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Dans le regard de Gabriel – Scène de vie #1

51 - 71 minutes de temps de lectureMode de lecture

Une fraction de seconde peut suffire,

Le temps d’un battement de cil,

D’un souffle…

Prends ce temps-là,

Ne le laisse pas filer.

 

Chapitre 1

Claire

Une légère brise fait chanter les arbres du parc. Leurs branches dénudées sont couvertes de glace. Elles dégèleront peut-être, si le soleil arrive à les réchauffer, mais pour l’heure, il est timide et peine à percer l’épais brouillard.

C’est l’hiver.

Il souffle sa morosité sur les passants, et il rougit leurs joues. Les silhouettes massives, emmitouflées et méconnaissables, semblent glisser, tels des spectres, le long des trottoirs gris.

La ville entière paraît sale. C’est un peu comme si le temps s’était arrêté, et que chaque parcelle du paysage attendait que le printemps la délivre de cette désolation. Comme si la vie ne s’autorisait plus à sortir, et restait cloîtrée derrière les portes des maisons et des commerces. Probablement est-ce le lot de tous les vieux quartiers industriels, où par-delà les maisons, de grandes cheminées grises découpent l’horizon.

Sur les murs défraîchis, on lit encore les publicités fanées qu’on a peintes à même le béton des parpaings, des « réclames », violacées ou jaune pisseux pour « Suze », et « Ricard » datant de l’époque où les annonceurs avaient les mains libres, mais l’imagination minimaliste et où l’on pouvait faire publicité de tout. Certains de ces murs soutiennent péniblement les charpentes affaissées, chargées de toitures éventrées de vieilles bâtisses qui semblent ne plus appartenir à personne. Ou alors qui demeurent l’héritage non désiré d’un fils du pays depuis longtemps exilé dans une autre ville, où la notion de tout-à-l’égout et d’éclairage public n’est pas qu’une légende.

Un peu plus loin, à la sortie de la ville, quelques terrains, bien nommés « friches industrielles », servent d’espaces de jeux aux gamins après l’école. On dit que c’est dangereux, et que certaines usines désaffectées sont contaminées, pourtant les mômes qui y jouent n’en semblent pas gênés ; leurs parents, qui y ont joué avant eux non plus, d’ailleurs.

Alors il suffit de remonter la rue pour qu’à quatre ou cinq centaines de mètres, la civilisation se rappelle au spectateur. La modernisation y a grignoté les vieilles maisons, rénové les trottoirs, et rasé les anciennes granges. Quand les agents immobiliers et les promoteurs zélés auront fini leur travail et occupé les derniers espaces libres, elle gagnera sans aucun doute aussi les ruelles pittoresques qui résistent encore.

L’ancienne gare ferroviaire, abandonnée dans les années soixante-dix a déjà fait peau neuve. Les nouvelles lignes doivent désengorger la métropole et c’est grâce à cette gare, laide, certes, mais providentielle, que ce quartier a retrouvé et conserve un peu d’activité.

C’est le passage obligé entre la banlieue et le quartier d’affaires, et les correspondances parfois fantaisistes des trains offrent aux petits commerces de quoi subsister en larguant par vagues des groupes de citadins en transit, avec leurs poignées de minutes à tuer, et leurs précieux porte-monnaie.

C’est précisément une de ces vagues qui vient de débarquer dans la brasserie où je travaille.

Elle se dresse en haut de la rue, entre une mercerie qui propose des trésors au charme désuet, et un vieux loueur de cycles, tout aussi désuets, mais bien loin d’avoir le moindre charme. La clientèle est agréable, et pas très exigeante. On attend surtout de nous que les cafés soient servis bien chauds et les viennoiseries, bien fraîches.

Il arrive aussi qu’il nous faille feindre l’amusement devant une plaisanterie douteuse, de celles qu’on nous livre cinq ou six fois par jour, juste pour flatter un peu l’ego d’un jeune cadre dynamique emballé dans un costume — presque — sur mesure, et probablement hors de prix.

Il y a des clientèles qu’on ne doit pas faire fuir, quitte à passer pour une godiche inculte, finalement ce n’est qu’un rôle comme un autre.

Ces clients « précieux », accrochés à leurs ordinateurs portables ou à leurs i.Phones, investissent l’arrière-salle, et c’est d’ailleurs pour eux que le patron a installé le wifi. Ils ne se mêlent pas à la clientèle des habitués, et paraissent incapables de respirer hors de leur meute en habit gris, bleu ou noir dont l’autre point commun semble être la laideur de la cravate, savamment coordonnée à celle de leurs chaussettes. Ils discutent, échangent ou simplement pianotent sur leurs claviers, l’œil rivé sur l’horloge qui annoncera l’heure de reprendre le train pour rejoindre l’un des box insipides qui leur servira d’alcôves pour les sept ou huit heures suivantes.

J’ai parfois pitié d’eux quand je les observe, et je me demande comment cette existence rangée et chronométrée, tirée à quatre épingles peut véritablement représenter un idéal. Combien de ces brillants spécimens masculins soignent déjà un ulcère de l’estomac ?

Finalement, ça demeure un moindre mal, parce que côté bar, ce sont les cirrhoses qu’on soigne… Lorsque les accros du café déserteront la brasserie, seuls resteront les habitués, ceux qui refont le monde après un ou deux calvas ou quelques bières ; de quoi rallumer la chaudière en attendant l’apéro…

Parmi les plus fidèles, il y a Mérédith. Elle est toujours installée à la même table, celle d’où elle voit passer tous ceux qui franchissent la porte d’entrée. Au moins, depuis ce poste d’observation, elle ne peut pas manquer quiconque serait susceptible de lui offrir à boire.

Mérédith n’est pas son vrai prénom, c’est le rôle qu’incarne la jolie femme médecin de « Grey’s Anatomy » sa série télé préférée, et elle semble s’être imaginé que ce prénom lui rendrait une respectabilité qu’elle a plus d’une fois écornée à cette même table. De toute façon, elle se ferait appeler Cléopâtre pour un verre de rouge…

Pauvre vieille femme.

L’usine où elle a travaillé toute sa vie, l’a licenciée il y a presque dix ans, et on lui a dit, comme à tous ceux qui ont été congédiés, qu’on la rappellerait « quand ça irait mieux ».

Elle a pris cela au pied de la lettre, elle attend toujours.

À quelques mètres, arrimé au bord du comptoir, un petit homme espère son verre de vin. C’est Jojo, le livreur de presse, qui ne cessera de trembler que lorsqu’il aura avalé au moins ses deux ballons de blanc. Il a déposé à ses pieds les grosses sacoches de cuir dans lesquelles il transporte ses journaux. Il les distribue à pied, parce que son patron lui a confisqué son vélo, il était bien trop dangereux.

Lui aussi est un ancien de l’usine. Certains disent même qu’il y a été un cadre très important, mais Jojo ne parle jamais de cette époque. Il ne paie plus vraiment de mine ce petit bonhomme maigrichon, pourtant les rares cheveux qui ornent encore son crâne sont propres tous les matins, et il sent bon l’after-shave lorsqu’il arrive. C’est en fin de journée que cela se gâte un peu, quand les yeux brillants et l’air hébété, il nous regarde sans nous voir et baragouine dans une langue que lui seul connaît.

La porte s’ouvre, faisant tinter la clochette.

— Salut, Pierre !

Que dire de Pierre, sinon qu’il est une véritable caricature. Un jour, rockeur, le lendemain, loubard, latin-lover ou rappeur. Il se cherche, il cherche son style, il cherche une petite amie aussi, mais surtout pas de boulot ! Son père est avocat, il finance ses caprices, et il l’entretient dans ses vices.

Il s’est confié à moi, une fois, après une surconsommation de bière qui l’avait rendu un tantinet loquace, et malgré ses airs revêches de rebelle insatisfait, j’ai compris qu’il avait grandi sans repères. Les seules attentes de ses parents étaient qu’il ne soit pas dans leurs pattes et ils lui avaient donné une carte bleue approvisionnée à l’âge de treize ans pour qu’il débarrasse leur précieux plancher. Ceci explique donc un peu cela…

Et il y a tous les autres, des anonymes, des sacs à vins mal embouchés, les minettes en mal de compagnie, les timides, et les exubérants… Parfois, ils m’amusent, d’autres fois ils me navrent.

C’est l’heure du déjeuner, et bientôt la brasserie sera investie par les étudiants. Ils viennent profiter du menu économique et du wifi gratuit. Le patron leur échange parfois leurs tickets U contre des espèces quand les fins de mois sont difficiles. Ce n’est pas très légal, mais comme ça arrange tout le monde… Côté pourboires, on ne peut pas dire qu’ils soient généreux ; cela dit, ils sont en général de bonne humeur et ça compense !

Depuis l’arrière-salle, j’entends le rire d’Edwige. Elle revient au bar en se dandinant.

— Ils sont trop choux ! s’exclame-t-elle en battant des cils.

Je hoche la tête en soupirant.

— Ce sont des gamins, tu ne peux pas leur ficher la paix ?

Edwige tire sur son chemisier un peu trop ajusté, et qui contient à peine sa poitrine.

— Il y a probablement un futur avocat dans la pièce d’à côté, ou une graine de grand chirurgien, me chuchote-t-elle sur un ton de conspiratrice comme si j’étais sa complice, et puis j’ai à peu près le même âge qu’eux ! ajoute-t-elle en arrondissant les yeux. Elle me fixe avec un air qu’elle imagine certainement candide, mais elle est ridicule et je retiens mon envie d’en rire.

