Mal comprendre pour mieux comprendre : une analyse de la pensée de Schelling à Hegel.
Selon le philosophe allemand Schelling, il n’est pas donné à tous de philosopher. C’est comme s’il nous lançait un défi : « Qui êtes-vous pour oser philosopher ou vous aventurer dans la philosophie ? » Mais face à ces affirmations catégoriques de Schelling, nous devons présenter une réfutation digne de ce nom. Et qui mieux que son ami et ancien allié, le philosophe allemand Hegel, peut le faire ? Ainsi, dans cet article philosophique, nous serons en compagnie de deux grandes voix de la pensée allemande : Schelling et Hegel. Cet article se propose d’examiner les questions suivantes : Qui peut philosopher ? Qui peut la comprendre et la pratiquer ? Peut-on l’apprendre et acquérir ses principes ? Ou est-ce simplement un don réservé à quelques élus, au-delà du commun des mortels ?
Contrairement à Hegel, Schelling estime que la philosophie ne peut être enseignée ou acquise comme les autres sciences. Selon lui, elle est innée, présente dès la naissance chez ceux prédisposés à philosopher, comme si leurs mères étaient des philosophes. Schelling utilise le terme « intuition intellectuelle » pour désigner cette capacité ou ce talent propre aux philosophes.
Ainsi, Schelling met en évidence un conflit flagrant entre la compréhension, considérée comme le premier mouvement de la pensée, et la raison, qui en est le second. Hegel analyse le mouvement de la pensée, selon lui, celle-ci débute par la compréhension avant de progresser vers la raison. Schelling, quant à lui, avance l’idée de l’intuition comme une sorte de saut ou de transition logique. Pour lui, cette intuition exige de mettre la compréhension entre parenthèses. En d’autres termes, la capacité de comprendre n’est pas universelle, ce qui, d’après lui, conduit à une diminution de la rationalité chez les individus.
En plaçant la raison au-dessus de la compréhension, Schelling suggère que tout le monde n’est pas apte à la rationalité. Cela revient à abandonner la compréhension, considérée comme le mouvement le plus élémentaire de la pensée, et qui devrait être accessible à tous dans des conditions optimales de connaissance. Ainsi, pour Schelling, la nouvelle philosophie consiste à dépasser la compréhension.
Par conséquent, l’intuition intellectuelle est pour lui une certitude absolue, inaccessible. Et comme elle est une certitude absolue et inébranlable, l’intuition, selon Schelling, est contraire à toute connaissance rationnelle et conceptuelle. Pour lui, l’intuition est le seul savoir absolu et libre, contrairement à toute autre forme de connaissance, intellectuelle ou conceptuelle, que l’on trouve par exemple dans le débat, la preuve, l’induction ou la déduction. Ces formes de raisonnement ne sont pas libres selon lui, même si les formes de logique diffèrent ici. Elles restent toutes des formes de rationalité, ce qui n’est pas le cas pour Schelling. Pour lui, cela ne relève pas de la philosophie.
Au cœur de la philosophie de Schelling, l’intuition s’érige en essence même de la discipline, la rapprochant ainsi de la poésie. En effet, la poésie, comme le souligne Schelling, ne s’apprend pas, elle s’inspire. Ainsi, s’il y a une chose à apprendre de la philosophie, c’est son aspect poétique et esthétique, bien plus que son essence même. Cette vision, fortement teintée de soufisme, semble, chez Schelling, mener à une fermeture de la voie à la discussion scientifique et absolue, c’est-à-dire à la connaissance par le raisonnement. En effet, en obstruant le chemin de la raison et de la science, Schelling ouvre grand la porte à l’irrationnel. Sa philosophie se révèle ainsi davantage romantique qu’intellectuelle.
L’irrationalité chez Schelling ne signifie pas pour autant l’absence de raison. Elle renvoie plutôt à une raison d’ordre métaphysique, à une intelligence supérieure, bien au-delà de la portée du commun des mortels et de ses capacités de compréhension. Avec Schelling, nous nous trouvons face à une sorte de classe intellectuelle, ou pour être plus précis, une aristocratie de la connaissance. Selon lui, la connaissance philosophique, loin d’être accessible à tous, est réservée aux intuitifs, aux élus éclairés par la lumière du savoir. Il n’est donc pas surprenant que cette aristocratie de la connaissance s’oppose à la philosophie éclairée d’Hegel. Ses tenants pencheraient plutôt vers des tendances politiques rétrogrades et une opposition à la démocratie.
Schelling affirmait que la démocratisation de la compréhension rationnelle entraînerait inévitablement celle des sciences, ce qui finirait par provoquer la révolte des ignorants. Il déclarait clairement que la mission de la philosophie est de contrer les démagogues du peuple et qu’elle doit servir de rempart contre la fusion du vulgaire avec le sublime. Quand cette fusion a-t-elle débuté, selon Schelling ? Sa réponse est claire : dès que le peuple a commencé à écrire et que chaque individu a pu prétendre au pouvoir.
