscrire, vous pouvez le faire aux bornes qui se trouvent ici ou juste dans le hall ou bien sur notre site. Si vous le faites à partir des bornes, il vous faut un RIB et votre carte bancaire.
Ça sera pour un autre jour. Je vais réfléchir avant.
J’espère que j’ai répondu à vos questions.
Avant de partir, je jette un coup d’œil dans la salle. Je dois admettre que c’est quand même coûteux, mais en même temps, je me sens à l’aise ici. Avant de me décider, je vais prendre le temps de bien réfléchir. Il est parfois judicieux de prendre une décision après une bonne nuit de sommeil. Dans le cas présent, j’aurais souhaité m’inscrire aujourd’hui, je ne peux pas le faire, car je n’ai ni ma carte bancaire ni mon RIB avec moi.
Le lendemain matin, après une bonne nuit de sommeil et un bon petit-déjeuner, j’ai vérifié mon compte bancaire et commencé à faire des calculs. Même si je travaille régulièrement, je suis payé en fonction du nombre d’heures bossées, donc c’était important de savoir combien je gagne.
Puisque j’ai pris la décision de m’inscrire, il serait préférable que j’y aille le jour même pour ne pas changer d’avis. Ce matin, j’ai imprimé mon RIB. Je peux prendre le tramway, je privilégie la marche. J’ai également pris mon MP3 pour écouter de la musique en chemin.
Arrivée à la salle de sport, je me dirige immédiatement vers la borne du hall. L’opération ne prend pas beaucoup de temps, environ 5 minutes. J’ai obtenu ma carte sur-le-champ. J’ai choisi l’offre complète à 24,99 euros, avec l’offre de 25 euros pour une séance avec un entraîneur.
Pendant que je marchais, une question m’est apparue, j’utilise ma carte pour rentrer. Le même homme de la veille vient à ma rencontre.
Je voulais savoir quelque chose. J’ai pris l’offre à 25 euros, comment ça se passe ?
Un coach va vous téléphoner pour vous donner un rendez-vous. Il vous expliquera comment il fonctionne et vous ferez une séance d’une heure avec lui, répond-il :
Quand combien de temps ?
Ça peut être aujourd’hui, comme demain.
Je lui dis au revoir et part.
Maintenant que cette étape est accomplie, j’ai hâte de commencer. Je décide de rentrer à pied, j’ai encore 2 heures avant de me rendre au boulot. J’ai débuté à travailler aux Quatre Moulins il y a une semaine et je suis très satisfaite de l’expérience jusqu’à présent. L’ambiance y est très agréable.
Alors que je marche en direction de chez moi, mon téléphone portable sonne. Bien que le numéro ne me soit pas familier, je décide de répondre en anticipant un appel important.
Allô.
Bonjour, je me présente, je suis Valentin Vuillaume. Je suis coach sportive à Basic Fil. Je me permets de vous appeler.
Quand serez-vous libres pour qu’on discute de votre objectif et que je vous explique comment je fonctionne ?
Je suis libre en journée jusqu’à 16 heures sauf le mercredi.
Est-ce que demain à 14 heures, ça vous irait ?
Bien, on peut aussi faire la séance demain et je vous parlerais de mes tarifs juste après.
Ça me va.
Je raccroche et je rentre chez moi.
Le lendemain, en début d’après-midi, je me rends à la salle de sport, déjà vêtu de mon équipement de sport : un t-shirt et un short.
Dès mon arrivée, une jeune femme m’accueille, elle est très séduisante.
Bonjour, j’ai rendez-vous avec un certain Valentin Vuillaume. Je m’appelle Estelle.
Je vais le chercher.
Elle s’en va chercher le fameux Valentin. Après une dizaine de minutes, un jeune homme brun s’approche de moi.
Bonjour, tu dois être Estelle.
Bonjour… Oui.
Étrange, j’ai donné mon nom à la jeune femme.
Je suis désolé de t’avoir fait attendre.
Pas de problème.
Nous allons commencer par la séance si ça te va. Est-ce que tu as déjà fait du sport ?
Oui, actuellement je fais du yoga. Avant, je pratiquais du renforcement musculaire à la maison pour tous du Valy-hir. J’ai arrêté cette année, car mes horaires de travail ne conviennent plus. Je marche le plus souvent. C’est la première fois que je m’inscris dans une salle de sport, mais ça fait longtemps que j’y pensais.
C’est déjà un bon début. Tu es sportive. Qu’est-ce que tu attends d’un coach ?
Qu’il me motive, je pense que si je suis seule, je n’arriverais pas et je perdrais facilement la motivation !
Quel est ton but ?
Perdre un peu de poids. Je sais bien que seul le sport ne peut pas le faire.
En effet. Dans un premier temps, je vais te montrer certaines machines et leur fonctionnement, on discutera du tarif après. C’est bon pour toi.
J’acquiesce.
Bien, on va commencer doucement. Est-ce que tu as déjà fait des squats ?
Montre-moi, je te dirais si tu exécutes bien le mouvement.
En position debout, j’écarte mes jambes tout en tournant légèrement les pointes de mes pieds vers l’extérieur. En fléchissant les jambes, je pousse mes fesses vers l’arrière et maintiens la posture jusqu’à ce que mes cuisses soient parallèles au sol. Je répète le mouvement environ dix fois.
Bien, même très bien. Tu devrais respirer en remontant et à certains moments tu ne vas pas assez bas. Je suis sûr que tu peux le faire. Recommence.
Je prends en compte ce qu’il m’a dit et je mets en pratique.
C’est déjà mieux.
À la fin de la quatrième série, il me fait changer d’exercices.
Est-ce que tu sais faire des fentes ?
Vas-y, change de jambe à chaque fois.
Je fais le mouvement, cependant, je manque d’équilibre.
On va essayer d’une autre façon, informe Valentin. Tu vas faire des fentes marcher en changeant de jambes.
J’exécute l’exercice.
C’est mieux. Refais-le.
Comme pour les squats, je fais quatre séries.
Tu as déjà de bonnes bases, me dit Valentin. On va aller à la Leg Press.
Je le regarde sans comprendre ce qu’il dit.
Je vais te montrer, la machine.
Il m’emmène à côté de la machine qui se trouve juste à côté de l’entrée et me montre le mouvement.
On va commencer par 4,5 kg pour le début.
Au départ, j’ai des difficultés à exécuter correctement le mouvement, mais après quatre séries, j’ai enfin réussi à le réaliser comme il faut. Par la suite, Valentin m’a présenté deux autres machines, l’une pour les bras et l’autre pour le dos.
Alors, comment as-tu trouvé ?
Plutôt bien. J’ai découvert des muscles.
Bois beaucoup d’eau, tu vas avoir des courbatures demain.
Il m’invite à m’asseoir et il m’explique son tarif
Je suis coach indépendant de la salle. La séance coûte 40 euros. Ça revient à 480 € pour trois mois. Il y a possibilité de payer en plusieurs fois.
Avant de répondre, j’ai besoin d’y réfléchir.
C’est normal. Prends ton temps. Tu as mon numéro, n’hésites pas à m’appeler ou à venir ici. J’y suis tous les jours.
Nous disons au revoir et je pars. Je ressens une légère fatigue après la séance, mais une bonne nuit de sommeil devrait suffire pour que je sois en pleine forme demain.
Dès mon retour du boulot, j’ai allumé la télévision sans pour autant la regarder, je n’arrête pas de penser aux yeux bleus de Valentin.
D’autre part, je ne sais pas si je le prends, comme entraîneur le prix peut m’arrêter. Je voulais y réfléchir et commencer à faire le calcul, mais je ne suis pas d’humeur ce soir.
Chapitre n° 2
Durant la nuit, j’ai rêvé de Valentin, un fantasme assez bizarre. Dès que je franchis le portique pour aller m’entraîner, Valentin s’approche de moi et m’enlace. Curieusement, la salle était vide. Dans mon rêve, il me soulève puis me porte jusqu’à une pièce puis m’embrasse de nouveau en me collant contre le mur.
Estelle, j’ai envie de toi, et ce depuis que je t’ai vu passer le portique, murmure Valentin.
Il n’attend pas que je lui réponde, il pose sa bouche pulpeuse sur la mienne. Il m’embrasse tendrement. À un moment, ses lèvres descendent jusqu’au niveau de mon cou. Je penche la tête sur le côté pour qu’il ait un meilleur accès. Lentement, il passe sa langue sur ma veine. Heureusement que Valentin me tient par la taille, car sinon je tomberais. Une de ses mains remonte jusqu’au niveau de ma poitrine. Il la caresse à travers mon t-shirt. Il pince délicatement mes tétons. Je gémis de plaisir.
Joli son, me chuchote Valentin contre ma bouche. Si tu savais combien j’ai envie de toi, dit-il en frottant son bassin contre le mien.
Je ne peux pas louper son excitation. Au moment où, il commence à baisser mon short, j’ouvre les yeux. Ma main est sur mon sexe humide. C’est la première fois que ça m’arrive. Comme j’ai un peu froid, je soulève la tête puis j’aperçois le drap au pied du lit. J’ai dû le pousser pendant la nuit.
Dès que je me suis levé, j’ai pris un bon petit-déjeuner, puis je me suis habillé. J’ai allumé mon ordi pour déjà vérifier mon compte, mais aussi faire encore des calculs pour voir si je peux me permet de régler Valentin. Au fond de moi, j’espère que je peux.
Après de nombreuses estimations, je m’aperçois que je peux payer. Bon, je ne peux pas verser la totalité, j’espère qu’il va accepter que je le rémunère en plusieurs fois. Il faudra juste que je fasse attention aux dépenses. Dès que je serai plus à l’aise, je pense faire seule les exercices.
Toute la journée, j’hésite à téléphoner à Valentin pour le prévenir que je le prends comme coach. Pendant mon travail, je n’arrête pas de penser à Valentin. Depuis hier, j’ai son visage en tête. Alors que je suis en train de bosser, mon portable émet un bip. Je me saisis de mon portable qui se trouve sur le chariot, j’ai la surprise de voir le prénom de Valentin.
« Bonjour ! Estelle, je suis désolé de te déranger. Je voulais juste savoir si tu avais pris ta décision. C’est juste pour préparer mon emploi du temps. »
Je lui réponds.
« Bonjour, en effet, j’ai pris ma décision. Je n’ai
pas eu vraiment le temps de t’envoyer un
message. Avant de répondre, j’ai une question.
Est-ce que je peux te payer en plusieurs fois ? »
Je repose mon portable sur le chariot et reprends mon travail. Quelques minutes plus tard, je reçois un nouveau message. J’arrête mon chariot et je me saisis de mon portable.
« Pas de souci, tu peux payer en plusieurs fois. Est-ce que ça veut dire que tu acceptes que je te coach ? J’espère que mon message ne t’a pas dérangé. »
En attendant l’ascenseur, je lui réponds
« Oui, je veux bien que tu me coaches. Pour le message, ça ne m’a pas dérangé. »
« Quand es-tu libre pour qu’on se fasse une séance ? »
« Tous les jours. Aujourd’hui, j’ai des courbatures. »
« Ça veut dire que tu as bien travaillé hier, ça passera. Mardi prochain à 10 heures, tu es libre. »
« Pour l’instant, je n’ai rien de prévu. »
« Maintenant, si tu as une séance de prévue à cette heure. »
« OK ! J’y serais. »
« Bien, je te laisse. À mardi. »
« À mardi. »
Je mets mon portable dans ma poche, et je retourne enfin dans la salle de pause. Pendant le temps qui reste, je discute avec ma collègue de travail.
Le samedi vers 13 heures, je prends la direction de chez mes parents qui habitent à Porspoder.
Alors que je place mes affaires dans le coffre de ma Clio, mon portable émet un bip. J’attends d’être dans la voiture pour lire le message.
« Bonjour, je suis désolé de vous déranger, j’ai eu votre numéro avec Valentin. Je me prénomme Kathy. Je suis également coach sportif. Je voudrais savoir si vous êtes intéressé pour un coaching avec moi. Mes tarifs sont de 500 € pour trois mois. »
Je lui réponds directement.
« Bonjour, enchanté. J’ai le regret de vous répondre non. »
Je trouve bizarre que Valentin ait donné mon numéro à une collègue. Pour être sûr que c’est bien lui, je lui envoie un message.
« Bonjour, juste pour être sûr, est-ce que tu as
donné mon numéro à une certaine Kathy ? »
Je n’attends pas sa réponse pour prendre la route.
À peine, arriver que j’aie posé mes affaires dans ma chambre, ma mère me propose d’aller se balader, je n’ai pas spécialement envie, mais j’accepte d’y aller. Je jette un rapide coup d’œil à mon portable, aucune réponse. Nous allions nous promener sur la dune. Mes parents habitent à environ 500 mètres de la plage. Mon père refuse de venir avec nous. D’habitude, il vient avec nous. En chemin, ma mère et moi parlons.
Comment ça va le travail ? me demande ma mère.
Très bien, je me sens super bien, il y a une bonne ambiance.
Est-ce que tu as repris le sport ?
Oui, je fais du yoga le lundi après-midi et je me suis inscrite dans une salle de sport cette semaine. Ça me coûte 24,99 euros.
Est-ce que tu t’en sors financièrement ?
Bien sûr, ne t’inquiète pas, je fais attention.
Si tu as besoin d’aide, n’hésite pas à nous le dire.
Nous marchons pendant environ 1 heure. Dès que nous sommes rentrées, je suis allée vérifier si Valentin m’avait répondu. C’est le cas.
« Bonjour, pour ta question, je n’ai pas donné ton numéro à ma collègue. Je vais lui poser la question pour savoir comment elle a pu l’avoir. »
Alors que j’hésite à répliquer, je reçois un nouveau message.
« Bonjour, je voulais juste te dire de ne pas tourner autour de Valentin. Il est à moi. Ne lui parle pas. Jeudi, il s’est montré gentil avec toi, mais je sais qu’il n’a pas aimé te coacher. Il t’a trouvée nulle. »
Qui est-elle pour me dire ça ? Après la séance, Valentin m’a félicité et m’a dit que j’avais de bonnes bases. Je ne vois pas pourquoi il m’aurait menti. Je ne vois pas pourquoi elle me dit qu’elle et Valentin sont en couple, il ne m’intéresse pas. Alors oui, je l’ai trouvé séduisant, mais ça en reste là. Le lendemain soir, je rentre chez moi.
Durant la journée du lundi, je me rends à mon cours de yoga et je me rends au travail. Pendant tout ce last de temps, je n’arrête pas de penser à la séance qui m’attend le lendemain. Le soir même, je mets mon réveil à sonner pour 7 heures 30. Ça me permettra d’être bien réveillé et d’y aller à pied jusqu’à la salle si le temps le permet.
Le lendemain matin, en ouvrant les volets, je remarque que la météo va être ensoleillée. Au fond de moi, je suis contente, car marcher jusqu’à la salle me fera un petit échauffement. Je décide d’aller prendre une douche avant de prendre mon petit-déjeuner. Pour le petit-déjeuner, je prends du fromage blanc avec céréale du thé et jus d’orange. Dès que j’ai fini de manger et de préparer mon sac, je sors de chez moi et prends la direction de la salle de sport. J’arrive à la salle au bout d’environ 30 minutes. Quand je suis dans le hall, je prends une grande inspiration et je franchis le portique. Je vais déposer mon sac dans un casier, je prends la gourde, ma serviette. Je retourne vers l’entrée et j’attends Valentin. Je jette un œil vers les machines, un homme s’approche de moi.
C’est la première fois que tu viens à la salle, me demande l’homme.
Oui et non. J’ai fait une séance avec un coach la semaine dernière pour qu’il me montre les machines.
Je vois. Je m’appelle Nabil. Si tu le désires, je peux te montrer les mouvements sur certaines machines.
Mon nom est Estelle. J’attends Valentin Vuillaume.
OK ! Si tu as besoin de conseils, n’hésite pas à me le faire savoir.
Merci, mais pour l’instant, je compte venir qu’une fois par semaine.
Pas de soucis, si tu veux en attendant Valentin, tu peux commencer à t’échauffer en faisant du rameur.
Ça ira, j’ai fait de la marche pour venir.
Au loin, j’aperçois Valentin arrivé.
Bonjour, Estelle. Je suis désolé pour le retard.
Pas de problème, ça ne fait pas longtemps que je suis arrivée.
Bien, laisse-moi quelques minutes, je vais déposer ceci, dit-il en montrant une boîte.
J’acquiesce. Valentin rentre dans une pièce que je suppose être la salle de pause. Mon rêve me revient comme un boulet de canon. Quelques secondes plus tard, Valentin revient.
Est-ce que tu t’es échauffé ? me demande-t-il.
Oui, je suis venu à pied.
Très bien ça. Je dois te donner mon RIB pour que tu puisses faire le virement.
Bien sûr.
Par rapport à ton message que tu m’as envoyé, tu es sûr que c’est Kathy qui t’a écrit.
Elle a écrit son prénom dessus alors oui. Elle se propose de me coacher.
Je vois, je verrais avec elle après. Pour te rassurer, ce n’est pas moi qui lui ai fourni ton numéro. Elle a dû le trouver sur mon portable. On est amis, mais ici on est rivaux.
Étrange, Kathy m’a écrit qu’ils étaient en couple et pour Valentin, ils sont juste amis.
On va commencer par la Leg Press. Tu te souviens du mouvement.
Je crois que oui.
Valentin règle tout ce qu’il faut sur la machine.
Avant de débuter, tu vas me faire une petite série de squat. C’est pour chauffer un peu les muscles avant.
Je fais ce qu’il me dit. Après, je m’installe sur la chaise.
J’ai mis 4,5 kg pour commencer, me dit Valentin. Tu commences quand tu te sens prête.
Je place mes pieds sur le plateau.
Mets les plus hauts.
Je corrige le placement des pieds et commence l’exercice. Au bout d’environ dix répétitions, j’arrête.
Tu te débrouilles plutôt bien, me félicites Valentin. Essaie de descendre un peu plus bas.
Je fais trois autres séries. À la fin, Valentin annonce.
Je pense qu’on pourra augmenter la charge la prochaine fois.
Après il me montre la machine à adducteur. Il me montre le mouvement.
Est-ce que c’est bon pour toi ?
Oui, ce n’est pas compliqué.
Comme pour le premier exercice, je fais quatre séries de 4,5 kg.
Tu te débrouilles plutôt bien, me félicites Valentin.
Dès que j’ai fini, il me fait faire des fentes marcher. Pendant encore une vingtaine de minutes, je fais deux nouveaux exercices. À la fin de l’heure, Valentin me donne son RIB.
Pour ce mois-ci, c’est 160 euros. Est-ce que c’est bon pour toi ?
On se voit mardi prochain ou tu veux qu’on fasse une autre séance avant.
Non, mardi prochain.
Pas de soucis. N’hésite pas à venir même si l’on ne se voit pas.
Je verrais si je viens un autre jour.
Pour me dire au revoir, Valentin me fait la bise. Juste après, je récupère mon sac dans le casier. Au moment où je m’approche de la sortie, je reconnais Nabil.
Alors, comment ça s’est passé ?
Plutôt bien, je vais avoir des courbatures demain.
Bois beaucoup d’eau, ça va permettre à tes muscles de récupérer plus vite et diminuer les courbatures.
Merci du conseil.
À ton service. Je peux te poser une question.
Bien sûr.
Pourquoi avoir choisi Valentin ?
C’est Valentin qui m’a téléphoné en premier. Pourquoi ça dérange quelqu’un que Valentin me coach ?
Non, c’est juste que c’est rare que le voir coacher une jeune femme.
Je ne comprends pas ce que tu racontes.
Disons que Kathy surveille beaucoup les élèves de Valentin. Le plus souvent, quand il coache une jeune femme, elle la récupère assez vite. Si tu veux, on peut continuer cette conversation autour d’un verre.
Tu n’es pas en train de me draguer.
Je te rassure tout de suite, non. J’ai envie de faire ta connaissance.
Alors avec plaisir, mais un autre jour.
Je suis libre après 14 heures.
Je t’envoie l’adresse du bar dans la journée. Il faut que j’aille.
Je lui donne mon numéro et il me donne le sien et Nabil part, j’aperçois Valentin sortir de la pièce privée.
Je pensais que tu étais parti, me dit-il en me regardant.
J’allais partir, je suis restée discuter avec Nabil.
En voyant Kathy arriver, je pars. En me retournant, j’aperçois que Kathy a une main posée sur le bras de Valentin. Quand elle tourne son visage, elle me lance un regard haineux. Si elle avait des pistolets à la place des yeux, je serais morte. Alors que je suis dehors en train de marcher pour rentrer chez moi, mon portable émet un bip. Comme je n’ai pas encore effacé son numéro, je sais que c’est Kathy qui m’écrit.
« Je t’ai prévenu une fois, ça n’a pas suffi. Alors, je te le redis, ne t’approche pas de mon Valentin. ? »
Je ne prends même pas la peine de lui répondre, il faut qu’elle arrête. Je ne vais pas le lui prendre, je n’ai jamais touché à un homme qui est déjà en couple, même si l’homme est charmant et sexy. De plus, j’ai l’impression que Nabil flirte avec moi. Pendant que nous parlons, j’ai pu le regarder, Nabil et beau et attirant, Valentin est beaucoup plus musclé et plus séduisant. Je secoue la tête, il faut vraiment que j’arrête d’y penser, Valentin est chaise gardée.
Alors que je vais à l’école pour travailler, mon portable se met à sonner. En le sortant de ma poche, je vois le nom de Nabil s’afficher. Au lieu de me donner l’adresse du bar par écrit, il m’appelle. Je lui réponds tout en continuant à marcher.
Allô.
Re-bonjour, j’espère que ça ne te dérange pas que je t’appelle
Non, mais je n’ai pas beaucoup de temps, je vais au boulot.
C’est juste pour te donner le nom du bar.
Je t’écoute.
Le Cas Havana.
Je vois où il se trouve.
Alors à demain.
À demain.
Bon courage pour le travail.
Je bosse pendant 2 heures. Quand je suis enfin chez moi, je commence à ressentir des courbatures dues à mes exercices de ce matin. La fatigue commence aussi à se faire sentir. J’essaie de regarder la télé, mais rapidement, je sens que mes yeux se ferment. Je décide d’aller dormir.
Chapitre n° 3
Le lendemain, vers 14 heures 20, je rentre chez moi. Je dois déposer mes affaires de travail et aussi prendre du liquide. Bien sûr, je fais confiance à mes collègues, mais comme je n’ai pas de casier, je ne préfère pas apporter mon argent ni ma carte bancaire au boulot. De plus, le bar où Nabil m’a donné rendez-vous n’est pas loin de chez moi.
Pour ce rendez-vous, je me suis changée, j’ai enfilé une jupe noire et un t-shirt blanc avec une veste en jean. Nous sommes fin septembre, mais j’ai envie que Nabil me voie habillé autrement. Pour tout dire, je ne sais pas si je suis prête à avoir une nouvelle relation avec un homme, mais je veux essayer.
Quand j’arrive au bar, Nabil est déjà là. Il est en jogging. Je m’approche de lui.
Bonjour, désolée pour le retard, dis-je.
Ne t’inquiète pas, j’étais en avance.
Nous rentrons dans le bar. Il y a de la musique latino. En même temps, c’est normal, c’est un bar Tapas latino-américain. Nous, nous assoyons à une table.
Qu’est-ce que tu veux boire ? me demande Nabil.
Une bière brune, répondis-je après avoir réfléchi quelques secondes.
Je reviens, je vais aller commander.
Nabil se lève, va au comptoir. D’où je suis, je le regarde passer commande. Il revient vers notre table. Avant de s’asseoir, il pose mon verre devant moi.
De rien, c’est normal.
Il s’assoit en face de moi.
Alors qu’est-ce que tu fais dans la vie à part aller à la salle de sport ? l’interrogé-je.
Je ne peux pas dire que j’ai vraiment un emploi.
Je ne comprends pas.
Je me suis mal exprimé. Je n’ai pas d’emploi fixe, l’agence d’intérim m’appelle pour des missions. En ce moment, il n’y a rien.
Ça ne doit pas être facile tout le temps.
Non, mais j’ai des économies et je touche le RSA.
Tu n’aimerais pas avoir un travail stable.
Je suis bien comme ça. Et toi, que fais-tu comme travail ?
Je suis remplaçante à la mairie pour faire agent d’entretien dans les écoles primaires et maternelles.
Au fait, c’est comme moi, tu dois attendre qu’il y ait quelqu’un absent pour bosser.
C’est vrai, mais je suis à l’école des quatre moulins jusqu’à juillet. Je travaille 2 heures par jour. Ce n’est pas beaucoup, ça me suffit pour l’instant.
Je vois.
Pendant plusieurs minutes, nous ne parlons plus.
Est-ce que tu as pris un coach quand tu as commencé à la salle ? demandé-je, après avoir bu une gorgée de ma bière.
Non, mais Annick m’a beaucoup aidée au début, en m’apprenant les mouvements.
Kathy et Valentin ne t’ont pas épaulé.
Kathy n’a jamais eu un regard pour moi, avoue-t-il tristement. Valentin, il vient d’arriver, il remplace Annick qui est partie à Strasbourg. Si ce n’est pas indiscret, pourquoi en avoir pris un ?
C’est la première fois que j’ose franchir une porte d’une salle de sport. Je n’y connais pas grand-chose. Je me connais assez pour dire que si je suis seule, je me démoraliserais rapidement.
Je vois pourquoi ne pas en faire au moins deux séances par semaine.
C’est trop cher pour moi.
Donc c’est une question d’argent.
Oui, mais aussi de motivation.
Je te propose une chose, tu n’es pas obligé d’accepter.
Je t’écoute.
Je veux bien être celui qui te motive pour ta deuxième session de la semaine.
Pourquoi ferais-tu ça ?
J’aime aider les gens qui démarrent. Tu as osé franchir la porte de la salle, c’est déjà un bon début. Je sais qu’on s’est rencontré seulement hier, mais j’ai envie d’apprendre à te connaître.
Tu me laisses y réfléchir.
Bien sûr. Je dois t’avouer une chose.
Quoi, donc ?
Je me demande en combien de temps Kathy va réussir à t’avoir comme élève.
Elle peut toujours essayer, je suis plutôt quelqu’un de têtu.
OK ! Si tu as des vues sur Valentin, tu peux faire une croix sur lui. Il est en couple avec Kathy.
Comment le sais-tu ? Il m’a dit qu’ils étaient simplement amis.
Il suffit de voir comment elle le regarde.
Et, comment le regarde-t-elle ?
Avec des yeux amoureux.
OK ! Tu ne serais pas amoureux d’elle par hasard.
Moi, non.
Tu peux me le dire, je ne le répéterais à personne.
J’avoue, je suis amoureux d’elle depuis la première fois que je l’ai vu. Elle ne m’a jamais calculé.
Pourquoi ne fais-tu pas le premier pas ?
Je n’ose pas.
Pourtant tu es venu me parler.
Oui, mais tu l’as vu, elle a un corps aguichant. Toi, tu es ravissante.
Donc si je comprends bien, tu ne me trouves pas attirante.
Je n’ai pas voulu dire ça. Tu es belle, séduisante, mais à mes yeux Kathy a quelque chose de plus. Je ne pourrais pas dire ce que c’est. Attends, tu pensais que c’était un rendez-vous amoureux.
Je pensais que tu flirtais avec moi.
Je suis désolé de t’avoir laissé croire ça.
Ne t’excuse pas, c’est moi, je n’aurais jamais dû le voir comme ça. La vérité, c’est que tu es le premier homme qui vient me parler depuis ma séparation avec mon ex. En tout cas, je te souhaite bonne chance avec Kathy, tu vas en avoir besoin.
J’arriverais bien un jour. Tu m’as bien dit que pour Valentin, ils sont simplement amis.
Oui, c’est ce qu’il m’a dit ce matin.
Peut-être qu’ils se sont disputés.
Tu m’as bien dit que Valentin vient d’arriver en ville.
Il ne s’est pas passé une semaine pour qu’ils se mettent en couple, c’est comme s’ils avaient eu le coup de foudre. Tu vois ce que je veux dire.
J’acquiesce.
Ce matin, quand tu es parti, Valentin sortait du bureau, on a discuté quelques secondes et Kathy est arrivée immédiatement. Je suis sortie juste quelques secondes après et au moment où je me suis retourné elle avait sa main sur lui. Je ne peux pas te dire s’il lui a rendu son geste. De plus, elle m’a regardée d’un air haineux. Si des pistolets étaient à la place de ses yeux, je serais morte.
Honnêtement, comment me trouves-tu physiquement ?
Tu es séduisant, beau.
Et Valentin ?
Il est canon, sexy, athlétique. Il a des yeux bleus sublimes…
Stop ! Tu ne serais pas sur le charme de Valentin.
Non !
Attends, tu l’as bien regardé. Tu l’as vu seulement deux fois et tu as remarqué ses yeux.
Bon, d’accord, il ne me laisse pas insensible, mais ce n’est pas un homme pour moi. Je ne touche pas aux hommes des autres.
Je vois.
Nabil boit une gorgée de sa bière puis dès qu’il pose son verre, il me regarde d’un air mystérieux.
Quoi ?
Tu vas me prendre pour un fou, mais je viens d’avoir une idée.
Ah ! Laquelle ?
J’aime Kathy et Valentin te plaît. On pourrait les rendre jaloux.
Je te l’ai dit, je ne pique pas les hommes des autres. En plus, on vient de faire connaissance.
Je sais bien, regarde Kathy et Valentin, ils sont ensemble alors qu’ils se connaissent seulement depuis peu. Je suis sûr que si Kathy aperçoit que Valentin ne te quitte pas des yeux, elle me remarquera.
Pour moi, ce n’est pas une bonne idée, ça risque de nous retomber dessus.
Ne t’inquiète pas pour ça. Je te l’ai dit, je te trouve belle et attirante. Franchement, si je n’étais pas amoureux de Kathy, j’aurais très bien pu tomber amoureux de toi.
Tu dis ça juste pour que j’accepte.
Non, je le pense réellement.
Tu n’as pas peur que les vrais sentiments se mélangent.
Aucun risque. Aller, accepte. Dis-toi que si ça ne fonctionne pas, on rigolera.
Je suis désolée, non.
Comme tu veux et pour ce qu’il est de faire au moins une séance par semaine ensemble ?
Je suis d’accord, mais la semaine prochaine.
OK, on peut se voir le jeudi dans la matinée vers 10 heures.
Pas de soucis pour moi.
Une vingtaine de minutes plus tard, nous partons chacun de son côté.
Durant la journée du jeudi, je repense à ce que Nabil m’a proposé. C’est vrai que ça peut fonctionner, mais aussi se retourner contre nous.
Le vendredi matin, alors que je suis en train de faire le ménage chez moi en musique, j’entends mon portable émettre un bip. J’aurais pu lire immédiatement le message que j’ai reçu, mais je préfère finir ce que je fais. De toute façon, si c’était urgent la personne m’aurait téléphoné.
C’est seulement après avoir fini tout le ménage puis être habillé que je lis le message. En touchant l’écran, je vois que je n’ai pas qu’un message, mais trois messages de personnes différentes qui sont Valentin, Nabil et Kathy.
« Bonjour ! Estelle, je voulais te demander pardon pour mercredi. Je n’aurais jamais dû te demander de m’aider. Tu as raison, on ne peut pas obliger quelqu’un de nous remarquer. Ça fait deux ans que je vais à la salle et Kathy ne m’a jamais regardé. Ce n’est pas maintenant qu’elle le fera. »
Avant de lui répondre, je lis celui de Valentin.
« Bonjour, Estelle. Je viens prendre de tes nouvelles. Comment te sens-tu après ta première séance ? À mardi. »
Avec inquiétude, j’ouvre le message de Kathy.
« Tu n’as pas intérêt à revenir à la salle sauf si c’est moi ta coach. »
Je ne la comprends pas, elle ne peut pas m’interdire de faire du sport. Mardi, Valentin m’a juste coaché et après il m’a parlé deux secondes. Si elle continue, je vais devoir en parler à Valentin. Je ne veux pas créer de problème dans leur couple. Dans un premier temps, je réponds à Nabil.
« Bonjour, pas de soucis. Tu sais, tu devrais essayer
d’aller lui parler. Tu es bien venu discuter avec moi. »
Puis je réponds à Valentin.
« Bonjour, merci de prendre de mes nouvelles.
Je vais bien. À mardi. »
Enfin, j’écris à Kathy.
« Bonjour, pouvez-vous arrêter de me menacer ?
Il n’y a rien entre Valentin et moi. J’ai compris que
vous êtes ensemble, je n’ai jamais brisé un couple,
je ne vais pas commencer à le faire. Vous ne pouvez
pas m’empêcher d’aller à la salle. »
Pendant que je répondais à Kathy, j’ai reçu mes réponses de Valentin et de Nabil.
« Je ne sais pas pourquoi je n’y arrive pas. À chaque fois que je m’approche d’elle aucun son de sort de ma bouche. »
Je lis ensuite la réponse de Valentin.
« De rien, c’est normal. Je prends soin de mes élèves. »
Juste au moment où je finis de lire le message, je reçois une réponse de Kathy.
« Sache que j’ai toujours réussi à voir ce que je veux. Il me suffit de parler à la direction et leur dire que tu es responsable d’un manque de respect du matériel ou autre chose. Si j’étais toi, je réfléchirais à deux fois avant de revenir. »
Je me demande ce que Nabil lui trouve et ce que Valentin fait avec elle. Pendant l’après-midi, je réfléchis si je dois prévenir Valentin pour ce que Kathy fait derrière son dos et aussi à Nabil. Au fond de moi, j’aimerais l’aider, mais je ne vois pas comment faire. De plus, oui, je trouve Valentin séduisant, sexy, mais je ne suis même pas sûr que c’est vraiment de l’amour. Je peux très bien me tromper comme je l’ai fait avec Nabil mercredi. De toute façon depuis que je me suis fait larguer par Alfonso, je ne prends plus de décisions sans réfléchir avant.
Chapitre n° 4
Quand arrive le dimanche vers 10 heures 30, j’envoie un message à Nabil.
« Bonsoir, je suis désolée de te déranger un
dimanche. Je t’écris avant de changer
d’avis, j’accepte de jouer ta petite amie. »
Je n’attends pas sa réponse et je rejoins mes parents dans la véranda. Pour la rejoindre, il faut traverser le couloir puis la porte qui mène à la cuisine. En rentrant dans la cuisine, je sens une bonne odeur.
Qu’est-ce que c’est ? interrogé-je ma mère.
Je fais de la sauce roquefort pour aller avec le rôti de porc, me répond-t-elle.
Ça sent très bon. Est-ce que tu as besoin d’aide ?
Il faudrait faire les frites.
Je m’y mets tout de suite.
Je ressors de la cuisine puis ouvre la porte du cellier qu’il se trouve juste à côté, je prends le panier à pomme de terre, retourne à la cuisine. Environ une dizaine de minutes plus tard, j’ai fini. Après ça, je prépare l’apéritif. Quand tout est prêt, mes parents et moi prenons l’apéro devant la télé. Mes parents aiment regarder le jeu sur TF1 « les douze coups du midi. » Personnellement, je n’aime pas spécialement, mais je regarde quand même. À la publicité, mon père change de chaîne pour mettre France deux où le jeu « tout le monde veut prendre sa place » est diffusé. Quand le jeu sur TF1 est fini, mon père remet sur France deux pour la fin de l’autre jeu et aussi pour regarder les informations. Pendant les informations, nous changeons de place, nous allons dans la salle à manger. Bon, elle se trouve dans la véranda aussi. Nous mangeons en entrée une salade du pêcheur et le rôti de porc avec les frites que j’ai préparées et la sauce roquefort. À la fin du repas, j’aide à débarrasser la table. Quand tout est rangé, je vais dans ma chambre.
C’est seulement à 15 heures que je reçois la réponse de Nabil. Je suis en train de me préparer pour aller au lit.
« Bonjour, j’en suis heureux. Qu’est-ce qui t’a fait changer d’avis ? Il faudra qu’on se mette d’accord sur notre histoire pour qu’elle tienne la route. On peut se voir ce soir, si tu es libre. »
Je lui réponds immédiatement.
« J’ai juste envie de t’aider. Je rentre chez moi vers 18 heures. »
« OK, voici mon adresse : 3 rue des fleurs. Viens quand tu peux. »
En lissant son adresse, je m’aperçois qu’il n’habite pas loin de chez moi. J’aurais le temps de déposer mes affaires avant d’aller chez lui.
« C’est noté, à tout à l’heure. »
« À tout à l’heure. »
Juste avant que je pose de nouveau mon portable sur mon lit, il vibre de nouveau. Je jette vite fait un œil, c’est Valentin.
« Estelle, je sais que c’est inattendu, mais j’aimerais t’inviter à boire un verre entre amis. Bien sûr si tu es libre. »
Je lui réponds assez sèchement.
« Je ne suis pas libre pour aller boire un verre ni pour autre chose. »
Je commence à ranger mes affaires pour repartir chez moi. Il me reste encore un peu plus d’une heure. Rapidement, mon portable vibre, je jette un œil.
« Il doit avoir un malentendu. Je te proposais juste d’aller boire un verre sans arrière-pensées. »
« Qu’est-ce que ta femme pensera si elle te voit avec une autre ? »
« Je ne sais pas d’où tu sors ça, je suis célibataire. »
Je lui réponds froidement.
« C’est ce que tous les hommes disent pour draguer une femme. »
« Je ne suis pas un homme comme ça. Je respecte trop les femmes pour leur faire du mal. »
Je ne lui réponds pas, car ma mère m’appelle pour le goûter. Je commence à penser que Kathy ment et que Valentin est célibataire. Non ! Je dois arrêter d’y penser, ils sont vraiment ensemble. Valentin veut juste s’amuser avec moi. Après le goûter, je prends ce que ma mère m’a préparé. Chaque week-end, je ramène les restes, mes parents m’achètent aussi un plat pour le dimanche soir. Aujourd’hui, j’ai droit à une part de lasagne. Quand ma glacière est prête puis que j’ai mis mes chaussures et que j’ai rangé mes affaires dans ma voiture, je quitte la maison de mes parents. Comme chaque dimanche, je me dis que ça serait bien que j’arrête de venir chez eux tous les week-ends.
J’arrive à Brest vers 17 heures 20, j’ai encore le temps de ranger mes affaires, d’adresser un message à mes parents pour les prévenir que je suis bien rentrée. Cette fois-ci, je décide de me mettre en jean et t-shirt avec un pull noir. Dès que je suis prête, je prends la direction de chez Nabil. Arriver en bas de l’immeuble, je lui envoie un message.
« Je suis en bas. »
« J’arrive pour t’ouvrir. »
En l’attendant, je relis le message de Valentin. Au moment où je vais lui répondre, Nabil ouvre la porte.
Rentre, me dit-il.
Je rentre et il referme la porte. Il me conduit jusqu’au premier étage. Il ouvre la porte d’entrée. Il m’emmène jusqu’à la salle à manger qui est juste sur la gauche de l’entrée. Il m’invite à m’asseoir autour de la table.
Est-ce que tu veux quelque chose à boire ?
Une bière si tu en as, mais sinon de l’eau, ça m’ira très bien, répondis-je.
Je vais te chercher ça.
Nabil part, il va sûrement à la cuisine. Pendant son absence, je jette un regard autour de moi. Il y a un petit balcon, la pièce est bien éclairée. Le salon est sur ma gauche. En revanche, ça manque d’un peu de déco. Nabil revient avec deux bières qu’il pose sur la table, va prendre deux verres dans le meuble de la salle à manger.
Un silence s’abat entre nous.
Alors, comment fait-on ? finis-je, par demander.
Je n’en ai aucune idée, répond Nabil.
Attends, c’est toi qui as eu l’idée qu’on forme un couple pour rendre jalouse Kathy ! m’écrié-je.
Je sais.
Tout en buvant une gorgée de ma bière, je réfléchis.
Bon, écoute, si l’on nous pose la question, on peut dire qu’on s’est échangé nos numéros puis qu’on s’est revu plusieurs fois. C’était comme une évidence, on a commencé à sortir ensemble dès aujourd’hui.
Ça me va, mais il faudrait qu’on fasse des séances au même moment.
Ma prochaine séance est mardi matin.
Avec Valentin ?
À quelle heure ?
10 heures.
Je serais là.
OK ! Il faudrait un jour où l’on s’entraîne ensemble.
Le jeudi.
Va pour le jeudi.
Est-ce que je pourrais t’embrasser ? C’est pour faire plus vrai.
On verra ça plus tard. Je veux bien t’aider à rendre jalouse Kathy, ne pousse pas trop loin le bouchon.
OK, désolé. Je peux au moins te tenir la main.
Ne t’excuse pas, c’est juste que je ne suis pas encore à l’aise sur le fait de faire semblant d’être ensemble.
Je te comprends. Pour le baiser ou autres choses, on verra au fur et à mesure et aussi sur le moment, qui sait peut-être que ça viendra tout naturellement.
Je dois rentrer, dis-je en regardant l’heure sur mon portable.
Tu peux rester dîner avec moi.
Mon repas est déjà prêt. Ça sera pour un autre jour.
Avec plaisir.
Nabil me raccompagne jusqu’à la porte d’entrée, nous disions au revoir et je prends la direction de chez moi.
Le lundi, je ne reçois aucun message de Kathy, elle a dû finir par comprendre que je ne suis pas là pour briser son couple. En revanche, j’ai un pincement au cœur, car Nabil ni Valentin ne m’ont écrit. Le premier a dû être appelé pour un travail et le deuxième soit il est occupé ou bien sa femme ne l’a pas quitté une seconde. Le soir, j’hésite à envoyer un message à Valentin pour m’excuser, mais je ne le fais pas. De toute façon, je le vois demain.
Le mardi arrive assez rapidement, à 9 heures, je reçois un message de Nabil.
« Bonjour, tu arrives vers quelle heure à la salle ? »
« Bonjour, vers 9 heures 50. Je viens à pied. »
« OK, je t’attendrais en bas des escaliers. »
Dès que je suis enfin prête, je sors de mon appartement et prends la direction de la salle. Tout en marchant, je mets en fonctionnement mon MP3.
Après environ une trentaine de minutes de marche, j’arrive enfin à côté de la salle. Nabil est appuyé contre l’escalier. Nous, nous faisons la bise.
Prête ?
Pour m’entraîner oui, pour l’autre chose, pas trop, je n’arrête pas de me dire que c’est une mauvaise idée.
Ne t’inquiète pas, tout ira bien.
Nabil ouvre la porte. Chacun à son tour, nous passions le portique. Dès qu’il me rejoint, Nabil se saisit de ma main. Doucement, il me fait signe de la tête. J’aperçois Valentin qui nous regarde. Nous allons déposer nos sacs dans les casiers.
De l’œil, je vois Valentin arriver vers nous.
Est-ce que tu es prête ? me demande Valentin en me regardant.
Oui, j’arrive.
Bonjour, Valentin.
Bonjour, Nabil, lui répond-il tout en ne me quittant pas des yeux.
Je te retrouve quand tu as terminé, me chuchote Nabil.
En silence, je suis Valentin.
Tu vas me faire 5 minutes de rameur, me lance-t-il.
J’acquiesce.
Pendant tout le temps où je fais du rameur, aucun de nous ne parle.
Écoute, je suis désolé pour mon message, souffle Valentin.
Ne t’excuse pas, c’est moi, je n’aurais jamais dû te répondre comme je l’ai fait.
Excuse acceptée. Mais je te promets que c’était juste une proposition d’un ami. J’aimerais qu’on apprenne à se connaître.
Je ne pense pas que ça soit une bonne idée. Je ne veux pas briser ton couple.
Je suis célibataire, même si j’étais avec quelqu’un, elle n’aurait pas son mot à dire. Ça ne fait même pas un mois que je suis arrivé à Brest. Je cherche à me faire des amis. Je ne veux pas te forcer, je pensais qu’on pouvait devenir amis.
Je vais y réfléchir, mais je ne pense pas que mon petit ami accepte que je voie un autre homme.
Pas de soucis, il peut venir aussi.
Je lui en parlerais.
Maintenant, on va vraiment commencer la séance. Est-ce que tu as prévu de venir un autre jour ?
Oui, jeudi matin. Justement, je vais m’entraîner avec Nabil qui est mon petit ami depuis peu.
Je vois.
J’ai envie de lui dire que c’est faux, mais les mots restent coincés dans ma gorge. Nous arrêtons de discuter, Valentin me montre le premier exercice. Pendant près d’une heure, j’enchaîne les exercices. À la fin, je suis en sueur.
On se voit mardi prochain à la même heure ? me demande Valentin.
Il m’accompagne jusqu’aux casiers. Nabil arrive quelques secondes plus tard.
Tu as fini ? me demande Nabil.
Oui, mais tu pouvais continuer.
Ne t’inquiète pas, j’avais fini.
Nous, nous disions au revoir à Valentin et partons. J’ai le temps de voir Kathy s’approcher de Valentin.
Alors comment ça s’est passé ? Je vous ai vu discuter un moment.
Il m’expliquait comment faire bien du rameur et aussi il voulait m’inviter à boire un verre. Je lui ai répondu que je devais voir avec toi. Du coup, il t’invite aussi.
Je vois. Il ne se comporte pas comme s’il était en couple. Est-ce que Kathy sera là aussi ?
Aucune idée, il m’a dit qu’il était célibataire et qu’il voulait juste se faire des amis. Ce n’est pas tout, je n’en ai pas encore parlé à Valentin, mais Kathy m’écrit et ce n’est pas pour me dire des choses gentilles. Elle me menace de me faire virer de la salle de sport si je continue le coaching avec Valentin.
Non, elle ne ferait jamais ça. Tu dois te tromper.
Nabil, je te jure que c’est la vérité, si tu ne me crois pas, j’ai encore les messages qu’elle m’a envoyés depuis la semaine dernière.
Non !
Comme nous sommes arrivés en bas de l’escalier, je dis au revoir à Nabil qui ne me retient pas. Mon portable émet un bip. Je regarde qui m’envoie un message, c’est Valentin.
« J’ai dû mal à vous imaginer, en couple. »
« C’est tout récent, après mardi dernier, nous
sommes vus plusieurs fois et dimanche nous
sommes embrassés pour la première fois. »
Bon, pour le baiser, c’est faux, mais ça fait plus réel. Je n’ai même pas le temps de ranger mon portable dans ma poche qu’il sonne de nouveau. C’est la réponse de Valentin.
« OK ! Je sais que tu penses que je suis avec quelqu’un, mais c’est faux. Je suis bien célibataire, je ne compte pas me mettre en couple sauf si la femme me plaît et ressent la même chose que moi. J’ai trop souffert par le passé. »
« Je ne pense pas que ta femme va accepter qu’on soit amis. »
« Combien de fois, dois-je te le dire, je n’ai pas de femme ? »
« Tu auras beau me le dire, j’aurais dû mal à te
croire. Moi aussi j’ai souffert par le passé et
je ne fais pas beaucoup confiance aux hommes. »
« Pourtant, tu fais confiance à Nabil. »
« C’est vrai, mais il ne me ment pas. »
« Je ne sais pas s’il te ment, mais crois-moi, je ne te mens pas. Je voulais aussi te féliciter de nouveau pour ta séance. Au fait, Nabil ne t’en veut pas de me parler en ce moment. »
« On s’est quitté en bas de l’escalier, mais pas fâché. »
« Il aurait pu te proposer de te ramener. »
« J’aime marcher, ça me fait du bien. »
« OK ! Je dois y aller. Ça m’a fait du bien de discuter avec toi. À mardi. »
Je ne lui réponds pas, mais ça m’a fait aussi du bien. Avec Nabil, nous parlons, mais il a tout de suite eu l’idée de m’utiliser pour rendre jalouse Kathy. C’est vrai que j’ai accepté, mais je n’arrive pas à me lâcher avec lui. Nos conversations tournent autour de ce plan idiot, alors qu’avec Valentin, j’arrive à avoir une discussion à peu près normale. Pendant que j’échangeais avec Valentin, Nabil m’a écrit.
