Jean De Ségur, fils des hautes terres
Chapitre 1 – Le temps de l’apprentissage
Je me prénomme Jean, seigneur sur les hautes terres d’Auvergne. Mon château tout comme moi-même, sommes sous le sceau de Dieu et des croisades mais également de la pratique et la défense de la foi chrétienne d’occident. Les préceptes moraux avec lesquels je suis en accord et qui m’ont été inculqués par mes paires tant au sein de ma famille, que de l’église ou auprès des membres de mon ordre, me permettent de gérer ma vie matérielle mais surtout spirituelle, avec la plus grande droiture et la plus grande fermeté. Mon apprentissage de la vie et de ses valeurs les meilleurs, m’ont également été inculquées au fil de mes expériences et rencontres.
La Haute-Auvergne, terre de contraste, qui m’a vu naitre et grandir. Terre où l’on peut passer, en quelques lieues, d’une vaste cité très peuplée à des territoires des plus sauvages, vierges de toutes vies, hormis la faune et la flore sauvage et quelques troupeaux surveillés par de jeunes pâtres solitaires, en passant par quelques villages et hameaux, peu nombreux et très dispersés.
Je n’ai jamais supporté cet esprit de castes, imposé par la noblesse et le clergé, je l’ai simplement tolérée sous la pression sociale, ne pouvant changer la situation et ne trouvant que peu d’échos à mes idées trop novatrices pour mon époque. Je me suis cependant toujours accommodé du confort matériel que me procurait ma naissance mais également et surtout, quand le moment fût venu de prendre en main le domaine familial et de façon pleine et entière, ma charge de seigneur, avec la possibilité de peser si modestement que cela puisse être sur un changement de point de vue des autres membres de la noblesse locale. Il s’agissait également pour moi d’être, autant que possible, disponible, attentionné et protecteur non seulement auprès des miens mais également auprès de mon personnel et de la population vivant sur mon fort vaste domaine et dont j’ai toujours considéré certains, si ce n’est comme des amis, comme des membres à part entière de ma famille. J’ai toujours eu une conscience très forte du lien humain qui nous unissait et éclairait nos vies. La pression de mon environnement m’a toujours poussée à ne pas en faire trop étalage.
Céline, la fille de ma nourrice fut la première personne à qui je m’en confiais, j’en expliquerai les raisons plus tard. Je comprenais que le peuple, à force de privations et d’humiliations, saurait, un jour prendre son destin en main et tomberait peut-être à nouveau sous le joug d’une autre forme de caste de nantis avides de richesses et de pouvoir. Il n’est de pire liberté que celle à laquelle on nous laisse croire.
Je naquis dans le château de mes parents. Durant les premiers jours de ma vie j’y restais afin d’être présenté à ma famille ainsi qu’aux seigneurs locaux. Je devais ensuite, durant les cinq années qui suivirent, être élevé par un couple de nos gens, dans un corps de ferme à proximité du château. Cette tradition familiale, pratiquée chez nous depuis des générations, avait pour but de contribuer à m’enseigner durablement de fortes et seines valeurs, dont l’humilité ainsi que la valeur des personnes et des choses. Je fu élevé avec ma sœur de lait, Céline, fille des fermiers qui avaient en charge mes besoins éducatifs et matériels. Aussi, ai-je toujours eu une grande confiance et entretenu une grande complicité avec celle qui compte parmi les personnes en qui j’attachais la plus grande importance et à qui je faisais don de ma plus haute estime.
Pendant ces quelques années, je n’eus que rarement la visite de mes parents, cela faisait partie de la vision qu’ils avaient de mon éducation. A mes cinq ans, ils jugèrent qu’il était temps pour moi de rejoindre le giron de la famille au sein du château. J’y fu amené par mes parents adoptifs que je ne voulais point quitter, à ces gens que je ne connaissais quasiment pas et que l’on m’avait présenté comme ceux qui, par la grâce de Dieu, m’avaient donné la vie. Fort heureusement je devais rester très proche moralement et physiquement des braves et simples gens qui avaient commencés à m’élever et m’éduquer.
Mon père, Jacques, était un homme aussi terrible qu’extrêmement bon. Grand, massif, les cheveux noirs comme la nuit, à l’esprit vif. Une profonde et large cicatrice, héritée des croisades, lui barrait une grande partie du visage. Sa voix, parfois de tonnerre, était très grave et portait la parole ainsi que les intonations d’un homme instruit et sage. Son honnêteté et sa loyauté n’étaient plus à prouver depuis bien longtemps. Quand mon père souriait ou que son rire retentissait, bien souvent, je ne voyais plus la cicatrice qui marquait son visage, comme s’il elle avait disparu. D’ailleurs, elle s’est effacée de nombreux souvenirs que j’ai de ces moments-là.