Le positionnement aristocratique de Schelling, qui réservait la connaissance philosophique à une élite, constituait précisément le point de divergence fondamental avec Hegel. Lorsque ce dernier a fondé la philosophie dialectique, il estimait naturel que celle-ci soit accessible à tous. Il ne s’agissait pas uniquement de reconnaître le droit de chacun à l’apprentissage de la philosophie, mais Hegel allait plus loin en affirmant que la nouvelle philosophie dialectique avait un devoir éducatif intrinsèque. Autrement dit, elle devait faciliter l’accès au savoir, le rendre accessible au plus grand nombre plutôt que de se cantonner dans un cercle restreint. Cet objectif était au cœur de la rédaction de son célèbre ouvrage, la Phénoménologie de l’Esprit.
Ce livre nous ramène à Schelling et à la nature de sa relation avec Hegel. La Phénoménologie de l’Esprit était principalement dirigée contre Schelling et sa théorie aristocratique de la connaissance. Ainsi, deux amis et collaborateurs devenaient rivaux et adversaires. Dix ans après la mort de Hegel, la classe réactionnaire prussienne romantique fit appel à Schelling pour s’opposer à Hegel. Schelling atteignit un point où il se proclama architecte de l’arsenal philosophique opposé à la dialectique hégélienne.
Dans les années 1840, Schelling ne se contenta pas de critiquer la philosophie de Hegel de manière destructrice. Il aspira à fonder une nouvelle philosophie qui répondrait aux exigences religieuses croissantes de la réaction romantique, afin de fournir une alternative à la pensée hégélienne. Ce fut un épisode éclairant dans le débat entre Schelling et Hegel.
Avant de conclure cet article, je vous dois une confession : j’ai triché. Je ne vous ai pas présenté Schelling comme le faillibiliste qu’il était, mais plutôt l’image classique et traditionnelle de sa philosophie. Pourquoi ce choix ?
Premièrement, Schelling est un philosophe méconnu, surtout hors des cercles académiques. Il existe peu de traductions ou de travaux explicatifs sur sa pensée. J’ai donc préféré le présenter tel qu’il est généralement perçu et décrit par le public et les philosophes.
Deuxièmement, Hegel, que nous avons également évoqué, est souvent critiqué pour son absolutisme. Cependant, Hegel lui-même n’est pas toujours fidèlement représenté. Il est victime de nombreuses interprétations, notamment celle de Kojeve, et des lectures indiennes modernes qui montrent que son absolutisme est interprété différemment. Il était donc juste de présenter les deux images traditionnelles de ces philosophes.
Cela ne signifie pas que mes propos soient faux. Tout ce que j’ai mentionné dans cet article est exact, mais cela ne représente pas suffisamment leur philosophie.
Plus important encore que cette raison et mon petit mensonge, c’est que je crois que nous ne pouvons pas comprendre la philosophie sans d’abord la mal comprendre. C’est pourquoi je défends personnellement la mauvaise compréhension de Schelling et de Hegel, ainsi que les lectures erronées qu’ils ont suscitées. Je pense que dépasser cette mauvaise compréhension et passer directement à d’autres lectures correctes pourrait entraîner une erreur plus importante dans la compréhension. La philosophie de la mauvaise compréhension nous mène non pas à une compréhension parfaite, mais à une compréhension moins erronée.
On dit souvent que l’histoire de la philosophie est une histoire d’incompréhension, où chaque philosophe semble être précédé par une mauvaise compréhension d’un autre philosophe. Thomas d’Aquin a mal compris Aristote, Hegel a mal compris Kant, Marx a mal compris Hegel, et ainsi de suite. Mais est-ce que cette mauvaise compréhension peut être utile d’une manière ou d’une autre ?
Comme l’a un jour déclaré André Lwoff, célèbre sociologue français : « Ce livre est certainement inexact, mais néanmoins, il est très important pour la vérité ». Est-ce que la mauvaise compréhension peut être importante pour la vérité ? Peut-être, car elle peut éclairer des aspects inattendus de la philosophie.
Malgré toutes les erreurs d’interprétation dans l’histoire de la philosophie, nous disposons aujourd’hui d’une riche compréhension philosophique. Et malgré toutes ces erreurs d’interprétation, nous devons croire au droit des gens à comprendre, même si cette compréhension n’est pas toujours précise.
Soyons honnêtes, lorsque nous abordons la philosophie de Hegel, nous constatons que la compréhension n’est pas toujours pure, comme l’a pensé Schelling. Elle peut même être une mauvaise compréhension. Par conséquent, soyons sincères dans notre malentendu, car cela peut être le début nécessaire d’un processus de compréhension véritable et de réflexion profonde. Décidons si nous serons du côté de Schelling ou de Hegel, mais avec une intention sincère d’explorer la profondeur de la compréhension et de la philosophie.
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