Pierre, avachi sur le comptoir, s’étouffe avec sa bière.

— C’est pas ce que raconte ton état civil, ma pauvre vieille !

— Picole et ferme-la toi, ou sinon va boire ailleurs ! lui rétorque-t-elle furieuse.

Fred, le patron du bar intervient, il pose la main sur le bras que Pierre avait tendu devant lui pour éviter le coup de torchon qu’Edwige lui destinait.

— Hey oh, du calme tous les deux. Et toi, rhabille-toi un peu, s’il te plaît, ce n’est pas le genre de la maison, ajoute-t-il en touchant du doigt le col du chemisier d’Edwige outrageusement béant.

Edwige le fusille du regard, et tourne les talons vers la cuisine.

C’est un beau brin de fille, qui a grandi dans le quartier, elle connaît tout le monde, et tout le monde la connaît. Elle m’a confié qu’elle espérait chaque jour rencontrer celui qui la sortirait de cette existence, et j’ai compris que c’était la raison pour laquelle elle s’attelait à mettre en avant les atouts que la nature lui avait donnés. Elle tombe amoureuse à peu près aussi facilement que d’autres attrapent un rhume. Mais à courir ainsi après tout ce qui porte un pantalon, elle a collectionné son lot de toquards, et aux yeux de tous elle est devenue une bimbo sans cervelle, et elle n’attire plus que des tordus.

Pourtant, elle continue d’y croire.

— Quel rabat-joie, couine-t-elle en regagnant le bar, quelques minutes plus tard !

Je plisse le nez quand elle passe à côté de moi. Elle est sortie pour fumer une cigarette, et a amené avec elle cette odeur caractéristique du mégot trop chaud qu’on grille à la va-vite. Cette petite pause a néanmoins suffi à la calmer. Elle a refermé un bouton de son corsage, ce qui ne le rend pas plus décent pour autant, car il lui manque au moins deux tailles. Elle plonge la main dans sa poche et en sort un chewing-gum qu’elle ne tarde pas à faire claquer contre ses lèvres.

La touche finale du tableau…

Je glisse les mains dans l’évier. Ce n’est pas à moi de faire la plonge aujourd’hui, normalement, mais Edwige rechigne à le faire. D’après elle, sa manucure n’y résisterait pas, et j’ai appris par Pierre que lorsque je suis en congé, c’est Fred qui s’y colle pour ne plus entendre ses jérémiades.

Je suis parfois effarée de voir avec quelle facilité elle sait mener notre patron par le bout du nez et je me suis même demandé si Fred n’en pinçait pas un peu pour elle. J’en toucherai éventuellement un mot à Edwige ; après tout, même si fréquenter un patron de bar n’est pas aussi clinquant qu’un chirurgien ou un avocat, Fred est loin d’être repoussant.

De taille moyenne et d’une petite trentaine, il a un très joli sourire et entretient sa ligne. En plus, il est célibataire, ce qui pour une candidate au mariage comme Edwige ne peut être qu’un atout de poids.

Reste à savoir si jouer les entremetteuses avec ces deux-là rendrait vraiment service à Fred.

La clochette de la porte retentit de nouveau, me tirant de mes pensées.

Un homme vient d’entrer et traverse lentement la salle pour s’installer à la table qui longe le mur, juste à côté des toilettes.

Edwige, qui s’est assise sur une caisse à bières vide qu’elle a retournée, le désigne du menton.

— Tu veux que je m’occupe de lui ?

— C’est ma partie de la salle, j’y vais.

Que je me coltine la vaisselle qu’elle n’a pas envie de laver, c’est une chose, ce n’est pas pour autant que j’ai l’intention de la laisser servir mes clients. Les pourboires sont une belle part de nos salaires…

Je m’essuie rapidement les mains, et je vais accueillir notre visiteur, en déposant au passage une carafe d’eau sur une autre table.

L’homme qui vient de s’installer est impressionnant. Il est assis, et jauger sa taille n’est pas évident, mais il est particulièrement massif. La chaise, tout comme la table, semble presque ridicule maintenant qu’il l’occupe.

Du haut de mon pauvre mètre cinquante-deux, il n’est pas rare que je me trouve petite. Pierre s’est souvent moqué de moi en me disant qu’il faudrait que j’aille travailler dans une école maternelle pour prendre de la hauteur, et bien que l’homme soit assis, nos yeux sont à peine au même niveau.

Je sors mon carnet de commandes et mon stylo.

— Bonjour, bienvenue au Marian’s, que désirez-vous ?

Son regard reste un instant sur ses mains et sa jambe tressaute, comme mue par un tic nerveux. J’entends qu’il respire profondément et enfin il lève les yeux vers moi. Le contact ne dure qu’un bref instant avant qu’il ne baisse de nouveau la tête.

Le stylo prêt, je me fige dans cette posture que même les touristes étrangers comprennent, car elle est universelle et pourtant rien ne vient.

Je le vois hésiter, comme si les mots restaient bloqués au fond de sa gorge. Son attention semble se porter de façon aléatoire entre ses mains, les miennes, mon visage, les tomettes rouges du sol et les poutres brunes du plafond, pour revenir sur ses doigts qui se crochètent les uns aux autres.

Notre brasserie ne dispose pas de cartes comme dans les restaurants. Le menu du jour est inscrit sur des ardoises noires accrochées à plusieurs endroits stratégiques de la salle. L’une d’elles n’est qu’à quelques mètres. Je m’écarte de la table et la lui indique du bout de mon stylo.

— Vous trouverez le détail de ce que nous vous proposons ici. Je vais vous laisser réfléchir.

Avant que je n’aie tourné les talons, il prend une nouvelle respiration, ouvre la bouche, et… la referme.

— Prenez votre temps, je reviendrai plus tard.

Enfin il se racle la gorge et saisit mon poignet.

— Je vous prie de m’excuser, je suis… un peu lent.

Il a la main très chaude et ce contact est gênant. Je retire prudemment mon bras et il comprend que je ne suis pas à l’aise.

— Désolé… me dit-il en baissant de nouveau le regard.

Sa voix est grave, ce qui n’a rien d’extraordinaire vu la largeur de sa poitrine. J’imagine qu’elle opère comme une véritable caisse de résonnance ! Il relève lentement les yeux vers moi, et maintenant qu’ils ne sont plus fuyants, je suis surprise par la couleur de leurs iris. Ils brillent d’un profond brun chocolat et ne reflètent aucun vice. Sa main qui était quelques secondes plus tôt sur mon poignet est sagement posée sur la table, et ses bras sont aussi épais que des troncs. Je doute même de pouvoir en faire le tour avec mes mains…

— Il n’y a pas de mal. Que souhaitez-vous que je vous serve ?

Il esquisse un sourire.

Cet homme a la carrure d’un colosse, et me semble avoir la fragilité d’un enfant. Cette fois, c’est moi qui pose ma main sur son bras, et cela me confirme que je ne pourrai effectivement pas en faire le tour. Il regarde ma main et sourit de nouveau.

— Je vais prendre un café crème… et un beignet si vous en avez.

Ces mots sont un peu hachés, mais j’aime bien le son de sa voix. Profonde, chaude et presque caressante.

— Je vous apporte cela tout de suite.

J’imprime une légère pression sur son bras. Il est tellement dur que je ne suis même pas certaine qu’il ait senti quoi que ce soit. Est-ce parce qu’il est particulièrement musclé ou extrêmement tendu ? Je l’ignore.

Lorsque je me retourne vers le comptoir, Edwige me regarde, son horrible sourire espiègle accroché sur les lèvres. Elle remonte ses mains devant son visage en signe de reddition quand elle remarque mon air furieux.

— Espèce de sale peste ! Tu aurais dû me dire que cet homme était handicapé. J’ai été brusque avec lui, car je pensais qu’il se fichait de moi ! Qu’est-ce qu’il a pu ressentir selon toi ? Est-ce que tu t’es mise un instant à sa place ?

— Dieu m’en garde !

— Qu’est-ce que Dieu vient faire là-dedans ? Tu es tout bonnement ignoble.

Elle secoue la tête, faisant virevolter sa longue tresse blonde.

— Ça va, c’est Gaby, il n’a pas la lumière à tous les étages, après son café il ne s’en souviendra même pas.

— Tais-toi, tu m’écœures.

Même si le percolateur fait suffisamment de bruit pour couvrir notre échange, je suis gênée.

— Tu devrais te demander lequel de vous deux est le plus handicapé.

Edwige fronce les sourcils.

— Tu veux dire quoi par-là ?

— Devine toute seule, ça t’occupera !

Je pose le café et le beignet sur mon plateau, et la bouscule pour quitter l’espace du bar.

— Génial, vous vous êtes passé le mot ! On dirait que c’est ma fête aujourd’hui, geint-elle.

Pas un seul instant je n’ai imaginé qu’elle avait assez d’intelligence pour comprendre ma remarque. Pierre en revanche n’a pas perdu une miette de la conversation et éclate de rire.

— Il a un problème, Zorro, lui lance Edwige ?

Il lisse la moustache qu’il laisse pousser depuis quelques jours sur le dessus de sa lèvre et qui lui vaut ce surnom.

— Non, aucun, par contre, j’ai soif, ajoute-t-il en sortant un billet de cinq euros de sa poche de poitrine. Tu peux me servir un autre demi, s’il te plaît ?

Je traverse la salle et dépose la commande devant mon client.

— Voilà, monsieur, un café crème et un beignet au sucre. Je souhaitais m’excuser pour avoir été si peu agréable tout à l’heure.