« Est-ce qu’on peut se voir demain ? »
« À la même heure de la semaine dernière. »
« OK, viens chez moi. Voici le code 8612 ».
Pendant l’après-midi, je me repose. Après une bonne douche et être habillée, je vais au boulot. Ce n’est pas la première fois, mais je n’arrête pas de penser à Valentin. À mon retour chez moi, je mange des spaghettis à la carbonara. Juste après, je regarde le film « Volcano » vers 23 heures, je vais au lit.
Chapitre n° 5
Durant la nuit, je rêve de Valentin, mais aussi de Nabil. Dans mon rêve, nous sommes tous les trois à la salle de sport. Nabil et moi sommes à côté des casiers et nous parlons, du moins Nabil parle et je l’écoute.
Estelle, il faut que je t’avoue quelque chose.
Quoi, donc ? Ça ne peut pas attendre.
Non, si je ne te le dis pas maintenant, je vais le regretter. Ça fait plusieurs jours que j’y pense.
Je t’écoute.
Je le vois prendre une inspiration puis penche son visage vers le mien. Je sens ses lèvres se poser sur ma bouche, je le repousse.
Que fais-tu ? On n’a dit aucun baiser.
Je suis désolée, Estelle. Depuis qu’on a commencé à faire semblant de sortir ensemble, mes sentiments ont changé. C’est toi que j’aime et non Kathy.
Alors que Nabil va m’embrasser, de l’œil, j’aperçois Valentin s’approcher. Il tire sur le bras de Nabil et le pousse.
Que se passe-t-il ici ?
Rien, j’allais juste embrasser ma copine, lui répond Nabil.
D’après ce que j’ai vu, Estelle n’est pas d’accord.
Ça ne te regarde pas.
Sans le comprendre, Nabil saute sur Valentin et le frappe. Valentin lui redonne son coup en pleine figure.
Arrêtez ! m’écrié-je.
En m’entendant crier, plusieurs personnes viennent vers nous puis séparent Nabil et Valentin. Alors que Nabil part après s’être calmé, Valentin reste près de moi. Nous n’avions pas le temps de parler que Kathy arrive.
Que s’est-il passé ?
Rien, répond Valentin.
Comme je ne veux pas créer un autre problème, je me saisis de mon sac puis prends la direction de la sortie. Valentin me suit jusqu’à la porte.
Est-ce que ça va ?
Est-ce que tu peux m’expliquer pourquoi tu as refusé que Nabil t’embrasse ?
Juste avant que je lui réponde, je me réveille. Quand j’ouvre les yeux puis que je jette un œil à mon réveil, il est seulement 7 heures 30. Je ne sors pas immédiatement de mon lit. Alors, oui nous sommes mercredi et je commence à midi le travail, mais j’ai encore le temps. D’une main, je me saisis de mon portable poser sur la table de nuit. Tiens, ça clignote, j’ai reçu des notifications durant la nuit. J’appuie sur le bouton sur le côté pour allumer l’écran. J’ai reçu plusieurs messages, je déverrouille mon portable pour pouvoir lire les textos. Le premier provient de Valentin.
« Bonjour, juste pour savoir comment tu te sens ce matin. J’espère que ça ne te dérange pas. »
Le second de Nabil.
« Bonjour, je sais qu’on se voit cette après-midi, mais je voulais savoir comment tu allais. »
Le troisième est dernier, il est de Kathy. Je me demande ce qu’elle me veut encore. Avec appréhension, j’ouvre le message.
« Quand quelle langue dois-je te le dire ? Ne t’approche plus de mon Valentin. Je sais aussi que tu lui envoies des messages. »
Alors que d’habitude je n’aime pas répondre sous l’effet de la colère, j’écris à Kathy.
« Bonjour, Valentin ne m’intéresse pas, je sors avec
Nabil. L’amitié homme femme c’est possible. »
Avant que j’aie pu poser mon portable, il vibre de nouveau.
« Je ne crois pas à l’amitié homme femme. Je le redis, ne t’approche plus de mon mec, sinon je vais devoir me montrer encore plus méchante. »
Pour qui se prend-t-elle ? Je ne voulais pas créer de problème dans son couple, mais je vais devoir en parler avec Valentin pour qu’il lui dise d’arrêter et la rassurer.
Tout en restant dans mon lit, je réponds avant tout au message de Valentin.
« Bonjour, merci de prendre de mes nouvelles.
Je vais bien, merci. En revanche, je ne voulais
pas en arriver là, mais il faut que je te parle d’une
chose importante, mais pas par texto. »
Juste après je décide enfin de sortir du lit. Tout en prenant mon petit-déjeuner, je repense à mon rêve. C’est quand même bizarre, je rêve que Nabil me fasse une déclaration et Valentin vient à mon secours. J’espère que ce n’est pas un rêve prémonitoire. Pendant que je mange mon fromage blanc, mon portable vibre. C’est Valentin qui répond à mon texto.
« Tu m’inquiètes, Estelle. Si tu veux, on peut se voir ce matin chez moi. »
« Je ne préfère pas venir chez toi ni à la salle de sport. »
« OK, on peut se voir dans un bar ou autre part. »
« Est-ce que tu es libre ce matin, disons dans 1 heure ? Je te propose qu’on se retrouve au jardin des explorateurs. »
« Le temps que je regarde où il se trouve, je te rejoins. »
« OK à tout à l’heure. »
Je le vois vers 9 heures 30, ça me laisse le temps d’aller au travail après. Je finis de me préparer et je sors de chez moi pour aller jusqu’au jardin des explorateurs. En arrivant à côté de l’entrée, je ne vois pas Valentin. Bon, j’ai au moins 5 minutes d’avance. Pendant ce temps-là, je réfléchis à comment annoncer à Valentin que sa femme me menace, je fais les cent pas devant le portail.
Bonjour, dit la voix de Valentin. J’ai fait aussi vite que j’ai pu. Mais je ne comprends pas pourquoi tu veux me voir et non Nabil.
Merci d’être venu. Nabil ne peut pas m’aider.
Dis-moi, que se passe-t-il ?
Ce n’est pas facile à le dire.
OK, prends ton temps.
Je respire un bon coup, me lance.
Ta femme n’arrête pas de m’envoyer des messages de menace.
Valentin me regarde d’un air étonné.
Je te le redis, je suis célibataire ! s’exclame Valentin.
C’est faux lit.
Je lui passe mon portable pour qu’il puisse voir par lui-même. Au fur et à mesure qu’il lit, son regard devient furieux.
Je comprends tout maintenant, m’informe-t-il. Kathy n’est pas ma femme, on est seulement collègue et ami. Depuis mon arrivée à Brest, elle me harcèle pour que je sorte avec elle. Je refuse tout le temps. Je te promets qu’il n’y a rien d’autre entre elle et moi.
Si c’est le cas, pourquoi me fait-elle croire que tu es son homme ?
Je ne sais pas, Estelle. Je vais lui parler aujourd’hui pour lui dire d’arrêter de te menacer.
Tu crois que ça l’arrêtera.
Honnêtement, je n’en sais rien. C’est pour ça que tu es parti quand Kathy est venue à côté de nous.
J’acquiesce.
Je vois. Maintenant que ce point est réglé, je dois résoudre d’autres choses.
Lesquels ?
En premier lieu, je t’ai coaché une à deux fois, j’ai trouvé que tu as de bonnes bases. Deuxième chose, pour Kathy, les personnes qui sont grosses ou un peu enveloppées n’ont pas leur place dans une salle de sport. Si je l’écoutais, il aurait seulement des hommes musclés avec un corps mince et des femmes avec un sublime corps mince. Je ne sais pas pourquoi elle est comme ça. Pourquoi me parler de ça maintenant et pas avant ?
Je me disais qu’elle allait arrêter en me sachant en couple, à croire que je me suis trompée.
Est-ce que c’est sérieux avec Nabil ?
Notre relation vient de débuter, donc je ne peux pas répondre.
Je peux te parler d’une chose.
Bien sûr.
Je ne suis pas depuis longtemps coach à la salle, mais d’après ce que j’ai pu constater Nabil enchaîne les femmes.
Tu n’essaies pas de te venger sur moi, car j’ai cru que tu étais vraiment en couple avec Kathy.
Valentin secoue la tête.
Crois-moi, si je voulais vraiment me venger, je t’aurais fait croire qu’il y avait quelque chose entre Kathy et moi. Maintenant que ce sujet est réglé, veux-tu qu’on soit amis ?
Bien sûr.
Mon portable émet un bip, je regarde qui m’envoie un message, c’est Nabil.
« Pas de nouvelle, tu dois être encore au lit. Est-ce qu’on se voit comme prévu cette après-midi ? »
Je lui réponds rapidement.
« Bonjour, bien sûr qu’on se voit cette après-midi pour 15 heures. »
Je profite pour regarder l’heure. Il est déjà 10 heures 30.
Je dois y aller, informé-je Valentin. Je bosse à midi.
Pas de souci, je commence bientôt. Dès que j’arrive à la salle de sport, je parle à Kathy.
Nous, nous disions au revoir. Avant de rentrer chez moi, je passe à la boulangerie pour prendre un sandwich pour midi.
Durant mon travail, je n’arrête pas de ressasser ma conversation de ce matin avec Valentin. Il avait l’air d’être sérieux en disant que Kathy et lui n’étaient pas ensemble, mais en même temps, il peut être honnête et mentir.
Dès que je sors de l’école, je me dirige vers l’appartement de Nabil. Alors que je compose le code, mon portable vibre dans ma poche. Je le prends et regarde qui m’a écrit, c’est Valentin.
« J’ai parlé à Kathy, elle n’a pas nié de t’avoir envoyait des messages. Je lui ai dit qu’il n’avait rien entre nous. Elle m’a répondu qu’elle me croyait, mais si tu reçois un autre message, préviens-moi. J’espère que ton travail, c’est bien passé. »
Tout en montant jusqu’au premier étage, je lui réponds.
« Merci d’avoir essayé de la raisonner.
Pour le travail, tout s’est bien passé. »
Je remets mon portable dans ma poche et sonne à la porte. Elle s’ouvre quelques secondes plus tard, comme si Nabil était juste à côté de la porte.
Nabil s’efface pour que je puisse rentrer. Comme pour la première fois, nous allons dans la salle à manger.
Je pense qu’il faut vraiment qu’on se mette à fond.
C’est juste le début. J’ai dit à Valentin qu’on était ensemble.
Peut-être, mais Kathy ne l’a pas remarqué.
Attends, c’est normal. On a fait nos séances séparément. Quand on sortait de la salle, j’ai vu Kathy aller retrouver Valentin.
OK, c’est tout, elle vient quand je ne suis pas là.
Sois patient, je suis sûr qu’elle t’a déjà repéré, mais elle n’ose pas venir vers toi.
Je suis sûr que tu dis ça juste pour me rassurer.
Non, je le pense vraiment.
Il y a bien une solution.
Laquelle ?
Il faut qu’on s’embrasse devant Kathy et Valentin.
Il n’est pas question.
Estelle, on est en couple. Bon pour de faux, il faut quand même être crédible.
Non ! m’exclamé-je, en me levant.
Je me dirige vers la sortie, Nabil me rejoint juste au moment où ma main est posée sur la poignée.
S’il te plaît.
Non, Nabil, je ne peux pas accepter. On se voit demain, lui dis-je.
Nabil acquiesce. Je sors et je rentre enfin chez moi.
J’avais tout pour être heureuse : un fiancé que j’aimais, des parents riches qui acceptaient de tout m’offrir, même un mariage grandiose. Être fille unique avec des parents fortunés a ses avantages, mais aussi ses inconvénients. Je rêvais d’être comédienne, mais Béatrice et Mike, mes parents, voulaient que je prenne la succession de l’hôtel qu’ils tenaient ensemble. Autant vous dire que c’était un sujet de dispute.
Le jour où je leur ai présenté Lassana, ils l’ont tout de suite adopté. Il faut dire aussi qu’il est de notre milieu. Nous nous sommes rencontrés alors qu’il passait une semaine à l’hôtel, puis un mois après, il demandait ma main à mes parents et trois mois plus tard, nous allions nous marier. Je le serais si une certaine Mariama Abara n’était pas entrée dans la pièce où je me préparais pour le plus beau jour de ma vie. Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai tout de suite senti qu’il se passait quelque chose. Sans plus attendre, j’ai demandé à ma mère puis à mes amies de nous laisser.
Quand nous nous sommes retrouvées seules, elle m’a regardée de haut en bas. Bien sûr, j’ai fait la même chose. Pendant de longues minutes, elle m’a fixée puis elle a fini par lâcher une bombe.
— Vous ne devez pas vous marier avec Lassana, c’est un menteur.
— De quel droit vous venez jusqu’ici pour me dire ça ! m’exclamé-je.
— Je suis sa compagne officielle. On est ensemble depuis deux ans.
— C’est impossible, je l’ai connu il y a 5 mois. Il m’a toujours dit qu’il était célibataire.
— C’est ce qu’il dit à toutes les femmes qu’il rencontre. Je vous demande seulement de m’écouter. Ce sera à vous de décider ce que vous voulez faire après. Sachez que j’arrive directement de l’aéroport. Je viens de Tunisie.
— Je vous laisse cinq minutes, dis-je après une hésitation.
— Ça sera largement assez.
C’est à partir de ce moment que ma vie s’est écroulée.
— Lassana ne vous aime pas, il vous utilise pour obtenir ses papiers français. Dès qu’il les aura, il demandera le divorce. Il m’a promis de me faire venir en France après. Grâce au mariage, il sait qu’on gagnerait du temps, débute-t-elle.
— Si je ne me trompe pas, il faut quand même être bien intégré puis être marié depuis plusieurs années pour demander la nationalité française.
— Il s’est renseigné. Il est prêt à rester avec vous jusqu’au jour où il aura ses papiers. Comme je savais que vous ne me croiriez pas, j’ai emmené ceci.
Elle m’a tendu une photo. Quand je l’ai prise, j’ai vu Lassana et elle en train de s’enlacer puis de s’embrasser. Toute tremblante, j’ai laissé tomber la photo au sol. À première vue, c’était une photo toute récente. J’ai reconnu le costume que Lassana portait le jour où il a demandé ma main.
— Ce jour-là, il m’a dit qu’il devait aller en urgence voir des personnes pour un poste en France, m’annonce-t-elle.
— Tout ça, c’est faux ! m’écrié-je.
— Réfléchissez bien. Est-ce qu’il est toujours avec vous ou trouve-t-il toujours des excuses pour ses longues absences ?
Pendant quelques minutes, j’ai essayé de me souvenir des moments où Lassana n’était pas là. Je dois avouer qu’elle avait raison.
— Est-ce que vous êtes au courant depuis toujours de ma relation avec lui ? l’interrogé-je.
— Non, ça fait seulement quelques jours. J’ai longtemps hésité à venir vous voir. Je me suis même dit que je pouvais vous écrire, car je veux vivre en France.
— Qu’est-ce qui vous a fait changer d’avis ?
— Savoir par quel moyen je serais en France me met en colère. Je ne veux pas qu’une femme soit utilisée pour mon propre bonheur. Bien sûr, c’est à vous de décider de ce que vous voulez faire. Si vous pensez que je vous mens, vous pouvez aller lui demander s’il connaît une certaine Mariama Abara, mais il va vous mentir sans aucun doute. Les cinq minutes sont écoulées. Je vous laisse mon numéro, si vous voulez avoir des renseignements sur Lassana.
Elle a posé un morceau de papier sur la petite table puis elle est sortie.
À peine était-elle partie que j’ai senti mes larmes couler. Dans un état second, j’ai retiré ma robe, puis j’ai remis mes vêtements de ville et je suis partie sans laisser de mot ni me retourner.
Ma meilleure amie qui était dehors en train de fumer m’a vue.
— Eh ! Mais pourquoi as-tu retiré ta robe ? me demande-t-elle interloquée.
— Emmène-moi loin d’ici, lui ai-je répondu au bord des larmes.
Sans poser d’autres questions, elle a compris qu’il se passait quelque chose de grave et que c’était lié à la visite de la femme.
— Tu veux aller où ?
— Dépose-moi à la gare, s’il te plaît.
— Sabine, dis-moi ce qu’il se passe ?
— Je te promets que je t’expliquerai tout, mais là j’ai besoin de m’éloigner d’ici.
Pendant le trajet, mon portable n’avait pas arrêté de sonner. C’étaient mes parents, mais je ne leur ai pas répondu.
Quand mon amie m’a déposée à la gare, elle m’a rappelé qu’elle était là si jamais j’avais besoin.
Je suis rentrée dans la gare avec l’esprit vidé, sans me retourner. Au guichet, je ne savais pas où j’allais. Tout ce que je voulais, c’était mettre de la distance avec Lassana et ma famille. Alors que j’attendais mon tour, j’ai vu une pub sur Brest. Sur un coup de tête, j’ai pris un aller simple pour cette ville. Ici, quand nous parlons de Brest, nous disons que c’est le bout du bout !
À mon arrivée, j’ai trouvé une place dans une auberge de jeunesse. La première chose que j’ai faite, c’est de me trouver un emploi. J’ai pris le premier qui venait, c’est-à-dire serveuse dans un bar au bord de la mer. Après ça, j’ai loué un appartement meublé avec deux grandes chambres, une cuisine, un petit salon et une salle de bains. Bon, ce n’est pas un penthouse, mais ça me suffit. Bien sûr, j’ai dû prévenir mes parents pour qu’ils acceptent d’être garants. J’en ai profité pour leur raconter toute l’histoire. Alors que je pensais qu’ils allaient me croire, c’est tout le contraire qui est arrivé. Ils ont refusé d’être mes garants en me demandant de revenir pour me marier comme c’était prévu. Depuis ce jour, je ne leur ai plus répondu. Pour l’appartement, j’ai trouvé une solution, une amie serveuse qui s’appelle Marion est venue habiter avec moi, car elle devait changer de maison. Ses parents se sont portés garants pour nous et m’ont bien sauvé la mise !
Un mois plus tard, j’ai envoyé un message à Lassana pour lui dire que je voulais entendre sa version.
Chapitre n° 2
Rencontre dans un bar
Aujourd’hui, si je suis devant le bar le Coloc’ où je travaille depuis maintenant trois semaines, c’est parce que j’ai donné rendez-vous à Lassana. J’aurais pu rentrer à Paris, mais j’ai préféré le voir à Brest dans un lieu sûr pour moi, un lieu neutre en quelque sorte. J’aurais pu le retrouver à la gare, mais je ne préfère pas.
— Sabine, tu dois vraiment aimer le bar pour être là même le jour de ton repos, me dit Marion.
— Arrête, tu sais très bien que j’ai donné rendez-vous à quelqu’un. Et puis comme je ne connais pas encore bien la ville, j’ai préféré venir ici.
— Un rendez-vous galant, petite cachottière ? me taquine Marion.
— Non, je t’ai déjà parlé de mon ex.
— Oui, celui avec qui tu as failli te marier ? Mais tu ne m’as pas tout dit.
— C’est ça. Ça fait un mois. Je me sens prête à entendre sa version. Je te promets que tu sauras tout après.
— Je vois. Installe-toi où tu veux. Est-ce que tu veux quelque chose à boire en l’attendant ?
— Donne-moi une limonade, il vaut mieux que je garde les idées claires.
— Je vais te chercher ça.
Marion me laisse alors que je choisis une table sur la terrasse. Au bout de quelques secondes, Marion revient avec mon verre.
— Je viens de penser que je vais voir pour la première fois celui qui te fait pleurer toutes les nuits.
— C’est faux !
— Je te rappelle qu’on vit ensemble et que nos chambres se touchent, et que les murs ne sont pas épais.
Elle a raison, ça fait un mois que je n’arrête pas de pleurer sur ma vie.
— Tu me diras ce que tu en penses.
— Avec plaisir. Bon, je te laisse. Il faut que je bosse.
En effet, même si nous sommes seulement en début d’après-midi, il y a du monde. Juste à côté de moi, il y a un homme qui, je dirais, a un peu plus de 35 ans. Il boit un café. Il a l’air sympa.
Pendant de longues minutes, je reste cependant plongée dans mes pensées. C’est la voix de Lassana qui me fait revenir à la réalité.
— Je ne m’excuserai pas pour le retard, dit-il !
— Bonjour quand même. Comment vas-tu ? lui demandé-je par politesse.
— Si je suis venu jusqu’ici, c’est pour te ramener à Paris ! crie Lassana.
Bon d’accord, il est franchement énervé, mais quand même, il pourrait dire bonjour, ça fait un mois qu’on ne s’est pas vu.
— Tu peux t’asseoir, tu ne paieras pas plus cher.
— Non ! Tu n’as pas entendu ce que j’ai dit ?
— Si et ma réponse est non. Je ne rentrerai pas à Paris.
— J’ai ordre de tes parents de te ramener. Tu dois arrêter tes caprices !
— Ce n’est pas un caprice. J’ai appris que tu me trompais, que tu m’utilisais pour avoir tes papiers français.
— Mais c’est totalement faux ! Qui t’a dit ça ?
— Une certaine Mariama Abara.
D’un coup, je le vois s’asseoir, puis il fait signe à Marion. Quand elle arrive à notre table, je remarque qu’elle me regarde et qu’elle aimerait que je lui explique ce qu’il se passe, mais en tant que professionnelle, elle ne dit rien.
— Que puis-je vous servir, monsieur ? demande-t-elle à Lassana.
— Une pression, s’il vous plaît.
— Une autre limonade, dis-je.
Dès qu’elle a noté notre commande, elle part. Pendant que nous attendons nos boissons, nous ne parlons pas. J’en profite pour regarder Lassana. J’ai l’impression qu’il a vu un fantôme. Marion revient avec nos boissons.
— Merci, lui dis-je tandis que Lassana reste silencieux.
Elle repart.
— J’ai l’impression que tu connais cette Mariama.
— Ce n’est pas ce que tu crois.
— Et qu’est-ce que je crois ?
— Que j’ai une aventure avec elle.
— Ah parce que ce n’est pas le cas ?
— J’ai eu une relation avec elle, mais au bout d’un an, j’ai rompu. Elle n’a jamais accepté. Tu n’es pas la première à qui elle fait le coup. À chaque fois, elle va voir mes nouvelles copines. Je ne sais même pas comment elle fait pour avoir leur prénom. Je te l’ai dit, j’ai un passé sentimental. Après ma rupture, je suis resté célibataire quelque temps et j’ai enchaîné les aventures d’une nuit.
— Stop, tu as dit qu’elle allait voir toutes tes nouvelles copines. Est-ce que c’était le jour de ton mariage ?
Il tourne la tête sans me répondre.
— Merde ! Réponds-moi !
— Oui.
— Combien de fois ?
— Quatre fois si je te compte.
— Donc si je comprends bien, ce n’est pas la première fois que tu utilises une femme pour avoir tes papiers ?
— Sabine, je te promets qu’avec toi, c’est différent. Je veux vraiment faire ma vie avec toi et fonder une famille.
— Qu’est-ce que tu fais de Mariama ?
— Je te l’ai dit, c’est fini avec elle depuis 5 ans.
— J’ai du mal à te croire.
— Tu ne vas pas la croire elle, alors que tu ne la connais pas. De toute façon, tes parents veulent que tu rentres avec moi. Ils m’ont dit que tu dois arrêter de te comporter comme une enfant.
— Je t’ai dit non. Tu diras à mes parents que je ne veux plus les voir et que ce n’est pas la peine de me téléphoner non plus.
— Ta mère pleure depuis ton départ. Ton père ne gère plus son hôtel, car il s’inquiète pour toi. Ce n’est pas négociable, tu rentres avec moi et on se marie comme c’était prévu il y a un mois. À l’heure qu’il est, on aurait dû être en lune de miel. Je nous avais réservé un hôtel à l’île de la Martinique !
— En quelle langue je dois te le dire ? Je ne retournerai pas à Paris ! m’exclamé-je.
— Je ne partirai pas de cette ville sans toi ! Rien ne te retient ici.
— Tu peux toujours attendre, je ne reviendrai pas. Je veux pouvoir vivre pour moi.
— Tu n’as même pas d’endroit où dormir. Tu ne sais rien faire de tes mains. Ah si ! Pardon, tu veux être comédienne, laisse-moi rire, dit-il en se levant.
Lassana part comme il est arrivé. Je sens mes larmes commencer à couler. Je décide d’aller payer mes deux verres de limonade, puis de rentrer et de me lamenter sur ma vie.
Au moment où je me lève, mes jambes se mettent à trembler. Je sens que je vais tomber, mais deux bras musclés me retiennent.
En tournant la tête, je croise des yeux marron.
— Rasseyez-vous quelques minutes, dit la personne qui vient de me sauver.
Il a une voix grave et sexy. Il m’aide à m’asseoir puis je le vois faire la même chose juste en face.
Pendant de longues minutes, nous ne parlons pas. C’est lui qui rompt le silence. Quand il voit que j’ai repris des couleurs, il me demande :
— Est-ce que vous voulez que j’aille vous commander quelque chose, vous êtes très pâle ?
— Non, merci. Ça va aller.
Du coin de l’œil, je vois Marion m’observer de loin. Je lui fais signe que je lui parlerai plus tard.
— Si ce n’est pas indiscret, est-ce que vous connaissez l’homme qui était avec vous ?
— Oui. Du moins, je pensais le connaître. Je ne veux pas en parler, surtout pas à un inconnu, même s’il est sexy.
Le silence s’abat entre nous encore une fois. Je n’y crois pas. Je viens de dire qu’il était sexy alors que c’est la première fois que je le vois.
— Vous savez, ça vous ferait peut-être du bien d’en parler. Je n’ai pas entendu votre conversation, mais il avait l’air d’être énervé contre vous.
— Vous avez sûrement raison, mais je ne veux pas vous déranger avec ma vie. De plus, vous avez certainement autre chose à faire.
— J’ai tout mon temps.
Après avoir hésité quelques secondes, je me lance. Cet homme a l’air de confiance et sa bonne tête me plaît bien.
— Le jour de mon mariage, j’ai appris que mon fiancé me mentait et qu’il m’utilisait pour avoir ses papiers français. C’est sa compagne officielle qui me l’a avoué.
— Ça a dû être dur. Je ne savais pas qu’il existait encore des gens qui profitent des femmes juste pour ça. Comment vos proches ont réagi ?
— Pour eux, je dois me marier. Je suis partie de la cérémonie sans leur laisser un mot. J’ai quitté Paris pour venir à Brest sur un coup de tête.
— Eh bien, je vous trouve courageuse de revoir celui qui vous a menti.
— Il m’a fallu un mois. Je voulais entendre sa version. Il est venu pour me ramener et il croit que je veux toujours me marier. Je ne sais pas pourquoi je vous raconte tout ça. Ma nouvelle amie connaît les grandes lignes.
— Comme je vous l’ai dit, ça fait du bien de parler à quelqu’un qui ne vous connaît pas. Si vous voulez, je vous donne mon prénom volontiers, mais je ne veux plus voir ces larmes sur ce beau visage.
Je m’essuie avec ma main.
— C’est mieux. Je m’appelle Claude.
— Enchantée, Claude. Moi, c’est Sabine.
— De même. C’est un très joli prénom, comme la femme qui le porte.
— Merci, murmuré-je en rougissant.
Il doit penser que je n’ai jamais eu de compliments. En même temps, c’est vrai. Lassana ne m’en faisait jamais et mes parents non plus.
— Est-ce que vous me permettez de vous inviter à boire un verre ? Je vous rassure, je ne vous drague pas. C’est pour discuter et vous changer les idées.
Je ne risque rien d’accepter.
Je réfléchis avant de répondre.
— Avec plaisir.
Il fait signe à Marion qui vient immédiatement.
— Que puis-je vous servir ?
— Je prendrai une pression, s’il vous plaît, dit Claude.
— Une bière blanche, s’il te plaît, lui répondis-je.
Elle part, non sans me regarder.
— Vous venez souvent ici ?
— À vrai dire, je travaille ici. Aujourd’hui, c’est mon jour de repos.
— Je comprends mieux pourquoi la serveuse ne vous quitte pas des yeux.
Marion revient avec nos consommations.
Claude et moi parlons pendant environ deux heures. Je ne sais pas comment il le fait, mais il me fait oublier ma vie qui est un désastre. En plus, il arrive à me faire rire, chose qui ne m’était plus arrivé depuis bien longtemps.
Quand je regarde l’heure, je m’aperçois qu’il est déjà 22 heures.
— Je dois y aller, dis-je en voyant que toutes les tables ont été rangées et qu’il n’y a plus personne autour de nous.
— Bien sûr. Je peux vous reconduire chez vous, si vous voulez.
— J’ai vraiment passé une très bonne soirée, mais je dois refuser votre proposition.
— Je comprends, même si j’aurais aimé passer plus de temps avec vous.
Je le vois prendre une feuille puis écrire quelque chose dessus. Il me la tend.
— C’est mon numéro de téléphone personnel. Appelez-moi si vous avez besoin de parler ou pour autre chose.
Je le remercie puis nous disons au revoir.
— Je préfère le deuxième, me dit Marion quand j’arrive près d’elle. D’où tu le connais ?
— Je viens de faire sa connaissance au bar.
— Si tu veux mon avis, tu devrais foncer.
— Je ne suis pas prête pour une nouvelle relation.
— Passer une nuit avec lui doit être merveilleux !
— Pas pour moi.
— Rassure-moi, tu as déjà couché avec un homme, j’espère ?
— Non. Je préfère attendre le bon.
— Même pas avec ton ex ?
— Il voulait attendre qu’on soit mariés pour le faire.
— Je sais qu’on ne se connaît pas depuis longtemps et que tu ne m’as pas tout raconté toute l’histoire avec ton ex, mais tu devrais vivre ta vie.
— Je dois régler l’histoire avec Lassana. J’ai l’impression qu’il ne va pas me lâcher si facilement. Il est toujours en ville.
Tout en parlant, nous rentrons à pied jusque chez nous.
Chapitre n° 3
Lassana se montre menaçant
Le lendemain, alors que je suis encore dans ma chambre, on sonne à la porte. Quelques minutes plus tard, Marion entre dans ma chambre.
— C’était qui ?
— Le livreur.
— Je n’ai rien commandé.
— Moi non plus, mais quelqu’un a un admirateur secret. Tiens ! c’est pour toi.
Elle me tend un bouquet de fleurs.
— Tu es sûre que c’est pour moi ?
— Oui, il y a un mot à ton nom.
Je prends le petit papier et je le lis : « Pour la plus belle femme que j’ai rencontrée. Claude. »
— Eh ! Tu lui as tapé dans l’œil. Sabine, qu’est-ce qu’il se passe ? me demande-t-elle en voyant mon visage devenir pâle.
— Je ne lui ai même pas donné notre adresse.
— Quoi ? Et il l’a eue comment alors ?
— Je n’en sais rien. Peut-être qu’il nous a suivies hier soir.
— C’est peut-être un fou ou un détraqué.
— Tu vois le mal partout.
— Est-ce que je peux te poser une question ?
— Bien sûr.
— C’est par rapport à ton ex. Tu m’as dit qu’il t’avait trompée, mais j’ai l’impression que ce n’est pas tout. Est-ce que j’ai raison ?
— En effet, mais on n’a pas le temps pour en discuter si on ne veut pas être en retard, on doit partir maintenant.
— Tu ne t’en sortiras pas aussi facilement.
Je prends une grande inspiration puis lâche :
— Écoute, Lassana voulait m’utiliser pour avoir ses papiers français, c’est sa compagne officielle qui me l’a avoué le jour de notre mariage. Je te promets de t’en dire plus ce soir, lançai-je, résignée.
— Je vais m’en contenter pour l’instant.
— Ah quand même, je t’attends depuis près d’une heure ! s’exclame Lassana.
— Qu’est-ce que tu fais ici ?
— Je te l’ai dit hier, je ne rentrerai pas sans toi. Tes parents m’ont demandé de te ramener. Je t’ai suivie hier soir et j’ai vu où tu habites.
— Va leur dire que je suis bien ici et que je ne compte pas rentrer ! m’exclamé-je en continuant à marcher.
D’un coup, il m’attrape par le bras.
— Lâchez-la ! s’écrie Marion.
Je me détache non sans mal.
— Je ne vous connais pas, mais Sabine n’a pas envie de vous suivre !
— En effet, on ne se connaît pas, et ça ne vous regarde pas.
— Vous forcez mon amie à vous suivre, alors ça me regarde. Si vous ne partez pas tout de suite, j’appelle la police.
Au début, Lassana ne la croit pas, mais quand elle prend son portable, il s’enfuit.
— Merci, dis-je à Marion.
— C’est normal. Quand on attaque une de mes amies, je sors les crocs.
— J’ai vu ça.
— Dis, est-ce qu’il a déjà levé la main sur toi ?
— Non, c’est la première fois qu’il se montre aussi violent.
— Tu devrais peut-être téléphoner à tes parents pour les rassurer.
— Non ! Je ne veux plus avoir affaire à eux.
— Calme-toi, je le proposais seulement. Je ne comprends pas toute ton histoire, mais tu dois avoir tes raisons pour rejeter ta famille.
Les larmes aux yeux, je me tourne vers la mer.
— Sabine, je suis désolée. C’est mon plus gros défaut, je veux toujours tout savoir sur les gens que je connais. À chaque fois, j’oublie que je ne dois pas forcer les gens à parler s’ils ne le veulent pas.
— Ce n’est pas ta faute.
— Je te promets que je ne te poserai plus de questions sur ta vie. J’attendrai que tu sois prête.
— Merci, Marion.
— Juste une chose, tu devrais envoyer un message à Claude.
— Pour lui dire quoi ?
— Déjà le remercier pour son bouquet et je pense aussi que tu devrais lui laisser une chance. Si tu ne le fais pas, c’est moi qui le ferai à ta place. Allez, viens, il est temps qu’on parte pour le travail.
Pendant le trajet jusqu’au bar, je n’arrête pas de regarder derrière nous.
— Arrête, il n’y a personne. Ton ex est parti.
— Oui, mais Claude aussi connaissait notre adresse. C’est bizarre.
Après avoir essuyé mes larmes, nous nous changeons dans les vestiaires et commençons le boulot.
À ma pause de midi, je décide d’envoyer un message au fameux Claude.
« Bonjour, c’est Sabine. Je voulais juste
te remercier pour le bouquet que tu
m’as offert. J’aimerais savoir comment tu
as eu mon adresse ? »
Au moment où je remets mon portable dans mon casier, Marion me rejoint.
— Ah ! Tu es là.
— Oui, tu vas être contente, je viens d’envoyer un message à Claude. J’en ai profité pour lui demander comment il a eu notre adresse.
— Ça, c’est une bonne nouvelle. Mais il t’en aura fallu du temps.
— Je sais.
— En revanche, je suis venue te dire que ton ex est là. Comme il a demandé à boire, on ne peut pas le faire partir. Si tu veux, je peux dire au patron que tu te sens mal.
— Ce n’est pas la peine, ça ira.
— S’il tente quelque chose, tu me fais signe, me dit-elle alors qu’on arrive dans la salle.
— Je ne pense pas qu’il fasse quelque chose avec le monde qu’il y a.
Alors que l’après-midi est bien avancé, Lassana ne m’a toujours pas adressé la parole et vit sa vie comme si je n’existais pas. Soudain, j’aperçois un homme rentrer dans le bar. C’est Claude. Marion l’a aussi vu.
— Je te laisse aller le servir, me dit-elle alors qu’elle arrive au comptoir.
— Il s’est assis de ton côté.
— Eh bien, on fait un échange, tu ne perds rien. Au fait, ton ex est toujours là.
— Oui, je sais. Il prend son temps pour boire, on dirait.
— Tu vas voir, il va prendre ses jambes à son cou, je te le dis.
— Qu’est-ce que tu comptes faire ?
— Tu vas voir.
Pendant qu’elle attend sa commande, je vais prendre celle de Claude.
— Bonjour, Sabine.
— Salut, Claude. Tu vas bien ? Je te sers quoi ?
— Je prendrais une pression. Est-ce que tu as bien reçu mon bouquet de fleurs ?
— Oui, je t’ai envoyé un texto. Tu ne l’as pas reçu ?
— Si, si. Je veux te rassurer tout de suite, je ne vous ai pas suivies hier. Je suis détective privé.
D’un coup, nous entendons des voix.
— Monsieur, vous devez partir pour laisser la table libre, dit Marion à Lassana.
— Je ne partirai pas d’ici.
— Écoutez, ne m’obligez pas à appeler mon patron.
— J’ai le droit d’être là.
Alors que je vais chercher les commandes d’un couple et de Claude, je l’aperçois se lever et aller vers Marion et Lassana.
— La dame vous a dit de partir.
— Je vais y aller, mais j’ai quelque chose à faire avant.
Lassana se dirige droit vers moi.
— Sache que je reviendrai tous les jours jusqu’à ce que tu acceptes de revenir avec moi.
— Je ne changerai pas d’avis.
Au moment où je vois sa main se lever, un bras s’interpose.
— Oh non ! Pas question.
— Je vois que tu as des anges gardiens, mais ils ne seront pas toujours là, m’avertit Lassana avant de partir.
— C’est une menace ?
— Prends-le comme tu veux.
Marion, qui a suivi toute la scène, arrive.
— Est-ce qu’il t’a fait mal ?
— Non, Claude est intervenu à temps.
Je me retourne vers lui.
— Je dois encore te remercier.
— Ce n’est pas la peine. Je vais y aller.
— Mais vous n’avez même pas eu votre pression.
Claude me tend un billet.
— Je ne peux pas accepter. Je ne vous ai même pas servi.
Notre patron arrive enfin.
— Les filles, que se passe-t-il ici ?
— Ce monsieur n’a pas eu sa consommation, mais il veut quand même payer. Il est intervenu pour sauver Sabine.
Le patron regarde Claude avec des yeux ronds.
— Comment ça, sauver Sabine ? De quoi vous me parlez, les filles ?
Claude range son argent et profite de la confusion du patron qui nous harcèle de questions pour partir.
— Les filles, vous auriez dû venir me voir pour me dire qu’il y avait un client louche.
— Je le connais, monsieur. C’est mon ex. Je vous promets qu’il ne va plus revenir.
— Bon, je passe l’éponge pour cette fois-là, mais je ne veux pas de problème dans mon établissement. Allez, au boulot !
Le soir, en reprenant mes affaires dans mon casier, je remarque une lumière rouge qui clignote. Je me saisis de mon portable puis vois le nom de Claude s’afficher.
« Bonjour, merci pour ton numéro. J’espère te revoir dans d’autres circonstances. Claude. »
À peine dehors, je montre le message à Marion. Elle se met à sauter partout comme si c’était elle qui l’avait reçu.
— Dis-lui que tu acceptes.
— Je te l’ai dit que je n’étais pas intéressée. Mais si tu veux, je peux lui passer ton numéro.
— Ce n’est pas moi qui l’intéresse, mais toi. Crois-moi, il n’a pas hésité à venir te sauver quand ton ex allait lever la main sur toi.
— Je ne suis pas prête pour coucher avec un homme, surtout avec un inconnu.
— Eh ! Je ne te dis pas de faire l’amour avec lui, même si je pense qu’il sait y faire avec les femmes. Tu peux juste le voir pour parler, te balader.
— Je vais réfléchir.
— C’est déjà ça. Je n’ai pas oublié que tu m’as promis de me raconter ton histoire.
— Moi qui pensais que tu avais oublié, je me trompais. Je le ferai, mais pas ici.
— Alors, rentrons chez nous.
Chapitre n° 4
Mon histoire avec Lassana
Marion et moi sommes arrivées à notre appartement. Je fais tout pour retarder le moment où je vais devoir lui parler, mais elle ne me laisse pas le choix.
— Sabine !
— On ne peut pas remettre cette conversation à plus tard ?
— Non.
Je me laisse tomber sur le fauteuil.
— Est-ce que tu as quelque chose de fort ?
— Tu veux te soûler ?
— Non, mais on va en avoir besoin.
— C’est aussi horrible que ça ?
— Tu en jugeras par toi-même.
Marion va chercher deux verres avec une bouteille de vodka. Elle s’assoit en face de moi.
— Pour que tu comprennes tout, je dois t’avouer une chose que je ne t’ai pas dite quand on s’est connues.
— Je t’écoute.
— Mes parents sont millionnaires. Ils possèdent un hôtel à Paris. C’est le genre de lieu luxueux pour les célébrités qui viennent en vacances ou organisent des événements.
— Attends. Pourquoi tu as accepté de vivre dans cet appartement et de prendre un boulot de serveuse alors si tu es riche ?
— Parce que je veux vivre comme tout le monde. Ça n’a jamais plu à mes parents. Pour eux, ma vie est toute tracée. Quand ils prendront leur retraite, je dois reprendre l’hôtel, mais mon rêve c’est d’être comédienne.
— Je ne m’attendais pas à ça. Qu’est-ce que Lassana vient faire dans cette histoire ?
— Je l’ai connu il y a cinq mois. Il était en vacances dans l’hôtel. J’ai eu tout de suite un coup de foudre pour lui. Après cette semaine-là, on s’est vus plusieurs fois. Un mois après notre rencontre, il a demandé ma main à mes parents qui ont accepté immédiatement.
— C’est un peu vieux jeu, non ? Après tout, tu es majeure. Lassana n’a pas à demander à qui que ce soit.
— Non. Lassana vient d’une famille haute placée en Tunisie. C’est classique dans ces familles. On respecte les traditions. Mais ce n’est pas ça le problème. Pour moi, c’était trop tôt. Je me suis dit que le mariage aurait lieu dans un an, mais mes parents ont décidé de le préparer en trois mois. Pendant ce laps de temps, je n’ai pas vu souvent Lassana. Il faisait des allers-retours entre la France et la Tunisie. Pour tout le monde, c’était logique qu’il aille voir sa famille. Quelques jours avant le mariage, Lassana est revenu après une absence de quinze jours. Tout était prêt.
— Tu n’avais pas d’amis à ce moment-là ?
— Si, plein, mais ils ne m’écoutaient pas. J’ai eu beau leur dire que c’était trop rapide, mais vu que la plupart sont déjà mariés, ils pensaient que je stressais.
— Est-ce que Lassana sait que tu es vierge ?
— Oui. Il trouvait ça génial d’être le premier.
— Rassure-moi, vous avez quand même fait certaines choses ?
— Je l’ai embrassé, mais à chaque fois qu’il voulait aller plus loin, je le repoussais.
— Mais tu l’aimais ?
— Bien sûr.
— Qu’est-ce qu’il s’est passé pour que le mariage n’ait pas lieu, alors ?
Je lui raconte la venue de Mariama.
— J’étais en train de me préparer puis une femme est entrée dans la pièce. Tout le monde est parti. Elle s’appelle Mariama Abara. Elle m’a avoué être la compagne de Lassana depuis deux ans, puis tout ce qu’il voulait, c’était ses papiers français et la faire venir en France.
— C’est peut-être faux.
— C’est ce que j’ai pensé, mais elle m’a montré une photo d’eux. Crois-moi, Lassana portait le même costume en revenant en France. Sur la photo, ils s’embrassaient.
— Je ne comprends pas. Qu’est-ce qu’elle gagne en te le disant ?
— Rien, elle m’a dit que la balle était dans mon camp. Comme tu peux voir, j’ai décidé de ne pas me marier.
— Ça, je l’avais compris. Comment tes parents ont réagi quand tu leur as dit que tu annulais le mariage ?
— Je ne leur ai rien dit, du moins, pas le jour même. Il m’a fallu quelques jours pour leur téléphoner et m’expliquer. Leur réaction n’est pas celle que je pensais. Ils veulent que je rentre et que je me marie avec Lassana.
— Ils sont cons, désolée.
— Pas de souci.
— Est-ce qu’ils savent que tu es encore vierge ?
— Bien sûr. Pour eux, je dois le rester jusqu’à ma nuit de noces.
— Donc, ce n’est pas par choix que tu ne fais rien avec les hommes.
— Je ne sais pas si c’est ça, mais je veux être sûre de moi avant et ne pas le regretter après.
— Je comprends mieux maintenant ta réaction en voyant ton ex.
— Mes parents lui ont demandé de me ramener à Paris.
— Qu’est-ce que tu vas faire ?
— Rien, je lui ai dit que je ne rentrais pas avec lui. Je ne suis pas prête à leur pardonner.
— C’est compréhensible.
— Marion, je ne veux pas que tout le monde sache que je suis riche.
— Tu peux compter sur moi. Je ne le dirai à personne.
— Merci.
Marion nous sert la vodka.
— Tiens, me dit-elle en me tendant un verre. Tu avais raison, j’ai besoin d’alcool fort.
— Marion, est-ce que c’est pour cette raison que tu refuses de voir ce Claude ?
— Quelle raison ?
— Le fait que tu sois riche et que lui non. Et aussi que tu n’as jamais couché avec un homme.
— Je ne sais pas trop. Peut-être qu’au fond de moi, j’ai envie de faire plaisir à mes parents et d’attendre la nuit de noces.
— Je vais te dire une chose. Ce n’est pas à tes parents de choisir avec qui tu vas passer ta vie et encore moins avec qui tu vas coucher. On n’a qu’une seule vie. Dis-moi la vérité, est-ce que Claude te plaît ?
— J’avoue que je le trouve sexy. C’est un garçon drôle et sympathique.
— Eh bien, fonce !
— Mais s’il veut simplement faire l’amour avec moi ?
— Je ne pense pas, mais si ça peut te rassurer, explique-lui que tu n’es pas prête pour ça et tu verras sa réaction. J’ai encore mieux, envoie-lui un message maintenant et dis-lui que tu veux bien le voir, mais juste pour vous balader. Si ça peut te rassurer, je peux très bien venir. Ou alors, dis-lui que si c’est pour coucher avec toi, c’est non. Soit il te répond que ce n’est pas ça, ou bien il ne te répond pas et tu seras fixée.
— Tu crois ?
— Oui, dit-elle en me tendant mon portable.
J’hésite, puis je finis par écrire un message.
« Bonsoir, Claude. Ça serait avec plaisir.
Mais pour qu’il n’y ait pas de malentendus
entre nous, j’accepte de te voir seulement
si ce n’est pas pour me mettre dans ton lit. »
Et pour dédramatiser le texto, j’ajoute un smiley clin d’œil !
— Je n’aurais pas dit autre chose, m’avoue Marion.
Mon portable émet un bip après quelques secondes à peine.
« Bonsoir. Je te rassure tout de suite. Ce n’est pas dans mes habitudes de voir une femme et de la mettre dans mon lit. On peut très bien aller se balader quelque part. Si ça peut te rassurer, tu peux venir accompagnée par ton amie. Ça ne me dérange pas. »
— Voilà tu as ta réponse.
— Mais s’il a dit ça juste pour que j’accepte de le revoir ?