Tout comme ma mère, Anne de Gourdon-Murat, il avait un grand respect pour les petites gens, bien que gardant une certaine condescendance dut à son rang et une éducation qui l’avait beaucoup marquée en ce sens.
Ma mère quant à elle, avait la silhouette fine, la peau très claire et de longs cheveux roux. Douce et discrète, elle avait parfois cette dureté féminine qui me glaçait le sang. Sa voix très légèrement tintée d’une sonorité grave, était un enchantement à écouter. Elle était issue d’une très ancienne famille de la haute noblesse limousine. Mes parents tenaient de là, leur grande fortune et leur fort pouvoir sur une très vaste contrée qui dépassait largement les limites de leur domaine. Mon père avait gagné ses lettres de noblesse, aux croisades, bien avant ma naissance. Le mariage de mes parents avait été arrangé de sorte que les deux familles respectives puissent accroitre leur pouvoir en Auvergne et Limousin. Il s’agissait également de se rapprocher de l’ordre militaire de Salomon, dont la commanderie principale est basée sur les hauts plateaux à proximité de la cité de Murat. Cet ordre militaire, très puissant en occident comme en orient, y était également très redouté et respectés, mais très mal vu du clergé, de la monarchie et des Templiers, bien que toléré, car, entre autres, très ouvert aux autres cultures et religions. En terre sainte, son but était de faire en sorte que Chrétiens, Juifs et Musulmans, puissent croire, pratiquer leur culte et de façon générale vivre dans la paix et le respect les uns des autres. Cet ordre, bien que très puissant n’était pas très riche, son pouvoir lui venait de la grande valeur militaire de ses chevaliers mais également et surtout de leurs grandes valeurs morales. Mon père était des leurs.
La mansuétude offerte à l’égard de cet ordre tien à sa puissance militaire et politique, qui, pour les pouvoirs en place, tant religieux que temporel, était une véritable menace pour les autorités du royaume de France. Outre ceci, chacun trouvait son intérêt à ce que l’ordre de Salomon reste en place afin de conserver et asseoir plus encore un pouvoir sur le royaume et en terre sainte.
A l’âge de sept ans mon père me confiait aux soins de ses gens, afin que j’apprenne à m’occuper convenablement des chevaux, à monter en selle, à chasser. J’apprenais également l’usage des armes tout en étant au service de mes parents. Mon éducation morale fut d’abord confiée à l’abbé Boudet, ancien templier, pour qui mon père était à la limite de l’hérésie, du fait de son appartenance à l’ordre du temple de Salomon. Les deux hommes ne s’entendaient guère, cependant mon éducation tant religieuse, littéraire, que mathématique et scientifique, était entre de fort bonnes mains.
Chaque jour, je bénis encore ces heures passées auprès de Céline, celle qui était déjà une des personnes les plus importantes de ma vie. Son regard d’un magnifique marron, dans lequel j’adorait plonger le mien, m’inondait de bonheur tout comme ses longs cheveux d’un beau châtain qui couronnaient une fine silhouette qui laissaient planer chez moi une grande sensation de quiétude. Céline avait une personnalité enjouée, vive, intelligente, mais surtout très attachante, tellement humaine. Je l’adorais et elle me le rendait bien, avec le même plaisir.
Mes fins d’après-midi lui étaient en grande partie consacrées. Je courais chez ses parents, afin de lui rapporter toutes les connaissances que l’abbé m’enseignait. Je la regardais avec la plus grandes des tendresses, apprendre à tracer les lettres sur de vieux parchemins trouvés au château et qui servaient également à mon propre apprentissage. Il en était de même à l’écouter déchiffrer des textes.
Son père, Louis qui craignait presque autant le courroux du mon père que celui de Dieu, l’avait entretenu au sujet de ses inquiétudes concernant notre si grande amitié et notre apprentissage commun. Mon père lui rétorquait qu’il n’y avait pas lieu de s’inquiéter, qu’il fallait laisser faire les évènements et qu’il ne voyait là que la complicité fort plaisante de deux êtres très attachés l’un à l’autre et que Céline avait tout autant que n’importe qui d’autre, le droit à ouvrir son esprit à la réflexion et aux connaissances de notre vaste monde et de ce qui l’entoure.
Je dois la vie à ce modeste paysan. Lors d’un hiver fort rigoureux et à la suite de quelques négligences, je subissais un fort mauvais coup de froid, et dû garder le lit pendant deux semaines dont les deux premiers jours furent vraiment critiques et auraient dû m’être fatals. L’extrême onction me fut donnée par l’abbé Boudet. J’étais perdu.