Quand il lève ses prunelles brunes vers moi, il me capture. J’y lis de la douceur, de la gentillesse, et ce que je pense être une forme de vulnérabilité.  S’il éprouve des difficultés à s’exprimer, ce n’est pas le cas de son regard.

Puis il sourit, et je réalise qu’il est bel homme. Une fossette s’est dessinée sur son menton et de toutes petites rides plissent le coin de ses yeux.

Il me tend un billet pour régler sa consommation, et je replie ses doigts pour l’enfermer dans sa paume.

— C’est la maison qui vous l’offre, pour me faire pardonner mon mauvais accueil. J’ai été brutale et j’en suis désolée.

— C’est très gentil à vous, et ce n’est pas…

— Ça me fait plaisir, vraiment. Je vous souhaite un bon appétit.

Je me détache avec peine de ce regard hypnotique, mais je regagne le bar. Je plonge la main dans la poche de mon tablier et en sors quelques pièces que je range dans le tiroir-caisse.

— Pourquoi tu paies sa commande avec tes pourboires ? T’es pas obligée de faire ça !

Je ne prends même pas la peine de lui répondre, et elle hausse les épaules.

— Je dois partir sinon je vais louper mon train pour rentrer chez moi. Tu as intérêt à être correcte avec mon client, sinon…

— Sinon quoi ? m’interroge-t-elle, l’air effronté.

— Sinon, rien. Evidemment rien ! Je ne peux pas te contraindre à faire preuve d’humanité ; mais essaye juste d’être gentille, tu verras, ça ne fait pas mal.

Je l’ai vexée. Elle quitte le bar en ronchonnant et se réfugie en cuisine, où elle ira probablement se plaindre à Fred, mais je m’en moque.

Pierre étouffe un éclat de rire derrière sa main.

— Tu ne la changeras pas, tu sais. Elle est comme ça.

Même si j’en ai parfaitement conscience, le savoir ne rend pas cela normal pour autant. Je récupère mon sac sous le bar, et salue mon gentil client d’un geste de la tête en quittant la brasserie.

 

Chapitre 2

Gabriel

Il fait particulièrement froid lorsque je quitte le Marian’s. Le jour décline, les ombres grises se sont depuis longtemps allongées et se fondent dans l’anthracite du bitume humide. Le long des ruelles qui s’assombrissent, les riverains ont fermé leurs volets. Les bruits des batteries de cuisine et des téléviseurs annoncent déjà l’heure du dîner.

Tout indique qu’il est grand temps pour moi de rentrer.

Je connais le trajet par cœur, ce n’est pas là que se situe le problème. La difficulté pour moi est de parvenir à me souvenir que je dois prendre le chemin de la maison. Tant que je n’ai pas franchi la porte, tout peut arriver. C’est pourquoi on m’a recommandé de ne pas sortir seul. Mon esprit se plaît à divaguer quand j’ai le plus besoin qu’il se concentre, et mon corps, en bon petit soldat, suit le mouvement, quel qu’il soit.

Le vent s’est levé et j’ai les mains glacées. J’ai oublié mes gants sur la table de la brasserie. Je serre les poings au fond des poches de mon manteau de cuir, mais même son épaisseur ne parvient pas à les maintenir au chaud. Je tente d’ignorer la douleur qui emprisonne mes phalanges, et focalise mon attention sur le feu de cheminée qui m’attendra certainement à la maison. J’ai remarqué qu’ainsi, en me concentrant sur une seule et unique chose, j’arrive à canaliser mon esprit vagabond. J’en ai parlé avec mon psychiatre et il m’y encourage.

C’est donc ainsi que je suis parvenu à aller jusqu’à la brasserie aujourd’hui. Nous y étions déjà venus avec ma mère, et j’avais trouvé l’endroit particulièrement agréable. Pittoresque et un peu démodé, j’y avais passé un très bon moment. L’établissement est suffisamment près de chez moi pour être accessible à pied, tout en étant assez loin pour représenter ce défi que je suis assez fier d’avoir relevé. Je reviendrai me promener dans ce quartier de la ville, mais pour être honnête, ce ne sera pas le délicieux beignet au sucre qui me motivera cette fois, mais le sourire charmant de cette serveuse.

L’air glacial m’emplit les poumons quand je respire profondément pour recentrer mon attention, et déjà le portillon de fer peint apparaît au bout de la rue.

Je suis arrivé à bon port, et ce n’est que maintenant que je m’autorise à penser que si mon esprit s’était offert la liberté d’aller divaguer, j’aurais pu errer toute la nuit avec pour seul compagnon d’infortune ce froid quasi sibérien.

Le portillon grince sur ses gonds et le lampadaire du porche s’allume. J’ai dans l’idée que je vais passer un sale quart d’heure.

La porte s’ouvre brusquement.

— Bon sang, où étais-tu donc ?

Ma mère se tient dans l’entrée. Elle cramponne les pans de sa robe de chambre pastel, et frissonne violemment. Elle me tend la main. Je l’ignore. Je n’ai pas besoin d’aide pour grimper les quelques marches du perron.

— Dépêche-toi de rentrer, tu vas attraper la mort avec ce froid.

— C’est toi qui ne devrais pas sortir, moi je suis habillé…

Les semelles de mes chaussures crissent sur le carrelage. D’un geste vif, ma mère m’arrache quasiment mon vêtement des mains, mais je le retiens fermement.

— Tu ne penses pas que je suis bien assez grand pour le ranger moi-même ?

Elle bougonne un instant et s’écarte pour me laisser accéder au placard.

— Allez, va vite t’installer au salon, il y fait bien plus chaud. Je vais t’apporter ton dîner.

Je pose doucement ma main sur son épaule, et je cherche mes mots. Ceux qui me viennent sont imbibés de rage et de frustration ; pourtant elle ne les mérite pas. Je suis en colère contre ces chaînes invisibles qui m’astreignent à n’être plus que l’ombre de moi-même, mais je ne suis pas en colère contre elle…

— Je vais me servir tout seul, va près du feu, je t’y rejoins.

— Tu es un gentil petit, me dit-elle en recouvrant ma main encore gelée de la sienne, rendue osseuse par les années.

Je soupire quand les reliefs de la poignée du rangement de l’entrée s’incrustent dans ma paume, et que je comprends combien je l’ai serrée entre mes doigts.

— Certainement maman…

Je relâche ma prise, et ferme les yeux jusqu’à en avoir mal, pour ne les rouvrir que lorsque j’entends ses pas traînants résonner dans le salon.

« Un gentil petit » ! Voilà donc ce que je suis devenu ? Un môme ? Un gamin obéissant ? Un de ceux que l’on qualifie de « gentil » pour ne pas dire « débile » ?

Cela me donne envie de hurler.

Je me débarrasse de mon manteau en l’accrochant dans le placard, et… ? Cette mémoire infidèle va me rendre fou. Je ne sais plus ce que je suis censé faire ensuite.

En refermant la porte du placard, le miroir qui l’habille me renvoie le reflet de l’ampoule du plafonnier de l’entrée et je me force à le fixer. Un point lumineux, captivant et désagréable au point d’en être douloureux, pour m’aider à me concentrer.

Que dois-je faire après ?

Elle vient juste d’en parler, mais ses mots m’ont déjà échappé…

Puis comme si mon pauvre corps avait pitié de mon esprit torturé, mon estomac choisit cet instant pour grogner et me souffler la réponse.

Manger. Voilà ce que j’étais supposé faire.

D’un pas traînant, j’entre dans la cuisine. L’éclairage doux de la hotte me sera suffisant pour remplir une tasse de la soupe qui est restée au chaud dans le faitout. J’hésite un instant à la boire d’un trait, debout devant la cuisinière, mais je sais qu’elle m’attend, alors je la rejoins au salon.

Et en effet, les yeux rivés sur l’embrasure de la porte, je n’ai pas encore franchi le seuil que déjà, elle m’interroge.

— Veux-tu me raconter ce que tu as fait cet après-midi ? me demande-t-elle.

Lentement, je débarrasse le fauteuil que sa panière à tricot occupe et m’assieds. Le feu crépite doucement dans l’âtre, sa chaleur m’enveloppe à peine je suis installé. Je m’autorise encore quelques secondes de réflexion en soufflant sur le liquide brûlant avant de répondre à sa question

— Je suis allé me promener… du côté de la vieille gare.

— Si loin, s’exclame-t-elle, bon sang, tu es complètement fou, tu aurais pu te perdre en route !

Je bois une gorgée de potage et je grimace. C’est insipide. À peine plus savoureux qu’à l’hôpital. C’est vraiment peu dire.

— Si je suis là, c’est que je ne me suis pas égaré, maman.

Elle s’agite sur son fauteuil.

— C’est une chance, pourtant tu as pris de gros risques, et ton petit mot près du téléphone n’a fait que m’inquiéter, ne fais plus cela. Tu imagines tout ce à quoi j’ai pu penser en ne te voyant pas rentrer lorsque la nuit est tombée ?

Parce qu’il le faut et que c’est ce que ferait un enfant qu’on réprimande, je lève le regard sur son visage. Sur son front se marque cette large ride que je reconnais, celle qui indique clairement qu’elle est contrariée et que c’est ma faute…

Cela ne devrait plus être, et je lutte contre l’envie de serrer mes poings tant cela me frustre.

Elle hoche la tête en signe de désapprobation et claque sa langue derrière ses dents, provoquant ce bruit étrange qui a toujours eu le don de m’exaspérer. Je sais qu’il n’est pas juste que je l’éclabousse de ma colère, et je peine à me contenir.

