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E.V.O.L.V.E (Tome 1, Chapitre 2)

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Chapitre 2 : Eclaircissage

La Brulée

Le lance-flamme ne faiblissait pas, pourtant, la végétation semblait faite de pierres tant elle avait de mal à bruler. L’homme avançait doucement et prudemment, pour éviter qu’une épine ne transperce sa combinaison, ou pire, son corps. Sans parler du risque de tomber sur une de ces saloperies de plantes carnivore. Déjà cinq de ses collègues avaient perdus la vie face à ces monstres végétaux, et au moins une demi-douzaine d’autres avaient étés blessés.
Dire qu’il y a quelques années de ça, toute la population de La Brulée célébrait le retour des plantes, parlant même de signe divin, la fin de l’Age de Chute qu’ils disaient…s’ils avaient su à quel point ils se trompaient.
« Tout ça pour atteindre la Vielle Flèche des Anciens, la seule partie de toute la clôture où on trouve encore cette végétation de malheur. On ne connait même pas le but véritable…en tout cas, ça m’étonnerai que La Gouvernance veuille relancer le tourisme de masse. » Songea-il, un sourire nerveux sur le visage.
Les épines rougeoyaient, puis viraient au blanc avant de fondre, et de s’éclater au sol en petites billes éparses, comme si il s’agissait de métal en fusion. Des animaux ressemblant à des rongeurs, cachés sous les arbustes et autres feuillages détalaient à l’approche de la vague de feu qui déferlait sur leur abri.
Un second Eclaircisseur, avec un brassard noir au bras, indiquant un grade plus élevé, arriva aux côtés du premier, qui bougonnait encore contre la Gouvernance, et ses saletés de branches impossible à faire brûler.
« Hé, Luk. Arrête toi, c’l’heure d’la pause, c’bon, on r’prendra taleur ! » S’exclama le chef en lui donnant une tape amicale sur l’épaule.
Luk arrêta son engin, et partit sans même adresser une seule parole à son supérieur. Il s’assit au milieu de l’endroit qu’il avait fait brulé la veille, enleva son lourd casque, et souffla longuement. Il était fatigué de cet endroit, de ce travail, de La Gouvernance, de leurs secrets pour « le bien de la Cité ». Tout ce qu’il voulait en venant à La Brulée, il y a quinze années de ça, avec ses deux parents, c’était cultiver cette végétation qui reprenait vie. Puis ils avaient finis par payer le prix fort, en comprenant que cette végétation était non seulement très complexe à cultiver, mais surtout extrêmement dangereuse. Des espèces d’animaux sauvages avaient mutés, devenant plus agressifs, plus gros et plus robustes, ainsi que beaucoup d’espèces de plantes
Ce qui ressemblait à loup immense, avec des plaques osseuses semblables à celles d’un rhinocéros et la queue d’un reptile, hérissée de pointes, avait emporté son père alors qu’il travaillait au champ.
C’était la première fois qu’on voyait autre chose que des traces d’un Prédateur.
Luk n’avait que huit ans, et ils étaient arrivés à La Brulée seulement cinq mois auparavant.
Sa mère mourut quatre années après. Des vesses de loup mutantes avaient éclatées quelque part dans la végétation. Les spores portées par le vent étaient très agressives. Elles paralysèrent ses voies respiratoires, et elle mourut d’asphyxie en moins de cinq minutes après la première crise de toux. Son corps fut brulé sur place pour éviter de répandre l’infection, comme le voulait la procédure. Il alluma le bucher, et la regarda bruler une nuit entière, seul, jusqu’à ce que la Brigade des Orphelins le prenne sous leur aile.
Et voilà que maintenant, lui, brulait la végétation de La Brulée, qu’il devait à la base cultiver avec ses parents. Certes, les premiers temps, ça l’avait aidé à oublier, à se défouler contre ces choses immondes qui l’avaient privé de sa famille. Mais dorénavant, il se sentait seul, impuissant face au mur de ronces qui se dressait devant lui. Tout cela ne faisait plus aucun sens pour lui.
« On r’prend, la pause est terminée, tous à vos postes ! » Beugla le chef en agitant frénétiquement ses bras au loin.
Il souffla une nouvelle fois, pris une grande inspiration, puis remis son casque et repartit vers la zone encore rougeâtre et fumante dont il avait la charge. Le lance-flamme rugit, et aussitôt, et les plantes reprirent leur teinte blanche.