Mes parents ne se résignant pas à cette situation, le bon Louis qui était connu et reconnu, d’un certain nombre de personnes, comme un sorcier, était mandé à mon chevet. Pendant des heures, aidé de mon père, il pratiqua des rites et prépara des potions, séculaires, dont il était un des rares à détenir le précieux secret. Tout se fit dans la plus grande discrétion. Seul quelques personnes en furent informées. Ma mère, elle-même, très dévote, n’en a jamais rien su. Mon père, Louis et moi-même, risquions le bûcher.
Je passais une grande partie de mes journées à me préparer à devenir chevalier, tandis que pour Céline, être au service du château, était déjà une réalité. J’ai toujours eu du mal à accepter que sa vie puisse ne se résume aux travaux des champs, aux corvées diverses dont celles du bois et l’entretien des pièces du château, des meubles et tapisserie ainsi que la préparation des repas, tout comme sa mère Marie.
Outre le fait que le rapport d’amis proches entre Céline et moi, s’était transformé en amour partagé, l’adolescent que j’étais devenu était particulièrement assaillit de questions diverses. Mon père et moi, étions très proches et débâtions parfois savamment, souvent de sujets aussi divers que variés. Conversations auxquelles se mêlait parfois ma mère qui était très cultivé et dont la pensée savait s’ouvrir et raisonner de façon assez poussée, sur de nombreux sujets. Cependant un certain obscurantisme religieux et un conformisme social assez marqué, l’empêchait, comme de nombreuses autres personnes de notre époque, de s’intéresser et d’accorder pleinement du crédit à des sujets tel que le sort des petites gens mais surtout à un certain nombre d’élément qui régissent notre monde comme notre univers et que l’on appelle, la science et la métaphysique. Mon père, bien que n’ayant pas beaucoup étudié, avait également un grand sens de son environnement et une culture très importante, acquise au gré des expériences qui avaient façonnées sa vie et sa personnalité. Il m’était donc apparu évident de l’entretenir au sujet des liens que je souhaitais avoir avec Céline. A dix-sept ans, je connaissais depuis longtemps les règles qui s’imposaient dans la noblesse. Il m’était strictement interdit d’épouser une roturière et bien qu’il fût en accord avec moi sur le principe d’aimer et d’épouser la personne de son choix, mon père me fit bien comprendre que Céline n’aurait jamais d’autre statut que celui toléré de maîtresse. Il en profitât pour m’annoncer mon mariage prochain avec Alix de Val Castel, comme ma mère, elle tenait sa filiation d’une grande famille du limousin ce qui permettait à la mienne d’honorer son rang dans la noblesse et d’accentuer mais également d’étendre de nouveau son pouvoir sur les deux provinces. Je m’en remis, non sans une grande amertume, à la décision de mon père.
Le jour de mon mariage, je fus un des premier dans la cour. Le groupe de gitans que mon père avait mandé afin d’animer la noce, était là également.
Jayden, le chef du clan s’approcha de mon père, ils se connaissaient depuis l’enfance, leur amitié était honnête, solide et profonde.
Le temps d’une étreinte virile durant laquelle tous deux se regardèrent droit dans les yeux ; les liens d’une grande fraternité et d’une forte complicité étaient palpables.
Jayden lui dit :
- « Jacques, je suis très heureux et honoré que tu nous ais convié au mariage de ton fils. Les miens le sont tout autant. Tu as su garder un grand cœur et ton esprit ouvert aux autres. Que Dieu te garde ! »
Ce à quoi mon père répondit :
- « Jayden, fils du vent, tu me fais l’honneur ainsi que les tiens, d’être là aujourd’hui, en ce moment si particulier et si heureux pour ma famille dont vous faites partie. Nous en sommes tous ravis. Vous serez toujours les bienvenues comme cela a toujours été le cas.
Lors des festivités, je fus présenté au grand maître de l’ordre de Salomon, Hugues De La Mazière, cousin germain de ma mère, afin que je puisse servir l’ordre en tant qu’écuyer. Mon rôle se limiterait durant les premières années à aider les chevaliers de la commanderie lors des tournois mais également lors de nos sorties afin de protéger des brigands, les terres, les biens ainsi que les gens qui travaillaient sur le domaine de la commanderie. Mon aide fut également précieuse lors de différentes guerres qui marquèrent cette époque. Ceci dans l’attente d’être à mon tour chevalier et de pouvoir partir à mon tour en croisade, non pour défendre ma culture, mes valeurs et ma religion, contre d’autres, mais bien au contraire faire que les esprits se libèrent, s’ouvrent à la lumière de la connaissance dans ce qu’elle a de meilleur, mais également que les peuples puissent se respecter et s’unir.