— Mais le « gentil petit » est de retour… à la maison, n’est-ce pas, maman…

Elle pose l’index sur ma poitrine.

— Ne sois pas sarcastique, tu veux, c’est très désagréable !

J’inspire profondément, et me concentre pour ne pas buter sur cette phrase que j’aimerai tellement qu’elle comprenne.

— Le sarcasme, c’est à peu près tout ce qui me reste, non ? Je n’ai plus faim, je vais me coucher.

Je me lève et l’embrasse. Elle est encore estomaquée par mes derniers mots, mais je ne lui laisse pas le temps de se ressaisir. En ce qui me concerne, la discussion est close.

Je suis fatigué, je ne veux plus rien entendre. Je l’abandonne au salon, et je ne prête même pas attention aux mots qu’elle murmure. Sont-ce des remontrances, ou simplement un « bonne nuit », je n’en sais rien et je décide que cela n’a aucune importance.

Quand j’arrive dans ma chambre, les volets sont fermés, mais l’image que j’observe est identique à celle d’hier, d’avant-hier et probablement à celle de demain. Une veilleuse est allumée, elle éclaire le lit ouvert. Les draps sont parfaitement tirés, comme s’ils sortaient juste du repassage. Un pyjama à carreaux m’attend, plié dans un rectangle parfait au pied du lit. Je n’ai plus porté ce genre de déguisement depuis l’âge de douze ans, mais entre ces murs et dans l’esprit de ma mère, ils sont revenus à la mode. Je me demande si ce n’est pas un ancien pyjama de mon père d’ailleurs ; mais si l’on considère ma carrure et celle qui était la sienne, je ne comprends pas comment elle a pu imaginer que je pourrais l’enfiler. Une paire de pantoufles patiente sagement au bord du tapis, et leur présence m’horripile, j’ai toujours détesté ça.

Comme chaque soir, je balance un coup de pied dans les Charentaises, et j’envoie voler le pyjama d’un revers de main. Je me déshabille et me jette, en slip, dans le lit.

Mes bons vieux boxers me manquent, même si je sais que d’ordinaire, je dors nu.

Demain, ma mère trouvera la chambre en désordre, et à l’instar des autres jours, les choses seront à nouveau rangées, pliées et aseptisées après son passage. Elle ne me sermonne plus comme un petit garçon, j’ai déjà gagné ça, mais je veux surtout qu’elle comprenne que je ne souhaite pas qu’elle m’infantilise avec ces attentions d’une époque révolue. Je garde l’espoir qu’elle finira par admettre que rien ne justifie une telle régression, et qu’à bientôt trente ans, je ne le supporte plus.

J’entends ses pas lents dans l’escalier, puis le cliquetis de la porte du couloir. Ma mère s’est enfin couchée. Maintenant, au moins, elle ne vient plus me border. Cela avait été une rude négociation, et j’avais gagné !

Je veille à ne pas faire de bruit lorsque j’ouvre le tiroir de ma table de nuit et j’allume la lampe de chevet. Je pourrais m’installer sur mon fauteuil de bureau, mais le parquet grince un peu par endroit, et elle m’entendra. Elle viendra me voir pour me proposer encore une des petites pilules pour dormir qu’elle garde en réserve dans sa chambre.

Mais je ne veux plus de ses saloperies.

Je sais que je suis injuste, car elle m’est totalement dévouée, mais je n’en demande pas tant, et cela me pèse. J’aimerais être capable de me passer de son assistance, et de me débrouiller seul… parce que même si j’ai joué les fiers à bras tout à l’heure en rentrant de mon escapade, cette promenade a été difficile. L’effort de concentration que cela a exigé a été colossal et je suis effectivement très fatigué ; éreinté même, et pourtant tellement heureux d’avoir réussi.

Dans le tiroir que je viens d’ouvrir, et comme chaque soir, je dois sortir l’exemplaire de la Bible que ma mère replace précisément sur le dessus de la pile de livres que j’y range. Elle espère que je vais m’en remettre à Dieu, mais je préfère croire en la science. J’ai le sentiment que prier est une sorte d’abandon et je me sentirais plus enclin à tester un remède vaudou qu’à réciter un « Notre Père ». Évidemment, nos points de vue s’opposent, je n’ai pas d’autre choix que celui de la laisser parler.

J’extirpe du tiroir un vieux carnet bleu écorné. Depuis que j’ai récupéré la notion du temps, j’ai décidé de consigner chaque journée ; ou du moins ce que je suis en mesure de me souvenir une fois la journée achevée, car parfois, les souvenirs se délitent et les repères temporels se mélangent un peu.

Aujourd’hui, j’ai des choses à écrire. Les images fusent et les mots se bousculent. Je griffonne dans la marge de la page les mots clés qui me viennent. C’est un réflexe que j’ai conservé de l’époque — pas si lointaine — ou je pilotais les réunions avec mon associé et mes collaborateurs. Ce sont ces minuscules détails de ma vie d’avant qui me confortent dans l’idée que Gabriel n’est pas mort, mais qu’il sommeille quelque part, bien caché derrière le « bon petit Gaby. »

« Cher journal »

Je ferme le poing. C’est tellement puéril… Heureusement que je suis le seul à lire ces lignes. Je ressens le même besoin de m’adresser à ce carnet que lorsque j’étais enfant. C’est à la mort de mon père que j’ai commencé à utiliser les mots comme exutoire et à déverser ma peine dans les pages d’un carnet ressemblant à celui-ci.

J’inspire profondément.

« J’ai trouvé le moyen de sortir seul. Il me faut beaucoup de concentration, et pour m’y aider, j’écris ma destination sur un papier que je garde dans ma main. Quand je sens que mon esprit s’évade, je le relis, et les choses semblent s’éclairer de nouveau. C’est terrible cette sensation de n’être capable que d’une seule pensée à la fois, et c’est très déroutant ».

Je raye une des annotations de la marge, comme un point de l’ordre du jour que j’aurais terminé de traiter.

« Je suis allé jusqu’à la vieille gare. Ce n’est qu’à quelques kilomètres d’ici, et marcher même s’il fait froid m’a fait du bien. Je n’ai pas pris le train, même si cela aurait été plus rapide, car je ne sais pas si je serais capable de descendre au bon arrêt. Je tenterai probablement l’expérience un peu plus tard ».

Je noircis un deuxième mot.

« J’ai rencontré un ange… une serveuse de chez Marian’s »

Je voudrais en écrire plus, mais que pourrais-je en dire ? Qu’elle a de magnifiques yeux bleu-vert, que sa voix glisse comme du velours quand elle me parle, que ses mains sont minuscules, d’ailleurs, elle est minuscule comparée à moi… Gabriel lui aurait donné son numéro, ou il aurait pris le sien et il ne serait certainement pas dans la réplique de sa chambre d’adolescent à griffonner sur un vieux cahier. Il l’aurait invitée à dîner, ou au cinéma, et plus si affinité… Par contre, Gaby…

Je crois que Gaby lui a simplement fait pitié.

« Je retournerai au Marian’s »

Je raye les deux dernières notes de la marge et je referme le calepin, je le range tout au fond du tiroir et j’éteins la lumière.

Maintenant que j’ai débranché la veilleuse, la chambre n’est éclairée que par le faible rayonnement du réverbère de la rue. Je tends la main vers le gobelet de comprimés qui m’attend sur la tablette, et je me ravise.

Pas cette nuit. Je n’ai pas envie de ces drogues qui sont supposées m’aider à oublier que je n’arrive pas à remonter la pente, mais qui n’y parviennent pas. Demain, je regretterai peut-être cet écart dans mon traitement, et je décide que je m’en moque.

Je rallume la lampe pour ressortir le petit calepin bleu et j’ajoute, d’une écriture un peu moins soignée, ce que je ressens à cet instant :

« Je veux que tout cela cesse. Je ne supporte plus cette existence qui n’en est même pas une. Chaque jour, je m’emplis d’émotions, de douleur, de peine, sans pour autant savoir quoi en faire. Et les jours passent et bientôt toutes ces émotions me détruiront, je pourrirai, puis je me dessécherai, lentement, inexorablement. Ce soir je n’avalerai pas de médicaments. J’en paierai peut-être le prix demain, mais je vais en prendre le risque, car quitte à devenir fou, autant le décider moi-même. »

 

Chapitre 3

Claire

C’est la troisième fois depuis l’ouverture du bar, que je passe la lavette sur les tomettes de la salle. Il a neigé toute la nuit et de gros flocons descendent encore mollement. Le ciel gris est tellement chargé qu’il semble peser de tout son poids sur le toit des maisons.

Je regarde, dépitée, les parapluies dégoulinants, les pardessus trempés et les bottes souillées qui franchissent le seuil. C’est pourtant si joli cette neige parfaite quand elle recouvre tout de son beau manteau blanc… Dommage qu’il faille en passer par la fonte et sa bouillasse répugnante. Je range la serpillière à portée de main, il y a fort à parier que j’en aurai bientôt de nouveau besoin. Derrière le bar, le poêle à pétrole diffuse une douce chaleur. Les températures ont beaucoup dégringolé ces derniers jours, le chauffage central et la cheminée ne suffisent pas toujours à compenser les courants d’air qui nous transpercent à chaque ouverture des portes de la salle.

La clochette tinte à l’arrivée d’un nouveau client. Emmitouflé dans une épaisse parka et un bonnet enfoncé sur le crâne, il tape lourdement des pieds sur le paillasson extérieur pour chasser la neige de ses bottes.