Soudain, quelque chose explosa et projeta une boule de gaz de plus de deux mètres de diamètre dans les airs. Par réflexe et par expérience, il avait réussi à reconnaitre la plante responsable de ce phénomène, Ecballium elaterium, ou concombre d’âne, ou du moins, sa version mutante. Cette plante répand ses graines dans l’air grâce à un gaz hautement inflammable lors de la floraison. En théorie, il ne pose pas de problème, sauf si vous le respirez trop longtemps, ou lorsqu’il rentre en contact avec un lance-flamme. C’était la première cause de décès chez les Eclaircisseurs.
Luk s’était jeté le plus loin possible en arrière. Il tomba durement sur son omoplate, et entendit un craquement sourd. Il gémit de douleur, mais réussit à se remettre sur pieds, l’épaule droite complètement démise et ses bottes quelque peu roussies, puis à marcher, bien que complètement désorienté, hors de portée de son lance-flamme qui prenait feu à son tour.
Alors que les autres Eclaircisseurs arrivaient en courant et hurlant, et que sa vision revenait à la normale, il remarqua quelque chose qui lui déplut au plus haut point : le réservoir d’énergie Oméga liquide de sa machine, bientôt en contact avec les flammes, au milieu d’au moins une vingtaine de concombres d’âne.
« Oh merde. »
Ce fut tout ce qu’il trouva à dire, les yeux écarquillés, avant de partir, clopinant et hurlant à ses collègues de faire demi-tour le plus vite possible. Lorsqu’il se trouva à leur niveau, à quelques dizaines de mètres de l’endroit de la première explosion, la seconde, bien plus terrible, se déclencha.
L’équipe au complet fut projetée sur au moins trois bons mètres de distance lorsque les flammes s’élevèrent comme une cathédrale dans le ciel, qui disparut d’un coup en un souffle furieux. L’impact au sol fut terrible, Luk sentit son épaule, déjà démise, casser complètement lorsque qu’une douleur aigue traversa son bras, et l’intégralité de son dos.
Il hurla, mais tenu bon. La douleur était si intense qu’il avait des sueurs froides, le visage extrêmement pale. Il n’était pas loin du malaise, mais réussit à se remettre sur pied avec l’aide de ses camarades.
Il n’était pas le seul à être blessé, sur les huit Eclaircisseurs de l’équipe, seuls trois étaient debout sans plus de problèmes que quelques ecchymoses. Les quatre autres, dont Luk, arrivèrent à se relever malgré leurs blessures. Le dernier de leurs équipiers gisait, inconscient, au sol. Sa tête avait heurté le sol, et il saignait légèrement d’une plaie à l’arrière de son crâne.
« Planteud’ merd’ ! » Pesta le chef, la cheville foulée, en s’appuyant sur son lance flamme pour tenir debout. « Faut qu’on rentre au Campement, l’a b’soin d’soins urgents. Et l’est pas l’seul j’crois ben… » Ajouta-t-il en regardant Luk, l’air inquiet.
– Et comment on fait hein !? On n’a pas de brancards, la moitié de l’équipe est blessée, et faudrait qu’on fasse les trois kilomètres de marche dans cet état ?! S’emporta Luk, appuyé sur un tronc d’arbre, en souffrance.
– On a l’radio, répondit le chef, y vont v’nir nous chercher ‘vekeul n’céssaire, reseut’ calme un m’ment, ‘longe toi s’tu veux.
– Rester calme ?! Hurla Luk en grimaçant, un œil fermé, de la sueur froide coulant sur ses tempes. Mais vous voulez quoi ? Qu’on se fasse buter par ses…saloperies, comme mes parents hein ? Cité de mort ! On va tous…y passer si on continue, vous comprenez ça les gars !? Et pourquoi !? Dites-moi…j’entends rien ! Mais c’est normal !! On ne sait pas, rien, pas une info ! On risque nos vies, sans raisons. Comptez plus sur m…
Luk ne finit pas sa phrase, il s’écroula sur le sol une nouvelle fois, inconscient. Les derniers mots qu’il entendit furent les cris de ses collègues répondant par l’affirmative à l’ordre incompréhensible donné par le chef.
Lorsqu’il se réveilla, la première sensation qui lui sauta à la gorge fut l’entrave. Son corps refusait de bouger, pourtant, aucun lien ne le rattachait au lit. Les minutes passèrent, puis les heures. Au moment où il crut pouvoir enfin être en capacité de lever le bras, une infirmière entra dans sa chambre, mais ne le remarqua pas.
« Bonjour ? » Lança Luk hasardeusement, la voix enrouée.
L’infirmière se retourna d’un coup sec, si surprise que sa bouche resta ouverte une seconde sans qu’un son n’en sorte.