— Sabine, il propose même que je vienne avec vous. Si vraiment, tu as peur, je viens avec toi. Je resterai jusqu’à ce que tu te sentes à l’aise avec lui. Est-ce que ça te va ?
J’acquiesce avec un demi-sourire.
— Bien, envoie-lui ta réponse. Donne-lui rendez-vous au vallon du Stang Alar.
— Où c’est ?
— Je te montrerai le chemin.
« On peut se voir au Stang Alar demain à
14 heures. Je serai avec Marion. »
Je reçois sa réponse assez vite.
« C’est noté. Il n’y a aucun souci. À demain, Sabine. »
— Voilà, c’est fait. Contente ?
— Je le serai quand je te laisserai seule avec lui.
— Tu n’as pas intérêt à me lâcher.
— Crois-moi, c’est même toi qui vas me demander de partir !
Alors que nous allons dans nos chambres, Marion me dit doucement :
— Merci de m’avoir raconté ton histoire. Je sais que tu l’as fait, car je t’ai quand même forcée.
— J’aurai fini par t’en parler et ça m’a fait du bien, finalement.
— Je sais. À demain.
— À demain. Dors bien.
— Toi aussi, rêve de Claude !
— Je ne pense pas que je vais rêver de lui. J’ai d’autres soucis en tête.
Jusqu’à maintenant, mes romances contemporaines trouvaient leur place dans des lieux connus, mais avec cette histoire, j’ai souhaité laisser plus de place à mon imagination. Alors j’ai créé le Kandjar, cette principauté qui se trouve au cœur de la péninsule arabique, mais qui n’existe pas. Le lieu auquel je pensais, et qui occupe une grande place dans mon récit, je ne suis pas arrivée à trouver quelque chose qui y ressemblait précisément. Donc, comme en tant qu’autrice je peux faire ce que je veux, et bien voilà, il a pris vie. J’espère qu’il vous fera autant rêver que moi !
Chapitre 1
Avec soulagement, ils s’assoient sur le premier lit, après avoir déposé les bagages à l’entrée de la chambre d’hôtel.
— Bien, nous y sommes ! s’écrie Ahmed d’un ton décidé. Je ne peux plus reculer.
— Mais, dans l’immédiat, on va se détendre un brin. Car honnêtement, entre le vol de six heures et tout le reste, je suis épuisée. De toute façon, il est trop tard pour aller voir quoi que ce soit, déclare Aurore d’une voix où la fatigue perce.
— Je te laisse tranquille quelque temps. Je descends me renseigner à l’accueil dans le but de savoir si je peux réserver un taxi pour que nous nous rendions à l’orphelinat ou, du moins, pour m’informer de là où il se situe, ainsi que le consulat.
Aurore se met debout et va s’allonger sur l’autre lit jumeau, le plus proche de la baie vitrée, puis affirme, adossée aux moelleux oreillers recouverts de coton émeraude.
— Je ne bouge pas de ce lit !
— Et je verrai aussi s’il est possible de dîner dans la chambre. On plongera dans l’arène demain ! ajoute-t-il en lui adressant un large sourire affectueux en se levant à son tour de la couche.
Puis il se dirige vers la porte et sort. Aurore pousse un soupir. Oui, ils sont bien là. Cela fait deux ans qu’Ahmed a émis le souhait d’en savoir davantage sur ses origines. Deux années de recherches. Et ils se trouvent maintenant tous les deux au Kandjar, un petit état au cœur des sables. Un petit état où Ahmed est né il y a vingt-huit ans…
Ils avaient prévu d’y séjourner deux semaines pour tenter d’en apprendre plus. Ou, à défaut, en découvrir plus sur ce pays dirigé par un prince, en plein développement, possédant quelques puits de pétrole, mais avec une économie encore très traditionnelle, dont Aurore n’avait jamais entendu parler avant qu’ils n’effectuent ces recherches. Elle clôt ses paupières. En tout cas, ce qu’elle a déjà pu voir de la capitale lui donne envie d’en apercevoir davantage. Ils ne sont pas là pour faire du tourisme, pourtant ils vont tout faire pour en profiter.
Ce pays semble très beau, ayant conservé son caractère assez traditionnel. L’aéroport est situé à l’extérieur et au cours du trajet vers l’hôtel, elle a d’abord vu la nouvelle ville avec ses routes larges, bordées de trottoirs et d’immeubles modernes, certains en cours de construction, dont elle a pu également remarquer que leurs hauteurs demeuraient assez limitées, où le béton et le verre dominent, cependant les rondeurs et la blancheur des façades leur octroient une certaine typicité. Mais le passage est plutôt brutal avec la vieille ville qu’elle a pue observer sur les photos. Une vieille ville pleine de charme avec quelques îlots de fraîcheur avec des fleurs et quelques arbustes, sans compter les petits jardins clos appartenant aux maisons. Et il y a le désert qui ceint la capitale. Des dunes à l’infini qu’elle a envie de parcourir, même si elle ne sait pas s’ils en auront l’occasion.
Sans s’en rendre compte, elle s’assoupit.
C’est son frère qui la réveille en entrant dans la chambre sans prévenir, suivi d’un homme vêtu d’une gandoura blanche qui porte un plateau qu’il met sur un bureau qui se trouve dans un coin de la pièce.
Ahmed le remercie en arabe, et l’homme sort avec une inclination de la tête.
— Alors sœurette, tu as pu te relaxer ? s’enquiert-il, une étincelle malicieuse dans ses prunelles sombres.
— Un peu. C’est le repas ? demande-t-elle en désignant le plateau de la main, tout en se frottant les paupières, encore ensommeillée.
— Oui, il est froid, mais je te connais suffisamment pour savoir que cela ne te posera aucun problème, du moment que tu manges ! Et puis, avec un délai si bref, je n’ai pas réussi à obtenir autre chose. Je n’ai pas souhaité déranger trop non plus, alors que nous venons juste d’arriver. Ainsi, nous pourrons être un peu tranquilles et prendre du repos pour la suite. J’ai envie de contempler la vue sur la ville que l’on a du balcon.
— Bonne idée !
Elle se lève et l’aide à disposer les plats sur la petite table installée sur le balcon. À cette heure, la touffeur ambiante a laissé la place à la fraîcheur, et elle va passer une veste légère. Puis ils s’assoient sur des chaises en bois clair pour déguster du taboulé, du rôti de bœuf froid accompagné d’une garniture de légumes croquants. Le dessert consiste en une crème à la vanille très onctueuse. Le tout est arrosé d’une boisson qui ressemble à de la citronnade et de thé à la menthe. Tous deux savourent avec plaisir ce repas et surtout la vue. L’hôtel a été bâti dans le quartier le plus ancien de la cité, sur une des collines. Devant eux, il y a les toits blancs des maisons et surtout, à l’horizon, se dessine le désert, qui semble infini. La nouvelle ville est sur le côté et ses immeubles ne dissimulent donc rien du panorama.
— Si seulement on avait le temps d’y faire un tour ! s’exclame Aurore, enchantée par ce qu’elle aperçoit.
— On verra si c’est possible. J’aimerai bien moi aussi, soupire-t-il. Déjà, être là est énorme pour moi ! ajoute-t-il.
— Tu as eu les réponses que tu voulais à l’accueil ?
— Oui, nous nous rendrons à l’orphelinat demain matin. On peut y aller à pied, parce qu’il se situe à quelques rues d’ici. Tu viens toujours avec moi ?
— Je t’ai assuré depuis le début que j’étais avec toi, et je ne changerai pas d’avis.
— Tu m’aides à débarrasser ? Pour le plateau, Aram, le jeune homme qui l’a apporté, m’a dit que nous avions juste à le placer dans le couloir. Il serait récupéré par un des membres du personnel.
— D’accord.
Après avoir déposé le plateau devant la porte, il revient la retrouver sur le balcon. À côté d’elle, il observe les lumières qui naissent progressivement dans les demeures, tels des petits lumignons au sein des fenêtres étroites, l’obscurité gagnant peu à peu le ciel.
— Dire que c’est mon pays ! murmure-t-il avec une note d’affliction dans la voix.
Aurore appuie sa tête contre son épaule, puis entoure sa taille de son bras :
— C’est très différent de la maison, surtout en ce début de printemps. Néanmoins, cela semble tout autant beau. Le désert a un charme singulier, à la fois attirant et dangereux.
— Plutôt !
— Je suis certaine que papa et maman auraient adoré être là avec nous.
Il serre sa sœur contre lui :
— Je le pense aussi !
Après un moment passé ainsi, il déclare :
— Bon, je vais me préparer pour la nuit, après je téléphonerai à Luna pour la tenir au courant. Je lui ai juste envoyé un SMS pour la rassurer sur le fait que nous étions bien arrivés. Si seulement elle avait pu nous accompagner !
— Elle doit venir la semaine prochaine, c’est déjà cela ! objecte sa sœur.
— Oui, mais mon amoureuse me manque…
Il entre dans la chambre, alors qu’elle passe encore un peu de temps à contempler le panorama tellement dépaysant qui se trouve devant elle et qui ressemble à cet orient que l’on imagine. Des odeurs, un paysage… Elle ne peut nier qu’elle se sent bien céans. Puis elle pénètre à son tour dans la pièce et ferme la baie vitrée. À Bahar, la capitale, ils ont repéré peu d’hôtels, ce petit état se lançant depuis peu dans le tourisme. De prime abord, l’hôtel Les dunes était assez cher pour eux, mais comme ils pensaient y rester au moins deux semaines, et même si entre le vol en avion et le logement, ils ont dû piocher dans leurs économies ils ont préféré opter pour quelque chose de confortable, où ils pourraient prendre leurs repas. Ils ont réservé une chambre double qui se révèle assez spacieuse, dans les tons vert d’eau et gris, meublée sobrement. Il y a un bureau dans un coin avec une chaise en bois clair, ainsi qu’une banquette pour deux personnes, face à une télévision. Une grande penderie est encastrée dans le mur où elle prend le temps de ranger leurs affaires sur les étagères et les cintres.
Tandis qu’elle achève sa tâche, Ahmed sort de la salle de bains, simplement vêtu d’un des peignoirs blancs de l’hôtel.
— Tu veux te doucher ? Cela fait un bien fou après une journée pareille.
— J’arrive !
Elle attrape son vêtement de nuit et pénètre dans la salle de bain à son tour, pendant que son frère s’assoit sur son lit et commence à pianoter sur son portable. Quand elle ferme la porte, elle l’entend saluer Luna, sa compagne. Elle se déshabille et entre dans la douche, où le jet d’eau lui procure une chaleur bienfaisante, surtout après un si long voyage, son premier en avion d’ailleurs. Après avoir passé sa nuisette, elle le rejoint dans la chambre, tandis qu’il raccroche.
— Tout va bien ?
— Oui, Luna est fatiguée, mais cela va.
Elle part s’asseoir dans le lit après avoir saisi son ordinateur :
— Bien, je vais travailler un peu avant de dormir, cela ne t’ennuie pas ?
— Non, je vais faire de même.
Et il s’installe également tranquillement sur sa couche, puis il l’interpelle :
— Aurore ?
— Oui.
— Merci d’être là avec moi.
— T’es mon grand frère préféré, c’est normal ! s’écrie-t-elle avec un sourire mutin.
Il secoue la tête :
— Parce que tu as d’autres frères !
— Idiot !
Il lui fait un clin d’œil. Oui, c’est son grand frère, son grand frère adoptif, mais envers lequel elle est très attachée. Depuis la mort de leurs parents, cette affection n’a fait que croître. Et là, elle l’a accompagné dans ce voyage en quête de ses origines. Il a toujours été présent pour elle et elle fait de même pour lui. Elle pousse un soupir, puis la lassitude étant trop forte, elle referme son ordinateur.
— Je vais dormir !
— Je ne vais pas tarder moi aussi.
Elle pose son ordinateur sur la table de chevet, éteint la petite lampe, puis s’enfonce sous les draps qui embaument la lavande.
— Bonne nuit, Ahmed !
— Bonne nuit, Aurore !
Elle ferme les yeux et sent peu à peu le sommeil la gagner. Cependant, elle songe à ce pressentiment qu’elle a eu après qu’ils ont décidé d’effectuer ce voyage. Le résultat ne sera peut-être pas celui escompté. Il risque même bouleverser leurs vies. Elle n’en a rien dit à son frère, car elle redoute les répercussions sur lui, sur eux deux.
Chapitre 2
Au matin, c’est un appel qui la sort du sommeil :
— Aurore ?
— Mnf…
Un léger rire se fait entendre :
— Je sais. Tu as horreur que l’on te réveille brutalement. Mais nous avons une journée chargée, et nous devons aller prendre le petit déjeuner.
Elle s’assoit et dévisage son frère, qui l’observe un tantinet espiègle.
— Bonjour sœurette !
— Bonjour, rétorque-t-elle d’un ton assez agacé en le voyant déjà vêtu de pied en cap, repoussant une mèche blonde tombée sur sa figure.
— Allez, prépare-toi.
En rechignant, elle sort du lit, puis se dirige vers la salle de bains après avoir attrapé dans l’armoire un pantalon ample bleu marine et une tunique manches courtes à petites fleurs rouges sur fond crème. Bien qu’elle se sente encore assez lasse, elle agit avec diligence, préférant conserver ses longs cheveux blonds sur les épaules après les avoir brossés, et le retrouve vite sur le balcon où il prend le temps de regarder la vue.
Quand il la voit arriver, il s’enquiert :
— Tu es prête ?
— Oui. De plus, je commence à avoir faim !
Elle le suit à la porte, non sans oublier d’attraper la chemise contenant les documents concernant Ahmed. Après avoir fermé le battant, ils s’élancent dans le couloir aux murs gris perle et au sol recouvert d’une moquette chocolat qu’ils traversent sur toute la longueur avant de parvenir à un escalier en bois clair qu’ils descendent pour gagner le vestibule. Après l’atmosphère feutrée du couloir, ici c’est très différent. La luminosité est importante, grâce au haut plafond en verre en forme de coupole. Des carreaux en marbre beige strié de rose et de gris pavent cette immense pièce. Autour des piliers en pierre sont placés des fauteuils en cuir de couleur marron glacé qui invitent au repos. Alors qu’Ahmed se dirige vers le long comptoir en bois foncé derrière lequel se trouve l’accueil, elle avance vers la salle de restaurant.
Soudain, elle sent un choc dans son dos. Il s’en faut de peu que la chemise lui tombe des mains. Sans crier gare, une main surgit et s’en saisit, tandis qu’une autre lui attrape le bras pour l’empêcher de chuter.
— Oh ! s’écrie-t-elle, surprise.
Elle se retourne pour remercier la personne qui lui a porté secours. Et là, elle se pétrifie. Les prunelles qu’elle croise sont dorées, très singulières. Et l’homme est de grande taille, le teint mat, d’une beauté statuaire, la chevelure épaisse et courte, couleur aile de corbeau. Il esquisse un large sourire qui fait battre son cœur tant il le rend encore plus séduisant, et lui tend la chemise sans un mot. Manifestement, l’expression que la jeune femme affiche l’amuse.
Elle récupère les documents et déclare, troublée par cet homme, et également par quelque chose en lui qui lui semble très familier, et sur lequel elle n’arrive pas à mettre le doigt :
— Je vous remercie de m’avoir empêchée de tomber.
Face à sa mine interrogative, elle redit la même chose, mais en anglais cette fois-ci, sa langue maternelle étant venue naturellement. Cependant, il n’émet aucun commentaire et se contente de s’incliner devant elle, puis sa haute silhouette habillée d’un polo bleu marine et d’un jean stone de marque très connue s’éloigne avec assurance dans le vestibule. Visiblement, il connaît bien les lieux.
— Sœurette, ça va ? s’enquiert Ahmed avec inquiétude, qui vient de la rejoindre.
Son cœur bat encore très vite, preuve que cette rencontre continue à l’affecter, néanmoins elle rétorque de manière laconique :
— Oui.
— Je te sens émue, insiste-t-il.
Il suit son regard et sur ses lèvres se dessine un large sourire, alors que dans le fond du long vestibule l’élégante silhouette de l’inconnu bifurque.
— Bel homme ! s’écrie-t-il.
— Ça va !
— Non, mais pour une fois que je te vois réagir ainsi face à un homme, je ne vais pas bouder mon plaisir !
Connaissant son frère, elle n’a pas fini d’en attendre des vertes et des pas mûres !
— Nous ne sommes pas venus ici pour cela ! rappelle-t-elle pour calmer le jeu.
— Je sais. Allez, allons manger. Tu auras peut-être l’occasion de le revoir ! conclut-il avec un clin d’œil taquin.
Elle se contient de riposter et se cantonne à entrer avant lui dans la vaste salle à manger. Cette pièce est décorée à l’occidentale, et pour le petit déjeuner, c’est un buffet qui est disposé au centre qui permet de prendre la nourriture. C’est très varié : confitures, miel, pains divers, fruits, jus de fruits, lait, thé, café ou des mets plus orientaux qu’elle ne connaît pas. Elle préfère opter pour un thé avec des tartines au miel, avec un jus d’ananas.
Ils s’attablent devant une des larges fenêtres qui donnent sur un jardin assez foisonnant, avec des palmiers, des rosiers, un olivier et d’autres arbustes qui en ce mois d’avril ne sont pas encore en fleurs. Une fois ce repas achevé, ils partent dans les rues en direction de l’orphelinat. Ahmed a demandé une carte de la ville sur laquelle la jeune femme de l’accueil lui a tracé l’itinéraire.
Durant leur déambulation, ils profitent de l’ambiance des ruelles étroites et fraîches. Les portes en bois sont assez uniformes, peintes dans des tons qui rappellent la couleur du sable, et la blancheur des murs permet de repousser la chaleur. Chaque maison semble construite sur un schéma similaire, avec souvent qu’un unique étage. De temps à autre, ils aperçoivent une cour ou un petit jardin à la faveur d’un battant ouvert. L’orphelinat se situe dans un vieux bâtiment construit en briques crues recouvertes d’une chaux à la blancheur un peu passée ceint d’un mur assez haut, fissuré à certains endroits. Le portail en fer est poussé sans difficulté.
Après avoir parlé à une personne qui semble être la concierge des lieux, ils patientent dans la cour, le temps que cette femme aille cherche la directrice. Cette dernière, vêtue d’un caftan sombre, les rejoint vite pour leur signifier qu’elle peut les recevoir. Lorsqu’ils pénètrent dans le bâtiment, après avoir franchi un haut battant en bois épais, la fraîcheur les saisit. C’est une dame d’un certain âge et son anglais est assez sommaire. Par chance, Ahmed a appris l’arabe, leurs parents pensant que pour lui se serait un moyen de se rapprocher de ses origines, et il peut donc converser avec elle. Ahmed en rapporte parfois la teneur à Aurore. Cependant, quand il s’agit d’aller voir les documents, la femme insiste sur le fait que seul Ahmed peut entrer dans le bureau. D’une inclination de la tête, Aurore fait comprendre à son frère que cela lui importe peu, et elle s’assoit sur une des vieilles chaises bancales qui se trouvent dans le couloir aux murs qui ont dû être gris, mais dont la peinture s’écaille à beaucoup d’endroits, au sol dallé de carreaux ocre.
La porte derrière laquelle a disparu Ahmed est située au fond du couloir. Grise, épaisse, sinistre. La jeune femme la fixe un instant. Puis, elle ne sait pour quelle raison, il lui vient à l’esprit qu’il manque quelque chose. Certes, cet endroit a besoin de rénovation, toutefois il est très propre, le sol est manifestement balayé souvent. Pourtant, il y a un truc qui cloche pour elle. Alors qu’elle attend son frère, elle trouve ce qu’il manque au bout de quelque temps.
Elle est dans un orphelinat et c’est le silence qui l’entoure. Pas de cris d’enfants, pas de rires, pas de galopades. Où sont passés les enfants ? Ce bâtiment lui semble froid, austère, autant que la directrice qui les a reçus. La jeune femme prête l’oreille pour essayer d’entendre quelque chose et distingue à un moment quelques paroles, mais sinon tout est vraiment trop calme pour elle.
De surcroît, ce lieu manque de couleurs, de gaieté, de bruit…
Et cela lui fait froid dans le dos. Dire qu’Ahmed a passé ces deux premières années ici !
Elle secoue la tête pour éloigner ces pensées sinistres, puis attrape son portable pour aller faire un tour sur sa messagerie. Sur sa boîte mail professionnelle, trois nouveaux manuscrits sont arrivés. Décidément, le dernier appel à texte a très bien fonctionné ! Maintenant, il ne reste plus qu’à espérer qu’il y aurait des pépites parmi ces textes.
Tandis qu’elle commence à se plonger dans la lecture de l’un, la porte s’ouvre. Elle se met immédiatement debout pour observer son frère. Ce dernier salue la femme qui rentre vite dans le bureau, sans un regard vers Aurore. Une rencontre assurément glaciale qui se reflète dans l’expression d’Ahmed.
— Alors ? s’enquiert-elle dans un murmure.
— On en parlera à l’hôtel.
Le ton est tel qu’elle opine du chef et lui fait un petit sourire timide. Elle connaît Ahmed et s’il lui répond ainsi, c’est que la situation est compliquée ou que ce qu’il a appris ne lui convient pas.
Ils effectuent donc le trajet en sens inverse en direction de l’hôtel. En silence et nettement plus vite qu’à l’allée.
Arrivée dans le vestibule, elle pose sa main sur son bras :
— Écoute, tu n’as qu’à te rendre dans la chambre. De mon côté, je vais voir si l’on peut nous apporter de quoi boire. Nous en avons besoin l’un et l’autre.
— Il serait possible d’avoir un verre d’alcool ?
— Ahmed !
— Je te l’accorde, c’est un peu tôt. Donc ce sera un café très fort pour moi.
— Je m’en occupe !
Alors qu’il entreprend la montée des marches de l’escalier qui conduit à l’étage, elle se dirige vers l’accueil. Parvenue là, elle marque un temps d’arrêt, sidérée face à la personne qui se trouve derrière.
Que fait-il ici ?
L’homme au regard doré lui fait un grand sourire et incline lentement la tête. Et lorsqu’il lui adresse la parole, elle éprouve des difficultés à ne pas montrer sa stupéfaction :
— Bonjour, Tarek Al Qalea. Que puis-je pour vous ?
Son intonation est clairement amusée, et son français très compréhensible, avec juste une pincée d’accent. Dans ces conditions, elle prend sur elle et se lance :
— Bonjour, je souhaite savoir s’il est possible en journée de boire quelque chose dans ma chambre ?
— Bien sûr. Que désirez-vous ?
— Un café très fort et un verre de jus d’orange.
Il s’incline de nouveau, puis désigne un jeune homme qu’il vient d’appeler d’un signe de la main :
— Mounir va vous apporter cela. Quel est votre numéro de chambre ?
— 24.
Il jette un rapide coup d’œil à un document, puis confirme :
— Bien, madame Deslandes, cela va être fait très vite.
— Merci.
Elle commence à opérer un demi-tour lorsqu’elle entend :
— J’espère que vous n’avez rien eu tout à l’heure ? Vous auriez pu vous faire mal.
Agacée par le ton de voix railleur qu’il emploie, elle se cantonne à rétorquer :
— Tout va bien, merci.
Et elle n’attend pas davantage pour monter à l’étage, alors que dans son dos il lui semble entendre un éclat de rire étouffé. Quand qu’elle arrive à l’étage, elle se sent vraiment troublée. Cet homme a un tel regard et un tel charme ! Et il parle français. Bon sang ! Il parle même très bien français. Elle a franchement dû avoir l’air d’une idiote !
Elle respire un grand coup. Il faut qu’elle se reprenne. Malgré cela, dans l’immédiat, elle est avant tout ici pour Ahmed, et vu son attitude de tout à l’heure, il va avoir besoin d’elle, de son soutien, de son affection.
Cette pensée à l’esprit, elle parcourt le couloir très rapidement pour entrer dans la chambre et trouver Ahmed étendu sur le lit, ce qui ne lui ressemble absolument pas.
Elle prend place à côté de lui :
— Le café va bientôt arriver.
Il se redresse et s’assoit, puis sans tergiverser davantage lui assène :
— La femme m’a déclaré avec aplomb qu’elle n’avait pas le dossier me concernant.
— Pardon ?
Il secoue la tête, pousse un soupir, puis il poursuit d’un ton où une note de colère perce :
— Elle a ajouté qu’ils ont effectivement une trace de mon passage à l’orphelinat qui correspond à ma date de naissance et qui montre que j’ai bien vécu ici jusqu’à mes deux ans. Pourtant, ce dossier où est noté le nom de ma mère, elle n’est pas parvenue à mettre la main dessus. Alors que pour cette même année, elle possède celui des deux autres bébés filles. Mais moi, rien. Elle n’a aucune explication. Et n’a pas cherché à se renseigner plus.
Quand Ahmed lui rapporte la conversation, elle ne sait pas quoi lui dire, et encore plus par rapport à l’attitude de la directrice qui n’a montré aucune compassion envers lui.
Le constat était amer : ils connaissent ses origines, ils sont informés qu’il a passé ses premières années en ce lieu. Cependant, pour le reste, rien.
À ce moment-là, on toque à la porte, et la jeune femme va ouvrir pour laisser entrer Mounir avec le plateau qu’il va poser sur le petit bureau. Elle le raccompagne en le remerciant, puis apporte la tasse de café à son frère qu’il sirote sans attendre. Elle fait de même avec le verre de jus de fruits bien frais, assise de nouveau à côté de lui sur le lit. Au bout de quelque temps, elle lui rappelle :
— Écoute, il nous reste la solution du consulat pour peut-être en apprendre davantage.
Il pose la tasse de café sur la table de chevet avant de lui répondre :
— Oui, je téléphonerai demain pour en savoir plus.
Elle arque un sourcil et lui enjoint avec un sourire, après un temps de réflexion :
— À mon avis, je pense qu’il est préférable d’y aller en personne avec ton dossier. On verra bien ensuite.
— Tu as sans doute raison, reconnaît-il en haussant les épaules. Franchement, je ne m’attendais pas à être reçu de cette manière. J’imaginais que je trouverais des solutions plus vite. Il va forcément falloir rester plus longtemps. Du moins pour moi, parce que tu as le salon à faire.
Il pousse un soupir, puis se lève, l’air nettement moins abattu :
— Bien, comme je ne suis pas du genre à me plaindre pour un rien, nous allons d’abord descendre déjeuner, ensuite nous irons profiter de la piscine, et enfin nous ferons un tour en ville, visiter le souk par exemple. On va se changer les idées. Demain matin, nous nous rendrons au consulat. Et puis, si je ne parviens pas à en savoir davantage, je découvrirai quand même mon pays d’origine. Tu es d’accord ?
— À cent pour cent !
— Hauts les cœurs ! Mais en attendant, je vais prévenir Luna de tout cela.
— Je vais travailler un peu sur le balcon afin que tu sois tranquille.
Elle saisit son ordinateur et sort, alors qu’il commence à faire le numéro. Elle referme la porte de la baie vitrée pour laisser à son frère un peu d’intimité. Cependant, assise à la petite table en bois, elle ne réussit pas à se mettre au travail.
Une voix la hante, des prunelles dorées singulières également.
Cet homme travaille dans cet hôtel. Tarek…
Toutefois, elle n’est pas venue ici pour ce type de chose, et elle n’en parlera pas à son frère. Depuis que ce dernier a rencontré sa moitié, il est obnubilé par le fait que cela lui arrive aussi. De surcroît, vu sa réaction de ce matin, ce ne serait pas une bonne idée, car elle n’a pas fini d’en entendre sur ce sujet !
— Tout va bien, Aurore ?
Elle sursaute. Plongée dans ses pensées, elle n’a pas entendu la porte s’ouvrir.
— Oui, ça va, mais manifestement notre séjour ici va nous apporter plus d’imprévus, d’incertitudes que nous l’envisagions !
— Plutôt ! Bien, on descend manger au restaurant. Et après, appliquons le programme prévu. D’ailleurs, on a tous les deux besoin de se changer les idées ! Même si nous ne sommes pas venus ici pour le loisir, prenons quand même cela comme des vacances !
Après un repas copieux constitué d’un couscous et d’une salade de fruits, ils profitent de la piscine. Puis ils terminent leur après-midi dans leur chambre en travaillant, remettant la visite de la ville à une autre fois, la chaleur étant assez difficile à supporter, même en cette période. Aurore corrige un roman qui doit paraître prochainement et Ahmed lit un ouvrage sur le Moyen-âge qu’il a apporté. Pour le repas du soir, ils le prennent sur le balcon comme le jour précédent.
— Cela fait longtemps que l’on ne s’est pas trouvés tous les deux seuls, fait remarquer au bout d’un moment Ahmed alors qu’ils se sont mis au lit après avoir regardé le soleil se coucher.
— Oui, depuis que tu n’es plus mon tuteur !
— Nous en avons traversé des choses ensemble !
Elle pousse un soupir :
— Tu sais, quand nous sommes allés à l’orphelinat, je n’ai pu m’empêcher de penser que tu avais eu de la chance d’être adopté par nos parents. Cet endroit m’a donné froid dans le dos tant il est accueillant…
— Ce lieu est sinistre, tu as raison. Et en effet, avec nos parents, je ne pouvais pas tomber mieux. Ils ne m’ont jamais mis de côté ni traité différemment même après ta naissance. Ils m’ont donné beaucoup d’amour et, grâce à eux, j’ai eu une belle enfance. Et dorénavant, je suis prêt à être père à mon tour. Sans compter que j’ai eu une adorable petite sœur toute blonde !
— C’est ça ! Et moi, un grand brun ténébreux comme frère !
Il émet un petit éclat de rire :
— Oui, j’ai eu de la chance. Et dans cette ville, si je ne trouve pas ce que je veux, eh bien, tant pis, j’aurais essayé et je pourrais dire ce que je sais à mon enfant. Peut-être que je reviendrai ici avec lui, ou elle. Bien, dormons. Demain sera un autre jour.
Aurore étouffe un bâillement :
— Je commence à me sentir fatiguée de toute façon.
— Bonne nuit, sœurette.
— Bonne nuit, grand frère.
Elle rabat le drap sur elle et ne tarde pas à s’assoupir. Cependant, avant de plonger dans les bras de Morphée, elle ne peut s’empêcher de songer à un homme, et plus particulièrement à des prunelles couleur de miel.
Chapitre 3
Après un petit déjeuner vite avalé au restaurant de l’hôtel, ils partent en direction du consulat. Ce dernier a son siège dans une villa ancienne, où le blanc domine, mais à la différence de l’orphelinat, c’est un blanc éclatant, ceinte par un haut mur et un portail en bois fermé. De là où ils se trouvent, il leur est possible de voir que la demeure est assez vaste, entourée par un jardin. Ils sonnent à un interphone, un peu fébriles. Aurore a le sentiment qu’il va découler de cette visite quelque chose de plus important que lors de celle de l’orphelinat, mais elle ne sait qu’en penser. Enfin, au bout d’un temps trop long pour elle, une voix grave résonne.
— Bonjour. Que souhaitez-vous ?
— Bonjour, nous sommes français, et nous aurions besoin de discuter avec le consul au sujet d’une adoption.
— Pouvez-vous présenter à la caméra votre carte d’identité ?
Ahmed se saisit de celle d’Aurore et les montre toutes les deux à la caméra.
Un bruit se fait entendre, et le portail en fer ouvragé s’écarte suffisamment pour qu’ils puissent pénétrer dans la cour. Une fois à l’intérieur, le portail se ferme aussitôt derrière eux et ils parcourent la grande cour circulaire recouverte de sable doré, au centre de laquelle est placée une fontaine où l’eau coule avec un joli son. Ils arrivent enfin jusqu’à un escalier qui s’étend sur tout le devant de la façade pour parvenir à une porte en bois qui s’ouvre devant un homme dans la quarantaine, aux tempes grisonnantes, de haute stature et vêtu d’un costume marine. Un sourire avenant, il les accueille, tendant la main à Ahmed, puis à Aurore, dans une poignée de main très franche :
— Je suis Luc d’Amaurie, le consul.
— Bonjour, Ahmed et Aurore Deslandes. Nous sommes désolés de venir sans avoir pris de rendez-vous, mais nous souhaitons vous solliciter pour un problème d’adoption et…
— Vous avez de la chance, j’ai un rendez-vous dans quarante-cinq minutes, je suis donc en mesure de vous recevoir. Venez avec moi.
Il croise à ce moment-là le regard surpris d’Aurore et lui demande sur-le-champ :
— Vous vous interrogez sur le manque de personnel ici, c’est cela ?
— Comment…
— Cela fait trois jours que c’est ainsi. Ma secrétaire et mon assistant, qui sont mariés, ont dû aller en France pour un baptême, par conséquent je suis un peu seul avec une autre secrétaire qui pour le moment est partie à la poste. Mon épouse, qui m’aide parfois, est à son travail et mes enfants à l’école, par conséquent c’est très calme. Sans compter que le Kandjar est un pays assez paisible.
Pendant cette discussion, ils ont traversé un couloir pour parvenir à un battant en bois qu’il pousse, puis il désigne deux sièges en cuir devant un bureau en bois orné de liserés d’or.
— Si vous voulez bien vous donner la peine d’entrer et de vous asseoir.
Il prend place dans un haut fauteuil en cuir noir, derrière le bureau, puis il s’enquiert :
— Vous êtes donc venu au Kandjar pour une adoption ?
— Oui, acquiesce Ahmed.
Le consul arque un sourcil interrogatif :
— Mais vous vous êtes déjà adressés à l’orphelinat pour cela ?
— Nous y sommes allés hier, lui apprend Ahmed sur le même ton grave.
L’homme ouvre les mains en signe de désœuvrement :
— Alors, pour quelle raison venir au consulat ?
— Eh bien, la situation est plus complexe qu’elle en a l’air, explique Ahmed. En fait…
Le consul le coupe :
— Je ne vois pas pourquoi. Enfin, il y a votre jeune âge. Je ne suis pas médecin, mais avant de vous tourner vers l’adoption, peut-être que la médecine…
Ahmed lève la main pour l’interrompre :
— Ce n’est pas cela le problème. Aurore est ma sœur, pas mon épouse. En fait, c’est moi qui ai été adopté ici il y a vingt-six ans. Deslandes est mon nom d’adoption.
Se passant les mains dans les cheveux, le consul étouffe un soupir de soulagement, avant de s’exclamer :
— Je comprends mieux ! Je suis désolé de cette méprise. Nous étions en plein malentendu.
Ahmed lance un regard à Aurore et esquisse un sourire :
— Ce n’est pas un souci. Nous avons malheureusement l’habitude. Et quand on nous voit côte à côte cela arrive souvent.
Le consul opine du chef :
— Bien, alors expliquez-moi tout.
— Voilà, je suis venu dans ce pays afin d’en savoir davantage sur mes parents. Je me suis donc rendu à l’orphelinat, et là j’ai été informé que mon dossier ne s’y trouvait plus. Étant donné que je suis dorénavant français, j’ai pensé que peut-être ici je découvrirais des éléments qui me permettraient d’en apprendre plus.
Puis le frère d’Aurore lui tend les documents qu’il a en sa possession :
— Voici les pièces que j’ai pu rassembler jusqu’à maintenant.
Le consul prend le temps d’observer chaque page, mais, à un moment, Aurore a l’impression qu’il s’attarde plus particulièrement sur un et que sa mine s’assombrit. Toutefois, cela demeure assez fugitif et elle doute d’elle sur le moment. Il effectue cette tâche dans un long silence qu’il brise finalement en demandant :
— Vous n’avez que cela ?
— Oui, affirme Ahmed.
— C’est bizarre, parce qu’il est bien noté qu’en page deux, il devrait y avoir les noms de vos parents biologiques.
— J’ai remarqué.
— Et cette feuille n’existe pas ?
Ahmed se penche sur le bureau pour lui désigner quelque chose en bas du document :
— Il y a uniquement ce mot que j’ai du mal à comprendre avec ce tampon.
Le consul rejette un nouveau coup d’œil sur le document, puis il s’enquiert :
— Je peux faire une copie de ces documents ? Honnêtement, ce tampon me parle, mais pour le moment je ne peux pas vous en dire plus. Il faut que je me renseigne.
Ahmed hausse les épaules :
— Au point où j’en suis !
— Je m’en occupe de suite.
Le consul se lève et se dirige vers la porte, puis il sort dans le couloir. Au bout d’une poignée de secondes, ils entendent un bruit de porte qui claque et le son caractéristique d’une photocopieuse. Aurore se tourne vers son frère et chuchote :
— Décidément, il y a quelque chose d’étrange dans tout cela.
— C’est ce que je trouve aussi, rétorque-t-il sur le même ton.
— Face au tampon, il a eu l’air assez embarrassé, ajoute-t-elle.
— Plutôt !
— Qu’est-ce qui se cache derrière tout cela ?
— Petite sœur, j’ai la sensation que cela va aller plus loin que je ne l’imaginais.
Même si ces paroles rejoignent assez les pensées d’Aurore, elle ne peut s’empêcher de demander :
— C’est-à-dire ?
Il secoue la tête tandis que le consul les retrouve et lui tend ses documents :
— Bien, je ne vais pas vous garder plus longtemps, j’ai un rendez-vous, cependant je vous tiens au courant de mes recherches. Pouvez-vous me donner votre numéro ? Dans quel hôtel résidez-vous ?
— Les dunes.
Le consul hausse un sourcil :
— Je le connais, c’est un très bel hôtel !
— Oui, assez cher aussi, mais nous nous sommes dit que ne sachant pas combien de temps nous resterions dans à Bahar, le confort pouvait être important.
Ahmed note son numéro sur le calepin que lui tend le consul, puis il se lève :
— Merci déjà pour votre accueil.
— Même si les circonstances sont assez particulières, j’espère que vous et votre sœur passerez un bon séjour ici. C’est un beau pays, qui a conservé encore un caractère assez typique.
— Nous avons prévu de faire un peu de tourisme, intervient-elle.
Le consul les accompagne jusqu’au hall d’entrée :
— Bien, je vous ouvre le portail. Je vous rendrai au courant du résultat de mes recherches d’une façon ou d’une autre. À bientôt sans doute.
— Merci. À bientôt.
Quand ils sortent, ils sont songeurs et n’échangent aucun mot tout en cheminant jusqu’à l’hôtel, comme après leur visite à l’orphelinat. Mais en cet instant, tous les deux ont vraiment le sentiment que le ciel leur tombe sur la tête.
Aurore ne remarque même pas le coup d’œil que lui lance un homme brun au regard doré alors que celui-ci discute avec un des membres du personnel de l’accueil. Un regard qui ne la lâche pas même quand elle monte l’escalier pour se rendre dans leur chambre.
— Donc on a plus qu’à attendre, résume Ahmed en poussant un soupir, en s’asseyant sur le lit.
— Cela va peut-être avancer, déclare Aurore à voix basse.
— Je l’espère, parce que, pour l’heure, je ne sais plus vers qui me tourner…
Il s’adosse un instant aux oreillers, puis ferme les yeux.
— Si cela ne te gêne pas, on va rester ici jusqu’au repas et après on visitera le souk. J’ai vraiment envie de faire autre chose, chuchote-t-il.
Aurore se penche vers lui et lui embrasse la joue :
— Aucun souci. De toute façon, j’ai la lecture d’un manuscrit à achever. Luna veut une réponse le plus rapidement possible. Donc je m’installe sur le balcon, et je te laisse tranquille.
— De mon côté, je vais rester là, au calme. Tu m’appelleras pour que l’on aille manger !
Elle opine du chef et se rend sur le balcon. Elle n’aime pas voir Ahmed dans cet état, cependant elle sait qu’elle ne peut rien faire de plus. Autant attendre et le laisser s’apaiser.
Lorsque c’est le moment de se restaurer, elle revient le chercher. Rien que le bruit de son pas fait que son frère ouvre les yeux et lui déclare :
— Je vais me passer un peu d’eau sur le visage, puis je te rejoins. Tu n’as qu’à descendre.
— Bien.
Elle lui fait un sourire encourageant, puis se dirige vers la porte. Quand elle pénètre dans la salle du restaurant, elle se déplace vers une des tables en bordure des fenêtres. À un moment, elle lève la tête, sentant un regard sur elle. Elle croise des prunelles dorées. Face au sourire de l’homme, elle se contente d’incliner le chef, alors que dans les yeux de ce dernier, des étincelles s’allument. Puis elle se replonge dans le menu jusqu’à ce que son frère arrive. Pendant qu’il s’installe en face d’elle, elle perçoit toujours ce regard sur elle, mais elle veille à ne rien montrer de son malaise à son frère. Puis ils déjeunent tranquillement.
Durant la visite du souk, qui se trouve au cœur de la vieille ville, ils ont vraiment le sentiment d’être immergés dans l’orient tel qu’ils l’imaginaient. Tissus, épices, artisanat, bruits, musiques, tout est dépaysant. Ce lieu a conservé toute sa typicité avec de petites échoppes regorgeant de marchandises, des venelles au sol dallé. Il n’est pas possible d’y circuler en voiture, les charrettes à bras étroites ou les triporteurs sont donc très pittoresques avec leurs couleurs bigarrées. À un moment, ils entrent dans une bijouterie, mais les prix sont trop onéreux pour eux. Aurore fait l’acquisition sur un étal d’une étole et Ahmed en choisit également une pour Luna. Toutefois, ils n’achètent pas davantage de choses, se promettant de revenir juste avant la fin de leur séjour pour faire l’emplette d’épices et de thé. Puis ils retournent à l’hôtel.
Chapitre 4
Après avoir dîné dans la salle, Aurore s’adresse à son frère :
— J’aurai envie de voir le soleil se coucher, mais pas du balcon. Je vais demander à l’accueil s’ils ont une idée du lieu où je peux me rendre. Tu viens avec moi ?
— Honnêtement, je suis fatigué, et je voudrais parler à ma moitié.
— Alors, je vais y aller seule. Je te rejoindrai plus tard.
— Pas de souci, sœurette !
Elle se dirige vers l’accueil pour s’enquérir de ce lieu.
— Vous n’avez pas encore eu l’occasion de vous rendre sur la terrasse ? l’interroge la réceptionniste.
— Celle qui donne sur le jardin ?
La jeune femme esquisse un sourire :
— Non, celle du toit. C’est très beau, on a une vue panoramique sur la vieille ville, le désert. Je peux demander à ce que l’on vous y conduise.
— Ce sera très bien, merci. Heu, je ne voudrais pas abuser, mais c’est possible aussi d’y boire un verre de jus de fruits ? ajoute-t-elle.
— Tout à fait ! Vous connaissez Mounir ?
— Oui, il nous a déjà apporté à boire dans notre chambre.
— Alors si vous pouvez attendre un peu dans le vestibule, il vous accompagnera avec votre boisson. Que souhaitez-vous ?
— Je vous laisse le choix.
Elle incline la tête :
— Bien, donnez-nous une dizaine de minutes.
— Pas de soucis.
Comme chaque fois, ils agissent avec diligence, car elle patiente très peu de temps. Aurore se fait la réflexion que les hôtels de ce type sont assez chers, mais que le service va avec ! Mounir la conduit par un escalier qu’elle n’avait pas eu l’occasion de voir, dissimulé dans un coin au fond du vestibule, qui débouche directement sur le toit-terrasse. Et là, elle est enchantée, car elle est en mesure d’apercevoir le paysage de la ville, et le désert semble très proche.
— C’est magnifique !
Le sourire de Mounir s’élargit :
— C’est très agréable le soir, quand le soleil se couche et que la fraîcheur le suit. Je vous pose votre verre sur cette table ?
— Oui, merci beaucoup.
Il fait une courbette et avec un nouveau sourire, s’éloigne, pour repartir vers l’escalier.
La table en fer se situe à proximité d’une banquette recouverte d’un tissu beige sur laquelle elle prend place, puis elle s’adosse et commence à siroter sa boisson, un jus de mangue bien frais, ravie de l’aubaine, tant le paysage autour d’elle est beau à voir. Elle n’aurait pas pu rêver mieux ! Elle profite du moment, simplement plongée dans l’observation, appréciant le silence ou le fait que les bruits soient assourdis, et surtout la chance de se trouver seule.
Soudain, elle entend derrière elle :
— Bonsoir.
Cette voix si particulière…
Surprise, elle se tourne lentement :
— Bonsoir.
— Vous avez découvert la terrasse ? s’enquiert-il avec un très grand sourire.
Veillant à ne surtout rien trahir de ce que cette intonation grave, à laquelle ce léger accent donne beaucoup de charme, produit en elle, elle explique :
— J’ai demandé à l’accueil s’il y avait un endroit d’où il était possible de contempler le soleil se coucher pas trop loin de l’hôtel, et l’on m’a conduite ici.
— Je vois. Votre mari ou votre fiancé n’est pas avec vous ?
Elle écarquille les yeux et s’étonne :
— Mon mari ?
Il penche la tête sur le côté, la scrutant du regard :
— Oui, l’homme qui se trouve avec vous.
Elle se retient de ne pas éclater de rire, avant d’affirmer :
— Ahmed n’est pas mon mari.
— Ah…
— Et pour tout vous dire, il n’est pas non plus mon fiancé ni mon petit ami, ajoute-t-il pour enfoncer le clou.
L’homme semble assez indécis :
— Mais…
— C’est mon frère. Et si nous avons la même chambre, c’est juste par économie.
— Pardon ?
C’est vrai qu’elle peut comprendre qu’il peut être difficile de croire qu’une jeune femme blonde aux prunelles bleues puisse être la sœur d’un homme grand, brun à la peau mate, aux yeux noirs.
Elle précise alors :
— En fait, c’est mon frère adoptif. Mes parents ne parvenaient pas à avoir d’enfant, et ils ont adopté Ahmed. Puis ils m’ont eue. Enfin, c’est une histoire compliquée au début, mais qui a eu une jolie fin.
— Et vos parents ne sont pas avec vous ?
Sa mine de la jeune femme s’assombrit, et elle lui confie au bout de quelques secondes :
— Ils sont morts peu de temps après l’anniversaire de mes quinze ans dans un accident de voiture. Ils n’ont pas pu éviter le chevreuil un soir…
Il prend place au bout de la banquette sur laquelle elle se trouve, faisant quand même attention à demeurer assez loin d’elle, puis il déclare d’un ton sérieux :
— Je suis désolé, je ne souhaitais pas raviver de mauvais souvenirs.
Elle hausse les épaules :
— Ce n’est pas grave. De plus, vous n’êtes pas censé être au courant.
— Enfin, je comprends mieux pourquoi il y a autant de tendresse entre vous deux. Quand on vous voit ensemble, il y a beaucoup de complicité.
Un léger sourire danse sur ses lèvres quand elle lui apprend :
— Ahmed, même si nous n’avons aucun lien de sang, est mon grand frère, et nous nous aimons beaucoup. D’ailleurs, il a été mon tuteur au décès de nos parents. Il allait avoir vingt ans, et se retrouver avec une ado n’a pas toujours été évident pour lui, bien que j’aie été assez sage. Cependant, être tous les deux face à l’adversité à renforcer notre lien.
Elle pousse un soupir et se replonge dans l’observation du paysage, alors que face à elle le ciel se pare d’une teinte d’un beau vermillon.
Au bout de quelque temps où le silence avait dominé, il déclare d’une voix basse :
— Je comprends. Dès lors, sachant que c’est votre frère, je peux vous demander si vous accepteriez de dîner avec moi demain soir ?
Si elle s’y attendait !
— Je… Pardon !