— C’est pas un temps à mettre le nez dehors ! grogne-t-il au travers de son écharpe de laine.

Il me faut quelques secondes pour le reconnaître.

— Pierre, c’est toi qui es caché là-dessous ?

— Bien sûr que c’est moi, qui veux-tu qui soit assez fada pour sortir par ce temps, répond-il en ôtant son bonnet et son gros manteau.

— Tu n’avais qu’à rester au chaud dans ton château, lui rétorque Edwige alors qu’elle essuie les chopes qu’elle récupère une par une dans le lave-verre. Moi, si j’avais eu le choix, je serais encore sous la couette !

— Ah non, pas aujourd’hui. C’est jour de visite de l’oncle Charles et de sa poupée siliconée. Il aurait fallu m’attacher au radiateur pour que je subisse ça, je préfère encore venir me cailler les fesses ici !

— Quand même, y’a qu’un nigaud pour tourner le dos à un oncle plein d’oseille…

C’est Mérédith, le regard déjà bien embrumé et la prononciation pâteuse, qui tente de participer à la conversation.

— Il n’est pas encore assez près de la tombe pour que je perde mon temps à écouter ses leçons de morale. Tiens, tu me sers un demi ? conclut-il en se hissant sur le tabouret de bar.

La vieille femme dodeline un instant de la tête, et laisse retomber son menton sur sa poitrine, donnant ainsi l’impression de se replonger dans la lecture de son journal. Bientôt, sa respiration reprendra le rythme caractéristique de la somnolence, et elle ne refera surface qu’au prochain tintement de clochette de la porte.

Je laisse Edwige servir la bière de Pierre pour suspendre son vêtement qui goutte sur la tomette. En passant une nouvelle fois la serpillière, je les entends, forts de leur vénalité commune, déblatérer sur les richesses de ceux qu’ils envient, chacun à leur manière. Elle, en attendant le mariage lucratif, et lui, l’héritage providentiel.

Il n’y a pas beaucoup de monde aujourd’hui dans la brasserie. Dehors les enfants dont l’école est fermée jouent dans la neige. En grosses doudounes et bottes fourrées, les plus petits ont une démarche incertaine, et pour beaucoup d’entre eux, ces jeux de neige sont une grande première. Ils sont attendrissants avec leurs bouts de nez rouges et leurs rires cristallins s’élèvent jusqu’ici.

Je surprends mon propre sourire dans le reflet de la vitrine.

Un jour, j’aimerais accompagner mes enfants sur la place d’un village pour jouer dans la neige, comme ces mamans que j’observe et qui semblent si heureuses. Je sais que certaines jeunes femmes de mon âge sont particulièrement réfractaires à l’idée d’avoir des enfants ; ce n’est pas mon cas. Il me tarde de pouvoir serrer contre moi un petit corps tiède à la bonne odeur de talc ; mais, pour ça, il faudra déjà que je trouve le temps de dénicher le papa idéal…

Mon regard est soudain attiré vers l’espace dégagé où l’été, les hommes jouent à la pétanque. Un attroupement s’est formé, et les gesticulations y vont bon train. Les enfants ont roulé sur toute l’allée du parc une boule qui est maintenant énorme. Elle est si grosse qu’ils ne parviennent même pas à hisser en son sommet l’autre boule, plus petite, qui est supposée devenir la tête de leur bonhomme. Immanquablement emporté par son poids, l’ensemble bascule et la boule s’écrase au sol. Les plus jeunes éclatent de rire à chaque chute, quant aux plus grands, ils s’énervent de devoir recommencer. Un groupe d’adolescent, perchés sur les dossiers des deux seuls bancs du square se moquent ouvertement d’eux.

Puis une silhouette approche.

Son grand manteau de cuir noir flotte au gré de sa démarche et les pans lui fouettent les jambes. Je reconnais sans peine cette démarche lente et assurée, cette haute stature et ce visage, même s’il est à moitié caché par sa grosse écharpe…

Les énormes mains saisissent la boule avant qu’elle ne s’écrase sur le sol. Il la pose au pied d’un petit garçon le temps d’aplatir le haut du corps du bonhomme pour en faire une assise. Plus aucun enfant ne parle. Ils observent cet homme imposant qui s’est immiscé dans leur jeu d’un regard curieux, puis, rapidement, ils comprennent qu’il est un allié de poids et s’activent autour de lui en riant. Quand la deuxième boule est enfin en place, un des petits tend à l’homme un vieux chapeau de paille, alors l’homme le soulève de terre afin qu’il couvre lui-même le bonhomme de neige.

Puis, il les laisse à leurs jeux et traverse la rue en direction de la brasserie. J’ai du mal à le quitter des yeux. Son écharpe a glissé, et son visage est rougi par le froid. Il sourit. Je lisse mon tablier blanc du bout des doigts, et je m’étonne de ce geste de coquetterie, qui ne m’est pas habituel.

Un « merci m’sieur » pénètre en même temps que lui quand il passe la porte et il se retourne pour adresser un petit signe à la fillette qui vient de crier.

À peine entré, il balaye la salle des yeux et nos regards se croisent. Je lui souris. Ses cheveux sont un peu longs et rebiquent sous son bonnet ; une mèche d’un brun chaud est collée sur son front. Il retire son manteau et le suspend à la patère puis souffle sur ses mains pour les réchauffer.

Je vais rapidement récupérer derrière le bar la paire de gants qu’il avait oubliée, et m’approche de lui alors qu’il regarde la table qu’il occupait lors de sa dernière visite. Elle n’est pas libre.

— Bonjour monsieur, je suis ravie de vous revoir au Marian’s.

Je lui tends ses gants et ses doigts gelés frôlent les miens.

— Vous les aviez oubliés sur votre table.

Il me remercie d’un geste et les fourre dans la poche de son manteau. Ses gestes sont lents, pour autant, ils me paraissent moins hésitants que l’autre jour. Son regard en revanche est toujours le même. Il me fixe, comme s’il cherchait à voir quelque chose au fond de mes yeux. Un autre que lui m’aurait mise mal à l’aise, mais il n’en est rien.

— Notre brasserie a la particularité de disposer d’une cheminée, je vous propose de vous installer là-bas, il y fait bien chaud.

J’adopte sans le vouloir le ton d’une commerciale qui présente son produit, ça m’agace, et cela semble l’amuser.

— C’est très bien. Est-ce qu’il est trop tard pour déjeuner ?

— Le cuisinier et parti. Je peux quand même vous préparer un croque-monsieur.

Il sourit de nouveau.

— C’est ce que j’aurais commandé de toute manière.

Il s’installe sur une des tables près de la cheminée. Le couvert est mis pour deux personnes, comme toutes les tables qui occupent cet espace, mais au moment de débarrasser l’assiette de trop, je me ravise.

— Je finis mon service dans quelques minutes, accepteriez-vous que je me joigne à vous pour déjeuner ?

— J’en serais ravi, enchanté même !

Bon sang, ce que j’aime cette voix grave !

Lorsque je retourne au bar, Edwige me regarde de son air moqueur.

— C’est bon, tu as retrouvé ton copain, me lâche-t-elle.

Je hausse les épaules.

— Je vais terminer mon service un peu plus tôt aujourd’hui.

— En quel honneur ? Tu as encore plus d’une demi-heure de boulot à faire !

— La salle est presque vide ; Mérédith a dû boire les derniers euros de sa pension il y a au moins deux jours, quant à Pierre, il bécote la fille du serrurier et il a eu son compte de bière pour la matinée. J’ai nettoyé la réserve à ta place ce matin parce que tu trouvais qu’il n’y faisait pas assez chaud, et j’ai déjà passé la serpillière plusieurs fois aujourd’hui. Je pense que j’ai fait ma part.

— N’empêche que t’as encore une demi-heure à tirer.

Je sors le pain de mie et le jambon de la chambre froide.

— Écoute Edwige, on ne va pas se lancer dans cette discussion, parce que je pourrais aussi te parler de tes innombrables pauses cigarette ! Je ne rechigne pas à faire le boulot que tu ne veux pas faire, donc pour une fois que je te demande un service…

Elle soupire.

— Ouais… et tu pars en avance pour faire quoi ?

Sa curiosité m’agace et je n’ai pas envie de lui répondre, alors elle regarde les assiettes que je suis en train de préparer.

— Ne me dis pas que tu vas manger avec Gaby ? Claire, ce type est un débile mental !

— Déjà, je déjeune avec qui je veux. Et puis, je ne sais pas ce qui te permet de le traiter comme ça, tu ne le connais pas.

Et quand bien même elle le connaîtrait, personne ne mérite qu’on le traite ainsi ! Pour ma part, je me contrefiche de son quotient intellectuel ; il m’est sympathique, il paraît gentil. Et si j’en crois ce que j’ai vu tout à l’heure alors qu’il aidait les petits dehors, il est sociable. Quitte à déjeuner, autant que nous ne soyons pas tous les deux dans notre coin ; rien n’est plus simple que ça.

— Tu peux pas en pincer pour ce mec-là.

— Je n’ai jamais dit que j’en pinçais pour lui, tu as les idées très mal placées, mais je peux avoir envie de passer du temps avec lui, tout simplement.

Elle le regarde, puis entortille le bout de sa natte sur son doigt.

— Après, débile ou pas, c’est vrai qu’il est canon, des mains comme ça, ça doit faire des trucs sympas… En plus, il paraît que quand ça débloque au plafond, ça marche plutôt bien côté caleçon…

Alors que je couvre les tranches de pain de fromage râpé, mon geste se fige.

— J’arrive pas à croire que tu aies dit ça !