« Bonjour, s’cuzez, répondit la jeune femme, vous allez ben ? »
– C’est plutôt vous qui êtes censée me le dire non ? C’est normal que j’arrive pas à bouger ?
– Oui, n’vous inquiétez pas, après être resté trois semaines dans l’coma c’normal, puis l’opération ‘range pas les choses, mais ça d’vrai r’venir d’ici une heure ou deux, le temps que…
Luk lui coupa aussitôt la parole.
« Attendez…trois semaines ? Et quelle opération ? »
– ‘Coutez, chuis pas l’médic, j’vais vous l’chercher y vous expliquera ça mieux qu’moi. Répondit-elle en agitant les bras, un brin de panique dans la voix.
Elle partit aussi vite qu’elle était apparue.
« Génial, pensa Luk, j’ai aucune idée de ce qui se passe, de ce qu’il s’est passé, et la seule personne qui rentre dans ma chambre, censée s’occuper de moi, à l’air d’avoir vu un Prédateur, alors que j’arrive à peine à bouger…qu’est-ce que c’est que ce bordel ? »
Quelques minutes passèrent, puis la porte grinça, laissant entrer une femme en blouse blanche, et un homme en costume que Luk ne connaissait que trop bien. Le Gouverneur Principal en personne.
« Bonjour m’sieur Aubert. Comment vous sentez vous ? » Demanda la médecin, souriante.
– Je ne sais pas ce qu’on m’a fait, ni ce qu’il s’est passé ces trois dernières semaines. Je ne peux pas bouger le moindre centimètre de mon corps, et la seule personne que je vois en me réveillant s’en va sans me donner d’explications, apeurée, pour vous chercher. Et vous ramenez le Gouverneur Principal avec vous, pour une raison que j’ignore. A votre avis, je me sens comment ? Répondit Luk froidement.
– Oui, vous avez besoin de réponses, je comprends, détendez-vous, je vais vous expliquer. Dit-elle d’une voix douce.
– Ya intérêt oui. Grogna Luk.
– Vous avez fait une chute qui a brisé votre omoplate, reprit le médecin, imperturbable, ainsi que votre clavicule. Ensuite, une seconde, plus grave, qui a brisé votre colonne vertébrale en deux endroits et fissurée sur plusieurs centimètres. Ca a comprimé votre moelle épinière. Vous étiez donc paralysé à votre arrivée. Nous avons retiré votre colonne vertébrale, que nous avons remplacée par une colonne de titane. Nous avons également remplacé votre omoplate, votre épaule, ainsi que votre bras. Vous n’arrivez donc pas à bouger pour le moment parce que votre corps est à la fois en train de sortir du coma, et de s’habituer au poids de sa nouvelle prothèse. D’ici douze à vingt-quatre heures, vous serez capable de vous déplacer, mais il faudra compter quelques semaines de rééducation avant de pouvoir commencer votre entrainement.
– Attendez, je tenais debout, je vous jure, je tenais debout !
– C’est l’adrénaline qui vous a fait tenir quelques secondes, et j’avoue que c’est assez impressionnant, mais c’est aussi ce qui vous a plongé dans le coma.
– Et vous avez dit mon entrainement ? Mon entrainement de quoi ? Et pourquoi vous m’avez soigné hein ? J’ai vu des gens mourir de blessures moins graves par manque de soins, alors pourquoi moi ? Demanda Luk, dégouté par ce qu’il venait d’entendre.
Le Gouverneur Principal, silencieux depuis le début de l’entretien, s’avança alors vers le patient et pris la parole.
« Monsieur Aubert. Votre supérieur nous a communiqué les doutes et les questionnements que vous vous posiez concernant votre mission d’Eclaircisseur. Vous ne saviez pas pourquoi vous risquiez votre vie, et j’en suis désolé, mais le devoir me contraint quelquefois au silence, pour le bien de la Cité. Cependant, je suis ravi du travail fourni par votre équipe. Il semblerait que la zone touchée par l’explosion ait ouvert un passage à travers la végétation. Nous sommes arrivés à l’Ancienne Flèche la semaine dernière grâce à vous, nous avons gagné des mois précieux sur notre emploi du temps.
– Et alors ? C’est pour ça qu’on me soigne ?
– En partie oui.
– En partie ?
-Vous êtes le fils de Tran Aubert, lui-même fils de la professeure Myriam Aubert, votre grand-mère, c’est exact ?
– Exact, je ne l’ai jamais connue, quel rapport avec l’Eclaircissage ? Demanda Luk, visiblement agacé par autant de mystères.