— Je présumais que c’était votre mari, mais maintenant que je sais que ce n’est pas le cas, je peux vous inviter. À moins que vous n’ayez un petit ami qui soit resté en France ?
Elle ne sait que répondre. À un moment, l’idée l’effleure de mentir, de dire que son petit ami l’attend effectivement en France. Pourtant, elle ne peut s’empêcher de penser que cette invitation n’engage à rien, et que cela lui permettrait de rompre un peu avec sa routine coutumière. De surcroît, elle n’est pas à même de nier qu’il lui plaît : il a beaucoup de charme, il la trouble, cependant la jeune femme a aussi envie d’en apprendre davantage sur lui.
Elle secoue la tête, puis lui signifie :
— Non, je n’ai pas de petit ami en France ni ailleurs. Mais…
— Écoutez, si vous doutez de ma sincérité, sachez que je suis le propriétaire de cet hôtel, affirme-t-il face à l’incertitude qu’il peut lire sur son visage. Et que je n’ai que des intentions honnêtes.
— Ah ! Eh bien, par conséquent, j’estime qu’un dîner ne peut pas être envisageable ici. Surtout si vous êtes le propriétaire de ce lieu !
Il la coupe avec un geste de la main et un grand sourire :
— Ne vous inquiétez pas, j’ai prévu de faire des infidélités à Rachid, le chef de cet établissement. J’ai plutôt envie de vous faire découvrir la gastronomie locale dans un petit restaurant sans aucune prétention, mais où c’est très bon.
OK, il a tout préparé. Où va-t-elle mettre les pieds ? Sur le moment, les doutes l’envahissent :
— Je ne sais…
Un sourire qui se veut probablement rassurant ourle les lèvres de l’homme et il lui confirme d’un ton sans réplique :
— C’est juste un dîner, je vous le répète.
Dans sa tête, cela tourne à cent à l’heure. Même si elle en a très envie, peut-elle prendre ce risque ?
Entre la raison et le cœur…
— Juste un dîner ?
— Je vous en donne ma parole d’honneur, dit-il en posant sa main sur son cœur dans une courbette un tantinet railleuse. Je suis un homme qui tient ses promesses. Cela ne vous engage à rien d’autre qu’à un bon repas et une discussion, que je vais tout faire pour qu’elle soit agréable. Pour le reste… Eh bien, ce sera déjà une façon de nous connaître.
C’est si tentant !
Et au fond, peut-être qu’elle découvrira des choses qui pourront aider son frère ? Alors elle se lance :
— Pourquoi pas ! Par contre, je préfère vous prévenir, je n’ai pas de vêtement adapté à une sortie. Nous sommes seulement venus ici… pour faire un peu de tourisme.
Il ne paraît pas remarquer son hésitation, car il la coupe d’un geste de la main et lui enjoint :
— Ne vous inquiétez pas, c’est un lieu très simple. Dans ces conditions, je passe vous prendre demain soir devant votre porte ? Ou sinon je peux vous attendre devant l’hôtel.
— Je pense que cela sera mieux.
— Vers dix-neuf heures ?
— Heu… oui.
— Bien, à demain soir donc.
Il se penche devant elle et après un dernier sourire, il pivote des talons et s’éloigne.
Elle n’en revient pas de ce qu’il vient de se produire. Qu’est-ce qui l’a poussée à accepter ce rendez-vous ? Elle n’est vraiment pas coutumière de ce fait ! Au contraire, depuis sa mésaventure, elle évite ce genre de situation. Toutefois, en cet instant, elle sent qu’avec Tarek, c’est différent. Il y a une attirance entre eux deux, c’est indéniable. Mais également autre chose sur laquelle elle ne parvient pas à mettre le doigt.
Poussant un soupir, le plaisir d’être sur cette terrasse n’est plus là, elle achève sa boisson devenue tiède, puis repart par l’escalier. En bas, elle va déposer le verre à l’accueil où la personne présente la remercie d’une inclination de la tête et d’un grand sourire. Puis elle remonte à la chambre, où elle trouve Ahmed déjà endormi. Manifestement, celui-ci ne ressort pas indemne de ces recherches qui pour le moment n’apportent rien. Elle adore son frère, cependant, dans ces circonstances, elle ne peut rien faire pour lui. Alors qu’elle s’habille pour la nuit, elle se demande vers où ou vers qui ils peuvent encore faire appel pour avoir des réponses. Mais malgré sa réflexion, elle ne trouve aucune solution. Au bout du compte, elle part se coucher. Cette journée a été dense et la fin assez inattendue. Mais bon, le vin est tiré, il faut le boire ! Elle verra bien comment tournera cette invitation.
Chapitre 5
Pendant toute la matinée qui suit, elle ne parvient pas à amener cette invitation dans la conversation avec son frère. Alors qu’ils se trouvent au restaurant pour le déjeuner, elle se lance :
— Je ne suis pas là ce soir.
Ahmed incline la tête sur le côté :
— Ah ! Tu as prévu quelque chose ?
— Je… j’ai un rendez-vous.
Il arque un sourcil, alors que ses lèvres esquissent un sourire surpris :
— Un rendez-vous ? Un rendez-vous rendez-vous… Comment as-tu fait pour rencontrer quelqu’un aussi vite ?
Elle pousse un soupir, puis elle lui assène :
— J’ai accepté d’aller au restaurant avec le propriétaire de l’hôtel.
— Mais comment l’as-tu rencontré ? insiste-t-il.
— Eh bien, tu te souviens de l’homme qui m’a empêchée de tomber…
Il fait claquer ses doigts et s’exclame, le visage affichant une certaine satisfaction :
— Je le savais !
Elle se mordille les lèvres : OK, elle a fourni un os à ronger à son frère et ce dernier a l’air relativement béat :
— Ahmed !
— Je me doutais qu’il y avait quelque chose. Alors je ne peux que te souhaiter de passer une bonne soirée ! affirme-t-il d’un ton suggestif.
— Tu ne penses pas…
— Aurore, même si j’évite de te poser des questions, je suis au courant que ta vie sentimentale se limite à zéro.
— Je suis déjà sortie…
— Je ne parle pas d’aller au cinéma ou au restaurant avec un homme, sœurette. Tu vois très bien ce que je veux dire.
Elle pique un fard, et il poursuit :
— Et je sais très bien pour quelle raison c’est ainsi. Mais cela fait près de six ans maintenant. Par conséquent, je ne peux que t’encourager. Du reste, si c’est juste pour le temps où nous sommes ici, eh bien, je serai présent pour toi.
— Je ne vais pas…
— Finir dans son lit dès le premier soir ? Te connaissant, je ne pense pas. Cependant, tu as le droit de vivre des émotions. Alors… Et puis, honnêtement, vu mes relations avant Luna, je n’ai pas de leçons à te donner.
— Nous ne sommes à Bahar que pour quelques jours ! s’offusque-t-elle.
— Aurore, comme je viens de te le dire, je ne te jugerai pas. Mais si cela se passe mal… Je te rappelle que je serai là.
— Ahmed…
Il se lève, puis se penche vers elle et embrasse sa joue.
— Bien, entre-temps, on va à la piscine comme on l’a décidé ? s’enquit-il avec un large sourire.
— Bien sûr !
Comme prévu, elle attend Tarek devant l’hôtel. Elle a préféré prendre un peu d’avance, mais à l’heure dite, elle voit arriver une voiture noire à la coupe élancée, le genre de modèle que l’on aperçoit dans les séries et que l’on croise très rarement sur les routes de campagne dont elle a l’habitude. Quand il sort du véhicule, elle ne peut s’empêcher de pousser un léger soupir. En vérité, elle se demande dans quoi elle pose les pieds. Certes, la dernière fois qu’elle est sortie avec quelqu’un, cela ne s’est pas bien passé, mais là, elle a le sentiment de s’engager dans quelque chose de vraiment singulier. Et puis, il exhale tant de charme, et son habillement est clairement de très bonne facture : une paire de chaussures en cuir sombre, un pantalon marron foncé bien coupé et une chemise d’un bleu ciel très doux qui met en valeur la matité de sa peau. Ses prunelles de miel sont chaleureuses. Elle se trouve un peu décalée avec sa simple robe bleu marine, son mètre soixante, son chignon strict, oublieuse de sa blondeur, de son regard pervenche et de ses jolies formes.
— Bonsoir, la salue-t-il.
Elle esquisse un sourire :
— Bonsoir.
Il vient ouvrir la portière passagère, puis il se tourne vers elle et s’enquiert avec sérieux :
— Vous avez changé d’avis ?
Elle se sent rougir, prise en flagrant délit. Elle qui pensait avoir réussi à dissimuler son indécision !
— Heu, non…
— Je vous pose cette question, car en cet instant je perçois une retenue chez vous. Et je ne désire pas que vous vous sentiez obligée de m’accompagner. Je peux très bien le comprendre. Il n’y a aucune contrainte.
Elle respire un grand coup :
— Non, tout va bien.
Il incline la tête sur le côté, puis lui intime avec une courbette :
— Bien, alors si vous voulez bien vous donner la peine de monter.
Ses prunelles pétillent de malice quand il énonce cela, et elle ne peut s’empêcher d’esquisser un léger sourire qui visiblement lui convient parce qu’il déclare sur-le-champ :
— Je préfère voir cette expression sur votre visage !
Et là, elle ne se retient pas pour le questionner, alors qu’elle prend place dans la voiture :
— Vous devez vraiment dire cela ?
Tandis qu’il ferme la portière, il la fixe un instant, puis gagne le côté conducteur où il s’assoit sans émettre aucun commentaire. Après avoir mis le moteur en route, il lui demande :
— Vous n’aimez pas les compliments ?
— ce n’est pas cela…
— Vous n’appréciez pas la séduction, c’est bien cela ?
— Comment avez-vous…
— Deviné, c’est ce que vous alliez dire ? Eh bien, j’ai compris que vous n’êtes pas coutumière de ce type de situation. De plus, sans vouloir me montrer trop imbu de moi-même, j’ai l’habitude que mes invitations soient acceptées beaucoup plus vite. Sans compter votre attitude assez réservée à mon arrivée, à laquelle s’ajoute votre présente réaction face à mes propos. Donc, ou vous êtes une remarquable actrice, mais de cela je suis sûr que ce n’est pas le cas, ou mon comportement vous rend mal à l’aise. J’ai raison ?
Elle opine du chef, ne se risquant pas à le regarder. Décidément, cet homme est très intuitif !
Sans crier gare, il lâche le volant et pose sa main sur celle d’Aurore :
— Alors, je résume : pas de compliments, pas de séduction. Juste de la conversation. Cela vous convient ?
De nouveau elle se contente de faire un signe positif de la tête. Cependant, troublée par le contact de la main de Tarek, elle retire la sienne lentement. Tarek, sans faire d’observation, la replace sur le volant. Le silence les entoure, et elle se cantonne à regarder autour d’eux la ville dans laquelle il évolue avec assurance.
— Nous arrivons, dit-il, alors qu’ils parviennent devant un immeuble récent.
Une fois garé, il sort du véhicule pour ouvrir la portière d’Aurore qui examine les alentours avec stupéfaction. Tandis qu’ils se dirigent vers une porte située dans une venelle, il s’enquiert :
— Vous avez l’air étonné ?
— En fait, j’imaginais que le restaurant se trouverait dans la vieille ville.
— Je vois. Mais ne vous inquiétez pas, ce sera bon et je suis certain que le lieu va vous surprendre.
Il pousse un battant vitré, et là, immédiatement, Aurore a le sentiment d’être plongée dans l’orient tel qu’on le conçoit. Les clients sont assis sur des banquettes basses pourpres ou chocolat, recouvertes de plaids ou de coussins aux coloris bigarrés, installées dans des sortes de box séparés par des voilages irisés aux teintes variées. Les plats sont servis sur des tables basses en cuivre ou en bois reposant sur des tapis chamarrés. Les lumières sont tamisées grâce à des photophores en cuivre traditionnels.
L’ahurissement manifeste de la jeune femme amuse Tarek qui s’exclame :
— Vous voyez, je ne vous ai pas menti !
Il l’attrape sous le coude et la guide vers l’un des box où un pichet en verre et deux verres les attendent. Ils s’assoient côte à côte, puis Tarek, après lui avoir demandé si elle désire un verre de jus d’orange, la sert.
Elle se saisit d’un des menus pour se donner une contenance, mais y sont notés uniquement les noms des plats, et cela la laisse perplexe. S’avisant sans doute de cela, Tarek lui pose cette question :
— Vous me faites confiance pour les plats ?
Elle hausse les épaules, soulagée :
— Du moment que ce n’est pas trop épicé, cela fera l’affaire. Je ne suis pas très difficile.
— D’accord.
Le serveur, vêtu à la manière traditionnelle, les rejoint, et les deux hommes discutent du menu en arabe. Pendant ce temps-là, Aurore observe autour d’elle, toujours autant surprise par ce qu’elle voit, sirotant le verre de jus de fruits très frais.
— J’ai commandé en entrée une salade composée et, pour le plat principal, j’ai choisi de vous faire découvrir un mets typique de cette région : le kebsa à base de poulet, de riz, de raisins, de dattes et d’amandes, lui explique Tarek pendant que le serveur s’éloigne. Vous avez déjà eu l’occasion d’y goûter ?
— Non, mais il est vrai que l’hôtel sert des menus assez occidentaux.
— Je sais. Vous préféreriez avoir plus souvent des plats typiques ?
— Eh bien, quand on séjourne dans un pays, la gastronomie est importante. Mais après, ce n’est que mon avis personnel. En tout cas, ce que j’ai pu y découvrir m’a assez plu jusqu’à maintenant.
Puis elle reprend son verre pour le terminer.
— Avant de venir au Kandjar, vous aviez déjà eu l’occasion de visiter un pays du Moyen-Orient ? s’enquit-il.
— Non, je n’étais jamais allée aussi loin. Pour tout vous dire, c’était la première fois que je prenais l’avion.
— C’est une vraie découverte alors ?
— Effectivement. Pour Ahmed, moins. Il a eu l’opportunité de voyager en dehors de l’Europe.
Le serveur arrive et dépose sur la table les plats, puis il place des couverts à destination d’Aurore, qui se tourne vers Tarek :
— Merci d’y avoir pensé.
— Oh je n’y suis pour rien. Beaucoup de touristes viennent ici. C’est devenu une habitude.
Ils commencent à déguster les plats. Devant l’expression ravie d’Aurore, Tarek se contente de sourire, ensuite il demande :
— Vous ne faites donc pas un métier où il faut voyager, si j’ai bien compris ?
Elle esquisse un sourire, avant de rétorquer sur un ton mutin :
— Je le fais par procuration, dans l’imaginaire.
Il hausse un sourcil interrogateur, et elle explique :
— Nous avons créé avec Luna, la compagne d’Ahmed, notre maison d’édition il y a deux ans, quand j’ai eu fini mes études de lettres.
— Je comprends mieux. Et elle marche bien ?
— Pour le moment, je ne me plains pas trop, même si je suis obligée de faire beaucoup de choses pour économiser de l’argent : des corrections, des couvertures. Enfin, cela donne beaucoup de travail. Je présume que c’est comme lorsque l’on dirige un hôtel, il faut être multicartes !
Il esquisse un sourire :
— En effet.
Puis il prononce une phrase en arabe qu’elle ne comprend pas :
— Qu’avez-vous dit ?
— Désolé, je pensais à voix haute. Vous ne comprenez pas l’arabe ? J’ai pourtant cru entendre votre frère discuter dans ma langue.
— Mes parents ont tenu à ce qu’il l’apprenne afin d’être plus proche de ses origines. Il a suivi des cours par correspondance, ainsi qu’en le parlant parfois avec l’ouvrier d’origine marocaine qui travaillait dans l’exploitation familiale.
— Vos parents étaient agriculteurs ?
— Viticulteurs, plus précisément. Mais suite à leur décès, les vignes ont été mises en fermage afin qu’Ahmed puisse poursuivre ses études en histoire. Toutefois, il se donne toujours la possibilité de reprendre les vignes à son compte un jour.
— Il est professeur ?
— Il est chercheur, il a achevé son doctorat l’année dernière. Nous sommes venus dans cette période, car à ce moment-là il a fini ses cours en présentiel, donc il se consacre à ses recherches avant les examens dans deux mois. Et vous, vous êtes donc propriétaire de cet hôtel ?
Il ne semble pas désarçonné par ce passage du coq à l’âne, et il opine du chef :
— Oui, en effet.
— Et de temps en temps vous vous retrouvez à y travailler ?
Comprenant à quoi elle fait allusion, il déclare :
— He bien, j’aime bien le contact avec les gens. Et au moment où je suis arrivé, Lyla, la réceptionniste, a reçu un coup de fil de sa mère qui lui a annoncé que son fils avait de la fièvre, donc je lui ai dit qu’elle pouvait partir et que je la remplaçais. Elle est revenue l’après-midi. Je fais de même dans mon autre hôtel.
— Vous possédez un autre hôtel ?
— Il se trouve à Raman, l’autre ville importante du pays, où sont situés certains sites archéologiques. Peut-être auriez-vous l’occasion de vous y rendre ?
— Je ne sais pas. Par contre, j’aimerais bien visiter le désert qui borde Bahar.
— Si cela vous intéresse, je peux vous organiser cela. C’est un service que propose de temps en temps l’hôtel.
Elle se mordille les lèvres :
— Je…
— Je peux même vous y emmener si vous le souhaitez. Je connais très bien le désert.
Elle préfère demeurer allusive dans sa réponse :
— Peut-être un peu plus tard. Lorsque Luna nous rejoindra par exemple. Pour le moment, elle doit s’occuper de l’organisation d’un salon. D’ailleurs, quand elle arrivera, je partirai peu de temps après pour le faire.
Un ange passe, avant qu’il ne demande :
— Vous envisagez de revenir ?
— Nous sommes juste venus ici… pour visiter le pays. Donc, je ne pense pas.
— Par conséquent, je vais tout faire pour que vous ayez envie de revenir.
Elle secoue la tête et ne rétorque rien. Elle sait qu’elle ne reviendra pas. Alors, elle va éviter d’y songer et garder pour plus tard ces instants au chaud. Tarek se révèle d’agréable compagnie. Elle vit le moment présent, c’est tout.
— Aurore, tout va bien ?
— Pardon, je pensais à autre chose.
Il esquisse un sourire, puis lui enjoint :
— Pour le dessert, j’ai choisi un sorbet à la mangue et j’ai pris du thé à la menthe. Cela vous plaît-il ? Sinon, je peux demander autre chose.
— Non, cela conviendra.
Le sorbet est plein de goût et Aurore la déguste avec plaisir. Le thé très parfumé. Décidément, ce restaurant est tel que Tarek le lui avait promis.
Lorsqu’ils partent, Aurore n’a aucun regret d’avoir accepté. Cependant, quand Tarek s’arrête à proximité de l’entrée de l’hôtel, il se penche vers elle et pose une main sur la sienne :
— Vous consentiriez à ce que nous nous revoyions demain soir ?
Elle reste silencieuse un instant avant de dire, sans le regarder :
— Je ne pense pas que cela soit raisonnable.
Et elle sort sa main de dessous la sienne, ayant l’impression de revivre le début de la soirée. Mais Tarek, doucement, pose un doigt sous son menton et l’oblige à tourner la tête vers lui. Lorsqu’elle croise ses prunelles dorées, celles-ci sont graves.
— Pourquoi ? Vous n’avez pas apprécié ?
Elle pousse un soupir, se mordille les lèvres :
— Ce n’est pas cela, c’est juste que je vais partir bientôt. Donc, je ne pense pas que cela soit possible.
— Nous en jugerons mieux demain soir.
— Tarek…
— Aurore, j’ai vraiment envie de vous revoir. Et ce sera seulement un repas. D’ailleurs, si tout va mal pour vous, vous n’aurez qu’à partir.
— En oubliant ma chaussure ? plaisante-t-elle.
Il éclate de rire, puis il dépose un baiser sur sa joue :
— Cela nous obligera alors à nous revoir, cela peut être une bonne idée ! Bien, je vous accompagne à votre chambre.
Elle n’attend pas davantage pour ouvrir la portière et descendre de la voiture.
— C’est gentil, mais je peux rentrer toute seule, l’assure-t-elle.
Il pince les lèvres, se penchant pour mieux l’observer, puis déclare d’un ton posé :
— Je vous dis donc à demain soir, Aurore. Même heure.
Elle capitule :
— D’accord. Bonne fin de soirée.
— Bonne fin de soirée.
Et alors qu’elle ferme la portière, elle entend :
— Rêvez de moi.
Si cela la touche, elle veille à ne rien montrer. Et puis ces paroles ont été prononcées d’un ton si bas qu’elle doute d’avoir bien compris. Tandis qu’elle monte les marches, elle se retourne pour voir la voiture partir, songeuse. Ensuite, lentement, elle chemine jusqu’à sa chambre où elle rentre, silencieuse.
Toutefois Ahmed est loin d’être endormi, et dès qu’il l’aperçoit, il s’enquiert, caustique :
— Alors, cela s’est bien passé ?
Elle tâche de ne rien lui dévoiler de ses émotions et l’informe :
— Nous dînons de nouveau ensemble demain soir.
— Ah…
— Quoi ah ?
Il se rallonge sur son lit, croisant les mains derrière sa tête :
— Il te plaît ?
— Ahmed !
— Oui, il te plaît, lui certifie-t-il d’un air très satisfait.
— Mais je lui ai rappelé que nous partons la semaine prochaine, ajoute-t-elle.
Son frère tapote la place à côté de lui :
— Allez, viens. On en parle, si tu veux.
Elle secoue la tête :
— Je vais me changer.
Et elle n’attend pas plus pour entrer dans la salle de bains. Lorsqu’elle revient dans la chambre, Ahmed se contente simplement de lui signifier :
— Je serai là pour toi.
Elle se glisse sous les couvertures :
— Je sais. Bonne nuit.
— Bonne nuit, sœurette.
Elle éteint la lumière et se tourne vers la baie vitrée pour regarder le ciel obscur, ayant laissé les rideaux ouverts.
« Rêvez de moi ».
Elle a le sentiment que ce sera le cas, ou du moins que cette nuit encore il occupera ses pensées.
Chapitre 6
Au matin, réveillée par un rayon de soleil, elle préfère rester un peu dans le confort douillet de la couche.
Au bout de quelque temps, elle entend son frère s’enquérir :
— Je téléphone à l’accueil pour demander à ce qu’on nous apporte le petit déjeuner dans la chambre ?
— Bonne idée, souffle-t-elle.
Après un moment passé à rêvasser, elle se lève et part se doucher. Quand elle revient, le repas l’attend sur le balcon où elle prend place avec son frère.
Ils déjeunent en silence, appréciant la vue. Mais au bout du compte, son frère lui enjoint :
— Tu m’expliques ce qui ne va pas ?
— Tout va bien.
— Bien sûr ! Je sais que tu n’es pas du matin, mais là cela ne te ressemble pas du tout ! C’est à cause de cet homme ? Eh bien, si c’est la raison de ton humeur, tu n’as qu’à lui dire que tu ne veux plus sortir avec lui !
Puis il incline la tête sur le côté :
— Cependant, ce n’est pas aussi simple que cela, n’est-ce pas ?
Elle fronce le nez, demeurant silencieuse, choisissant de se verser un nouveau verre de jus d’orange. Décidément, il la connaît très bien.
Et son frère reprend :
— Tu sais ce que tu devrais faire ? En discuter à Luna. Elle sera sans doute de meilleur conseil que moi.
Aurore secoue la tête :
— Non.
— Elle parle ! s’écrie son frère. Oh miracle !
Elle pousse un soupir, puis rétorque face au sourire éclatant de son frère :
— Ҫa va !
— Bon, écoute. Je te propose une chose. Ce matin, on va se promener, puis piscine l’après-midi ! Entre-temps, peut-être que ces activités récréatives t’aideront à prendre du recul.
Elle hausse les épaules. Mais elle n’a pas le temps de dire quoi que ce soit que l’on frappe à la porte. Après un échange de regards interrogatifs, Ahmed se rend à la porte pour l’ouvrir et tomber face à un homme vêtu d’un costume noir, qui s’incline devant lui et lui demande en anglais :
— Bonjour, c’est bien la chambre de mademoiselle Aurore Deslandes ?
— Oui, acquiesce Ahmed en se passant la main dans les cheveux.
— Voici un courrier qui lui ai destiné.
Il tend une enveloppe beige à Ahmed.
— Heu, merci.
L’homme, après une salutation du corps, fait volte-face et s’éloigne dans le couloir. Ahmed reste un instant à l’observer, puis referme le battant pour rejoindre sa sœur et lui donner l’enveloppe :
— Tiens, c’est pour toi.
— De qui est-ce ? Il n’y a rien de noté dessus !
Elle ouvre l’enveloppe et commence à lire la missive :
Aurore,
J’espère que votre nuit aura été reposante.
Je vous fais apporter ce mot, car je désirerais que ce soir vous vous rendiez directement sur la terrasse de l’hôtel vers 19 h. Je vous ai réservé une surprise qui j’espère vous sera agréable.
À ce soir,
Tarek.
Replaçant le carton crème dans l’enveloppe, elle déclare à son frère :
— C’est Tarek, il me demande d’aller ce soir sur la terrasse de l’hôtel.
Son frère s’assoit à côté d’elle :
— Eh bien, il lance une offensive !
— Je pense que c’est à cause de ce que je lui ai dit hier soir.
— C’est-à-dire ?
— Je lui ai fait comprendre qu’il ne fallait pas qu’il espère de moi quoi que ce soit de plus qu’un simple repas, quand il avait commencé à adopter une attitude un brin trop séductrice à mon goût.
— Je vois. Tu as posé les choses, et tu as eu raison. Au moins, pour lui, c’est clair.
— J’y compte bien !
— Et tu vas te rendre sur la terrasse ?
Elle hausse les épaules :
— Ce n’est pas loin, et j’avoue que je suis assez curieuse.
Il esquisse un sourire :
— Et puis, s’il y a un souci, je serai à proximité !
— Mais bien sûr !
— Bon, on va se promener ?
— Honnêtement, je n’ai pas envie. Il faut que j’avance dans une correction. Luna m’a envoyé un mail assez explicite !
— Alors je vais te laisser tranquille. De mon côté, j’ai besoin de prendre l’air. Par conséquent, je vais faire un tour, et je reviendrai assez vite. De toute façon, comme je n’ai pas de message du consul, pour le moment les recherches sont au point mort. Donc, autant que j’en découvre plus sur ce pays et sur cette ville.
— Je te comprends !
Il quitte le balcon, puis Aurore l’aperçoit attraper sa veste et sortir en silence.
Elle pousse un soupir. On ne peut pas dire que tout va bien pour eux d’eux. Elle, elle ne sait pas quoi faire : continuer à voir Tarek, ou tout arrêter ce soir, considérant que de toute façon, cela ne durera pas. Ou encore, foncer et peut-être aller droit dans le mur, mais vivre une belle histoire. Vivre tout simplement ! Cela fait si longtemps qu’elle n’a pas ressenti cela ! Ou plutôt, elle ne se rappelle pas avoir jamais connu cela un jour ! De plus, elle n’a plus dix-huit ans, elle en a vingt-quatre : il est temps d’oublier cette mauvaise expérience.
Et si, en ce qui la concerne, elle a le choix, pour son frère, elle ne sait quoi faire. Elle se sent désœuvrée face à ce qu’il vit, et ce n’est pas la première fois depuis qu’ils sont ici. Et là, devant son départ, elle a aussi compris qu’il avait envie d’être seul.
Avec un soupir, elle se lève, range tout sur le plateau, puis va déposer ce dernier devant la porte, comme de coutume. Ensuite, elle saisit son ordinateur, va prendre place sur le balcon et se met au travail sans attendre. Par chance, l’autrice ne laisse pas trop de fautes, et à part des répétitions, elle ne trouve pas grand-chose. Donc elle avance assez vite. Luna ne rouspétera pas trop ! Lorsque son frère arrive, elle a été à l’œuvre sur environ un quart du texte et envisage de continuer durant l’après-midi. Ce qu’elle fait d’ailleurs après être allée déjeuner avec son frère au restaurant. Celui-ci semble aller mieux, mais quand elle tente de lui en parler, il dévie la conversation : il attend un message du consul.
L’après-midi s’estompe vite, car après un passage à la piscine, ils rejoignent tous les deux leur chambre pour se mettre au travail, se promettant de faire une excursion dans le désert le lendemain, Ahmed ayant réservé à l’accueil, après qu’Aurore lui a rapporté les propos de Trek à ce sujet. Aurore est d’ailleurs assez impatiente d’effectuer cette promenade.
Quand dix-huit heures approche, Ahmed lui rappelle avec un sourire dans la voix :
— Tu n’as pas un rendez-vous dans une heure ?
Elle lève les yeux de son ordinateur et s’exclame :
— Bon sang !
Elle se met debout, enregistre son travail, referme son ordinateur et va devant l’armoire, puis râle copieusement :
— Je n’ai rien à me mettre !
— Tu as ta robe verte !
— Il ne vaut mieux pas qu’il m’invite une troisième fois !
— Il sait que tu n’es là que pour un temps assez court. Personnellement, si j’étais à sa place, cela ne me poserait aucun souci !
— Tu possèdes deux hôtels et une belle berline ?
Il éclate de rire :
— Non, je suis un pauvre prof ! Mais s’il s’attache à ce genre de détail, c’est qu’il ne souhaite pas apprendre à te connaître réellement. En tout cas, c’est ce que l’homme que je suis pense dans ce cas-là.
— Alors ce sera un excellent test, parce que ma robe verte est vraiment très simple ! Bon, je vais dans la salle de bains.
Elle attrape le vêtement sur le cintre, puis se rend à la salle d’eau pour se préparer : elle brosse ses longs cheveux qu’elle laisse libres sur ces épaules, ourle ses lèvres d’un rouge à lèvres rose pâle, un tantinet brillant. Pour ses yeux, elle choisit une ombre à paupières cuivre et du mascara noir, comme le soir précédent. En dernier lieu, elle enfile sa robe, après avoir vaporisé sur sa peau un parfum de lilas.
Quand elle sort de la pièce, son frère, pour la taquiner, siffle doucement :
— Tu es vraiment ravissante !
— Tu es mon frère, ton avis n’est pas objectif !
— Sœurette, si je te dis que tu es ravissante, c’est que tu es ravissante. Il est 18 h 50, tu dois y aller.
Elle pousse un soupir, puis s’avance vers lui et dépose un baiser sur sa joue :
— Tu es sincèrement un frère en or !
Puis elle se rend à la porte après avoir saisi l’étole achetée au souk. Elle sort et referme doucement le battant derrière elle. Elle s’oriente en direction de l’escalier qu’elle descend pour se diriger vers celui qui conduit à la terrasse. Lorsqu’elle en gravit les marches, son cœur bat la chamade. Et quand elle aperçoit Tarek, elle a le sentiment que les pulsations résonnent.
Ce dernier est aussi élégamment vêtu que d’habitude. Il s’approche d’elle avec un sourire satisfait :
— Bonsoir, je suis enchanté que vous soyez venue. Vous êtes très jolie !
Elle se sent rosir sous le compliment :
— Bonsoir. Merci.
Il la saisit sous le coude, puis la guide vers une table basse entourée de coussins. Une table qui ne se trouve pas là ordinairement. Tarek doit noter sa confusion, car il explique :
— J’ai fait installer cela, et privatisé en quelque sorte les lieux. C’est parfois utile d’avoir des accointances dans un hôtel !
— Je peux m’en apercevoir, reconnaît Aurore à voix basse.
Non seulement il y a cette table, mais aussi des photophores en bois ouvragés posés çà et là, qui octroie à ce lieu une atmosphère très douce, un tantinet romantique et délicieusement orientale.
Elle s’assoit sur un coussin violet, et lui fait de même en face d’elle, puis il s’enquiert en lui tendant des couverts :
— Vous avez envie de tenter de manger avec le pain ?
Elle ne dit rien et se cantonne à attraper les couverts avec un sourire.
— Bien, pour le menu, nous avons du taboulé et du Mande’e, un plat à base de viande de mouton et de riz. Et bien sûr, ils ne sont pas trop épicés.
— Merci.
— Par contre, comme c’est le deuxième rendez-vous que nous avons ensemble, et la quatrième fois que nous nous voyons, si je comptabilise notre première confrontation plutôt… brutale, j’estime que nous pouvons nous tutoyer. Cela sera plus simple. Qu’en penses-tu ?
Elle se pince les lèvres, prend le temps avant de lâcher :
— Pourquoi pas !
Et ils commencent à se restaurer, devisant sur divers sujet, et surtout de ce pays sur lequel Tarek semble incollable. D’ailleurs, à un moment, Aurore lui fait cette remarque :
— Tu es sûr que tu es seulement un hôtelier ? Car vu tes connaissances sur le pays, tu pourrais presque en être ministre du Tourisme !
Il y a un silence qui s’instaure, et pendant une poignée de secondes, Aurore a même le sentiment qu’il ne va rien lui répondre, mais finalement, il affirme :
— Être ministre ne me conviendrait pas du tout. J’ai besoin de faire ce que je veux quand je veux. Mais si prochainement j’ai l’occasion de voir le prince, je lui en toucherai un mot, conclut-il d’un ton assez sarcastique, somme toute assez surprenant.
Néanmoins, la sensation de malaise tarde à se dissiper, et c’est Aurore qui s’enquiert afin de faire diversion :
— Comment as-tu fait pour accomplir tout cela aussi vite ?
Il esquisse un sourire, puis il déclare :
— Je suis le propriétaire des lieux, cela me permet de pouvoir entreprendre ce que je veux. Et j’étais certain que cela te plairait. À défaut d’organiser une telle chose dans le désert.
— En parlant de désert, nous allons faire une excursion avec mon frère demain.
— Donc, il serait bien que tu ne te couches pas trop tard !
Elle se lève pour se rendre au bord de la terrasse et observer le ciel s’assombrir. Il la rejoint. En silence, ils se plongent dans la contemplation du paysage. De là où ils se trouvent, il est possible de distinguer de hauts immeubles et elle chuchote :
— C’est dommage !
— Que trouves-tu dommage ?
— Ces immeubles, dit-elle en les désignant de la main.
— Je vois… Mais notre pays doit se moderniser, sinon face à nos voisins, nous ne serons plus rien à brève échéance. Certes, il y a les puits de pétrole qui assurent un bon revenu, cependant cela ne suffira plus bientôt. Donc, nous devons développer autre chose, et être prêts pour accueillir les gens. Un hôtel tel que celui-ci n’est pas suffisant.
— Par chance, ils ne sont pas très hauts.
— Notre architecte, un cousin du prince, veille à ce que cela ne soit pas le cas afin de ne pas trop dénaturer les lieux.
— Bien sûr ! ironise-t-elle.
Il incline la tête sur le côté :
— Pourquoi dis-tu cela sur ce ton ?
Et voilà, c’est un bon exemple d’un moment où il faut tourner sept fois sa langue dans sa bouche !
— Pour rien… tente-t-elle d’éluder.
Mais, comme elle s’en doute, Tarek n’est pas du genre à abandonner. Il pose une main sur son épaule et l’oblige à pivoter vers lui :
— Si, cela m’intéresse !
Alors elle se lance :
— C’est du népotisme, c’est regrettable.
Sa mine s’assombrit, puis il affirme d’une voix ferme :
— Non, pas vraiment, car il joue un rôle de conseil, et il est plus spécialisé dans la restauration des vieux bâtiments, ce qui dans notre pays est très profitable. D’après ce que je sais, il y a eu un appel d’offres avec même des entreprises internationales. Le prince ne tient justement pas à ce qu’on lui reproche quoi que ce soit dans ce sens, parce que cela a trop été le cas pour les princes régnants précédents, ce qui n’a pas réussi à l’expansion de notre état. Nous ne pouvons plus vivre repliés sur le passé, et depuis dix ans que le prince Hussein est au pouvoir, il s’y attèle.
— Tu as l’air d’être très au courant des affaires princières, rétorque-t-elle.
Il pousse un soupir, puis finit par déclarer :
— Je connais bien le prince.
Manifestement, elle n’en saura pas davantage et devra rester sur cette étrange impression que Tarek ne lui raconte pas tout. Alors elle se contente de répliquer :
— En tout cas, c’est un pays où l’on se sent bien.
Son visage redevient plus avenant quand il énonce :
— Je suis ravi que tu apprécies.
— Je pense qu’Ahmed reviendra.
— Pourquoi seulement lui ?
— Parce qu’il est né ici.
— Pardon ?
Elle pousse un soupir. Elle en a dit trop sans s’en rendre compte, et elle répète :
— Il est né ici. Il a vécu dans l’orphelinat de la capitale jusqu’à ses deux ans, puis il a été adopté par mes parents. Cela faisait plus de cinq qu’ils attendaient, et quand on leur a proposé d’adopter un enfant de ce pays, ils ont accepté, car un enfant français, c’est vraiment très difficile, et puis la nationalité de l’enfant leur importait peu. Ils ont essayé d’avoir des enfants naturellement, des FIV entre autres. Mais face aux fausses-couches, aux échecs successifs, ils ont choisi d’adopter.
— Tu as été aussi adoptée ?
Elle secoue la tête en signe négatif :
— Maman m’a appelée son petit miracle, car deux ans après l’adoption d’Ahmed, elle est tombée enceinte. Il paraît que quelquefois cela se produit : on est tellement focalisé sur quelque chose que cela n’arrive pas, et là, avec Ahmed, elle était enfin maman, donc la nature a fait le reste. Et pour elle, à quarante et un ans, c’était plus qu’inattendu, après tout ce qu’elle avait traversé.
— Donc, vous êtes venus ici pour qu’il puisse connaître son pays d’origine ?
— En effet. De plus, nous cherchons à savoir des choses sur sa famille, mais c’est compliqué.
— Je ne comprenais pas pourquoi vous ne vous comportiez pas comme des touristes lambda. Dorénavant, j’en saisis mieux la raison.
— Eh bien, nous ne sommes pas vraiment en vacances. Donc, on visite un peu, mais on travaille aussi. Luna, ma belle-sœur nous rejoint dans quelques jours.
— Et après tu pars, c’est bien cela ?
— Oui.
Il se rapproche d’elle, puis elle sent alors un bras qui entoure sa taille, ensuite elle se retrouve contre le torse de Tarek. La main qui enserre sa taille la fait tourner lentement vers lui, et quand elle croise son regard, elle remarque que ses iris dorés sont plus sombres. Il incline doucement la tête, et comme elle ne se dérobe pas, il embrasse très délicatement ses lèvres, prenant son temps. Puis le baiser s’approfondit, et ses deux mains se placent dans son dos pour l’attirer davantage contre lui.
Elle ne sait pas pourquoi, mais fugitivement elle sent que sa place est là, dans ses bras, que ce baiser devait se produire.
Inexplicablement.
Il y a de la tendresse et de la passion dans cette étreinte.
Puis tout s’arrête, et les lèvres de Tarek se détachent des siennes lentement. Ce dernier pose son front contre celui d’Aurore :
— J’espère que je ne t’ai pas embarrassée. Honnêtement, t’embrasser, j’en avais envie depuis la première fois que je t’ai vue si stupéfaite au milieu du vestibule. C’est d’ailleurs pour cette raison que j’ai préféré parler d’une façon aussi cavalière à l’accueil. Je n’avais jamais ressenti une telle sensation, une telle émotion avant. Et toi ?
Elle se mord les lèvres et s’écarte de lui, puis déclare d’un ton sec :
— Je ne suis pas prête à aller plus loin. Et je pars bientôt.
Il incline la tête :
— Tu penses que j’allais te demander de passer la nuit avec moi ?
Un silence se fait qu’elle brise en disant :
— Il y a tout ce décor, et ces mots. Ce n’est pas le cas ?
Sa voix est grave quand il déclare :
— Tu sais, quand je t’ai promis, lorsque nous sommes allés au restaurant le soir précédent, qu’il n’y aurait aucune séduction de ma part, j’étais sincère. J’ai également très bien compris que tu ne cherchais pas une aventure avec moi, j’ai pu percevoir tes doutes, ta retenue. Dans ces conditions, non, je ne te demanderai pas de m’accompagner dans mon appartement. Tu rentreras dans ta chambre. Mais je veux juste savoir quand nous allons nous revoir.
— Je n’en ai aucune idée, chuchote-t-elle, après un instant à gamberger.
— Demain soir, de nouveau ?
— J’ai… enfin, j’ai besoin de réfléchir à tout cela.
— Bien. De toute façon, je sais où te recontacter. Je te raccompagne à ta chambre ?
— Non, je préfère rentrer seule. Bonsoir.
Tandis qu’elle fait volte-face, il lui saisit doucement le bras, puis penche la tête et dépose un nouveau baiser sur ses lèvres. Lorsqu’il lève la tête, il déclare dans un murmure :
— Bonne nuit.
Il la lâche ne prenant son temps, ne la quittant pas des yeux. Quand elle se dirige vers l’escalier, elle sent son regard peser sur elle, mais elle ne se retourne pas.
Est-ce que le destin ou le hasard ont quelque chose à voir avec ce qu’il nous arrive ?
Si l’on m’avait dit il y a un an que je me retrouverais à survoler le pacifique dans un avion de grande ligne, je ne l’aurais pas cru.
Je me dis que je suis en train de faire un rêve éveillé. Bref, si vous aimez les rebondissements, les chevaux, la campagne, l’amitié solide et franche, l’amour et les acteurs de cinéma, alors rejoignez-moi dans mon avion et destination l’Amérique !
Chapitre n° 1
Jour du départ
Le jour de mon départ est enfin arrivé. C’est Jules qui m’accompagne jusqu’à l’aéroport. Ces derniers temps, on se dispute beaucoup. Il y a quelques jours, il a découvert que j’allais au centre d’équitation. Je me demande encore comment il a pu le savoir. Pourtant, Jules n’a rien dit à mes parents. Je préfère qu’ils ne sachent rien. Ma mère est capable d’ordonner au directeur du centre de m’interdire l’entrée.
Deux jours avant mon départ, je suis sortie avec Sandrine et Ambre, mes deux meilleures amies. Elles n’aiment pas beaucoup Jules. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé entre eux, parce qu’au début tout allait bien.
Je viens d’enregistrer mes bagages, j’ai gardé une valise où il y a les choses les plus importantes. Je rejoins Jules qui m’attend un peu plus loin.
Tous mes bagages sont enregistrés.
Tu vas me manquer.
Jules m’enlace et me serre fort.
Toi aussi, tu vas me manquer, mais six mois, ça passe vite, d’autant plus que tu seras occupé à préparer le mariage.
J’aurais aimé le préparer avec toi. Tu peux encore annuler ton voyage, tu sais.
Même si je le voulais, ça ne serait pas honnête pour les gens là-bas.
J’aurais au moins essayé. Je voulais m’excuser pour t’avoir surveillée ces dernières semaines et d’avoir mal réagit quand j’ai vu que tu allais au centre d’équitation.
J’accepte tes excuses, mais je ne monte plus. Toi et mes parents, vous ne pouvez pas m’empêcher d’aller voir les chevaux quand même !
Je le sais et j’ai compris que c’était important pour toi.
Mon vol est annoncé, il est temps pour moi de partir.
Je t’aime. Je t’appelle dès que je suis arrivée.
Je t’aime aussi.
On s’embrasse une dernière fois, puis je prends la direction de l’embarquement. Avant de passer, je me retourne et fais un signe à Jules qui me répond. Je passe la douane en pensant à mes amies qui me manquent déjà. En rigolant, je leur envoie un selfie.
« Me voilà prête à partir pour l’aventure ! »
« Jolie photo, Mia. Profite bien, n’oublie pas de t’amuser. »
« Je pars pour faire un stage et non pour
m’amuser, je me marie dans 7 mois. »
« On le sait, mais amuse-toi quand même ! »
« J’espère qu’un jour, vous m’expliquerez
pourquoi vous en voulez à Jules. »
« Non. »
« On m’appelle pour aller à l’avion, je vous fais
signe dès mon arrivée. Vous allez me manquer. »
« Tu vas nous manquer aussi. Gros bisous. »
« Bisous, les filles. »
Je range mon portable et suis les autres passagers.
Je vais m’installer. Génial ! je suis à côté du hublot. Bon, je ne verrai pas grand-chose, vu que je risque de dormir. Avant que l’avion décolle, j’envoie un texto à Jules.
« Je suis dans l’avion. Bientôt le décollage.
Je t’embrasse. »
Je reçois sa réponse au bout de cinq minutes.
« Bon voyage, écris-moi dès que tu es arrivée. Je t’embrasse. »
Je n’ai pas le temps de lui répondre, car l’avion commence à rouler. J’éteins mon portable et le range. Un homme s’est assis à côté de moi pendant le décollage. Pendant les deux premières heures, je fais des Sudoku tout en écoutant de la musique. Je ne suis pas partie juste pour mon stage, mais aussi pour réaliser un rêve d’enfant. J’ai toujours voulu aller aux USA. Je sais qu’après mon mariage avec Jules, je n’aurai pas un moment à moi pour voyager. Jules n’aime pas partir très loin. Pendant les dernières vacances, on est même resté à Paris ! Il travaille trop pour son métier de metteur en scène. Je comprends que son travail soit important, mais il faut savoir lâcher prise de temps en temps.
Les hôtesses passent pour nous donner les menus. Je regarde ce qu’il y a et je décide de me prendre la salade, le risotto et la salade de fruits. Une heure après, les hôtesses nous apportent le repas. Ce n’est pas vraiment bon, mais je mange quand même.
Pendant encore deux heures environ, j’écoute de la musique alors que mon voisin s’est endormi dès que le repas a été débarrassé. Je suis trop excitée pour dormir, pourtant au bout d’un moment, je finis par m’assoupir. Je me réveille quand le commandant annonce qu’on est bientôt arrivé. En direction de la sortie, je cherche du regard le couple qui va m’héberger pendant les prochains mois quand je vois mon prénom écrit sur un panneau.
Bonjour !
Bonjour, tu dois être Mia ?
Oui, enchantée.
Enchantée, je suis Sarah, voici mon ami Frédéric.
Est-ce que tu as fait bon voyage ?
Oui, mais un peu fatigant.
Ne t’inquiète pas, tu vas pouvoir te reposer à la maison.
Frédéric me prend le chariot des bagages et on va jusqu’à leur voiture.
On n’habite pas trop loin, me dit Sarah. Pourquoi es-tu venue à Los Angeles ?
Je dois faire un stage pour compléter ma formation. J’aimerais être assistante-réalisatrice.
Bien, peut-être que tu participeras à la réalisation de notre film, alors !
J’espère !
Tu es célibataire ou tu es avec quelqu’un ?
Sarah ! laisse-la arriver, lui dit Frédéric.
Ça ne me dérange pas. Je suis fiancée depuis deux ans et on a prévu de se marier dans sept mois.
OK ! Ton fiancé à accepter de te laisser partir ?
l n’a pas eu le choix. Normalement, mon stage dure un an, mais j’ai négocié et je rentre en France dans six mois et je marie un mois après. Je reviens juste après le mariage pour faire les six derniers mois. Mon fiancé s’appelle Jules.
En parlant, je me souviens que je dois prévenir que je suis bien arrivée. Le premier message est pour Jules.
« Bonjour, mon chéri, je suis bien arrivée.
Tu peux prévenir mes parents ?
Je t’appelle plus tard, je t’embrasse. »
Puis un deuxième texto pour mes deux meilleures amies.