— Aller, c’est bon, joue pas à la sainte-ni-touche, et ne me dis pas que tu n’y as pas pensé, sinon, qu’est-ce qui ferait que…

Je la fusille du regard, et elle recule sous l’impact.

— Fous-moi la paix.

— OK ! C’est bon ! Mais ne compte pas sur moi pour servir ta table, tu te débrouilles.

— Ça tombe bien, je n’ai pas besoin de toi.

Je récupère les croque-monsieurs sous le grill, et les pose dans les assiettes que j’ai garnies de salade. Je déteste cette Edwige et sa méchanceté, l’entendre parler ainsi de cet homme qu’elle ne connaît même pas me donne envie de la gifler, et ça me fait de la peine pour lui.

Edwige a repris sa place derrière le bar. Elle monte le son du téléviseur où la présentatrice météo débite les prévisions du jour. Mérédith lève le nez pour lancer son quotidien « ils disent que des conneries à la météo » avant de repiquer du nez : c’est l’heure de sa sieste de l’après-midi.

Quand j’arrive à la table où Gaby m’attend, j’ai retrouvé mon calme, ou du moins, j’en ai l’air. Il regarde d’un air attendri les enfants qui jouent derrière la vitre. Le bonhomme de neige a maintenant des bras faits de branchage, un caillou est devenu son nez et ses deux yeux bleus me semblent être des bouchons de bouteilles d’eau.

— Quand j’étais gamin, j’adorais jouer dans la neige, me dit-il lorsque je m’assieds.

— Ce n’est pas souvent qu’il en tombe dans notre région.

— Ici, non, c’est vrai. Nous allions tous les hivers à la montagne avec mes parents.

L’homme qui est en face de moi est assez différent de celui que j’ai rencontré la première fois. Son regard est plus vif et ses gestes aussi.

— J’ai apporté deux sodas, cela vous convient ?

Il acquiesce d’un geste de la tête, et son regard reste arrimé au mien.

— Votre collègue ne semble pas très gentille avec vous…

Sa phrase n’est même pas une question, elle ressemble à une constatation. J’espère qu’il n’a pas entendu les propos déplacés d’Edwige.

— Nous ne sommes pas amies, en effet.

Il pince les lèvres d’un air compatissant.

— Bon appétit, Gaby.

— Gabriel. Il n’y a que ma mère qui m’appelle Gaby, et je n’aime pas ça.

Je peux le comprendre, Gabriel, ça lui va bien mieux que Gaby.

— Bon appétit, Gabriel !

— Bon appétit à vous aussi « mademoiselle ? », me répond-il en insistant sur ce dernier mot

Je lui souris.

— Claire.

— Je suis enchanté Claire.

Il coupe un morceau de son croque-monsieur qu’il garde au bout de sa fourchette.

— Vous allez avoir des ennuis parce que vous déjeunez avec moi ?

Je remue la tête, le temps d’avaler ma bouchée.

— Il n’y a pas lieu que j’aie des ennuis…

— Ce n’est pas ce qui m’a semblé, ajoute-t-il en jetant un regard en direction du bar où Edwige griffonne sur son cahier de mots croisés.

— Il faut toujours qu’elle ait quelque chose à dire ; mais c’est le cadet de mes soucis et franchement, je m’en moque.

— Elle craint peut-être de vous voir à mes côtés…

— Je ne lui demande pas de s’occuper de moi, et je fréquente qui je veux.

— Même un… débile ?

Je pose mes couverts et le fixe. J’ai du mal à déglutir le morceau de jambon que je viens de mastiquer.

— Je l’ai entendue quand vous discutiez. Je ne voulais pas vous écouter, mais elle parle fort…

Je prends sa main, et relève les yeux vers lui.

— Je n’ai jamais dit le moindre mal de vous…

— Je le sais. Ça aussi je l’ai entendu, me dit-il en enfermant mes doigts dans sa large paume. Dans le cas contraire, je ne serais pas resté.

Nous finissons notre repas en parlant de tout et de rien, et au moment de l’addition, qu’il insiste pour régler, je lui promets de l’inviter la prochaine fois.

Car il y aura une prochaine fois, j’en ai vraiment envie. Gabriel me bouleverse autant qu’il m’intrigue. Sous cette apparente fragilité, on sent qu’une véritable force se contient. Il est intelligent et même si à certains moments il a besoin de quelques secondes pour réagir, il est cultivé et il a beaucoup d’humour. Je ne sais pas ce qui lui est arrivé. J’ai senti au travers de ses mots qu’il vivait quelque chose de compliqué. Un accident visiblement, dont la guérison lui paraît longue. Il n’en a pas dit plus. Il en parlera, quand il le souhaitera.

Je touche ma joue du bout des doigts, c’est là qu’il m’a embrassée en partant. C’était très agréable.

— Et oh, ici la terre ! me crie Edwige. Tu débarrasses ta table ou je dois le faire, madame la cliente ? ajoute-t-elle en détachant chaque syllabe de la fin de sa phrase.

— Je t’ai dit que je n’avais pas besoin de toi.

Je ramasse nos couverts et les pose sur mon plateau.

— Fred est là, il t’attend dans la cuisine, me lance-t-elle en claquant son horrible chewing-gum.

Son air triomphant m’indique tout de suite la teneur de la discussion qui va suivre et en effet, l’air embarrassé, Fred me regarde fixement.

— Claire, je suis désolé, tu n’as pas terminé ton service, je suis obligé de…

— Tu es obligé de donner raison à ta petite protégée, sinon elle va encore bouder ? Laisse tomber Fred, j’abandonne. C’était mon dernier jour, je ne reviendrai pas demain. J’en ai ma claque de supporter sa méchanceté et ses sarcasmes. Mais rassure-toi, au train où elle y va, il n’y aura bientôt plus personne à malmener dans ce bar. Les gens foutent le camp et je ne les en blâme pas. Je passerai récupérer ce que tu me dois demain matin. Bon courage à toi.

Je ne lui laisse pas le temps de répondre, et dépose mon tablier et mon plateau sur le zinc. Je trouverai un autre moyen de gagner ma vie.

 

 

 

Chapitre 4

Claire

Je suis dépitée…

Je claque la porte de mon appartement et jette les clés sur le guéridon de l’entrée avec un peu plus de force que nécessaire. Évidemment, elles glissent sur la surface lisse et vont se loger sous le radiateur.

Il y a des jours comme ça, où rien ne va comme on le souhaite !

Je pose mon sac à main sur le plancher, et je m’agenouille pour les récupérer. En me relevant, je heurte de la tête l’étagère sur laquelle il y avait un vase que je rattrape de justesse.

Ce n’est vraiment pas ma journée…

Cela fait deux mois que j’ai démissionné du Marian’s. J’ai retrouvé du travail sans trop de difficulté, et j’ai enfin pu économiser suffisamment d’argent pour reprendre le cours de mes études. Il y a une heure encore, j’étais plutôt sereine et heureuse de mon avancée, jusqu’à ce que le secrétariat de l’université vienne souffler sur mes projets comme s’ils n’étaient qu’une petite poignée de confettis.

« Année de réforme ».

Je dois repasser tous les examens des trois années passées… Le pire de tout aura été quand la secrétaire m’a déclaré que si j’avais repris les cours au dernier semestre, ils auraient pris mes précédents résultats en compte ! Maintenant, c’est trop tard, bien sûr.

Je n’ai rien validé dans les délais.

Ils n’offrent aucune séances de rattrapage.

Il n’y aura aucune de dérogation.

Elle est désolée…

Pas autant que moi, bon sang ! C’est comme si j’avais passé les trois dernières années à me rouler les pouces !

Je regarde d’un sale œil la grosse bibliothèque qui regorge de ces manuels indigestes que je vais devoir étudier de nouveau pour me préparer aux épreuves dont je pensais être débarrassée. Je serre les dents en m’asseyant sur le bras de mon canapé hors d’âge. Le visage entre les mains, je prends une grande respiration. Il n’est pas question que je donne raison à mon père. Je lui ai juré que je m’en sortirais sans ses précieux millions et il en sera ainsi, même si je dois manger des patates et des nouilles tous les jours jusqu’à ce que j’obtienne ce diplôme. Je refuse de céder à la facilité de le laisser corrompre cet avenir dont je rêve.

Non ! Résolument non !

Tout est affaire de calcul. En passant plus de temps à étudier, et moins à travailler pour gagner de l’argent, je vais certes devoir réorganiser mon train de vie, mais au moins j’assurerai les examens. À la fin de la troisième année, j’avais dû lâcher les études parce que j’avais mal estimé le coût de mon indépendance, maintenant je sais exactement de combien je dispose et je vais compter différemment.

J’ai envisagé de déménager pour m’éloigner du centre-ville, maintenant que je n’ai plus à me déplacer pour mon travail, la proximité des transports en commun est moins nécessaire ; mais les loyers ne sont pas moins chers ailleurs et s’il faut en plus compter les frais d’un déménagement, ça n’en vaut vraiment pas la peine. Il ne me reste qu’à espérer ne pas avoir besoin de cours particuliers ou de nouveaux bouquins, sinon il sera nécessaire d’économiser encore sur autre chose…

Quand je pense que ma chambre d’enfant est plus grande que cet appartement, balcon compris !

Pauvre petite fille riche… La maison de mon père est un véritable palace avec ses huit chambres, dont chacune dispose de son propre dressing, de sa salle de bains et de ses toilettes. La piscine est un régal été comme hiver puisqu’elle peut être couverte et mon père a même installé une salle de projection au sous-sol… Rien ne pouvait me prédisposer à supporter le genre d’appartement que j’occupe aujourd’hui.