– J’y viens. Votre grand-mère faisait partie d’un groupe appelé « E.V.O.L.V.E », une cellule de crise destinée à protéger l’espèce humaine avant l’Age de Chute, et qui a œuvré à la protection de notre espèce après l’Age de Chute.
« Ouais bah ça à foiré. » pensa Luk. Le Gouverneur Principal continua sa tirade.
« Elle a disparu en 2081, avec son équipe, alors qu’elle était à bord du Flotteur, cependant, ses travaux, concernant le pathogène responsable des mutations sont censés être toujours dans les anciens locaux de la DGSE, qui employaient votre grand-mère. A côté de l’Ancienne Fleche. Et nous avons des raisons de penser que ces travaux peuvent nous apporter des réponses, peut-être même une solution au problème de la végétation. C’était le but véritable de l’Eclaircissage.
Votre père et votre mère vous ont appris les sciences, l’écrit et le parler des anciens. Nous savons que vous n’aurez pas la capacité scientifique d’exploiter les travaux de votre grand-mère, mais il nous reste quelques personnes qualifiées et capables de le faire, ce n’est pas le problème. Vous, vous avez les capacités pour réussir votre mission : repérer le local, trouver les documents et les ramener à La Brulée. Vous aurez deux jours de marche pour y arriver. Vous dirigerez une équipe de six soldats extrêmement bien armés et entrainés qui auront pour ordre de vous protéger. »
– Et si je refuse ?
– Mais ce n’est dans l’intérêt de personne enfin ! S’offusqua le Gouverneur Principal. Vous détestez cette végétation, au moins autant que tout le monde ! Cette mission peut nous permettre de changer la donne. De la détruire. D’explorer au-delà de la clôture. De cultiver, comme le souhaitaient vos parents et…
Luk coupa la parole de l’homme en costume sans une once d’hésitation ou de respect. Sa voix était si dure que tous savaient qu’il valait mieux qu’il ne soit pas en état de bouger.
– Ne parlez pas de mes parents. C’est La Gouvernance qui les a fait venir dans cet endroit maudit, avec vos belles paroles, et votre espoir stupide d’un soi-disant Jour Nouveau ! Vous dites que vous détestez la végétation ? Ha, c’est plus un signe divin maintenant ? Il vous a fallu quoi pour comprendre hein ? S’écria Luk, déjà essoufflé par l’effort, ce qui ne l’empêcha pas de continuer.
Trainer votre gros cul en dehors du Palais ? Perdre vos gardes du corps dans une attaque de Prédateurs ? Je ne pense pas. Vous n’avez aucune idée de ce que les gens vivent dehors. Votre Palais, c’est la véritable clôture. Parce qu’il y a trois semaines de ça, j’ai failli mourir, sur votre ordre, à l’intérieur de la clôture censée me protéger, comme mes parents ! Et vous, quand avez-vous risqué votre vie pour la dernière fois hein !? Demanda-t-il, un sourire méprisant sur le visage.
Vous ne faites qu’envoyer des gens à la mort, après vous les réparez, pour leur proposer d’autres missions à la con, et en plus, j’ai même pas les compétences pour exploiter les travaux de ma propre grand-mère selon vous ? Je refuse de continuer. Vous les voulez vraiment ? Vous voulez sauver le monde avec les travaux de ma grand-mère ? Allez-y, partez, et trouvez les, après tout, vous aussi vous savez écrire, lire et parler non ?
Alors, allez en enfer, vous et votre entrainement. Une fois que j’aurais fini ma rééducation, je m’en irai pour Le Rempart.
Luk serrait les dents, en sueur, les yeux injectés de sang. Tout son corps était tendu, si seulement il avait pu bouger ses bras, et décrocher la mâchoire de cet enfoiré de dirigeant sans scrupules, ça aurait été le plus beau jour de sa vie. Malheureusement, sa condition d’handicapé ne lui permettait que de passer pour un dément.
Le Gouverneur Principal ouvrit la bouche en fronçant ces sourcils hirsutes et grisonnants, le doigt levé, mais se ravisa. Il tourna les talons et sortit de la salle sans dire un mot, sous le regard médusé du médecin toujours présente.
« Vous y êtes peut être allé un peu fort non ? Vous devez montrer du respect aux Supérieurs, vous savez ? Ils nous ont toujours protégés…Monsieur Aubert ? » Chuchota la médecin, gênée par la situation.
– Allez-vous faire foutre. Fut la seule réponse qu’elle obtenu.

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