« Salut, bien arrivée à Los Angeles,
Je vous appelle plus tard. Bisous. »
Quand on arrive, je n’ai pas encore eu de réponse. Frédéric sort tous mes bagages et les porte jusqu’à la maison en m’annonçant que ma chambre se situe à l’étage. Le top, c’est que j’aurai ma propre salle de bain !
Sarah me montre ma chambre, je remarque qu’il y a beaucoup de photos de chevaux ainsi que des coupes.
Elles sont à Frédéric, me dit-elle. Il a été champion de saut, il y a longtemps.
Super ! Je n’y toucherai pas, promis !
On dirait que tu aimes bien les chevaux.
Oui, j’en faisais avant. J’ai dû arrêter à cause d’une blessure, mais je suis désolée, je n’aime pas en parler.
Je comprends, mais si tu as besoin de discuter, sache qu’on est là.
Merci, c’est gentil.
Bien, je te laisse te reposer.
Je regarde vite fait mon portable et je remarque que j’ai reçu un message. C’est un texto de Sandrine et d’Ambre. Jules doit être occupé, il me répondra sûrement plus tard.
« Salut Mia, bien reçu. N’oublie pas, amuse-toi. »
Je m’endors directement après pour trois heures de sieste ! Vive le décalage horaire ! Avant de sortir, je regarde les coupes et les photos. J’aimerais tellement remonter, mais j’ai promis à tout le monde d’arrêter l’équitation. Je descends l’esprit morose. Frédéric et Sarah sont contents de me voir.
Ça va mieux ?
Oui, merci.
Sarah m’a dit que tu aimais les chevaux ?
C’est vrai, je les adore !
Si tu veux, tu pourrais venir un jour avec nous. Il y a un ranch en dehors de la ville. Je connais bien le propriétaire. Il te laisserait monter si tu le souhaites.
Je ne suis plus montée depuis un an. J’ai arrêté à cause d’une blessure malheureusement et j’ai fait la promesse à mes proches que je ne monterai plus.
Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai envie de leur expliquer les vraies raisons. Du coup, je me lance malgré ma réticence de d’habitude.
C’était le jour des qualifications pour les championnats du monde de saut d’obstacles. Je m’étais bien préparée. J’arrivais à passer tous les obstacles. Quand mon tour est arrivé, j’étais prête. J’avais passé les premiers obstacles sans faire de faute et au dernier, je suis tombée. Ma tête a touché le sol violemment et je suis restée dans le coma pendant une semaine. Depuis ce jour-là, ma mère et Jules ne veulent plus que je monte. C’est pour ça que j’ai choisi une autre voie.
Est-ce que tu leur en veux ?
Oui, mais je les comprends.
Pourtant, tes yeux disent que tu veux remonter à cheval.
J’aimerais bien, mais je ne veux pas rompre ma promesse.
Mia, tu es à L.A, ta mère et ton fiancé ne le sauront pas. En plus, je suis sûre que ça te fera du bien.
Je ne sais pas et de toute façon je n’ai pas mes affaires.
On peut aller en acheter, mais je comprends. Écoute, on va demain au ranch, tu peux venir avec nous pour voir seulement.
D’accord, c’est une bonne idée.
Tu commences ton stage quand ?
Je débute lundi matin à 9 heures.
On t’emmènera, on doit être au studio pour 10 heures.
Merci, c’est gentil.
On doit aussi te prévenir, je suis en instance de divorce. Un week-end sur deux, mes deux filles viennent à la maison, me dit Frédéric.
Pas de soucis.
On continue à parler. La journée passe assez vite. Ce n’est qu’après le dîner que je lis le message de Jules.
« Bonjour, ma chérie. J’ai prévenu tes parents. J’espère que tout va bien. Je t’embrasse. »
« Merci, tout va bien. Ne t’inquiète pas.
Le couple est très gentil. Tu me manques.
Je t’embrasse. »
Le lendemain comme prévu, je vais avec Sarah et Frédéric au ranch. Je ne préfère pas le dire à Jules, sinon il va s’inquiéter. Je ne compte pas monter, mais ça me fait plaisir d’aller voir des chevaux.
Chapitre n° 2
Le ranch d’Ethan
Quand je me réveille le matin, je suis un peu perdue. Je regarde autour de moi et me rappelle que je ne suis plus en France, mais aux États-Unis. Je m’étire en sortant du lit. Je vois l’heure sur mon portable où je découvre cinq appels en absences de Jules et un message.
« Toi aussi, tu me manques, le lit est trop grand sans toi. »
Je lui réponds tout de suite, même si je me doute qu’il doit encore dormir en raison de la différence d’heures entre les deux pays.
« Je suis désolée d’avoir loupé tes appels,
mais je me suis endormie comme une masse.
Je t’embrasse. »
Dès que mon message est envoyé, je descends pour retrouver Frédéric et Sarah.
Bonjour, bien dormi ?
Bonjour, oh oui !
Viens prendre ton petit-déjeuner.
Je m’assois et regarde la table.
On ne savait pas ce que tu prenais le matin.
Je prends un café et un jus d’orange.
C’est tout ?
Oui, généralement, je n’ai pas le temps de manger.
D’accord, me dit Sarah.
Sarah va à la cuisine.
Où se trouve le ranch ?
Il est à une dizaine de minutes d’ici. Il s’appelle Sunset Ranch Hollywood.
C’est vraiment pas loin !
On va y aller pour la journée, on a prévu de faire une petite balade. Pendant notre absence, tu pourras visiter les lieux. On comprend que tu ne veuilles pas rompre ta promesse faite à tes proches.
C’est plus compliqué que ça.
En quoi c’est plus compliqué ?
Je n’aime pas en parler.
On peut peut-être t’aider ?
Frédéric, laisse-la si elle ne veut pas en parler, c’est qu’elle a une bonne raison, lui dit Sarah. Mia, si un jour, tu ressens le besoin d’en parler, on est là.
Merci, peut-être un jour. À part mes deux meilleures amies, aucun de mes proches n’est au courant.
Ce n’est pas un problème.
Après avoir pris notre petit-déjeuner et s’être préparé, on part. Je suis tout de suite sous le charme. Frédéric gare la voiture à côté d’une maison.
Comment trouves-tu l’endroit ? me demande Sarah.
C’est magnifique, j’ai toujours pensé que les ranchs se résumaient à un enclos et une petite maison, mais là, c’est plus que magnifique !
C’est vrai. On connaît très bien le propriétaire, tu sais.
Frédéric revient vers nous.
Il n’est pas là, il a dû aller faire un tour. On va préparer nos chevaux. On sera absents pendant environ trois heures. Pendant notre absence, tu peux te promener dans la propriété, si tu veux.
Ça ne va pas déranger les personnes qui y travaillent ?
Non, si le patron revient avant nous, dis-lui que tu nous connais.
Très bien, merci.
Frédéric et Sarah partent chercher leurs chevaux. Je regarde autour de moi et me dis que j’ai vraiment de la chance. Je décide de prendre des photos que j’envoie à Sandrine et à Ambre.
« Bonjour, les filles ! Journée au ranch ! »
Au loin, je vois des chevaux, ça doit être Frédéric et Sarah. J’aurais aimé aller avec eux. Ils ont compris que ce n’était pas juste ma promesse qui m’empêche de remonter. Je crains de refaire une chute. Mon portable sonne.
« Bonjour, Mia ! Les photos sont magnifiques. Tu as de la chance. »
Je continue mon exploration et j’arrive devant un enclos où il y a un seul cheval qui s’approche de moi. C’est une jument.
Bonjour, ma belle, tu dois t’ennuyer toute seule ?
Je lui caresse sa tête.
C’est la première fois que je la vois s’approcher d’une autre personne inconnue, dit une voix derrière moi.
Je me retourne et vois un jeune homme charmant.
Son regard clair tranche avec sa chevelure noir-ébène.
Je suis désolée, je n’aurais pas dû m’approcher.
Ne t’inquiète pas. Je m’appelle Ethan et je suis le patron des lieux.
Moi, c’est Mia. J’accompagne Frédéric et Sarah. Ils sont partis faire une balade. Ils m’ont dit que je pouvais visiter les lieux en les attendant.
Enchanté, Mia. Je les connais très bien. Pourquoi tu n’es pas allée avec eux ?
Je ne monte plus depuis un an à cause d’une chute.
Ah ! mince. Mais tu sais, on dit qu’il faut remonter tout de suite.
Oui, mais j’ai fait la promesse de ne plus le faire.
Tu n’es pas d’ici ?
Non, je viens de France. Je suis venue faire un stage pour être assistante-réalisatrice.
C’est sympa comme projet ! Tu as l’air d’être douée avec les chevaux. Personne n’a réussi à s’approcher de cette jument depuis qu’elle est là.
Pourquoi ?
Son cavalier a fait une chute et il ne peut plus la monter. Depuis ce jour-là, elle est devenue sauvage.
Oh !
Ça ne te manque pas ?
C’est compliqué.
Ça s’est passé à quel moment ta chute ?
Je n’aime pas en parler.
Depuis que je suis arrivée hier, je ne sais pas ce qu’il m’arrive, mais j’arrive à parler de ma chute. Peut-être parce que je suis avec des personnes qui ne font pas partie de mes proches.
C’était en 2012. Ça s’est passé pendant les qualifications pour les Championnats du monde de saut d’obstacles. Il m’en restait un seul. Au moment du saut, je suis tombée en avant, ma tête a touché violemment le sol. Je me souviens plus du reste. Je me suis réveillée dans un lit d’hôpital une semaine après. Je suis allée voir ma jument quelques jours après, mais elle a pris peur en me voyant.
Personne ne t’a dit ce qu’il s’était passé ?
Est-ce que tu aimerais remonter ?
Bien sûr !
Je te propose une chose, tu n’es pas obligée d’accepter. Elle a besoin de refaire confiance envers les gens et d’après ce que je vois, elle a l’air de t’apprécier. Tu peux venir t’occuper d’elle les week-ends et peut-être un jour, tu la monteras.
Tu ne me connais pas ?!
C’est vrai, mais tu aimes les chevaux comme moi. Elle faisait les concours de sauts d’obstacles. Elle s’appelle Esmeralda. Avec tout le travail que j’ai, je n’ai pas le temps de m’occuper d’elle.
Je suis d’accord, mais à une seule condition.
Je t’écoute.
Personne ne me met la pression pour monter à cheval.
Tu as ma parole.
Mon téléphone vibre, je regarde qui m’appelle, c’est Jules.
Désolée, je dois répondre.
Pas de souci.
Je m’éloigne un moment.
Salue ma puce ! Comment vas-tu ?
Je suis désolée pour hier, mais j’étais fatiguée.
Ce n’est rien. Tu me manques.
Tu me manques aussi. Écoute, je ne suis pas seule, je te rappelle plus tard. Demain, je commence à 9 heures et je finis à 18 heures.
D’accord, j’attends ton appel. Je t’aime.
Je t’aime aussi.
Je raccroche et me tourne vers Ethan.
C’était mon fiancé.
Ne sois pas désolée, je dois aller voir les autres chevaux. Tu peux rester ici pour attendre tes amis.
C’est bizarre, on aurait dit que Ethan avait perdu le sourire dès que je lui ai dit que j’étais fiancée. En tout cas, il me fait de l’effet. Jamais je n’aurais coupé une conversation avec Jules pour un autre homme. Frédéric et Sarah se font attendre. Quand ils reviennent enfin, accompagnés d’Ethan, je suis toujours à côté de l’enclos.
Mia, ça va ? Désolé, on a mis du temps.
Ce n’est pas grave tant que j’étais en bonne compagnie.
Mon regard s’attarde sur Ethan et en me reprenant rapidement, j’essaie de rattraper ma gaffe.
Enfin, je parlais des chevaux !
Frédéric et Sarah vont ranger leurs affaires un sourire en coin. Ethan reste devant moi, l’air un peu gêné.
Je suis désolé de t’avoir laissée seule.
Pas de soucis, je comprends que tu doives aller voir tes chevaux.
Ce n’était pas urgent. La vérité, c’est que tu me plais, mais nous deux, c’est impossible, tu es fiancée. Frédéric et Sarah m’ont dit que tu allais te marier.
C’est vrai, je ne viendrai pas le week-end.
Non ! Viens le week-end. Je t’aiderai à remonter à cheval et tu m’aideras avec la jument, même si je veux t’embrasser à chaque fois que je te vois.
Marché conclu.
Pour que je t’embrasse ?
Non, pour venir le week-end.
Même si j’aimerais sentir ses lèvres sur les miennes, chose que je ne lui dirais pas, je pense à Jules l’homme que j’aime. On rejoint Frédéric et Sarah qui sont revenus.
On va rentrer. Mia, si tu veux revenir, tu nous le dis et je t’emmènerai, me dit Frédéric.
J’aurais besoin d’aide les week-ends, Mia s’est proposée. Je peux l’héberger du vendredi au dimanche.
Est-ce que ça te va, Mia ?
Oui, mais je ne veux pas déranger.
Ne t’inquiète pas, tu ne me dérangeras pas au contraire, il y a de la place.
Alors, d’accord.
On dit au revoir à Ethan et on rentre. Quand on arrive à la maison, Sarah me prend à part.
On dirait qu’Ethan a flashé sur toi, Mia.
Non !
Oh si ! C’est rare qu’il invite quelqu’un chez lui surtout pour passer tout un week-end.
Il m’a juste proposé de l’aider avec une jument. En échange, il va m’aider à remonter à cheval. En plus, je suis déjà fiancée et je suis fidèle. Je suis d’accord, pour dire qu’il est bel homme, mais je ne suis pas intéressée.
D’accord, mais rien ne t’empêche de t’amuser.
Non, je suis ici pour réussir mon stage et je vais aller au ranch pour la jument.
Comme on doit se lever tôt le lendemain, on ne tarde pas après le repas. Je monte dans ma chambre et envoie un message à Sandrine et Ambre.
« Les filles, vous n’allez pas me croire,
mais je crois bien que j’ai vu le
plus bel homme du monde. »
Au bout de cinq minutes, je reçois une réponse.
« Mia, ne nous dis pas que tu craques pour un inconnu ? »
« Il s’appelle Ethan, c’est le
patron du ranch. »
« Cool ! Comment il est ? »
« Cheveux courts couleur noirs.
Les yeux bleu clair comme la mer »
« Tu es sûre de ne pas avoir craqué pour lui ? Tu l’as bien regardé ? »
« Je suis sûre de ne pas craquer sur lui. »
« On va te croire, mais on est sûre que tu craques sur lui. »
« Je n’aurais pas dû vous en parler. Pour parler
d’autre chose, il m’a proposé de m’aider à remonter
à une condition. Je dois l’aider avec une jument.
Je passerais les week-ends au ranch. »
« Voilà une bonne nouvelle, mais tu n’as pas peur de craquer ? »
« Non. Je dois vous laisser, je me lève tôt demain. »
« D’accord, à plus tard, tu nous raconteras ton week-end. Bisous. »
« À plus tard, les filles. Bisous. »
Après avoir éteint mon téléphone et avoir mis mon pyjama, je m’endors assez rapidement. Pendant la nuit, je rêve des chevaux et aussi d’Ethan. Dès que je l’ai vu, j’ai voulu sentir ses lèvres sur les miennes. Je ne dois pas craquer, j’aime Jules et nous allons nous marier !
Chapitre n° 3
Premier jour de stage
Le lendemain matin, je me lève à 6 heures pour prévoir assez large afin de me rendre au studio dont je ne connais pas bien la distance depuis la maison de mes logeurs. Frédéric est déjà dans la cuisine quand je descends.
Bonjour, Mia. Tu es déjà réveillée ?
Oui, je ne savais pas combien de temps on mettrait pour aller au studio.
Ne t’en fais pas, on en a pour une demi-heure.
Je peux t’aider à quelque chose ?
Ce n’est pas la peine. En revanche, il y a une chose que tu dois savoir. Mon ex-femme et moi, on ne s’est pas quitté en bons termes. Elle m’interdit de voir nos filles, même si elle accepte un week-end sur deux souvent, mais c’est parce qu’elle ne peut pas les garder.
Pourquoi tu me dis ça ?
J’aurais besoin de ton aide pour quelque chose. Est-ce que tu pourrais aller les chercher au collège après ton travail ?
Bien sûr, mais je pensais que tu ne les voyais que les week-ends.
Pour le moment oui, mais je vais demander au juge de me les laisser aussi pendant la semaine. Pour qu’il accepte, il faut que je prouve qu’elles ne seront pas seules à la maison pendant que je serai au travail.
Je suis d’accord pour t’aider, mais comment vas-tu faire quand je serai partie ?
On verra au moment voulu. J’aurai le temps de m’organiser.
D’accord, il y a une chose que je ne comprends pas. Sarah et toi, vous êtes bien ensemble alors pourquoi ton ex-femme n’accepte pas que vos filles viennent ici ?
Elle n’apprécie pas Sarah.
On entend des pas dans les escaliers.
Surtout, ne lui en parle pas. Je préfère avoir la réponse du juge avant.
Promis, je suis une tombe !
Sarah fait son irruption.
Alors, prête pour ton premier jour ?
Bonjour, Sarah. Oui !
Sarah nous regarde un peu interdite et nous dit :
Ne vous arrêtez pas de parler pour moi.
On parlait du trajet jusqu’au studio. Rien d’important.
On finit tranquillement de manger notre petit-déjeuner. Pendant que je me prépare, mon portable vibre, je viens de recevoir un message de Jules.
« Bonjour, je voulais juste te dire bon courage pour ton premier jour. Je t’embrasse. »
En lisant sa réponse, je m’en veux de ne pas l’avoir rappelé la veille au soir. Depuis hier après-midi, je n’arrête pas de penser à Ethan, même durant la nuit, j’ai rêvé de lui. Je dois cesser d’y penser, je vais me marier dans 7 mois et je l’aime.
« Bonjour, merci pour ton message,
désolée pour hier, je t’embrasse. »
Je reçois un autre message, mais cette fois de Sandrine et d’Ambre.
« Salut, Mia ! Bonne chance pour aujourd’hui, on est sûres que tu penses à ton mystérieux homme. »
Vu l’heure, je pense qu’elles m’ont envoyé le message avant de dormir tout comme Jules, d’ailleurs. En revanche, elles me connaissent très bien.
« Coucou ! En aucun cas, je ne pense à Ethan.
Je pense à mon mariage avec Jules.
Merci pour le message. »
J’entends Sarah m’appeler pour partir. Une fois arrivés, Sarah m’encourage en m’enlaçant.
On sera au studio numéro 10. Passe une bonne journée !
Merci, vous aussi !
Une fois seule, devant la porte du bureau du réalisateur, je prends une grosse respiration et frappe deux coups. La voix qui me répond est empreinte de dynamisme et d’entrain.
Bonjour, Monsieur ! je suis Mia, je viens faire un stage avec vous.
Je suis au courant, est-ce que vous avez trouvé facilement l’endroit ?
Oui, Frédéric et Sarah Santos m’ont accompagnée. Ils m’hébergent le temps de mon stage.
Si ça ne vous dérange pas, je préfère vous tutoyer.
Il n’y a pas de souci.
Dans les prochains jours, ça ne sera pas facile. Je dois réaliser un film dans un ranch. Ton rôle sera d’amener les comédiens sur le plateau, de leur distribuer les plannings pour le lendemain. Il faudra aussi que tu envoies des mails aux auteurs, gérer les blocages de rues, dire aux figurants quand ils doivent entrer en scène, puis tu devras faire beaucoup de « police » : faire respecter le silence !
Parfait ! ça me va. De quoi parle le scénario ?
Ça parle d’un couple qui se déchire. L’homme fait des courses de chevaux, mais aussi des sauts d’obstacles. Pendant une course, il a fait une chute et sa femme aimerait qu’il arrête, mais il continue. L’homme tombe amoureux de la patronne du ranch où son cheval se fait soigner et se repose après la chute. À la fin, le couple divorce, puis la patronne et l’homme commence à vivre ensemble.
Quand il me raconte l’histoire du film, je ne peux pas m’empêcher de penser qu’il ressemble étrangement à ma vie actuelle. Ça doit être une coïncidence, ce n’est pas possible sinon.
J’ai déjà hâte de le voir.
Le tournage a commencé depuis environ une heure, quand le réalisateur reçoit un coup de téléphone qui met à mal tout le film. En effet, un incendie s’est déclaré dans le ranch où l’on devait aller tourner d’ici une semaine. Le feu à totalement détruit les lieux.
Juste après nous l’avoir annoncé, le producteur est retourné à son bureau pour téléphoner aux autres patrons de ranchs pour leur demander s’ils accepteraient qu’une équipe de tournage vienne chez eux. Alors que j’aide l’équipe à ranger le décor de la dernière scène, je me mets à penser au ranch d’Ethan, je ne sais pas s’il accepterait que le film soit tourné là-bas.
Je m’excuse auprès de la personne que j’aide, puis je vais au bureau pour en parler à Monsieur Davis.
Je viens de me souvenir que j’ai visité un ranch hier, mais je ne sais pas si le patron accepterait qu’on filme là-bas.
Donne-moi les coordonnées, je vais l’appeler.
Je n’ai que le nom, il s’appelle Sunset Ranch Hollywood.
Bizarre, je n’y ai pas pensé à celui-là. Ne t’inquiète pas, je vais trouver les coordonnées et l’appeler.
Après une tentative infructueuse, le ranch ne répondant pas au téléphone, Monsieur Davis raccroche.
Bon, il rappellera quand il aura le temps.
Je peux peut-être demander le numéro à mes amis puisque ce sont eux qui me l’ont fait connaître.
S’il n’a pas rappelé d’ici ce soir, tu leur demanderas le numéro de téléphone personnel.
D’accord.
Pendant le reste de la journée, j’aide à la mise en place des décors. À 17 heures, je vais voir le réalisateur pour savoir si je dois demander les coordonnées d’Ethan. Comme il n’a pas réussi à le joindre, effectivement il a besoin de mon aide.
Je ferme la porte du bureau et rejoins Frédéric et Sarah.
Comment s’est passée ta première journée ? me demande Sarah.
Plutôt bien, merci. Est-ce que je peux vous demander quelque chose ?
Tu peux tout nous demander, dit Frédéric.
Voilà, le réalisateur cherche un ranch pour tourner son film. J’ai pensé à celui d’Ethan, du coup, il a téléphoné, mais Ethan n’a pas rappelé. Je lui ai dit que j’allais vous demander si vous aviez son numéro personnel pour le joindre.
En effet, on a son numéro personnel, mais je ne pense pas qu’il soit intéressé par le projet, dit Frédéric.
Si c’est Mia qui lui demande, Ethan va accepter, dit Sarah en me regardant.
Je ne le connais pas, je l’ai vu qu’une fois.
Crois-moi. Ethan sera content de t’aider surtout s’il peut te voir plus souvent. Il ne t’a pas proposé de venir le week-end juste pour la jument, mais pour apprendre à mieux te connaître.
Il sait que je suis fiancée, pourtant.
Ça ne va pas l’arrêter pour autant. Dès qu’on arrive, je te donne son numéro et tu vas l’appeler.
J’ai attendu d’être seule dans ma chambre pour appeler Ethan. Il répond après la troisième sonnerie.
Allô ?
Bonjour, c’est Mia. Comment vas-tu ? Sarah m’a passé ton numéro, car j’ai quelque chose à te demander.
Bonjour, Mia. Je vais bien, merci. Je suppose que ça doit être important.
Assez, oui. Le réalisateur avec qui je travaille cherche un ranch pour tourner son film. Sur le coup, j’ai pensé au tien, mais Frédéric m’a dit que tu ne serais pas intéressé.
Ça dépend du projet et de combien de temps ça va durer.
Je ne peux pas répondre à cette question. Le mieux c’est que tu appelles le réalisateur demain.
Et au fait, je suis désolé de t’avoir dit que tu me plaisais, même si c’est vrai. Je sais que tu es fiancée, mais je n’arrête pas de penser à toi. Je sais que nous deux, c’est impossible, alors si tu me permets d’être ton ami, ça me va.
Bien sûr qu’on peut être ami.
Si j’ai le temps, je passerai au studio demain pour parler du film.
À demain, Mia.
À demain.
Je raccroche, puis je regarde si j’ai des messages. Comme ce n’est pas le cas, je redescends. Sarah m’interroge directement.
Est-ce qu’il a accepté ?
Il n’a pas dit oui, mais ni non, non plus ! Il passe demain au studio pour en parler avec le réalisateur.
Je l’avais dit, Ethan craque complètement sur toi.
Mais non !
On va dîner et on pourrait regarder un film.
Quoi comme film ?
Douze hommes en colère, me répond Sarah.
Pendant la soirée, je m’inquiète, car Jules n’a pas répondu à mon message de ce matin. Je sais qu’on a un décalage horaire, mais ça m’aurait fait plaisir d’avoir de ses nouvelles. Je tente à plusieurs reprises de lui téléphoner, mais le répondeur me renvoie toujours à mes doutes. Pour quelqu’un qui garde son portable à côté de lui, ça m’étonne. Je décide d’envoyer un message.
« Jules, j’espère que tout va bien. Je t’aime. »
Je reçois un message, mais pas de Jules.
« Est-ce que ta journée s’est bien passée ? »
« Salut les filles, oui très bien. »
« Est-ce que tu as revu ton mystérieux homme ? »
« Non, mais je le vois demain pour un projet
de film. »
« D’accord, n’oublie pas, tu as le droit de t’amuser pendant ton séjour. Ne nous dis pas le contraire, on te connaît et on sait qu’il te plaît. »
« Je ne dis pas le contraire, mais je vous
rappelle que je suis fiancée. »
« Rien n’empêche que tu t’amuses. Jules n’en saura rien. »
« Moi, je le saurai. »
« D’accord, mais avant que tu partes, tu craqueras. »
« Bon, je vous laisse. Je vais dormir. »
« Bonne nuit, Mia. »
Avant que j’éteigne mon portable, je reçois un autre message.
« Bonne nuit, Mia. Fais de beau rêve, à demain. Ethan. »
Je lui réponds.
« Merci, Bonne nuit. À demain. »
« Je te trouve très belle. J’aimerais t’embrasser une seule fois. »
« Je te rappelle que je suis fiancée. »
J’éteins mon portable avant d’avoir sa réponse.
Chapitre n° 4
Un baiser inattendu
Le lendemain matin, je me lève en retard. Je m’habille en vitesse et descends.
Salut ! Je suis à la bourre, non ?
Bonjour, tu as encore le temps, ne t’inquiètes pas, me dit Frédéric.
Mon réveil n’a pas sonné.
Ça arrive à tout le monde, me dit Sarah. Pendant qu’on se prépare, prends ton petit-déjeuner.
Super, merci.
Pendant leur absence, je pense à mon rêve où j’embrassais Jules, et Ethan le frappait juste après ! Dès que Jules est parti, Ethan m’embrassait à son tour en me disant que je ne risquais plus rien. Ça fait deux nuits maintenant que je rêve d’Ethan. Je suis fiancée, mince ! Je ne peux pas aimer un autre homme ou même penser à un autre homme ! Je ne vais pas me mentir pourtant. Quand j’ai vu Ethan pour la première fois, j’aurais aimé sentir ses lèvres sur les miennes. Frédéric et Sarah me tirent de mes pensées.
Tu as fini ?
Oui, c’est bon.
Au studio, je pars directement voir Monsieur Davis dans son bureau.
Bonjour, Monsieur Davis.
Bonjour, Mia. Dis-moi que tu as une bonne nouvelle !
Son impatience montre qu’il est au bout de ses capacités nerveuses. Le tournage est momentanément suspendu au niveau des scènes d’extérieur et je pense que ça le met sur les nerfs !
J’ai téléphoné au patron du ranch et il va venir dans la journée pour parler avec vous du film.
D’accord, merci, Mia.
Ne vous emballez pas, il n’a pas encore dit oui.
Je saurai le convaincre d’accepter la proposition.
On frappe à la porte.
En me retournant, je vois Ethan rentrer.
Bonjour, je suis Monsieur Davis, le patron du Ranch Sunset Ranch Hollywood.
Enchanté, merci d’être venu. Je vous présente Mia, mon assistante, mais je pense que vous, vous connaissez.
En effet. Bonjour, Mia.
Bonjour, Ethan.
Vous vouliez me parler d’un film que vous allez tourner ?
Oui, je dois trouver un ranch et le vôtre serait parfait.
Mais sans indiscrétion de ma part et surtout j’avoue que je ne connais pas grand-chose aux tournages de film, mais il me semble que vous pouvez créer un décor artificiel de ranch, non ?
J’y avais pensé, mais le scénariste veut un vrai ranch. Imaginez-les retombées après le film. Tout le monde voudra venir voir le ranch.
Oui, effectivement cela peut m’apporter des clients. Et ce serait pour combien de temps ?
Tout dépendra de la météo, mais je pense faire les principales scènes d’ici quinze jours et je pense qu’il faut au moins deux bons mois en tout.
Ça ne m’arrange pas, mais je suis d’accord pour vous laisser tourner votre film. En revanche, je ne veux pas qu’on filme ma maison. Je ne veux pas être dérangé dans mon travail.
Bien entendu, on ne vous dérangera pas.
Je vais vous laisser. Est-ce que Mia peut me raccompagner ?
Bien sûr.
Ethan me laisse passer devant et me tient la porte. Dès qu’on est dehors, il me prend par le bras et m’emmène plus loin.
J’attends toujours ma réponse à mon message d’hier soir.
Je t’ai répondu. Je t’ai dit que je suis fiancée.
Je te posais aussi une question sur le prochain message que j’ai envoyé par la suite.
Je ne l’ai pas reçu, j’ai éteint mon portable et je ne l’ai pas encore allumé.
Donc tu ne l’as pas encore lu ?
Tu avais écrit quoi sur ton message ?
Accepterais-tu de dîner avec moi un soir ?
Tu sais que je vais passer le week-end chez toi.
Oui, j’ai hâte. Mais tu ne me réponds toujours pas.
D’accord pour le dîner.
Bien, une dernière chose avant que je parte.
Ethan m’enlace et pose ses lèvres sur les miennes. Au lieu de le repousser, je lui rends son baiser. Sa langue caresse la mienne, il pose ses mains sur mes reins. Quand on arrête notre baiser, je recherche mon souffle.
Si tu savais quel effet tu me fais, me dit Ethan. J’en rêvais depuis dimanche.
Je le repousse d’un coup, réalisant ce que je viens de faire.
Ça n’aurait jamais dû arriver !
Dis que tu n’as pas aimé, je ne te croirais pas.
Tu ne comprends pas, je suis fiancée. J’aime Jules plus que tout.
On en reparlera ce week-end.
Ethan part, je le regarde. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé, mais il ne faut pas que ça se reproduise. Je retourne au studio et aide le réalisateur à trouver tous les personnages du film.
Pendant la journée, je pense au baiser que j’ai échangé avec Ethan. Je sais, je n’aurais pas dû lui rendre son baiser. Je suis avec Jules depuis maintenant cinq ans et on est fiancée depuis deux ans. Je me marie dans seulement sept mois.
Le soir, je reste silencieuse. Au lieu de rester avec Frédéric et Sarah, je monte dans ma chambre et rallume mon portable où je reçois le message d’Ethan.
« Veux-tu bien dîner avec moi ce week-end ? Je sais que tu seras chez moi. »
En revanche, je n’ai toujours pas de nouvelles de Jules. Comme j’ai besoin de parler à quelqu’un, j’appelle Sandrine et Ambre. Heureusement qu’elles sont en cohabitation, car ça me fait un coup de fil en moins à passer. En plus, elles travaillent dans la même entreprise d’alimentation. J’espère que je ne les dérange pas. Elles me répondent directement.
Bonjour, les filles.
Bonjour, Mia, comment vas-tu ?
J’ai besoin de vous parler.
On t’écoute, mais laisse-nous deviner, c’est par rapport à Ethan.
Comment avez-vous deviné ?
Tu ne nous appellerais pas juste pour nous parler de ton stage et on te connaît un minimum !
C’est vrai.
Allez, raconte !
On s’est embrassé ce matin après le rendez-vous avec le réalisateur. Il m’a demandé de le raccompagner et il m’a embrassé. Je l’admets, je lui ai rendu son baiser.
Est-ce qu’il embrasse bien au moins ?
Oui, mais ce n’est pas le sujet. Je suis fiancée avec Jules. Je ne peux pas lui faire ça.
Calme-toi. Un baiser, ce n’est rien. Jules n’en saura rien, en tout cas, pas par nous.
Vous ne comprenez pas, Ethan veut plus qu’un simple baiser et je ne veux pas qu’il s’imagine quelque chose.
Explique-lui quand tu le verras, mais on veut que tu t’amuses aussi, ne pense pas qu’au travail.
Vous savez toujours me remonter le moral, les filles.
Tu en doutais encore ?
Bon, je vous laisse, je dois appeler aussi Jules.
Oui, pas de soucis.
On se dit au revoir et je raccroche. Jules ne me répond toujours pas. Il doit être occupé par son travail. Je remarque que j’ai reçu un message.
« Mia, je ne regrette pas de t’avoir embrassé, ta bouche est douce. Je saurais te faire craquer. »
Je lui réponds.
« Ethan, ça ne se reproduira pas. »
« Oh si ! Sois-en sûre. Je t’attends vendredi soir et samedi je t’expliquerai en quoi consiste ton travail avec Esmeralda. »
« OK »
« Bien sûr, je t’aiderai à vaincre ta peur pour remonter. Mais je veux te séduire aussi. Tu vas oublier ton fiancé. »
« Tu peux toujours rêver ! Je l’aime. »
« J’en suis sûr, mais est-ce qu’il t’aime aussi ? Sache que je réussirai à te séduire. »
« Oui, il m’aime, sinon on ne se marierait pas.
Je vais dormir pour être en forme demain. »
« Bonne nuit, Mia ! Fais de beaux rêves. »
J’éteins mon portable. Avec Jules, on parle le plus souvent du travail. Mes conversations avec Ethan sont différentes, en revanche, il est un peu lourd. J’ai beau lui dire que je ne suis pas libre, il continue. Je finis par m’endormir en pensant à Ethan et au baiser qu’on a échangé.
Le professeur se retourne, qui peut ainsi l’apostropher en pleine rue ? C’est Fatémeh, une de ses étudiantes, pas la plus douée, mais sans conteste la plus exotique et la plus bûcheuse.
— Que veux-tu ?
— Professeur, on m’a dit que vous aviez horreur des fêtes de Noël, est-ce vrai ?
Le professeur a un mouvement de recul, comment cette péronnelle peut-elle se permettre… qu’est-ce qui m’a pris de la tutoyer en dehors du cours ?
— En quoi est-ce que cela vous regarde ?
— Eh bien, professeur, cela me regarde, mais cela nécessite une longue explication. Puis-je vous accompagner ? Nous parlerons en chemin du polymère du méthyl-hydroxy-chalcone.
— Ah tiens ? Dans ce cas, je suis curieux de vous entendre, allons-y.
La jeune femme attend, le professeur a déjà fait un pas. Il se retourne de nouveau.
— Professeur, votre bras ?
Il retourne sur son pas, un peu décontenancé, mais répondant au sourire de la jeune femme par une sorte de grimace. Bras gauche ou bras droit ? Elle se dirige vers son bras droit.
— Merci, professeur.
— Vous aimez donc ces coutumes d’un autre âge, mademoiselle Fatémeh ?
— Mais oui, et pas vous, je le vois bien. Mais n’est-ce pas agréable ? Je ressens votre appui, votre force, et vous, si j’étais votre fiancée, cela vous serait-il désagréable de sentir battre mon cœur ?
— En effet. Non, je voulais dire : C’est agréable.
— C’est pour cela que l’on se donne le bras.
Ils font quelques pas, la librairie Scott est toute illuminée à l’intérieur, et madame Scott est sortie pour juger de l’effet.
— Bonsoir Fatémeh !
— Bonsoir Liz, joyeux Noël !
Juste à côté, un jeune homme est monté sur un escabeau pour accrocher une guirlande dans l’arbre de Jefferson Street.
— Bonsoir Fatémeh !
— Bonsoir Steven, joyeux Noël !
Quelques pas plus loin, la jeune femme se tourne vers le professeur et le dévisage en souriant.
— C’est très bien, professeur, vous y êtes presque arrivé.
— Arrivé à quoi ?
Elle repart, l’entraînant vers le haut de la rue en contournant l’escabeau.
— À sourire.
— Moi, j’ai souri ?
Ils sont à la hauteur de la confiserie, les couleurs éclatent de fraîcheur et les parfums leur font une escorte jusqu’au trottoir d’en face. Un vieil homme est penché sur une machine à cotton candy.
— Bonsoir William !
— Ha, bonsoir Fatémeh ! Pas ce soir ma belle, c’est en panne ! J’ai besoin d’un génie de la mécanique qui ne mette pas de cambouis partout !
— Il va venir, William, ne perdez pas espoir, bien des choses qui paraissent impossibles peuvent arriver, joyeux Noël !
Le professeur regarde la jeune femme qui sourit, il sent sa propre grimace devenir plus facile, plus naturelle. Elle sourit à la rue, aux lumières, aux taxis qui passent, parfois avec un petit signe. Tout le monde la connaît, et il se sent soudain gris et terne, transparent. Est-ce que Clara n’aurait pas le même âge qu’elle, à présent ?
— Il faut aller de l’avant, professeur, c’est ce que je dis souvent à ma sœur, et comme vous, elle laisse parfois passer une larme.
— Je le sens cette fois, je sens votre cœur battre, c’est à cause de votre sœur ?
— Oui. Elle a eu des malheurs, parce qu’elle aimait. Son mari, son métier, son pays et sa religion… elle a tout perdu, sauf sa religion. Vous aussi, vous avez eu des malheurs. Vous avez déjà versé une larme, alors je peux vous le dire : Il faut aller de l’avant. Nous sommes arrivés.
— Oh ! Eh bien nous n’avons pas parlé du polymère MHC.
— Vous en parlerez avec ma sœur, elle nous attend. Entrons.
Le professeur se laisse faire, il n’a plus de volonté, quelque chose lui arrive, mais il ne sait pas ce que c’est.
L’entrée de la maison est décorée pour Noël, il y a une crèche très rustique, mais qui semble très ancienne. Une bonne odeur de pâtisserie flotte alentours.
— Une crèche ? Je pensais que vous étiez musulmane ?
— Non professeur, nous sommes chrétiennes, et même catholiques, notre paroisse était à Orumieh, vous dites Ourmia je crois. Et notre église était la deuxième église, fondée juste après celle de Bethléem, au retour des Rois mages.
Une femme vient vers eux, une copie plus âgée de Fatémeh, aussi souriante qu’elle.
— Allons, Fatémeh, cesse d’importuner notre invité avec de vieilles histoires.
Les deux femmes se serrent dans leurs bras, longuement.
— Ma chère sœur, je te présente le professeur Anderson, mission accomplie ! Professeur, voici ma grande sœur, Berefieh Heidari.
— Très honorée, professeur, bienvenue et joyeux Noël !
Fatémeh s’éclipse pour entrer dans la cuisine.
— B. Heidari ? Comme le prix Wolf ?
— Robert A. Anderson ? comme le polymère MHC ?
Ils rient de concert, la chose qui arrive au professeur, c’est cela, quelque chose de perdu dans les deuils anciens, quelque chose qui s’appelle la joie.
— Vous la sentez ? C’est de là que vient votre polymère, professeur, de la cannelle.
— C’est vrai, je l’avais oublié, comme bien des choses. Cela sent bon.
Il regarde cette femme qui a reçu une des plus hautes distinctions dans sa propre discipline. Il réalise qu’il est tombé dans un piège tendu par son étudiante, et il en est très heureux.
— Redites moi votre prénom ? Je le trouve très beau et je suis sûr qu’il a un sens.
— Je m’appelle Berefieh. Cela veut dire « il neige ».
Bistrot d’Alex – 13h10. Le froid mordant de l’hiver s’effaçait sous les caresses du soleil, tel un amant timide qui murmure des secrets à l’oreille de son aimée. Assise à la terrasse, je savourais mon expresso, l’esprit paisible avant les tumultes de l’après-midi.
Ma mission : composer la symphonie du projet, tisser la mélodie des moyens. Arracher les femmes de zone rurale, en Égypte aux griffes de la polygamie, un combat qui m’amenait à composer avec les extrêmes, à danser sur la corde raide du langage.
Jean, le maître des lieux, s’approcha, un sourire chaleureux sur son visage buriné. “Un expresso, Meritt ? Un homme étranger vous attend.” Un frisson d’excitation parcourut mon corps. Ce jour-là, le destin avait décidé de jouer les entremetteurs.
J’avais sculpté mon apparence avec soin, comme une artiste façonnant son chef-d’œuvre. brushing discret, chemisier blanc cintré, jupe marron, des escarpins qui me faisaient de belles jambes. Les heures au gymnase et une attention méticuleuse à mon alimentation avaient dessiné une silhouette élancée. En, Égypte, la beauté est une arme, un étendard de réussite, d’ailleurs comme partout.
Le représentant financier du nouveau projet se présenta. Un homme brun d’une trentaine d’années, une chemise blanche impeccable. Son allure me séduisit, sa voix professorale fit vibrer mon âme. Ses yeux, un mélange envoûtant de gris, vert et jaune, ressemblaient à un tableau impressionniste.
La discussion professionnelle s’acheva, laissant place à un silence troublant. Nos regards se croisèrent, et Hugo, d’une voix douce et envoûtante, murmura : “Laissons nos papilles danser au rythme du falafel d’Alexandrie.
J’étais prise au dépourvu. Bien que aie déjà déjeuné 2 heures plus tôt, et que j’aie suivi un régime draconien, j’avais envie de prolonger le moment avec lui.
J’étais étourdie, surprise par cette invitation inattendue. Le programme de la journée n’incluait pas de romance, mais la vie a parfois le don de nous surprendre avec des délices inespérés.
Installés à une table près de la fenêtre, baignés par la lumière du soleil couchant, nous avons partagé un repas simple et savoureux. Les saveurs du falafel se mêlaient à nos conversations passionnées, chaque bouchée une découverte, chaque mot un pont vers l’autre.
Hugo avait le don de rendre chaque instant magique. Ses questions profondes nourrissaient nos réflexions, nous entraînant dans des discussions enflammées. Le temps semblait s’étirer, nous laissant libres de nous explorer, de nous perdre dans les méandres de nos âmes.
L’exode des peuples juifs en Égypte devint le fil conducteur de nos échanges. Nous avons exploré la tolérance, l’empathie et la compréhension mutuelle, chaque mot échangé une pierre précieuse ajoutée à l’édifice de notre relation.
Nos valeurs communes, nos passions et nos rêves se sont révélés comme les pièces d’un puzzle parfait. Ensemble, nous avons dessiné le rêve d’un monde meilleur, où l’amour et la compassion transcendent les barrières culturelles et religieuses.
Les jours se transformèrent en semaines, puis en mois. Notre amour grandissait, nourri par chaque instant partagé. Mais les différences qui nous séparaient pesaient de plus en plus lourd. Religion, coutumes et distance semblaient des obstacles infranchissables.
Malgré l’adversité, nous avons choisi de ne pas céder. Notre foi en l’avenir et en la force de notre amour nous a permis de garder espoir. Lettres et appels téléphoniques ont rythmé notre séparation, chaque mot un baume pour nos cœurs meurtris.
Les années ont passé, apportant leur lot d’expériences et de rencontres. Mais jamais l’amour que nous partagions ne s’est éteint.
Mais le smog qui entoure cette ville est si dense que je n’essaye même pas de voir les pyramides.
Je n’oublie pas non plus que je suis avant tout ici pour le travail. Pourtant, je suis heureuse, car j’ai tant souhaité un jour découvrir ce pays !
Du reste, Éric et Stéphane sont aussi impatients que moi.
Lorsque nous descendons de l’avion, une bouffée d’air chaud et sec nous prend à la gorge. Des volutes de sable, venant du désert que nous pouvons distinguer entre les bâtiments, dans le lointain, virevoltent sur le tarmac. Nous pénétrons dans le grand hall envahi de valises et de voyageurs. Des groupes de touristes peu discrets font entendre leurs voix au milieu de personnes vêtues en costumes locaux. Cet ensemble disparate forme un brouhaha continu, entêtant et épuisant après un périple si soudain.
Toutefois, ici, il fait frais. Un air climatisé, appréciable en contraste avec l’atmosphère qui nous a accueillis nous octroie un peu de fraîcheur. Le mois de juillet n’est pas un des plus froids dans ce pays. Néanmoins, nous n’avons pas eu non plus le choix de la date !
Après les contrôles, pendant que mes compagnons de route règlent la paperasse, je m’avance dans le hall, cherchant la sortie du regard.
Mal m’en prend !
Je bute sur une des valises et je sens venir la chute, comme au ralenti.
Subitement, une main ferme jaillit, me rattrape et m’empêche de tomber.
Levant les yeux, je croise des prunelles d’un vert intense. Émeraude.
Soudain, je ressens quelque chose dont je n’ai jamais fait l’expérience avant. Une forte émotion. Une chaleur immédiate. Je ne peux que rester le regard plongé dans celui de l’inconnu.
J’ai le sentiment de discerner de l’étonnement chez cet homme au visage mat, à la chevelure brune. Cependant, il se reprend très vite et détourne ses yeux des miens, ensuite il relâche mon bras lentement. Immobile, sous le coup de l’émotion, je n’arrive à balbutier que quelques mots de remerciement en français. À son air surpris, je pense qu’il ne m’a pas comprise. Quelle idiote ! J’aurais dû le faire en anglais.
Mes amis me retrouvent alors.
— Ça va ? s’inquiète Stéphane. Nous t’avons vue de loin.
— Oui, réponds-je d’une petite voix.
Je me retourne vers l’homme à la haute stature vêtu d’un costume noir qui nous observe avec une certaine arrogance, pourtant, il me semble identifier dans ses yeux une étincelle d’amusement. Je lui renouvelle mes remerciements en anglais cette fois-ci. Je peux à ce moment-là remarquer qu’un sourire ironique s’esquisse sur ses lèvres, puis il incline la tête, ne prononçant aucune parole, pour finalement s’écarter de nous. Les trois hommes habillés d’une gandoura brune, qui se trouvent près de lui, paraissent là pour veiller sur sa personne, car ils le suivent aussitôt qu’il claque des doigts. Leurs lunettes noires dissimulent leur regard, mais ils donnent l’impression de ne rien rater de ce qui se passe autour d’eux. Il s’agit probablement d’une personne importante, et d’ailleurs tout dans son comportement l’indique. Il possède l’assurance de quelqu’un qui doit considérer que tout lui est dû. Il rejoint d’un pas rapide et égal un autre groupe d’hommes qui portent des dishdasha et des keffiehs blancs, et une discussion s’engage entre eux en arabe, calme.
Je me soustrais à la vision de cette scène, j’attrape ma valise, et nous partons vers la sortie, espérant trouver un taxi.
Tout au long de notre parcours, je sens un regard sur moi, toutefois, je n’ose pas jeter un coup d’œil en arrière, parce que je sais avec exactitude d’où il vient. Il me pèse et me suit jusqu’aux portes coulissantes.
Dehors, de nouveau, la chaleur accablante nous saisit.
Nous vérifions l’adresse de l’hôtel où nous sommes tenus de résider pour cette semaine. Cependant, nous avons une certaine appréhension à son sujet. Notre précédente aventure espagnole nous a servi de leçon parce que nous étions tombés sur un endroit insalubre, très éloigné de la capitale, peu desservi par les bus.