Rien, sinon la promesse que je me suis faite de me soustraire à la toute-puissance de ma famille. Papa pariait sur ce besoin de confort dans lequel il m’a élevée pour me faire revenir sur ce qu’il pense être le bon chemin. Il a fait fausse route, car je ne céderai pas, je tiendrai le cap et pour ça, il faut que je me remette au travail.

J’allume mon ordinateur et j’ouvre ma messagerie. Mon nouvel emploi consiste en la rédaction de la correspondance de plusieurs entreprises. J’ai trois patrons, et un quatrième semble en passe de me confier une mission pour m’évaluer. C’est assez lucratif, et moins fatigant que de servir à la brasserie. Ce télétravail m’offre aussi une grande souplesse pour m’organiser, et ça non plus, ce n’est pas négligeable.

Je croque dans ma pomme tout en me mettant à la tâche et de document en document, la journée défile sans que je m’en aperçoive, jusqu’à ce que le téléphone sonne. J’hésite à répondre, car il n’y a pas grand monde qui se souvient de mon numéro de téléphone, et en général ce sont des démarcheurs qui appellent.

— Allo ?

— Bonjour Claire, c’est Lydie, comment vas-tu ?

— Oh, Lydie, je vais bien, merci. Et toi ? Toujours dans les préparatifs de ton mariage ?

Après la traditionnelle année de fiançailles, ma cousine s’apprête à convoler en justes noces. Le fiancé, qui n’est autre que le fils d’un ami de mon oncle, s’est tout d’abord lié avec la belle-famille en devenant le bras droit de son futur beau-père.

— C’est pas si terrible, tu sais, je me contente de donner mon avis et de faire des essayages, parfois c’est même drôle.

Elle marque une pause.

— J’aurais aimé faire cela avec toi. Tu te rappelles quand nous faisions les boutiques ensemble ? Nous avons souvent évoqué nos futurs préparatifs de mariage.

— Oui Lydie, je me souviens. Ça fait une éternité, depuis les choses ont changé.

— Je sais qu’elles ont changé, mais j’enrage de ne pas comprendre pourquoi !

Je remue la tête, même si j’ai conscience qu’elle ne voit pas mon geste, et remonte mes cheveux d’une main.

— Cela n’aurait aucun intérêt que je t’explique, c’est une longue histoire de famille. Tu n’es pas concernée.

Ça, c’est un beau mensonge !

C’est même un énorme mensonge, parce qu’elle est sacrément concernée au contraire. Son père, tout comme le mien est un escroc et vraisemblablement l’homme qu’elle s’apprête à épouser ne vaut pas mieux que les autres… Cela dit, je n’ai pas l’intention de lui révéler ce que j’ai découvert. C’est ce qui m’a fait fuir ma propre famille, et je sais qu’elle préférera ne pas me croire plutôt que faire comme moi, et tout quitter. Lydie aime trop la vie qu’elle mène, avec ses dorures et ses dentelles.

Elle revient à la charge.

— Et cette histoire stupide vaut la peine que tu te terres comme tu le fais dans ce taudis alors que ta maison est à moins de trois kilomètres de là ?

Je ne comprends pas pourquoi elle semble d’un coup remontée contre moi.

— Est-ce que tu sais qu’il fait nettoyer ta voiture chaque semaine, juste au cas où tu déciderais de revenir ou que tu en aurais simplement besoin ?

Je soupire. Le ton que ma cousine emploie me rappelle combien nos deux mondes sont maintenant différents.

— C’est lui qui t’a demandé de m’appeler, n’est-ce pas ?

— Pas directement, me répond-elle. Je trouve simplement que tu n’agis pas comme doit le faire une fille digne de ce nom…

Les mots sont lâchés. Ainsi on a dépassé le stade du « non-jugement ».

— Alors j’assume d’être une fille indigne, car je ne reviendrai pas sur les décisions que j’ai prises en partant.

Un silence s’installe.

— Tu seras là pour mon mariage ?

Pour avoir la paix, je pourrais dire « oui », et trouver après coup une excuse bidon pour justifier mon absence, mais je n’en ai pas envie. Et ce serait malhonnête de toute façon. Lydie en informerait mon père et si j’en crois ce qu’elle vient de me dire, il y verrait un signe de mon retour. Je ne veux pas qu’il nourrice de faux espoirs. Je ne reviendrai pas vers lui.

— Tu m’enverras une photo ?

Le téléphone reste muet un long moment.

— Alors, c’est bien fini, on ne te verra plus jamais ? Même aux fêtes de famille ? me demande tristement Lydie.

Je pose le bout de mon doigt sur la photo de mon père que j’ai suspendue dans l’entrée. Un cliché qui a été pris lors d’un match de polo où il a fière allure, adroitement juché sur son cheval, un sourire de vainqueur accroché sur les lèvres.

Je souffle.

— Je le crains, en effet. Bonne chance pour la suite, petite cousine, prends soin de toi.

— Bonne chance à toi aussi Claire.

Encore une page qui se tourne, avec un personnage de moins dans le scénario.

J’ai choisi cette solitude le jour où j’ai compris à quelles activités mon père et mes oncles se livraient. Ce fameux jour où papa a avoué qu’il préférait que je m’oriente vers le commerce plutôt que vers le droit. J’avais dû poser beaucoup de questions pour qu’il me livre enfin la vérité. L’entreprise familiale n’était en rien réglo. Double comptabilité, corruption, dessous de table, abus de bien sociaux… Bref, une fille qui embrasse une carrière de magistrate, ça aurait été une belle épine dans le pied ! Une épine qui aurait sacrément fait boiter l’organisation de l’entreprise familiale !

C’est pour cela que je suis partie, et que j’utilise le patronyme de ma mère, en espérant ne jamais avoir à payer le prix des erreurs de mon père et de ses frères.

Mais il n’empêche que même si je lui ai tourné le dos, et que j’ai rompu avec tout ce que ma famille pouvait m’apporter, je l’aime profondément.

Je fonds en larmes.

J’essuie rageusement mes yeux, et me force à chasser la boule qui vient de prendre place dans ma gorge. J’ai réfléchi longtemps avant de partir, et ce n’est pas la conversation téléphonique que je viens d’avoir qui doit ébranler mes certitudes.

Je bouge frénétiquement mes doigts pour en dégourdir les phalanges et me replonge dans mon travail. J’ai un défi de taille à relever, et l’heure des lamentations et des remises en question est passée depuis bien trop longtemps pour s’en soucier.

Quelques heures plus tard, épuisée, je me glisse dans mon lit. Je ferme les yeux pour refouler la mélancolie qui m’habite malgré moi depuis l’appel de Lydie. Tout au fond de mon cœur, une petite voix s’élève, et balaye ma tristesse pour me rappeler un instant de pur bonheur.

Il faisait froid ce jour-là, la cheminée crépitait doucement, mon croque-monsieur avait le gout d’un mets digne d’un restaurant quatre étoiles et mon cœur avait pris plus de place dans ma poitrine qu’à l’ordinaire.

C’est un souvenir dans lequel j’aime me réfugier. Un moment empreint d’une délicieuse forme d’enchantement. Celui où j’étais plongée dans le regard chocolat d’un ange prénommé Gabriel.

***

Gabriel

Je referme délicatement l’album de timbres de mon père. Je me suis promis, puisque j’ai à la fois la patience et le temps, de trier toutes ces magnifiques planches multicolores, mais je n’en ai pas envie.

D’une manière générale, je n’ai envie de rien.

Je me suis essayé au jardinage, sans plus de succès malgré l’arrivée du printemps et de ses promesses. J’ai entrepris de repeindre les volets de la remise, et là aussi je me suis lassé à mi-chemin et j’ai abandonné.

Cela m’a inquiété et j’en ai parlé avec le psychiatre qui me suit. Il n’a aucune explication à cela. Selon lui, il faut persévérer, poursuivre les traitements, et surtout ne pas baisser les bras. Les choses sont supposées se remettre en place d’elles-mêmes.

« On ne soigne pas une telle dépression comme une grippe », m’avait-il dit, et je ne doute nullement de cette vérité, pourtant j’enrage de constater que l’amélioration tarde tant à arriver.

Et plus j’enrage et moins j’avance !

Le seul point positif de ces dernières semaines, c’est que ma mère semble s’essouffler dans ses attentions. Elle a enfin compris qu’il n’est pas nécessaire qu’elle range ma chambre comme lorsque j’avais cinq ans, et elle ne m’attend plus le soir quand je rentre tard. Je sais qu’elle veille dans son lit, mais au moins sa surveillance se fait plus discrète et j’ai presque le sentiment d’être redevenu adulte !

Je soupire en écartant le rideau du salon. Le printemps est précoce cette année, et déjà les jonquilles et les primevères ont percé le gazon. Le gros lilas, au coin de la maison, s’est paré de quantité de bourgeons vert tendre qui ne tarderont pas à exploser.

Avec de grandes précautions, je range les albums de timbres à côté des albums photos. Ils étaient aussi la fierté de mon père et représentent à mes yeux toute notre histoire. J’ai toujours imaginé qu’un jour je pourrais les expliquer à mes enfants. Même si fonder une famille n’a jamais été ma priorité, c’est maintenant que je pense que je n’aurais probablement plus ce choix que je regrette de ne pas y avoir sérieusement songé avant.

Si j’avais ma propre famille, est-ce que j’en serais là ?

Ou est-ce que je les aurais entrainés dans ma chute ?

