La salle d’étude était vide. Chargée de ses cours, Marie Torres s’avançait doucement dans la pièce. Elle aimait faire ses devoirs dans ce lieu silencieux, propice à la réflexion. L’année dernière, elle avait réussi avec succès sa sixième année et était maintenant inscrite au Collège Notre Dame de la Grâce, section littéraire. Son aventure de l’an dernier n’avait en aucun cas entamé son enthousiasme pour l’écriture, bien du contraire. Après sa victoire au concours des écrivains en herbe, elle avait passé une partie de l’été à écrire de nombreuses nouvelles, ce qui lui avait laissé peu de temps à passer avec sa meilleure amie, Amélie. Bien sûr, elles passaient encore du temps ensemble, mais leur relation avait évolué vers une amitié un peu plus distante. Marie mettait ça sur le compte de son art mais Amélie avait trouvé son amie changée depuis l’histoire des gitans. Donc, bien qu’inscrite à la même école, elles ne passaient plus tout leur temps libre ensemble, Amélie s’étant inscrite dans la section informatique. Marie aurait pu faire ses devoirs à la maison, l’école se trouvant seulement à deux kilomètres de son domicile, mais depuis son intérêt pour ses racines gitanes, sa relation avec ses parents était un peu tendue. Eux qui avaient tout fait pour ne plus avoir affaire avec ce monde voyait leur fille s’y intéresser un peu trop à leur goût. A peine passé la porte de la maison, son père revenait sans arrêt au même sujet: son intérêt excessif sur les gitans et surtout sur leur magie. Deux semaines après la rentrée scolaire, ils avaient eu une énorme dispute. C’était un samedi matin. Évelyne, la mère de Marie, avait fait le ménage dans la chambre de sa fille. Passant l’aspirateur sous son lit, elle avait découvert une petite boîte en bois sculptée de drôle de symboles et y avait trouvé des objets bizarres, ainsi qu’une panoplie de mèches de cheveux enroulés dans de petits rubans, et un grimoire effrayant avec un diable sur la couverture. Elle en avait parlé à Arturo, le père de Marie. Monsieur Torres, découvrant le contenu de la boîte, s’était mis dans une colère noire et avait eu une terrible dispute avec Marie. Elle tenta de lui expliquer que ce n’était que de la curiosité, sans plus, mais son père ne le voyait pas du même œil. Étant catholique, son père lui avait intimé de se débarrasser de ces objets sans attendre. Pour calmer la situation, Marie s’était débarrassée de la boîte, mais elle ne l’avait pas jetée, évidemment. Elle s’était contentée de la cacher dans le fond de son casier d’école. Depuis, ses parents surveillaient ses moindres faits et gestes, à la recherche de la plus petite trace de rituel de magie gitane. Marie avait pensé qu’ils seraient plus compréhensifs à ce sujet, mais son père avait objecté qu’il y avait une sacrée différence entre s’intéresser à ses racines et pratiquer la magie. N’ayant rien à objecter, Marie avait décidé de laisser son drôle de passe-temps un peu de côté et de se concentrer sur ses études. Elle s’installa au dernier banc, étala ses cours et commença ses devoirs. Son ancien professeur, Monsieur Basselier, lui avait conseillé de continuer dans l’écriture car elle avait un don exceptionnel dans ce domaine. Son nouveau professeur, par contre, la trouvait moyenne, à la limite du médiocre. Marie ne le supportait pas! Ce monsieur Lewis et son air supérieur! Toujours à critiquer, à vous rabaisser en public! Mais Marie n’avait pas l’intention de le laisser gagner. Elle lui prouverait qu’elle pouvait être une excellente romancière et ne s’arrêterait pas tant qu’il n’aurait pas reconnu son erreur à son sujet. Plongée dans ses réflexions, elle n’entendit pas la porte s’ouvrir. Une main se posa sur son épaule et Marie sursauta. C’était Amélie. Son amie lui sourit: – Je t’ai bien eue! dit-elle en s’esclaffant. -Ha!ha!ha! lui répondit Marie sur un ton maussade. Très drôle, Amélie. Mais là tu vois, je travaille. Amélie s’installa sur la chaise à côté en soupirant. – Tu n’es pas drôle, Marie. Avant toute cette histoire, on riait toujours ensemble. Aujourd’hui, je n’arrive plus à t’arracher un seul petit sourire. Qu’est-ce qu’il t’arrive? Tu sais, tu peux tout me dire. Tu es toujours ma meilleure amie! Tu le sais, non? Marie soupira et posa son stylo. Elle aurait bien voulu expliquer à Amélie les disputes continuelles qu’elle avait avec ses parents, mais elle savait pertinemment qu’Amélie leur donnerait raison. Elle l’avait elle-même mise en garde contre ce genre de pratique lorsque Marie lui avait montré sa boîte à malice l’été dernier. C’est pourquoi elle lui répondit: – T’inquiète pas, tout va bien. C’est juste ce nouveau prof, ce Lewis. Je ne le supporte pas! Monsieur je-sais-tout qui sait et fait mieux que tout le monde! Je lui ai rendu l’histoire avec laquelle j’ai gagné le concours et il m’a juste répondu qu’ici on était plus à la maternelle. Quel culot! Je sais que ce n’était pas du Stephen King, mais quand même, il exagère!
– Et si tu t’accordais une petite pause, proposa Amélie. Viens chez moi ce soir! On est vendredi, c’est la soirée de l’étrange sur Sy Fy. Tu sais, ça me manque un peu, nos soirées pyjamas. Marie regarda son amie, les larmes aux yeux. – A moi aussi, tu sais. Mais depuis cette histoire, ma vie a changé du tout au tout. Je ne sais même plus qui je suis vraiment. Je suppose qu’une petite pause me ferais du bien.
Amélie se leva et attrapa son amie par les épaules, la serrant fort contre elle. -Amies pour la vie? Demanda-t-elle. -Amies pour la vie, lui répondit Marie. Elle ramassa ses affaires, les mis dans son sac et emprunta le chemin du retour avec son amie, riant et s’amusant, comme autrefois. Marie était soulagée de voir que rien n’avait changé entre elles.