Dès lors, nous avions été dans l’obligation de faire appel à des amis qui avaient gentiment contacté des membres de leur famille pour qu’ils nous hébergent en catastrophe. Heureusement, cela avait rendu les circonstances beaucoup plus agréables et plus chaleureuses, puisque nous avions alors fait l’expérience de la vie madrilène, surtout celle nocturne, ainsi que les plats familiaux. Néanmoins, dans ce pays, ce ne serait pas possible d’opérer une telle rectification, étant donné que nous ne connaissons personne.
Nous réussissons à attraper un taxi et nous lui donnons l’adresse. Le vieux véhicule s’élance au milieu de l’embouteillage, avec un bruit de pétarade et un grand nuage noir.
Déjà, en France, je n’apprécie pas la vie urbaine et je ne me rends en ville que par obligation, dès lors le fait que notre université soit excentrée me convient vraiment. Céans, tout paraît dense, envahissant et oppressant. Par conséquent, si l’on ajoute les émanations des pots d’échappement, cela ne me donne pas envie d’en voir plus…
Cette année avait été difficile, compliquée, et même si elle incarne l’aboutissement de beaucoup d’années de travail, je suis loin de tout cela en cet instant. Je dois aussi commencer sans doute à ressentir la fatigue, à être lasse de tout. Au fond, prendre une année sabbatique me tente de plus en plus.
Ce voyage, qui est loin d’être d’agrément, est donc arrivé à temps. Une vraie bouffée d’oxygène. Bien que repose sur nos épaules le fait d’être dans l’obligation de représenter à nous trois les connaissances en civilisation antique de notre université, cela m’apaise, car j’ai la sensation de faire quelque chose de différent. Nous suppléons en urgence Mme Lapierre qui s’était cassé la jambe juste avant le départ et M. Aubert. La femme de ce dernier étant très malade, il a décidé sans prévenir de mettre un terme à sa longue carrière, souhaitant passer du temps avec elle. L’université a été forcée de trouver des remplaçants à ces deux éminents spécialistes promptement. Heureusement, les deux professeurs nous ont donné tous leurs documents, leurs notes, et avec ce que nous avions déjà, cela devrait aller. L’Égypte et la romanité : ici, ce sujet prend tout son sens. De surcroît, ce défi n’est pas non plus pour nous déplaire, et surtout un excellent moyen de faire nos preuves.
Pendant le trajet dans ce taxi bruyant et inconfortable, je reste silencieuse. Mes compagnons doivent mettre cela sur le compte de la lassitude, parce qu’ils me laissent tranquille, échangeant à voix basse leurs impressions.
Je repense à la rencontre fortuite de l’aéroport.
Je revois le regard émeraude.
Fascinant.
Fascinée encore par l’allure élégante et féline de cet homme. Je songe à ces princes du désert qui avaient hanté mes lectures adolescentes et qui m’avaient aussi donné le désir de découvrir les vastes étendues de dunes blondes. Je m’en rapproche de manière inattendue. J’espère pouvoir observer de près ces grandes immensités sableuses qui me font envie depuis que petite fille j’avais vu ces photos dans un des magazines de mon père.
Mais je cesse de gamberger à ce sujet et je me concentre sur notre parcours. Le taxi avance à vitesse réduite, car les rues sont encombrées et la circulation est compacte. En effet, des véhicules de toutes sortes et de toutes époques roulent de manière anarchique. Des cris viennent jusqu’à nous. Au milieu des automobiles, des ânes et des vélos tentent de passer. Des odeurs, des parfums se faufilent à travers les vitres ouvertes. De la poussière aussi. La chaleur suffocante pénètre à l’intérieur de ce véhicule où la climatisation est absente. Nous sommes loin des paysages photographiés sur papier glacé. Toutefois, nous ne nous lassons pas de ce spectacle : il est si inattendu et si vrai.
Le Caire se révèle être une métropole surprenante. Et le désir de voir les pyramides est là, même si je sais que la ville tentaculaire s’en rapproche graduellement. Cette atmosphère est réellement dépaysante. Cependant, la pollution mine cette vaste ville. Le nuage qu’elle produit nous a d’ailleurs empêchés de l’apercevoir durant notre descente en avion, et il nous est possible de distinguer, lorsque nous roulons dans le dédale des rues, des immondices.
Pour la suite des conférences, nous devons nous rendre dans une semaine à Louxor, et je n’attends que cela ! Le musée, Karnak, découvrir les vestiges de Thèbes… Je souhaite qu’après ce voyage, ce ne soit plus pour moi uniquement des photos, mais que cela devienne des réminiscences agréables.
Finalement, après un temps interminable passé dans le taxi et son étouffante moiteur, nous arrivons devant notre hôtel.
Une fois descendus, nous ne pouvons que nous regarder, stupéfaits.
Une façade décrépite, une enseigne qui clignote par intermittence. Et cette ruelle étroite et sale…
Nous sommes loin d’un orient rêvé !
Cela recommence ! Un hôtel minable !
Stéphane et moi, nous récupérons nos bagages pendant qu’Éric paye le taxi qui déguerpit assez vite, non sans avoir projeté un nouveau panache sombre et malodorant derrière lui.
Pour un premier contact, c’est un premier contact !
Nous pénétrons dans l’établissement. Dans le hall, un tapis oriental, qui ne doit en porter que le nom tellement il est défraîchi et élimé, recouvre le sol dallé. Les murs sont dans le même état que la façade, c’est-à-dire d’un écru qui a dû être blanc il y a longtemps. Pourtant, l’ensemble est propre, une odeur florale est perceptible, et je ne vois aucune poussière nulle part. Manifestement, le ménage est fait assez souvent. Lors de notre trajet d’arrivée, il m’avait semblé que la poussière paraissait omniprésente dans cette métropole surpeuplée et polluée.
L’hôtelier, un homme d’un certain âge, assis derrière un comptoir de bois où un bouquet de fleurs fraîches est posé, s’adresse à nous dans un anglais approximatif et avec un salut un peu triste. Il nous donne les clefs, puis nous conduit à nos chambres en traînant des pieds comme s’il portait le monde sur ses épaules ! Toutefois, il se montre affable et gentil quand il nous explique le fonctionnement de son établissement. Nous apprenons alors que nous serons dans l’obligation de prendre nos repas à l’extérieur et qu’ils ne fournissent pas le petit déjeuner. Prévoyants, nous avons fait suivre une bouilloire, étant des accros au café pour les garçons et au thé pour moi, ce qui nous permettra au moins d’avoir des boissons.
Les deux chambres sont côte à côte et, par chance, dans le même état de propreté que l’hôtel avec une peinture plus récente, dans des tons vert clair très doux, et des rideaux opaques permettent d’obturer les fenêtres. Un joli tapis orne le sol et l’ameublement est sommaire : un lit, une table de chevet, une commode, un fauteuil, très peu de décorations. Une des chambres possède un lit à deux places et l’autre deux petits. Mes deux compagnons de voyage se regardent.
— Bien, je pense que c’est simple, dit Stéphane.
— Ouais, j’espère que Cédric ne sera pas jaloux ! rétorque Éric avec un sourire en coin.
— Ça va, il comprendra, et Laura fera la même chose. Et puis, tu n’es pas mon type d’homme ! Choupette, tu dormiras dans la chambre avec le grand lit ! À moins que tu ne veuilles passer la nuit avec l’un d’entre nous ! me suggère-t-il avec un clin d’œil.
— Le choix est judicieux ! En tout cas, si vous devez partager la chambre, vous avez au moins une douche ! Moi, je n’ai qu’un lavabo, déclaré-je en riant.
— Quand tu en auras besoin, tu nous le diras. Nous resterons dans ta chambre pour te laisser ton intimité. Il n’y a pas de souci. À la guerre comme à la guerre ! Nous pouvons nous reposer un moment aussi si tu veux, vu que tu as vraiment l’air harassé, propose Éric.
— Non, il vaut mieux que nous sachions où nous devons aller et effectuer des achats pour nous nourrir, si c’est possible, affirmé-je.
— Choupette, tu es une mère pour nous ! s’exclame Stéphane. Je ne songeais pas à cela ! Mais il est certain que nous n’allons pas exploser notre budget dans ce domaine. Manger sur le pouce me convient. En revanche, nous allons quand même tenter de dénicher un petit resto sympa, puisque j’ai aussi envie de découvrir la cuisine locale. Bon, alors à tout de suite, nous te laissons.
Ils entrent dans leur chambre.
Je connais Éric et Stéphane depuis la seconde. Tous deux férus de cultures anciennes, ils m’avaient pris sous leurs ailes au lycée comme j’avais un an de moins qu’eux, dans la mesure où j’avais sauté une classe en primaire. Internes, nous avons pu partager notre passion commune, et depuis nous ne nous sommes plus quittés. Si nous n’étions pas dans la même classe, au moins l’option latin nous réunissait. Nous avions poursuivi nos études ensemble. Étant donné que les choses ont toujours été claires entre nous, notre amitié est devenue très solide. Éric va être papa dans six mois, et Stéphane coule des jours heureux auprès de son compagnon Cédric depuis trois ans, après avoir traversé des moments très difficiles, ses parents ayant du mal à se faire à son choix, bien qu’il n’ait jamais caché son orientation.
Nous nous installons dans nos chambres respectives où le ventilateur du plafond brasse de l’air chaud. Avec soulagement, il est toutefois possible de voir que les portes et les fenêtres ferment bien. J’espère pouvoir recharger mon PC et mon téléphone à l’unique prise assez désuète. L’eau du robinet est plus que tiède, néanmoins pour se nettoyer de la poussière et de la fatigue du voyage, elle suffit amplement. Je refais mon chignon et je rejoins les garçons.
Nous sortons après avoir vu sur le plan fourni par le professeur Lapierre juste avant notre départ que l’université se trouve à deux rues de celle où nous logeons. Par chance, cette dernière avait déjà eu l’occasion de venir au Caire et nous avait remis quelques documents. Nous décidons donc de nous y rendre à pied afin de repérer les lieux. En outre, le transport en taxi avait aussi eu un certain coût, et nous ne pouvons pas nous le permettre tout le temps, car même si nos frais seront remboursés, ce ne sera pas de si tôt ! Nous ne sommes pas non plus désireux d’emprunter les transports en commun, préférant nous familiariser avec cette métropole, la découvrir à notre rythme.
Certes, je n’apprécie pas la ville, cependant la curiosité l’emporte et maintenant, n’étant plus sur le coup de la lassitude du voyage, je souhaite en voir davantage. De plus, après ce long voyage assis, un peu de marche ne peut qu’être bénéfique, et la chaleur extérieure n’est pas pire que celle que nous éprouvons à l’intérieur.
Pendant notre cheminement au milieu de la foule bigarrée, nous parlons de cette arrivée.
— Je suis quand même déçu ! s’insurge Stéphane.
— Tu n’es pas le seul ! lui répond Éric, en secouant sa tête rousse.
Son regard bleu clair protégé par des lunettes noires cache mal sa mauvaise humeur, puisqu’il nous est possible de ressentir la tension qui habite tout son corps.
— Je téléphone demain à l’université ! Cet hôtel est correct, mais ce n’est pas la première fois que nous avons droit à ce type de logement. Enfin, au moins cela nous permet de découvrir la véritable Égypte, loin des clichés touristiques ! ajoute mon ami blond.
Ses yeux gris sont pleins d’étincelles. S’il fait cinq centimètres de moins qu’Éric, il est plus impressionnant, son corps ayant été modelé par une pratique intensive de la boxe.
— Je suis certain que pour M. Aubert et Mme Lapierre ils auraient trouvé une autre solution ! s’exclame Éric.
— C’est clair, ils ont dû vouloir faire des économies ! résumé-je, en haussant les épaules.
— Je crois que nous arrivons, annonce Éric.
— Je commence à avoir faim, dit Stéphane.
— Stéphane ! m’écrié-je, moqueuse.
— Oui, je sais, je ne pense qu’à manger… Bon, au boulot ! Il y aura peut-être une cafétéria ! dit-il avec un clin d’œil.
Je me contente de lever les yeux au ciel en soupirant et nous pénétrons sur le campus.
Tenues occidentales et orientales se mêlent dans les couloirs où nous retrouvons l’ambiance à laquelle nous sommes habitués. Nous nous sentons dans notre élément, même si notre présence semble attirer l’attention. D’habitude, j’aime bien les tenues assez bohèmes, pourtant aujourd’hui j’ai opté pour une jupe tailleur de couleur grège – que je ne porte que très rarement – et un chemisier classique marron. Néanmoins, mes sandales tropéziennes, ainsi que mon sac gibecière tranchent un tantinet sur cet ensemble. Ma sœur cadette, lorsqu’elle m’a cousu ce dernier, a quelque peu abusé sur les perles ! Mon chignon a pour but de me vieillir, car malgré mes vingt-six ans, j’ai toujours l’air assez juvénile, ce qui ne me sert pas dans ma profession. Ma petite taille n’arrange pas non plus les choses. Éric, avec sa passion pour les chemises hawaïennes, ne donne pas non plus l’idée attendue d’un professeur de littérature classique. La stature athlétique de Stéphane et son jean délavé non plus. Heureusement, notre entrevue avec le doyen se passe bien, notre réputation de sérieux et de compétence nous précédent. Notre connaissance du programme des conférences sur le bout des doigts semble l’impressionner. Je commence demain la première intervention et j’espère que tout ira bien. Le doyen nous confie à un étudiant chercheur, Hussein, qui nous fait visiter les lieux et je vois que l’amphithéâtre prévu pour le colloque est assez vaste, confortable et moderne.
Nous bénéficions d’une autorisation de consulter la bibliothèque. En outre, nous trouvons une cafétéria où nous nous restaurons, ce qui ne peut que réjouir Stéphane. Depuis notre départ hier soir, la collation matinale dans l’avion est déjà oubliée, et moi aussi je commence à sentir la faim. Ce repas de sandwichs et de salades nous est donc agréable. Nous profitons de la fin de l’après-midi pour améliorer nos notes pour le lendemain. À un moment, Éric se rend au secrétariat pour téléphoner à l’université, afin d’avoir des explications à propos de notre logement, tout en exposant nos doléances. On se contente de lui répondre que c’était la seule chose qu’ils avaient trouvée de disponible et que sa proximité avec le campus avait été aussi la raison de la réservation. Lorsqu’il nous relate cette conversation, nous ne pouvons que râler pour la forme.
À la fermeture de la bibliothèque, nous rentrons à l’hôtel. Les garçons restent dans ma chambre le temps que je me douche, puis nous nous quittons sur un bonsoir enjoué.
Chapitre 2
La journée a été longue et éprouvante.
D’abord, il y a eu le vol, et avec l’escale à Istanbul, onze heures au total, cela fait beaucoup, malgré la bonne compagnie et la lecture. Ensuite l’arrivée dans ce pays fascinant entre déception et joie. Et toute la précipitation du départ puisque nous avons dû nous organiser en catastrophe.
Alors, après m’être préparé pour la nuit, je me jette sur le lit avec bonheur. Puis je prends mon portable et j’appelle Hélène. Ma sœur doit se faire du souci, et avec son début de grossesse difficile, je n’ai pas envie qu’elle s’en fasse outre mesure.
Par chance, elle décroche assez vite : entendre sa voix est un vrai plaisir.
— Coucou, ma puce, l’interpellé-je.
— Ça va ? demande-t-elle.
— Oui, nous sommes bien arrivés.
— Et pas de mauvaise surprise ?
— Le vol a été long, mais pas inconfortable. L’hôtel est plus correct que celui de Madrid ! Vieillot, mais propre, même si je n’ai pas de douche dans ma chambre. Galamment, les garçons sont prêteurs de la leur.
— Et sinon ?
— Nous n’avons pas encore vu grand-chose. L’université est récente et très bien agencée. Nous avons été chaleureusement accueillis. Et toi, tout va bien ?
— Oui.
— Et les petits ?
— Tom et Lyne restent à la maison. Mon chéri ira constater demain si tout se passe bien pour eux. Tu es informée de quand les résultats tombent ?
— Pour le Bac, cette semaine, mais je ne sais pas si je vais pouvoir avoir les résultats.
— Cela devrait être positif !
— J’espère !
— Bien. Je suis consciente que communiquer à l’étranger coûte cher, alors je te laisse ! Tiens-nous au courant s’il y a quoi que ce soit, et surtout n’hésite pas à nous envoyer des photos par mail ! Je serais ravie de voir ce pays ! Sinon tu nous montreras à ton retour.
— J’espère seulement que j’aurais le temps et la possibilité de visiter la ville un peu, car il y a beaucoup de travail qui nous attend !
— Bisous ma grande.
— Bisous à vous tous.
Je ferme mon portable, et les yeux.
Un regard intense, émeraude, s’impose alors dans mon esprit.
La fatigue m’empêche de penser à autre chose et je m’endors avec la vision de ce beau visage à la peau mate, aux lèvres bien ourlées et à l’épaisse chevelure brune où l’envie d’y passer les doigts me surprend, étant donné que je ne le reverrai jamais…
Un coup frappé à la porte me réveille brusquement. Malgré le bruit et la chaleur, je me suis assoupie. Le matin est là, la lumière solaire recouvre déjà la pièce, la touffeur ambiante n’est pas encore présente.
— Annie !
Je me lève, ensommeillée, et j’ouvre le battant.
C’est Éric, habillé, un grand sourire sur les lèvres et décidément en pleine forme !
— Petit déjeuner dans notre chambre ? me propose-t-il.
— Je me prépare et j’arrive.
Je fais une toilette rapide. Heureusement que le soir précédent j’ai pu profiter de la douche des garçons, et même si la nuit a été lourde, je suis quand même un brin reposée. Néanmoins, je dormirai bien un peu plus. Les draps sont propres et la literie est correcte. C’est donc avec un grand soupir de regret que j’en détourne mon regard.
Je brosse mes longs cheveux blonds que je réunis dans un chignon bas. Avec cette chaleur, ce sera plus pratique ! Je passe un pantalon marron clair ample et fluide, acquis en catastrophe pour le voyage, avec une blouse de coton liberty – je me permets cette petite touche de couleur pour m’encourager –, puis je prends mon sac et ferme la porte. Je n’ai qu’à pousser celle de la chambre de mes amis, laissée entrouverte.
La bouilloire, qui nous accompagne partout lorsque nous nous déplaçons, est pleine, les pâtisseries achetées hier soir et les oranges sont sur le lit, étalées sur une serviette. Avec un thé pour moi et un café pour les garçons, c’est un déjeuner convenable. Je rince les gobelets récupérés à la cafétéria le jour précédent pour la prochaine fois, pendant que mes compagnons de route rangent.
Ensuite, nous partons de nouveau à pied. La foule me semble plus dense que le jour d’avant, sans doute à cause de la relative fraîcheur matinale. Nous prenons notre temps et observons ainsi des petites saynètes typiques : une marchande de fruits à côté de sa carriole bariolée, un groupe de femmes qui portent sur leur tête un grand panier en osier débordant de choses diverses, des vélos surchargés de marchandises qui se frayent tant bien que mal un chemin dans la circulation toujours aussi luxuriante, et des hommes en dishdasha ou en costume.
Une fois à l’université, le trac me submerge subitement.
Ce n’est pas la première fois que je donne une conférence, mais la responsabilité de représenter notre université pèse sur mes épaules. C’est moi qui dois tout organiser, bien que nous nous partagions le travail. M. Aubert, ayant été mon directeur de thèse, a souhaité qu’il en soit ainsi.
Je pénètre dans l’amphi bondé par un accès extérieur, la peur au ventre, même si mes deux compères m’ont promulgué avec force leurs encouragements, en me rappelant qu’ils seront présents, d’autant plus que je connais le sujet sur le bout des doigts. Toutefois, passer la première est loin d’être évident, je suis consciente que je n’ai pas droit à l’erreur.
Je m’assois à la table installée au milieu de l’estrade et je commence doucement, veillant à ma prononciation et regardant mes feuilles avec attention, tout en conservant un contact visuel avec le public. Si mon anglais est plus que correct, j’appréhende pourtant un peu les fautes de grammaire ou de syntaxe, et notamment les instants où le français va vouloir reprendre sa place. Mon exposé est entièrement rédigé en anglais, néanmoins, je redoute le moment où je risque de m’en écarter, poussée par une digression, par le trac.
Subitement, j’ai l’impression que tout se brouille, que les mots dansent sur le papier. La tension atteint son paroxysme, mais je sais comment réagir face à cela. Je respire posément, je me lève de ma chaise et passe devant le bureau. Posant mes notes à portée de main, je reprends mon discours.
Je me sens plus à l’aise, car il s’agit de ma façon habituelle de donner des cours, moins solennelle et plus personnelle. J’entends parfois quelques murmures, toutefois personne n’interrompt mon allocution. Les étudiants m’écoutent avec attention, visiblement captivés. À un moment, je croise le regard d’Éric, assis au dernier rang avec Stéphane, qui lève un pouce avec un grand sourire.
Et je poursuis. Je suis dans mon élément. J’aime tant faire ce partage de connaissances. La littérature latine et grecque, l’Antiquité, c’est une vraie passion chez moi depuis que j’ai commencé à faire du latin en cinquième. En fait, exercer mon métier est un bonheur, échanger davantage. Je conclus mon développement avec un texte appris par cœur. Alors quelques mains se lèvent et je réponds aux questions du mieux que je peux, tâchant de ne pas me laisser déborder par mon enthousiasme, restant rigoureuse.
Je quitte l’amphi pour céder la place à un autre professeur qui me serre la main, même si j’ai du mal sur le moment à retenir son nom, encore plongée dans mon exposé. Alors que je suis toujours dans ma bulle, dans le couloir de sortie, je croise le doyen qui parle avec un groupe d’hommes habillés du costume blanc local et d’un keffieh rouge et blanc. Il se dirige vers moi, me salue d’un signe de tête, puis il se tourne vers les hommes. Là, mon cœur se met à battre avec force à l’instant où je reconnais l’un d’entre eux.
L’homme au regard émeraude.
Ce même regard qui a hanté ma nuit. Un regard où il m’est possible de lire fugitivement de la surprise, pourtant, manifestement, il n’est pas homme à montrer son étonnement. Ce qui n’est pas mon cas !
Je dois rougir, sentant le feu sur mes joues. Et avec ma carnation, c’est loin d’être discret !
Le doyen ne semble rien remarquer de mon malaise :
— Professeur Clément, je me permets de vous présenter Monseigneur le cheikh Kassem Ben Khamsin, ainsi que son frère le cheikh Khalid.
Le cheikh Kassem s’incline devant moi, un petit sourire au coin des lèvres, manifestement amusé par mon embarras. Il me fait de cette manière comprendre qu’il m’a reconnue.
— Mademoiselle, dit-il dans un français parfait malgré un léger accent.
Ma stupéfaction est à son comble. Je frise franchement le ridicule. Il parle français, et moi qui pensais qu’il ne m’avait pas comprise à l’aéroport.
L’art d’être une idiote en dix leçons !
Son frère se contente d’un signe de tête pour me saluer.
Le doyen continue :
— Le professeur Clément est au Caire pour effectuer quelques conférences dans le cadre d’un échange interuniversité.
— J’espère que vous vous plaisez ici ? s’enquiert pour lors l’homme au regard émeraude avec un soupçon d’ironie dans la voix.
L’arrivée de mes compagnons m’évite de discuter, et au fond cela m’arrange. Le doyen les présente à leur tour, et ce sont eux qui répondent aux questions. Moi, j’en suis incapable. Le cheikh Kassem ne me quitte pas des yeux, et cette inquisition visuelle me déconcerte. Je n’ose porter mon attention dans sa direction, même si c’est impoli. Finalement, le doyen et ces hommes nous laissent, le premier reprenant son exposé interrompu sur les lieux.
Je les regarde s’éloigner, encore sous le choc de cette nouvelle rencontre. Ensuite nous partons dans le couloir à notre tour.
— C’est bien le type de l’aéroport ? demande Stéphane.
— Oui, réponds-je d’une toute petite voix.
Il m’observe avec un drôle d’air, puis s’exclame :
— Beau mec en plus !
— Stéphane !
— Quoi, ce n’est pas parce que je suis au régime que je n’ai pas le droit de lire le menu ! Sans compter que ce sont de purs hétéros, alors ils ne risquent rien avec moi. Cependant…
— Quoi ?
— J’ai vu la façon dont celui qui t’a aidée à l’aéroport t’a regardée. Tu as une touche ! ajoute-t-il sur un ton goguenard.
— Stéphane, arrête, répliqué-je en levant les yeux au plafond, tant il peut être à certaines occasions impossible.
— Ma puce, tu es une jolie jeune femme, intelligente, avec du caractère, mais comment l’exprimer sans te mettre en rogne ? Parfois, tu peux être très…
— … coincée, c’est cela ? répliqué-je.
— Je dirais plutôt qui se laisse trop envahir par ses responsabilités, qui ne profite pas assez…, continue-t-il en fronçant le nez.
— Et monsieur me conseille quoi maintenant ? Je te rappelle que c’est un cheikh, déclaré-je, agacée.
— Comment ? s’exclame-t-il, sidéré.
— Eh oui, vous n’étiez pas là quand le doyen les a présentés. Alors, qu’ajoutes-tu ? ironisé-je.
— Bon sang, tu tombes sur un type qui te plaît et c’est l’équivalent d’un prince ! s’écrie-t-il.
Heureusement, nous parlons en français et nous avons de cette manière moins de chance que notre conversation soit comprise, car les étudiants commencent à nous regarder bizarrement.
— Qui t’a dit qu’il me plaisait ? m’enquis-je, toujours autant énervée.
— Je te connais, c’est tout, conclut-il en haussant les épaules, visiblement peu atteint par mon ton de voix.
— Je confirme, il te plaît, enchérit Éric, malicieusement.
Je secoue la tête. Si mes amis me connaissent bien, et que leurs propos ne sont pas si éloignés de la vérité, je trouve quand même qu’ils exagèrent. De plus, nous sommes là pour le boulot, et je ne suis pas venue pour marivauder avec le premier homme intéressant croisé, qu’il soit prince ou pas.
Nous rejoignons Hussein qui nous attend dans la pièce qui nous a été réservée aujourd’hui afin que nous puissions être au calme. Pour le repas de midi, il nous conseille un petit restaurant local situé à quelques rues et pas très cher, tenu par un ami. J’avoue que ce repas me fait du bien. Le cadre est assez épuré, avec juste la touche orientalisante qui suffit pour mettre dans l’ambiance. Assurément, c’est un endroit qui ne désemplit pas. Le taboulé est simplement parfait, ainsi que les kofta que nous découvrons avec plaisir. Ces boulettes de viande hachée sont excellentes ! Cela nous change des sandwichs.
Pendant que nous savourons ce moment, à Hussein, qui s’est joint à nous, nous demandons des éclaircissements sur les deux cheikhs. Ou plutôt, Stéphane se livre à un véritable interrogatoire, poussé par sa légendaire curiosité. Hussein se révèle être un informateur de première classe et nous comprenons mieux pourquoi cette université est si bien aménagée. Les Ben Khamsin font partie des donateurs privés.
Une fois notre repas achevé et de retour à l’université, Éric révise son exposé rapidement dans la petite pièce afin de préparer son intervention sur le culte d’Isis à Rome qui a lieu dans deux jours. La fin de la journée s’écoule comme la précédente par un détour à la bibliothèque, néanmoins je les quitte assez tôt, souhaitant me reposer seule.
Au bout d’une heure, plongée dans la lecture de mes notes, j’entends un bruit sec au battant. Je me lève du lit où j’étais assise en tailleur – la pièce étant dépourvue de bureau – et j’ouvre la porte.
Un homme inconnu, vêtu d’une ample gandoura brune, se trouve sur le seuil.
Il s’incline devant moi, restant silencieux.
— Vous désirez ? demandé-je en anglais, assez perplexe face à cette présence muette.
— Mon maître vous envoie ceci.
— Pardon ?
Il me tend une enveloppe beige épaisse, avec un dessin sur le coin gauche où il me semble distinguer un cheval et un oiseau de proie, ainsi qu’une longue boîte rectangulaire noire que j’identifie comme un écrin. Je saisis le pli, mais pas la boîte, ayant envie en premier lieu de savoir de quoi il en retourne, puis je la décachette et lis rapidement la missive rédigée en français. L’écriture est élancée, les lettres bien tracées.
Mademoiselle,
Veuillez recevoir ce présent.
Je souhaiterais aussi vous inviter à dîner ce soir à vingt heures.
Cheikh Kassem.
Alors que je boue à l’intérieur, je replace le billet dans l’enveloppe avec calme et la rends à l’homme.
— Veuillez rapporter ceci à votre maître, dis-je en insistant bien sûr le dernier mot.
Celui-ci semble un instant interloqué par mon geste, mais il demande quand même :
— Quelle réponse dois-je donner à mon maître, mademoiselle ?
— Que je ne suis pas intéressée, toutefois je le remercie, répliqué-je avec ironie.
L’homme est visiblement embarrassé. Il ne paraît pas comprendre que ma répartie est une fin de non-recevoir. Les yeux grands comme des soucoupes, il ne doit pas être accoutumé à ce genre de réaction, et il commence :
— Mais Mademoiselle…
Bien que ce soit impoli, je le coupe :
— Et faites-lui bien savoir que je ne mange pas de ce pain-là. Je refuse donc l’invitation. Désolée pour le dérangement.
Je lui dis au revoir avec sourire courtois. Après tout, il n’est que le commissionnaire, il n’est nullement responsable de l’impudence de son maître.
Une fois la porte refermée, je repense à ce qu’Hussein nous a appris au sujet de cette famille : la famille Ben Khamsin se compte parmi les plus puissantes en Égypte. Propriétaires de plusieurs centaines d’hectares de terres et de désert, avec également beaucoup de sociétés diverses, ils sont milliardaires et possèdent aussi des liens avec l’Arabie Saoudite depuis que le père du Cheikh Kassem a épousé en secondes noces une princesse issue de ce pays. En outre, Kassem jouit d’une réputation de séducteur en Europe et aux États-Unis, en même temps que d’être un homme d’affaires avisé et un ingénieur reconnu.
Je fulmine. Que croit-il ? Qu’il va m’accrocher à son tableau de chasse ?
J’ai du mal à me replonger dans mon travail, cette visite et surtout cette demande impromptue n’arrivant pas à sortir de mon esprit.
Une nouvelle heure est passée lorsqu’à nouveau on toque à ma porte.
Je l’ouvre, toujours autant énervée par ce qu’il s’est produit tout à l’heure. Et je retrouve cet homme sur le seuil.
La moutarde me monte au nez et je l’interpelle vivement :
— Que voulez-vous cette fois-ci ?
Il me tend encore une lettre :
— Mon maître me demande une réponse écrite.
— Vous ne lui avez pas transmis mon message oral ?
Il émet un petit soupir penaud.
— Je vois, vous avez peur de le fâcher ! compris-je.
Je saisis l’enveloppe et je lis le mot glissé à l’intérieur.
Mademoiselle,
Je pense que vous vous êtes méprise sur mes intentions.
Je souhaite juste vous inviter à dîner ce soir.
Merci de me dire à quelle heure nous pouvons venir vous chercher.
Cheikh Kassem
Non mais, il se moque de moi ! À dîner ! Pourquoi pas une invitation à plonger direct dans son lit ! Il me prend réellement pour une idiote !
Il veut une réponse, il va l’avoir !
Je saisis un stylo dans ma trousse et note au dos de la missive :
Monsieur,
Comme j’ai pu précédemment le dire à la personne chargée de m’apporter votre billet, ma réponse est non.
Sachez aussi que parfois il vaut mieux faire les choses par soi-même.
Je ne signe pas et n’ajoute aucune formule de politesse. Je n’ai pas pour habitude d’agir ainsi ; toutefois, le fait qu’il passe par quelqu’un m’insupporte assez. À lui de comprendre à mots couverts mon message. Manifestement, il est coutumier de ce qu’on lui obéisse en un clin d’œil. Avec moi, il va tomber sur un os.
Je donne l’enveloppe à l’homme qui la saisit dans une courbette, puis il repart dans le couloir où il croise mes amis qui reviennent de l’université après avoir effectué quelques achats sur le chemin pour notre repas du soir. Ceux-ci me rejoignent sur le palier et me demandent ce qu’il se passe. Je leur explique tout. Ils sont d’abord assez surpris par cette façon de faire, puis leur côté moqueur ressort et les plaisanteries fusent face à cette nouvelle mésaventure.
Si nous n’avons pas encore pu visiter quoi que ce soit dans cette ville si riche, le séjour se révèle très intéressant pour eux, surtout en ce qui me concerne. Moi et mon absence de vie sentimentale ! Je me retrouve prise dans une entreprise de séduction assez inédite qui devient pour eux un prétexte pour se gausser un brin de moi. Et manifestement, ils adorent cela !
Nous mangeons les kebabs qu’ils ont achetés, avec des fruits, et après avoir discuté du programme du lendemain, revu certaines de nos notes, nous nous séparons et je me prépare cette fois-ci pour la nuit.
Dehors, il y a toujours autant de bruit, et sans compter la tiédeur ambiante, j’ai le pressentiment que je ne vais pas dormir énormément.
Chapitre 3
Aujourd’hui, nulle conférence n’est prévue pour nous, cependant nous sommes dans l’obligation d’écouter celles des autres dans le but d’en rédiger un résumé à destination de Mme Lapierre. Nous nous partageons les exposés pour ne plus avoir par la suite qu’à réunir nos notes. Nous profitons de la bibliothèque avec l’intention de peaufiner nos travaux et effectuer des recherches demandées par nos collègues. Et aussi, en ce qui me concerne, afin de fureter un brin et dénicher un livre que je ne connais pas, bien que je sois assez fatiguée après une nuit blanche passée à m’interroger sur cette invitation impromptue, ainsi qu’à trouver un peu de fraîcheur.
Dans l’après-midi, de retour à l’hôtel, j’utilise la douche des garçons, puis ceux-ci repartent, me laissant le soin de mettre au propre nos notes et pour que je me repose un peu.
Après un thé vite bu, je m’installe devant mon travail. Même si mon ordinateur portable commence à vieillir, il me rend toujours service, et au moins pour ce type de tâche, il ne rame pas trop.
Je ne vois pas le temps passer, absorbée dans nos notes manuscrites.
À un moment, j’entends frapper à la porte. Imaginant que les garçons, de retour, ont quelque chose à me demander, j’ouvre sans aucune arrière-pensée…
… Pour me retrouver face à lui ! Je m’immobilise.
Il me salue avec déférence, ainsi qu’avec un très large sourire un peu moqueur :
— Bonsoir !
— Que faites-vous ici ? interrogé-je assez rudement, me montrant très impolie.
Ma mauvaise humeur ne semble nullement le troubler, car il me répond avec un calme olympien assez agaçant :
— Eh, bien votre message a été clair. Donc, je suis venu en personne.
Alors là !
J’avais malgré tout espéré qu’il comprendrait que je ne souhaitais pas le revoir. Il ne renonce pas facilement. Désire-t-il jouer à un jeu avec moi dont je ne connais pas les règles ?
— Que voulez-vous ?
— Vous inviter. Je considère que ma lettre était suffisamment intelligible.
Il sourit, mais cette fois-ci avec une touche de charme qui me désarçonne.
— Pardon ? demandé-je.
— Je suis venu afin de vous convier à partager mon repas de ce soir, répète-t-il en détachant bien les mots.
— Mais pourquoi ?
— Je pense qu’il vaut mieux que nous en discutions ailleurs que sur ce seuil, affirme-t-il.
— Non, rétorqué-je.
— Comment ?
— C’est non, je refuse. J’ai du travail et je souhaite me coucher tôt. Alors… Et puis comment connaissez-vous mon adresse ?
— Je n’ai eu qu’à demander au doyen sous un prétexte quelconque. Même si la mention de l’hôtel m’a quelque peu surpris !
— Mon université cherche à faire des économies. D’habitude, ils font appel à un autre établissement, cependant à cette date, il n’y avait plus de place…, expliqué-je.
— Je vois. Mademoiselle, en ce qui concerne mon invitation, ne vous méprenez pas sur mes intentions. Je m’engage à vous ramener de bonne heure.
— Ah oui !
Je dois sûrement avoir l’air d’une idiote ! Pourtant, indubitablement, mon refus l’a déstabilisé. Il ne doit pas être habitué à en essuyer.
— Accordez-moi ce repas. Je vous promets que vous n’avez rien à craindre de ma conduite. J’estime… que vous êtes suffisamment explicite !
Je suis plutôt troublée. Son comportement m’horripile foncièrement. Cette conversation me gêne. J’ai vraiment du mal à comprendre son intérêt pour moi. Pourtant, je suis assez désireuse d’en savoir plus.
Toujours est-il que je ne sais quel petit démon intérieur me pousse à dire :
— Bon, j’accepte.
Il semble soulagé par mon consentement et un sourire franc illumine ses yeux, puis il incline la tête en m’affirmant :
— Je vais veiller à ce que tout soit prêt. Hassan viendra vous chercher dans une heure.
— Ce soir ?
— Je sais que vous n’êtes pas ici pour longtemps, et demain soir, cela ne m’est pas possible.
C’est si soudain, toutefois il est inconcevable que je me dédise.
— Je serais prête.
— Je n’en doute pas. À tout à l’heure.
Il me salue, puis s’engage dans ce couloir à la peinture vieillie et au parquet élimé où sa présence, vêtue d’un pantalon noir à la coupe parfaite et d’une chemise bleue, semble totalement incongrue. Il se retourne au moment où j’allais fermer ma porte pour me poser cette question :
— Ah, au fait ! Mon présent ne vous a pas plu ?
— Celui qui se trouvait dans la boîte ?
— Oui…, hésite-t-il.
— Je ne peux vous le dire, je ne l’ai pas ouverte, déclaré-je.
— Pourquoi ?
— Ma mère m’a toujours dit de ne pas accepter des cadeaux d’inconnus, lancé-je avec ironie.
Il émet un petit rire :
— Je comprends.
Je le vois rejoindre deux hommes qui se trouvent au bout du couloir vêtus de la gandoura de la même couleur qu’Hassan, puisque je suis désormais informée du nom de cet homme.
Je ferme le battant et m’y adosse. Je n’en reviens pas…
J’ai dit oui !
Bon sang ! Dans quoi vais-je me lancer ?
Je dois être pour lui un défi, je ne peux pas expliquer autrement l’intérêt qu’il porte à une petite enseignante de littérature classique française. Sans vouloir me jeter des fleurs, je suis jolie, pourtant je ne l’ai pas toujours été, ayant connu une adolescence fil de fer et appareillage dentaire, et depuis longtemps je sais que je ne réussirai qu’en travaillant. Nonobstant le fait que depuis l’âge de dix-neuf ans, j’ai d’autres préoccupations que ma vie sentimentale… En une soirée, je fais fi de toutes les règles que je me suis fixées depuis tant d’années.
Mais je n’ai pas l’intention de me mentir, je n’ai jamais éprouvé cela. Une telle attirance, une telle manière de ressentir la présence de l’autre. Voire peut-être du manque… Il ne s’agit pas seulement d’une réaction de mon corps, j’ai l’impression que mon cœur et mes pensées sont aussi engagés. Cette prise de conscience est relativement douloureuse. De même que la confusion qui envahit mon esprit. Il faut que j’en parle. Je ne peux pas garder cela pour moi. J’entends un bruit de pas dans le couloir, et la porte qui est située à côté de la mienne s’ouvre : les garçons sont rentrés.
Attendu que mon rendez-vous est pour dans une heure, je me hâte de sortir et d’aller frapper à leur porte. Éric ouvre tout de suite, et aussitôt en entrant je leur narre les derniers faits. J’ai besoin d’avoir leur ressenti et notre amitié est telle que je sais que je peux leur en toucher un mot sans que cela ait une quelconque incidence. Ils ont toujours été là, dans les meilleurs moments comme dans les pires. Je suis aussi sûre qu’ils ne me jugeront pas.
— Tu as accepté ! s’exclame Stéphane, à la fin de mon récit.
— Oui.
— Eh bien, Choupette, t’es mordue, analyse-t-il avec tact.
— Oh, arrête !
— On ne t’a pas vue comme cela depuis l’épisode avec ce crétin, et encore, tu étais beaucoup moins troublée.
— Je fais une bêtise, c’est cela ?
— Pour cela, on verra quand tu seras revenue, déclare Stéphane.
— Je ne vais…
— Nous ne t’avons jamais connue ainsi. Il te plaît, c’est indéniable. Soit, nous sommes au courant des raisons de ton célibat. Mais nous sommes en Égypte, loin de chez toi, de tout ce qui fait que tu t’interdis de nouer une relation amoureuse. Tes études sont achevées, tu possèdes moins de responsabilités. Et cet homme, tu n’auras sans doute jamais l’occasion de le revoir. Alors…
— Vous ne me dites pas de… coucher, d’avoir une aventure, quand même ?
— Tu prendras la décision qui te semble la meilleure. Néanmoins, honnêtement, personne n’est jamais mort d’avoir eu une passade, énonce avec un clin d’œil Stéphane.
— Merci pour le réconfort, rétorqué-je d’un ton boudeur.
— Bon, tu voulais notre avis ! Et franchement, si Laura était présente, elle te déclarerait la même chose. Elle te dirait de profiter, et que, quelle que soit ta décision, cela ne changera pas ce que nous pensons de toi, affirme Éric.
— Et tu vas porter quoi ? interroge Stéphane.
— Rien, comme cela je serai parée à toute éventualité, assurai-je.
— Annie ! s’insurge Éric.
— Bon, ma jupe longue bleu ciel et ma tunique blanche à broderie anglaise. Je compte être moi-même.
— C’est parfait, et en plus la tunique fait ressortir le bleu de tes yeux, m’accorde Stéphane. Mais il va bientôt être l’heure.
— Mon Dieu ! J’y vais…
— N’oublie pas ton portable.
— Bien sûr !
— Allez, fonce. Et s’il y a quoi que ce soit, nous sommes là.
— Je sais.
Je pars pour vite me préparer.
Que suis-je en train de faire ? Cet acte déraisonnable me ressemble si peu. Je réfléchis la plupart du temps à deux fois et, en cet instant, je laisse parler mon cœur et mes envies.
Je m’habille rondement, brosse mes cheveux pour les attacher en chignon, me maquille légèrement.
Lorsque j’entends frapper à ma porte, je saisis rapidement mon sac et ma veste. Hassan est à l’heure, il me salue en s’inclinant, restant silencieux. Je le suis, inquiète et curieuse, et surtout le cœur battant à tout rompre.
Une fois à l’extérieur, je marque une pause, ébahie.
Je ne m’attendais pas à la voiture qui occupe une partie de la chaussée.
Noire, élégante, et très grande.
Hassan me tient la porte de la limousine ouverte le temps que je m’installe à l’intérieur.
Je sens un moment la panique me gagner.
Seigneur !
Tout va bien, Annie. Tu as décidé d’aller dîner avec un milliardaire. Une telle voiture, cela va de soi ! Pourquoi réagis-tu ainsi ? Ce qu’il se produit est tout à fait normal ! Ce genre de chose arrive tous les jours.
Mais j’aurais préféré un véhicule plus… discret !
J’ose à peine m’adosser aux sièges en cuir brun foncé. Un minibar se trouve dans un coin, une tablette et un téléphone. Ma Twingo semble pitoyable à côté de ce véhicule.
Nous cheminons dans les rues, et je peux observer l’activité des Cairotes à travers les vitres opaques. Je regrette de ne pas avoir demandé où nous allions manger. Je m’attends à nombre de choses, néanmoins nullement à ce qui se révèle devant moi à un moment. Je vois avec surprise un port se profiler. Nous sommes au bord du Nil, sur un quai où plusieurs types de bateaux sont amarrés.
La voiture s’arrête.
Chapitre 4
Hassan sort et m’ouvre la portière.
Il m’aide à descendre, puis m’accompagne jusqu’à une passerelle. Je peux observer toutes sortes de bâtiments : des bateaux de croisière, des yachts… Mais ce qui m’intéresse le plus, ce sont les felouques avec leurs blanches voiles triangulaires qui ressemblent à des papillons posés sur les eaux tranquilles.
Je regrette sur le moment de ne pas avoir davantage de temps pour les contempler, car nous nous dirigeons rapidement vers un yacht élégant et assez vaste, sur le pont duquel est tendu un voilage. Lorsque je descends les marches, Kassem me rejoint et s’incline devant moi.
— Merci d’être venue, me salue-t-il.
— Vous vivez ici ? demandé-je, encore surprise par le choix de cet endroit.
— Pas exactement. Le yacht appartient à ma famille, cependant je suis celui qui l’emploie le plus souvent. Lorsque je suis au Caire, j’apprécie de m’y trouver, car c’est calme.
— Il est très beau !
— Vous êtes déjà monté à bord d’un yacht ?
Je fais la moue avant de dire :
— Non, un ferry, une barque, une péniche, mais jamais sur un tel bateau, dis-je en désignant l’ensemble de la main. C’est assez inhabituel pour moi, et je ne connais personne qui en possède dans mon entourage.
Il jette un rapide regard vers moi, toutefois il ne relève pas ma dernière remarque nettement ironique.
— Venez.
Il me guide vers une table dressée à l’occidentale où seuls le tissu chamarré et la vaisselle colorée me rappellent le pays où je me trouve. Il doit noter ma surprise puisqu’il me dit :
— Je ne pense pas que vous soyez au fait des coutumes orientales, par conséquent j’ai envisagé que cela vous rendrait plus à l’aise.
Il me désigne un siège de toile à l’armature en bois sur lequel je prends place. Il s’installe en face de moi, et Hassan, qui se tient à côté de la table, me sert un verre rempli d’un liquide opalescent.
— De quoi s’agit-il ? demandé-je.
— Une sorte de citronnade, légèrement sucrée. C’est très rafraîchissant.
Je saisis le verre glacé et je goûte. En effet, c’est doux, tout en n’étant pas écœurant. Je me retiens de ne pas finir la boisson immédiatement.
— C’est bon ! m’exclamé-je.
Il a un sourire, ravi, puis il m’explique :
— En revanche, si j’ai opté pour un service à l’occidental, ce que nous dégusterons sera oriental. Cela ne vous gêne pas ?
— J’ai déjà eu l’occasion de goûter à des kofta dans un petit restaurant, j’ai apprécié, toutefois, j’ai trouvé cela un peu épicé !
— J’ai demandé à mon cuisinier de veiller à ce que cela ne soit pas le cas. Je connais les goûts des Français.
Je lève un sourcil, mais je me retiens de dire quoi que ce soit. Il se comporte poliment, alors je ne souhaite pas envenimer les choses, même si je reste sur mes gardes. Comme Hassan commence à nous servir un premier plat que Kassem nomme kochari, m’expliquant qu’il s’agit d’un mélange de macaronis, de lentilles, d’oignons frits et de sauce tomate, je me contente de poser cette question :
— Où avez-vous appris le français ?
— Mon arrière-grand-mère.
— Pardon ?