Je referme les portes du meuble et glisse la clé à la place qui est la sienne, dans la bonbonnière de faïence.

Traînant les pieds, je monte l’escalier qui me mène à ma chambre. Les fenêtres sont closes, alors je les ouvre. Elles donnent sur le jardin et les effluves de ce début de printemps me parviennent délicieusement.

Je ferme les yeux.

Les oiseaux, le gargouillis du ru qui passe derrière le jardin, le doux chant du carillon à vent qui pend sous l’auvent de la terrasse, ces bruits, ces musiques familières me rendent un instant mélancolique.

J’ouvre mon tiroir, celui où est rangé mon calepin bleu.

« Cher journal,

Je vais mieux, c’est indéniable, mais je ne vais pas bien.

Je ne me sens pas maître de mes émotions. Je suis convaincu qu’il ne me manquerait pas grand-chose pour y parvenir, mais je n’arrive pas à saisir de quoi il s’agit. Ce traitement que je prends y est certainement pour quelque chose, puisque depuis que j’en ai limité les prises je me sens mieux, mais tout arrêter me fait peur.

Je me fais peur…

Je crains à tout moment de réveiller le monstre qui a voulu me détruire. À chaque nouvelle porte que j’ouvre, j’appréhende ce que je vais trouver de l’autre côté.

Néanmoins, les jours passent et peu à peu, j’ai l’impression de m’installer dans cette vie qui n’en est pas une. Est-ce que je me résigne ? Peut-être vaut-il mieux qu’il en soit ainsi, et que je finisse par ne plus me rendre compte de ce que j’ai perdu ? Alors la même question me taraude chaque matin : ai-je envie de cette vie insipide ?

Je ne sais toujours pas pourquoi j’ai voulu mourir, mais je me demande alors, pourquoi me suis-je raté ? »

Ce sera tout pour aujourd’hui, je sens que si je m’épanche davantage, je vais sombrer dans une humeur maussade. Je n’en suis d’ailleurs déjà pas très loin. Je referme mon calepin, et le range.

Quand je redescends dans la bibliothèque, où ma mère a l’habitude de faire sa sieste l’après-midi, elle sent mon regard sur elle, et entrouvre les yeux. Je m’approche et l’embrasse sur le front.

— Je vais faire un tour.

— À cette heure-ci ? m’interroge-t-elle.

Je lui souris.

— Il est quinze heures, maman, si je ne sors pas maintenant alors que le soleil est au beau fixe, dis-moi quand le ferai-je ?

Ma mère fronce les sourcils, mais réalise que je ne lui demande pas la permission de sortir, et que je ne fais que l’en informer.

— Veux-tu m’accompagner ?

Elle refuse d’un hochement vigoureux de la tête, qui fait virevolter les quelques mèches grises qui se sont échappées de sa barrette.

— Non, oh non, je n’ai pas envie, je suis lasse. Je pense que je vais me reposer encore un peu, et puis j’ai des choses à préparer pour le dîner. Tu seras là au moins ?

— Je vais juste faire un tour, et je serai rentré avant la nuit.

Je l’embrasse de nouveau sur le front, quand elle me retient par la manche alors que je m’éloigne.

— Tu ne comptes pas aller jusqu’à l’ancienne gare, me questionne-t-elle soucieuse ? La dernière fois, tu es revenu si fatigué que j’ai cru que tu allais en pleurer.

Un rire sans joie m’échappe.

— Je n’irai plus là-bas, maman, je n’ai plus aucune raison de m’y rendre…

Je tourne prestement les talons pour ne pas laisser à ma mère le temps de s’apercevoir de mon trouble. Ni qu’elle remarque la douleur qui me vrille encore le cœur lorsque je repense à cette dernière visite au Marian’s.

Le lundi suivant le déjeuner que nous avons partagé avec Claire, je suis retourné à la brasserie, j’espérais pouvoir passer un peu de temps en sa compagnie, mais elle n’était pas là. J’avais présumé qu’elle ne travaillait pas et j’avais renouvelé ma visite deux jours plus tard. L’homme que j’avais trouvé derrière le bar, visiblement le patron, m’avait simplement dit que Claire était absente, il avait noté que je la cherchais et il avait précisé qu’il lui transmettrait le message.

Message totalement inutile, puisqu’elle ne savait pas où me joindre ; mais sur l’instant, je souhaitais simplement qu’elle sache que j’étais passé la voir.

Alors j’avais de nouveau fait le voyage quelques jours plus tard, et cette fois c’était la grande blonde vulgaire qui travaillait avec Claire qui m’avait reçu ; et ses mots m’ont blessé si profondément qu’il me semble encore avoir l’impression d’entendre résonner le son railleur de sa voix…

« C’est ta faute si elle s’est barrée. Dégage de là, le débile, t’en as assez fait. »

J’ai entendu quelqu’un crier derrière son dos pour qu’elle se taise, mais c’était trop tard, ce qui était dit était dit.

Malheureusement, elle n’a probablement pas tort : j’ai réussi à effrayer l’unique personne qui m’ait approché depuis mon accident. La seule personne qui me donnait l’envie de me lever le matin et d’affronter les simulacres de journées qui sont devenues les miennes.

Je l’ai cherchée durant des jours, et même des semaines. J’ai arpenté les ruelles du quartier où elle travaillait, et j’ai même pris plusieurs fois le train qu’elle m’avait dit emprunter pour rentrer chez elle dans l’espoir de l’apercevoir.

Je ne l’ai pas retrouvée. Ce n’est que lors de mes rêves que j’ai pu lui dire combien elle m’attire, et j’ai adoré toutes ces nuits où mes songes m’ont amené entre ses bras… Cela me semblait si réel parfois que j’aurais pu décrire la douceur de ses lèvres, son parfum, et tellement plus encore. Un imaginaire si empreint de réalisme qu’il n’a plus rien d’un fantasme. Claire est devenue ma réalité. Une femme dont je suis follement épris sans jamais l’avoir touchée.

Enfin si, j’ai juste tenu sa main. Un court instant.

— Je vais dans le parc Maman, à tout à l’heure.

— Bien, me répond-elle, il y a un sachet de pain rassis dans la remise, prends-le donc pour le donner aux canards.

J’ai déjà franchi la porte, et les derniers mots de ma mère me font grincer des dents ; je n’ai absolument pas envie de nourrir ces volatiles. Je donnerai le sac au fils du voisin lorsqu’il passera nous voir. Jeter de vieux croûtons dans l’eau, c’est de son âge, pas du mien.

Je rejoins la rue en remontant mon col. Je n’ai plus besoin de noter ma destination sur un pense-bête, et cela fait un bon moment que je ne me suis plus perdu lors de mes promenades. C’est bien une des seules améliorations notables. Je réussis maintenant à réfléchir, et à poser le doigt sur ce qui ne va pas. Là où en revanche, cela pèche, c’est que je n’arrive pas à me motiver suffisamment pour y apporter des solutions. Avec le recul, je ne sais pas ce que je préfère. Ignorer mes problèmes ou demeurer impuissant face à eux…

Je pousse la lourde grille du parc, et gravis nonchalamment le sentier qui serpente entre les massifs de fleurs. Les odeurs qui flottent dans l’air se mêlent les unes aux autres. Une femme éternue, probablement à cause des pollens, et des enfants courent au bord de l’eau. Derrière moi, j’entends quelqu’un se plaindre du chemin. C’est une dame d’un certain âge qui a enlisé les roues de sa poussette dans les gravillons, et le visage rougi par l’effort, elle essaye de l’en extirper. Je lui propose mon aide, qu’elle accepte et je soulève le landau pour le reposer quelques mètres plus loin, là où le sentier est recouvert d’herbe.

La vieille dame me remercie, et replace sur le nourrisson la couverture qui a glissé.

— C’est mon petit-fils, précise-t-elle fièrement.

Et là encore, je sens ce pincement au cœur : ma mère ne prononcera jamais ces mots… Je lui souris, et poursuis mon chemin vers un banc qui vient de se libérer.

J’ôte mon blouson. Je replie les manches de ma chemise sur mes avant-bras et je ferme les yeux, offrant mon visage au soleil qui chauffe délicieusement.

 

Voici les 4 premiers chapitres de “Dans le regard de Gabriel”, le premier volet de la collection “Scènes de vie” que vous pouvez trouver sur Amazon, en Broché illustré N&B ou couleur , et en eBook. Il est aussi inclus au programme Kindle pour encore quelques mois (lien ci-dessous)

N’hésitez pas à parler de cette lecture si ce roman vous a plus, “Dans le regard de Gabriel” est autoédité et a besoin de votre publicité pour se faire connaître ! 

Merci.

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Constance DHarnasson
6 mois il y a

J’ai découvert les personnages de Sandra Goislot.
Gabriel est un personnage énigmatique pour moi, mais j’aime beaucoup. Claire est une jeune femme forte et indépendante, qui se bat pour ses idées et sa liberté. Et elle le revendique.
Les 4 chapitres sont bien écrits, les descriptions des personnages, sur la ville et ses quartiers, le froid de l’hiver et l’arrivée du printemps sont bien détaillées.

Tifanie Portella
7 mois il y a

Bonjour, j’ai lu le roman en entier et je l’ai offert à ma mère. L’histoire est géniale, on a adoré toutes les deux. Pour ceux qui hésite, il ne faut pas hésiter à l’acheter.

Melanie Papin
7 mois il y a

Une belle façon d’écrire, de l’émotion et des personnages attachants (enfin pas tous!). Merci pour ces 4 chapitres. Hâte de lire la suite!

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