— Mon arrière-grand-mère, Marguerite, était française. Elle a épousé un Irlandais rencontré alors que ce dernier s’était rendu pour vendre des chevaux en Normandie, et elle est partie vivre avec lui. Son fils, mon grand-père, ingénieur, est arrivé en Égypte pour découvrir le fonctionnement d’une oasis et essayer de trouver des solutions pour améliorer la distribution d’eau. Il est tombé amoureux de la fille aînée du Cheikh Omar Ben Khamsin, mon arrière-grand-père. À la mort de son mari, Grand-mère Marguerite n’a pas voulu rester seule en Irlande, et comme elle n’avait plus de famille en France, elle est venue rejoindre son fils ici. Elle nous a enseigné sa langue, car bien qu’elle ait vécu une grande partie de sa vie en Irlande, elle n’a jamais oublié ses racines normandes. Elle a toujours eu du mal avec la nourriture épicée !
Je suis vraiment surprise par ce qu’il m’apprend. Il me regarde avec un sourire discret :
— Eh oui, j’ai un peu de sang français et irlandais dans les veines !
— D’où la couleur de vos yeux ! remarqué-je.
— Ce sont ceux de mon arrière-grand-mère.
— Je vois, l’hérédité fait souvent des choses étranges. En ce qui me concerne, je suis la seule dans ma famille qui soit blonde aux yeux bleus. Une arrière-grand-mère aussi… Mais si j’ai bien suivi votre histoire, vous devriez porter un nom irlandais.
Il hoche la tête :
― O Malley, en effet. Il est présent à l’état civil, cependant il disparaît à l’usage, celui de Ben Khamsin auquel il est adjoint est alors employé.
Je sens soudainement le bateau bouger :
— Que… ?
— Nous allons nous éloigner du Caire pour la soirée. Le Nil y est plus beau. Et ne vous inquiétez pas, nous reviendrons. Il me semble qu’une promenade sur le fleuve sera agréable. Il y fait moins chaud, et cela vous permettra de découvrir ses rives d’une autre manière, m’explique-t-il posément.
— De toute façon, pour le moment, je n’ai pas aperçu grand-chose ! m’exclamé-je.
— Comment cela ?
— À part le trajet entre l’aéroport et l’hôtel, et l’université, ainsi que les petites rues autour de notre lieu de résidence, nous n’avons pas encore pu voir la ville.
— Ah, je comprends…
Pendant que nous discutons, Hassan a débarrassé le plat et nous a apporté des kalaoui – rognons grillés – avec des babaghanous – aubergines écrasées avec de l’huile. Nous mangeons un moment tranquillement, comparant la cuisine française et celle égyptienne. Il me dévoile alors une grande ouverture d’esprit, car il connaît une quantité de choses, même s’il m’avoue avec un sourire en coin qu’il ne cuisine pas. Je me concentre aussi sur la saveur nouvelle de ces plats, et la gourmande invétérée que je suis ne peut qu’apprécier. Il s’agit d’une véritable découverte gustative et mon plaisir doit se lire sur mon visage, puisque mon hôte me demande :
— Vous aimez ?
— C’est particulier, mais cela me convient. C’est très bon.
À bord de ce yacht, nous avançons lentement, et peu à peu l’air se transforme. Il se rafraîchit et porte des senteurs parfumées florales, et d’autres que je ne connais pas, toutefois elles me changent agréablement de celles de la capitale. Les bâtiments sont moindres, devenant plus petits et plus typiques. J’ai envie de regarder cela de plus près, et comme j’ai achevé mon assiette, j’ose m’enquérir :
— Je peux aller voir ?
— Bien sûr.
Il se lève en même temps que moi pour m’accompagner. Lorsque je pose mes bras sur la bordure en bois qui entoure le pont, il fait de même, veillant à conserver une certaine distance. Je me plonge dans la contemplation de l’eau, de la rive, guettant les bruits, observant certains détails plus particulièrement, gravant dans ma mémoire ces instants. Cela ressemble aux photos de mon enfance, avec cette verdure, ces palmiers, ces arbres exotiques dont je ne connais pas le nom, ces champs qui nous encadrent sur les deux berges. Et les roseaux et les papyrus qui ondoient au moindre souffle de vent. Je peux distinguer un vol d’oiseaux. Peut-être est-ce des ibis ? Cependant, je n’ose le demander à l’homme qui se trouve près de moi, hésitant à briser ce silence contemplatif si agréable. Je vois aussi des dromadaires, des chèvres et des ânes. Je ferme les yeux un instant, et momentanément je me retrouve trois millénaires en arrière en imaginant les fellahs cultivant les terres, de hauts dignitaires passant au bord des rives avec leur suite, vêtus de costumes précieux, des pêcheurs ramenant leur filet ou leur nasse… La passionnée de l’Antiquité se réveille en moi, et j’oublie où je me trouve.
Comme je me penche pour regarder mieux le Delta s’esquisser au loin, j’entends alors à côté de moi :
— Attention à ne pas tomber quand même !
Et je sors de ma bulle de rêve antique avec brutalité.
— Pardon ? m’écrié-je.
— Mon pays est rempli de légendes, mais celle du crocodile du Nil n’en est pas une ! Même s’ils se trouvent un peu plus bas. Les eaux paraissent paisibles, néanmoins, elles peuvent aussi être dangereuses pour qui ne les connaît pas. Je souhaite vous ramener entière…
Je secoue la tête, attentive à retrouver ce paysage rêvé. C’est étrange, pourtant la présence à mes côtés de Kassem ne m’importune pas. Au contraire, elle semble presque une évidence. Toutefois, je ne me tourne pas dans sa direction. Au bout de quelques instants, j’entends un soupir venant de lui, et il s’enquiert :
— Vous voulez un dessert ?
— Heu… oui.
Je ne sais pas pourquoi, néanmoins j’ai la certitude qu’il désirait s’informer sur tout autre chose et qu’il s’est rétracté au dernier moment. Sa voix me semble moins assurée. Peut-être est-ce simplement mon imagination ? Il paraît se reprendre et me pose alors cette question, étendant le bras dans un mouvement circulaire pour désigner le paysage :
— Vous aimez ?
— Oui, c’est très beau.
— Bien, j’en suis satisfait. Retournons à table, sinon Hassan va s’impatienter !
Il me saisit doucement sous le bras et me reconduit vers la table qui est débarrassée. Hassan nous apporte le dessert composé d’une coupelle de glace à la vanille et d’ataief, une sorte de pâte farcie aux noix, frite et trempée dans le sirop. Un délice pour les papilles ! Mon beau-frère, Sylvain, un cuisinier de talent qui tient l’auberge de notre village, serait comblé de découvrir cela. Je décline le café, mais accepte le thé à la menthe. J’avais au fond redouté une grande entreprise de séduction, cependant, comme il me l’avait promis, il se comporte correctement, et mon malaise du début a disparu. Alors, toujours quand même un peu dubitative, je me lance pour lui poser la question qui me taraude depuis que j’ai reçu son invitation :
— Pourquoi m’avez-vous invitée ?
Deux yeux émeraude me fixent, et un silence s’impose quelques secondes, qu’il rompt en disant :
— Parce que vous me rendez curieux.
Surprise par cette réponse, je hausse un sourcil :
— Que voulez-vous dire ?
— Je m’explique : je vous envoie une boîte, et vous n’essayez même pas de savoir ce qui se trouve dedans.
Je le coupe :
— Je vous en ai donné la raison.
— Et visiblement, ce qui nous entoure vous perturbe peu. Je vous vois simplement profiter du moment, sans tenter d’en demander plus, et cela m’étonne.
— Je ne suis pas coutumière de…
— C’est ce que je comprends ! s’écrie-t-il avec un geste de la main.
— Donc, vous regrettez votre invitation ?
— Non, pas du tout ! Votre présence est très agréable, très apaisante. Et puis, je suis enchanté de vous faire découvrir mon pays. Vos interventions sont bientôt finies ?
— Éric doit en effectuer une demain, et nous avons des recherches à faire. Toutefois, dans l’ensemble cela avance bien. Dans trois jours, nous partons pour Louxor, où nous allons rester cinq jours, pour suivre des conférences au musée. Nous sommes surtout là pour prendre des notes pour nos collègues. Nous aurons peut-être un exposé à faire, voire deux. Enfin, on verra sur place.
— Louxor ?
— Oui, j’espère que l’on pourra y faire du tourisme.
— Ce qui me surprend aussi, c’est comment une jeune femme a pu faire le choix d’enseigner les langues mortes ?
— Ma mère m’en a donné le goût…
— Monseigneur.
Hassan s’incline devant Kassem et une discussion s’engage en arabe. Mon hôte se lève, puis il me dit :
— Vous m’excusez, j’ai un appel important à faire.
— Oui, bien sûr.
Il disparaît à l’intérieur du bateau. Je repousse ma chaise et me dirige de nouveau vers le bastingage pour ne rien manquer du spectacle qui se déroule devant moi : le soleil couchant commence à étendre ses nuances et fait miroiter les eaux calmes dans un camaïeu de rouge, d’orange et de jaune. Comme mon hôte ne me rejoint pas encore, je m’assois alors sur une des banquettes écrues qui sont disposées à certains endroits pour regarder plus commodément. Petit à petit, l’astre solaire dissout ses lambeaux colorés dans le ciel qui s’assombrit. Je pose ma tête contre le bois du rebord, ferme les yeux et écoute les infimes bruits autour de nous. Le moteur est arrêté. Je suis bien.
Je ne sens pas les bras qui me soulèvent en douceur et qui m’emportent. Je me sens juste entourée par un parfum musqué et rassurant.
Chapitre 5
Un rayon de soleil effleure ma peau. Pour m’en débarrasser, je plonge ma tête dans l’oreiller. Mais brusquement, je me relève, me rendant compte que ce ne sont pas les draps de l’hôtel, car le coton est très doux, dense et parfumé. Très luxueux.
Je m’assois et je regarde autour de moi.
Les murs sont recouverts avec un bois très clair jusqu’au milieu, puis peints dans un bleu ciel très lumineux. Et il y a cette ouverture ronde masquée seulement par un rideau blanc opaque, très différente de la croisée de ma chambre d’hôtel.
Je ne suis pas dans ma chambre.
Où suis-je ?
La mémoire me revient progressivement.
J’écarte le drap et descends du lit, posant mes pieds sur une moquette marron clair, très moelleuse et très épaisse.
À côté de la porte, je peux apercevoir mes sandales, mon sac et ma veste posés sur un fauteuil dont le tissu est du même coloris que la moquette.
Je porte encore mes vêtements d’hier soir, et même s’ils sont froissés, cela me rassure un peu.
Comment ai-je pu m’endormir ainsi ?
Je vais dans la salle de bains adjacente, bleue et grise, pour me passer un peu d’eau sur le visage et ôter les dernières marques de maquillage, m’essuyant ensuite avec une serviette jaune clair au tramage épais. Je profite de la brosse en bois avec une dorure sur le manche pour démêler ma chevelure, puis je veille à bien enlever mes cheveux de celle-ci. Je reviens dans la chambre pour refaire le lit et prendre enfin mes chaussures et mes autres affaires. Je respire un grand coup et je me dis qu’il va falloir sortir de là. Je n’ai pas envie qu’il vienne me chercher, car la situation est suffisamment embarrassante comme cela.
J’ouvre la porte, tendant l’oreille. Je peux entendre des voix qui arrivent d’en haut. Alors après avoir attrapé mes affaires, je m’engage dans le couloir aux boiseries claires, puis je monte l’escalier. Là-haut, la vivacité lumineuse m’aveugle momentanément, très différente de l’atmosphère feutrée d’en bas.
Kassem vient m’accueillir avec un grand sourire :
— Bonjour. J’espère que votre nuit a été bonne ?
J’esquisse un petit sourire en retour, mal à l’aise.
— Bonjour. Comment se fait-il que j’aie dormi ici ?
— Vous vous êtes assoupie sur le pont. J’ai tenté de vous réveiller pour vous remmener chez vous, cependant vous avez murmuré : « Juste encore un peu, je suis fatiguée. ». Alors, j’ai préféré vous porter jusqu’à une des chambres, et vous laisser vous reposer tranquille.
— Mais…
— Et j’ai aussi demandé à Hassan de prévenir vos amis pour qu’ils ne s’inquiètent pas par le biais de votre hôtel. Ils lui ont déclaré que ce matin vous n’aviez pas de travail prévu, et que, de toute façon, ils pouvaient prendre les choses en main. Dès lors, je vous ai laissée dormir en toute quiétude. À bord, il n’y a aucun risque. Un de mes hommes veille toujours sur la sécurité, même la nuit.
Surprise par cette attention, mais aussi assez contrariée qu’il est décidé une telle chose sans que je n’en sache rien, je ne peux que lui dire, ravalant toute autre remarque :
— Merci.
— Bien, Hassan va vous raccompagner. Je ne peux le faire en personne, car je dois partir assez vite pour régler certaines affaires. Toutefois, avant je vous propose de partager mon petit déjeuner.
Il me prend doucement par la main pour me guider vers une table beaucoup plus petite que celle du soir précédent où je peux apercevoir du miel, des pâtisseries, du thé, du café et des fruits. Rien ne manque. Pendant que je m’installe, encore stupéfaite par la tournure des événements, j’entends le moteur se mettre en marche, et le bateau quitte sans à-coups la rive où il avait accosté, pour repartir en direction du Caire. Pourquoi n’est-il pas rentré au cours de la nuit ? J’aurais pu ainsi dormir à l’hôtel, et je m’informe :
— Pourquoi ne sommes-nous pas revenus pendant la nuit ?
— Nous n’avions pas achevé notre promenade, j’ai pensé que le retour vous conviendrait, et puis vous m’aviez aussi dit que vous n’aviez rien de prévu, ainsi que l’ont rappelé vos collègues. En outre, c’est bien plus paisible loin du Caire. Le port n’est pas un des lieux les plus calmes à cause du commerce.
Comme Kassem s’assoit en face de moi, je lui renouvelle mes remerciements. Franchement, je ne sais pas quoi dire d’autre, partagée entre agacement vis-à-vis de cette manière de décider somme toute péremptoire et confusion face à sa prévenance.
— Je respecte toujours mes promesses, sachez-le. Et bien sûr, je vous en avais fait une. Mais tant que j’y suis…
Il met la main dans la poche de sa veste, ensuite il pose sur la table la longue boîte noire rectangulaire que je ne peux que reconnaître.
— C’est pour vous, dit-il posément.
Il la pousse vers moi.
J’avais commencé à napper un petit pain de miel. Je le place dans l’assiette destinée à cet usage pour respirer un grand coup et lui déclarer :
— Écoutez, j’ai apprécié cette soirée.
Je désigne le bateau, puis je continue :
— Ainsi que cette petite croisière sur le Nil, cependant, honnêtement, je ne peux pas consentir à ce type de chose. Je pensais que vous aviez compris.
— Ouvrez, vous déciderez après.
Je saisis, puis j’ouvre l’écrin pour découvrir, reposant sur un lit de satin blanc, un bracelet tout simple, avec une arabesque florale gravée dessus la gourmette. La couleur jaune brillant de la chaîne fine me fait quand même tiquer, et je demande :
— Je ne voudrais pas être désobligeante, mais elle n’est pas en or, n’est-ce pas ?
Il hausse un sourcil, il me semble que son regard étincelle momentanément et que sa voix n’est plus aussi chaleureuse qu’au début de notre conversation lorsqu’il m’affirme posément :
— Je n’ai pas pour habitude d’offrir des cadeaux bas de gamme.
Je referme la boîte, décidée à camper sur mes positions.
Il ne cherche pas à comprendre. J’ai envie de hurler, pourtant je me retiens, et je dis simplement, en adoptant une inflexion affable :
— Désolée, je ne peux l’accepter.
— Mademoiselle…, commence-t-il à dire avec un ton dur.
Tâchant de ne pas me laisser démonter, je continue :
— Il est trop précieux. Écoutez, cela me rend très mal à l’aise. Je vous le répète : le repas, ce trajet, votre hospitalité me suffisent amplement.
Il me regarde intensément. Je me doute que mon refus le déstabilise. Nous vivons dans deux mondes si opposés. Et les femmes qu’il fréquente d’habitude n’attendent que ce type de cadeau de sa part.
— Vous ne mentez pas ?
— Non, pourquoi ?
— Je connais des femmes qui n’auraient aucune excuse à accepter.
— Alors, sachez que je ne suis pas pareille.
Le ton que j’adopte ne souffre aucune faiblesse.
Cessant de m’observer, il reprend la boîte pour la mettre dans la poche de sa veste de costume.
Puis il me dit, d’une voix redevenue plus consensuelle, mais où l’énervement y laisse toujours une note grave :
— Bien, qu’il en soit ainsi. Achevez tranquillement votre déjeuner. De toute façon, nous serons bientôt à destination. Je vous abandonne un instant, j’ai des choses à régler avec Hassan. À tout de suite.
— À tout de suite.
Je suis profondément effarée par son revirement subit, par son comportement tout en retenue et en politesse, bien que j’aie ressenti une soudaine tension à un moment. Car au fond de moi, j’ai encore des doutes. Il semble si différent de l’image véhiculée sur papier glacé, telle que nous avons pu la découvrir sur internet lorsque Stéphane, poussé par la curiosité, a voulu en savoir un peu plus. Les photos que j’ai vues défiler sur l’écran à ce moment-là m’avaient aussi fait prendre conscience de l’abîme qu’il y avait entre nous deux. Et ce que j’avais vécu le soir précédent me l’avait également confirmé. Pourtant, un je-ne-sais-quoi en moi me donne envie d’en apprendre davantage, de connaître ce qui se dissimule derrière cette façade. Quel est son vrai visage ? Le riche play-boy qui distribue des cadeaux ou l’homme prévenant ? Celui qu’il m’a montré ou celui qu’il affiche devant ses conquêtes et amis jet-setter ? Je ne sais que penser. Je mange machinalement et bois le thé à la menthe, ne réussissant pas à faire attention à sa saveur.
Petit à petit, autour de nous, les bâtiments se font de plus en plus nombreux, de plus en plus serrés, et le bruit revient. Nous arrivons devant le port où une limousine et un gros 4X4 noirs sont garés sur le quai.
Kassem sort sur ces entrefaites.
— Vous avez terminé ? s’enquiert-il.
— Oui.
— Bien, alors comme je vous l’ai dit, Hassan va vous reconduire chez vous.
Ce dernier vient se placer à côté de moi.
Je prends mon sac et passe l’anse à mon épaule, puis Kassem me demande :
— Seriez-vous prête à partager de nouveau un repas en ma compagnie dans deux jours ?
— Comment ?
— À moins que vous n’ayez prévu autre chose ?
— Je…
Dans ma tête, ça tourne à toute vitesse. Que dois-je répondre ? Nous sommes ici pour le travail, je ne peux pas lâcher les garçons ainsi tout le temps. Et puis, si j’accepte une nouvelle fois, que pourra-t-il conjecturer de cela ? J’ai des amis, j’ai déjà eu un petit ami, mais avec ce type d’homme riche, rempli d’assurance, et dont je connais la réputation, je n’ai aucune idée de la manière dont je dois prendre cette seconde invitation.
— Annie ?
Punaise ! Il a une telle façon de prononcer mon nom avec cet accent si particulier… J’essaye de faire abstraction de son charme, de ne pas y penser…
Je vais faire une bêtise… Je vais faire une bêtise…
— Je vais voir si mes collègues n’ont pas besoin de moi.
Fichu petit démon intérieur !
— Vous avez un portable ?
— Heu… oui.
— Pouvez-vous me donner votre numéro ? Ainsi je vous appellerai pour connaître vos disponibilités.
Je lui donne mon numéro qu’il écrit sur un carnet extrait d’une des poches de sa veste, ensuite il le glisse de nouveau à l’intérieur.
Alors là, c’est officiel : je suis folle !
Puis sur un dernier salut et un sourire qui confère à ses yeux une lueur particulière – remarquer un tel détail, est-ce un mauvais signe ? –, il s’efface pour que je puisse emprunter la passerelle. Ensuite, après m’avoir dit « à bientôt », il rejoint le 4X4, qui se trouve devant la limousine où me conduit Hassan, dont il a déjà ouvert la porte. Dès que Kassem s’engouffre à l’intérieur du véhicule, celui-ci démarre. Je regarde le véhicule s’éloigner.
— Mademoiselle ?
Visiblement, Hassan s’interroge sur le fait que je ne monte pas encore dans la limousine.
— Oh, pardon.
Je m’installe dans cette voiture et nous partons dans les rues, au milieu de l’embouteillage qui semble permanent dans cette vaste métropole. Cette parenthèse de calme m’a fait du bien et cette nuit dans une cabine fraîche et sans bruit m’a aussi été bénéfique. Je me sens à la fois apaisée et reposée. Au fond, il a eu raison sur le fait que s’éloigner de la capitale ne serait pas une mauvaise chose.
Lorsque nous parvenons à l’hôtel, Hassan me laisse devant, et je reste un instant sur le seuil pour voir disparaître au coin de la rue cette voiture noire. Et je prends conscience soudainement de tout ce qu’il s’est produit.
Bon sang ! Je suis montée dans une limousine, et j’ai vogué sur un yacht d’une blancheur éclatante, assisté à un coucher de soleil sur le Nil.
Une soirée inoubliable, mais qui a quand même un goût amer.
Après un salut au propriétaire, je gravis l’escalier sur ce constat en demi-teinte.
J’ai à peine mis ma clé dans la serrure que la porte voisine s’ouvre.
Chapitre 6
— Alors ? m’enjoint Stéphane, avec un clin d’œil, pendant qu’Éric me prend par la main pour me guider vers leur chambre.
— Quoi alors ? rétorqué-je, désirant un tantinet le faire mariner.
— Eh bien…
Il fait mine de se crocheter les deux index.
— Stéphane Vigouroux ! m’écrié-je.
Comment peut-il imaginer cela ? Soit, je ne suis pas non plus prude, mais il me connaît suffisamment pour savoir que ce premier pas, j’ai du mal à le franchir. Je suis trop vieux jeu, et j’ai besoin de plus. Et jusqu’à maintenant, cela n’a pas été le cas.
— Mais non, pas du tout ! m’insurgé-je.
— Vous n’avez pas… ? demande-t-il.
— Non. Je me suis bêtement assoupie sur le pont du bateau et il m’a laissée dormir dans une cabine, c’est tout !
— Un bateau ? interroge Éric.
Il jette un regard à Stéphane qui lui fait un clin d’œil, en étouffant un petit rire.
— Oui, nous avons dîné à bord d’un yacht, et nous nous sommes promenés sur le Nil.
— Eh bien ! s’écrie-t-il, me contemplant d’un air étonné. Lors de son appel, il nous a dit que tu t’étais endormie, mais rien de plus ! Une croisière sur le Nil ? Eh bien, ça, c’est de la drague !
— Bon, je crois que j’ai assez perdu de temps. Pour résumer, j’ai passé une très belle soirée, et si vous voulez en savoir plus, il m’invite après-demain pour de nouveau dîner avec lui. Je pense accepter. Et je vous le répète, il n’est rien arrivé. Nous avons du travail. Nous sommes venus ici pour cela et je suis la responsable de tout. Donc, je me change, et au boulot !
Sur cet éclat, je sors de leur chambre pour aller dans la mienne et je claque la porte violemment.
Je les adore, seulement ils peuvent parfois être exaspérants, voire pénibles.
J’enlève mes vêtements froissés, puis je me rafraîchis un peu au lavabo. Je préfère éviter de les solliciter pour prendre une douche afin de ne pas essuyer une nouvelle rafale de questions, me doutant que dès que j’ai tourné le dos, ils ont dû se lancer dans moult extrapolations sur cette nuit. J’enfile un pantalon fluide noir et une tunique en lin écru sans manche, j’attrape mes notes et je reviens dans la chambre des garçons.
À voir mon visage fermé, ils me connaissent suffisamment pour ne pas m’interroger plus amplement et nous pouvons donc nous mettre au travail immédiatement.
Nous consacrons cette matinée à nos recherches et l’après-midi nous allons à l’université pour qu’Éric puisse œuvrer à son tour. La journée s’achève sur nos sandwichs habituels. Pour le lendemain, nous décidons d’aller faire une excursion dans les vieux quartiers qui ne sont pas si éloignés d’où nous nous trouvons à pied, afin de faire un peu de tourisme.
Je me couche, mais je suis loin de penser à notre prochaine expédition.
Je songe à Kassem.
Cet homme me trouble infiniment, et je m’interroge vraiment sur cette invitation, car j’ai le pressentiment qu’il ne m’a pas tout dit lorsque je me suis enquise de la raison pour laquelle il m’avait conviée. Oui, il m’intrigue, et j’ai envie d’en connaître plus sur lui. Et par-dessus tout, je veux faire le point sur ce que j’éprouve pour lui. Ce que j’espère, et cela je ne peux me le cacher, c’est que la nouvelle invitation me permettra de le faire. Si elle a lieu…
Aujourd’hui, la journée est belle, nous n’avons rien de prévu et nous pouvons enfin visiter cette ville.
Quand nous avons demandé à Hussein de nous guider, il a accepté avec plaisir, heureux, lui aussi, de fuir un tantinet l’université pour cette matinée. Il se révèle un très bon guide que ce soit dans le souk, où il nous permet d’effectuer des affaires, nous faisant découvrir les véritables artisans, ou encore lorsque nous explorons les vieux quartiers. Il est dommage que nous ne puissions pas plus emporter de souvenirs, néanmoins je ne me retiens pas pour prendre des photos. Hussein nous donne beaucoup de détails concernant l’architecture et nous délivre des anecdotes. C’est une journée très agréable, malgré la chaleur. La senteur des épices, les étoffes colorées – j’achète d’ailleurs des étoles pour moi et mes sœurs, et une paire de babouches pour mon frère Tom – la vaisselle, les objets en cuivre, les vieilles pierres qui, si elles pouvaient parler, nous diraient tant de choses… des réminiscences odorantes et visuelles…
Nous prenons notre repas de nouveau dans le petit restaurant où nous avions déjà déjeuné, et en cette occasion je tente un des plats dégustés sur le yacht, mais la version épicée me surprend un peu. Puis nous nous rendons tous les quatre à l’université pour écouter une nouvelle intervention.
Le soir venu, Kassem n’a toujours pas téléphoné.
Je ne sais trop que penser, même si j’ai pu comprendre qu’il est de parole. Alors…
Le lendemain matin, Hussein nous organise avec un ami un transport aux pyramides de Gizeh, étant donné que celui-ci doit y faire une livraison. Nous partons très tôt, un brin anxieux. Allons-nous être déçus ?
Nous montons dans une vieille voiture qui a dû être marron dans sa jeunesse, mais dont l’épaisse couche de sable dissimule pour une grande part sa couleur. Son coffre est encombré de paquets divers. Pourtant la gentillesse de l’ami d’Hussein nous met à l’aise. De plus, il adopte une conduite nettement plus souple que celui du taxi que nous avions pris à l’aéroport et sa voiture ne fume pas. Du moins, pas trop.
Mohamed nous laisse sur le parking pour effectuer sa livraison en nous demandant de ne pas trop nous attarder.
Depuis le début du trajet nous n’attendions que cela et nous guettions, comme des enfants, de les voir apparaître.
Et là, devant elles, l’émotion nous submerge.
Nonobstant la ville du Caire, si proche, à cause de l’urbanisation galopante qui dérobe une portion de désert et les rend moins solitaires dans cette immensité, ainsi que le smog que nous pouvons discerner autour de la capitale, nous oublions tout. Nous ne voyons qu’elles et leurs pics pointés vers le ciel. Khéops, seule parmi les sept merveilles du monde qui subsiste et dont nous parle Hérodote, attire mon regard même si les trois ensembles forment un tout indissociable et très organisé, ainsi que les plus petites. Ces pierres, bien qu’elles ne soient plus recouvertes de la couche de calcaire blanche d’origine, demeurent impressionnantes. Et le sphinx me fascine. Sur le moment, je me souviens de ces vignettes d’Astérix où l’on aperçoit Obélix en casser le nez et le ranger dessous… Lorsque je relate cette pensée à mes compagnons de route, cela les fait rire. Nous ne pouvons pas nous approcher, néanmoins nous ne nous lassons pas de les contempler. Pourtant, nous aimerions pouvoir en découvrir davantage, même si nous savons qu’actuellement il est de mise de faire attention aux dégradations que les visites incessantes produisent sur ces monuments qui semblaient si forts, mais qui ne sont plus que des colosses aux pieds d’argile.
En tout cas, nous sommes heureux de nous retrouver devant ce paysage plurimillénaire. Le désert autour de nous, malgré le tourisme assez envahissant, nous enchante. Nous faisons photo sur photo, cherchant à conserver un souvenir, et pas seulement dans nos têtes.
Mohamed ne peut malheureusement pas trop attendre, et nous le rejoignons vite, le remerciant. Il nous remmène à l’hôtel, faisant quelques haltes en route pour déposer des paquets. Dans la chambre des garçons, nous grignotons rapidement pour nous rendre ensuite à la bibliothèque. Toutefois, après cette excursion, nous avons réellement du mal à nous mettre au travail avec efficacité, les images de ces monuments étant toujours dans nos têtes. Dans ces conditions, nous déambulons aux alentours du grand groupe de bâtiments, puis nous nous installons à l’ombre sur un banc.
Chapitre 7
Nous sommes en pleine discussion lorsque mon téléphone se met à sonner. Je m’éloigne un peu d’eux pour prendre la conversation, mais pas assez pour ne pas remarquer entre les deux garçons un échange de regards.
— Oui ?
Une voix reconnaissable entre toutes, avec cet accent si particulier, résonne.
— Mademoiselle Clément, c’est Kassem.
Bon, essaye de ne pas trop montrer dans ta réponse que tu es quand même heureuse de l’entendre. Tiens, adopte ton intonation professorale.
— Oh ! Bonjour.
— Bonjour, je vous appelle au sujet de mon invitation. Êtes-vous disponible ce soir ?
Sa voix paraît nerveuse. C’est étrange. Redoute-t-il mon refus ?
— Nous allons finir vers dix-neuf heures.
— Est-ce que je peux venir vous chercher vers vingt heures trente ?
OK, ma fille, tu as un choix à faire…
— Oui, cela ira.
Je crois entendre un soupir au téléphone. Est-il soulagé de mon acquiescement ? Pourtant quand il me répond, sa voix est rieuse et je n’y décèle aucune trace de son trouble.
— Alors à ce soir !
— À ce soir, répliqué-je dans un souffle.
Je referme le clapet. Je n’en reviens pas d’avoir encore pris cette décision irréfléchie avec tant de promptitude, et surtout sans me poser de question.
Bien, ma fille, tu y es !
Stéphane doit remarquer ma tête, car il me demande avec une voix qui dissimule mal une pointe d’inquiétude :
— Annie, ça va ?
— Oui.
J’ai accepté !
— Qui était-ce ?
— Kassem.
— Le cheikh ? s’étonne Éric.
— Oui.
Décidément, à part des monosyllabes, je ne suis pas capable de sortir autre chose… ce qui rend Stéphane encore plus curieux :
— Que voulait-il ?
— Savoir si je serai d’accord pour dîner avec lui ce soir. Je vous ai déjà parlé de son invitation.
Stéphane a un sourire digne du Chat dans Alice au pays des merveilles, et j’ai la vague impression que s’il le pouvait, il se frotterait les mains !
— Et ?
— J’ai dit oui.
Je m’assois.
— Bon sang ! Je suis en train de faire quoi ? dis-je en me prenant la tête entre les mains.
Non mais c’est vrai ! Nous sommes ici pour le boulot, et moi je tombe sur un homme qui me plaît, et je décide de lui accorder un rendez-vous ! Et même un deuxième ! Mon Dieu, mais qu’est-ce qui me passe par la tête ?
— Annie, ça va, il n’y a pas mort d’homme. Tu as juste accepté de dîner une nouvelle fois avec lui. Veille seulement à ne pas t’endormir cette fois-ci, suggère Stéphane, avec un sourire moqueur et une intonation nettement ironique.
Je me contente d’émettre un petit son inarticulé.
— Allez rentre, douche-toi, fais-toi belle. Et nous on se débrouille ! me conseille Éric.
— Je ne peux pas toujours vous laisser tout faire !
— Choupette, tu es une bosseuse, cependant tu n’as plus rien à prouver à quiconque dans notre domaine. Pour une fois, oublie tes responsabilités, et je suis sûr que ni Lyne ni Tom ne te reprocheraient quoi que ce soit. Tu as le droit de vivre un peu ! Pour l’occasion, cette après-midi, profite, et prends un peu de temps pour toi !
— Mais…
— Il n’y a pas de « mais ». Nous sommes assez grands pour nous débrouiller tous seuls. Nous prendrons les notes et ferons ce qu’il y a à faire.
— Je suis responsable…
— Tu n’as pas confiance en nous ? s’insurge-t-il, mimant un air offusqué.
Je lève un sourcil :
— Si…
— Bon, cesse de trouver des excuses, et fais ce que l’on te conseille. Dois-je te rappeler ce qu’il t’est arrivé lorsque nous avons passé l’Agrég’ ?
Je secoue la tête. Il sait appuyer là où cela fait mal.
À la fin de ce concours, j’étais tellement fatiguée que j’avais failli en tomber gravement malade et risquer un séjour à l’hôpital. Mon oncle m’avait alors trouvé une retraite dans un couvent du Midi de la France pour me ressourcer et faire un point sur ma vie pendant quinze jours, avec pour consigne de ne pas lire quoi que ce soit en rapport avec le travail : romans sentimentaux, broderie, aquarelle avaient été au programme. J’en étais ressortie plus reposée et plus forte, et en ayant conscience que j’avais des limites. Une petite piqûre de rappel ne faisait pas de mal de temps en temps.
— J’y vais…
— Choupette !
— Oui, Stéphane ?
— Amuse-toi bien !
Il ponctue sa phrase d’une œillade remplie de sous-entendus.
Il est vraiment impossible !
Je récupère mes affaires sur le banc et pars en direction de l’hôtel. Là, je prends la clé des garçons et je me douche chez eux. Puis je retourne dans ma chambre pour terminer mon après-midi au calme, en lisant un livre, paisiblement. Lorsque mes deux amis rentrent, je leur restitue leur clé en les remerciant.
Peu avant vingt heures trente, j’entends frapper à ma porte. Je saisis mon sac et ouvre le battant pour me retrouver avec stupéfaction en présence de Kassem :
— Vous ?
Son sourire s’élargit en disant :
— Bonsoir. Nous devons bien dîner ensemble, non ?
— Pardon, bonsoir. Mais je pensais que ce serait Hassan qui viendrait, et…
— Il m’attend dans la voiture. Vous êtes prête ?
— Oui.
Je prends vite ma veste sur la chaise et je referme la porte derrière moi.
Ce soir, il est vêtu d’un polo blanc et d’un jean stone, ce qui ne manque pas de me surprendre. Même si ses vêtements doivent être d’un grand créateur, cette simplicité m’étonne, sans compter que je trouve qu’il a un charme fou, une démarche souple et… Je ne peux que soupirer.
Il m’entend sans doute, car il me demande aussitôt :
— Tout va bien ?
— Heu… oui.
Pourvu qu’il ne m’ait pas vu en train de le regarder. Bon Dieu, ma fille, calme-toi ! Je sais que tu es célibataire depuis très longtemps, mais là… mesure tes pensées.
Il m’aide à entrer dans la voiture et prend place à son tour sur la banquette tout en conservant un espace suffisant entre nous deux.
— Où allons-nous ? demandé-je, alors que le moteur démarre.
— J’ai supposé qu’un nouveau repas sur mon yacht vous plairait, cependant cette fois-ci nous voyagerons dans l’autre sens. Cela vous convient-il ?
— Oui…
Mon téléphone se met alors à sonner.
— Excusez-moi.
Je suis prêt à l’éteindre, cependant il me murmure que je peux répondre et que cela ne le gêne pas. Je jette un coup d’œil au numéro de mon interlocuteur avant de m’exprimer :
— Oui, Tom.
— Mention très bien avec les félicitations du jury !
— Comment ?
— J’ai eu mention très bien avec les félicitations du jury.
— Bon Dieu !
Kassem me regarde, surpris probablement par mon exclamation.
— Tu as tes résultats ? m’enquiers-je.
— Depuis ce matin. J’ai essayé de te joindre avant, mais c’était impossible.
— Je sais, cela ne capte pas toujours, et mon ordi rame pour me rendre sur ma messagerie. C’est génial, mon grand. Je suis fière de toi !
— Ouais, j’ai aussi fait mieux que toi. Si je ne m’abuse, tu n’as eu que mention bien !
— Ça va…
— Je fête cela avec les potes ce soir.
— Je m’en doute. Vous vous y rendez comment ?
— Eh bien… en voiture.
— Non.
— Mais si.
— Non. Je pense que vous n’allez pas vous contenter de boire seulement du jus d’orange.
— Nanou ! C’est le bac !
— Donc, si tu veux avoir mon autorisation pour y aller, vous devrez être emmenés par un adulte, et de même pour le retour.
— Décidément, vous vous êtes consultés avec Sylvain, râle-t-il.
— Pourquoi ?
— Ben, il se propose de venir nous chercher quand nous aurons achevé la soirée, et le père de Kevin va nous conduire à la boîte de nuit.
— Parfait, cela me convient tout à fait. Fais attention alors. OK, c’est important de fêter cela, mais j’ai quand même envie qu’il ne t’arrive rien pendant le trajet. Tu n’as ton permis que depuis peu !
— Nanou…
Je coupe très vite ses récriminations :
— Bon, bisou mon grand, et encore toutes mes félicitations. Je suis fière de toi !
— Bisou sœurette.
Je referme mon portable, néanmoins, comme une idée traverse mon esprit, je le rouvre vite, et compose le numéro de mon beau-frère.
— Oui, répond-il aussitôt.
— Sylvain, c’est Annie.
— Qu’y a-t-il ?
— Tout va bien. Je suis désolée de te déranger, mais Tom vient de m’appeler pour me donner ses résultats et m’avertir du fait qu’il allait fêter cela avec ses copains. Je souhaitais juste vérifier qu’il ne m’avait pas menti en me disant que des adultes s’occuperaient du transport. Je connais aussi sa façon de conduire !
— Ah, ne te fais aucun mouron. M. Martin les porte, et j’irai les chercher. Nous avons tout prévu.
— OK, je suis rassurée. Tu sais comment il peut être, je craignais qu’il ne me dise un mensonge pour que je ne me fasse pas de souci ! Et sinon, pour Hélène, tout va bien ?
— Oui, cela fait deux jours qu’elle ne vomit pas.
— Bien !
— Bon, je te tiens au courant pour les petits gars, dit-il pour me rassurer.
— Merci, à bientôt.
Je referme mon téléphone, plongée encore dans mes conversations. Regardant autour de moi, je me rends alors compte que la voiture est arrêtée et que nous nous trouvons devant le quai. Kassem attend la fin de mes appels en silence.
— Oh, pardon !
Il secoue la tête :
— Ce n’est pas grave.
Il ouvre la portière, descend le premier, puis reste à côté pendant que je sors à mon tour du véhicule, et referme derrière moi.
— Cela avait l’air important, déclare-t-il.
— Mon frère a eu son bac, il va fêter cela avec des amis, et je préfère vérifier que l’on viendra les chercher, car ils boiront peut-être un peu trop d’alcool !
— Je vois ! Mais vos parents ne peuvent pas s’en charger ?
Je donne une réponse assez lapidaire :
— Mes parents sont morts il y a sept ans.
Il me regarde intensément.
— Désolé.
Il doit noter mon malaise, parce qu’il me conduit aussitôt vers la table où le couvert est déjà posé.
— Venez, installons-nous.
J’entends le moteur ronronner, et en effet le bateau part dans le sens contraire de la dernière fois. La ville diminue en densité. Nous mangeons dans un silence qu’il rompt seulement pour m’expliquer les plats, puis il me pose ces questions :
— Vous avez d’autre famille que votre frère ? J’ai cru comprendre que vous parliez d’une sœur ?
— Oui, j’ai un frère et deux sœurs. Hélène attend un bébé, et tout à l’heure, j’ai téléphoné à mon beau-frère. Il y a aussi des cousins, cousines, oncles, tantes, et grands-parents. Ma mère avait sept frères et sœurs, et mon père cinq. Cela fait donc une grande famille.
— Oui, en effet.
Je lui demande à mon tour :
— Et vous ?
— Vous avez eu l’occasion de voir mon frère Khalid, et j’ai également deux petites sœurs. Ils sont issus du deuxième mariage de mon père. Venez, il y a un monument que je pense susceptible de vous plaire un peu plus loin.
Nous nous levons et nous accoudons au bastingage. Autour de nous, des felouques évoluent. Je remarque aussi cette barque exiguë à bord de laquelle un homme pagaie avec ses mains. En fait, je suis sûre que ce paysage doit ressembler à celui d’il y a trois mille ans. À un moment, il me désigne un petit bâtiment, m’expliquant qu’il s’agit d’un temple, en me renseignant sur sa fonction entre autres, montrant une culture sur son pays assez importante.
Nous demeurons quelques instants, comme la dernière fois, à observer les ruines qui défilent devant nous, puis Kassem me prend la main avec douceur. Il pose un doigt sous mon menton pour m’obliger à le dévisager.
Et je me sens happée par son regard. Quelques secondes passent, les yeux dans les yeux. J’ai entendu parler de ces instants hors du temps. Et celui-ci en est un…
— Monseigneur !
Kassem ferme les paupières et pousse un soupir, en faisant retomber sa main le long de son corps.
— Hassan nous attend pour servir le dessert, dit-il. Dans sa voix, une note d’émotion est perceptible.
Ce moment s’achève brusquement et le retour à la réalité est brutal. J’ai ressenti un tel bouleversement intérieur. Une certitude que j’ai pu toucher du doigt. Peut-être que je peux espérer… Je m’assois, encore ailleurs, et nous dégustons en silence une glace à la vanille nappée d’une sauce parfumée à la cannelle. Puis Hassan débarrasse, apporte le thé, Kassem lui dit quelques mots en arabe, et nous sommes de nouveau seuls. Kassem tend sa main par-dessus la table, paume ouverte, et je sens son regard peser sur moi. Je ne sais que faire. Je lève les yeux vers lui et me perds dans ses prunelles. Le sourire qu’il fait lorsque je pose ma main dans la sienne éclaire ses iris émeraude.
— Le hasard fait parfois bien les choses, dit-il.
— Pardon ?
— Si l’on m’avait dit que je rencontrerais une charmante jeune femme dans un aéroport, je ne l’aurais pas cru ! Vous êtes à part, vous savez ?
— Comment cela ?
Il secoue la tête et sort sa main de dessous la mienne, puis il se lève pour aller s’accouder au bastingage. Je le regarde un moment, il semble tendu. Alors je le rejoins, encore indécise sur ce que je dois faire. Nous restons côte à côte. Soudain, je sens sa paume se placer dans mon dos, et délicatement il me tourne vers lui. Ensuite il se penche vers moi. Dans l’émeraude de ses yeux des étincelles dansent, et je ne vois que cela. Son odeur musquée m’enveloppe, me retient. Et lorsqu’il pose sa bouche sur la mienne, je ne peux que répondre, me laissant porter.
J’entends seulement ces mots chuchotés à mon oreille :
— Venez.
Doucement, il me prend la main, puis nous descendons l’escalier.
Je sais ce qu’il va se passer, mais je suis dans l’instant. Je m’abandonne. Dans le couloir, nous ne croisons personne, et nous nous dirigeons vers une porte qu’il ouvre, puis une fois dans la pièce, il me serre contre lui.
J’ai la sensation d’être envoûtée.
Chapitre 8
Il y a un nouveau baiser où je ressens une grande force.
Blottie contre lui, je suis bien.
J’ai l’impression d’être à ma place.
Ce baiser me fait chanceler. Je n’ai jamais connu cela. Intense et passionné. Je me sens partir. Je remarque à peine qu’il me soulève pour me mener jusqu’à un lit très moelleux, plongée dans la profondeur de cette étreinte. Et les gestes qui suivent me perdent complètement. Je ne perçois que ses mains sous ma tunique, sur ma peau. Douces. Ce parfum musqué me cerne, m’entête. Ses paumes se faufilent sous ma jupe, remontent délicatement. Il sait exactement de quelle manière agir pour me faire basculer, pour produire dans mon corps une chaleur enivrante.
À un moment, j’ouvre les yeux, et je croise les siens, fiévreux, étincelants. Je prends conscience de ce que je suis en train de faire…
Cela me ressemble si peu. M’abandonner de cette façon, tout oublier. Je ne peux pas… Cela va trop vite… je le repousse doucement.
— Non, murmuré-je.
Ses yeux montrent leur incompréhension face à ce refus soudain.
Je lui dis un peu plus fort :
— Je suis désolée.
Il s’écarte de moi :
— De quoi ?
— Je ne peux pas aller plus loin.
Il se lève, et me regarde : les étincelles qui dansent dans ses prunelles sont dorénavant celles produites par la colère.
— Ainsi, vous êtes semblable aux autres, constate-t-il dans un murmure où l’amertume se fait percevoir sous l’irritation.
— Je…
— Partez donc.
Il m’indique la porte, se détournant de moi.
— Kassem…
— Je pensais que vous étiez différente, mais vous jouez au même jeu. J’ai commis une erreur. Hassan va vous remmener.
— Kassem, laissez-moi vous expliquer. Je n’ai…
— Suffit ! enrage-t-il.
Il ouvre la porte hargneusement, et je l’entends donner des ordres en arabe avec force, puis il me prend la main pour me conduire dans le couloir, avec quand même de la douceur malgré son courroux inattendu et referme la porte derrière lui.
Je ne sais plus quoi faire.
Je ne comprends plus rien.
Mais aussi pourquoi a-t-il réagi avec tant de virulence ?
Je vois venir à moi Hassan, tandis que j’entends les moteurs se mettre en marche. S’il constate ma mine défaite et ma rougeur, il ne fait aucune remarque. Il m’accompagne le long du couloir, silencieux, ensuite une fois en haut, je prends place sur une des banquettes, serrant mon sac contre moi, ne parvenant pas à profiter du paysage paisible qui se déroule devant moi. Je n’ai pas la tête à cela. J’espère aussi que Kassem va me rejoindre, et que nous pourrons discuter de cela, afin que je puisse lui fournir des éclaircissements, lui faire comprendre que je ne me livrais à aucun jeu, lui expliquer que mon refus était seulement guidé par le fait que cela allait trop vite… Pourtant le voyage s’achève, et rien ne se produit. Hassan ne tente pas de me parler, même s’il reste auprès de moi. Que peut-il penser de cela ? Rien dans son attitude ne laisse deviner ses sentiments. Il n’y a aucune insensibilité à mon égard, juste de la réserve.
La ville se profile, je trouve de plus en plus que ma veste ne me protège pas de la fraîcheur ambiante. Et surtout de ce froid intérieur qui commence à m’envahir. Cependant, à quoi pouvais-je m’attendre d’autre ? Il pensait que j’irais plus loin, seulement je ne suis pas arrivée à dépasser mes appréhensions. Soit, je savais qu’il était un play-boy, je me doutais au fond de ce qu’il se produirait, et une grande partie de moi en avait envie. Toutefois, tout est allé si vite ! Enfin, j’ai eu quelques moments de rêves… Je vais les garder au chaud, et passer à autre chose…
Le quai est là et une voiture est prête. Nous accostons en douceur.
— Venez, je vous raccompagne, dit Hassan avec gentillesse.
Il fait un geste pour me prendre mon sac, mais je secoue la tête en signe de refus, la conservant baissée. Alors il me laisse descendre la passerelle, restant derrière moi, puis il m’ouvre la portière, néanmoins, il ne tente pas quoi que ce soit pour m’aider à monter. Je m’assois sur la banquette machinalement, le regard fixé devant moi.
Je n’arrive toujours pas à comprendre la réaction plus que vive de Kassem, et notamment qu’il ne m’ait pas accordé le temps de m’expliquer.
Je me sens au bord des larmes, et je ne cherche pas à les retenir. Le flot salé qui s’écoule sur mes joues m’aide à évacuer une partie de ma douleur, toutefois je sais que cela va être difficile pour moi de m’en remettre. Lorsque Quentin avait rompu, j’étais tellement bouleversée par la mort de mes parents, par les responsabilités qui me tombaient dessus que cela ne m’avait fait ni chaud ni froid, et puis… Je n’éprouvais pas la même chose pour lui. Ce n’était pas aussi intense.
Lorsque nous arrivons devant l’hôtel, je n’attends pas qu’Hassan vienne m’ouvrir la portière pour sortir, après avoir essuyé toute trace de larmes sur mes joues. Je préfère laisser tout cela derrière moi très vite. Tête basse, je chuchote rapidement un au revoir, et je rentre dans l’hôtel, ne faisant pas attention à son appel. Je ne vais pas chez les garçons. Je n’ai pas envie de parler de cela, et je sais que je ne leur dirai rien.
J’ai besoin d’être seule.
D’oublier.
Je me couche sur le lit. Habillée.
Au réveil, je ne sens que l’oreiller mouillé sous ma tête.
J’éprouve des difficultés à me lever.
J’ai mal aussi. Mais je dois tourner la page. Avancer. Toutefois, je suis consciente que sortir cette histoire de ma mémoire sera long.
Un coup est frappé à ma porte.
Je n’ose pas répondre, redoutant de montrer la tête que je dois avoir.
— Annie !
Je reconnais la voix de Stéphane.
Je me mets debout, me dirige vers le battant, puis tourne la clé, ensuite je reviens vers le lit où je m’assois en tailleur.
Stéphane entre et lorsqu’il découvre ma mine, il me demande aussitôt avec gentillesse, comprenant qu’une plaisanterie serait de mauvais aloi :
— Ma puce, ça va ?
— Je ne veux pas en parler…
— Ton rendez-vous, c’est cela ? Que t’est-il arrivé ?
Son intonation est pressante, avec une nuance anxieuse.
— Rien, j’ai tout gâché, c’est tout.
Éric se montre sur le palier.
— Eh bien, Choupette ! Que se passe-t-il ?
Je me lève et lisse machinalement mes vêtements froissés, pour affirmer d’une voix qui ne veut pas trembler :
— Écoutez, on va être clair. Je ne désire plus en parler. On va terminer notre travail ici, aller à Louxor, et une fois en France, je ne souhaite entendre aucune allusion à ce qui m’est arrivé. D’accord ?
Mes amis se regardent. S’ils meurent d’envie d’en apprendre davantage, ils me connaissent aussi suffisamment pour comprendre que, vu mon air, ce n’est pas le moment.
— OK, concède Stéphane.
Il s’approche de moi et me dit en plongeant ses yeux gris dans les miens :
— Cependant, si jamais tu changes d’avis, nous serons là.
— Je sais.
Il me sourit, et Éric intervint :
— Bien, alors tu vas te doucher et prendre tout le temps que tu veux. Cela te fera du bien. Après rejoins-nous… et nous travaillerons.
Je hoche la tête, attrape ma veste, mon nécessaire de toilette et des vêtements, puis je pars dans la chambre des garçons.
La douche me fait un bien fou ! Je laisse ruisseler l’eau, mais celle-ci n’enlève pas tout…
Allons, Annie, reprends-toi !
Je respire, m’habille et je passe dans ma chambre. Ils sont tous les deux là, et Éric vient me serrer contre lui. Puis Stéphane s’exclame :
— Bon, un petit déjeuner, et au boulot !
Je ne vois pas le reste de la journée s’écouler. Et le lendemain non plus.
Une dernière conférence, un au revoir à Hussein, et nous faisons nos bagages.
Dans le taxi, je ne regarde pas la ville. Elle me laisse un tel goût amer.
Chapitre 9
À l’aéroport, je suis toujours dans un état d’esprit semblable. Les garçons ne pipent mot et me laissent en paix. J’ai l’impression d’agir comme un automate.
Pendant le vol, je conserve mon mutisme. Même me rendre à Louxor n’y fait rien, alors que je rêve de cette ville depuis si longtemps !
Lorsque nous sortons de l’aéroport, la langueur me quitte un peu. La lumière qui nous accueille est belle. Nous sommes loin de la pollution du Caire, de cette oppression que j’y ai subie. Cette cité me paraît plus humaine.
Le chauffeur de taxi est plaisant et son véhicule beaucoup plus confortable que celui du Caire. Notre hôtel est également une heureuse surprise, nous apportant cette fois-ci un grand soulagement. Pour touriste, il est neuf, simple et confortable. Et par-dessus tout, nous bénéficions d’une chambre chacun, et d’une salle de bains individuelle. Je m’octroie d’office celle avec une baignoire. Non mais ! Oui, un bain chaud, c’est ce dont j’aurai besoin lorsque cette journée sera achevée ! Nos repas du soir seront consommés sur place, ainsi que le petit déjeuner, ce qui nous facilitera bien les choses.
Nous nous rendons au musée où se dérouleront les conférences, et nous y passons le reste de l’après-midi, ne résistant pas à la perspective de le visiter comme il n’y a rien de prévu ce jour-là et que le travail ne commence que demain. Thèbes était si importante. Nous prenons notre temps pour observer ces vieilles pierres si impressionnantes, ces objets plurimillénaires et ces statues. À l’hôtel, nous mangeons assez tôt un très bon repas mi-couleur locale mi-occidental, et ce n’est qu’une fois dans ma chambre, dans ce bain chaud, moussant et parfumé que je m’étais promis, que je repense à Kassem.
Cette histoire avortée.
Même si je m’étais abandonnée dans ses bras, serais-je mieux dans ma tête ? La passion seule aurait-elle suffi à me satisfaire ? Vivre une aventure, cela me rassemble si peu. J’attends plus, je le sais. Je veux croire que le futur me réserve quelque chose d’agréable. Et puis je suis encore tutrice. Bien que je ne risque plus grand-chose des services sociaux, je me dois de conserver un comportement exemplaire, et cette impression de n’avoir pas droit à l’erreur est toujours ancrée en moi. Je sais que depuis que j’ai accepté ces responsabilités de tutrice, j’ai aussi décidé de faire le sacrifice de ma vie de femme, toutefois cela devient compliqué avec les années. J’ai beau adorer les petits, et assumer mon choix, la solitude me pèse. J’aimerais pouvoir partager cela avec quelqu’un, avoir une épaule sur laquelle me reposer. Et je viens d’en avoir la preuve. Face à l’attirance, et à quelque chose de plus intense, j’ai du mal à lutter. Enfin, heureusement je ne suis pas si vieille que cela. Encore trois ans…
J’ai pourtant senti un lien s’installer entre cet homme aux yeux verts et moi. J’ai eu l’impression que cela pouvait déboucher sur quelque chose de plus beau, de plus fort, malgré toutes nos différences.
Certes, il est milliardaire, cheikh, Égyptien et moi enseignante, fille de paysan, les pieds bien enracinés dans ma Dordogne natale. Néanmoins, au cours de nos échanges, j’ai remarqué chez lui une certaine ouverture d’esprit, une volonté de partager et de faire oublier sa richesse. Il avait été un compagnon agréable. Mais au fond peut-être ne s’est-il intéressé à moi qu’à cause de cela justement ? J’étais une nouveauté ! Il a trouvé avec moi une petite chose très éloignée des mannequins ou des autres femmes qu’il a l’habitude de fréquenter, peut-être moins facile, une femme différente de son univers coutumier. Et avec moi, il a touché le gros lot ! Aucune publicité ! Qui pourrait me croire ? Je suis si quelconque.
Pourtant une part de moi n’adhère pas à ce scénario. J’ai du mal à imaginer un tel manque de respect venant de sa part, une si grande malhonnêteté à mon égard. Il y a eu de la sincérité de son côté. Assez importante d’ailleurs. Il a vraiment recherché ma compagnie. C’est un homme de parole, aussi inflexible avec lui-même qu’avec les autres, mais également si tendre…
Et il y a cette attirance physique envers lui, comme une attraction tellement évidente qu’elle semble inéluctable, et pas seulement d’ordre charnel. Je ne peux oublier notre premier échange de regards. C’était si intense. Semblable à une reconnaissance mutuelle. Je suis sûre que lui l’a ressentie de son côté, sinon pourquoi aurait-il cherché à me revoir ainsi ? C’était plus qu’un coup de foudre.
Jamais avec Quentin cela n’avait été si limpide ni avec aucun de ceux que j’ai pu rencontrer après…
Et cette façon de me sentir bien auprès de lui, en sécurité, en confiance, inexplicablement. Je n’ai jamais éprouvé cela ! Pourquoi tout cela s’est-il achevé sur une telle amertume, sur ce malentendu ? Pourquoi… ?
Je sors du bain, qui au cours de mes réflexions s’est sensiblement refroidi, je m’essuie et enfile un de mes vieux tee-shirts en coton. Cette nuit sera infiniment plus reposante que la nuit dernière, même si je veux toujours savoir pourquoi il m’a repoussée de cette manière.
Les deux jours qui suivent s’écoulent vite. Nous sommes plongés dans le travail et les interventions sont réellement intéressantes. Beaucoup de conférenciers sont logés dans le même hôtel que nous, les deux soirées se prolongent donc assez tard entre discussions et plaisanteries. Nous élargissons notre cercle de connaissances dans notre discipline et nous sommes aussi ravis de rencontrer des sommités dans le domaine de l’Antiquité. Certains étaient d’ailleurs intervenus au Caire. Comme nous sommes encore non titulaires, nous recevons des propositions de travail, toutefois les garçons ne souhaitent pas quitter la France. Pour ma part, je suis partagée. S’opposent mes responsabilités familiales et mon envie de découvrir autre chose. Mais seule, cela peut devenir complexe. Pourtant cette idée de vivre quelque chose de différent m’a toujours attirée…
Enfin…
C’est aussi lors de ces deux premiers jours que j’apprends que Lyne a eu son Brevet avec une mention très bien, mais mon portable faisant des siennes, je ne peux pas discuter plus amplement avec elle. Malgré tout, j’ai été heureuse d’entendre sa voix. Ils me manquent.
Ou est-ce ce voyage qui commence à être trop long ? Ou encore les conséquences de ce que j’y ai vécu ? Voire peut-être ce regret que je vais rapporter en France qui me donne cette impression ? Je me sens d’humeur mélancolique.
Aujourd’hui, nous avons travaillé toute la matinée, et après un repas rapide, nous nous promenons un peu dans la ville. À un moment, j’attends sur un banc les garçons qui sont entrés dans une boutique pour acheter des souvenirs pour leur famille. Je suis bien à l’ombre des hibiscus dont les fleurs mauves bougent sous le souffle léger de la brise et leur odeur musquée et florale me cerne.
Chapitre 10
— Mademoiselle Clément !
Cette voix, j’en ai des frissons dans le dos. Et je prends enfin conscience que cela fait trois jours que j’espérai l’entendre, que j’aspirai à l’entendre, à le revoir.
Et c’est ici, à Louxor… Je me retourne.
Un regard émeraude me fixe, intensément. Je ne sais comment réagir, mais j’arrive quand même à glisser un « bonjour Monsieur » d’une petite voix, malgré mon trouble. Cela semble le surprendre, des étincelles s’allument dans ses yeux, mais je vois aussi apparaître sur son visage, de manière fugitive, comme un voile de tristesse.
— Vous êtes donc à Louxor ? s’enquiert Kassem, d’une voix inhabituelle, où le masque d’assurance se craquelle un peu.
J’essaye d’avoir une intonation plus forte lorsque je lui réponds :
— Oui, comme c’était prévu.
Son regard quitte le mien pour observer les alentours.
— Vos amis ne sont pas avec vous ? me questionne-t-il.
— Si, ils ne devraient pas tarder à me rejoindre. Ils font quelques emplettes dans la boutique.
— Ah, je vois. Je me permets de vous présenter mon cousin Djalil Ben Khamsin.
L’homme brun, qui se tient à côté de lui, s’incline devant moi. Je trouve son attitude un peu moqueuse. Est-il au courant pour moi et Kassem ? Enfin, de notre rencontre, de ce qui aurait pu être. Étant donné que pour le reste…
— As-salam alaykom[1], je suis enchanté, mademoiselle.
Son accent est plus déclaré que celui de Kassem, mais son français est tout autant correct. Toutefois, il y a en lui une certaine arrogance qui me laisse perplexe, pourtant, il est plein d’amabilité lorsqu’il me demande :
— J’espère que vous vous plaisez ici ?
— Oui, merci.
Il lance un coup d’œil à son cousin, et j’ai le sentiment d’un échange muet entre eux, car le dénommé Djalil se tourne vers moi et me dit simplement :
— Au plaisir de vous revoir !
De la gentillesse perce dans ses derniers propos, alors que je ne réussis qu’à esquisser un sourire pour répondre. Kassem me jette un étrange regard où je crois lire du regret, puis il passe à côté de moi et s’éloigne. Je suis des yeux les deux hommes en costumes, blanc pour Djalil et bleu marine pour Kassem, lorsqu’ils se dirigent vers une limousine garée sur le côté.
Lorsque je l’aperçois monter dans la voiture, je ressens un manque.
Pourquoi ai-je cette réaction ?
Le revoir devant moi, aussi beau, aussi imposant, et croiser ce regard vert si intense, cela a remué trop de souvenirs. Cette rencontre n’est pas encore assez lointaine, et je suis convaincue que tant que je resterai en Égypte, elle ne s’effacera pas. Les larmes me montent aux yeux, mais je tâche au mieux de refréner cette émotion. Après tout, je suis en pleine rue, cela n’a pas lieu d’être. Pas pour le moment.
Que peut-il penser de moi dorénavant ?
Quand les garçons me rejoignent, ils ne peuvent que voir la tristesse qui émane de mon visage. Ils se regardent et face à la question pleine de sollicitude d’Éric, je leur explique rapidement la rencontre inopinée.
Je n’ai pas besoin d’en dire plus pour qu’ils comprennent que je suis troublée plus que je ne l’admets. Sans attendre, nous retournons à l’hôtel. Je désire être un peu seule, seulement c’est sans compter sur mes deux meilleurs amis et leur notoire entêtement à se mêler de ma vie, ou à vouloir rattraper le fait qu’ils n’aient énoncé aucune allusion à cela pendant les deux jours précédents.
Contre toute attente, cela m’apaise de les voir à mes côtés alors que j’ai du mal à désenchevêtrer les fils de mes émotions. Stéphane, avec diligence, me prépare un thé qu’il sucre.
— Tiens, cela te réconfortera, dit-il en me tendant le gobelet.
Je le prends, la chaleur est bienfaisante et se diffuse lentement, m’aidant à m’apaiser.
— Merci, mais je vais bien, le rassuré-je.
— Bon, alors passons aux choses sérieuses ! Ma puce, nous ne savons pas ce qu’il s’est produit la dernière fois que tu l’as vu, et nous avons respecté ton souhait de ne pas aborder le sujet, pourtant depuis tu es mal. Il y a comme une cassure en toi. Tu vas nous dire ce qui ne va pas. Ce type, ce que tu éprouves pour lui, c’est fort, profond. Sinon, tu n’aurais pas cette mine. Ce n’est pas seulement une aventure. Tu es amoureuse, c’est cela ? me demande Éric en s’accroupissant devant moi, en tapotant mon genou.
Décidément, ils me connaissent très bien !
— Je pense, murmuré-je. Et le revoir aujourd’hui n’arrange pas les choses. Mais je vais rebondir. Vous savez, je suis solide. Il faut juste… que cela passe.
Stéphane se penche vers moi :
— Viens que je te fasse un petit câlin !
Il me serre contre lui :
— Tu vas tenir le coup ?
— Oui. S’il vous plaît, on peut parler d’autre chose ?
— OK, rassemblons toutes nos notes, réagit sur-le-champ Éric.
Et cette séance de travail me permet – momentanément – de me reprendre et d’oublier cette rencontre. Nous mangeons rapidement, puis je retourne dans ma chambre, laissant les garçons continuer la conversation avec nos collègues. Moi, je n’en éprouve aucune envie. Là, une fois le battant clos, je revois ce regard d’émeraude, si dur, si insondable, et cette nuance douce que j’ai cru relever lorsqu’il s’est détourné de moi.
Je me sens seule d’un coup.
Malheureuse.
Amoureuse.
Je me brosse les cheveux longuement. Cela m’aide toujours à réfléchir, mais en cet instant, mon esprit est fermé. Brusquement, j’entends toquer à ma porte. Que veulent encore les garçons ?
J’ouvre.
Et j’aperçois Hassan sur le seuil. J’ai à peine le temps de le saluer, que ce dernier me tend aussitôt une lettre avec un léger sourire sur les lèvres :
— Bonsoir, Monseigneur m’a demandé de vous apporter cela.
— Mais comment avez-vous découvert que je loge ici ?
J’ai l’impression pendant quelque temps qu’il ne va pas me répondre, puis il me dit en définitive :
— Louxor est une petite ville, et nous… avons appelé tous les hôtels susceptibles de convenir. Monseigneur m’a alors envoyé.
S’avisant que je ne tente pas de saisir la missive, il ajoute :
— Je reviens dans quelques minutes pour connaître votre réponse.
— Heu, bien.
Je prends le pli, et sur une inclination du chef, il part dans le couloir où je le vois prendre place sur une banquette, dans un coin.
Mon cœur bat à tout rompre. J’ai l’impression de revenir une semaine en arrière.
Je referme la porte derrière moi, tournant et retournant l’enveloppe dans ma main. Je vais m’asseoir sur le lit et je la décachette. Ce que j’y lis m’étonne énormément :
Annie,
Je m’excuse tout d’abord pour mon comportement de cette après-midi, je ne m’attendais pas à vous revoir, même si je savais que vous deviez être à Louxor ces jours-ci. Et vous apercevoir dans cette rue, seule, m’a surpris. C’était si inopiné !
Serait-il possible de nous revoir afin que nous discutions ? Je pense que nous avons beaucoup de choses à nous dire. Je regrette ce qu’il s’est passé au Caire, je regrette d’avoir mal compris certaines choses, d’avoir mal interprété votre refus. Peut-être demain soir ?
Quelle que soit votre réponse, je vous renouvelle mes excuses.
Kassem
Je la relis, estomaquée. Dans ma tête, cela tourne à toute vitesse. Je ferme les yeux un instant, et je réfléchis.
Ma décision est vite prise. J’aspire à en savoir davantage. Je veux le revoir. Je souhaite tirer un trait définitif sur cette histoire, mais je désire que cela soit fait comme il faut, avec toutes les explications nécessaires.
J’ouvre la porte.
Immédiatement, Hassan vient me rejoindre.
— Merci de lui dire que je suis d’accord, dis-je doucement.
Pour la première fois, je remarque un sourire franc sur les lèvres de cet homme. Il me remercie avec chaleur et tourne des talons rapidement. J’attends qu’il disparaisse avant de fermer le battant.
J’ai toujours la lettre dans ma main.
Demain soir, je le reverrai.
Je me fais l’impression de redevenir une adolescente qui va se rendre à son premier rendez-vous. Je me sens fébrile, sur mon petit nuage. Je suis aussi soulagée, car tout ne pouvait pas s’achever sur cette méprise.
Je m’endors assez heureuse et pensive.
Au matin, lorsque nous prenons notre déjeuner ensemble, je leur parle de la visite d’Hassan, du message de Kassem, sans leur donner de plus amples détails.
— Et tu vas y aller ? demande Éric.
— Oui, je souhaite comprendre pourquoi il a réagi ainsi. Nous nous sommes quittés sur un malentendu, et peut-être que cela me permettra aussi de tourner la page.
— Bien, tu sais ce que tu dois faire, affirme-t-il.
— Et si nous allons bosser ? Je te rappelle Choupette que tu as une intervention cette après-midi. Alors on se concentre sur notre travail et on passe à autre chose ! Décidément, tu ne tombes pas souvent amoureuse, mais là, cela va nous distraire du boulot si nous nous étendons trop ! On a autre chose à faire ! s’exclame Stéphane, avec un sourire ironique.
Je secoue la tête face à sa mauvaise foi, car c’est bien lui qui veut en apprendre davantage, et je riposte avec laconisme, ne préférant rien dire de plus qui lui donnerait l’occasion d’en ajouter :
— Je sais.
Il éclate de rire et enchaîne :
— Bon, pour récupérer le temps perdu, nous t’avons préparé trois-quatre trucs hier soir.
— Merci !
Éric me tend quelques feuilles rédigées avec son écriture serrée, limite pattes de mouche.
— Bon sang, tout cela ! m’exclamé-je.
— Ben oui, on a fait au mieux. M. Aubert nous a transmis quelques documents par mail, mais on ne peut pas faire des copies papier.
— Je peux plutôt lire les documents directement sur ton ordinateur ?
— OK, vas-y. On verra cela dans la chambre.
Nous achevons notre repas, et nous revenons à la chambre d’Éric, qui m’ouvre son portable et sa boîte mail. J’attrape son ordi et m’installe sur le lit, avec à proximité de moi mon bloc pour prendre des notes. Et je m’absorbe dans ce sujet. C’est pour cette raison que j’ai choisi d’enseigner à l’université. La recherche, l’analyse, les découvertes, c’est ce que j’apprécie le plus. Et il est vrai aussi que notre travail en Égypte a été très enrichissant et nous a donné une expérience considérable pour la suite de notre carrière, de belles rencontres, et une certaine reconnaissance malgré notre jeune âge.
Les garçons m’assistent et cela avance.
Nous partons pour la conférence, nous arrêtant pour manger quelque chose sur la route. Mon exposé se passe sans heurt. Mes deux amis sont à côté de moi, et nous pouvons répondre aux questions selon nos domaines. Je suis assez satisfaite du déroulement de ces jours. On a fait du bon travail.
Pourtant, une fois sortie du lieu de réunion, je me mets à redouter l’arrivée du soir.
Et ce rendez-vous.
Je prends un peu de repos dans un parc contigu au musée, pendant que les garçons restent encore sur place. J’aime bien Louxor, plus que Le Caire. Ici, c’est plus petit, et malgré le tourisme, j’y suis à l’aise, je me sens moins oppressée. Et il y a aussi cette proximité avec le désert : si je sais qu’une escapade à l’intérieur n’est pas possible, le voir de loin m’enchante.
Je m’assois sur un banc, devant une fontaine, avec un livre dans la main, profitant de ce moment de calme, et de mes derniers jours dans ce pays.
— Mademoiselle Clément ?
Je lève la tête.
Un homme brun me sourit. On dirait… Mais il est cette fois-ci habillé du costume traditionnel, et j’ai des doutes. Il doit comprendre mon indécision, car il me dit :
— Djalil Ben Khamsin, vous vous rappelez ?
Derrière lui, un homme vêtu de cette gandoura brune, que je connais bien, semble épier tous mes gestes et ce qu’il se passe autour de nous.
— Oui, bien sûr.
Sans façon, il vient s’asseoir à côté de moi. Si la dernière fois, il avait brillé par son attitude hautaine et moqueuse, présentement, il a un visage sérieux.
— Je suis heureux de vous trouver ici, seule.
Je l’observe, stupéfaite. Que me veut-il ?
— Pourquoi ? demandé-je, méfiante.
— Je souhaite vous parler, explique-t-il.
— À quel sujet ?
— Mon cousin.
— Écoutez, je ne vois pas pourquoi…
Je me lève en ajoutant :
— Excusez-moi, mais je suis convaincue que cette discussion n’a aucun lieu d’être et je préfère m’en aller. Au revoir.
— Mademoiselle, je sais que vous devez le voir ce soir, dit-il calmement, se mettant debout à son tour, tentant de m’apaiser en posant sa main sur mon bras.
Je déplace mon bras de manière à lui faire comprendre qu’il doit ôter sa paume, et je lui rétorque sans me soucier de le froisser :
— Et vous allez sûrement me signifier de ne pas y aller !
— Non, c’est plutôt l’inverse.
Je me rassois, complètement dépassée.
— Alors là, je ne comprends pas !
— Je ne sais pas tout sur vous deux, étant donné que Kassem n’est pas du genre à se confier. Mais je le connais bien, et depuis quelques jours il nous a été possible de voir qu’il a changé. Il est taciturne, triste. Cela ne lui ressemble pas. Après que nous vous avons rencontrée, j’ai souhaité en apprendre davantage, car j’ai ressenti un tel malaise entre vous deux ! Il m’a alors parlé de votre rencontre au Caire, sans être trop explicite, comme il en a l’habitude, toutefois j’ai compris qu’il s’était produit quelque chose d’important qui vous concernait également. Par conséquent, non, je ne vais pas vous dire de ne pas y aller. En revanche, si vous n’aviez pas accepté, je vous aurais plutôt conseillé le contraire.
— Qu’attendez-vous exactement de moi ? m’enquiers-je, ayant du mal à saisir ce qu’il souhaite vraiment.
— Rien, dit-il en penchant la tête sur le côté. Je suis juste curieux de voir comment les choses vont se finir, laissant son attitude moqueuse refaire surface sous cette phrase assez sibylline.
Il émet un petit rire, puis s’incline devant moi :
— À bientôt sans doute.
Et il s’éloigne.
Je m’attendais à beaucoup de choses, mais pas à cela !
Que cherche-t-il au fond ?
Et que lui a appris exactement Kassem sur notre histoire ? Espérait-il que j’en dévoile davantage ?
J’ai alors le pressentiment que cette soirée va se révéler pleine de surprises.
Chapitre 11
Les garçons me rejoignent. Je garde pour moi cette rencontre particulière et nous discutons, profitant de la douceur de ce lieu en déambulant.
Depuis notre arrivée à Louxor nous avons l’impression d’être presque en vacances, car nos journées sont moins chargées, et nous passons beaucoup de temps dehors. Ici, la pollution est moins présente et nous nous sentons à l’aise. À l’hôtel, je prends une douche et me prépare. Si Kassem ne m’a pas donné d’heure précise, je préfère ne pas être surprise par une arrivée impromptue.
Peu avant sept heures, j’entends un coup à la porte.
Je saisis mon sac, mon étole achetée au Caire, et je retrouve Hassan sur le palier. Nous sortons de la ville dans une berline luxueuse. Je remarque que nous nous dirigeons vers les quartiers aisés. Nous nous arrêtons au bord d’un mur, puis Hassan me conduit à une cour dallée assez exiguë, après que nous avons franchi un épais battant de faible hauteur, où une petite fontaine coule en son centre avec un son très musical et doux. Au fond, je peux distinguer une porte en bois foncé, pleine, avec un heurtoir ouvragé, qui s’ouvre.
Kassem m’accueille avec un grand sourire, néanmoins il dégage une certaine réserve perceptible dans la raideur de son corps.
— Bonsoir !
— Bonsoir.
Il s’efface pour me laisser entrer dans une pièce spacieuse au sol pavé d’un carrelage magnifique. Des arabesques s’entremêlent avec des fleurs dans un camaïeu de vert et de bleu. Un vaste divan recouvert d’un tissu brun moiré occupe tout un côté. Je distingue contre les cloisons des carreaux identiques à ceux qui se trouvent sous mes pieds, toutefois, dans un aspect plus géométrique, le reste du mur étant blanc. Et de petites ouvertures, ressemblant aux moucharabiehs, apportent de la lumière. Des carreaux chamarrés sur le haut envoient au sol des carrés multicolores et mouvants. Sur un côté, une porte arrondie est en partie occultée par un rideau aux nuances similaires à celle du divan, et je peux discerner un couloir qui dessert plusieurs battants. Sur une ancienne table basse en bois des plats sont disposés, recouverts de cloches, avec autour des coussins de couleur bleu ciel, le même bleu ciel qui orne le plafond. Dessous, un tapis aux tons éclatants est étendu.
Face à mon mutisme, Kassem m’interroge :
— Tout va bien ?
— Euh, oui, excusez-moi, j’observais les lieux. C’est très beau.
— Ce sont mes appartements. Nous sommes ici chez mon père.
— Chez votre père ?
— Et pour tout vous dire, au début du siècle dernier cette partie était celle consacrée au harem.
— Comment ?
C’est quoi ce nouveau truc ? Où suis-je tombée ?
Je ne peux que faire un mouvement de recul. Il laisse échapper un petit rire face à ma réaction, et m’explique :
— Mon grand-père n’en a jamais eu besoin, mon père encore moins, et, il y a une dizaine d’années, nous avons décidé de transformer cet endroit en trois appartements. Mon frère occupe l’autre côté, et celui du milieu est réservé aux invités. Venez vous asseoir.
Il pose doucement une main dans mon dos pour me guider vers la table, et lorsque je m’assois – toujours troublée par cette allusion –, j’ai l’impression d’être sur un nuage, tellement les coussins sont moelleux. Il enlève les cloches de plats en disant :
— J’ai opté pour des plats tout prêts, car je ne souhaitais pas que nous soyons dérangés.
Je ne sais que répondre, et devant mon mutisme, il continue :
— Tout d’abord, je tenais à m’excuser.
— Je…
— Non, écoutez-moi. Je mesure toute ma responsabilité dans l’échec de notre dernière rencontre, et j’ai eu à votre égard le comportement d’un… comment dit-on en français déjà ? Oui, c’est cela : d’un mufle, j’ai eu l’attitude d’un mufle. Je me suis mal conduit, tirant des conclusions trop hâtives et qui m’ont amené à me montrer impoli à votre égard. Cela ne se reproduira plus.
Je secoue la tête, partagée entre soulagement et embarras face à ses propos :
— Kassem, ne vous inquiétez pas pour cela.
Il place sa main sur la mienne, et du bout du doigt délicatement posé sous mon menton, il me fait comprendre qu’il faut que je le regarde. Ses yeux sont doux. Très doux. Le temps se suspend un instant avant qu’il ne rompe le silence en disant :
— Si, je vous ai blessée. Et lorsque je vous ai revue hier, je me suis rendu compte de cela. Dans la façon dont vous m’avez regardé, j’ai lu une vérité qui m’a fait mal. Je ne désire plus vous blesser. J’aspire à ce que nous repartions sur de nouvelles bases, et que vous profitiez de ce repas. Mais avant je veux vous demander quelque chose, dit-il avec un air enjoué.
— Quoi ?
— Avez-vous eu l’occasion d’aller voir le spectacle son et lumière à Karnak ?
— Non.
— Je souhaiterais vous y emmener demain.
— Écoutez, je ne trouve pas que ce soit une bonne idée.
— Pourquoi ?
— Je m’en vais dans deux jours. Alors, je suis heureuse que nous ne nous quittions pas sur l’épisode de la dernière fois, mais je pense qu’il ne faut pas… Enfin…
J’ouvre ma main dans un geste qui se veut révélateur de mes difficultés à m’exprimer.
Son regard s’adoucit et il me surprend profondément lorsqu’il énonce :
— Et si je vous propose que nous continuions à nous voir ?
— Mais je viens de vous dire que nous partons bientôt !
— J’ai très bien entendu… Néanmoins si je trouve des solutions…
— Je ne comprends pas…
— Bien, dînons, et nous verrons par la suite.
Le repas commence en silence. Je ne parviens pas à le rompre. Dans ma tête tout s’embrouille. Où souhaite-t-il en arriver ?
— Annie ? m’interpelle-t-il.
— Oui ? m’enquis-je d’une petite voix.
— Ce repas ne s’achèvera pas comme au Caire. Je peux vous le promettre. Je me suis abandonné à l’emportement là-bas, avec aussi une grande part de frustration, d’incompréhension. Je n’ai compris qu’après votre départ que j’étais allé trop vite. Et je m’en veux des accusations que j’ai portées à votre égard. J’aurais dû vous laisser vous expliquer ainsi que vous avez tenté de le faire. Mais sur le moment, j’ai eu l’impression d’avoir été floué, que vous vous étiez moquée de moi. Je me suis comporté comme un véritable idiot. Et puis, je n’ai pas pour habitude…
Il cesse de parler, pour me sourire avec franchise, et je m’enquiers, voulant en savoir la raison :
— Quoi ?
— Que l’on résiste à mes charmes, dit-il avec un clin d’œil.
J’éclate de rire. Au moins, ces paroles ont le mérite non seulement de clarifier les événements, mais aussi de détendre l’atmosphère, et je ne peux m’empêcher d’ajouter :
— Pourtant, je ne trouve pas que j’ai beaucoup résisté. Et puis, je suis ici ce soir.
— En effet, et je vous en remercie. Pour lors, dorénavant, Hassan me sourit, c’est plus sympathique.
— Pardon ?
— Cela faisait quatre jours qu’il me faisait la tête, ne discutait plus avec moi, et j’avoue que ce silence était plus qu’agaçant. Il vous estime beaucoup, vous savez ?
— Pourquoi ?
Il hausse les épaules avant d’expliquer :
— Parce que vous n’hésitez pas à dire ce que vous pensez de moi ou à me dire non. Et visiblement, mon cousin vous apprécie également.
— Mais il m’a à peine vue !
Je n’ose pas lui parler de l’étrange conversation que nous avons eue lors de notre entrevue, souhaitant éviter de commettre un lapsus, ne sachant pas s’il lui a touché un mot sur notre entrevue.
— Djalil est jeune, mais il est déjà un bon juge des personnes, et il se trompe rarement. Enfin, jusqu’ici, le repas vous convient ?
— Tout à fait.
— Vous appréciez Louxor ?
— Oui, honnêtement, je m’y sens nettement mieux qu’au Caire. Je ne veux pas être trop critique, mais pour moi, c’est une trop grande ville, et la pollution… Bref, ici, je trouve cela plus calme, plus humain, ajouté-je.
— Moi aussi, pourtant l’endroit où je me trouve le mieux, c’est dans le désert.
Je ne peux que me sentir interpellée par la manière dont il prononce ce mot :
— Comment cela ?
— J’ai une oasis où je vis la plupart du temps. Je n’étais au Caire que pour y régler quelques affaires pour ma famille. Khalid y est avocat, et y réside beaucoup plus souvent. Louxor est avant tout la ville de mon père, moi c’est le désert. Vous ne pensiez pas cela de moi ?
Je hausse les épaules :
— Je ne sais pas. Vous êtes pourtant habitué au confort, non ?
— C’est vrai, mais là-bas, c’est réellement chez moi. Vous savez, j’ai des goûts simples. Vous aussi, n’est-ce pas ?
— Oui, mais je ne roule pas en limousine ni ne voyage en yacht ! rétorqué-je, ne pouvant m’en empêcher.
Son rire résonne dans la pièce.
— En effet ! Mais ce ne sont que des moyens de transport. Et puis notre famille a un rang à tenir. Pour demain soir, le spectacle, vous seriez d’accord ?
— Je ne sais pas… Toutefois, il est clair que c’est tentant.
Je finis par dire après un moment de réflexion :
— Oui, pourquoi pas !
— Bien. Dans ce cas, je viendrai vous chercher, puis nous souperons dans ce lieu. Sauf, si vous préférez que cela se passe ailleurs, dans un restaurant par exemple.
— Non, c’est très bien ici.
Il m’explique alors de quelle manière le spectacle se déroulera, y étant allé un grand nombre de fois depuis son enfance et ne s’en lassant pas. Nous nous mettons d’accord pour un horaire, j’espère seulement que cela ne posera pas de problème pour les garçons, et je lui en parle.
— Vous les connaissez depuis longtemps ? m’interroge-t-il.
— Depuis le lycée. Nous avons une passion commune pour l’Antiquité, et comme j’ai un an de moins qu’eux, ayant sauté une classe en primaire, ils m’ont en quelque sorte pris sous leurs ailes, et depuis nous travaillons ensemble. Cela fait maintenant douze ans que nous nous sommes liés.
— Ce ne sont que des amis ?
— Oui, c’est une véritable amitié. Éric va bientôt être papa, sa compagne attend un bébé pour l’automne, et Stéphane vit avec son compagnon depuis trois ans. Cela ne vous choque pas, j’espère ?
— Non, pas du tout. Quand, on vous voit, on sent une réelle complicité.
— En effet, et cela nous permet de bien travailler ensemble.
Il hoche la tête, puis me demande en montrant mon assiette :
— Vous avez achevé votre repas ?
— Oui.
Il se lève, empile les assiettes et les plats, puis il les pose au bout de la table, ensuite il vient s’asseoir à côté de moi. Je le regarde, surprise, mais je n’ai pas le temps de réagir qu’il se penche vers moi, et son baiser m’empêche de songer à autre chose.
Bon sang, quelques jours sans le voir, sans sentir son parfum, et je replonge… !
Mais ce soir, il ne profite pas de mon émotion et interrompt assez vite son baiser. Puis, je l’entends murmurer :
— Je ne me lasserai jamais de cela.
Que veut-il dire ?
— Pardon ?
Il me regarde et secoue la tête :
— Je vous remmène, il vaut mieux.
Il se déplace vers un téléphone mural et entame une conversation en arabe, puis il revient vers moi et dispose mon étole sur mes épaules, me donne mon sac, ensuite nous nous dirigeons vers la porte. Hassan arrive à ce moment-là, et nous partons dans la limousine. Le voyage s’effectue en silence. Kassem me tient par la main. Je suis bien et je contemple cette ville sous le ciel nocturne.
Quand nous sommes parvenus devant l’hôtel, il descend en même temps que moi et me raccompagne jusqu’à ma chambre. Les membres du personnel que nous croisons semblent surpris par sa présence auprès de moi. J’aurais dû l’envisager : Kassem doit être connu ici. Mais lui ne paraît nullement s’occuper des regards qui se posent sur nous. Une fois face à ma chambre, il s’incline puis prend congé :
— À demain soir.
— À demain.
Un dernier sourire, et il s’en va.
Je referme la porte doucement, ensuite je m’adosse contre elle. Un léger sourire danse sur mes lèvres et mon cœur est apaisé.
Je le reverrai demain soir…
Au matin, j’avertis les garçons au sujet de ma sortie du soir. Ils paraissent stupéfaits.
— Tu es sûre que tu veux prolonger cette histoire ? demande Éric, visiblement dubitatif.
— Oui, et puis ce sera la dernière fois que je le verrai, alors…
— Choupette, t’es une grande folle. Mais là, je ne sais plus quoi te dire.
— Par conséquent, ne dis rien et laissez-moi faire ce dont j’ai envie. On part après, et tout sera terminé.
Je soupire et me tais un instant pour reprendre :
— Bien, je crois que nous avons du travail.
Éric et Stéphane se regardent :
— Si tu préfères, dit Éric, comprenant que je veux changer de sujet, car pour moi celui-ci est clos.
La journée passe, et nous profitons de l’après-midi pour voir dans le musée ce que nous n’avons pas été en mesure de découvrir à notre arrivée.
Puis le soir arrive. Je suis impatiente. J’ai envie de profiter de cette ultime soirée.
En outre, je suis remplie d’appréhension.
Et lorsqu’à la porte j’entends frapper, je tente de ne pas avoir l’air de me précipiter.
C’est Kassem qui se tient sur le seuil, aussi élégant que de coutume malgré un jean et une chemise. J’ai revêtu pour l’occasion une tunique écru manche trois-quarts et un pantalon noir fluide.
— Bonsoir.
— Bonsoir.
Je prends mon sac et le rejoins.
Devant l’hôtel, il n’y a pas de limousine de garée, mais un 4X4. Kassem doit noter ma surprise, car il me dit :
— C’est plus discret qu’une limousine pour se rendre au spectacle.
— Plus discret !
Relativise ma fille, un gros 4X4 noir est plus discret qu’une limousine pour lui !
Il m’ouvre la porte et m’aide à monter dans ce véhicule haut sur roues. Puis nous démarrons. Nous roulons dans les rues pour finalement quitter la ville, et de loin, je vois se dessiner les ruines de Karnak.
Et je comprends le choix de Kassem.
Sur le parking, il y a des bus, des taxis, et des véhicules du même type que le nôtre. Nous pouvons donc passer inaperçus, ou plutôt le Cheikh Kassem Ben Khamsin peut être un spectateur incognito.
Il y a ce fossé entre nous, et je l’ai encore oublié.
Mais j’abandonne cette idée derrière moi pour me laisser embarquer par ce spectacle fascinant.
J’oublie tout le travail de mise en scène pour me plonger dans la représentation de la vie à l’époque des pharaons. Et ce mélange visuel, vocal et sonore, avec cette musique si entêtante, produit une intense émotion en moi, redonne vie à ces vieux murs qui ont vu tant de choses, me ramène à cette Antiquité qui devient si présente, m’immerge dans l’histoire de Thèbes, et la naissance de Karnak.
Lorsque tout s’arrête, j’ai du mal à sortir de ma fascination.
Kassem pose une main sur mon épaule :
— Nous devons y aller. Je souhaite éviter les embouteillages.
Je le regarde et me lève avec un sourire. Nous retournons vers la voiture, et vers Louxor.
— Vous avez visiblement apprécié ? me demande-t-il dans l’intérieur feutré du véhicule.
— Oh oui !
— J’en suis heureux. Nous allons maintenant nous restaurer dans un endroit que je connais bien.
— Ah ! Pourtant hier soir, vous aviez parlé de votre appartement ?
— Oui, toutefois, j’ai pensé que cela nous changerait.
Nous nous arrêtons dans une ruelle, devant un restaurant où nous sommes accueillis par le propriétaire avec une grande gentillesse. C’est un petit établissement où je me sens très vite à l’aise. Le service est à l’orientale, mais un couvert complet est disposé sur la table basse. Sans doute une marque de prévenance de la part de Kassem. Assis sur les coussins, nous discutons de tout et de rien.
Lorsque nous quittons le restaurant, je commence à percevoir un malaise s’installer en moi.
Chapitre 12
Dans la voiture, je me sens mal.
Nous partons demain après-midi, et je me promets de profiter de cette dernière soirée auprès de lui. Mais cette idée que tout va s’arrêter est très difficile à envisager pour moi.
Kassem ne parle pas. Et ce silence devient gênant. A-t-il des regrets ?
Nous arrivons devant la porte que je reconnais dorénavant très bien. Mon compagnon descend le premier, puis il me tend la main pour m’aider à sortir du véhicule, mais ensuite il conserve ma main dans la sienne. La chaleur familière m’envahit, même si je me trouve un peu au bord des larmes. Cependant, je veille à les retenir. Cela dévoilerait trop la profondeur de mes sentiments. Et cela, je ne le veux en aucune façon. Kassem donne des ordres à Hassan qui disparaît par une petite porte située dans un coin de la cour exiguë.
Nous entrons dans l’appartement, et je me retrouve tout contre lui, mes lèvres emprisonnées par les siennes, mon corps épousant le sien.
Je n’ai pas envie de partir, de m’éloigner de lui, et pourtant…
Notre baiser s’achève, mais il me garde blottie contre lui. Et cette étreinte est infiniment agréable.
— Je crois que nous devons parler, dit-il.
Je lève la tête et opine du chef.
Il m’accompagne jusqu’au canapé où nous nous asseyons côte à côte.
— Quand partez-vous ?
— Demain après-midi.
Il prononce dans un souffle :
— Déjà…
Un silence s’installe qu’il rompt en disant doucement, ma main dans la sienne, et ses prunelles ne lâchant pas les miennes :
— Je préfère vous dire que vous ne restez pas ici cette nuit.
— Que…
Il me regarde plus intensément :
— J’en ai envie… énormément. Néanmoins, ce ne serait pas raisonnable. Je ne veux pas que tout s’achève sur une nuit, même si celle-ci serait belle. Vous méritez plus.
Je ne sais plus quoi penser :
— Kassem, je…
— Ce qu’il y a entre nous est trop fort pour qu’une seule nuit puisse l’exprimer, affirme-t-il.
Sa main caresse ma joue. Je ferme les yeux. C’est si doux. Cette facette tendre je ne m’en lasse pas, car je perçois au plus profond de moi qu’il ne joue pas quand il agit ainsi.
— Je ne comprends pas, murmuré-je, encore émue par son geste.
— Je veux vous proposer quelque chose.
— Quoi ?
Sa voix se fait pressante lorsqu’il annonce :
— Demain, ne partez pas, restez quelques jours avec moi.
— Je ne crois pas que ce soit une bonne idée, affirmé-je en secouant la tête.
Il adopte alors un ton plus sérieux pour déclarer :
— Annie, des rencontres comme la nôtre, c’est rare. Et j’ai envie de vous revoir. Peut-être même que nous pouvons envisager jusqu’où il nous serait possible d’aller ensemble.
— Ce n’est pas concevable…
— Pourquoi ?
— Nous sommes trop différents, et puis ma vie est en France. Non, ce n’est pas concevable, répété-je, chagrinée par cette réalité.
Je me lève.
— Je crois qu’il vaut mieux que je parte maintenant, annoncé-je, veillant à ne rien dévoiler de mes sentiments.
— Annie, laissez-nous une chance, s’il vous plaît, s’exclame-t-il.
Je m’avance vers la porte, faisant tout mon possible pour conserver un air assuré. Toutefois, il me rejoint pour m’obliger à le regarder.
— Vous allez donc partir ? demande-t-il d’une voix rauque.
— Oui.
La lumière qui brillait dans ses yeux disparaît lorsqu’il réplique :
— Bien, je préviens Hassan.
Il se dirige vers le téléphone mural et donne un ordre bref en arabe, puis il revient vers moi.
— Sachez seulement que si vous changez d’avis, quelqu’un sera présent à l’aéroport, affirme-t-il.
— Kassem…
— Je n’abandonne pas, Annie. Je sais qu’entre nous deux il peut y avoir une belle histoire. J’ai failli tout gâcher par ma stupidité, mais je ferai tout pour me rattraper.
— Pourquoi ?
— Avec vous, je suis un homme, et pas uniquement un milliardaire, ou un cheikh. Et le regard que vous posez sur moi me fait comprendre que vous me voyez comme je suis. En ce qui me concerne, j’ai le désir aussi d’en connaître plus sur vous. Et par-dessus tout, j’éprouve le besoin d’être avec vous.
À la porte, on entend frapper.
Sur un mot de Kassem, Hassan entre dans la pièce.
— Bien, vous comprendrez que je ne vous raccompagne pas moi-même, je vous dis juste un au revoir.
— Kassem…
Il prend ma main dans la sienne sans se soucier de la présence d’Hassan :
— N’oubliez pas : demain, j’enverrai quelqu’un à l’aéroport, si vous changez d’avis. Je vous propose seulement de passer un jour ou deux avec moi.
Je ne réponds rien, il me sourit et sur le seuil me dit :
— À demain, j’espère.
Il soupire. Je ne sais pas pourquoi, mais je ressens chez cet homme si sûr de lui comme… du désarroi lorsqu’il ajoute :
— Sinon, bon voyage et bon retour chez vous.
Je hoche la tête, et il referme la porte. Je reste immobile un instant.
— Mademoiselle ? s’enquiert Hassan.
Je respire un grand coup :
— Je vous suis.
Hassan me fait une courbette, et m’accompagne vers la voiture.
Le voyage me semble interminable.
Quelle décision dois-je prendre ?
Une fois à l’hôtel, Hassan me conduit jusqu’à ma chambre où il me laisse devant le seuil sur un bonsoir amical.
Machinalement, je me prépare pour la nuit.
Et lorsque je me couche, je ne sais toujours pas quoi faire…
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